Anda di halaman 1dari 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

du spectacle. Celles et ceux qui ont suivi l’état


d’urgence permanent caractérisant les débats sur le
Brexit: le sabotage de la volonté des
Brexit à Londres ont de bonnes raisons de craindre
citoyens que ce spectacle-là ne soit plus que l’expression d’une
PAR CAROLIN EMCKE
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 11 AVRIL 2019 « parodie du dialogue », pour emprunter un autre
concept à Debord.
On aura beau être outré face à ce qui se trame à
Londres, on peut s’estimer heureux que le Brexit,
tel un agent de contraste injecté dans le corps pour
Pour Mediapart, l’essayiste allemande Carolin Emcke faire apparaître les maladies ou les détériorations,
revient sur les failles du référendum organisé sur le nous permette de discerner plus nettement ce qui est
Brexit en 2016, et sur les leçons à tirer pour les nécessaire à une anatomie démocratique de l’Europe,
pratiques de la démocratie en Europe. ce qui lui est superflu et ce qui la met à mal.

Autrefois, on employait le terme de spectacle – du Et l’on s’aperçoit tout d’abord que l’action commune
latin spectaculum, « merveille à voir » – pour désigner au sein d’une union transnationale ne se pose pas,
une pièce de théâtre ou un événement particulièrement comme certains aiment à l’affirmer, en contradiction
sensationnel, dont la vue était censée faire le régal de l’autodétermination des États, mais en constitue au
du grand public. Parmi les différents sens historiques contraire la garantie durable. « Take back control »
du mot, le Dictionnaire des frères Grimm dénombre (« Reprenons le contrôle »), telle était la pompeuse
aussi bien les exhibitions publiques et autres « jeux étiquette de cette nostalgie impérialiste promettant la
circassiens » que des scènes tapageuses, « lorsqu’on souveraineté nationale en notre ère postnationale – une
fait entrer un condamné ou qu’on procède à une promesse d’ores et déjà reniée, même si ce n’est qu’à
exécution ». C’est cette dernière acception qui a donné mi-voix.
naissance à l’idée de spectacle en tant qu’affaire ou Le fantasme selon lequel le Royaume-Uni pourrait,
épisode déplaisant (« un spectacle affligeant »). même sans l’aide de l’Union européenne, signer des
On peut imaginer que les débats du Parlement traités de commerce juteux avec d’autres États, ce
britannique étaient censés avoir un autre sens. fantasme s’est avéré aussi naïf que celui qui voudrait
Des affrontements certes théâtralisés, mais qui n’en qu’une frontière (européenne) ne soit pas une frontière
resteraient pas moins l’occasion de discussions (irlandaise). S’il y avait un palmarès des absurdités
sérieuses sur des projets et des lois politiques ; tout droit sorties de la pensée magique du Parlement
un lieu où s’épanouirait la démocratie publique, où
chaque camp défendrait et expliquerait ses convictions
pour parer aux arguments contraires. Mais de cela,
il ne reste rien. Rien d’autre que jeux circassiens et
scènes tapageuses, comme lorsque l’on fait entrer un
condamné dans l’arène. Le public attend de voir à
quel moment Theresa May sera écartée pour de bon,
sans le moindre espoir que cette élimination vienne
changer quelque chose à la sempiternelle répétition de
la négation de toute vision politique.
« Le spectacle est le discours ininterrompu que l’ordre
présent tient sur lui-même, son monologue élogieux »,
écrit Guy Debord dans son célèbre essai La Société

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

britannique, la disparition comme par enchantement d’austérité en n’y voyant que les conséquences de
du problème irlandais serait sans doute en haut de la l’appartenance à l’UE, voilà qui relève bien d’un
liste. « brexitage » systématique.
Le désespoir social que l’on a vu enfler non seulement
en Angleterre, mais dans les régions structurellement
faibles aux quatre coins de l’Europe, a été imputé
à Bruxelles, à la « classe cosmopolite », aux
« migrants », alors qu’il aurait fallu critiquer la
politique néolibérale fondée sur la dérégulation et la
privatisation pour les dégâts qu’elle a semés – créant
Session de la Chambre des communes, à Londres, le 29 mars 2019. © Reuters
une communauté qui sépare toujours plus au lieu de
Si le Brexit a démontré une chose, c’est bien qu’un rassembler, des institutions publiques qui ne sont plus
pays aussi vulnérable que l’Irlande est conscient que en mesure de garantir ce qu’elles avaient promis : la
la solidarité des autres États membres le protège protection et l’assistance de l’État.
dans sa souveraineté. Au cours des deux années Ce sentiment d’une perte de contrôle n’a rien à voir
écoulées depuis le référendum, la structure bipolaire avec l’État-nation ou l’Europe, mais bien avec le fait
du contexte géopolitique, ce tiraillement entre les que la communauté est tellement minée que la plupart
antipodes que sont les États-Unis et la Chine, s’est des gens ne se sentent plus liés les uns aux autres, plus
dessinée de façon plus nette encore que ce qui était écoutés, plus reconnus ni protégés. Ainsi, le « non »
prévisible. Imposer ses intérêts entre ces deux champs permanent opposé à toute question lors des débats au
de force, voilà qui est déjà ambitieux pour l’UE. Parlement apparaît pour ainsi dire cohérent, car ce
Mais pour un Royaume-Uni volontairement rabougri, n’est pas du contrôle des frontières ou de la sortie de
tenter le même pari revient à montrer la nostalgie d’un l’UE qu’il s’agit, mais bien de la douleur de celles et
prétendu « contrôle » pour ce qu’elle est vraiment : une ceux qui ne sont pas reconnu.e.s, du malheur causé par
pure histoire à dormir debout. des infrastructures sociales insuffisantes.
L’échec des promesses néonationalistes a dévoilé le La méthode dite du contraste montre aussi qu’il est
vrai visage de populistes comme Boris Johnson : impossible de simuler la démocratie. Un référendum
des rhéteurs cynico-acrobatiques qui se soucient de ne saurait être en soi une méthode participative visant à
la participation du « peuple » comme d’une guigne. sonder les désirs du peuple. Pour savoir si un plébiscite
La tentative des conservateurs d’expliquer la colère peut véritablement servir d’instrument démocratique,
(justifiée) de nombreux Britanniques non plus par la il faut se demander si la question sur laquelle on
sape des infrastructures sociales, par un système de se prononce est suffisamment claire. Un référendum
santé publique sous-alimenté et des investissements qui énonce les alternatives possibles en des termes
insuffisants dans la police ou les écoles, mais en édulcorés ou falsifiés, et ne met à disposition des
incriminant l’UE – cette tentative a tourné court. citoyennes et citoyens ni assez d’espace, ni assez de
En anglais, le verbe « to scapegoat » désigne le temps, ni les procédures publiques leur permettant de
comportement visant à faire de quelqu’un un bouc jeter un regard critique sur les différentes options, un
émissaire, à le persécuter. Si l’on devait lui chercher tel référendum ne fait que saboter cette formation de
un synonyme dans le vocabulaire de l’Europe, on la volonté politique qu’il prétend favoriser.
pourrait désormais employer le verbe « brexiter ». La sphère publique démocratique a toujours deux
Rejeter sur les autres les ravages de sa propre politique versants : c’est à la fois le lieu où nous pouvons
apprendre ensemble, celui où nous sommes confrontés
aux opinions et aux besoins des autres, où nous sentons

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

que nos propres désirs et notre propre détresse ne sont retransmises en direct, et qui ont abouti à un
pas généralisables, le lieu où nous sont transmis un résultat que beaucoup tenaient pour impossible :
savoir et des informations ; mais c’est en même temps 87 % d’entre eux se sont prononcés pour un
le terreau de la critique dissidente face au pouvoir amendement résolument libéral de la Constitution,
établi, le lieu où l’on proteste, où se tissent les utopies prouvant ainsi qu’ils étaient immunisés contre les
alternatives. campagnes agressives des agitateurs populistes.
Voilà bien ce qui a manqué au Royaume-Uni : Si l’UE devait tirer de ce débat une leçon sur les
la possibilité pour ses citoyennes et citoyens conditions de la démocratie, il faudrait l’énoncer en
de bénéficier d’informations assez consistantes, ces termes : un référendum n’a de sens que dans
d’évaluer la rationalité de certaines affirmations la mesure où il permet l’accès à des informations
politiques, de traduire les scénarios abstraits en judicieuses et précises, contribuant à former la
expériences concrètes – pour décider, au bout du volonté politique de manière inclusive et véridique,
compte, s’ils voulaient y prendre part, et de quelle questionnant sérieusement les arguments et les
manière. expériences de chacun. Loin de la participation réelle,
C’était l’une des différences entre le référendum sur le tout le reste n’est qu’un irréel spectacle.
Brexit et le vote sur la libéralisation de l’avortement Traduit de l’allemand par Alexandre Pateau.
en Irlande. La décision du Parlement irlandais avait Boite noire
été précédée par de nombreux mois de concertation
au sein des « citizens’ assemblies » (« assemblées Ce texte, écrit le lundi 8 avril 2019, est la première
citoyennes »), permettant à 99 citoyennes et citoyens chronique de Carolin Emcke, journaliste et essayiste
choisi.e.s au hasard (mais selon un principe de allemande, publiée dans Mediapart, en amont des
représentativité démographique) de se forger une élections européennes. On peut retrouver ici le
opinion, dans le cadre d’un impressionnant procédé compte-rendu de son dernier essai, Notre désir
délibératif. (Seuil), et l'entretien qu'elle avait accordé en 2018
à Edwy Plenel.
Pendant six mois, ces citoyens avaient écouté les
explications d’expertes et d’experts, de femmes
concernées et de différents lobbies. Des auditions

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

Anda mungkin juga menyukai