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LE COGITO DE LA SECONDE MÉDITATION : UNE PROTESTATION

CONTRE LE MALIN GÉNIE


Hélène Bouchilloux

Presses Universitaires de France | « Revue philosophique de la France et de


l'étranger »

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2015/1 Tome 140 | pages 3 à 16
ISSN 0035-3833
ISBN 9782130651468
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Le cogito de la Seconde Méditation  :


une protestation contre le Malin génie

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L’énoncé du cogito, sous la forme spécifique qu’il revêt dans la


Seconde Méditation, a fait l’objet de nombreux commentaires. En
reprenant ce problème, je voudrais montrer qu’une interprétation
exacte du sens de cet énoncé requiert toute une réflexion sur les
deux figures du Dieu trompeur et du Malin génie, et sur leurs fonc-
tions respectives dans le trajet qui conduit le lecteur de la Première
Méditation à la Troisième Méditation. Ce faisant, je voudrais aussi
étayer la thèse que j’ai défendue dans le livre que j’ai consacré aux
Méditations métaphysiques de Descartes1  : l’idée que, en tant que
premier principe de la philosophie qui s’impose à mon esprit de
manière absolument indubitable (ce qui n’est le cas d’aucune autre
proposition, que celle-ci concerne les existences ou les essences), le
cogito, comme n’importe laquelle des propositions intrinsèquement
indubitables des mathématiques, n’a cependant, tant que demeure
l’hypothèse du Dieu trompeur, qu’une vérité subjective et momen-
tanée. Je ne peux pas m’empêcher d’affirmer que je suis au moment où
je me suppose trompé par un Malin génie pourtant censé m’empêcher
d’affirmer une existence quelconque.
Dans un premier temps, j’examinerai les deux figures du Dieu
trompeur et du Malin génie. Je me demanderai à quoi correspondent
ces deux figures en étudiant le contexte de leur apparition dans le
texte de la Première Méditation.

1. Voir L’Ordre de la pensée. Lecture des Méditations métaphysiques de


Descartes, Paris, Hermann, 2011.
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Le Dieu trompeur

Descartes introduit la «  vetus opinio  » au sujet de Dieu après


avoir marqué l’articulation entre le problème des vérités sensibles et
le problème des vérités intelligibles, à partir de l’argument du rêve
qui constitue l’argument décisif pour douter des vérités sensibles  :
même si je rêve, même si rien n’existe hors de la perception sensible
de ce que je crois exister hors d’elle, il n’en reste pas moins que la
perception sensible enveloppe la perception, non sensible mais intel-

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lectuelle, de ce qui permet à mon esprit de percevoir tout corps, que
celui-ci existe ou n’existe pas, c’est-à-dire tout corps possible. Si je
ne pouvais former en mon esprit l’idée de l’étendue, de la figure et
du mouvement, pour ne parler que des propriétés communes à tout
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corps possible et non des propriétés communes à toute substance


possible, je ne pourrais percevoir aucun corps. Ces notions dont j’ai
une perception non sensible mais intellectuelle, notamment dans les
mathématiques, résistent au doute émanant de l’argument du rêve.
Aussi ne puis-je apparemment plus douter que, par ces notions, je
ne perçoive quelque chose, quelque chose d’intelligible, ce que la
Cinquième Méditation appelle de «  vraies et immuables natures  ».
C’est ici qu’entre en scène la «  vetus opinio  » au sujet de Dieu.
Cette opinion comporte une dissociation entre ce que Dieu peut
et ce que Dieu veut. Il est censé pouvoir tromper à cause de sa puis-
sance, mais ne le vouloir pas à cause de sa bonté. La problématique
du Dieu trompeur étant liée à la problématique de l’erreur (je me
trompe peut-être aussi bien sur l’intelligible que sur le sensible), on
ne s’étonnera pas que Descartes anticipe sur ce qu’il dira au début de
la Quatrième Méditation  : « Bien que pouvoir tromper semble quelque
peu prouver subtilité ou puissance, vouloir tromper témoigne sans
aucun doute ou de malice ou de faiblesse2.  »
Par où Descartes renoue avec la problématique du mensonge, telle
qu’elle a été élaborée dans l’Hippias mineur de Platon et dans la
Métaphysique d’Aristote. Selon Platon, le menteur est celui qui sait
et qui dérobe sciemment ce qu’il sait à celui à qui il ment. Il a la
supériorité que lui confère ce double savoir sur l’ignorance. Selon
Aristote, Platon n’a pas raison de préférer, au nom de ce double savoir,
le rusé Ulysse au bouillant Achille. Cette préférence ne vaudrait que
si pouvoir mentir revenait à imiter extérieurement un menteur  ; mais

2. Traduction des Méditations métaphysiques par Michelle Beyssade, Paris, Le


Livre de Poche, 1990, p. 145.
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celui qui ment effectivement devient un menteur (car, des actes, naît
le caractère)  ; il n’est plus au pouvoir de celui qui, ayant contracté
l’habitude de mentir, est devenu un menteur, de ne pas mentir. Ainsi,
pouvoir mentir est peut-être un signe de supériorité  ; en revanche
vouloir mentir, comme le veut celui qui ment effectivement, n’est
plus du tout un signe de supériorité, mais un malheureux penchant
au service soit de la malice, soit de la faiblesse.
Pourquoi, selon Descartes, Dieu peut-il tromper à cause de sa
puissance, si on fait abstraction de sa bonté  ? Descartes paraît utiliser

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la thèse occamiste de «  l’annihilation du monde  » dans sa version
sceptique. Chez Guillaume d’Occam, puisque l’intuition et l’objet
de l’intuition sont distincts, Dieu pourrait par sa puissance absolue
conserver l’une (l’intuition) sans l’autre (l’objet de l’intuition). Cette
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thèse est d’abord appliquée par Descartes au sensible  : je crois qu’il


y a un monde et que le monde est tel que je le perçois, mais il se
pourrait qu’il n’y eût pas de monde ou que le monde ne fût pas tel que
je le perçois. Cette dualité est importante car, par la suite, Descartes
établira, sur la base de la différence à faire entre lumière naturelle
et impulsion naturelle, qu’il faut qu’il y ait un monde, même si le
monde n’est pas tel que je le perçois. La thèse occamiste est ensuite
transférée par Descartes du sensible à l’intelligible  : je crois qu’il y
a de vraies et immuables natures parce qu’il ne dépend pas de mon
esprit que deux et trois fassent ni plus ni moins que cinq ou que le
carré ait ni plus ni moins que quatre côtés, mais il se pourrait qu’il n’y
eût pas de vraies et immuables natures, de sorte que les propositions
contraignantes des mathématiques ne fussent vraies qu’en apparence
ou ne fussent vraies que pour mon esprit. Et à ce niveau, le niveau
de l’intelligible, la tromperie serait assurément plus profonde, puisque
ce que je ne peux pas ne pas croire relève de la lumière naturelle,
laquelle serait alors ramenée à une impulsion naturelle.
Il se pourrait donc que toutes mes représentations fussent fausses  :
qu’il n’y eût rien, hors de mon esprit, de conforme aux représentations
de mon esprit. Mais pourquoi, selon Descartes, Dieu ne veut-il pas
tromper à cause de sa bonté  ? C’est d’après la religion reçue que
Dieu n’est pas puissant et créateur sans être bon, raison pour laquelle
Descartes invoque la connaissance de Dieu acquise par ouï-dire. Le
Dieu dont j’ai entendu parler depuis l’enfance n’est pas le Dieu qui
annihile le monde mais le Dieu qui crée le monde, et ce Dieu n’est
pas un Dieu méchant et trompeur mais un Dieu bon et vérace. Donc
il ne peut m’avoir créé avec une nature telle que je doive me tromper.
Cependant, il est indéniable qu’il permet que je me trompe puisque,
de fait, je commets des erreurs, et même des paralogismes. Pourquoi
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ce Dieu réputé bon et vérace n’a-t-il pas fait que je ne me trompe


jamais  ? La Quatrième Méditation dévoilera la complexité de ce pro-
blème. Descartes montrera d’abord que la faillibilité tient à ma nature
mais que, l’infaillibilité n’étant pas due à ma nature, la faillibilité
est une simple négation et non une véritable privation. Néanmoins,
comme la faute elle-même, en l’occurrence l’erreur, semble une véri-
table privation et non une simple négation, il devra ensuite montrer
non seulement que c’est moi qui suis responsable de cette privation
par le mauvais usage des facultés que Dieu m’a données, mais encore

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que je n’ai le droit de me plaindre ni des facultés que Dieu m’a don-
nées, ni de l’absence de précaution contre leur mauvais usage que
Dieu m’a infligée en m’accordant le libre arbitre auquel incombe le
soin de me prémunir contre ce mauvais usage. La question de savoir
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si la privation que représente l’erreur est imputable à moi ou à Dieu


est manifestement une question difficile, et donc il se pourrait que,
nonobstant la bonté que la religion lui prête, Dieu soit trompeur, c’est-à-
dire qu’il m’ait privé des moyens d’éviter l’erreur. Car c’est là ce que
signifie l’hypothèse du Dieu trompeur de la Première Méditation  : non
pas que Dieu me trompe actuellement et activement, mais que Dieu
m’a fait d’une nature telle que je suis voué à me tromper.
Pour conclure sur la figure du Dieu trompeur, je ferai remarquer
que ce Dieu qui pourrait m’avoir voué à l’erreur n’a rien à voir avec
le Dieu créateur des vérités éternelles de la correspondance avec
Mersenne de 1630, et que l’évocation de la toute-puissance de Dieu,
qui est à référer, en cette Première Méditation, à la potentia abso-
luta des médiévaux, ne doit pas nous égarer. Pour les médiévaux,
la potentia absoluta est la puissance par laquelle Dieu peut, pour-
rait ou aurait pu faire autre chose que ce qu’il fait par sa potentia
ordinata  ; pour Descartes, il n’en est rien, la toute-puissance divine
conjuguant indifférence et nécessité, comme cela ressort de l’Entre-
tien avec Burman sur l’article  23 de la 1re partie des Principes de
la philosophie3. Quand Descartes dit que Dieu aurait pu faire autre
chose que ce qu’il fait, cela ne veut pas dire qu’autre chose que ce
qu’il fait est possible, cela veut dire qu’il n’est déterminé par rien
à faire ce qu’il fait, ou encore que ce qu’il se détermine à faire ne

3. Voir notamment mon article « Montaigne, Descartes : vérité et toute-


puissance de Dieu », Revue philosophique, 134e année, n°  2, avril-juin 2009,
pp.  147-168, article dirigé contre l’interprétation relativiste de la doctrine carté-
sienne de la création des vérités éternelles qui est celle des principaux successeurs
de Descartes (Spinoza, Malebranche, Cudworth ou Leibniz), et celle que Jean-Luc
Marion renouvelle à sa façon dans son livre Sur la théologie blanche de Descartes
(Paris, Presses universitaires de France, 1981).
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lui est dicté par aucune loi de vérité ou de bonté. Trois arguments
plaident contre toute confusion entre Dieu trompeur et Dieu créateur
des vérités éternelles.
Premièrement, l’hypothèse du Dieu trompeur dérive d’une idée
de Dieu qui est l’idée de Dieu que j’ai acquise par ouï-dire, tandis
que la doctrine de la création des vérités éternelles repose sur l’idée
de Dieu que je découvre gravée en mon esprit et qui m’est innée.
Le Dieu de 1630, le Dieu qui crée les vérités éternelles, est le Dieu
qui est cause de tout ce qui est quelque chose, comme Descartes le

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précise dans sa lettre à Mersenne du 27  mai 1630, les essences (ou
le concevable) étant quelque chose aussi bien que les substances et
leurs modalités. C’est en tant qu’il est cause de tout ce qui est, que
Dieu est cause des essences comme des existences. Ce Dieu n’est
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autre que le Dieu de la Troisième Méditation qui est cause de mon


esprit, cet esprit dont la conscience enveloppe l’appréhension de ses
propres limites, et cause de tout ce que cet esprit conçoit clairement
et distinctement, de sorte que tout ce qui est l’objet d’une perception
claire et distincte de mon esprit se trouve contenu dans l’idée de
Dieu, laquelle est la plus claire et distincte de toutes mes idées
claires et distinctes. Et ce Dieu est également le Dieu vérace de la
Quatrième Méditation, puisque, comme Descartes le déclare à la fin
de cette Méditation, je ne saurais me tromper tant que je juge de ce
qui est quelque chose dont Dieu est l’auteur, et non de ce qui n’est
rien dont Dieu soit l’auteur.
Deuxièmement, le Dieu trompeur est un Dieu dont le pouvoir
serait celui d’annihiler l’objet de ma perception, que cette perception
soit sensible ou intellectuelle, bref le pouvoir d’annihiler toute exis-
tence et toute essence, tandis que le Dieu de 1630 est un Dieu dont
le pouvoir est au contraire celui de créer toutes choses, de créer les
essences comme les existences. Par là même, le Dieu trompeur est
un Dieu dont le pouvoir serait celui de changer ce qui est, tandis que
le Dieu de 1630 est un Dieu dont le pouvoir est au contraire celui
de poser ce qui est sans aucun changement possible, parce que, ce
qu’il fait être, il le fait être absolument, sans y être déterminé par
rien, c’est-à-dire sans que rien d’autre soit seulement possible. Ce que
Dieu fait être, il pourrait certes le changer si l’acte conjoint de son
entendement et de sa volonté pouvait changer, mais c’est justement ce
qui est exclu, l’immutabilité allant de pair avec le caractère absolu de
cet acte, comme l’attestent aussi bien la lettre à Mersenne du 15 avril
1630 que l’Entretien avec Burman.
Troisièmement, rien d’autre n’est concevable par mon esprit que
ce que le Dieu créateur rend concevable du fait même qu’il le conçoit
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comme il le conçoit sans que rien d’autre soit seulement concevable,


selon l’audacieuse assertion de la lettre à Mersenne du 6  mai 1630.
Il s’ensuit que, si mon esprit conçoit que deux et trois font cinq ou
que le carré a quatre côtés, c’est parce que Dieu le conçoit et le
veut ainsi. Ce sont les mêmes vérités éternelles que Dieu conçoit
et que mon esprit conçoit, d’après la lettre à Mersenne du 15  avril
1630, la différence étant que ce qui s’impose à mon esprit comme
une loi ne s’impose aucunement à l’esprit de Dieu qui, au contraire,
le pose comme une loi, une loi valant simultanément pour mon esprit

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en quête d’intelligibilité et pour la nature matérielle dont l’intelligi-
bilité est mathématique. Le Dieu de 1630 n’est donc pas celui qui
pourrait faire que toutes mes représentations fussent fausses, mes
représentations intellectuelles comme mes représentations sensibles.
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C’est à l’inverse celui qui m’assure que sont bien des idées vraies, des
idées servant de matière à des jugements eux-mêmes vrais, toutes mes
idées claires et distinctes.

Le Malin génie

Le Dieu trompeur est le Dieu qui pourrait m’avoir créé avec une
nature telle que je doive me tromper, le Dieu qui pourrait m’avoir fait
d’une nature telle que je sois voué à me tromper, puisque la bonté
de Dieu demeure problématique tant qu’on n’explique pas d’où vient
qu’il permet, à tout le moins, que je me trompe. Le Malin génie est
la puissance supposée me tromper toujours et en tout, la puissance
supposée frapper de fausseté tous mes jugements.
Le Dieu trompeur est une hypothèse concernant l’origine et la
nature de mon esprit, en concurrence d’ailleurs avec d’autres hypo-
thèses que Descartes énumère brièvement  : destin, hasard, détermi-
nisme causal. Et cette hypothèse affleure naturellement en mon esprit
dès que je m’interroge sur le fait que je me trompe non seulement dans
le domaine du sensible, mais encore dans le domaine de l’intelligible.
Le Malin génie est une fiction de mon imagination, dont la fonction est
de contrebalancer la probabilité de mes anciennes croyances afin de
maintenir une suspension de mon jugement que cette probabilité rend
précaire. Il s’agit de me tromper délibérément en supposant jointes la
puissance et la méchanceté (alors que l’erreur, pour être imputable
à la volonté qui juge, n’en est pas moins non délibérée, comme le
souligne l’article  42 de la 1re partie des Principes de la philosophie),
mais de me tromper de manière délibérée dans le but d’éviter de me
tromper de manière non délibérée en portant des jugements erronés.
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Puisque l’erreur réside dans le jugement, il suffit de me garder de


tout jugement, et ce en supposant un Malin génie qui frappe systéma-
tiquement de fausseté tous mes jugements.
Autrement dit, par rapport à l’argument du rêve et à l’argument du
Dieu trompeur, le Malin génie ne constitue pas une raison de douter
supplémentaire  : le doute sur la vérité de la perception sensible et
le doute sur la vérité de la perception intellectuelle sont déjà là
grâce à ces deux arguments. Le problème est que ce qui est devenu
objectivement douteux grâce à ces deux arguments ne jugule pas le

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jugement  : je suis subjectivement toujours enclin à croire ce que je
n’ai plus le droit de croire depuis qu’il est établi que cela peut être
faux. Le jugement n’est jugulé que par la décision de faire comme si
ce qui peut être faux était effectivement faux.
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On va voir maintenant que cette différenciation entre Dieu trom-


peur et Malin génie est indispensable pour suivre le mouvement
logique qui relie la Première Méditation à la Troisième Méditation,
et pour interpréter correctement l’énoncé du cogito de la Seconde
Méditation.

Le cogito

Dans un second temps, j’examinerai attentivement, en ses arti-


culations, le mouvement logique au terme duquel le cogito peut être
formulé.
La figure du Dieu trompeur surgit au moment où Descartes étend
le doute des vérités sensibles aux vérités intelligibles. L’argument du
rêve vise les vérités sensibles  ; l’argument du Dieu trompeur vise les
vérités intelligibles, l’argument du rêve n’atteignant pas ces dernières
et, même, permettant d’abord de soustraire ces dernières au doute sur
les premières. Mais, l’argument du Dieu trompeur étant plus radical
que l’argument du rêve, il atteint aussi les vérités sensibles  : puisqu’il
est incontestable que je me trompe parfois dans l’un comme dans
l’autre domaine, il se pourrait que la puissance qui est à l’origine de
mon esprit l’eût fait tel qu’il fût naturellement incapable de vérité.
La version sceptique de la thèse occamiste de «  l’annihilation du
monde  » est utilisée pour concrétiser ce soupçon. Si la puissance
qui est à l’origine de mon esprit est le Dieu qu’on m’a enseigné, ce
Dieu, dont l’un des attributs est la toute-puissance, ne pourrait-il pas
faire qu’à mes idées, que celles-ci soient des perceptions sensibles
ou des perceptions intellectuelles, ne correspondît rien hors d’elles  ?
Autrement dit, ce Dieu ne pourrait-il pas faire qu’il n’y eût aucune
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vérité, la vérité étant l’adéquation de ce que je pense et de ce qui est  ?


Mon esprit se croit naturellement capable de la vérité et il est peut-
être naturellement incapable de la vérité  : tel est le doute qu’engendre
l’argument du Dieu trompeur. La conclusion qu’en tire expressément
Descartes est qu’il n’y a rien de ce que je tenais autrefois pour vrai
dont je ne puisse à présent douter, dont je n’aie à présent de bonnes
raisons de douter, dont je ne doive à présent douter étant donné le
projet qui est le mien dans les Méditations. De «  qu’il puisse n’y avoir
aucune vérité  », j’infère «  qu’il n’y a aucune certitude  ».

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Le Malin génie est convoqué pour maintenir l’incertitude contre
la pente à croire ce que je tenais autrefois pour vrai. Il faut dis-
tinguer sa figure et sa fonction. Avec le Malin génie, on passe de
«  il peut n’y avoir aucune vérité  » à «  il n’y a aucune vérité  », à
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«  tout ce que je me risquerai à affirmer sera faux  ». Pourquoi une


telle figure  ? Comme Descartes l’exhibe nettement, il s’agit de faire
contrepoids au poids du préjugé, c’est-à-dire d’obtenir la suspension
du jugement, d’asseoir le doute si on peut ainsi parler. La fonction
du Malin génie est de conduire à l’attitude propre au pyrrhonisme
tel que Montaigne le définit dans ses Essais, notamment dans le cha-
pitre  XII du livre II.
Il est capital de comprendre ce point pour comprendre égale-
ment le tour que va prendre le raisonnement au début de la Seconde
Méditation. La question est désormais la suivante  : au-delà de l’arti-
fice méthodologique opposé aux préjugés qui m’installe dans le doute,
dans le pyrrhonisme, ai-je le droit d’affirmer qu’il n’y a rien de certain,
affirmation qui me ferait transiter du scepticisme de type pyrrhonien
au scepticisme de type académique  ? L’enjeu du début de la Seconde
Méditation est la possible sortie du suspens pyrrhonien, sortie que
Descartes envisage comme la possible transition du suspens pyrrho-
nien à la thèse académique de l’incertitude de toutes choses (avec les
problèmes classiques que cela pose, puisque la forme de l’énonciation
contredit le contenu de l’énoncé). Je cite  : «  Qu’est-ce donc qui sera
vrai  ? Une seule chose peut-être  : il n’y a rien de certain.  » Le cogito
sera la réponse à cette question et devra impérativement s’analyser
dans le cadre de cette question. Une seule chose sera vraie  : non pas
qu’il n’y a rien de certain, mais au contraire qu’il y a quelque chose
de certain, à savoir mon existence que même le Malin génie ne peut
m’empêcher d’affirmer contre lui.
Il importe de décomposer cette réponse aux allures de dialogue
avec soi-même.
Premier mouvement  : que je me trompe à cause de la puissance
qui est à l’origine de mon esprit ou que je me trompe à cause du
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Le cogito de la Seconde Méditation 11

mauvais usage de mes facultés, bref, que mes erreurs soient impu-
tables à un Dieu trompeur ou qu’elles me soient imputables comme
le montrera la Quatrième Méditation, il faut bien que je me trompe
et commette moi-même mes erreurs. Dès lors, ne dois-je pas affirmer
qu’il est certain que moi-même je suis  ?
Deuxième mouvement  : mais je me suis persuadé qu’il n’y avait
rien au monde, rien hors de mes idées (par l’argument du rêve, puis
par l’argument du Dieu trompeur). Pourtant, si je me suis persuadé
quelque chose, assurément j’étais, moi qui me suis persuadé quelque

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chose. Ici, il convient de faire deux remarques. Premièrement, on a
affaire à une inférence calquée sur celle du Discours de la méthode
– «  je pense, donc je suis  » –, la certitude de mon existence étant la
condition de l’affirmation de la réalité de ma pensée, et cette condition
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étant perçue immédiatement par mon esprit. Deuxièmement, cette


inférence est au passé. Ne doit-on pas en conclure que le cogito du
Discours aurait pu être formulé après l’argument du Dieu trompeur et
avant l’arrivée du Malin génie  ? Cela est d’autant plus admissible que,
dans le Discours, l’argument du rêve est employé pour douter synthé-
tiquement des vérités intelligibles comme des vérités sensibles que
les erreurs et les paralogismes discréditent pareillement. Toutefois,
remémorée, cette inférence calquée sur celle du Discours n’est plus
que le souvenir d’une évidence.
Troisième mouvement  : mais il y a un Malin génie qui me trompe
actuellement et activement, frappant de fausseté tout ce que je me
risque à affirmer. Il faut distinguer la tromperie du Dieu trompeur
et la tromperie du Malin génie  : le Dieu trompeur fait que je me
trompe là où je me crois naturellement capable de la vérité (dans
cette éventualité, l’erreur n’est pas due à un mauvais usage de mes
facultés mais à la nature même de mon esprit incapable de la vérité)  ;
le Malin génie ne fait pas que je me trompe, il me trompe. Ce qui
caractérise la tromperie du Malin génie, c’est qu’elle s’exerce à tout
moment, dès que je tente d’affirmer quelque chose, et qu’elle me
rend passif. De la tromperie du Malin génie je suis le jouet dès que
je tente d’affirmer quelque chose. Par ses artifices, le Malin génie
déjoue tous mes efforts pour échapper à son emprise. Car, avec lui,
je suis trompé dès que j’émets un jugement, et donc condamné à
m’abstenir de tout jugement. Pourtant, s’il y a un Malin génie qui me
trompe actuellement et activement, je suis, moi qu’il est en train de
tromper  : dans l’actualité et l’activité de sa tromperie, nous sommes
nécessairement deux, lui et moi  ! Ici, il convient de faire remarquer
la différence entre le cogito du Discours et le cogito des Méditations.
Avec le «  je pense, donc je suis  » du Discours, on a affaire à une
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inférence évidente. Avec le «  je suis, j’existe, moi  » des Méditations,


on a affaire à une simple proposition affirmative, sans inférence. On
a affaire à une proposition affirmative qui est une protestation contre
le Malin génie  : il ne peut m’empêcher d’affirmer mon existence par
le fait même que je le suppose m’empêcher d’affirmer quoi que ce
soit en menaçant toutes mes affirmations de fausseté  ! L’affirmation
elle-même actuelle et active de mon existence contre lui est la seule
affirmation qu’il ne peut aucunement, quoi qu’il invente pour me
tromper, frapper de fausseté. Elle est nécessairement vraie chaque

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fois que je la réitère contre lui. Le Malin génie ne peut donner lieu
à l’inférence de mon existence, puisqu’il est une pure supposition,
contrairement à ma pensée qui, jusque dans sa fausseté, est une
réalité. Il ne donne lieu qu’à l’évidence de mon existence. Donc le
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cogito des Méditations se présente comme le point d’achoppement de


la puissance diabolique du Malin génie. Chaque fois que je me répète
que, au sein de sa tromperie, nous sommes deux, lui et moi aussi,
et m’exclame en pensée que, là au moins, il est mis en échec, cette
affirmation est inexpugnable.
Au terme de ces trois mouvements, il apparaît qu’on ne sort pas
du scepticisme pyrrhonien, conquis grâce au Malin génie, par le
scepticisme académique mais, au contraire, par l’affirmation qu’il y
a quelque chose de certain, conquise grâce au Malin génie quoique
contre lui. Cependant, sur cette certitude première plane toujours
l’ombre du Dieu trompeur qui n’est pas celui qui me trompe actuel-
lement et activement, mais celui qui m’a peut-être fait d’une nature
telle que soit faux même ce qui s’offre à mon esprit comme intrinsè-
quement indubitable.
Cette interprétation est la seule qui se puisse concilier avec le
début de la Troisième Méditation, dont il faut rappeler les grandes
lignes afin de corroborer ce qui vient d’être exposé concernant le
cogito.

Du certain au vrai

J’ai essayé de prouver que la vérité à dégager du cogito n’est


pas que j’existe nonobstant la tromperie actuelle et active du Malin
génie, mais qu’il y a quelque chose de certain nonobstant le Malin génie
lui-même, cette chose certaine étant que j’existe nonobstant la trom-
perie actuelle et active du Malin génie. À l’appui de cette asser-
tion j’ai allégué deux raisons  : la première est que Descartes veut
sortir du scepticisme pyrrhonien, non par le scepticisme académique,
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Le cogito de la Seconde Méditation 13

c’est-à-dire par l’affirmation qu’il n’y a rien de certain, mais par le


cogito, c’est-à-dire, symétriquement, par l’affirmation qu’il y a quelque
chose de certain  ; la seconde est que, si Descartes lâche que la pro-
position «  je suis, j’existe, moi  » est nécessairement vraie chaque fois
que je la prononce (et que je la prononce mentalement puisque l’exis-
tence de mon corps est, pour l’instant, congédiée), c’est uniquement,
d’après le contexte, parce que je la prononce en guise de protestation
contre celui qui devrait me la faire tenir pour nécessairement fausse
comme toute proposition que je me hasarderais à prononcer  : une seule

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proposition peut échapper à la malédiction du Malin génie, celle par
laquelle, victime de sa malédiction, je peux au moins m’affirmer moi-
même comme victime de sa malédiction  ! À isoler cette phrase réca-
pitulative de son contexte, on aboutit à une interprétation performative
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du cogito que rien n’autorise et qui, de surcroît, a l’inconvénient de


fausser l’inférence, commune au Discours et aux Méditations, quoique
secondarisée dans les Méditations, selon laquelle, conformément à
l’article  52 de la 1re partie des Principes de la philosophie, à partir
d’un acte quelconque de mon esprit, acte qui est une modalité de la
pensée, je suis en droit d’affirmer l’existence de la substance pensante
qu’est mon esprit4.
Que le cogito soit une certitude première et non une première
vérité, c’est ce que confirme le début de la Troisième Méditation.
Avec le cogito, il y a quelque chose de certain, la vérité est qu’il y a
quelque chose de certain, ce qui écarte définitivement la sortie dans
le scepticisme académique  ; mais, cette chose certaine, il n’est pas
encore gagné qu’elle soit ipso facto une chose vraie.
Descartes commence par extraire de la certitude première la forme
de toute certitude. Étant certain d’exister sous la supposition du Malin
génie, étant certain d’être une chose qui pense et non un corps ou
une âme au sens aristotélicien du terme sous le maintien du doute, je
sais en outre ce qui est requis pour être certain de quelque chose  :
une claire et distincte perception de ce que j’affirme. Être certain de
quelque chose, c’est affirmer quelque chose dont on a une perception
claire et distincte.
Puis Descartes fait de cette forme de la certitude une forme
extensible du cogito aux vérités mathématiques considérées en

4. Voir notamment l’article de Jean-Claude Pariente « Problèmes logiques du


Cogito », dans Le Discours et sa méthode, Paris, Presses universitaires de France,
1987, pp. 229-269, où sont discutées les positions de Jaakko Hintikka, mais sans
que soit prise en compte la spécificité de la Seconde Méditation découlant de la
supposition du Malin génie.
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elles-mêmes. C’est par le biais de la forme de la certitude que le cogito


et les vérités mathématiques peuvent être homogénéisés, quoique la
certitude du cogito conserve le privilège d’une certitude première par
rapport à la certitude des vérités mathématiques, laquelle ne ressort
ni de l’hypothèse d’un Dieu trompeur ni de la supposition d’un Malin
génie. Mais la certitude n’est pas suffisante. Sous l’hypothèse du Dieu
trompeur, ni celle du cogito ni celle des vérités mathématiques n’est
synonyme de vérité.
Aussi Descartes est-il amené à relancer le doute sur les vérités

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intelligibles de la Première Méditation. La forme de la certitude,
quoique nécessaire dans l’appréhension de la vérité, est insuffisante
sans la véracité divine. Tant que je perçois quelque chose clairement
et distinctement, je ne peux en douter et j’en suis certain  ; mais,
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dès que, m’en détournant, je retrouve l’hypothèse du Dieu trompeur,


je peux en douter et je n’en suis plus certain. Je ne peux donc
être pleinement certain que du vrai sous la garantie divine. Pour
m’extirper du balancement incessant entre certitude et incertitude
dans lequel me cantonne l’ignorance au sujet de Dieu, il faut que,
par la connaissance du vrai Dieu qui est un Dieu vérace, je passe
du certain au vrai.
Le Malin génie semble pire que le Dieu trompeur, puisque le
second ne rend que douteuses mes croyances, tandis que le premier
les rend fausses  ; mais le Dieu trompeur s’avère rapidement plus
redoutable que le Malin génie, puisque la tromperie du second est
surmontée dans le cogito, tandis que la tromperie du premier n’est sur-
montée que dans la découverte de l’idée innée de Dieu. Pour passer
du certain au vrai, il faut et il suffit de substituer à l’idée tradition-
nelle de Dieu, qui, confrontée au problème de l’erreur, est source de
doute sur la fiabilité de mon esprit, l’idée innée de Dieu, qui, même
confrontée au problème de l’erreur, est source de certitude sur la fiabi-
lité de mon esprit. Car, avec l’idée innée de Dieu, on démontre que
Dieu existe et qu’il est vérace. De quelque manière que je démontre
l’existence de Dieu, la démonstration est fondée sur l’idée innée de
Dieu, plus particulièrement sur la réalité objective de l’idée de Dieu
comme idée de l’être infini et parfait. Ce qui a deux conséquences  :
premièrement, lorsque je démontre l’existence de Dieu, je démontre
du même coup que celui qui existe est celui dont j’ai l’idée innée,
ou celui qui n’a pas de lui-même une idée qui ne soit l’idée de l’être
infini et parfait que moi-même j’ai de lui  ; deuxièmement, parce que
tout ce que je conçois clairement et distinctement est compris dans
cette idée de l’être infini et parfait, rien de ce que je conçois clai-
rement et distinctement, étant quelque chose en idée, quelque chose
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Le cogito de la Seconde Méditation 15

dont Dieu est l’auteur en faisant être tout ce qui est quelque chose,
rien de tout cela ne peut m’induire en erreur.
Se vérifie par là que la doctrine cartésienne du vrai Dieu, le Dieu
qui crée les essences comme les existences et dont j’ai l’idée innée,
est une doctrine de l’univocité des vérités doublée d’une doctrine de
l’équivocité des facultés, d’où suit que Dieu peut faire plus que ce
que je comprends, mais rien qui répugne à ce que je comprends. On
constate qu’en toute rigueur la véracité de Dieu ne s’ajoute pas à la
démonstration de l’existence de Dieu, mais qu’elle en est inséparable.

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Aussi peut-on accuser Descartes de quelque anthropomorphisme, der-
nier écho de la Première Méditation, quand il renoue avec la problé-
matique grecque du mensonge au début de la Quatrième Méditation.
Il y a, semble-t-il, deux versions de la véracité divine  : une version
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anthropomorphique, celle qui est affichée au début de la Quatrième


Méditation, et une version ontologique, celle que véhicule la Troisième
Méditation et qui est réinsérée à la fin de la Quatrième Méditation.
Si Dieu est l’être infini et parfait qui fait être tout ce qui est quelque
chose, s’il est l’être sans qui rien ne peut ni être ni être conçu, alors
se dissout toute la problématique du mensonge, cette problématique
qui, dissociant pouvoir tromper et vouloir tromper, interdit à Dieu
de vouloir tromper, même si c’est au nom de sa propre perfection
infléchie dans le sens de la bonté, interdiction qu’on avouera peu
compatible avec la doctrine de la création des vérités éternelles en
vertu de laquelle Dieu légifère sans être assujetti à aucune législation,
que ce soit de vérité ou de bonté. En fait, la version anthropomor-
phique n’a plus de raison d’être dès qu’est élucidée la question de la
responsabilité de l’erreur et qu’il devient manifeste que l’erreur m’est
entièrement imputable.

***

En proposant cette lecture dont l’ambition n’est autre que la


fidélité à la pensée de Descartes, j’espère avoir mis en lumière une
spécificité, occultée par les commentateurs, du cogito de la Seconde
Méditation  : l’ouverture d’un véritable débat avec le scepticisme. Le
cogito de la Seconde Méditation est une protestation contre le Malin
génie. Or le Malin génie, qui est celui par qui l’incertitude est pous-
sée au plus haut degré puisque, avec lui, il n’est même pas certain
que tout soit incertain, est aussi celui par qui, de cette incertitude
maximale, peut sourdre une certitude première. Grâce au Malin génie,
Descartes met hors jeu le scepticisme académique. Il ne faut pas
oublier que la position académique, selon laquelle la seule certitude
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est que tout est incertain, fait droit à la probabilité, tandis que la
position pyrrhonienne, selon laquelle il n’est même pas certain que
tout soit incertain, évacue au contraire les prétentions de la probabi-
lité. Cette position libère ainsi l’espace dont a besoin le philosophe
pour que, au-delà de toute probabilité, puisse se faire jour une cer-
titude. Si on en reste à la certitude formelle que tout est incertain,
on se replie sur la probabilité  ; si on va plus loin, si on va jusqu’au
pyrrhonisme, on se donne les moyens d’une percée qui excède le repli
sur la probabilité. À la charnière des deux premières Méditations se

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dessine donc un embranchement. Une voie invite à passer de «  il n’y a
peut-être aucune vérité  » à «  il n’y a aucune certitude  », et de «  il n’y
a aucune certitude  » à «  il est certain qu’il n’y a aucune certitude  ».
L’autre voie invite à passer de «  il n’y a peut-être aucune vérité  » à
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«  il n’y a aucune certitude  », puis de «  il n’y a aucune certitude  »


à «  il est incertain qu’il n’y ait aucune certitude  », et enfin de «  il
est incertain qu’il n’y ait aucune certitude  » à «  il y a une certitude
par la raison même qu’il est incertain qu’il n’y ait aucune certitude  :
le Malin génie  !  ». Descartes emprunte la voie de Montaigne avec la
ferme intention de renverser littéralement le pyrrhonisme, le Malin
génie étant la puissance fictive suscitée par la puissance réelle du
libre arbitre dans son exigence de ne déférer qu’au vrai, c’est-à-dire
à la législation du vrai Dieu dont lui-même est, avec l’idée innée de
Dieu, l’irrécusable signature.
Hélène Bouchilloux
Université de Lorraine
LHSP - Archives Poincaré (UMR 7117)
helene.bouchilloux@univ-lorraine.fr

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