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LE VOYAGE A NEMRUD DAĞI

D’OSMAN HAMDI BEY ET OSGAN EFENDI (1883)


VARIA ANATOLICA XXIII

Le voyage à Nemrud Dağı


d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi (1883)
Récit de voyage et photographies publiés et annotés par

Edhem ELDEM

INSTITUT FRANÇAIS D’ETUDES ANATOLIENNES-GEORGES DUMEZIL

DE BOCCARD Edition-Diffusion
11, rue de Médicis
75006 Paris

2010
Photo de couverture :
Nemrud Dağı, tête d’Antiochus de la terrasse ouest du tumulus avec Osman Hamdi Bey.
Mai 1883. Archives photographiques des Musées archéologiques d’Istanbul, cliché n° 11190.

Secrétaire aux publications : Aksel Tibet

Ce volume a été composé par les soins


de l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes-Georges Dumézil
et AS&64 Ltd. Şti. Çatalçeşme Sk. No: 15/1, 34410 Cağaloğlu, Istanbul, Turquie,
et imprimé par Acar Basım ve Cilt San. Tic. A.Ş.
La publication a pu en être réalisée grâce au concours financier
de la Sous-direction des échanges scientifiques et de la recherche auprès
de la Direction des politiques de mobilité et d’attractivité
du Ministère des affaires étrangères et européennes.

© 2010, Institut Français d’Etudes Anatoliennes-Georges Dumézil – Istanbul

ISBN 978-2-906053-
SOMMAIRE

AVANT-PROPOS ET REMERCIEMENTS 7

INTRODUCTION 9

LE VOYAGE ET SON RECIT 19

CARNET DE VOYAGE : TEXTE ET NOTES 35

ANNEXE : TRADUCTION MANUSCRITE DU


RAPPORT D’OTTO PUCHSTEIN DE 1882 83

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 97

INDEX 101

PLANCHES 105
AVANT-PROPOS ET REMERCIEMENTS

Cet ouvrage doit son existence avant tout à Madame Cenan Sarç, petite-fille d’Osman Hamdi
Bey, qui a précieusement conservé ce carnet de voyage parmi les papiers et documents de son grand-
père. Je ne saurai jamais la remercier assez pour la bonté dont elle a fait preuve envers moi en me
confiant ce précieux témoignage de la première véritable entreprise scientifique d’Osman Hamdi
Bey. J’espère que cette publication répondra à son attente de voir la mémoire de ce grand homme
saluée autrement que par des apparitions de plus en plus spectaculaires de ses toiles lors de ventes
aux enchères.
Le complément indispensable de ce carnet de voyage est la série de photographies qui furent
prises par les auteurs tout au long de leur expédition. Les négatifs sur plaque de verre de ces clichés
ont été conservés dans le fonds photographique du Musée impérial, aujourd’hui Musées archéologiques
d’Istanbul. La reproduction et la publication de ces images ont été rendues possible par l’extraordinaire
amabilité des directeurs intérimaires de cette vénérable institution, Zeynep Kızıltan et Rahmi Asal, et
par le travail remarquable de son photographe et archiviste, Turhan Birgili, ainsi que de sa
bibliothécaire, Havva Koç. Qu’il soient tous remerciés pour le soutien inconditionnel qu’ils ont bien
voulu accorder à ce projet.
Je tiens tout particulièrement à signaler le précieux soutien qui m’a été accordé par l’Institut
français d’études anatoliennes Georges Dumézil, dont la série Varia Anatolica accueille ce projet. Ce
soutien avait déjà débuté sous la direction de Pierre Chuvin ; il a pris sa forme finale grâce à l’appui
de la directrice actuelle de l’IFEA, Nora Şeni. Aksel Tibet, secrétaire aux publications, a suivi
l’affaire depuis le début et y a contribué doublement, en y apportant aussi ses compétences
d’archéologue. Enfin, je dois remercier Avni Alan, qui s’est chargé de tout le processus de production
de cet ouvrage, de la mise en page jusqu’à l’impression. Le Musée de la Banque ottomane m’a,
comme d’habitude, soutenu dans ce projet en numérisant les documents que j’avais à utiliser et en
me fournissant copie des numéros de La Turquie contenant des références à l’expédition d’Osman
Hamdi Bey et Osgan Efendi. Je tiens par conséquent à exprimer toute ma gratitude envers Sima
Benaroya, Lorans Tanatar Baruh, Hilal Aktaş et Çetin Zeren.
Cette publication paraît à une date symboliquement importante, celle du centenaire de la mort
d’Osman Hamdi Bey, survenue le 24 février 1910. Cette date anniversaire ayant été retenue par
l’UNESCO, la délégation permanente de la Turquie auprès de cet organisme a décidé d’inclure la
présentation de cette publication lors de la journée commémorative consacrée à Osman Hamdi Bey
et à son œuvre. Je tiens par conséquent à exprimer toute ma reconnaissance à S.E. M. Gürcan
Türkoğlu, délégué permanent auprès de l’UNESCO, pour cette heureuse initiative.
Enfin, qu’il me soit permis de remercier mes collègues et amies Aslı Özyar et Oya Pancaroğlu
qui m’ont aidé à identifier certaines des images qui accompagnent ce texte. Je tiens aussi à remercier
tout particulièrement Nezih Başgelen, dont la passion pour l’archéologie et spécialement pour
Nemrud Dağı est bien connue, d’avoir bien voulu me fournir les images digitales des plans des
tumulus de Nemrud Dağı et de Karakuş tirés de l’édition de 1883 et de m’avoir guidé avec tant
d’efficacité dans le travail d’identification des photographies se rapportant à la région d’Urfa et de
Birecik. Merci à Noémi Lévy pour un précieux coup de pouce “paléographique”.
Je terminerai par les remerciements d’usage à l’intention de ma femme, Sedef, et de ma fille,
Simin. Je me garderai bien, cependant, d’évoquer leur patience et leur compréhension à mon égard :
ce serait réduire à un poncif une présence bien plus précieuse et sans laquelle je ne pourrais tout
simplement pas fonctionner.
Istanbul, avril 2010
INTRODUCTION

En 1883 paraissait, signé par Osman Hamdy Bey et Osgan Effendi, Le tumulus de Nemroud-
Dagh1. Cette publication devait faire date. En effet, les auteurs y rendaient compte de l’état d’un des
sites archéologiques les plus impressionnants et les plus surprenants de l’Anatolie orientale, dont la
découverte par le monde scientifique était extrêmement récente. De plus, il s’agissait du premier
rapport de fouilles réalisé par des sujets ottomans, en l’occurrence par le directeur du Musée
impérial, Osman Hamdi Bey, et un de ses collaborateurs, le sculpteur Osgan Efendi, enseignant à
l’Ecole des Beaux-Arts2. Enfin, ce rapport, devait longtemps rester un des ouvrages de base sur le
site en question, à tel point qu’il fit l’objet d’une réimpression en fac-similé en 19873.
On peut toutefois légitimement se demander si, plus d’un siècle après la publication de l’ouvrage
et malgré la parution d’un nombre important d’autres travaux de grande qualité sur ces sites4, il est
vraiment utile de reprendre un sujet dont, après tout, les principaux aspects sont désormais bien
connus. Il est vrai que, d’un point de vue purement archéologique, je ne peux guère prétendre
amener quoi que ce soit de nouveau à la question. En revanche, d’un point de vue historique, bien
des points restaient en suspens qui n’avaient guère été traités, pour la simple raison qu’ils nécessitaient
un certain recul par rapport au contexte archéologique d’origine et, bien sûr, parce qu’ils dépendaient
de l’utilisation d’un certain nombre de documents qui n’avaient pas encore fait surface.
Le point de départ de cette étude est donc la découverte du carnet de voyage d’Osman Hamdi
Bey et Osgan Efendi qui avait été conservé par la famille de l’archéologue et que sa petite-fille,
Madame Cenan Sarç a eu la bonté de me remettre en vue d’une publication possible. Ce cahier de
116 pages à la couverture noire comportait 98 pages d’un récit de voyage, rédigé entièrement en
français, relatant les péripéties de cette toute première mission archéologique ottomane5. L’écriture
serrée et à l’encre noire qui couvrait les pages du carnet appartenait à Osgan Efendi, le compagnon

1) Osman Hamdy Bey et Osgan Effendi, Le tumulus de Nemroud-Dagh. Voyage, description, inscriptions avec plans
et photographies, Constantinople, Imp. F. Lœffler, 1883 (désormais Tumulus).
2) Je reviendrai bien sûr sur l’identité et la biographie d’Osman Hamdi Bey. Osgan Efendi, connu aussi sous le nom de
Yervant Osgan, était né en 1855 à Istanbul. Son père, Hagop Osgan (1825-1907) était écrivain et enseignant ; son grand-
père, Osgan Gotoghian, était artisan fondeur à la Monnaie. Après avoir été scolarisé à l’école Makrouhian de Beşiktaş, il
partit pour Venise en 1866 pour y suivre des cours à l’école Mourad Raphaelian. Diplômé en 1872, il entra à l’Académie
des Beaux-Arts de Rome où il suivit un enseignement de sculpture et d’architecture jusqu’en 1877. Il fut l’élève d’Enrico
Bechetti, Girolamo Masini et Monteverde. Il rentra à Istanbul en 1877 pour repartir l’année suivante pour Paris, où il
s’inscrivit à l’Ecole des Beaux-Arts. De retour à Istanbul en 1881, il fit la connaissance d’Osman Hamdi Bey qui l’invita à
participer à l’établissement de l’Ecole des Beaux-Arts. Il y enseigna la sculpture jusqu’à sa mort en 1914 (Garo Kürkman,
Osmanlı İmparatorluğu’nda Ermeni Ressamlar, 1600-1923, Istanbul, 2004, vol. 2 : 677-678).
3) Réimpression réalisée par Nezih Başgelen pour sa maison d’édition Arkeoloji ve Sanat Yayınları, Istanbul, 1987.
4) Citons notamment les ouvrages suivants : Edmond Pottier et Salomon Reinach, La nécropole de Myrina.
Recherches archéologiques exécutées au nom et aux frais de l’Ecole française d’Athènes par E. Pottier, S. Reinach, A.
Veyries, t. I, Texte, t. II, Planches, Paris, 1887-1888 ; Carl Humann et Otto Puchstein, Reisen in Kleinasien und Nordsyrien.
Ausgeführt im Auftrage der kgl. preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1890 ; Edmond Pottier, L’art hittite,
Paris, 1926 ; Friedrich Karl Dörner et Rudolf Naumann, Forschungen in Kommagene, (Istanbuler Forschungen, 10),
Berlin, 1939 ; Friedrich Karl Dörner et Theresa Goell, Arsameia am Nymphaios. Die Ausgrabungen im Hierothesion des
Mithridates Kallinikos von 1953-1956, Berlin, 1963 ; Friedrich Karl Dörner, Kommagene. Ein wiederentdecktes Königreich,
Böblingen, 1967 ; Donald H. Sanders (ed.), Nemrud Dağı: The Hierothesion of Antiochus I of Commagene, Winona Lake,
1996 ; Nezih Başgelen, Tanrılar Dağı Nemrut – Nemrut: Mountain of the Gods, Istanbul, 1998.
5) Les pages mesurent 21 (h) x 16,5 (l) cm. Chaque page comporte 22 lignes.
10 EDHEM ELDEM

de voyage d’Osman Hamdi Bey durant cette expédition en Anatolie orientale. Le texte suivait une
structure chronologique, à la manière d’un journal : à chaque journée – annoncée par la date –
correspondait un récit plus ou moins long relatant les événements et les découvertes du jour.
L’intérêt immédiat de cette découverte est évident. Ce texte brut permet de remonter à la forme
première du récit qu’ont publié les auteurs, que le besoin de se conformer à un modèle scientifique
avait de toute évidence obligés à abréger ou à modifier certains passages du texte. Toutefois, un tel
travail de reconstitution – une sorte d’archéologie du rapport de fouilles – justifie-t-il à lui seul une
publication en bonne et due forme ? C’est peu probable, et l’intérêt de cet apport documentaire aurait
tout au plus été de préparer une réédition annotée et commentée d’un ouvrage devenu introuvable,
un service rendu en grande partie inutile par la réimpression de 1987.
Toutefois, et fort heureusement, le carnet de voyage en question présente avec le rapport de 1883
des différences bien plus importantes que certains points de détail dus au passage de la version
manuscrite à la publication. En effet, à ma grande surprise, je me suis rendu compte qu’alors que le
rapport couvrait les journées du 2/14 mai au 20 mai/1 juin 1883, le récit de voyage manuscrit
débutait le 10/22 avril 1883 pour s’achever le 25 mai/6 juin de la même année6. En d’autres termes,
le récit d’origine comporte 27 jours de plus que la publication, répartis entre 22 jours avant et cinq
jours après les 19 jours que dura l’étude du site. Cette différence est encore plus flagrante à l’échelle
du manuscrit : sur les 98 pages, les 54 premières et les 10 dernières relatent des évènements
antérieurs et postérieurs à l’étude du tumulus, laissant 34 pages seulement à la partie qui serait
publiée par la suite.
Ces différences considérables s’expliquent facilement. Alors que la publication était entièrement
et uniquement consacrée à l’étude du tumulus d’Antiochus Ier de Commagène – avec trois petites di-
gressions sur le tumulus de Karakuş, le pont romain de Kâhta et la stèle de Selik – le récit de voyage
couvrait une très grande partie de l’expédition, à l’exception, toutefois, de la majeure partie du
voyage de retour vers Istanbul. En effet, le 10/22 avril 1883, date à laquelle commence le carnet,
nous retrouvons nos deux compagnons à Ali Ağa Çiftliği, petite localité sise au fond de la baie du
même nom, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Izmir (Smyrne). Ici, accompagnés de leurs
hôtes, les frères Baltazzi, gros propriétaires terriens de la région, ils visitent un certain nombre de
sites antiques, dont celui de Myrina que commençaient alors à fouiller Salomon Reinach et son
équipe française. Se séparant de leurs amis quatre jours plus tard, ils regagneront Izmir le 14/26
avril, pour la quitter le lendemain à bord de l’Erymanthe, un des navires des Messageries Maritimes
affectés au service du Levant7. Après avoir fait escale à Rhodes et à Mersin, ils atteindront
İskenderun (Alexandrette) le 19 avril/1er mai 1883. Se mettant en route immédiatement, ils
n’atteindront Kâhta, au pied du Nemrud Dağı, qu’au bout d’un long périple de quatorze jours à pied

6) L’auteur du récit utilise généralement en même temps les calendriers julien et grégorien, le premier quantième cor-
respondant au calendrier julien (vieux style ou grec) et le second au calendrier grégorien (nouveau style ou occidental).
Cette pratique était fort courante puisque dans l’Empire ottoman, l’usage du calendrier julien était extrêmement répandu,
aussi bien chez les chrétiens que chez les musulmans. Dans le cas de ces derniers, ce calendrier, rebaptisé Rumi (grec) ou
Mali (fiscal), avait l’avantage de ne pas présenter l’énorme décalage annuel du calendrier lunaire. Toutefois, les musulmans
utilisaient ce calendrier avec un millésime hégirien. Quant au calendrier grégorien, son usage s’était développé du fait de
l’occidentalisation des mœurs et de l’influence croissante des nations européennes dans l’empire. Un grand nombre de
sujets ottomans de l’époque étaient ainsi amenés à utiliser jusqu’à trois calendriers différents.
7) Portant le nom d’un mont du Péloponnèse fameux pour son sanglier qui figurait parmi les douze travaux d’Hercule,
l’Erymanthe et son sister ship l’Alphée furent lancés à la Ciotat en 1862 pour les Messageries Impériales. Long d’environ
95 et jaugeant 908 tonneaux, ce navire servit jusqu’en 1866 sur la ligne de Suez, puis, jusqu’en 1873, sur celle de Suez-
Réunion-Maurice. En 1869, il fit partie du convoi de quelque quatre-vingts navires suivant le yacht de l’impératrice
Eugénie à destination de Suez, pour l’inauguration du canal. En 1873 il fut affecté à la ligne de La Plata, et, de 1875 à 1886,
au service du Levant, où nous le retrouvons dans le récit d’Osgan Efendi et d’Osman Hamdi Bey en avril 1883. Le navire
resta ensuite stationnaire à Madagascar jusqu’en 1888, date à laquelle il fut transformé avant d’être affecté au service Lon-
dres-Levant. Il fut vendu en 1895 à La Compagnie de Navigation Mixte. Sa carrière se termina en 1898 lorsqu’il fut abordé
par le Berry et s’échoua près de Marseille avant de se briser en deux (Paul Bois, Histoire du commerce et de l’industrie de
Marseille. t. VII, Le grand siècle des Messageries Maritimes, Marseille, 1991 : 190-191).
INTRODUCTION 11

et à cheval. Au passage ils découvriront bon nombre de sites et de monuments, tel le fameux site de
Zincirli, qu’ils décriront dans les pages du cahier. Ce n’est donc que le 2/14 mai que débutera le récit
de l’objectif premier de cette expédition, celui-là même qui servira de base à la publication du
Tumulus la même année. A la suite de Nemrud Dağ, le récit de voyage continuera encore pendant
quelques jours, décrivant le début du trajet de retour, en direction de Birecik, apportant aussi
quelques précisions inédites sur le site d’Arslantaş, à proximité de la bourgade de Suruc.
Malheureusement, le récit se termine là en queue de poisson sans que nous puissions reconstituer
dans le détail l’itinéraire suivi jusqu’au terme du voyage, probablement İskenderun où les deux com-
pagnons se seraient vraisemblablement embarqués sur un bateau à destination d’Istanbul. Il n’en est
pas moins vrai que certaines photographies de sites et de localités qui n’avaient pas été visitées à
l’aller permettent de suggérer un itinéraire plausible, passant par Birecik, Alep et Antioche (photos
61 à 73).
Cette description succincte du manuscrit suffira à expliquer que cette publication est d’une
nature tout à fait différente de celle du Tumulus. Cette dernière était un rapport de fouilles ; le texte
que je publie ici est un récit de voyage. Il suffirait de comparer la description du site de Nemrud Dağı
dans les deux versions pour réaliser à quel point le carnet de voyage reste – archéologiquement par-
lant – superficiel. La plupart des détails de quelque importance archéologique, de même que les ins-
criptions, en sont entièrement absentes ; on comprend dès lors facilement que le gros du travail
d’identification, de transcription et d’analyse n’a été réalisé qu’une fois de retour à Istanbul et que le
carnet de voyage n’a en fait servi que de pense-bête afin de reconstituer la séquence des événements
et des travaux effectués8.
Encore une fois, il eût assurément été naïf d’espérer apporter la moindre nouveauté à ce site plus
que centenaire. Ce ne sont pas non plus les quelques pages de description des sites de Myrina ou de
Zincirli qui pourront prétendre amener du neuf dans le domaine de l’archéologie anatolienne. Aussi,
même si j’ai tenu à consulter la littérature archéologique se référant aux sites et monuments décrits,
je me suis abstenu de compléter les lacunes du manuscrit dans ce domaine qu’il ne m’appartient pas
de prétendre étudier. Si mon manque de compétence en la matière est en elle-même une raison
suffisante pour justifier cette attitude, je n’en pense pas moins qu’un tel travail de “reconstitution”
aurait de toute façon été tout à fait répétitif et, surtout, aurait constitué un manque flagrant de respect
à l’égard des auteurs de l’impressionnante littérature que les lecteurs connaissent déjà ou peuvent, le
cas échéant, consulter à loisir. Je me suis donc contenté d’apporter quelques clarifications ou
compléments d’information lorsqu’ils m’ont paru nécessaires ou utiles, ainsi que des références bi-
bliographiques renvoyant le lecteur aux principales sources de la discipline. C’est donc sans la
moindre prétention de contribution à l’archéologie – loin de moi l’idée de tout empiètement de ce
genre – que je me penche sur un texte qui, à mon avis, tire toute sa valeur de son caractère de récit de
voyage.
Mes explications sur les origines de ce projet ne seraient pas complètes sans l’apport primordial
d’une seconde “découverte”, celle des photographies prises par Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi
lors de leur périple. En effet, quiconque aura consulté le Tumulus y aura vu un grand nombre de pho-
tographies – 35 au total – illustrant le rapport de fouilles. Le carnet de voyage, lui aussi, comportait
de précieuses informations concernant cet aspect de l’expédition : Osgan Efendi notait souvent les
prises de vue qu’ils avaient réalisées, voire même, à plusieurs reprises, celles qu’ils avaient ratées, en
raison de problèmes techniques, liés le plus souvent au développement des clichés. Partant de l’idée
que si le carnet couvrait plus que la simple visite du tumulus il en serait probablement de même pour
les photographies, j’en eus la confirmation par nombre de commentaires dispersés dans les pages du
cahier. Le tout, bien sûr, était de les retrouver. Ayant en tête le souvenir d’une exposition que les
Musées archéologiques d’Istanbul avaient réalisée en 1992 à l’occasion du cent-cinquantenaire de la

8) Il semblerait même qu’il y ait eu un troisième – ou plutôt premier – texte, consistant en des notes prises sur place
(voir à ce sujet la n. 281 infra).
12 EDHEM ELDEM

naissance d’Osman Hamdi Bey et particulièrement de quelques photographies de l’expédition de


Nemrud Dağı qui y avaient été exposées, il me parut plausible de supposer que les photographies
supplémentaires se trouvaient aussi dans les fonds du musée. Une rapide recherche dans les cahiers
d’inventaire de l’atelier photographique du musée me le confirmèrent : 81 plaques de verre y étaient
inscrites avec des commentaires qui ne faisaient pas de doute quant à leur origine9. Une fois tirées,
ces plaques de verre dévoilèrent un trésor d’une richesse inespérée : sur les 81 clichés, seuls 41
avaient un rapport direct avec le tumulus de Nemrud Dağı. Comparé aux 26 illustrations de la
publication, cela représentait une différence de 15 photographies inédites au sujet du site même. Il
est vrai que le Tumulus comportait déjà neuf photographies “hors-sujet” illustrant le village de
Kâhta, la rivière du même nom, le pont romain qui l’enjambait et, enfin, le tumulus de Karakuş ; la
collection du musée en dévoilait le même nombre, toutes identiques, sauf une photographie de
Karakuş que je n’ai pu retrouver mais qui était remplacée par une autre vue, inédite, du même site.
Enfin, et surtout, les 32 photographies restantes étaient toutes inédites, puisqu’elles appartenaient à
ces moments de l’expédition qui n’avaient pas été inclus dans la publication du Tumulus. En tout, il
m’a donc été possible d’ajouter 49 nouvelles photographies à la série déjà impressionnante donnée
en annexe de l’ouvrage de 188310.
C’est donc dans sa qualité de récit de voyage – propice à une analyse historique et, qui plus est,
illustrée – que j’entreprends la publication de ce manuscrit, dans l’espoir d’aborder un certain
nombre de questions que je juge susceptibles d’apporter une vision intéressante et neuve du contexte
dans lequel évoluèrent Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi. Ce contexte est, bien sûr, avant tout un
contexte géographique. Tout récit de voyage se traduit par un itinéraire qu’il est intéressant de
reconstituer aussi bien dans l’espace que dans le temps. C’est dans cette perspective que mon
analyse tentera de recréer ce contexte spatial et temporel en relevant les nombreuses indications
apportées par Osgan Efendi dans son carnet de voyage. Itinéraire donc, mais aussi toponymie et
description des lieux visités et traversés, avec, toutefois le souci de conserver un certain degré de
synchronicité. Pour ce faire, j’ai mis à contribution nombre de récits de voyage plus ou moins
contemporains de cette expédition ; la référence de base reste toutefois Vital Cuinet, dont
l’incontournable Turquie d’Asie11 offre une mine d’informations recueillies à peu près à la même
époque que le récit qui nous intéresse. De même un grand nombre de cartes à une échelle variant du
1/200 000 au 1/500 000 m’ont aidé à reconstituer un itinéraire que Cuinet et ses cartes – d’ailleurs
souvent inexactes – ne permettaient pas de suivre dans le détail. Parmi ces cartes, celles de Kiepert12
et celles, plus tardives, de l’état-major ottoman13 – toutes au 1/400 000 – me furent particulièrement
utiles, les premières parce qu’elles étaient pratiquement contemporaines de l’expédition de 1883 et
les dernières, parce qu’étant libellées en turc ottoman, elles permettaient de vérifier la toponymie de
Kiepert dont elles s’inspiraient très fortement. A cela je dois ajouter les cartes des années 1940 et
195014 qui présentaient le double avantage d’un tracé plus détaillé – au 1/200 000 – et d’une

9) Il s’agit des clichés nº 11173 à 11254 de l’impressionnante collection photographique des Musées archéologiques
d’Istanbul. Tous mes remerciements les plus sincères vont à Turhan Birgili, responsable de l’atelier et des archives
photographiques du Musée, sans qui cette découverte n’aurait certainement pas eu lieu.
10) 49 et non 47, puisque deux des photographies publiées (les nº 5 et 13) ne figuraient pas parmi les plaques de verre.
Notons toutefois qu’une petite partie des photographies que nous avons retrouvées sont presque identiques. C’est le cas des
paires de clichés nº 11181 et 11188, 11209 et 11215, 11179 et 11202, 11216 et 11217 et 11173 et 11213 qui furent, de toute
évidence, pris en séquence et ne présentent presque aucune différence entre eux. Notons par ailleurs que même si la série
de 11173 à 11254 comporte 82 plaques de verre, la plaque, n° 11189 ayant été surexposée, il ne s’agit de fait que de 81
images.
11) Vital Cuinet, La Turquie d’Asie. Géographie administrative. Statistique descriptive et raisonnée de chaque
province de l’Asie-Mineure, 4 vol., Paris, 1891-1894. La préface étant datée de 1890, il est raisonnable d’imaginer que les
données de Cuinet étaient pour la plupart tirées de ses propres observations lors de voyages effectués dans les années 1880
et de statistiques publiées jusqu’à cette date.
12) Richard Kiepert, Karte von Kleinasien, 1/400 000, Berlin, 1916.
13) Memâlik-i Osmâniyye Haritası, 1/400 000, Istanbul, 1337/1918.
14) Türkiye, 1/500 000, Ankara, 1946 ; Türkiye, 1/200 000, Ankara, 1948 ; Türkiye, 1/200 000, Ankara, 1953.
INTRODUCTION 13

toponymie moderne pouvant être comparée avec celle de nos explorateurs. C’est d’ailleurs là le seul
point où j’ai ressenti le besoin d’établir un lien entre l’époque de la rédaction du récit et la nôtre. En
effet, pour divertissantes que puissent être certaines descriptions d’un même lieu que séparent près
de 120 ans, le genre “before/after” dont certains sont très friands ne m’a pas paru présenter un grand
intérêt dès lors qu’on se contenterait d’illustrer ces changements plus que séculaires sans les expli-
quer.
Le contexte géographique ne devrait toutefois pas occulter un autre aspect important du récit qui
lui est fortement lié : celui du contexte humain. En effet, le carnet de voyage d’Osgan Efendi, ainsi
que les photographies qui l’accompagnent, comportent bien des indications qui relèvent de
l’anthropologie et de l’ethnographie. Découvrant des contrées qui leur étaient en grande partie
étrangères, ces deux voyageurs ne pouvaient s’empêcher d’observer l’environnement humain qu’ils
parcouraient. Il en résulte des remarques il est vrai parfois superficielles, parfois même naïves, mais
qui, accompagnées de certaines photographies de “types” locaux, ne manqueront pas d’apporter un
complément d’information précieux à l’histoire sociale de l’Anatolie du sud-est et à celle, plus
récente, de l’orientalisme ottoman. Voyageurs, explorateurs, archéologues et intellectuels du siècle
dernier, Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi ne pouvaient manquer de devenir aussi ethnographes et
de se pencher sur le costume, les mœurs et les coutumes d’une population qui leur était culturellement
étrangère ou, pour le moins, fort distante.
C’est d’ailleurs cette distance culturelle qui me paraît mériter toute mon attention et je n’hésiterai
pas à dire que, de bien des points de vue, les observations “ethnographiques” de ces deux hommes en
disent probablement bien plus sur eux-mêmes que sur la population locale qu’ils tentaient de décrire.
Il s’agit donc d’un contexte culturel et idéologique que je tenterai de cerner, dans la mesure du
possible, en me référant aux implications et connotations de cette description géographique et
humaine, aussi succincte et superficielle qu’elle puisse paraître. Je me contenterai de remarquer ici
qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi étaient tous deux sujets ottomans – le premier musulman, le
second arménien, probablement catholique – et qu’ils traversaient une région de “leur” empire,
peuplée par des gens qui, techniquement, étaient leurs concitoyens. Pourtant, le récit qu’ils en ont
laissé – de même que la publication qui l’a suivi – était entièrement rédigé en français et, si l’on en
juge par les erreurs et hésitations d’Osgan Efendi dans la transcription de noms turcs, le français était
très probablement leur langage commun et leur moyen de communication, même si ce n’était la
langue maternelle ni de l’un, ni de l’autre. On comprend dès lors un peu mieux le sentiment de
“distance” culturelle qui transpire de leur récit ; on peut même se demander par moment ce qui, en
vérité, les distinguait des archéologues allemands – tels Humann, von Luschan et Puchstein – qui
parcouraient la même région à la même époque ou de voyageurs/géographes tels Vital Cuinet dont la
profession était de découvrir et de répertorier ce monde étranger et inconnu ?
Qu’on se rassure, des différences, il y en avait, mais le contexte culturel que j’évoque n’en reste
pas moins colonial, dans la plus large acception du terme. Colonial, tout d’abord, parce que
l’archéologie du dix-neuvième siècle l’était elle-même ou, du moins, en était fort proche ; mais
colonial aussi parce que la vision qu’avaient ces deux intellectuels stambouliotes de ces contrées
“sauvages” l’était aussi à sa manière. Non pas au premier degré, comme d’aucuns le prétendent
parfois en associant, d’une manière par trop simpliste, ces “produits” de l’Occident à une forme
d’émulation du modèle colonial(iste) européen dont ils constitueraient une sorte de cinquième
colonne, mais plutôt d’une manière beaucoup plus subtile, beaucoup plus complexe, beaucoup plus
“interne”, fondée sur les transformations radicales des dynamiques sociales, politiques et culturelles
de certaines élites au sein d’un empire dont la modernisation amène une redéfinition des relations
entre la capitale et les provinces, le centre et la périphérie, l’image de la modernité et celle de la
tradition. Dans cette nouvelle configuration et en rapport avec ces nouvelles représentations du
pouvoir, Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi ont joué un rôle complexe et ambigu qui, tout en
s’opposant à certaines visées coloniales occidentales, n’en était pas moins colonial dans un contexte
ottoman.
14 EDHEM ELDEM

Cette ambiguïté et l’intérêt que j’y porte sont indissociables de la personnalité et de l’œuvre
d’Osman Hamdi Bey. En effet, la vie de cet éminent personnage de la fin de l’empire, “père” de l’ar-
chéologie et de la muséologie ottomanes et turques, peintre plus orientaliste qu’oriental, intellectuel
issu d’une éducation et d’une formation occidentales, a fait couler beaucoup d’encre. Il va sans dire
qu’une grande partie des travaux publiés sur cet intellectuel et son œuvre tenait plus d’une
hagiographie plus ou moins nationaliste que d’une véritable analyse et visait, avant tout, à célébrer
ce pionnier de l’art et de la science dans une Turquie en quête de racines et de héros “modernes”.
Pour ce qui est du reste, une importante littérature, plus ou moins imbriquée dans la logique hagio-
graphique, se penchait sur le problème du recensement de l’œuvre – artistique surtout – d’Osman
Hamdi Bey, phénomène que l’on n’a guère de mal à relier au fait que le moindre dessin de sa main
atteint aujourd’hui des sommes astronomiques dans des ventes aux enchères destinées à alimenter
les ambitions culturelles d’une nouvelle bourgeoisie turque. Derrière ces louanges et ces catalogues,
on s’en serait douté, c’est souvent Osman Hamdi Bey lui-même qui s’efface et disparaît, noyé dans
son œuvre et dans sa gloire sans cesse renouvelée. Monstre sacré de l’archéologie, précurseur
intouchable de l’art occidental dans sa patrie, il en vient ainsi à perdre toute forme humaine ; les
quelques portraits qu’on connaît de lui – toujours les mêmes, bien sûr – ont fini par devenir des
icônes – à l’image de ses tableaux – derrière lesquels se cache un homme dont on aimerait connaître
la pensée, les sentiments, la vie…
Déjà de son vivant, mais plus encore dans les années qui suivirent sa disparition, nombreux
furent ceux qui voulurent donner un sens à l’œuvre d’Osman Hamdi Bey, sans forcément se soucier
de ce que lui-même en aurait pensé. Selon le climat politique et le contexte idéologique, divers
auteurs se sont érigés en défenseurs du peintre envers d’éventuels reproches concernant ses
allégeances orientalistes et par conséquent d’un patriotisme douteux, alors que d’autres n’ont pas
hésité à le condamner pour des crimes de “lèse-turcité”. Ainsi, un des premiers critiques à se pencher
sur la nature de l’orientalisme d’Osman Hamdi Bey, Adolphe Thalasso insistait sur le fait que la
vérité et l’authenticité des détails de ses tableaux et, surtout, leur caractère turc et non musulman, le
distinguait des orientalistes occidentaux15. Une trentaine d’années plus tard, lorsqu’il évoquait la
contribution d’Osman Hamdi Bey à l’art turc, Fikret Adil, tout en lui reconnaissant bien des mérites,
lui reprochait d’avoir “présenté des sujets dont la véracité est très douteuse, et représenté un Orient
de foire”, ce qui se traduisait par une “affectation” et une “préciosité” qui ne pouvaient que jurer
avec l’idéologie résolument moderniste du kémalisme des années 193016. Il est vrai que cette vision
d’un peintre “décadent” ne fit pas vraiment long feu, même si elle fut reprise par certains auteurs
jusque dans les années 1980. D’une manière générale l’historiographie turque a préféré chercher les
moyens d’exonérer Osman Hamdi Bey et de prouver que, pour orientaliste qu’il fût, il ne l’était cer-
tainement pas à la manière des peintres occidentaux. L’objectif de cet effort de réhabilitation était
évident : la contribution intellectuelle, scientifique et culturelle d’Osman Hamdi Bey était telle qu’il
paraissait injuste de ternir sa réputation en insistant sur quelques errements idéologiques. C’était
donc en grande partie la thèse de Thalasso qui refaisait surface, mais dans un contexte fortement
empreint de nationalisme turc. C’est probablement chez Mustafa Cezar, biographe et hagiographe
d’Osman Hamdi Bey, que le phénomène se lisait le plus clairement :

S’il est vrai qu’Osman Hamdi a un air de peintre orientaliste à cause du fait qu’il choisissait ses sujets
d’une manière qui rappelait le regard que les étrangers portaient sur l’Orient, il n’en a pas moins un
caractère tout à fait différent de celui des orientalistes européens, ainsi qu’une manière entièrement
différente de choisir et de traiter ses sujets. Il ne fait aucun doute que le secret de cette importante
différence réside dans le fait qu’Osman Hamdi était un homme de cette terre, un membre de cette société.

15) Thalasso, Adolphe, “Les premiers salons de Constantinople. Le premier salon de Stamboul”, L’art et les artistes,
t. III, avril-septembre 1906 : 172-181 ; Id., L’art ottoman, les peintres de Turquie, Paris, 1910.
16) Fikret Adil, “Cinquante ans de peinture et sculpture turques”, La Turquie kamâliste, n° 18 (avril 1937) : 9.
INTRODUCTION 15

Il ne pouvait évidemment qu’avoir une sensibilité différente de celle des Européens à l’égard de sujets se
rapportant à ce pays et ses sentiments ne pouvaient que se refléter dans son œuvre. Lorsqu’un peintre
orientaliste occidental ou levantin traitait un sujet oriental, il se penchait soit sur la misère, le retard ou la
pauvreté de l’Orient, soit sur des sujets susceptibles d’intéresser un public occidental. Il va de soi que ces
choix ne peuvent guère faire preuve de sincérité. Osman Hamdi, au contraire, essaie tout particulièrement
d’illustrer la beauté et la majesté des mosquées et des mausolées d’Orient. Sur ses toiles, à l’extérieur ou à
l’intérieur de ces mosquées et mausolées figurent un ou souvent plusieurs personnages. L’attitude de ces
personnages, voire même leur costume, peuvent parfois paraître théâtraux, comme dans le tableau du
mausolée des princes, mais en général leur expression de piété et de recueillement s’accorde fort bien avec
les lieux dans lesquels ils sont représentés17.

Fort heureusement, depuis la fin des années 1980, un nombre sans cesse croissant de chercheurs
ont tenté de dépasser ce stade et de remettre en question un certain nombre de “vérités” sur Osman
Hamdi Bey. C’est grâce à ces travaux que l’on peut maintenant parler d’une relation complexe et
ambiguë entre ce peintre et l’orientalisme dont il avait souvent été accusé. Notons toutefois que ces
nouvelles interprétations restent souvent tout aussi tributaires de l’œuvre d’Osman Hamdi Bey que
l’étaient les travaux hagiographiques qu’elles remettent en question. Il s’agit donc avant tout d’une
recontextualisation et d’une relecture du même matériau avec, toutefois, un appareillage intellectuel
beaucoup plus sophistiqué, fortement inspiré de la littérature post-coloniale anglo-saxonne, et
permettant d’élaborer une analyse des structures mentales et culturelles caractérisant le personnage
et ses travaux. Soulignons notamment les travaux pionniers d’Ussama Makdisi, à qui nous devons le
terme d’“orientalisme ottoman”18, et de Selim Deringil qui dévoila avec tant de succès la nature
fortement empreinte de colonialisme des relations entre les bureaucrates et officiers ottomans de la
période hamidienne et leurs “administrés” des provinces les plus reculées de l’empire19. La liste ne
saurait guère s’arrêter là, sans citer un nombre de plus en plus fourni de chercheurs se penchant sur
la question de l’orientalisme et de sa réception et reproduction en Orient et particulièrement dans
l’Empire ottoman : Zeynep Çelik sur les représentations de l’Orient aux expositions universelles et
sur Osman Hamdi Bey20, Irvin Schick sur la dimension érotique de l’orientalisme21, Reina Lewis sur
la question du genre22, pour ne citer que quelques noms. Certains se sont tout spécialement intéressés
à Osman Hamdi Bey : Ahmet Ersoy par le biais des Costumes populaires de la Turquie en 187323,
Wendy K. Shaw à travers le patrimoine et la muséologie24…
Si les avantages de cette approche en grande partie saidienne (et en tout cas post-saidienne) sont
évidents et ses résultats probants, le risque d’une spéculation intellectuelle et d’une distorsion
théorique n’en est pas moins présent : le chercheur est amené à interpréter l’œuvre de l’artiste et de
l’archéologue, dans un processus auquel Osman Hamdi Bey lui-même ne participe guère, caché
encore une fois derrière sa production intellectuelle et artistique, marginalisé par la force des
sentiments et des prises de position qui lui sont parfois attribuées un peu trop facilement. La

17) Mustafa Cezar, Sanatta Batı’ya Açılış ve Osman Hamdi, Istanbul, 1971 : 308-309.
18) Ussama Makdisi, “Ottoman Orientalism”, The American Historical Review, 107, 3 (juin 2002) : 768-796.
19) Selim Deringil, “ ‘They Live in a State of Nomadism and Savagery’ : The Late Ottoman Empire and the Post-
colonial Debate,” Comparative Studies in Society and History, 45/2 (avril 2003) : 311-342.
20) Zeynep Çelik, Displaying the Orient : Architecture of Islam at Nineteenth-Century World’s Fairs, Berkeley,
1992 ; Id., “Speaking back to Orientalist Discourse”, Jill Beaulieu et Mary Roberts (éd.), Orientalism’s Interlocutors:
Painting, Architecture, Photography, Durham (NC), 2002 : 19-41.
21) Irvin Cemil Schick, The Erotic Margin. Sexuality and Spatiality in Alterist Discourse, Londres-New York, 1999.
22) Reina Lewis, Rethinking Orientalism : Women, Travel, and the Ottoman Harem, New Brunswick (NJ), 2004.
23) Osman Hamdi Bey et Marie de Launay, Les costumes populaires de la Turquie en 1873. Ouvrage publié sous le
patronage de la commission impériale ottomane pour l’Exposition Universelle de Vienne, Constantinople, 1873 ; Ahmet
Ersoy, “A Sartorial Tribute to Tanzimat Ottomanism: The Elbise-i ‛O¢māniyye Album”, Muqarnas, 20 (2003) : 187-207.
24) Wendy Shaw, “The Paintings of Osman Hamdi and the Subversion of Orientalist Vision”, Çiğdem Kafescioğlu et
Lucienne Thys-Şenocak (éd.), Aptullah Kuran İçin Yazılar. Essays in Honour of Aptullah Kuran, Istanbul, 1999:
423-434.
16 EDHEM ELDEM

tentation est forte, en effet, lorsqu’on a sous la main un sujet comme lui – brillant touche-à-tout et
néophyte surdoué – de lui faire porter la bannière d’un orientalisme subtil au point de devenir
subversif25, ou la croix d’un colonialisme frisant le racisme à l’égard des populations arabes de l’em-
pire26.
Il serait toutefois injuste de reprocher à ces chercheurs de n’avoir pas réussi l’impossible. En
effet, si Osman Hamdi Bey est si souvent noyé dans son œuvre artistique, c’est aussi parce qu’il n’y
a que très peu d’écrits de sa plume susceptibles de concurrencer ses toiles. Artiste prolixe dont on
connaît un nombre tout à fait considérable de dessins et de tableaux, archéologue émérite et auteur
de plusieurs rapports et travaux archéologiques, administrateur dont on pourrait déterrer une
abondante correspondance officielle, Osman Hamdi Bey n’en reste pas moins silencieux quant à sa
vie privée dont on n’a pu recueillir que des bribes par le biais de sources indirectes. Toutefois,
certains papiers personnels conservés par sa famille constituent une exception remarquable. C’est
notamment le cas de sa correspondance passive – à teneur presque exclusivement archéologique –
publiée en 1990 par Henri Metzger27 et de sa correspondance avec son père couvrant les années 1860
à 1870, pendant ses séjours à Paris, puis à Bagdad. Si la correspondance passive – fort intéressante
du point de vue de l’histoire de l’archéologie – ne dévoile presque rien sur la vie privée d’Osman
Hamdi Bey qui n’y figure que comme destinataire des lettres en sa qualité d’archéologue et de
directeur de musée, il va sans dire que sa propre correspondance avec son père est de nature à
combler les lacunes dont je me plaignais plus haut. Un premier travail de publication et d’analyse
que j’ai réalisé à partir de sa correspondance de Bagdad avec son père en 1869-1870 m’avait permis
pour la première fois de mettre en exergue la personnalité d’un jeune Osman Hamdi découvrant une
lointaine province de l’empire après un séjour de près de dix ans à Paris28. Depuis, j’ai pu pousser
l’analyse un peu plus loin, notamment en y ajoutant un document resté inexploité jusqu’ici, les cinq
historiettes publiées par Rudolf Lindau en 1896 à partir des souvenirs de Bagdad qu’Osman Hamdi
Bey lui avait contés29.
Faut-il le dire, c’est précisément dans le cadre de cette approche que je situe ce récit de voyage.
Ce contexte “intime”, lié à mon exploration du personnage d’Osman Hamdi Bey, ne m’est guère
étranger, puisqu’il reprend en grande partie la logique de mon étude de son séjour à Bagdad. Il s’agit
en effet du contexte comparable d’une mission officielle, scientifique cette fois-ci, dans une province
éloignée de l’empire. On peut donc s’attendre à y retrouver des réactions semblables qui permettraient
par conséquent de cerner un peu mieux l’attitude d’Osman Hamdi Bey confronté encore une fois à la
réalité des marges orientales de l’empire. Pourtant, ainsi que je tenterai de le montrer dans les pages
qui suivent, il est intéressant de noter à quel point la douzaine d’années qui s’est écoulée entre
Bagdad et Nemrud avait pu modifier le contexte de cette deuxième découverte de l’Orient. Le séjour
de Bagdad s’était déroulé dans un contexte fortement politisé : faisant partie de la suite du
gouverneur Midhat Pacha, Osman Hamdi Bey découvrait une province de l’empire où l’autorité du
sultan était sans cesse remise en question ou menacée par l’influence persane, la présence britannique
ou l’insubordination des tribus locales. Il s’ensuivait donc une vision extrêmement négative de la
région et de sa population, ainsi qu’un discours fortement empreint d’un sentiment de supériorité et
de croyance en une mission civilisatrice. Une décennie plus tard, le contexte général restait encore
très semblable, notamment en ce qui concerne le gouffre séparant Osman Hamdi Bey de la

25) Je reprends ici le terme qu’utilise Wendy K. Shaw pour suggérer que l’orientalisme d’Osman Hamdi Bey avait
pour particularité de se retourner contre l’Occident tout en utilisant un genre qui lui était propre (Shaw, “The Paintings of
Osman Hamdi”).
26) Makdisi, “Ottoman Orientalism” : 783-787.
27) Henri Metzger, La correspondance passive d’Osman Hamdi Bey, Paris, 1990.
28) Edhem Eldem, “Quelques lettres d’Osman Hamdi Bey à son père lors de son séjour en Irak (1869-1870)”,
Anatolia Moderna - Yeni Anadolu, I/1 (1991) : 115-136.
29) Edhem Eldem, Un Ottoman en Orient. Osman Hamdi Bey en Irak, 1869-1871, Paris, 2010.
INTRODUCTION 17

population des contrées visitées sur le chemin de Nemrud Dağı. Cependant le ton avait changé consi-
dérablement, passant du registre du politique à celui, beaucoup plus nuancé, de la curiosité ethnogra-
phique.
Bien sûr, on me rappellera avec raison que ce récit de voyage que je relie ainsi à l’étude d’Osman
Hamdi Bey n’est pas de sa plume mais de celle de son compagnon de voyage, Osgan Efendi. J’en
suis parfaitement conscient. Toutefois, je considère que cette rédaction fut, d’une manière ou d’une
autre, réalisée en commun, à partir d’observations et d’impressions partagées dans une situation qui
ne pouvait que déboucher sur une forme d’intimité et de communion intellectuelle. J’en veux pour
preuve le fait qu’Osman Hamdi Bey ne vit guère d’inconvénient à inverser les rôles lors de la
rédaction finale en vue de publication et à discrètement s’approprier un texte qui, techniquement
parlant, n’était pas de lui. Loin de moi l’idée de suggérer qu’Osman Hamdi aurait “usurpé” ce texte ;
sa double qualité d’archéologue et de directeur de musée – et peut-être même de “Turc” – suffisaient
probablement à justifier cette inversion30. J’en retiendrai toutefois, pour les besoins de cette étude,
que ce texte était collectif dans sa plus grande partie et que, par conséquent, je peux, sans grand
risque d’erreur, en attribuer les idées principales aussi bien à Osgan Efendi qu’à Osman Hamdi Bey.
Je pense que les deux amis, issus d’un environnement culturel semblable, partageaient très
probablement une Weltanschauung commune qui ne pouvait que déteindre sur “leur” récit de
voyage. Enfin, les erreurs commises par Osgan Efendi dans la transcription de certains mots turcs
laissant supposer qu’il n’avait tout au plus qu’une connaissance imparfaite de cette langue, il ne fait
pas de doute qu’une grande partie des informations collectées en cours de route le furent par Osman
Hamdi Bey afin d’être retransmises à son compagnon de voyage. Toutes ces explications et ces
hypothèses ne visent certes pas à déposséder Osgan Efendi d’un texte qui, évidemment, lui
appartient ; je veux simplement montrer que pour personnel qu’il fût, ce texte était en fin de compte
le produit d’un voyage en commun mais aussi d’observations, d’impressions et de sensibilités parta-
gées.
Enfin, quelques mots sur la méthode que j’ai suivie pour l’édition du texte et des illustrations.
Ainsi que je le notais plus haut, j’ai tenu à habiller ce texte d’un appareil critique – notes,
explications, commentaires – aussi complet que possible sans toutefois tomber dans le piège d’une
reconstitution fastidieuse des lacunes en matière d’archéologie. J’en ai fait de même pour les
photographies que j’ai tenu à rattacher au texte par des notes et renvois et à commenter par des
légendes aussi détaillées que possible. N’ayant pu retrouver les nombreux plans et croquis que les
auteurs disaient avoir levés sur place, je me suis contenté de reprendre les deux plans des tumulus de
Karakuş et de Nemrud Dağı qui figuraient en appendice du Tumulus (p. 77-79). Enfin, j’ai tenu à
établir une carte permettant de visualiser l’itinéraire dans son ensemble et à y joindre un tableau
donnant le détail des dates et des distances parcourues (p. 80-81). Quant au texte lui-même, je l’ai
remanié très discrètement, notamment en corrigeant nombre de coquilles et de fautes mineures qu’il

30) Le texte du Tumulus reprend dans ses grandes lignes le texte du carnet et lui reste très fidèle d’un bout à l’autre.
On y remarque certes nombre de modifications et de rajouts, justifiés d’une part par une correction grammaticale et
stylistique et, d’autre part, par un complément d’information recueilli ou constitué après coup. Toutefois, il est une
modification importante qui ne rentre dans aucune de ces deux catégories : la neutralisation du texte par l’élimination de
toute référence à l’identité du narrateur d’origine, Osgan Efendi. Il est vrai que ces références étaient déjà rares dans le
texte d’origine : elles se limitaient à quelques “je” et à des passages où Osman Hamdy Bey était nommément cité et donc
dissocié de la narration, ce qui, d’ailleurs, constitue la seule indication de l’identité du narrateur, puisque le récit ne
comporte ni titre, ni signature. Le passage du récit correspondant au texte de la publication comporte très précisément trois
“je” et une référence à “mon ami Hamdy” contre un emploi systématique dans le reste du texte du “nous” collectif. Le texte
publié, tout en supprimant toutes ces formules personnelles, en rajouta néanmoins une qui n’existait pas auparavant en
indiquant que “Osgan Effendi” était l’auteur des plans du tumulus (voir n. 298 infra). Cette “inversion” des rôles était
probablement due au désir tout à fait innocent de rendre justice au travail d’Osgan Efendi ; il n’empêche que lorsqu’on la
relie au fait que l’ouvrage, tout en étant cosigné par les deux, faisait figurer le nom de “Osman Hamdy Bey” avant celui
d’“Osgan Effendi” – en dépit de l’ordre alphabétique – on ne peut s’empêcher de remarquer qu’il y eut un “transfert de
plume” que les auteurs ne pouvaient avoir ignoré.
18 EDHEM ELDEM

n’y avait pas grand intérêt à conserver31. De même, j’ai préféré corriger certaines erreurs qui
s’étaient glissées dans les noms de certains individus et dans la toponymie de la région, pour la
simple raison que je les ai jugées faire partie des erreurs dues à un manque de préparation ou à une
certaine hâte dans la rédaction32. Je me suis aussi permis d’harmoniser l’orthographe de mots, de
noms et de toponymes turcs, tout en conservant une graphie française, telle qu’elle aurait été utilisée
à l’époque33. En revanche j’ai conservé les tournures maladroites qui trahissent parfois les origines
de l’auteur, un Arménien ottoman, non par vice ou par dérision, mais simplement pour conserver une
trace de la manière dont les élites ottomanes utilisaient une langue qui faisait désormais partie de leur
éducation mais qu’ils ne maîtrisaient pas toujours à la perfection34.
J’espère que le lecteur partagera l’enthousiasme que j’ai ressenti à la découverte, puis à la lecture
de ce récit de voyage inédit. Puisse ce travail d’édition et de commentaire contribuer, aussi
modestement que ce fût, à une meilleure compréhension de l’espace, de l’époque et des hommes qui
y figurent, directement ou indirectement. Puisse-t-il, enfin et surtout, rendre hommage à la mémoire
de ces deux hommes, voyageurs, artistes, scientifiques, en leur restituant ce caractère humain qu’on
a trop souvent tendance à leur retirer sous prétexte de glorifier leur œuvre.

31) De fréquentes fautes d’accord des verbes ou participes et, surtout, des fautes d’orthographe qui se répètent :
“eccessivement”, “suffisemment”, “spectre” (pour sceptre !) etc.
32) Je noterai par exemple que les noms de leurs collègues allemands étaient souvent écorchés : Laushen pour von
Luschan, Purstein ou Pushstein pour Puchstein, etc. De même, les noms de certains localités avaient été notés très approxi-
mativement – Singilli pour Zindjirli, par exemple.
33) Osgan Efendi hésite par exemple entre au et o lorsqu’il écrit ova/auva ou auba/oba. Dans les deux cas, j’ai
harmonisé en “o”. Le même problème se posait pour des terminaisons en “ş” qui étaient par fois rendues par un “sh” ; j’ai
préféré rendre ce son par une “ch” ou un “che” qui me semblait plus français.
34) Un exemple typique et fréquent est celui de l’utilisation fort gauche de la forme passive : “l’épaisseur qui a été
mesurée par nous”, “cette tête a été dressée par nous”, “la tête de la statue qui vient après n’a pu être retrouvée par nous”,
“celle de la suivante qui se trouvait sur la pente de l’escalier [et] qui a été roulée par nous jusqu’au bas de la terrasse et nous
l’y avons redressée”, “cette plaque qui porte une inscription a été estampée par nous” ou “l’une a été redressée et
photographiée par nous”.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT

Le Tumulus de Nemroud-Dagh a été étudié tout d’abord par M. le Dr Puchstein dont le rapport a été publié
par le Musée de Berlin à la date du 19 Octobre 1882. A la suite de ce rapport le Musée de Berlin envoya
une nouvelle Mission, sous la direction de M. Humann. De son côté, le Gouvernement Impérial Ottoman
chargea le Directeur du Musée Impérial et un professeur de l’école des beaux-arts d’étudier, sur les lieux,
les monuments de Nemroud-Dagh, de recueillir les inscriptions et tous les renseignements de nature à
éclairer les différentes questions qui s’y rattachent35.

C’est en ces termes qu’Osman Hamdi Bey décrivait les raisons qui l’avaient poussé à entreprendre,
avec son ami et collaborateur Osgan Efendi, une expédition archéologique au tumulus de Nemroud
Dagh. Ce monument avait été découvert en 1881 par l’ingénieur Karl Sester lors de son voyage en
Anatolie orientale. Il avait par la suite informé Berlin de l’existence de ce site qui, selon lui, était
d’origine assyrienne. Les autorités allemandes n’avaient pas tardé à réagir. Alexander Conze36, se-
crétaire-général de l’Institut archéologique allemand, avait immédiatement chargé Otto Puchstein,
jeune boursier de l’Institut, d’entreprendre une reconnaissance des lieux37. Puchstein s’était alors
rendu sur le site et en était revenu avec un rapport détaillé, celui-là même qu’Osman Hamdi Bey
citait en préface de son ouvrage. A peine cinq mois après la publication de ce rapport, Osman Hamdi
Bey quittait Istanbul pour l’Anatolie, en vue d’étudier le site. Berlin, de son côté, avait dépêché une
seconde expédition, dirigée par Carl Humann38.

35) Tumulus, p. i.
36) Alexander Conze (1831-1914), archéologue allemand, fouilla sur l’île de Samothrace, ainsi qu’à Pergame avec
Carl Humann.
37) Otto Puchstein (1856-1911), professeur à l’Université de Fribourg, puis conservateur au musée de Berlin. En tant
que secrétaire de l’Institut archéologique allemand, Puchstein avait beaucoup voyagé et fait de nombreuses découvertes
dans le domaine de l’architecture avec Humann en Syrie. En tant que conservateur au musée de Berlin, il joua un rôle
essentiel dans la mise en place du grand autel de Pergame. Il fouilla en Italie méridionale et en Sicile, puis à Baalbek,
Palmyre, Hattusha et Nemrud Dağı.
38) Carl Wilhelm Humann (1839-1896) était un ingénieur, architecte et archéologue allemand dont le plus haut fait fut
sans aucun doute la découverte de l’autel de Pergame. Après des débuts dans la construction de chemins de fer en
Allemagne, il découvrit les territoires ottomans en participant d’abord à des fouilles archéologiques à Samos, puis en
effectuant des relevés cartographiques au nom du gouvernement ottoman en Palestine. C’est pendant une campagne
d’inspection des routes en Anatolie qu’il visita pour la première fois le site de Pergame en 1864. Ce n’est toutefois qu’en
1878 qu’il obtint le soutien financier allemand et les autorisations ottomanes qui lui permirent d’entamer des fouilles. C’est
ainsi qu’au bout de trois grandes campagnes qui s’étagèrent jusqu’en 1886, il parvint à mettre à jour l’autel et la
gigantomachie qui furent transportés à Berlin, avec l’accord du gouvernement ottoman. Cet exploit lui valut une
renommée internationale ; il participa plus tard à un grand nombre de fouilles en Anatolie : Zincirli (1882, 1888),
Hiérapolis (1887), Tralles (1888), Magnésie (1891-1893), Priène et Ephèse (1895). Ses principales œuvres sont : Der
Pergamon Altar, entdeckt, beschrieben und gezeichnet von Carl Humann, Dortmund, [1959] ; Die Ergebnisse der
Ausgrabungen zu Pergamon, vorläufiger Bericht von A. Conze, C. Humann, R. Bohn, H. Stiller, G. Lolling und
O. Raschdorff, Berlin, 1880-1888 ; Reisen in Kleinasien und Nord-Syrien, ausgeführt im Auftrage der kgl. preussischen
Akademie der Wissenschaften, beschrieben von Karl Humann und Otto Puchstein... nebst einem Atlas,... von Heinrich
Kiepert, Berlin, 1890. Sur Humann, voir Friedrich Karl et Eleonore Dörner, Von Pergamon zum Nemrud Dağ: die
archäologischen Entdeckungen Carl Humanns, Mainz, 1989 ; sur Humann et Osman Hamdi Bey, voir Wolfgang Radt,
“Carl Humann und Osman Hamdi Bey - Zwei Gründerväter der Archäologie in der Türkei” Istanbuler Mitteilungen,
vol. 53 : 491-507.
20 EDHEM ELDEM

Il va sans dire que, du point de vue des archéologues allemands, Osman Hamdi Bey tombait
comme un cheveu dans la soupe. Alors âgé de quarante ans, fils aîné d’İbrahim Edhem Pacha, artiste
et intellectuel que l’on pouvait aisément qualifier de dilettante, Osman Hamdi Bey avait jusque là
occupé des postes administratifs fort divers : directeur des affaires étrangères auprès du gouverneur
de Bagdad en 1869-1871, chef adjoint du protocole au ministère des Affaires étrangères en 1871,
commissaire de la section ottomane à l’exposition universelle de Vienne de 1873, secrétaire du
bureau des étrangers du ministère des Affaires étrangères en 1875, directeur du bureau de la presse
étrangère en 1876, membre d’une commission chargée de vérifier les excès commis contre la
population bulgare et directeur du sixième cercle municipal (le district de Péra) en 1877, Osman
Hamdi Bey n’avait certes pas le profil d’un archéologue. Mis à part une brève participation à la
commission du Musée impérial alors qu’il était à la tête du sixième cercle, rien ne le prédisposait à
la carrière fulgurante qu’il devait réaliser en tant qu’archéologue et directeur de musée. Rien, si ce
n’est son talent et son intelligence, qu’il eut enfin le loisir de mettre à l’épreuve quand, après avoir
boudé la fonction publique pendant près de quatre années pour se consacrer à l’art et à la peinture, il
fut soudain parachuté à la direction du Musée impérial par un décret – tout aussi impérial – en date
du 4 septembre 1881. A peine trois mois plus tard, le 1er janvier 1882, Osman Hamdi Bey était
nommé à la direction de l’Ecole des Beaux-arts39. Ce fut là un tournant décisif dans la vie de ce jeune
intellectuel – il avait encore trente-huit ans – qui put ainsi, tout en conservant son goût et sa pratique
de la peinture, s’adonner presque entièrement au développement de l’archéologie et de la muséologie
dans l’Empire ottoman. Si la peinture et les beaux-arts ne lui étaient guère inconnus, l’archéologie
lui était presque totalement étrangère. Ses débuts furent donc difficiles et personne ne pouvait mieux
les décrire que Salomon Reinach40, jeune et brillant archéologue français, qui fut appelé au secours
d’Osman Hamdi Bey et lui servit de mentor afin de l’initier aux mystères de la discipline :

En 1875, sous le ministère de Soubhi-Pacha41, les collections furent transférées dans le charmant édifice
dit Tchin[i]li-Kiosk (kiosque chinois)42. C’est là qu’Hamdi les trouva, dans le plus grand désordre,
lorsqu’il fut nommé conservateur en 1881, après la mort de Déthier43. Charles Tissot44, que j’avais connu
ministre à Athènes, était alors ambassadeur à Constantinople. Il m’y appela pour l’aider à préparer son
grand ouvrage sur l’Afrique romaine et, dès le lendemain de mon arrivée, me conduisit à Tchin[i]li-Kiosk.

39) Pour la carrière d’Osman Hamdi Bey avant sa nomination à la direction du Musée impérial voir Cezar, Osman
Hamdi : 140-144.
40) Salomon Reinach (1858-1932), archéologue et historien des religions français d’origine juive-allemande,
normalien, débuta sa carrière d’archéologie en 1879 à l’Ecole française d’Athènes. Il fouillera souvent en Anatolie (Myrina
et Kymé), dans les îles de la mer Egée (Lesbos, Thasos et Imbros), en Tunisie (Carthage et Djerba), ainsi qu’en Russie
(Odessa). Il sera reçu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1896 et poursuivra une carrière muséologique au
Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, dont il deviendra le directeur en 1902. Sur Salomon Reinach,
voir : Pierre Chuvin, “Les Reinach et l’Empire ottoman”, Sophie Basch, Michel Espagne et Jean Leclant (éd.), Les frères
Reinach, Paris, 2008 : 143-154.
41) Il y a de toute évidence méprise sur l’identité du ministre en fonctions au moment de l’ouverture de Çinili Köşk,
puisqu’Abdüllatif Subhi Pacha (1818-1886) était entre deux postes à l’époque : il avait été gouverneur de Syrie jusqu’en
septembre 1872 et ne serait nommé ministre de l’Instruction publique et des Fondations pieuses qu’en février 1878.
Reinach confond donc de toute évidence avec Ahmed Cevdet Pacha (1823-1895) qui fut ministre de l’Instruction de juin à
décembre 1875. Ce fait est confirmé par les remarques de Dethier concernant le transfert de Sainte-Irène à Çinili Köşk à
cette date suivant une “supplique qu’alors j’ai adressée à mon ministre Djevded pacha, et à laquelle il a donné suite, en
nous faisant gracieusement accorder par S. M. le Sultan le Tchinili Kiosk pour musée” (Philipp Anton Dethier, Annexe du
bulletin scientifique. Histoire du Musée central ottoman de Stamboul et son programme, Constantinople, 1881 : 2-3).
42) En fait Çinili Köşk, soit kiosque aux faïences.
43) Philipp Anton Dethier (1803-1881), historien et archéologue allemand, s’installa en Turquie en 1849 et y réalisa
de nombreuses recherches historiques et archéologiques, portant notamment sur Constantinople byzantine. En 1871 il fut
nommé à la direction du Musée impérial, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort, survenue le 3 mars 1881.
44) Charles-Joseph Tissot (1828-1884) était un diplomate français très féru d’archéologie. Il fut en poste à Istanbul
de 1880 à 1882. Membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres depuis 1880, ses recherches archéologiques
portèrent essentiellement sur l’Afrique du Nord. Tissot et Osman Hamdi Bey se connaissaient de longue date, ainsi que le
suggère une lettre que le premier adressa au second le 11 septembre 1865.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 21

Hamdi me proposa de cataloguer la collection naissante ; j’acceptai avec joie et, pendant deux mois, passai
toutes mes matinées au Musée avec lui et son secrétaire Ohanny45, mesurant, décrivant et dessinant. Mon
catalogue parut à Constantinople en 188246 ; il est plein d’erreurs, car je n’en ai pas corrigé d’épreuves ;
mais c’est le cas de dire que quelque chose vaut mieux que rien. Du reste, ce qui importait alors, c’était
moins de cataloguer le Musée que de catéchiser le conservateur, auquel les éléments de l’archéologie
grecque étaient encore étrangers. Mais un homme aussi intelligent qu’Hamdi, ayant, par surcroît un
sentiment vif et personnel de la beauté, ne fut pas longtemps à comprendre le but et la méthode de nos
études. Âgé alors de 23 ans, beaucoup plus ignorant que ne le sont aujourd’hui les candidats à l’Ecole
d’Athènes, j’en savais moi-même juste assez pour enseigner à un néophyte sans l’effrayer par la
complexité du sujet. Je fus pour lui un petit manuel oral, qu’il eut vite fait de feuilleter et de s’assimiler47.

La presse ottomane de langue française de l’époque permet de reconstituer certains détails des
préparatifs de l’expédition d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi. Dès le 7 avril 1883, soit un peu
moins de deux semaines avant leur départ, La Turquie rendait compte du contexte général de l’entre-
prise :

Musée impérial. – Nous apprenons que sur l’initiative d’Izzet Effendi, directeur des postes et télégraphes48,
une souscription a été ouverte au profit du musée impérial, sous le patronage de S.A. Edhem Pacha,
ministre de l’intérieur. Les fonds qui seront recueillis seront employés à faire des fouilles d’abord dans
certaines localités d’Asie Mineure et ensuite en Syrie près d’Antioche. Hamdy bey, et Guildany Effendi,
secrétaire général de l’administration des télégraphes impériaux, sont chargés de recueillir les souscriptions
qui s’élèvent déjà à une somme assez considérable. La Banque ottomane a souscrit pour 75 L.T., la
direction des chemins de fer orientaux pour 50 L.T., la direction du chemin de fer de Haïdar-Pacha pour 15
L.T. et les ministres pour diverses sommes.
Hamdi effendi se prépare à quitter mercredi prochain notre ville49. Il se rendra dans l’intérieur de la
province de Smyrne pour commencer les fouilles. La suite de Hamdi bey se compose de six personnes
dont deux Européens compétents en matières archéologiques.
Nous souhaitons bonne chance à Hamdy bey50.

Pour succinct que fût cet article paru dans la presse, les informations qu’il contenait étaient fort
intéressantes. Tout d’abord, la question de la souscription ouverte pour soutenir l’entreprise et gérée
par l’administration des postes et télégraphes. Devant le peu d’information que nous avons sur le
directeur de cette administration, İzzet Efendi, il paraît impossible de se rendre compte des raisons
qui peuvent avoir poussé ce personnage à se lancer dans une telle opération. Ne faisait-il que suivre
des ordres venus de plus haut et qu’il avait été jugé, peut-être en raison de la nature de son
administration, plus apte à la mener à bonne fin ? On sent quand même planer l’ombre d’Edhem

45) D’après trois documents publiés par Mustafa Cezar, Nikolaki Ohani Efendi, grec ottoman, connaissant le français,
le grec et l’italien, fut nommé directeur-adjoint en remplacement de M. Fuler (Fuller ?) par décret en date 5 Muharrem
1298 (8 décembre 1880) (Cezar, Osman Hamdi : 498). Nikolaki Ohani Efendi demeura à ce poste jusqu’en 1892, date à
laquelle il fut nommé à la correspondance française du Musée et remplacé par Halil Edhem Bey, frère d’Osman Hamdi Bey
(Ferruh Gerçek, Türk Müzeciliği, Ankara, 1999 : 121).
46) Catalogue du Musée impérial d’antiquités, Constantinople, 1882.
47) Salomon Reinach, “Hamdi Bey”, Revue archéologique, quatrième série, t. XV (janvier-juin 1910) : 409. Notons
que l’ouvrage de Cezar cite – sans toutefois donner de référence – un passage d’une lettre d’Osman Hamdi Bey à Salomon
Reinach dans laquelle il lui dirait : “C’est vous qui avez commencé à me former à l’archéologie pendant votre séjour à
Constantinople, peut-être sans vous en rendre compte” (Cezar, Osman Hamdi : 274). Il semblerait que Reinach,
contrairement à ce qu’Osman Hamdi pouvait penser, s’était parfaitement rendu compte du rôle qu’il avait joué auprès de
son élève.
48) Nous ne savons presque rien sur İzzet Efendi (?-1891) si ce n’est qu’il fut à la tête des postes et télégraphes de
mars 1876 à janvier 1880 et de juin 1880 à mai 1888 (Sinan Kuneralp, Son Dönem Osmanlı Erkân ve Ricali (1839-1922),
Istanbul, 1999 : 86).
49) Le mercredi en question aurait correspondu au 11 avril, or ce n’est que le 19 qu’ils quitteront la capitale ottomane.
50) La Turquie, 7 avril 1883 : 1.
22 EDHEM ELDEM

Pacha, le père d’Osman Hamdi Bey, sous le patronage duquel la souscription était placée51. Après
tout, ce ne serait pas la première fois que cet homme d’Etat userait, sans en abuser d’ailleurs, de son
influence et de son statut pour fournir à ses enfants l’occasion de s’essayer dans la science ou dans
les arts. Ainsi, un an après sa tentative d’introduire le système métrique en 1869, son deuxième fils,
İsmail Galib Bey, avait pu publier un Essai sur les nouvelles mesures52. Dans le cas d’Osman Hamdi
Bey, il est plus que probable que le fait qu’Edhem Pacha était alors ministre des Travaux publics
n’était pas étranger au fait qu’Osman Hamdi Bey avait été nommé commissaire de la section
ottomane à l’Exposition universelle de Vienne en 1873 et qu’il avait aussi cosigné le volume de
Costumes populaires publié à cette occasion. Il est donc vraisemblable de penser qu’une fois que son
fils avait été nommé à la direction du musée – peut-être en partie grâce à un coup de pouce paternel –
Edhem Pacha avait commencé à œuvrer pour sa réussite et que l’idée d’une souscription s’inscrivait
ainsi dans cette même logique.
On ne sera guère surpris de voir que certaines institutions parmi les plus prestigieuses et les plus
puissantes de l’époque avaient immédiatement répondu à cet appel ; cela faisait partie des rituels de
la souscription, permettant de légitimer l’opération et de provoquer un phénomène d’émulation.
C’était donc un plan astucieux qui garantissait une certaine réussite, mais prouvait probablement
aussi que le musée ne disposait pas de fonds suffisants pour monter une telle expédition à lui tout
seul. Notons aussi qu’aucune mention n’était faite d’une contribution émanant de la cassette du
sultan. On ne doit vraiment pas en tirer des conclusions trop hâtives, mais il est vrai aussi que s’il y
en avait eu une, elle aurait figuré en tête de la liste des mécènes.
On est bien sûr frappé par le manque total de précision sur la nature de l’entreprise. De vagues
références à l’Asie Mineure, la Syrie, Antioche et Smyrne ne permettent guère de se faire une idée
précise sur les objectifs concrets visés par les organisateurs. Certes, ces toponymes correspondent
jusqu’à un certain point à l’itinéraire qui sera finalement suivi, mais cela n’exclut pas que les deux
archéologues n’aient pas voulu dévoiler leur destination finale, ou alors tout simplement que la
presse n’ait pas ressenti le besoin d’approfondir la question. Quant aux six personnes –dont deux Eu-
ropéens, nous dit-on – formant la suite d’Osman Hamdi Bey, on a du mal à imaginer de qui il pouvait
bien s’agir. Osgan Efendi, très certainement et peut-être Puchstein et von Luschan, dont le profil cor-
respondait après tout assez bien à celle de deux “Européens compétents en matières archéologiques” ;
quant aux autres, nous ne savons guère.
Environ deux semaines plus tard, dans un article encore plus laconique, La Turquie annonçait le
départ, apparemment retardé d’une semaine, d’Osman Hamdi Bey. On apprend ainsi que la
souscription avait assez bien réussi – 500 livres correspondent à 450 £ ; en revanche, le vague le plus
complet régnait encore sur la nature et la localisation des fouilles à entreprendre :

Musée impérial. – Hamdi bey, directeur du Musée impérial, est parti hier pour Smyrne afin d’entreprendre
des fouilles dans l’intérieur du vilayet d’Aïdin.
La souscription qui a été ouverte pour réunir les fonds nécessaires à cette entrepris, a produit jusqu’à
présent plus de 500 livres turques53.

Si la presse locale suivait ces développements avec un intérêt somme toute assez limité, certains
milieux professionnels semblent s’en être émus beaucoup plus et, surtout, avec des sentiments
beaucoup plus mitigés. Par un hasard des plus intéressants, la prestigieuse Revue archéologique, qui
entrait dans sa quarantième année, entamait en 1883 une nouvelle rubrique dont l’objectif était de

51) Edhem Pacha était, depuis le 28 février 1883, ministre de l’Intérieur, premier poste qui lui avait été confié depuis
son retour de Vienne où il avait occupé le poste d’ambassadeur (Archives de la Présidence du Conseil, Archives de l’Etat
ottoman (BOA), DH.SAİDd. 2/218. İbrahim Edhem Paşa).
52) İsmail Galib, Yeni Mikyaslara Dair Risaledir, Istanbul, 1287/1870.
53) La Turquie, 20 avril 1883 : 1.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 23

rendre compte de l’état de l’archéologie en Orient et notamment des fouilles qui s’y déroulaient. La
personne chargée de cette tâche n’était autre que Salomon Reinach, récemment rentré de Grèce, à
qui Georges Perrot, devenu directeur de publication, avait suggéré cette idée54. La rubrique s’intitulait
“Chronique d’Orient” et comportait un sous-titre qui expliquait bien de quoi il s’agissait : “Fouilles
et découvertes”. Or la première de ces chroniques, parue en avril 1883, accordait une place
relativement importante aux préparatifs de l’expédition d’Osman Hamdi Bey. Après avoir fait état de
quelques découvertes faites en Grèce, Reinach rapportait en quelques paragraphes les informations
qu’il disait avoir reçues d’Istanbul sur le nouveau projet du musée :

On nous écrit de Constantinople que le gouvernement turc se dispose à faire exécuter à ses frais et au profit
exclusif du musée des antiquités de Tchin[i]li-Kiosk des fouilles sur différents points de l’Empire ottoman.
Edhem-Pacha aurait ouvert à cet effet une souscription parmi ses collègues du ministère et les fonctionnaires
de son département55.

La manière dont Reinach présentait l’affaire laisse à penser qu’Edhem Pacha avait effectivement
joué une part centrale dans toute l’opération. L’absence de référence à l’administration des postes et
télégraphes semble confirmer le rôle purement pratique et logistique qui lui avait été vraisemblablement
attribué. En revanche, la notion d’une opération voulue par le gouvernement et affectée à
l’enrichissement exclusif du musée indique peut-être bien qu’il y avait eu concertation parmi les
membres du gouvernement et que même si Edhem Pacha avait assez personnellement parrainé le
projet, il avait réussi à convaincre ses collègues de l’intérêt qu’il y avait à amorcer une politique
ottomane d’archéologie, sinon du patrimoine.
Salomon Reinach, qui dans un premier paragraphe s’était contenté d’informer ses lecteurs d’un
développement nouveau et probablement surprenant, ne partageait guère l’enthousiasme probable
des quelques Ottomans engagés dans cette entreprise. Passant soudain, dans un second paragraphe,
d’un ton assez neutre à une attitude à la fois condescendante et quelque peu agressive, il s’interrogeait
sur l’opportunité et la logique de ce projet. Selon lui, il s’agissait là d’une aberration dont il fallait
décourager et dissuader le gouvernement :

Nous ne voyons pas ce qui induit le gouvernement turc à se charger d’une besogne coûteuse que les
étrangers feraient volontiers pour lui ; les 25,000 piastres que l’on doit consacrer à ces travaux seraient
mieux employées à payer des commissaires chargés de surveiller les explorateurs européens56.

C’était dit avec beaucoup de suffisance et sous la forme d’une critique à peine voilée de ce désir
de s’arroger un privilège qui devait rester européen et occidental. Chacun son rôle : aux Européens
la lourde et coûteuse tâche de faire de l’archéologie ; aux Ottomans, celle de maintenir l’ordre dans
ce qui était, après tout, encore leur territoire. On reconnaît là une version adaptée à l’archéologie du
“fardeau de l’homme blanc”, avec la différence notable que l’on accorde encore à l’Oriental un droit
de regard sur la manière dont tout cela est réalisé…
Il faut reconnaître toutefois que Reinach fit volteface dès la livraison suivante de la Revue ar-
chéologique. Faisant en quelque sorte amende honorable, il se lançait dans une surprenante pirouette
qui l’amenait à chanter les louanges de son ancien élève et protégé et à exprimer tout l’espoir que lui
inspirait cette nouvelle initiative :

54) Reinach, Chroniques d’Orient. Documents sur les fouilles et découvertes dans l’Orient hellénique de 1883 à 1890,
Paris, 1891 : vii.
55) Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) :
247.
56) Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) :
247.
24 EDHEM ELDEM

Lorsqu’on nous a annoncé, il y a deux mois, que le gouvernement turc se disposait à entreprendre des
fouilles archéologiques, nous avons d’abord accueilli cette nouvelle avec un certain scepticisme. Ceux qui
ont vécu en Turquie savent combien la mortalité y sévit sur les projets en bas âge. On paverait tous les
chemins de l’empire avec les bonnes intentions des ministres ottomans restées sans effet. Il paraît
cependant que cette fois nous avons eu tort d’être incrédule et que les fouilles annoncées n’étaient pas une
vaine promesse. Les circonstances, il faut le dire, ont favorisé singulièrement les desseins d’Hamdi-Bey,
directeur du musée de Tchin[i]li-Kiosk, dont le père, Edhem Pacha, est aujourd’hui premier ministre57.
Edhem Pacha, ancien élève de l’Ecole des mines de Paris58, a été longtemps ambassadeur de la Porte à
Vienne59 ; son fils, élève de M. Gustave Boulanger, est le plus artiste et le plus parisien des Ottomans60. Le
père et le fils ont réuni leurs efforts pour que la Turquie commençât à faire chez elle ce que les Etats
européens font tous plus ou moins sur leur propre territoire, qu’elle se préoccupât non seulement de
préserver les monuments antiques, mais d’en découvrir de nouveaux et d’enrichir son musée naissant.
Bien souvent, alors que nous travaillions au catalogue du musée de Tchin[i]li-Kiosk, Hamdi-Bey nous a
entretenu de ses projets à cet égard, projets inspirés par un goût artistique dont nous avons eu l’occasion
d’apprécier la finesse. Ce qui paraissait chimérique alors est devenu possible quelques mois après, et,
contrairement à ce qui se passe d’ordinaire en Turquie, on n’a pas attendu longtemps pour se mettre à
l’œuvre. Nous n’avons qu’à nous réjouir de voir le gouvernement turc accorder ainsi son patronage à la
science archéologique ; nous souhaitons surtout qu’il accepte désormais, avec plus d’empressement que
par le passé, la collaboration des savants étrangers qui lui offrent leur concours dans cette œuvre immense
et dispendieuse, l’exploration du sous-sol de la Turquie61.

On a bien l’impression que Reinach corrigeait là une méprise ou, plus précisément, qu’il venait
d’apprendre que l’entreprise ottomane était chapeautée par Osman Hamdi Bey. Etait-il sincèrement
convaincu que la présence de son disciple allait garantir le sérieux de l’affaire, ou se sentait-il tout
simplement solidaire de celui qui lui avait fait preuve d’amitié en lui confiant le premier classement
des antiquités du Musée impérial ? Il y avait probablement des deux, ainsi qu’un sentiment général
de satisfaction à la vue d’un Ottoman très francisé prendre la tête d’un projet d’une telle ampleur.
Les références à son père, à sa carrière et à son talent artistiques, à sa formation et aux moments
qu’ils avaient passés ensemble au musée sont autant d’indications qui soulignent le caractère
“civilisé” d’Osman Hamdi Bey et le distinguent des “Turcs” que Reinach voyait d’un si mauvais œil
lorgner sur les sites archéologiques de leur propre pays.
D’ailleurs la suite de la chronique de Reinach prouvait bien qu’il n’y avait vraiment pas de quoi
s’inquiéter. La décision de fouiller en Eolide, dans les envions d’Izmir, s’inscrivait dans la continuité
des recherches françaises dans la région, notamment celles menées à Myrina par Edmond Pottier et
Salomon Reinach lui-même. Démosthène Baltazzi, ci-devant commissaire impérial à Myrina, et
Osman Hamdi Bey, ancien élève de Reinach, ne faisaient donc que reprendre le flambeau de leurs
maîtres :

A la suite d’un voyage d’Hamdi-Bey à Smyrne, il fut décidé que les premières fouilles porteraient sur
l’Eolide, en particulier sur les environs de l’ancienne Grynium, dont le temple, si célèbre dans l’antiquité,
n’a pas encore été retrouvé. La direction des travaux fut confiée à un homme qui connaît admirablement le
pays, où il réside depuis vingt ans, M. Démosthène Baltazzi. Pendant deux ans, M. Baltazzi a été attaché,
en qualité de commissaire impérial, aux fouilles de l’Ecole française à Myrina. On peut dire qu’il a été

57) Erreur de Reinach, puisqu’Edhem Pacha avait été grand vizir pendant une année, de février 1877 à janvier 1878,
pour ensuite être nommé ambassadeur à Vienne. Depuis mars 1883 il n’était que ministre de l’Intérieur, poste qu’il
occuperait jusqu’en octobre 1885.
58) De 1835 à 1838.
59) De mars 1879 à mars 1882.
60) “Et le plus ottoman des Parisiens” ajoutera Reinach dans sa nécrologie d’Osman Hamdi Bey en 1910 (Reinach,
“Hamdi Bey” : 407).
61) Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) :
361.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 25

l’élève de ceux qui travaillaient sous ses yeux, et nous avons pu assister, M. Pottier et moi, à l’éveil de sa
curiosité scientifique, aux progrès rapides qu’il a faits dans la connaissance des monuments, dans
l’intelligence des méthodes rigoureuses sans lesquelles les fouilles ne sont que des razzias sans lendemain.
M. Baltazzi, qui rendait compte autrefois de nos découvertes, veut bien aujourd’hui nous tenir au courant
des siennes : c’est grâce à son obligeance que nous pouvons donner aux lecteurs de la Revue des détails
précis sur le commencement d’une campagne dont on est en droit d’attendre des résultats intéressants,
auxquels nous serons heureux d’être les premiers à applaudir62.

Pourtant il apparut bien vite que la mission d’Osman Hamdi Bey ne s’arrêterait pas à Myrina et
à Grynium. Dès le 4 mai, La Turquie informait ses lecteurs du départ d’Osman Hamdi Bey vers les
provinces orientales de l’empire :

Musée impérial. – Un télégramme annonce que Hamdi bey, directeur du musée impérial a quitté Smyrne
se rendant à Antioche par voie d’Alexandrette.
Hamdi bey a laissé la direction des fouilles de Menemen à son frère Bedri bey, pour aller en entreprendre
d’autres dans les environs d’Antioche en vue de découvrir le tombeau d’Antiochus63.

Certes, ce n’était là qu’un entrefilet, de plus truffé d’erreurs, puisque Bedri Bey, commissaire
impérial, n’était nullement le frère d’Osman Hamdi Bey. Toutefois, on y apprenait son départ
d’Izmir pour Antioche, déjà citée dans des dépêches antérieures. On comprend d’ailleurs que cette
référence à la ville provenait d’une sorte de glissement sémantique : étant donné que l’objectif était
en fait le monument funéraire d’Antiochus, il paraissait logique qu’il fût situé près de la ville qui
portait son nom. En fait, Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi s’étaient embarqués le 27 avril sur
l’Erymanthe, à destination d’Alexandrette.
De son côté, Salomon Reinach suivait le déroulement de l’expédition d’Osman Hamdi Bey, mais
aussi le voyage parallèle organisé par Carl Humann. La description qu’il faisait des préparatifs des
deux équipes à Smyrne laissait entendre que la participation ottomane tenait de la surprise, pour ne
pas dire du fait accompli. Cette fois-ci ce n’était plus Edhem Pacha ou l’administration des postes et
télégraphes qui étaient cités, mais le ministère de l’Instruction publique. Confusion de Reinach, ou
réalité d’un projet quelque peu diffus du gouvernement ottoman ? Toujours est-il qu’après sa
volteface du numéro précédent, Reinach reprenait ici un ton plus critique à l’égard des intentions ot-
tomanes, même s’il finissait par les déclarer inoffensives :

L’infatigable ingénieur [Carl Humann], à peine revenu à Smyrne, s’est embarqué le 30 avril pour la
Commagène avec M. Puchstein, dont le départ avait été retardé jusqu’alors par une maladie assez sérieuse.
Les deux voyageurs ont appris, non sans surprise, qu’ils auraient pour compagnons de voyage le directeur
du musée de Constantinople, Hamdi-Bey, et un sculpteur ottoman nommé Oskan. Hamdi-bey, qui montre
pour l’archéologie un véritable enthousiasme de néophyte, était arrivé à Smyrne quelques jours auparavant,
pour faire connaître à M. Humann la décision du ministre de l’instruction publique qui le chargeait de
prendre part à l’expédition de Commagène64. Jusqu’à présent, les archéologues étrangers faisant les
fouilles en Turquie étaient seuls placés sous la surveillance d’un commissaire ottoman ; il paraît
qu’aujourd’hui le gouvernement turc réclame aussi sa part dans l’honneur des découvertes sans fouilles, et
désire que ses agents ne soient pas devancés par les Européens dans l’exploration des monuments encore
inconnus que renferment les parties inexplorées de l’empire. Les archéologues n’ont pas à s’en plaindre :
accompagnés d’un haut fonctionnaire turc, ils ne feront peut-être pas de plus belles découvertes, mais ils
trouveront meilleur accueil auprès des populations et ne risqueront plus de mourir de faim ni de coucher à

62) Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) :
361-362.
63) La Turquie, 4 mai 1883 : 1.
64) De mai 1882 à septembre 1884, le ministre de l’Instruction publique était Mansurizade Mustafa Nuri Pacha
(1824-1890).
26 EDHEM ELDEM

la belle étoile. Leur amour-propre de savants n’a pas lieu non plus de s’alarmer, car l’honneur des
trouvailles archéologiques appartiennent moins à celui qui les fait qu’à celui qui les comprend et les fait
comprendre65.

On comprend bien que Reinach était partagé entre sa méfiance à l’égard des Ottomans qui
semblaient vouloir souffler aux Européens une bonne part de la gloire archéologique et son désir,
sans cesse réitéré, de trouver un juste moyen permettant d’intégrer les autorités locales avec tous les
avantages qui pourraient en découler. C’est ainsi que sa chronique se terminait sur une note
d’optimisme, allant jusqu’à anticiper une jonction et des travaux en commun qui n’avaient en fait
pas encore eu lieu :

Hamdi-Bey a quitté Smyrne le 27 avril, trois jours avant M. Humann, pour aller l’attendre à Saktsché-
gösü, à quarante kilomètres à l’ouest d’Aintab. M. Humann l’y a rejoint, avec M. Puchstein, au
commencement du mois de mai. A l’heure où nous écrivons, l’exploration du Nimroud-Dagh est sans
doute achevée et les moulages des statues colossales du monument d’Antiochus sont en route pour le
musée de Berlin. L’empereur d’Allemagne a donné 35,000 marcs sur son fonds disponible (Dispositionsfonds),
pour faciliter cette entreprise, qui marquera une date mémorable dans l’histoire de l’archéologie en Asie
Mineure66.

Reinach avait tort d’anticiper. Le rendez-vous qu’il pensait déjà réalisé n’aurait jamais lieu, du
moins pas de la manière dont il avait été prévu. Ainsi qu’en témoigne le carnet de voyage, un premier
contact avait été établi le 1er mai à Alexandrette, entre les deux Ottomans et Felix von Luschan67,
mais ils partirent chacun de leur côté et aucun rendez-vous n’eut lieu à Sakçagözü. En fait ce n’est
que le 2 juin 1883, après qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi eurent terminé leur étude du tumulus
de Nemrud Dağı, que ceux-ci retrouvèrent Puchstein, Humann et von Luschan à Samsat. Après une
journée passée ensemble, les Ottomans se mirent en route vers Urfa, sur le chemin du retour, tandis
que les Allemands se dirigèrent vers Kâhta, première étape de leur ascension de Nemrud Dağı.
Une fois arrivé à Urfa, Osman Hamdi Bey n’avait pas manqué d’envoyer une dépêche à Istanbul,
probablement à ses divers supérieurs qui, à leur tour, en avaient informé la presse. La Turquie se
faisait ainsi l’écho d’une “découverte” ottomane :

Musée impérial. – Le directeur du musée impérial, Hamdi bey, télégraphie d’Orfa qu’il a découvert sur le
mont Nemrod des antiquités d’un haut intérêt qui malheureusement ne sont pas transportables. Hamdi bey
s’occupe d’en prendre les moulures et les photographies68.

65) Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. II (juillet-décembre
1883) : 60-61.
66) Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. II (juillet-décembre
1883), p. 60-61. Voici ce que Humann avait à dire sur leurs départs décalés : “Zugleich traf auf der Direktor des Kaiserlich
ottomanischen Museums in Konstantinopel Hamdy-Bey mit einem jungen armenische Bildhauer Osgan-Effendi ein, um
auch seinerseits den Nemrud-dagh zu besuchen; er reiste uns voraus am 27. nach Alexandrette. Nachdem wir am 28. von
der Kaiserlichen Botschaft unsere Empfehlungs-briefe erhalten hatten, gingen wir am 30. April abends mit allem Gepäck
und zwei Pferden an Bord eines russischen Dampfers, der kurz nach Mitternacht die Anker lichtete” (Au même moment
arriva le directeur du Musée impérial ottoman à Constantinople, Hamdy-Bey, accompagné d’un jeune sculpteur arménien
du nom d’Osgan Effendi, avec l’intention de visiter Nemrud-Dagh ; il nous précéda donc et partit le 27 pour Alexandrette.
De notre côté, une fois que nous reçûmes le 28 nos lettres de recommandation de l’ambassade impériale, nous partîmes le
30 avril au soir avec tous nos bagages et deux chevaux à bord d’un bateau russe qui leva l’ancre peu après minuit)
(Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 158).
67) Felix von Luschan (1854-1924) était un savant allemand dont les compétences s’étendaient de la médecine à l’eth-
nographie et de l’anthropologie à l’archéologie. Il fouilla en Lycie avec Otto Benndorf et découvrit à Zincirli les vestiges
de la ville hittite de Sam’al.
68) La Turquie, 5 juin 1883 : 1.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 27

Or voilà que ce novice – un néophyte, disait Reinach – à peine promu directeur d’une institution
qui tenait encore plus d’un dépôt d’antiquités que d’un véritable musée, était sur le point de souffler
au puissant et prestigieux establishment de l’archéologie allemande la primeur d’une découverte qui,
après tout, lui revenait de droit. C’était un événement sans précédent dont les implications
symboliques paraissent évidentes. On ne connaît que trop bien les liens intimes qui unissaient
l’archéologie au contexte colonial du dix-neuvième siècle. Les territoires ottomans, dont les trésors
archéologiques étaient la cible d’une curiosité et d’une convoitise occidentales depuis le seizième
siècle, fournissaient un des meilleurs exemples de cette communion, même s’il est peut-être excessif
d’appeler coloniale la situation de l’empire au dix-neuvième siècle69. Cet événement pouvait donc
aisément être interprété comme un défi, un acte d’insoumission.
En était-ce vraiment un ? Ou, plutôt, pouvait-on attribuer à Osman Hamdi Bey des velléités
d’autonomie et un véritable désir de défier la présence archéologique occidentale en s’appropriant,
au nom du gouvernement ottoman, un site récemment découvert ? L’hagiographie d’Osman Hamdi
Bey qui voit en lui – non sans raison – un précurseur et un farouche défenseur de l’archéologie
“nationale” le prouverait sans difficulté. De nombreuses anecdotes – il est vrai plus tardives –
relatant les efforts désespérés de cet homme pour sauver sites, monuments et objets des griffes d’ar-
chéologues et de collectionneurs européens n’en sont-elles pas la preuve la plus flagrante70 ? Faut-il
rappeler, par ailleurs, qu’Osman Hamdi Bey fut aussi l’instigateur de la loi sur les antiquités qui, pro-
mulguée en 188471, retirait à ces mêmes archéologues la possibilité de continuer leurs rapines
comme par le passé ?

69) Je me garderai bien d’entrer dans la discussion – souvent stérile – de savoir si, au dix-neuvième siècle, l’Empire
ottoman fut colonisé, semi-colonisé, quasi-colonisé, exploité, périphéralisé ou intégré. Tout terme a sa propre logique et
peut s’appliquer à tel ou tel aspect d’une situation pour le moins complexe. Il suffira de dire, pour les besoins de cette
étude, que, culturellement parlant, la présence occidentale dans l’empire acquit une nature et des proportions que l’on
pourrait difficilement éviter de qualifier de coloniales. Toutefois, et c’est là tout l’intérêt du phénomène, la préservation de
l’autonomie politique de l’état ottoman permit le développement d’une attitude et d’une politique coloniale ottomanes,
dirigées envers la périphérie de l’empire. A la fois colonisés et colonisateurs, civilisés et civilisateurs, l’élite des dirigeants
et intellectuels ottomans furent souvent amenés à vivre et pratiquer cette dualité sans la moindre difficulté ou “schizophrénie”.
Voir à ce sujet les travaux de Selim Deringil, avec qui je partage cette même fascination pour le colonialisme “en poupée
russe” de cette fin d’empire.
70) Ainsi, peu de temps après son décès, le Musavver Nevsâl-i ‛Osmânî (Almanach ottoman illustré) publiait une
longue rubrique nécrologique chantant les louanges du “plus grand peintre et du plus grand spécialiste des antiquités” des
Ottomans. Cette nécrologie se terminait par un paragraphe donnant des exemples de la lutte qu’il avait menée contre les
musées et archéologues européens mais aussi contre Abdülhamid II, maintenant déposé, pour préserver le patrimoine ar-
chéologique ottoman : “Sous l’ancien régime, à force de se battre seul et avec bravoure contre le palais, contre le Musée du
Louvre et contre des forces bien supérieures afin de conserver les objets d’art du Musée ottoman dont Abdülhamid avait
fait don (!) au Musée du Louvre, Hamdi Bey est parvenu à préserver dans les collections du Musée ottoman les œuvres qui
étaient véritablement convoitées. A l’occasion d’une tentative semblable d’un souverain en visite à Istanbul, et connaissant
les tendances de l’ancien régime, il s’adressa à l’ambassadeur de ce souverain et lui déclara avec conviction que dans le cas
où l’on tenterait de sortir le sarcophage de Sidon du Musée, il se suiciderait sur le sarcophage et que son corps quitterait le
Musée avec. C’est ainsi qu’il sauva, pour ainsi dire au prix de sa vie, cette œuvre magnifique qui fait de notre musée le
point de mire du monde des sciences et des arts” (“Hamdi Bey”, Ekrem Reşâd et ‛Osmân Ferîd (éd.), Musavver Nevsâl-ı
‛Osmânî, Istanbul, 1326 : 211, 214).
71) La première loi ottomane sur les antiquités date de mars 1869. Elle fut publiée dans la presse par une circulaire du
ministère de l’Instruction publique en date du 17 mars 1869 (“Loi sur les fouilles archéologiques en Turquie”, Levant
Times and Shipping Gazette, 19 mars 1869 ; “Règlement sur les objets antiques”, Grégoire Aristarchi Bey, Législation
ottomane, Constantinople, 1874, vol. III : 161-162). Elle fut suivie par une seconde loi, en fait un “règlement sur les
antiquités” (Âsâr-ı Atîka Nizâmnâmesi), parue dans le journal officiel du 3 et du 4 Rebiülevvel 1291 (20-21 avril 1874)
(Aristarchi, Législation ottomane, vol. III : 162-167). Cette loi prévoyait le partage égal du produit des fouilles autorisées
entre le trésor, l’inventeur et le propriétaire du terrain ; quant à l’exportation du produit des fouilles, elle ne l’interdisait pas
mais la soumettait simplement à une procédure d’enregistrement auprès du ministère de l’instruction publique. La
troisième loi des antiquités, résultant d’un projet soumis par Osman Hamdi Bey, fut promulguée le 23 Rebiülahir 1301 (21
février 1884). Cette nouvelle loi, qualifiée de draconienne par certains archéologues européens comme Salomon Reinach,
annulait l’article sur le partage du produit des fouilles et interdisait formellement l’exportation de toute antiquité (George
Young, Corps de droit ottoman, Oxford, 1906, vol. II : 389-394). Il faut noter qu’en matière de “protectionnisme”,
28 EDHEM ELDEM

Le bilan que dresserait Salomon Reinach à la mort d’Osman Hamdi Bey en 1910 est assez
révélateur des sentiments mitigés qu’avait provoqués sa politique protectionniste dans les milieux
archéologiques occidentaux. Reinach reconnaissait et soulignait avant tout le caractère “national” de
l’œuvre d’Osman Hamdi Bey :

La Turquie lui doit ce qu’elle n’aurait jamais eu sans lui : un admirable musée d’antiques, une bibliothèque
archéologique, une école des beaux-arts florissante, un service régulier des monuments archéologiques et
des fouilles, la fin, ou du moins le commencement de la fin des dilapidations et du vandalisme. La France,
sa seconde patrie, celle de sa jeunesse et de son esprit – car il était Turc de cœur, exclusivement Turc – lui
doit la plupart des facilités qu’ont trouvées nos savants dans leurs recherches d’archéologie grecque et
orientale72.

Il y avait un bémol, toutefois. Après ces louanges de son défunt ami, Reinach ne pouvait
s’empêcher de placer un petit mot critique sur l’action d’Osman Hamdi Bey. Une note en bas de
page rappelait ainsi que la législation d’Osman Hamdi Bey avait peut-être légèrement dépassé les
bornes de l’admissible :

J’ai assez critiqué, dans cette Revue, les lois que fit promulguer Hamdi pour n’avoir pas à y revenir ici. Ces
lois des antiquités (1884, 1906) sont vraiment draconiennes et un peu décourageantes pour les fouilleurs
étrangers ; mais il faut dire que l’amabilité d’Hamdi et son esprit conciliant en facilitèrent singulièrement
l’application73.

Cette flexibilité semble bien avoir caractérisé la manière dont Osman Hamdi Bey réussit, tout au
long de sa carrière, à maintenir un savant équilibre entre les exigences d’une politique défensive – voire
par moments agressive – à l’encontre des archéologues et gouvernements européens, et la nécessité
de ne pas se mettre à dos les puissants réseaux scientifiques et diplomatiques occidentaux qui
voyaient d’un très mauvais œil toute emprise locale sur un patrimoine qu’ils revendiquaient aussi
bien intellectuellement que matériellement. J’ai décrit ailleurs l’intelligence et la persévérance avec
laquelle Osman Hamdi Bey avait assumé ce rôle ingrat et avait réussi à en tirer un pouvoir et un
prestige qui lui avaient assuré la reconnaissance et la visibilité nécessaires pour être admis sur un
pied d’égalité dans le monde de la science74. Devant tant d’indications de l’existence d’une politique
sciemment menée dans la perspective d’une intégration dans le monde occidental de la science, il
paraît difficile d’imaginer que la décision de monter une expédition pour “découvrir” le tumulus
d’Antioche n’ait pas fait partie d’une vision plus large de revendication d’un rôle qui avait jusque-là
été refusé aux Ottomans ou tout simplement considéré comme une fantaisie sans avenir. La reprise

Osman Hamdi Bey avait de qui tenir. En effet, son père, İbrahim Edhem Pacha, avait déjà eu un différend avec Hormuzd
Rassam, archéologue britannique, qui fouilla en Irak d’abord sous la direction de Austen H. Layard, puis pour compte du
British Museum. Lorsqu’en 1877, Rassam sollicita d’Edhem Pacha, alors grand vizir, l’autorisation de poursuivre ses
fouilles en Mésopotamie qui avaient été interrompues depuis la guerre de Crimée, celui-ci lui fit répondre que cela
dépendait uniquement de la volonté du sultan, mais qu’il était en tout cas nécessaire d’établir une convention entre
l’Angleterre et l’Empire ottoman au sujet des missions archéologiques. Ce projet de convention, proposé par Edhem Pacha
et calqué sur une convention similaire passée entre l’Allemagne et la Grèce, prévoyait que le trésor ottoman conserverait la
totalité du produit des fouilles, que l’Angleterre aurait le droit exclusif d’en faire des copies et moulages et que les deux
parties se réserveraient les droits de publication des résultats. Rassam, scandalisé par ces conditions, attribuait ce zèle pro-
tectionniste à l’expérience d’Edhem Pacha en tant qu’ambassadeur à Berlin et à Athènes (où il n’avait jamais été en poste !)
(Hormuzd Rassam, Asshur and the Land of Nimrod. Being an Account of the Discoveries Made in the Ancient Ruins of
Niniveh, Asshur, Sippar Naim, Calah, Babylon, Borsippa, Cutha and Van, Cincinnati, 1897 : 55-56).
72) Reinach, “Hamdi Bey” : 407-408.
73) Reinach, “Hamdi Bey” : 408, n. 1.
74) Edhem Eldem, “An Ottoman Archaeologist Caught Between Two Worlds: Osman Hamdi Bey (1842-1910)”,
David Shankland (éd.), Archaeology, Anthropology and Heritage in the Balkans and Anatolia: The Life and Times of
F. W. Hasluck, 1878-1920, Istanbul, 2004, vol. I : 121-149.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 29

en main du musée par un directeur ottoman et musulman en 1881, la création d’une Ecole des
Beaux-Arts en 1882, la preuve par l’action de la capacité des Ottomans à entreprendre des fouilles et
à en publier les résultats en 1883 : autant d’étapes indispensables avant de porter le coup de grâce,
l’année suivante, avec le passage à une législation extrêmement protectionniste, “draconienne” selon
Salomon Reinach.
Il faut reconnaître que le résultat était probant. L’ouvrage d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi
fut bien reçu. Dans la Revue archéologique, c’est Georges Perrot, le directeur de publication, qui
rendit compte de cette première contribution ottomane à l’archéologie :

L’ouvrage du directeur actuel du musée impérial ottoman est consacré à la description d’un monument
curieux qui a été découvert, il y a deux ans, dans l’ancienne Commagène, par le docteur Otto Puchstein,
découverte dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs d’après les rapports sommaires que M. Puchstein
a présentés à l’Académie de Berlin. Sa première visite à Nemroud-Dagh n’avait été qu’une reconnaissance
sommaire. Au printemps de 1883, une expédition nouvelle fut organisée, par l’initiative et aux frais de
l’Académie de Berlin, pour que M. Puchstein et M. Humann, le premier auteur des découvertes de
Pergame, pussent exécuter un relevé complet des restes de ce vaste sanctuaire funéraire, construit à plus de
deux mille mètres de hauteur, sur le sommet d’une montagne qui domine toute la contrée. Hamdy-Bey et
Osgan-Effendi se joignirent à cette seconde expédition ; ils firent exécuter pour leur compte des travaux de
déblayement sur l’emplacement du sanctuaire, ils levèrent le plan, ils copièrent les inscriptions, et,
devançant le travail que préparent les explorateurs allemands, ils offrent au public, dès maintenant, le
résultat de leurs recherches75.

Comment faut-il lire ce texte ? On voit bien que Perrot avait une tendance – presque incons-
ciente ? – à minimiser le rôle joué par les deux Ottomans : l’accent est mis sur Puchstein et Humann
pour parler de la découverte, du relevé et de l’étude du site, tandis que les auteurs semblaient avoir
eu une part secondaire dans l’opération. Ce n’était d’ailleurs pas entièrement faux, si l’on considère
que le carnet de voyage, tel qu’il avait été conservé jusqu’à nos jours, contenait une traduction en
français, sur feuilles volantes, du rapport d’Otto Puchstein sur “un voyage au Kurdistan”, présenté à
l’Académie royale des sciences de Berlin le 11 janvier 1883, que je donne en annexe76. En d’autres
mots, il était clair qu’Osman Hamdi Bey s’était d’abord fait traduire le rapport de Puchstein et s’était
ensuite mis en route muni de ce précieux outil. Il s’inscrivait donc dans la suite de la première
mission de Puchstein et les fréquentes références au savant allemand dans le texte – certaines
trahissant un désir latent de le contredire et de lui trouver des erreurs – confirmaient à quel point il
était véritablement tributaire des expéditions qui l’avaient précédé. On comprend dès lors que Perrot
remarquait, avec, semble-t-il, un léger ton de désapprobation, que les Ottomans avaient “devancé”
les Allemands en publiant le Tumulus. C’était là un résultat quelque peu inattendu et qui dut
surprendre plus d’un membre de la communauté scientifique. Il semble en effet qu’Osman Hamdi
Bey ait sciemment voulu damer le pion aux Allemands en créant cet effet de surprise. Départ
anticipé, rendez-vous manqué, travail à la hâte, publication en un temps record, utilisation d’un
imprimeur local – Loeffler, “lithographe de S.M.I. le Sultan”77 – peut-être afin de ne pas éventer l’af-
faire… Tout cela contribue à faire penser qu’il s’agissait effectivement d’une opération ayant pour
objectif de marquer le territoire au nom du gouvernement et de le faire au prix d’une course contre la
montre, tant sur le terrain que dans le monde de l’édition scientifique.

75) Georges Perrot, “Le Tumulus de Nemroud-Dagh”, Revue archéologique, 3e série, t. III (janvier-juin 1884) :
270-271.
76) Voir infra, p. 85-96.
77) Typographie et lithographie F. Loeffler, lithographe de S.M.I. le Sultan, place du Tunnel, 29, Péra : Indicateur
ottoman illustré. Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de l’administration et de la magistrature Constantinople,
1883 : 280, 412, annonces : 31.
30 EDHEM ELDEM

C’est probablement ce qui poussa Perrot à consacrer la suite de sa recension à consoler les
Allemands. En les assurant que leur honneur d’inventeurs était sauf et en faisant glisser l’effet de
surprise vers la nature incongrue d’un Turc s’adonnant à l’archéologie, il dédramatisait l’affaire et
pouvait ainsi conclure sur une note optimiste en suggérant que le véritable travail était encore à venir
et qu’il serait vraisemblablement allemand :

MM. Puchstein et Humann ont peut-être regretté la hâte qui semble leur enlever l’honneur de mettre les
premiers sous les yeux des savants le plan de cet étrange monument et la reproduction des sculptures qui
le décoraient ; ils auraient tort de rester sous cette impression : personne n’ignore à qui appartient
l’honneur de la découverte, et d’ailleurs ils ont lieu d’être fiers que celle-ci, par son importance, ait été
l’occasion d’un événement tout à fait imprévu. N’est-ce pas une nouveauté des plus inattendues que la pu-
blication, par un Turc des plus authentiques, d’un ouvrage d’archéologie et d’épigraphie ? Sans doute
MM. Puchstein et Humann pourront ajouter beaucoup à l’ouvrage de leur prédécesseur […]78.

Encore une fois, il n’avait pas tout à fait tort ; le Tumulus ne fut suivi d’aucune étude ottomane et
le site fut désormais étudié par les Allemands, ce qui confirme probablement l’impression que ce qui
comptait pour Osman Hamdi Bey, c’était d’avoir marqué le premier point. Vu sous cette optique, le
Tumulus était une véritable réussite. Certes, l’ouvrage n’était pas parfait et comportait quelques
erreurs de taille, sur l’identité d’Antiochus, sur l’identification de certaines têtes monumentales, ou
sur la datation du château de Kâhta ; mais peu importait, puisque l’objectif premier avait été atteint :
les Ottomans avaient désormais un musée, un directeur de musée, un archéologue, des fouilles et une
publication scientifique…
Il ne faudrait pas en conclure que le tour était joué et qu’Osman Hamdi Bey avait acquis les
lettres de noblesse qui lui ouvriraient les portes des instituts et des académies d’Europe. Le Tumulus
avait été bien reçu, mais il en fut tout autrement de la loi sur les antiquités de 1884. Consulté sur ce
point par le ministre de l’Instruction publique français, Ernest Renan ne mâchait pas ses mots :

Ce règlement, triste témoignage des idées enfantines que l’on se fait dans le gouvernement turc sur les
choses scientifiques, marquera une date néfaste dans l’histoire de la recherche des antiquités. Je partage
entièrement les vues de Mr le marquis de Noailles sur les conséquences funestes qu’aura ce document. Les
prescriptions du nouveau règlement équivalent à une interdiction absolue des fouilles dans l’Empire Otto-
man79.

On était encore loin du compromis que Reinach viendrait à exprimer à la mort d’Osman Hamdi
Bey qu’il considérait depuis longtemps comme un ami et un collègue. Pour le moment il avait encore
toutes ses preuves à faire et ce n’est vraiment qu’une fois que la nécropole de Sidon sera découverte
en 1887, ses sarcophages exposés en 1891 et publiés en 1892 qu’Osman Hamdi Bey pourra
finalement commencer à cueillir les fruits de près d’une décennie d’efforts ininterrompus pour
prouver l’existence et la légitimité de l’archéologie ottomane.

*
* *

Je terminerai cette analyse du récit par une étude du contexte culturel et mental dans lequel il se
déroule. Ainsi que j’en faisais état dans l’introduction, l’un des aspects les plus fascinants de la vie et
de l’œuvre d’Osman Hamdi Bey est son caractère orientaliste, si tant est qu’on puisse se mettre

78) Perrot, “Le Tumulus de Nemroud-Dagh” : 271.


79) Archives du Ministère des affaires étrangères, B 47/10, Fouilles archéologiques, 1884-1895, lettre d’Ernest Renan
au ministre de l’Instruction publique, Paris, 31 mars 1884.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 31

d’accord sur l’usage à faire de ce terme. La véritable découverte de l’Orient par Osman Hamdi Bey
remonte à son séjour à Bagdad, de 1869 à 1871. Sans revenir sur le détail de ce que j’ai étudié
ailleurs80, je me contenterai de souligner le fait que l’expérience d’Osman Hamdi Bey à Bagdad était
avant tout de nature politique et de saveur idéaliste. Il s’agissait des sentiments et ambitions d’un
jeune homme qui venait de quitter Paris et qui croyait à la nécessité – et probablement à la possibi-
lité – de “civiliser” le système, des administrateurs aux tribus nomades du désert et des habitants de
Bagdad à ce qu’il appelait le “bourgeois” ottoman. Le carnet de voyage de Nemrud ainsi que les pho-
tographies qui l’accompagnent se démarquent complètement de cette attitude de jeunesse en adoptant
un ton plus beaucoup plus scientifique, très axé sur une perspective anthropologique et ethnographique.
Les deux compagnons de voyage étaient de toute évidence en train de “découvrir” un environnement
humain qui leur était extrêmement étranger. Certes, cela avait été vrai de Bagdad aussi, mais cette
fois-ci Osman Hamdi Bey était sans attaches, sans mission à accomplir, sans combat à mener, sans
révolte à mater, sans pacha à suivre et sans père à impressionner… Il en résulte un récit – rédigé par
Osgan Efendi dans les conditions discutées plus haut – plus clame, plus posé, dominé par la
curiosité, l’observation et une certaine recherche d’exotisme.
Le contexte plus calme et moins politique du voyage de 1883 n’exclut pas pour autant la
présence d’un discours fortement empreint d’orientalisme et frisant souvent le colonialisme. Même
si Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi étaient tous deux sujets ottomans, la distance qui les séparait
de leurs concitoyens locaux était telle qu’elle provoquait des réactions qui s’apparentaient fortement
à celles de voyageurs occidentaux en Orient. S’il est vrai que cet état d’esprit était déjà très présent
dans sa correspondance de Bagdad, notamment lorsqu’il reprenait des clichés comme le “noble
Bédouin”, son appartenance à l’équipe administrative du gouverneur Midhat Pacha le mettait dans
une situation de puissance qui tendait à masquer toute velléité romantique par un discours politique
et pragmatique. En 1883, Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi étaient seuls dans une nature sauvage,
deux dignes représentants des valeurs universelles de l’art et de la culture en quête des vestiges du
monument funéraire d’un souverain de l’hellénisme tardif. Certes, ils représentaient tout ce qu’il y a
de plus typique dans la division coloniale du travail en matière de science et de connaissances, mais
le simple fait qu’ils étaient tellement isolés explique qu’ils aient eu une attitude beaucoup moins
hautaine à l’égard de la population locale qu’Osman Hamdi Bey dix ans plus tôt.
D’ailleurs cette fois-ci l’élément “indigène” n’était plus l’Arabe et le Bédouin, si présents dans
la correspondance de Bagdad, mais presque uniquement le Kurde. Le ton utilisé pour décrire l’envi-
ronnement humain était généralement jovial et empressé, sensible à toutes les expressions de respect
et d’affection des locaux :

Nous arrivâmes après 2 ¾ heures de marche à Veli Aga Obasi. Veli Aga qui est le chef de cette tribu quasi
nomade [de] Turcomans qui peuplent Amik Ovassi nous reçut avec toute cette cordialité patriarcale qui est
une particularité caractéristique de ces peuplades ; coup sur coup trois cafés sans sucre etc. nous furent
offerts, avec force excuses de ne pouvoir mieux nous faire les honneurs de son oba81.

Les références à l’hospitalité et à l’amitié revenaient sans cesse, d’autant plus que les deux
voyageurs dépendaient de l’accueil que leur feraient les populations locales pendant leur périple de
deux semaines.

Nous atteignîmes bientôt tout un bois de chênes que nous traversâmes et au milieu duquel nous
rencontrâmes des tentes de Kurdes nomades entourés d’un grand nombre de bœufs, de vaches, de chèvres,
de juments et de poulains, tous en liberté ; c’était une vraie fête, elle n’a duré qu’une heure et demie car
nous aperçûmes que nous étions déjà arrivés à Ordou-Keuy où nous avions décidé de passer la nuit82.

80) Eldem, Un Ottoman en Orient.


81) Mercredi 20 avril/2 mai 1883, voir : 46-47.
82) Mercredi 20 avril/2 mai 1883, voir : 47.
32 EDHEM ELDEM

Le charme des scènes observées et la simple générosité de leurs hôtes faisaient partie du bagage
orientaliste, non sans rappeler le mythe du bon sauvage. Lorsqu’un certain Gulli Bey, “chef kurde”
du village de Sakçagözü les accueillit chez lui, ce geste fut immédiatement qualifié de “cette
hospitalité empressée qu’on trouve chez tous les peuples de l’Orient”83. Quelques jours plus tard,
lorsqu’ils arrivèrent au village d’Eğridere, ce fut au tour de l’intendant d’un agha de faire preuve de
la même hospitalité :

Lui-même était absent, c’est son intendant qui a fait les honneurs de la maison avec la plus parfaite
bonhomie. Il commença par nous faire égorger un agneau et lui comme plusieurs paysans sont venus nous
offrir des roses pour nous souhaiter la bienvenue84.

La même scène se répétait presque tous les jours, dans chaque village où ils étaient accueillis
avec les mêmes expressions de déférence. C’était souvent l’occasion de réjouissances qui ravissaient
nos explorateurs. Des danses, des mariages, toute sorte de célébrations et de rituels étaient ainsi
notés et décrits avec enthousiasme :

Comme depuis hier soir nous entendions le bruit d’une grosse caisse dans les environs, nous en avions
demandé la cause et on nous avait dit qu’il y avait une noce dans un village voisin nommé Milélis. En
moins d’une heure nous y arrivâmes mais malheureusement la danse avait cessé85.

Parfois, les échanges de bons procédés pouvaient déboucher sur des scènes dont l’ironie
n’échappait pas à nos observateurs. Ainsi, lorsqu’ils arrivèrent à Milelis chargés des roses que les
villageois d’Eğridere leur avaient offertes, ils furent accueillis par le chef, İbrahim Kâhya, mais ne
manquèrent pas d’offrir “galamment nos roses à une jeune femme qui travaillait (Fathma)”86.
Un des moments les plus forts du voyage semble avoir été la traversée de la rivière Göksu en
faisant usage des services d’une tribu locale, spécialisée dans le transport des voyageurs d’une rive à
l’autre. Le ton était amusé, un peu railleur et assez condescendant :

Ce sont les habitants d’un village nommé Kulafhuyuk qui aident les voyageurs à traverser le fleuve. Une
bande de ces paysans ayant à leur tête deux derviches qui jouaient de gros tambours de basque et
chantaient à tue tête, sont venus au devant de nous, nous saluant et baisant pieds, mains et étriers à Hamdy
Bey. Rien n’est plus amusant et plus pittoresque que de voir tous ces bonshommes, les uns tout nus et les
autres en chemise seulement, prenant voyageurs et bagages sur leur dos ou guidant les chevaux en plein
soleil à travers les eaux rapides du fleuve et les nombreux bancs de galets qui les entrecoupent. Nous
fûmes les premiers à nous livrer dans les mains de ces hommes habiles et vigoureux qui nous firent
traverser le fleuve, poussant des cris et adressant des prières ferventes au bon Dieu et à ses saints pour que
la traversée soit heureuse. Une fois de l’autre côté de l’eau, nous assistâmes à la traversée de nos hommes
et de nos bagages qui dura près d’une heure et demie parce que chaque fois il fallait que ces hommes
retournent de l’autre côté, ce qu’ils faisaient tantôt à la nage et tantôt à gué87.

Ce contexte combinant orientalisme et colonialisme devient d’autant plus évident lorsqu’on voit
nos voyageurs arriver à Adıyaman où ils furent accueillis par le major commandant la garnison
locale. Le contraste entre le bourg – “un grand village [où] à part quelques rares maisons à étages,
tout le reste se compose de quatre murs sans fenêtres et dont les toits sont couverts de terre” – et la
caserne – “En dehors de la ville se trouve une caserne assez grande et très proprement tenue où fait

83) Dimanche, 24 avril/6 mai 1883, voir : 53.


84) Jeudi, 28 avril/10 mai 1883, voir : 55.
85) Vendredi, 29 avril/11 mai 1883, voir : 55.
86) Vendredi, 29 avril/11 mai 1883, voir : 56.
87) Samedi, 30 avril/12 mai 1883, voir : 57.
LE VOYAGE ET SON RÉCIT 33

garnison un bataillon de soldats de ligne” – est déjà révélateur du genre de situation coloniale
caractérisant la coexistence de la population locale avec les forces gouvernementales88. Autre
obstacle culturel, celui de la langue, le turc n’étant que très rarement parlé, au point de noter leur
rencontre avec un chef kurde qui “seul parlait un peu le turc”89. Mais rien ne pouvait mieux décrire
l’abîme qui séparait les officiers ottomans des “indigènes” que la petite fête organisée par le major
en l’honneur de ses hôtes :

Le binbachi qui nous invita à dîner nous donna un spectacle fort intéressant en faisant danser une vingtaine
de soldats kurdes. Cette danse nationale des Kurdes consiste à se diviser en deux rangs et à se suivre à une
vingtaine de pas en dansant et en chantant et au bout de cette course se mettre en face l’un de l’autre et se
frapper les mains avec son vis-à-vis. Puis la même manœuvre se répète en sens inverse et ainsi de suite90.

On n’est pas loin des fantasias en Algérie ou des spectacles similaires organisés dans les empires
coloniaux britannique et français pour des visiteurs métropolitains ou, de plus en plus, pour des
touristes. Toutefois, il est intéressant de noter que malgré la prédominance d’un contexte fortement
orientaliste et colonial, le ton du récit reste beaucoup moins agressif qu’à Bagdad. Certes, on
trouvera toujours des passages usant d’un ton condescendant ou moqueur pour décrire les mœurs
locales. Beaucoup plus rarement, les propos peuvent même se faire insultants, tel le commentaire
justifiant l’attribution de la tâche de déblayer la neige à un Kurde : “Nous laissâmes le soin de ce
travail à un Kurde de Horik dont l’intelligence et la bonne volonté nous parurent suffisantes pour
mener la chose à bonne fin”91. Ce sont là toutefois des exceptions qui confirment la règle d’une
attitude plus “douce” et plus décontractée que dix ans auparavant, face aux populations de Bagdad et
du désert irakien. Le mot magique de “civilisation”, si présent dans la correspondance de Bagdad
n’apparaît pas une seule fois dans ce journal ; de même, on ne ressent aucune inquiétude au sujet de
l’insoumission éventuelle de la population locale. D’une manière générale c’est donc un orientalisme
qui trouve son expression dans une dimension anthropologique et ethnographique, loin de soucis
politiques et libre de jugements essentialistes.
On pourrait bien sûr voir dans cet adoucissement l’effet de la plume d’Osgan Efendi qui, en tant
qu’Arménien sans véritable fonction officielle, était peut-être enclin à un orientalisme moins
politique et plus bienveillant. Il me semble toutefois que ce raisonnement vaut aussi pour Osman
Hamdi Bey dont la nouvelle occupation, culturelle et scientifique, était fort différente de son premier
poste d’administrateur à Bagdad. Artiste depuis longtemps, désormais homme de science et de
culture, probablement échaudé par une expérience bureaucratique assez instable, il semble bien
qu’Osman Hamdi Bey ait découvert dans l’archéologie une nouvelle vocation qui lui permettait de
découvrir une dimension scientifique esthétique à l’orientalisme.
Le passage d’une attitude active, voire agressive, visant à réformer – ou tenter de réformer –
l’Orient à celle, plus détachée, d’un observateur curieux et sensible à l’esthétique se révèle au mieux
dans la collection de photographies qui accompagne le carnet de voyage à Nemrud. Si l’on en
excepte les clichés purement archéologiques qui documentaient le site et ses monuments, la grande
majorité des photographies reprenaient des vues et des scènes dont la population locale était
rarement absente. Parmi celles-ci, les plus surprenantes étaient probablement celles qui combinaient
archéologie et ethnographie en faisant poser des individus auprès des têtes monumentales du
tumulus. Même si ces poses avaient l’avantage de donner immédiatement un ordre de grandeur et un
sens des proportions, il est clair que l’objectif premier de ces prises était de souligner les ressemblances

88) Dimanche, 1/13 mai 1883, voir : 57.


89) Vendredi, 29 avril/11 mai 1883, voir : 56.
90) Dimanche, 1/13 mai 1883, voir : 57-58.
91) Mercredi, 4/16 mai 1883, voir : 61.
34 EDHEM ELDEM

entre le costume des autochtones et celui de leurs ancêtres d’il y avait plus de deux mille ans. Il n’est
guère surprenant de voir qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi aient cédé à la tentation de ces
exercices de style anachroniques. C’était là l’illustration d’un des principes fondateurs de l’orientalisme,
l’idée d’un Orient “figé”, incapable de changer dans le temps ; de plus, Osman Hamdi Bey avait déjà
eu recours à ce genre de raccourci historique dans les Costumes populaires qu’il avait coproduit avec
Marie de Launay en 1873 et où les auteurs remarquaient que les Kurdes de Mardin portaient des
braies semblables à celles des Mèdes et des Perses, et que l’on croirait que leur costume était
“détaché d’un bas-relief trouvé dans les ruines dites de Nimroud”92. Il suffit de voir les poses très
différentes prises par les auteurs eux-mêmes pour se rendre compte à quel point les “indigènes”
étaient utilisés comme les éléments d’un décor esthétique et ethnographique.
La plupart des photographies mettant des individus locaux en scène étaient plus ouvertement
ethnographiques. Un petit nombre replaçait ces individus dans le contexte de l’expédition en les
associant aux deux “blancs” qui dirigeaient les opérations. L’image d’Osman Hamdi Bey, archéologue,
effectuant un moulage et assisté par un local tendant un plat en est un bon exemple, dans un style
purement documentaire. En revanche, une image semblable mettant en scène Osgan Efendi attelé à
la même tâche acquiert un style tout à fait différent en raison du vieux sage oriental qui le regarde
pensivement : on en retire l’impression qu’Osman Hamdi Bey, derrière l’appareil, a voulu créer une
composition artistique, une sorte de tableau.
D’autres clichés étaient purement et simplement ethnographiques dans le sens documentaire du
terme, n’ayant d’autre sujet que des individus locaux, photographiés dans des poses un peu guindées
ou devant une des colonnes du tumulus de Karakuş (photos 12, 15 et 16)93. La population locale était
ainsi intégrée par les deux voyageurs dans leur effort de documentation de la région qu’ils visitaient :
“Ce matin nous avons photographié quelques types de Kurdes, le château et les cascades”94. Malheu-
reusement, étant donné que le journal ne relève et ne décrit pas systématiquement la plupart des
prises de vue, nous n’avons que très peu d’indices permettant de reconstituer leurs intentions
d’origine. Ainsi, la description haute en couleurs de la traversée de la rivière Göksu se terminait par
la décevant réalisation qu’ils n’étaient pas parvenus à fixer cette scène sur leurs plaques de verre :
“Malheureusement les deux photographies que nous fîmes de ces spectacles pittoresques ont
complètement manqué au développement”95. Un autre commentaire confirme que certaines de ces
images étaient l’objet de préparatifs sérieux : “nous photographiâmes dans la cour le Kurde Ismaïl
Aga à cheval en deux différentes poses”96. D’autres images, enfin, faisant preuve d’un encore plus
grand effort de composition et de mise en scène ressemblent à de véritables tableaux vivants,
formant en quelque sorte le summum de la toile orientaliste…

92) Osman Hamdi et de Launay, Costumes populaires : 235 et partie III, pl. XXIII. Cette remarque a déjà été faite par
Ahmet Ersoy dans son “Sartorial Tribute” : 194. Toutefois, il se trompe en disant que la référence est au tumulus de
Nemrud Dağı – qui ne serait découvert que huit ans après la publication des Costumes – alors qu’il s’agit du site de Birs
Nimroud, près de Hilla, dans l’Irak septentrional.
93) Ce cliché est commenté dans le texte : “Nous donnons aussi une photographie d’une bande de Kurdes nomades
dont les tentes étaient dressées à proximité du tumulus et qui étaient venus là poussés par la curiosité, nous voir travailler.
Ce sont des gens d’un aspect doux, très affables et surtout fort serviables” (Vendredi, 6/18 mai 1883, voir p. 62).
94) Dimanche, 8/20 mai 1883, voir : 63.
95) Samedi, 30 avril/12 mai 1883, voir : 57.
96) Samedi, 21 mai/2 juin 1883, voir : 71 et, probablement, photo 78.
CARNET DE VOYAGE
TEXTE ET NOTES
Carnet de voyage d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi : 58-61, 16-18 mai 1883.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 37

Dimanche le 10/22 avril 1883


Départ de Smyrne pour Ali-Aga Tchiftlik97 dans le golfe de Tchandarli98.
Après avoir dîné chez Mr Margossian99 à Smyrne à onze heures et demie nous sommes allés chez
Messieurs Baltazzi nos amis et compagnons de voyage à Ali-Aga où ils possèdent d’immenses pro-
priétés100. De là nous nous sommes rendus directement sur le quai où un charmant petit bateau
destiné à notre voyage nous attendait. Le bateau s’est mis en marche à une heure de la nuit, et après
le plus heureux et le plus agréable des voyages nous sommes arrivés à notre destination à huit
heures. Des canots sont venus nous chercher ; nous nous sommes mis dans une grande barque tous et
cinq minutes après nous étions sur la terre ferme. Nous sommes allés à la maison de Messieurs
Baltazzi située à quelques minutes de distance de l’échelle. Là nous avons trouvé la plus cordiale
hospitalité, la table était déjà prête et après avoir fait un bon dîner, nous sommes allés nous coucher
à dix heures quand le jour commençait déjà à poindre101.

97) Ali Ağa Çiftliği : littéralement, la ferme d’Ali Ağa, petite localité se trouvant au fond de la baie de Aliağalimanı et
au nord-est de Yenifoça (Phocée) (Türkiye, 1948, pl. Ayvalık).
98) Çandarlı Körfezi : golfe situé entre Pergame (Bergama) et Menemen et prenant son nom du petit bourg de
Tchandarli (Çandarlı) (Ş. Sâmî, Kâmûs’ül-A‛lâm, t. 3, Istanbul, 1306 : 1866). “Tchandarli, dont le nom grec est aujourd’hui
Atarnios, n’est plus qu’un bourg assez misérable, aux rues étroites, tortueuses et tellement solitaires, qu’on les dirait
inhabitées. Ses environs sont un peu plus animés, bien que l’on n’y rencontre pas de villages, mais seulement quelques
fermes (tchiftliks) appartenant à des particuliers, et des campements de nomades turcomans. L’unique monument de cette
bourgade est une forteresse génoise, encore presque intacte. Cependant il est à croire que les fouilles que l’on y ferait
seraient fructueuses, car souvent l’on découvre en labourant la terre des restes intéressants de l’antiquité” (Vital Cuinet, La
Turquie d’Asie. Géographie administrative. Statistique descriptive et raisonnée de chaque province de l’Asie-Mineure,
t. III, Paris, 1894 : 476-477). La baie d’Aliağalimanı constitue un des nombreux renfoncements du golfe de Çandarlı
(Türkiye, 1948, pl. Ayvalık). “On appelle Port d’Ali-Aga une baie peu profonde, mais bien abritée contre les vents du large,
que forme le golfe de Tchandarly entre la presqu’île d’Arap Tchiflik au sud-ouest et l’embouchure du Kodja-Tchaï au nord-
est. Le village d’Ali-Aga s’élève depuis un demi-siècle, un peu à l’est au fond de la baie” (Pottier et Reinach, Nécropole de
Myrina : 19).
99) Margossian était de toute évidence un ami arménien d’Osman Hamdi Bey. Parmi les nombreux Margossian
figurant dans l’Annuaire Oriental, il nous a été impossible d’identifier avec précision le personnage qui apparaissait déjà à
deux reprises dans la correspondance d’Osman Hamdi Bey de Bagdad (Eldem, Un Ottoman en Orient : 72, 74). Il est
possible, voire probable, que le Margossian en question n’était autre que l’“élève diplômé de l’Ecole impériale des ponts et
chaussées” qui fit partie de la commission scientifique impériale ottomane formée en 1867 pour étudier l’exposition
universelle qui se tint à Paris cette année-là. Etant donné qu’Osman Hamdi se trouvait alors à Paris et qu’il collabora, sans
toutefois faire partie de la commission, à cette mission scientifique, il est tout à fait plausible que ce fût là un ami parisien
avec lequel il conserva par la suite des relations amicales (Paul-Louis Josselin, Exposition universelle de 1867. Rapports de
la Commission scientifique impériale ottomane réunie à Paris sous la présidence de S. Exc. Djémil-Pacha, ambassadeur
de S.M.I. le Sultan et la vice-présidence de Salaheddin-Bey, commissaire impérial ottoman près l’Exposition et de
J. A. Barral, membre du jury international chargé de la direction des travaux. Cinquième rapport, Mécanique générale,
Paris, s.d.). Cela expliquerait aussi le désir qu’Osman Hamdi Bey exprimait de le voir à Bagdad en tant qu’ingénieur des
Ponts et Chaussées. Le fait que Margossian apparaisse dans la relation de voyage de Nemrud comme résidant à Smyrne
permet de lever le doute sur son identité et de cerner le personnage avec plus de précision. En effet, une publication du
consul général austro-hongrois à Smyrne sur la province de Smyrne comprend un article sur les inondations du Gediz signé
par un certain C. Margossian, “ingénieur en chef du vilayet de Smyrne et ancien élève de l’Ecole des Ponts et Chaussées de
France” (Charles de Scherzer, La province de Smyrne, considérée au point de vue géographique, économique et intellectuel,
Vienne, 1873 : 233-241). On retrouve d’ailleurs ce même Margossian deux années plus tard comme commissaire de la
construction de la ligne de chemin de fer de Kasaba à Alaşehir, représentant le ministre des Travaux publics qui, à cette
date-là, n’était autre que le père d’Osman Hamdi Bey, Edhem Pacha (Actes relatifs à la concession du chemin de fer de
Smyrne à Cassaba, Constantinople, 1875 : 41-44). En 1903, nous retrouvons Margossian comme ingénieur principal de la
direction générale des Ponts et Chaussées, sous-directeur des chemins de fer et commissaire central du ministère des
Travaux publics (Arbitrage entre le gouvernement ottoman et la compagnie des Chemins de fer orientaux, Constantinople,
1903 : 13).
100) Aristide Bey Baltazzi était le propriétaire de la ferme dite de Kalabassary, sise à Ali Ağa Çiftliği, où furent
découverts les premiers tombeaux de Myrina. Son frère, Epaminondas Baltazzi réunit la première collection de figurines
de terre cuite qui y furent déterrées, collection que découvrit en 1874 Gustave Hirschfeld (Pottier et Reinach, Nécropole de
Myrina, t. I : 1-2). Lors de la visite d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi, ils furent de toute évidence accueillis par MM.
Baltazzi fils, soit Théodore, Démosthène et Epaminondas Baltazzi.
101) L’hospitalité des Baltazzi était légendaire. Ainsi, lors de la première campagne de fouilles en 1880, “M. Aristide
Bey Baltazzi voulut bien mettre à notre disposition son château d’Ali-Aga, situé à cinq kilomètres de la nécropole, et vint
exprès de Constantinople pour faciliter notre installation” (Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. I : 13). On
38 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

Le 11/23 lundi
Voyage d’Ali-Aga à G[rynium]102.
Le matin je me suis réveillé à trois heures ; je suis allé trouver mon ami Hamdy qui s’était levé
avant moi. Théodore103 y était aussi. Nous avons fait notre petite causette jusqu’à cinq heures et
après avoir décidé notre départ pour G[rynium] nous nous sommes mis à table. A six heures les
chevaux étaient prêts. Aussitôt nous nous sommes mis en route ; notre petite caravane se composait
de sept personnes avec un tchavouch104 qui marchait au devant. Notre cavalcade a été très amusante
et très intéressante en même temps. Nous avons côtoyé d’abord la mer pour quelques kilomètres ; et
puis nous avons marché le long d’une mare d’eau très étroite et très longue qu’on nomme Kior-
Tchaï105. Dans les joncs qui poussent sur les bords de cet étang, nous avons vu un très grand nombre
de tortues, quelques minutes après nous avons traversé à gué avec nos chevaux une rivière qu’on
appelle [Kodja-Tchaï]106. L’eau arrivait jusqu’aux genoux des chevaux. A neuf heures nous sommes
arrivés sur les lieux de la prétendue nécropole de Gr[ynium]. Une quinzaine d’ouvriers que nous
avions envoyés le matin de bonne heure avaient déjà ouvert une dizaine de tombeaux ; les uns étaient
déjà violés par des fouilles clandestines107, les autres n’ont pas donné de résultats satisfaisants, nous
[n’]y avons trouvé rien que des pots d’aucune importance datant de l’époque romaine ; ensuite nous
sommes allés voir une belle petite presqu’île que l’on croit être l’emplacement de Grynium et qu’on
appelle aujourd’hui Tchifout-Kalessi108 ; nous y avons aperçu des restes d’une fortification byzantine
et un grand nombre de fûts de colonnes en pierre rouge dont on s’est servi pour construire les tours
d’angle, du côté du continent ; ces colonnes appartiennent probablement au temple d’Apollon très
renommé autrefois et bâti très probablement sur la presqu’île109. Il est à espérer que les fouilles nous
éclairciront là-dessus110. A dix heures et demie nous sommes remontés sur nos chevaux, de vraies
rosses, pour rentrer à la maison ; nous avons repassé la même rivière sur un autre point plus élevé et
nous avons pris la route impériale de Pergame. Derrière nous, nous avons vu tout d’un coup les
montagnes peintes en rouge par les derniers rayons du soleil couchant et coiffées d’épais nuages
noirs ; nous voyions au loin la pluie tomber à verse, mais heureusement nous l’avons échappé
[belle]. A une heure de la nuit nous sommes rentrés, nous avons dîné et on est allé se coucher à trois
heures et demie.

remarquera par ailleurs que l’heure est notée à la turque : une heure de la nuit veut dire une heure après le coucher du soleil,
et le “jour commence à poindre à dix heures” parce qu’il s’agit de dix heures après le coucher du soleil, soit du petit matin.
102) Le nom du site a été laissé en blanc. Il s’agit de Grynium, situé à environ 10 km au nord-est de l’échelle d’Ali
Ağa et qui prenait son nom du temple d’Apollon Grynæus, entièrement disparu (Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina,
t. 1 : 29-30, 33, 36-41 ; t. II, pl. I).
103) Théodore Baltazzi.
104) Çavuş : terme générique décrivant un sergent dans l’armée, ou tout simplement un garde.
105) Kör Çay : littéralement, le ruisseau aveugle. En fait il s’agit de l’ancien lit du Koca Çay (voir n. 120 infra),
détourné pour préserver des salines, ainsi que l’expliquent Pottier et Reinach : “L’ancien lit du Kodja-Tchaï était autrefois
plus au sud, et il est désigné dans le pays sous le nom de Kiort-Tchaï : une partie seulement de cet ancien lit est à sec toute
l’année” (Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. I : 20).
106) De toute évidence, il ne peut s’agir que de cette rivière (voir Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. II, pl. I).
107) “[…] l’attention des paysans avait été mise en éveil par les dernières fouilles ; ils ouvrirent en cachette un assez
grand nombre de tombeaux et vendirent les statuettes à des marchands de Smyrne qui les envoyèrent à Athènes et en
Europe” (Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. I : 2).
108) Çifut ou Çıfıt Kalesi, littéralement le château du ou des Juifs. C’est le toponyme que l’on retrouve sur la carte de
Pottier et Reinach (Nécropole de Myrina, t. II, pl. I) et qui décrit une ruine romaine, probablement une forteresse (Ibid.,
t. I : 33, 41).
109) “Quant au temple d’Apollon [Grynæus], il paraît avoir entièrement disparu” (Pottier et Reinach, Nécropole de
Myrina, t. I : 33).
110) “Le 23 avril, les premiers coups de pioche ont été donnés dans la nécropole jusqu’à présent inexplorée de
Grynium” (Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin
1883) : 362).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 39

Tout ce pays est très riche en gibier ; nous avons vu sur toute la route grand nombre d’alouettes
et dans la plaine au pied de Doumanli Dagh111 des essaims de moineaux qui quand ils prennent leur
essor, font l’effet de nuages qui volent. Le pays est excessivement beau, et la nature ne pouvait
mieux réussir dans son œuvre.

Mardi 12/24 avril


Excursion à Myrina – nous n’avons pas pu y aller à cheval à cause de la crue.
A cinq heures nous nous sommes mis tous dans une barque de l’échelle d’Ali-Aga112, moi,
Hamdy et les trois frères Baltazzi113 ; on a déployé les voiles et après une heure et quart de voyage
avec un vent très favorable et une mer très calme nous sommes arrivés dans le golfe de Myrina ;
j’avais pris le fusil de Monsieur Démosthène114 et aussitôt débarqué j’ai tué une alouette.
La nécropole de Myrina est située sur le versant des deux collines situés à droite et à gauche de
son port. Nous avons visité les fouilles faites par les Français115 et nous avons vu des tombeaux de
trois et quatre étages ; il y en a de différentes dimensions116. Ils sont creusés dans la montagne de
[…]117 et plusieurs contiennent des sarcophages en pierre ou en terre cuite118. Nos ouvriers qui se
sont rendus sur les lieux ce matin de bonne heure, avaient découvert une dizaine de tombeaux sur la
colline à gauche. A notre arrivée on a ouvert les couvercles, les recherches n’ont pas été fructueuses.
Les trouvailles consistaient en quelques fragments de poterie et de fioles d’aucune importance. Ce
n’est que vers dix heures que nous avons découvert sur le point le plus élevé des fouilles, un tombeau
dans lequel nous avons pu trouver des terres cuites et des statuettes ; nous ne les avons pas retirées
de la terre car il était déjà assez tard et nous n’avons plus pensé qu’à notre retour ; nous avons donc

111) Dumanlı Dağ : petit massif situé à environ 15 km au sud-est d’Ali Ağa Çiftliği (Türkiye, 1948, pl. Ayvalık).
Pottier et Reinach situent un Mont Doumanli à environ 8 km à l’est d’Ali Ağa (Nécropole de Myrina, t. II, pl. I). En fait, il
s’agit d’une petite chaîne montagneuse qui s’étend de ce point vers le sud et le sud-ouest.
112) Scala sur la carte de Pottier et Reinach (Nécropole de Myrina, t. II, pl. I).
113) Théodore, Démosthène et, probablement, Epaminondas.
114) Démosthène Baltazzi était lui aussi un des fils d’Aristide Bey Baltazzi. Il prit part aux fouilles de l’Ecole
française d’Athènes à Myrina et devint par la suite inspecteur des antiquités en Asie-Mineure (Pottier et Reinach,
Nécropole de Myrina, t. I : 13). En fait, il semble que Baltazzi ait été plus précisément “directeur du service archéologique
du Vilayet d’Aïdin” (Osman Hamdy Bey et Théodore Reinach, Une nécropole royale à Sidon. Fouilles de Hamdy Bey,
Paris, 1892 : iii).
115) La première campagne de fouilles dura de juillet à septembre 1880, sous la direction de Salomon Reinach et
Edmond Pottier et au nom de l’Ecole française d’Athènes. Elles furent reprises en novembre 1880 par Démosthène
Baltazzi, auquel se joignit Reinach à la fin de l’année, et durèrent jusqu’en juin 1881. Pottier prit la relève d’octobre 1881
à avril 1882. Une quatrième campagne fut entreprise en septembre 1882, cette fois-ci sous la direction d’Alphonse Veyries,
mais elle fut troublée par le décès de ce dernier d’une fièvre typhoïde en décembre, et interrompue suite à un différend avec
les autorités ottomanes à la suite de la promulgation de la loi sur les antiquités de 1884 (Pottier et Reinach, Nécropole de
Myrina, t. I : 13-17). La visite d’Osman Hamdi Bey suivait de près le dernier partage réalisé en janvier 1883 et la suite des
événements fut fortement liée à la loi dont Osman Hamdi Bey avait été le principal instigateur : “Un dernier partage eut
lieu à Smyrne au mois de janvier 1883 et quelques centaines d’objets nouveaux vinrent enrichir la collection de l’Ecole
[française d’Athènes]. A ce moment, le permis accordé par le gouvernement turc était expiré. L’Ecole d’Athènes en
sollicita le renouvellement par l’entremise de l’ambassade de France à Constantinople ; mais le gouvernement turc
répondit qu’il ne pouvait pas accorder de firman à cet effet avant la promulgation du règlement sur les antiquités qui était
alors en préparation. Ce règlement, publié le 21 février 1884, en remplacement de la loi de 1874, interdit absolument
l’exportation des antiquités, et met toutes les dépenses des fouilles à la charge des explorateurs sans leur concéder aucun
droit de propriété sur les objets découverts. Dans ces conditions, il fut jugé impossible de recommencer les travaux. Les
fouilles étaient donc terminées” (Ibid. : 16-17). Cet événement est à mettre en rapport avec l’amertume exprimée par
Reinach au sujet du rôle d’Osman Hamdi Bey dans la promulgation de cette loi dans la rubrique nécrologique qu’il lui
consacra en 1910 (voir : 28 supra).
116) Pour des exemples de tombeaux – dont un à trois étages – voir Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. I,
fig. 4-6.
117) Le nom a été laissé en blanc. Cette colline, située immédiatement à l’ouest du Mont Divlit, n’est nommée sur
aucune des cartes de Pottier et Reinach.
118) Sur les sarcophages voir Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. I : 50-77.
40 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

regagné notre barque et nous sommes partis119. A peu de distance du rivage nous avons eu une mer
très forte et après avoir inutilement erré sur les vagues pendant plus d’une heure et quart sans
pouvoir doubler le cap de Myrina pour entrer dans la baie d’Ali-Aga, nous avons jugé plus prudent
de retourner sur nos pas et nous sommes arrivés à terre à la nuit tombante. L’emplacement de Myrina
se trouve dans les propriétés de Monsieur Baltazzi ; nous nous sommes dirigés vers la ferme voisine,
nous y avons trouvé du lait fraîchement trait et nous en avons bu. Là nous avons donné ordre
d’atteler un char à buffle.
Près de Kodja-Tchai120 nous sommes tous montés dans le chariot et nous avons passé la rivière
près de son embouchure ; notre traversée a été des plus amusantes, c’est inouï ce que nous avons ri,
à un moment donné, à cause de l’inégalité du lit, le chariot s’est tellement penché que nous avons
tous failli tomber à l’eau. Ce point assez tragique de notre retraite nous a procuré la plus favorable
occasion de rigoler. Les buffles nous ont conduits jusqu’à la maison où nous sommes arrivés à deux
heures et demie. Après le dîner nous sommes allés nous coucher de bonne heure car il faut que nous
soyons prêts demain de très bon matin pour partir à Doumanli Dagh.

Mercredi le 13/25 avril


Excursion à Doumanli Dagh121.
Ce matin à deux heures et demie nous sommes partis à cheval, Démosthène et Théodore
Baltazzi, Hamdy et moi accompagnés de trois zaptiés122 et du frère du Yuruk Bey123, qu’on avait fait
venir la veille pour avoir des informations sur l’endroit qui formait le but de notre excursion, car il
demeure dans le village de Tchitak124 situé au pied de Doumanli Dagh. Cet homme avait assisté aux
fouilles qui ont été clandestinement faites dans ces endroits. A moitié chemin nous avons rencontré
Moustafa, le Yuruk Bey qui venait pour nous recevoir ; après deux heures de marche, nous sommes
arrivés au pied de la montagne ; jusque là, la route a été très agréable et nous avons vu des endroits
très pittoresques. La chaîne des montagnes de Doumanli Dagh est d’un aspect très sauvage, ce sont
d’immenses rochers qui finissent à pic. Notre ascension a été assez difficile ; il n’y a aucun sentier et
les versants sont couverts de rochers arides et de grands blocs de pierres volcaniques. Après une
demi-heure de montée, nous sommes arrivés sur une plate-forme. Descendus de nos chevaux nous

119) Le fait qu’Osman Hamdi Bey puisse faire des fouilles est probablement à mettre en rapport avec le fait que le
permis de l’Ecole d’Athènes était expiré et n’avait pas été prorogé (voir n. 115 supra).
120) Koca Çay : littéralement, le grand ou le vieux ruisseau (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Smyrna). D’après Cuinet,
il s’agirait du Hodja-tchaï (Hoca Çay) (Cuinet, Turquie d’Asie, t. III, carte du vilayet de Smyrne, h.t.). “Cette plaine [de
Kalabassary ou Kayalan] est traversée par le Kodja-Tchaï, dont le gué, souvent impraticable en hiver, devient facile en été”
(Pottier et Reinach, Nécropole de Myrina, t. I : 19).
121) “Quelques jours plus tard, on a commencé les travaux dans la nécropole de Doumanli Dagh, c’est-à-dire non loin
de l’emplacement où la carte de Kiepert place Aegae” (Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue ar-
chéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) : 362).
122) Zabtiye : gendarmes.
123) Le chef d’une tribu de nomades connus sous le nom générique de yürük ou yörük. “Les Yuruk, mot qui signifie
“marcheur” et qui sert à désigner, d’une manière générale, toutes les tribus nomades dont se composent les diverses
peuplades appelées “Turkmènes” ou Turcomans ; “tékélis”, subdivisés en ak (blancs), kara (noirs) et sare (jaunes) ;
“tchepni” ; “yaghdji” ; “bédir”, tous éleveurs de bestiaux ou bergers ; “kizil-bach” (tètes rouges) ou “takhtadji” (faiseurs de
planches) pour la plupart, comme ce dernier nom l’indique, scieurs de bois. Plus anciens dans le pays que les Turcs
ottomans et leurs prédécesseurs les Turcs seldjoukides, les Yuruks sont venus comme eux du Turkestan. Depuis quelques
années le gouvernement est parvenu à les fixer au sol en leur distribuant des terrains et en les obligeant à les cultiver ; ce
sont de bons cultivateurs” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. III : 348). “On sait du reste qu’ils sont musulmans de nom, il n’en est
pas de même dans la pratique de leur culte, toute remplie d’usages païens, surtout chez les kizil-bach. Aussi n’y a-t-il réci-
proquement que fort peu de sympathie entre eux et leurs voisins turcs ; ils ont plus de penchant pour les chrétiens. Ils sont
d’ailleurs fort hospitaliers et tiennent à l’honneur de garder la foi jurée” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. III : 352-353).
124) En fait Tchitak ou Çıtak. C’est ce nom que l’on retrouve sur la carte de Kiepert (Kiepert, Kleinasien, 1916,
pl. Smyrna) et sur celle de Pottier et Reinach (Tchitak) (Nécropole de Myrina, t. II, pl. I).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 41

nous sommes dirigés vers nos ouvriers qui travaillaient. Ils avaient déjà découvert les couvercles de
deux tombeaux dans un tumulus oblong, [de] près de 9 m de longueur et 5 de largeur ; c’est un
mamelon qui est entouré d’un mur de 1,80 m de hauteur d’une construction tautonique125, fait avec
les pierres qui se trouvent sur la montagne. Au fond, il y a des tombeaux qui sont couverts d’une terre
rapportée très fine jusqu’à la hauteur du mur extérieur ; nous avons parcouru la montagne et nous
avons vu plusieurs tombeaux du même genre éparpillés sur le flanc de la montagne : c’est une très
vaste nécropole d’un genre et d’un aspect tout à fait différent de celle de Myrina. Elle laisse à
supposer qu’il devait se trouver dans le voisinage une grande ville dont on [n’]a aucun vestige
aujourd’hui. Jusqu’au soir nous y avons découvert cinq tombeaux, quatre grands situés parallèlement
sur une même ligne et disposés de l’est à l’ouest, et un autre petit d’enfant plus à l’ouest et dans la
même direction. L’un des grands a été infructueux, dans les trois autres, nous avons trouvé deux
miroirs, une épingle, six fioles, dont une très jolie en verre mais malheureusement brisée. Dans celui
de l’enfant nous avons trouvé une belle petite statuette, intacte. C’est un petit génie ailé ayant à ses
pieds une oie dont la tête manque126. Nous y avons trouvé aussi quelques fragments de statuettes sans
aucune importance127. A midi nous avons fait un bon petit déjeuner à la belle fourchette près de nos
fouilles.
Nous sommes partis à onze heures du soir et nous sommes allés d’abord à Tchitak chez le Yuruk
Bey qui nous avait invités à dîner. Nous y avons mangé du sadg kébab128 très bien fait avec de la
viande d’agneau, du pilaf et nous avons bu du très bon aïran129 ; nous y avons pris aussi un café,
fumé une cigarette et après avoir remercié nos hôtes nous nous sommes mis en route à douze heures
du soir. Après deux heures de trot nous sommes arrivés à la maison, nous avons dîné et sommes allés
nous coucher de bonne heure, car il faut que nous retournions demain à Smyrne.
En rentrant nous avons examiné les produits de fouilles de Myrina de la journée. Il y a dans le tas
de belles choses, surtout une grosse bague en verre et quelques jolies statuettes, cassées malheureusement
dont il faudra chercher les morceaux et les compléter plus tard.

125) Le mot est parfaitement lisible, mais n’a pas de sens. Reinach donne les précisions suivantes sur le mur en note :
“Les pierres de ce mur demi-circulaire sont en granit noir. Elles sont assemblées sans ciment, à la manière des murs dits pé-
lasgiques ; mais l’on sait que les murs de cet appareil se rencontrent un peu à toutes les époques” (Reinach, “Chronique
d’Orient. Fouilles et découvertes”, Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) : 363, n. 1). Il semble donc que cet
étrange terme – j’espère sans rapport avec teutonique – était censé décrire un mur fait de blocs de pierre assemblés sans
mortier ou ciment.
126) Il faut y voir une pièce semblable à celle reproduite dans les planches de Pottier et Reinach (Nécropole de
Myrina, t. II, pl. XVII/1. Le “génie ailé”, bien sûr, n’est autre qu’un Eros, souvent représenté serrant le cou d’une oie
(Nécropole de Myrina, t. I : 335). Il s’agit peut-être de la statuette nº 2387 du catalogue de Mendel, “Eros debout demi-nu,
à l’oie” (Gustave Mendel, Catalogue des figurines grecques de terre cuite, Constantinople, 1908 : 311).
127) Pottier et Reinach mentionnent au passage “la petite nécropole de Doumanli-Dagh, voisine de Myrina”
(Nécropole de Myrina, t. I : 222). “Quelques jours après, on a commencé les travaux dans la nécropole de Doumanli-Dagh,
c’est-à-dire non loin de l’emplacement où la carte de Kiepert place Aegae. Comme Aegae, suivant toute probabilité, est
beaucoup plus loin dans l’intérieur, à Nimroud-Kalessi, il n’est pas encore possible d’identifier Doumanli-Dagh avec une
des villes de l’Eolide mentionnées par les anciens. Les tombeaux, nous écrit-on, y sont disposés sur une petite esplanade ;
tout autour il y a un mur de construction très ancienne. Un premier tombeau a fourni un miroir de bronze ; le suivant
contenait cinq vases en argile et une petite fiole en verre de couleur jaune foncé, ornée d’une spirale bleue en bas-relief,
malheureusement brisée en morceaux. Tout à côté, un autre tombeau renfermait un miroir de bronze et une aiguille très
bien conservée; enfin, dans une quatrième tombe, on a découvert une figurine en terre cuite haute de 0,17 m, représentant
un éphèbe ailé debout, les bras croisés sur la poitrine, ayant à sa droite une oie qui semble vouloir jouer avec lui. Ces
tombeaux sont construits en pierre de taille et couverts d’une ou plusieurs plaques de granit très épaisses. On y a encore
trouvé différents fragments de terre cuite, de la poterie à reliefs dite samienne et un objet en verre. La pâte des terres cuites
est d’une couleur plus foncée que celle des figurines de Myrina; il faut donc admettre, si ce renseignement est exact,
l’existence d’un centre de fabrication distinct à Doumanli-Dagh” (Reinach, “Chronique d’Orient. Fouilles et découvertes”,
Revue archéologique, 3e série, t. I (janvier-juin 1883) : 362-363).
128) Sac kebabı : littéralement des grillades [sur la] tôle, soit des morceaux de viande grillés sur une plaque métal-
lique.
129) Ayran : boisson consistant en du yaourt dilué.
42 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

Jeudi saint 14/26 avril


Retour d’Ali-Aga à Smyrne
Après avoir fait notre déjeuner et remercié nos hôtes Messieurs Baltazzi pour la cordiale
hospitalité qu’ils nous ont offerte nous avons monté nos chevaux Hamdy, moi et notre domestique
Lambro130 et nous sommes partis à quatre heures moins le quart accompagnés de cinq zaptiés et du
caïmacam131 de Ménémen132 qui était venu la veille à Ali-Aga à la rencontre de Hamdy Bey. Chemin
faisant nous avons rencontré dans les montagnes un petit chameau d’un mois que nous avons
caressé. Plus loin dans la plaine tout près de la route nous avons vu un grand nombre d’aigles qui
étaient rassemblés sur un cheval mort et d’autres qui planaient dans l’air. Arrivés près d’une fontaine
réputée pour la bonté de son eau nous sommes descendus de nos chevaux, nous nous sommes
désaltérés et fait boire aussi nos bêtes, nous avons allumé nos cigarettes et continué notre route ; plus
tard nous sommes arrivés à un café rustique qu’on nous a dit être situé à moitié chemin de la route
d’Ali-Aga à Ménémen. Là nous sommes redescendus de nos chevaux, nous avons pris du café et
fumé nos cigarettes. Dans cette hutte nous avons vu beaucoup de nids d’hirondelles et elles
voltigeaient sur nos têtes. Nous avons traversé le Ghédiz (l’ancien Hermus)133 dans une grande
barque plate, nous et nos chevaux ensemble. Nous sommes arrivés à la gare de Ménémen à
huit heures après quatre heures et quart de marche. Nos chevaux sont repartis pour Ali-Aga ; aussitôt
arrivés nous allons aux lieux134 et quelle drôle et agréable surprise ?!! Nous y rencontrons Monsieur
Margossian ; ce ne fut que des éclats de rire. Nous avons attendu plus d’une heure et demie à la gare
pour l’arrivée du train et sommes arrivés à Smyrne à onze heures et demie135. Nous avons pris une
voiture et sommes descendus devant la maison Margossian. Après le dîner nous avons très
agréablement passé notre soirée en compagnie de Mr et Mme Margossian et de Melle Marie, cousine de
Mr Margossian ; nous avons causé d’un tas de choses et surtout de notre voyage de Nemroud Dagh.
Demain nous partons pour Alexandrette.

Vendredi Saint 15/27 avril


Ce matin je me suis réveillé de bonne heure. Hamdy est allé faire ses visites chez le vali136 et
ailleurs. Moi je suis allé compléter le reste de nos achats avec Margossian ; j’ai pris aussi nos billets
aller et retour pour Alexandrette et à midi nous sommes revenus à la maison et nous avons déjeuné.
Madame Margossian m’a fait cadeau d’un petit sac pour y mettre mon argent qu’elle a cousu elle-
même. A huit heures, après avoir fait nos adieux à Mme Margossian, nous sommes partis pour le
bateau accompagnés de Mr Margossian. Mr Humann est venu à bord pour nous souhaiter un bon
voyage. Nous avons pris du cognac, et nos amis nous ont quittés quelques minutes avant notre dé-
part.

130) Grec, de toute évidence.


131) Caïmacam (kaymakam) : sous-gouverneur d’un district (kaza).
132) Menemen : chef-lieu du kaza du même nom du vilayet d’İzmir et résidence officielle du kaymakam, situé au pied
de Yamanlar Dağı, sur la rive gauche du Gediz, à 26 km au nord d’Izmir (Smyrne). Menemen avait, vers la fin du siècle,
une population de près de 10 000 habitants, dont 5 000 musulmans, 2 279 Grecs orthodoxes, 508 Arméniens grégoriens,
100 Israélites et 1 500 étrangers. “L’aspect de la ville, dominée par la colline où s’élèvent 10 à 12 moulins à vent, est assez
agréable. Les rues principales sont larges, assez bien alignées et éclairées au pétrole” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. III : 487-
488). Ş. Sâmî estime la population de Menemen à 9 387 âmes et dénombre une vingtaine de moulins (Ş. Sâmî, Kâmûs’ül-
A‛lâm, t. 6 : 4454).
133) Gediz : l’ancien Hermus, rivière de l’Anatolie occidentale, prenant sa source dans le sancak de Kütahya,
traversant les kazas de Gediz, Eşme, Kula, Salihli et arrosant la plaine de Magnésie (Manisa) et la ville de Menemen avant
de s’écouler dans le golfe d’İzmir au sud de Phocée (Foça) (Ş. Sâmî, Kâmûs’ül-A‛lâm, t. 5 : 3831).
134) Aux lieux d’aisance, probablement.
135) Il s’agit de la ligne Smyrne-Kassaba (İzmir-Kasaba) concédée à une compagnie anglaise en 1863 et prolongée
par la suite jusqu’à Alaşehir. Le trajet de Menemen à İzmir en chemin de fer, d’après Cuinet, durait 1 h ¼ (Cuinet, Turquie
d’Asie, t. III : 395, 488).
136) Vali : gouverneur de province (vilayet).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 43

Nous sommes partis vers les dix heures du port de Smyrne sur le bateau français l’Erymanthe
avec le temps le plus favorable. Dans le bateau nous avons fait la connaissance d’un monsieur
autrichien et de sa dame et celle d’une personne de Smyrne qui voyageait avec nous première classe.
Nous avons beaucoup causé et de toutes espèces de choses.

Samedi Saint 16/28 avril


Aujourd’hui nous avons eu un temps superbe. A huit heures du soir, nous sommes arrivés à
Rhodes, le bateau devant y stationner trois heures. Nous avons pris une barque et nous sommes allés
voir la ville qui est excessivement intéressante au point de vue historique et artistique ; la rue des
Chevaliers est une merveille d’architecture malheureusement tout est négligé et faute de soins de
conservation, ce merveilleux échantillon de l’art du moyen âge, va bientôt disparaître ; j’ai vu
plusieurs arcades qui menaçaient de s’écrouler, des murs fendus et crevassés qui ne manqueront pas
de tomber aussi bientôt. En fait de bibelots nous n’y avons rien trouvé. Nous sommes allés chez un
Grec, marchand d’antiquités où nous n’avons rien vu de joli et par conséquent rien acheté. Nous
sommes revenus au bord de la mer où nous nous sommes assis et avons pris un café et une limonade.
A dix heures nous avons regagné notre bateau et quelques minutes après nous nous sommes
éloignés, en emportant avec nous le doux souvenir de la plus profonde admiration, et des grandes et
belles pâquerettes que j’y ai cueillies.

Dimanche (Pâques) 17/29 avril


Toujours même beau temps, seulement le vent sud-est a dominé toute la journée. Nous avons
toujours côtoyé le littoral. La chaîne des montagnes des Taurus137 se montrait sous un imposant
aspect, couverte de neige sur les plus grandes hauteurs.
A huit heures du soir nous avons doublé le cap Anamour138 et un immense et superbe château
crénelé en parfaite conservation s’est offert à nos regards139. Ce château est situé au fond de la baie
sur le bord de la mer, et éclairé comme il l’était en plein soleil, nous avons pu le voir distinctement
au moyen d’une longue vue que le commandant a bien voulu nous prêter. A peu de distance

137) “La principale chaîne de montagnes qui limite au nord le vilayet d’Adana est celle du Taurus, ainsi nommé du
mot syrien Tor, qui signifie montagne. Dans le sandjak d’Itch-Il, les contreforts du Taurus se dirigent vers la mer ; ils
prennent le nom d’Ala-dagh” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 24).
138) Cap Anamur (Anamur Burnu) : le cap le plus méridional de toute l’Asie Mineure, à 15 kilomètres au sud-ouest
de Tchorak (Çorak). Ce cap tient son nom de la ville et du port antiques d’Anemorium dont les ruines se trouvent un peu au
nord du cap (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 86 ; Türkiye, 1946, pl. Konya).
139) Le château de Mamourié (Mamuriye) : “A quelques kilomètres à l’est de l’échelle d’Anamour se trouve un petit
cours d’eau qui se jette dans la mer et que l’on peut passer à gué ; au delà, à la distance d’un kilomètre, on voit sur la plage
se dresser la masse imposante du château de “Mamourié” encore intact, à l’exception d’une grosse tour du côté de la mer,
dont un pan s’est écroulé. […] Le château de Mamourié forme un vaste quadrilatère. Les murailles de sa grande enceinte,
qui est flanquée de grandes tours et occupe un espace de plus d’un kilomètre carré, ont plus de six mètres d’épaisseur.
A l’intérieur même de leur maçonnerie, ces murailles contiennent des passages souterrains. Un large fossé, qui probablement
était alimenté par le fleuve dont l’embouchure est voisine, les entoure. Ce fossé est continu de trois côtés, le quatrième
baigne dans la mer ; il ne permet l’accès de la forteresse que par un pont en pierre conduisant à une porte monumentale. Il
existe deux autres portes, mais on ne pouvait entrer par celles-ci qu’au moyen d’un pont-levis dont on voit encore la trace.
L’intérieur de la forteresse est divisé en deux parties, séparées par une grosse muraille et des tours. L’une de ces parties
contient, à l’angle sud, du côté de la mer, une forteresse intérieure formée d’une enceinte de murailles et de trois grosses
tours ; c’est une de ces trois tours qui s’est en partie écroulée. Chacune des deux divisions du château est munie de vastes
citernes qui recevaient l’eau du fleuve voisin par des conduites dont la trace est encore visible.
Quelques-uns attribuent la construction de ce château à Alexandre-le-Grand. Sur une des portes on remarque, il est
vrai, une inscription en caractères grecs, qui paraît être très ancienne ; il semble impossible de la déchiffrer ; mais le style
de l’édifice, dans tout son ensemble, est celui du temps des Croisades. Il est donc à croire que, très anciennement, il a en
effet existé en cet endroit une forteresse ; mais que ce château a été réparé, ou même reconstruit par les croisés ou par les
rois de la petite Arménie. Le château de Mamourié défend la plaine de Tchorak.
Vers 1840, le gouvernement y fit de sérieuses réparations, et une garnison l’occupa ; c’est à cette époque que furent
construits la mosquée et le minaret qu’on voit dans la première cour ; mais cette occupation dura peu. Il y a une dizaine
44 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

d’Anamour140, nous avons vu le cap Cavalier141. Au pied du versant gauche de ce promontoire se


trouve le port de Kiz-liman, petite ville composée d’une trentaine de maisons142. Elle est dominée
par un château très grand, située à une hauteur assez élevée sur la côte. Ce château nommé Softa-
kalé143 a les murs et les tours crénelés, et a été bâti comme le château d’Anamour par les croisés. A
droite en ligne droite d’Anamour, j’ai pu voir les montagnes de Chypre, j’ai envoyé un salut à mon
frère, je passais si près de cet endroit qui le renferme sans que je puisse le voir. C’est un regret qui me
restera jusqu’au moment où je pourrai l’embrasser144 !!!
Il est trois heures de la nuit le vent domine toujours et le ciel est tout couvert de nuages. Je vais
rentrer dans ma couchette. Je me suis encore réveillé à sept heures de la nuit, il tombait une pluie tor-
rentielle.

Lundi (Pâques) 18/30 avril


Nous sommes arrivés ce matin à Mersine145 avant le jour avec une pluie battante. Nous avions le
projet d’aller voir Tarsous146 à deux heures de distance de Mersine, mais la pluie n’a pas cessé de
tomber jusqu’à midi. Nous n’avons même pas été voir la ville qui a d’ailleurs un aspect assez

d’années, les autorités de Tchorak voulurent de nouveau utiliser ce château et particulièrement les tours de la forteresse
intérieure ; quelques réparations et aménagements furent exécutés dans ce but. Un an après, l’écroulement de l’une des
tours détermina une seconde fois l’abandon de Mamourié. Il est aujourd’hui laissé aux sangliers et aux autres animaux
sauvages” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. III : 84-85). Ce château (Mamuriye Kalesi) est situé à environ 7 km à l’ouest de
Bozyazı et 10 km à l’ouest de Softakalesi (Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Antalya ; Türkiye, 1953, pl. Silifke ve Mersin
Cenubu). Kiepert appelle ce château Anamur Kalesi (Mamuriye) (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Ermenek).
140) Anamour (Anamur), échelle se trouvant à 15 km à l’est du cap du même nom et à 3 km de Tchorak (Çorak), chef-
lieu du kaza d’Anamour. “Cette échelle n’est pas un centre de population ; on y trouve seulement quatre constructions
occupées par la Quarantaine, la Dette publique et la Douane” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 83).
141) Pointe de Cavalero ou cap Cavalier selon Cuinet, ce promontoire devient Ovacık Burnu sur la carte au 1/500 000
de 1946 (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 21, carte du vilayet d’Adana, h.t. ; Türkiye, 1946, pl. Adana). La carte ottomane de
1337 conserve toutefois ce nom franc sous la forme de Kavaliyere (Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Antalya). En fait, il y
a méprise de la part de l’auteur du récit, puisque le cap qui se trouve à peu de distance d’Anamur n’est pas le cap Cavalier
ou Ovacık Burnu, mais Kızıl Burun (la pointe rousse) (Türkiye, 1953, pl. Silifke ve Mersincenubu).
142) Kız Limanı (port de la jeune fille), apparaît sur la carte ottomane de 1337 pour décrire le promontoire situé à
l’extrémité orientale du golfe d’Anamur (Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Antalya). Sur des cartes plus récentes, ce cap
prend le nom de Kızıl Burun (la pointe rousse) et la baie qui se trouve immédiatement à l’ouest Kızılburun limanı. La
trentaine de maisons dont il est question étaient probablement situées à l’emplacement de Fındıklı (Memâlik-i Osmâniyye,
pl. Antalya) ou de l’actuel de Çubukkoyağı qui, en effet, se situe au fond de cette baie et au pied de Softakalesi (Türkiye,
1953, pl. Silifke ve Mersincenubu). Kiepert utilise à la fois Kız Limanı et Kızıl Liman pour décrire ce cap (Kiepert,
Kleinasien, 1916, pl. Ermenek).
143) Softa Kale : littéralement château de l’étudiant en théologie ou du bigot. “A 5 kilomètres de Boz-Yazi, sur le haut
d’une montagne escarpée et presque à pic, à 3 ou 400 mètres d’élévation, se trouve un château nommé Softa-Kalé, dont les
imposantes constructions, qui restent encore debout presque intactes, couvrent une étendue considérable. Au pied de cette
forteresse, on remarque des ruines assez importantes et des sarcophages” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 86). Ce château
apparaît sous le nom de Softakalesi sur les cartes ottomanes et républicaines de la Turquie (Memâlik-i Osmâniyye, 1337,
pl. Antalya ; Türkiye, 1946, pl. Adana ; Türkiye, 1953, Silifke ve Mersincenubu).
144) Il s’agit probablement de Dikran Osgan, mais j’ignore s’il était établi ou simplement de passage à Chypre
(Kürkman, Ermeni Ressamlar, vol. 2 : 677).
145) Mersine (Mersin), chef-lieu du kaza du même nom avait, selon Cuinet, une population d’environ 9 000 habitants,
dont 5 000 musulmans, 2 700 Grecs orthodoxes, 860 Arméniens et 260 catholiques latins. “La ville actuelle de Mersine,
bâtie régulièrement, au fond d’une très vaste rade, à 40 kilomètres environ au sud-ouest de Tarsous, et à 67 kilomètres en
ligne directe d’Adana, plaît à l’œil du voyageur qui débarque sur une belle place, bien entourée, agrémentée d’une fontaine
aux eaux jaillissantes” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II, Paris, 1891 : 50-51).
146) Tarsous (Tarsus), l’ancienne Tarse, était l’un des sites les plus remarquables de la région. “Dans son état actuel,
Tarsous, qui n’occupe guère plus du quart de la superficie de l’ancienne ville de Tarse, paraît triste, avec ses rues étroites et
tortueuses et ses bazars ouverts”. La ville comptait 16 à 18 000 habitants – dont 8 à 10 000 musulmans – en hiver mais se
vidait largement en été lorsque la population aisée fuyait la chaleur de la ville et se réfugiait dans les montagnes
environnantes (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 44-47).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 45

misérable car le bateau mouillait à une heure de distance147. Le soir nous avons quitté Mersine à dix
heures du soir, nous avons rencontré le vent, en route, le bateau s’est arrêté vers les douze heures à
cause d’un dérangement de la machine, nous y avons perdu une demi-heure jusqu’à ce qu’on l’ait
arrangée. Le vent devenait de plus en plus fort et les vagues grossissaient. A une heure la mer était
très forte, le bateau tenait bien la mer, le roulis était très fort ; à quatre heures nous sommes allés nous
coucher et à neuf heures du matin nous étions devant Alexandrette148. Nous avons dormi sans avoir
aucune connaissance du sort du bateau jusqu’à notre destination. Le port était excessivement agité et
nous avons eu toutes les peines du monde à débarquer avec nos bagages.

Mardi (Pâques) 19/1er mai


Arrivés à Alexandrette à neuf heures du matin, nous nous sommes levés ; aussitôt Hamdy et le
Dr von Luschan sont allés à terre, moi je suis resté dans le bateau jusqu’à ce qu’on ait débarqué tous
nos bagages. Le port étant fortement agité, je n’ai pu gagner la terre qu’au prix de beaucoup de
difficultés. Nous avons été reçus par le caïmacam, nous avons changé de costume, mis nos bottes,
déjeuné et à sept heures et demie nous sommes partis d’Alexandrette accompagnés d’un zaptié et du
caïmacam. Nous avons mis deux heures pour arriver à Béilan149. En route nous avons rencontré un
vieil Arménien, brave homme, qui est venu avec nous jusqu’à Béilan, je lui ai parlé arménien.
A Béilan nous avons été reçus par le caïmacam avec beaucoup d’empressement.
Béilan est un charmant endroit situé dans une vallée entourée de montagnes ; on voit tomber des
cascades partout et tout cela est d’un aspect très pittoresque150.
Nous avons dîné et couché, chez un vieil Effendi et le matin nos bagages étaient montés et nos
chevaux prêts nous sommes partis accompagnés de deux zaptiés.

Mercredi 20/2 mai


Nous avons quitté Béilan aujourd’hui à onze heures du matin et après avoir traversé Giaour
Dagh151 à travers un nombre incroyable de chameaux, les uns allant et les autres venant en file, nous
sommes arrivés en trois heures et demie à Kerek Han152 situé au bas du versant opposé vers l’est du

147) “La rade de Mersine, très vaste, mais peu profonde, ne permet aux navires de s’ancrer qu’à une distance de plus
d’un mille du rivage. En revanche, le mouillage est très sûr et les bâtiments y sont complètement à l’abri” (Cuinet, Turquie
d’Asie, t. II : 21).
148) Alexandrette (İskenderun), chef-lieu du kaza du même nom du vilayet d’Alep avait, selon Cuinet, une population
de 6 850 âmes, dont 3 255 musulmans, 3 553 chrétiens et 42 Israélites. Le même auteur note toutefois que quelque vingt-
cinq ou trente années auparavant – vers 1860 – Alexandrette “n’était qu’une misérable bourgade de trois à quatre cents
habitants, tous en proie aux fièvres paludéennes engendrées par les marais des alentours”. L’expansion de son activité
commerciale et des travaux d’assainissement avaient permis à la ville de se développer assez rapidement (Cuinet, Turquie
d’Asie, t. II : 202).
149) Béilan (Beylan, aujourd’hui Belen), chef-lieu du kaza du même nom du sancak d’Alep d’une population de 4 200
habitants dont 4 000 musulmans et 200 chrétiens. Cette ville était située à 15 km d’Alexandrette et à 2 km du col de Beylan
(connu sous le nom des Portes syriennes (Syriæ Pylæ) dont dérive probablement le nom de Beylan (Cuinet, Turquie d’Asie,
t. II : 221-222). D’après Ş. Sâmî, la ville comptait 8622 habitants (Ş. Sâmî, Kâmûs’ül-A‛lâm, t. 2 : 1443).
150) “Cette petite ville est un séjour très agréable. Bâtie dans un style pittoresque, entourée de vastes plantations de
mûriers, au milieu de sources qui ne taisent jamais, son climat doux et salubre y attire pendant toute la durée des chaleurs,
chaque été, les habitants aisés des villes voisines, et particulièrement les riches négociants d’Alexandrette” (Cuinet,
Turquie d’Asie, t. II : 222).
151) Gâvur Dağı : littéralement la montagne des infidèles, sommet le plus élevé (2 500 m) du Djébel-Bereket
(Cebel-i Bereket), embranchement de la chaîne du Taurus, partant du nord-ouest du vilayet d’Alep et longeant sa limite
occidentale sur environ 155 km du nord-ouest au sud-ouest, à travers les kazas d’Andérin, d’Alexandrette et de Béïlan
(Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 154). Le nom de Gâvur Dağı ou de Cebel-i Gâvur était aussi donné à toute la contrée connue
sous le nom de Cebel-i Bereket (un des sancak du vilayet d’Adana) (Ibid. : 101). Cette chaîne de montagnes est aujourd’hui
connue sous le nom de Nur Dağları (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
152) Kırıkhan : littéralement le han (caravansérail) “cassé” ou en ruines. C’est là le nom qui apparaît sur les cartes de
la période ottomane au 1/400 000 ainsi que sur celles, plus tradives, au 1/500 000 de 1946 et au 1/200 000 de 1948
(Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Adana ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Adana ; Türkiye, 1946, pl. Hatay ; Türkiye, 1948,
pl. Kilis). Toutefois, Cuinet indique sur sa carte du vilayet l’existence au même emplacement d’un Kourou Han (Kuru Han,
46 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

Giaour Dagh. Déjeuner œufs et poulets et yagourd153. Le khan où nous avons fait notre halte était
tenu par un Arménien d’Eghin154 ancien domestique de Mr Bertrand, consul de France à Alep.
(Il parlait même français.) Nous nous sommes mis [en route] à quatre heures et prenant une direction
vers le nord-est, nous longeâmes le Giaour Dagh ayant à notre droite toute l’étendue d’Amik
Ovassi155 bordé à l’est par le Kurd-Dagh156. Nous traversâmes dans ce parcours un grand nombre de
petits ruisseaux, les uns plus gais que les autres et nous remarquâmes que tous étaient bordés de
lauriers roses qui malheureusement n’étaient pas encore en fleur. Sur notre parcours, nous rencontrâmes
une grande variété d’oiseaux qui très peu sauvages et n’ayant encore connu aucun chasseur
babillaient avec confiance à deux pas de nous. Ils nous procurent l’occasion de penser souvent à la
petite Leyla157. Nous arrivâmes après 2 ¾ heures de marche à Veli Aga Obasi158. Veli Aga qui est le
chef de cette tribu quasi nomade [de] Turcomans159 qui peuplent Amik Ovassi nous reçut avec toute

soit le han “sec”). Toutefois, aucune indication dans la description du vilayet d’Alep ou du kaza de Beylan ne vient
confirmer cette appellation qui provient probablement d’une erreur de l’auteur (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II, carte du
vilayet d’Alep, h.t.).
153) Yoğurd : yaourt.
154) Eğin – Aghn ou Akn (source) en arménien – rebaptisée Kemaliye sous la République, était le chef-lieu du kaza
du même nom, rattaché au sancak de Kharpout (Harput) du vilayet de Mamouret-ul-Aziz (Mamuret’ül-Aziz) connu aussi
sous le nom de Harput. La ville comptait, selon Cuinet, 19 000 habitants dont 11 439 musulmans et 7 561 Arméniens
grégoriens (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 363). La forte présence d’une communauté arménienne était une des particularités
de cette ville, mais plus encore, le fait que cette communauté avait, depuis le dix-septième siècle, fourni un grand nombre
de sarrafs ou banquiers, dont les plus puissants avaient joué un rôle primordial dans la vie financière et politique d’Istanbul
aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Eğin elle-même comptait encore au dix-neuvième siècle un nombre impressionnant
de banquiers et de gros négociants arméniens, même si vers la fin du siècle, cette présence tendait à s’effacer : “Les deux
principaux quartiers de cette ville ont des rues aussi irrégulières que les autres, mais bien pavées ; c’est là que demeurent
les négociants, les riches fabricants et les banquiers. Le nombre de ces derniers était autrefois plus grand qu’aujourd’hui, et
l’on comptait parmi les habitants d’Eghin de hauts fonctionnaires et des anciens ministres de la Sublime-Porte. Leurs
descendants ont laissé, par leur insouciance et leur paresse, dépérir leurs biens et leur fortune, et sont eux-mêmes déchus de
la situation élevée qu’ils occupaient” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 364).
155) Amik Ovası : plaine d’Amik (Amouk pour Cuinet), prenant son nom du lac du même nom, connu aussi sous les
noms de mer d’Antioche, Akdeniz (mer Blanche) ou lac de Beylan (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 148). “La plaine
d’Amouk, près d’Antioche, est le centre principal où se récoltent d’énormes quantités de racines de réglisse, dont
l’exportation forme la spécialité de plusieurs maisons de commerce établies à Antioche” (Ibid. : 143). “La récolte des
racines de réglisse, dans la plaine d’Amouk, s’élève chaque année à des quantités énormes. Enfin, cette même plaine
nourrit un très grand nombre de bestiaux, principalement de race bovine, et fait, pour cette branche de production agricole,
une concurrence active aux éleveurs du sandjak de Marach” (Ibid. : 199). “Toute la partie septentrionale de la plaine
d’Amouk arrosée par le Kara-sou est comprise dans ce caza [de Béilan] ; c’est précisément la moins marécageuse ; aussi la
culture des céréales n’y est-elle pas moins prospère que l’élève des bestiaux” (Ibid. : 223).
156) Kürd Dağı : la montagne kurde ou des Kurdes. Aucune indication dans Cuinet ou sur la carte de 1946 d’une telle
montagne. La carte de Cuinet appelle Lerla dagh et Giavour dagh (Gâvur Dağı) les montagnes constituant la limite est de
la plaine d’Amik (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II, carte du vilayet d’Alep, h.t.). Il apparaît toutefois que ce nom était donné à
plusieurs montagnes où des tribus nomades kurdes furent sédentarisées par le gouvernement ottoman : “Usant tantôt de
rigueur, tantôt de persuasion, [le gouvernement] est enfin parvenu, après maints efforts et maintes luttes, à la soumettre (la
population kurde) entièrement et à lui donner pour demeures fixes les montagnes de Djébel-Bereket dans le vilayet
d’Adana, du Djébel-Salhïe en Syrie, et du Djébel-Kilissé dans le vilayet d’Alep, lesquelles portent depuis lors le nom de
Kurd-Daghy, c’est-à-dire ‘Montagne des Kurdes’ ” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 125).
157) Il s’agit probablement d’une référence à Leyla (1870-1950), la fille d’Osman Hamdi Bey, née de son premier
mariage avec une Française dont nous ignorons malheureusement le nom.
158) Veli Ağa Obası. Un oba est un campement de tribu nomade. Le fait que cet oba était nommé après le chef de la
tribu ne fait que confirmer le caractère éphémère de ces installations. Il ne faut donc pas s’étonner de ne trouver aucun lieu-
dit de ce nom sur la carte de Cuinet ou sur celles de Kiepert, de 1337, 1946 et 1948. Notons par ailleurs que l’auteur, dans
les lignes qui suivent, a tendance à confondre les termes d’oba (campement nomade) et d’ova (plaine). Il est possible que
l’emplacement de Veli Ağa Obası corresponde à celui de Tshorshu/Çarşu/Çarşı (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Adana ;
Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Adana).
159) Dans sa description du vilayet d’Adana, Cuinet regroupe les Turcomans ou Turkmènes et les Kurdes sous une
même catégorie de nomades, tout en soulignant que, malgré des mœurs et usages semblables, ces deux peuplades se
différentient par leurs origines. Il note par ailleurs que “ces deux races se mêlent volontiers et forment entre elles des tribus
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 47

cette cordialité patriarcale qui est une particularité caractéristique de ces peuplades ; coup sur coup
trois cafés sans sucre etc. nous furent offerts, avec force excuses de ne pouvoir mieux nous faire les
honneurs de son oba. Après avoir pris une heure de repos en sa compagnie, nous nous mîmes en
route, toujours dans la direction du nord-est et bientôt en traversant des cimetières turcs nous fûmes
frappés d’y rencontrer à plusieurs reprises des tambours de colonnes dont on s’était servi comme
pierre tombale. Ces tambours de colonnes qui prédisaient un monument quelconque dans ces
parages, étaient en pierres basaltiques et mesuraient 48 cm de diamètre. Bientôt nous aperçûmes à
notre droite et à peu près à une demi-heure de distance de Veli Aga Obassi un petit monticule où nous
crûmes apercevoir des restes de construction160. Nous nous y rendîmes aussitôt et en effet nous
constatâmes l’existence d’une construction essentiellement romaine, d’une forme rectangulaire dont
un côté était terminé par un demi cercle. Il serait difficile de dire d’une façon absolue la destination
de cette construction, mais tout nous porte à croire que vu l’analogie de ses matériaux avec les
tambours de colonnes dont nous venons de parler nous pouvons dire que cet édifice avait des
colonnes dont l’ordre nous serait impossible à déterminer n’ayant vu aucune moulure, aucun
chapiteau qui puisse nous initier.
Nous continuâmes notre chemin toujours dans la même direction et toujours en traversant de
charmants petits ruisseaux bordés de lauriers et en nous amusant avec une foule d’oiseaux qui
avaient l’air de s’étonner de notre apparition au milieu d’eux. Nous atteignîmes bientôt tout un bois
de chênes que nous traversâmes et au milieu duquel nous rencontrâmes des tentes de Kurdes
nomades entourés d’un grand nombre de bœufs, de vaches, de chèvres, de juments et de poulains,
tous en liberté ; c’était une vraie fête, [mais] elle n’a duré qu’une heure et demie car nous aperçûmes
que nous étions déjà arrivés à Ordou-Keuy161 où nous avions décidé de passer la nuit. Ordou Keuy
est un des villages fondés il y a 19 ans par le Ferkaï Islahié162 à la tête duquel se trouvait Derviche
Pacha163 ; ce village était primitivement installé plus à l’est et une petite rivière, affluent du Kara
Sou164 le traversait. Aujourd’hui ce n’est plus qu’un amas de ruines, car les Turcmens qu’on y avait
colonisés l’abandonnèrent ; un petit nombre de maisons seulement s’est installé précisément à
l’endroit où nous avons passé la nuit. Ce que nous appelons des maisons ne sont que des misérables
huttes, rectangulaires construites en jonc et ayant la double destination de servir d’abri aux bêtes et
aux hommes165. C’est dans une de ces huttes, la plus importante sans doute du village, que nous

nomades”. Les tribus nomades de la région furent progressivement sédentarisées par les autorités ottomanes, surtout après
l’épidémie de choléra de 1865 qui les avait sensiblement affaiblies. Malgré le fait qu’elles aient souvent été forcées à se
bâtir des demeures en dur, la plupart de ces tribus n’en conservèrent pas moins leur train de vie nomade et l’oba/tribu de
Veli Ağa semble en avoir été un exemple typique (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 6-7).
160) Kiepert note la présence de ruines byzantines à 5 km au nord de Tshorshu/Çarşu. La distance paraît un peu
excessive pour une demi-heure de marche si l’on accepte que Veli Ağa Obası se trouvait à l’emplacement de Çarşu
(Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Adana).
161) Orduköy : le village de l’armée. Cette localité apparaît sur la carte ottomane au 1/400 000 et sur celle de Kiepert
(Urdu K.) à environ 12 km au sud-ouest de Hassa (Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Adana ; Kiepert, Kleinasien, 1916,
pl. Adana). Il semble donc que cette localité soit devenue aujourd’hui Aktepe/Güvenç dont la distance à Hassa (environ
12 km) correspond parfaitement à cette localisation (Türkiye, 1948, pl. Kilis). Notons par ailleurs que le nom de ce village
en dit long sur la nature de cet établissement qui fut crée à la suite de l’expédition “réformatrice”/punitive de Derviş Pacha.
162) Fırka-i Islâhiye : “division réformatrice”, nom donné à un corps expéditionnaire chargé, en 1866, de pacifier la
région au-delà des Taurus et de l’Amanus, en soumettant par la force les populations locales jugeées dangereuses et en
installant à leur place des immigrés du Caucase.
163) Lofçalı İbrahim Derviş Pacha (1817-1896), commanda la quatrième armée de février 1864 à janvier 1866 et la
cinquième armée de janvier 1866 à octobre 1867. Plusieurs fois commandant de corps d’armée et gouverneur de province,
Derviş Pacha fut généralissime pendant quelques mois en 1876. Son dernier poste fut celui de gouverneur de Salonique de
1880 à 1882 (Kuneralp, Osmanlı Erkân ve Ricali : 81).
164) Karasu : cette rivière prend sa source dans les montagnes situées à l’est d’Islâhiye et se jette dans le lac d’Amik
(Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 147).
165) “Les villages n’ont que des huttes en pisé ou en briques crues, souvent même faites de roseaux ou de broussailles
et composées de deux ou trois pièces pour les gens aisés ; les autres se contentent d’une chambre” (Cuinet, Turquie d’Asie,
t. II : 116).
48 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

passâmes la nuit. Nous y dressâmes nos lits de camp après avoir mangé un agneau que nous avons
fait rôtir sur le feu en plein air. A une heure nous allâmes nous coucher.
Dans le coin opposé de la hutte, nous avions pour voisins des veaux et des génisses qui
couchaient en même temps que nous. Mais il nous a été impossible de fermer les yeux jusqu’au
matin à cause des hurlements des chiens, des beuglements de bœufs et de vaches, des ânes qui n’ont
pas cessé de braire toute la nuit et surtout des puces, et je crois même des poux qui nous ont dévorés
jusqu’au matin.

Jeudi 22/3 mai166


Ce matin à peine levés nous nous habillâmes et fîmes la photographie du village ayant au
premier plan la hutte et nos gens167, puis nous allâmes visiter trois tentes de Bohémiens, faux
derviches dont nous avions entendu le chant dans la nuit d’hier168. Nous nous mîmes en marche vers
les dix heures à travers un magnifique bois de chênes, la continuation de celui d’hier, toujours en
traversant un grand nombre de ruisseaux les uns plus pittoresques que les autres. Nous arrivâmes en
2 ¾ heures à Hassa169 le caimacamlik du caza170 que nous traversons. Là on aperçoit en entrant les
ruines de nombreuses maisons dont les habitants se sont dispersés et celles d’une immense caserne,
construite il y a dix ans par Derviche Pacha, c’est là que se trouve aujourd’hui le local de l’autorité
dans une chambre improvisée dans une partie de cette immense ruine171. A sa fondation Hassa
comptait plus de 200 maisons et aujourd’hui il n’en reste plus qu’une cinquantaine. L’air malsain de
l’endroit et peut-être le caractère vexatoire des gouvernants ont fait fuir la population depuis dix ans.
La moyenne serait donc de 20 maisons par an qui se seraient sauvées ; ainsi dans deux ou trois ans,
le caïmacam y restera tout seul avec ses subalternes à contempler les ruines d’une ville qui n’aurait
que 20 ans d’existence. Nous supposons qu’il serait bon de transférer immédiatement le caimacamlik
à Ekbès172, petite ville mixte de 300 maisons, sise à une heure de distance de Hassa dans un
renfoncement des monts Amanus (Giaour Dagh). Là l’air est fort sain, si bien qu’un établissement de
Lazaristes s’y est fondé depuis quelque temps, où les bons pères font de leur mieux pour instruire et
convertir la population chrétienne173. Le caïmacam de Hassa nous a montré une stèle funéraire

166) En fait le 21 avril/3 mai.


167) Il a été impossible de retrouver cette photographie, même s’il est vrai qu’on est tenté d’y voir le cliché n° 11242
de la collection de négatifs et plaques de verre des Musées archéologiques d’Istanbul (MAI) dont l’image correspond assez
bien à la description qui en est faite dans le texte. Or, dans la publication d’Osman Hamdi Bey et Osgan Effendi, ce même
cliché (pl. 2) est identifié comme étant une photographie du village de Kiahta (Kâhta) (Tumulus : 3 et pl. 2). Je pense donc
qu’il faut y voir tout simplement un hasard dû au fait que ces villages devaient se ressembler sur bien des points.
168) L’association des deux termes est peu compréhensible. Notons toutefois que Cuinet utilise le terme de Bohémien
comme synonyme de Yuruk (nomade), dans le contexte du vilayet d’Adana : “Yuruks ou Bohémiens. – Cette race est très
répandue dans le vilayet d’Adana et surtout dans le sandjak d’Itch-Il. Partagés en petites tribus, les Yuruks vivent partout
sous la tente. Ils ne cultivent pas la terre. Leurs occupations sont presque exclusivement de forger le fer, d’étamer les
ustensiles de cuivre et de tresser les paniers, métiers auxquels ils adjoignent parfois la mendicité et le pillage” (Cuinet,
Turquie d’Asie, t. II : 7-8).
169) Hassa : “Le bourg de Hassa, chef-lieu de ce caza, est situé à 425 mètres d’altitude, au fond d’un petit vallon
arrosé par un cours d’eau affluent du Kara-sou. Hassa n’a que 300 habitants. Ce bourg est protégé par une ancienne
forteresse dont quelques parties sont assez bien conservées” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II, p.103).
170) Kaza: district.
171) Faut-il voir dans cette caserne “l’ancienne forteresse” décrite par Cuinet ? (voir n. 169 supra).
172) Sur la carte de Kiepert figure Ekbez (Salmanly) (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Adana). Ces deux toponymes
semblent avoir disparu par la suite, mais on retrouve Akbez dans quatre toponymes des environs de Hassa, soit Akbez
Gazeluşağı, Akbez Yeniyapan, Akbez Salmanuşağı et Akbez Nuhuşağı (Türkiye, 1948, pl. Kilis). Notons toutefois que les
“statistiques descriptives” de Cuinet, tant pour le vilayet d’Adana que pour celui d’Alep, ne font aucune mention d’un
établissement des pères lazaristes dans le vilayet.
173) La conversion de la population chrétienne par des Lazaristes peut surprendre au premier abord. Il s’agit
évidemment de chrétiens orientaux – le plus souvent des Arméniens grégoriens – que les missionnaires français et
américains se disputaient dans le but de les convertir, les uns au catholicisme et les autres au protestantisme.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 49

trouvée à Demrik autrement dit Bektach Aga Keui174. Là paraît-il il existe des ruines et des
tombeaux. D’après la pierre funéraire nous croyons qu’elle appartient à une très basse époque
romaine. Demrik est placé entre Veli Aga Obasi et Ordou Keuy au pied du Giaour Dagh. De Hassa à
Islahié175 nous mîmes six heures dont les quatre premières ont servi à traverser le même bois de
chênes, qui devenait de plus en plus beau. Cette forêt est une richesse incroyable dont le pays ne tire
aucun profit ; on pourrait tirer de ces millions d’arbres une quantité incommensurable de vallonnée
dont l’industrie est si friande. Nous ne voulons pas manquer de dire aussi que depuis Hassa jusqu’à
Islahié nous constatâmes l’existence d’une route bordée de rigoles parfaitement tracée ; on prétend et
nous ne savons à quel point on peut ajouter foi à cette [rumeur ?]176 que c’était le tracé d’un chemin
de fer projeté par le Ferkaï Islahié corps réformateur de Derviche Pacha. Les populations [locales ;
kurdes ?]177 ont abîmé certaines parties de la forêt en renversant les arbres pour en cueillir plus com-
modément les fruits ou en les brûlant pour faire des champs plus libres pour la culture. Grand
nombre de petits ruisseaux qui prennent leurs sources au Giaour Dagh, traversent cette forêt
merveilleuse pour aller grossir les eaux du Kara-Sou. En sortant de cette forêt on a devant soi une
immense plaine qui s’étend vers le nord-est. Cette plaine où campent des Kurdes nomades est d’une
fertilité exceptionnelle. C’est là que nous avons rencontré une grande variété de plantes parmi
lesquelles des iris jaunes, mais d’un jaune déchromé très intense et une variété d’orchidées dont les
hampes ont de 20 à 30 fleurs violettes. Ces hampes ressemblent en petit à celles des orchis
pyramidalis178. Arrivés à Islahié à dix heures du soir. Le caïmacam bey un descendant du fameux
Bedirkhan Bey179 nous reçut avec une affabilité toute particulière.

22/4 mai
En s’approchant de Islahié ce qui saute aux yeux est, vers la plaine, une grande construction et à
gauche sur la hauteur une tour ronde. Celle-ci n’offre aucun intérêt ; elle a été bâtie par Derviche
Pacha pour servir de vigie. Quant à la première c’est une caserne immense construite en pierre et
d’une façon assez soignée sur les fondations d’un fort rectangulaire ayant à chaque angle un bastion
carré et une entrée sur le grand côté exposé à la montagne. Le tout est entouré d’un large fossé dont
les murs latéraux sont de la même construction. C’est toujours cette pierre basaltique (?) que nous

174) Demrek et Bektaş Ağa Köyü (Bektaşlı) figurent tous deux sur la carte de 1948. Il s’agit donc de deux villages
distincts mais voisins et non de deux noms donnés à un même village (Türkiye, 1948, pl. Kilis). La carte ottomane de 1337
ainsi que celle de Kiepert ne comportent que Demrek (Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Adana ; Kiepert, Kleinasien, 1916,
pl. Adana).
175) Islahiye : “Islahié, chef-lieu du caza, est un bourg de 545 habitants, situé à 518 mètres au-dessus du niveau de la
mer, à 17 kilomètres de Harpout. Il paraît être de récente fondation ; les maisons, de construction primitive, mais assez
propres, se groupent autour d’une mosquée et d’une école. Les habitants sont chasseurs, car toutes les montagnes qui
entourent ce caza sont infestées de loups, de renards, et même de panthères qui déciment les troupeaux et les basses-cours”
(Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 103). La ville d’Islahiye avait été bâtie sur l’emplacement de l’ancienne Nicopolis ainsi
qu’en témoigne le passage suivant d’une lettre d’Otto Puchstein à Osman Hamdi Bey : “[…] Je vous remercie beaucoup du
renseignement aimable concernant le nom ancien d’Islahié. Je ne savais pas que le célèbre Djevdet Pacha avait fondé cette
ville sur le site de Nicopolis. Malheureusement il ne m’a pas été possible de rencontrer le professeur Kiepert, qui est en
voyage depuis longtemps, et de lui faire part de votre nouvelle. Sur la carte géographique de notre publication que
l’Académie des Sciences vous aura expédiée au mois d’avril, M. Kiepert a donné à Islahié le nom de Niboli. Ceci
certainement n’est pas juste puisque Djevdet Pacha écrit Nigolis Kalesi. Conformément à cette dénomination NICOPOLIS
se trouve dans l’inscription latine que vous avez découverte au château d’Islahié” (lettre de Berlin datée du 9 juin 1890,
Metzger, Correspondance : 50). Kiepert donne en effet les trois toponymes en question (Kiepert, Kleinasien, 1916,
pl. Adana).
176) Laissé en blanc.
177) Laissé en blanc.
178) L’orchis pyramidal (anacamptis pyramidalis) est une orchidée terrestre.
179) Bedirhan Bey (1803-1868), ou Bedirxan Beg en kurde, était le chef de l’émirat kurde de Botan. Puissant et en
grande partie autonome il s’opposa à l’autorité ottomane dès la fin des années 1820 et parvint, jusqu’en 1840, à contrôler
une grande partie du Kurdistan. Sa rébellion contre l’Etat ottoman se solda par un échec : il fut défait en 1847, puis exilé en
Crète.
50 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

rencontrâmes continuellement sur notre chemin depuis Béilan. Cette construction nous paraît être
d’une époque romaine postérieure. Quant à l’inscription grecque qui se trouve dans la cour du
conak180 et qui a été donnée déjà par le Dr Puchstein, nous la constatons et en ayant pris un
estampage, nous la publions ici à notre tour. Nous avons à constater une autre inscription grecque qui
se trouve placée sous une des fenêtres d’une grande maison sise dans le nouveau bourg.
Non loin des deux sources qui se trouvent au bas de la petite colline à laquelle est adossée la ville
nouvelle, nous remarquâmes sur notre chemin la plaque d’un tombeau mis à jour et qui n’a pas
encore été ouvert. Nous laissâmes au caïmacam l’ordre de le faire ouvrir et de nous faire parvenir
aussitôt le résultat qu’il en aurait obtenu. Nous donnons ici un dessin fait à la hâte de la tête de lion
dont a parlé le Dr Puchstein. C’est une tête de lion de face, taillée dans un bloc d’à peu près un mètre
cube. Elle est extrêmement dégradée. La colline en question se compose de plusieurs élévations
successives allant du nord-est au sud-ouest Lorsque nous grimpâmes à l’extrémité nord-est de la
colline la première chose qui s’offrit à nos regards fut un sarcophage taillé dans la roche basaltique.
Ce sarcophage dont la tête est dirigée vers le nord-nord-est mesure : longueur 2,55 m ; largeur
1,50 m ; hauteur 1 m.
Le fond du sarcophage est taillé de façon à avoir du côté de la tête une élévation de niveau
destiné à recevoir la tête. Le sarcophage n’est détaché du rocher que de deux côtés seulement et les
deux autres côtés sont indiqués par une petite rigole de 0,20 m de largeur et d’une profondeur
inégale. Sur le grand côté de face on voit un cartouche romain entre deux cercles de diamètre égal à
la hauteur du cartouche. Nous donnons ici un dessin de ce sarcophage. Plus loin en montant vers une
tour ronde qui est placée au sommet de cette première élévation, nous remarquons les fonds de
plusieurs sarcophages dont les bords ont disparu. Lorsque nous fûmes près de la tour, nous
constatâmes qu’elle était moderne ; en effet nous apprîmes plus tard que c’était l’œuvre de Derviche
Pacha. Cette tour de même que la caserne est construite sur des fondations antiques d’un diamètre de
17,50 m. De cette tour partent deux murs dont l’épaisseur qui a été mesurée par nous est de 2,30 m.
L’un à droite de la tour, se dirige dans la direction du nord-est au sud-est en formant de temps en
temps des rentrées et des saillies rectangulaires et se perd dans les broussailles à 380 m à peu près à
partir de la tour. Le second mur à gauche va en s’écartant du premier mur et en formant des saillies
et des rentrées plus nombreuses et plus importantes ; ceci est dû à ce que de ce côté le terrain était
beaucoup plus accidenté et surtout à ce que c’est là précisément le côté donnant sur la plaine ; nous
avons mesuré l’écartement de ce mur à 380 m plus loin que la tour il donnait 250 pas tandis que là où
ils se joignent, la tour n’est que de 23 m. Sur le plateau compris entre ces deux murs, nous
remarquâmes vers sa plus grande largeur un grand nombre de débris antiques parmi lesquels nous
citerons un bloc rectangulaire dont le côté opposé à l’angle droit forme deux demi cercles qui se
touchent de façon à former du tout un cœur. Nous donnons ici un dessin exact avec les mesures des
tambours de colonnes dont le diamètre est de 50 cm et d’autres de 75 cm avec un astragale de 19 cm
de saillie181. Nous donnons aussi ici le profil d’une architrave avec les mesures. Nous avons
rencontré plusieurs sarcophages en terre cuite (la détermination de l’époque de ces murs est à étu-
dier).
Ces murs dont nous venons de parler ont l’aspect d’une construction cyclopéenne, mais d’une
exécution très soignée vu la coupe des pierres, et leur ajustement. Les pierres qui constituent les
murs sont d’une forme irrégulière et présentent un contour polygonal. Elles sont taillées par plans
droits sans subir une altération voyante dans la forme qu’elles avaient dans leur état naturel. Ces
pierres qui se superposent se joignent et s’adaptent avec une grande précision, et le dessin que nous
donnons ici explique plus clairement la construction de ces murs. Nous avons remarqué l’angle d’un
mur avancé du côté de la plaine, qui est construit de pierres rectangulaires. Cet angle est bosselé et
180) Konak : hôtel (particulier), ou toute demeure urbaine de quelque importance. Dans un village ou une petite ville,
le konak était souvent un bâtiment servant de résidence et/ou de bureaux au représentant local du gouvernement ou tout
simplement d’hôtel de ville (appelé alors hükûmet konağı ou konak du gouvernement).
181) Le texte parle de 0,50, 0,75 et 0,19 centimètres respectivement.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 51

mesure une hauteur de 4 m. Nous poursuivîmes notre marche vers la seconde élévation et toujours
nous rencontrâmes en route des débris antiques de même genre. Plus loin entre la seconde et la
troisième élévation, nous aperçûmes au milieu d’une dépression circulaire du terrain des blocs de
pierre qui avaient l’air de faire partie d’un monument sur la destination duquel nous serons initiés
par des inscriptions latines que nous y avons trouvées et dont nous avons pris un estampage182.
Là dessus nous nous mîmes en route accompagnés du caïmacan à Saktchégueuz183 en passant par
Zindjirli184.
Remarquons qu’en sortant d’Islahié, nous nous dirigeâmes toujours vers le nord-est et nous ren-
contrâmes à une demi-heure de distance d’Islahié des vestiges parfaitement manifestes de voies
romaines. En deux heures nous arrivâmes à Zindjirli ; ce village de Kurdmens185 est situé au pied de
la montagne sur une petite élévation en plateforme ; pour y parvenir on doit sortir de la route à la
hauteur d’un tombeau qui est celui de Mour oglou186 et prendre à gauche. Une fois là, nous fûmes
surpris de voir une série de pierres faisant deux angles droits en dedans, un en dehors de façon à
former un zigzag régulier qui va se perdre dans la terre. Il paraît que les Kurdes pour y construire une
maison avaient voulu niveler l’endroit et par ce hasard avaient mis à jour le côté d’une construction
qui à juger par le peu qu’on en voit doit être considérable. Chacune de ces plaques porte tantôt deux
figures et tantôt les unes assises et les autres debout et d’autres des animaux tels que cerfs, aigles,
lièvres et un lion. Nous donnerons les reproductions photographiques de chaque pierre et puis une
autre de l’ensemble ainsi que leurs mesures187. Lorsque nous vîmes cette série de bas-reliefs
intéressants surtout par leur archaïsme, plus de la moitié des figures étaient encore sous terre. Nous
mîmes immédiatement quelques ouvriers [au travail] pour les mettre complètement à jour afin d’en
faire une relation plus ample. Voyant que la journée ne permettrait pas d’arriver au but, nous
décidâmes de passer la nuit ici et de faire travailler demain un plus grand nombre d’ouvriers. En
attendant que les ouvriers travaillent à déblayer le terrain nous fîmes quelques photographies de
types et de tentes et quelques croquis que nous donnons ici188. Ce monument autant que nous
pouvons en juger par le peu que nous voyons est de l’époque assyrienne. Nous regrettons de dire que
nous n’avons pu mettre la main jusqu’ici sur la moindre inscription. Quelques morceaux de grosse
brique et de poterie que nous eûmes en main étaient insuffisants, vu qu’ils ne portent aucune
inscription pour pouvoir entrer dans quelques considérations. Nous passâmes la nuit sous une tente
182) Voir à ce sujet la description quelque peu évasive que fait Cuinet de la profusion de ruines dans le kaza
d’Islâhiye : “Comme partout, on trouve enterrés sous la mousse, en haut des collines, au fond des vallons, des fragments
d’inscriptions, des restes d’édifices qui révèlent l’existence d’anciennes villes, de vieux châteaux-forts ; mais l’histoire elle
mêmes (sic) a laissé perdre le nom de ces antiques cités, de ces forteresses, et les recherches les plus minutieuses
n’aboutissent qu’à des résultats incertains” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 103).
183) Sakçagözü (Kiepert, 1337) ou Sakçagöz (1946) : village au nord-est d’Islâhiye (Memâlik-i Osmâniyye, 1337,
pl. Haleb ; Türkiye, 1946, pl. Hatay).
184) Zencirli ou Zincirli : village et site antique au nord-est d’Islâhiye, situé à environ 3 km à l’est du bourg de Keller,
actuellement Fevzipaşa (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
185) Il faut bien sûr lire Kurdes. Le terme utilisé, de toute évidence un amalgame de Kurde et Turkmène, rappelle la
remarque de Cuinet sur les Kurdes et Turcomans “que l’on confond presque toujours”.
186) Il semble presque impossible de découvrir de quel tombeau il s’agit, ou même de reconstituer correctement un
nom peut-être écorché : Muroğlu, Umuroğlu, Moroğlu…Des nouvelles très récentes dans la presse de la découverte
accidentelle d’une statue par un paysan du nom de Haydar Moroğlu peut faire penser qu’il portait encore le nom d’un de
ses ancêtres.
187) Aucun des clichés retrouvés aux Musées archéologiques d’Istanbul ne correspond à cette description. Le futur
qu’utilise Osgan Efendi nous fait comprendre qu’ils ne prirent pas de photographies ce jour-là et qu’ils avaient l’intention
de la faire une fois le terrain déblayé. Pour des exemples de plaques portant des figures humaines et animales, voir Pottier,
Art hittite : 58, 61-62, fig. 68, 72-73.
188) Probablement les clichés nº 11247, 11248, 11249, 11250, 11251, 11252, 11253 et 11254 (Musées archéologiques
d’Istanbul). Il est évidemment impossible de se prononcer avec certitude sur ce point, mais ces photographies correspondent
bien à des “types et tentes”. Par ailleurs, le fait que les numéros des clichés se suivent paraît confirmer cette supposition.
En effet, même s’il ne s’agit pas de rouleaux de pellicule dont les négatifs auraient tendance à être développés à la suite
l’un de l’autre, nous avons parfois constaté dans le rangement des plaques de verre un certain ordre qui suggèrerait qu’elles
ont été regroupées dans la mesure du possible.
52 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

que le mukdar189 du village nous avait fait dresser et nous couchâmes sur des tapis que notre hôte
avait fait étendre dans la tente.

23/5 mai
Ce matin de très bonne heure nos ouvriers au nombre de 25 ont mis à jour les deux pans
seulement du monument en question et le troisième pan vertical au second reste encore dans la terre.
Nous donnons ici un plan, les mesures des bas-reliefs et leurs photographies190. Plus loin, sur le point
le plus élevé de la plateforme, on a retiré plusieurs pierres rectangulaires dont on s’est servi dans une
construction moderne qui s’y trouve. Un peu plus bas vers l’ouest à 50 pas de la cabane gisant dans
un renfoncement un bloc de pierre basaltique, longueur 0,95 largeur 1,50 m profondeur 1,10 m ; ce
bloc représente sur ses deux côtés latéraux, les croupes de deux chevaux avec leurs deux pieds de
derrière et leur queue ; comme la partie postérieure est taillée en plan vertical il est à supposer, qu’ils
se rapportaient à une pièce qui serait le char et une autre qui complèterait l’ensemble des chevaux ;
de là revient à dire qu’un char avec deux chevaux était composé de trois pièces et celle qui nous
occupe maintenant serait précisément celle du milieu. A côté de cet énorme monolithe se trouve à
moitié enfoncée dans la terre une pierre travaillée et fort fruste qui nous paraît être semblable au lion
de Islahié191. Finalement il y a ici matière à d’immenses fouilles dont les résultats seraient d’un
intérêt capital pour le monde scientifique192.

Dimanche 6 mai
Ce matin nous partîmes de Zindjirli à onze heures du matin après y avoir passé deux jours et
nous nous dirigeâmes vers Saktchégueuz. Après deux heures de marche nous nous trouvâmes au
bout de cette immense plaine que nous traversions depuis et nous tournâmes alors notre direction
vers l’est et Kerek Han193. Nous traversâmes le Kurd Dagh par ses sentiers scabreux et nous
arrivâmes à Tcherkess Keui194. C’est un village fondé nouvellement par des Circassiens émigrés195.
189) Muhtâr : chef ou ancien du village.
190) Malheureusement, ainsi que nous l’avons noté plus haut, nous n’avons pu retrouver aucun de ces clichés. Pour un
plan du site, voir F. von Luschan, Carl Humann, R. Koldewey et G. Jacoby, Ausgrabungen in Sendschirli, I-V, 1893-1943 ;
Pottier, Art hittite, pl. III.
191) Pour des exemples de statues de lion, voir Pottier, Art hittite : 50-56, fig. 54-66. “[…] on compte une vingtaine
de ces lions, entiers ou en fragments, tantôt en forme de protomes qui font saillie sur un bloc de construction, tantôt
façonnés avec plus de réalisme sur une dalle qui contient tout le corps exécuté en relief, tandis que la tête en ronde bosse
dépasse le bord de la plaque, ce qui est une technique empruntée à la Chaldée” (Ibid. : 50).
192) Au sujet de Zincirli, voir F. von Luschan, Carl Humann, R. Koldewey et G. Jacoby, Ausgrabungen in Sendschirli,
I-V, 1893-1943 ; Pottier, Art hittite : 37-93 ; Winfried Orthmann, Untersuchungen zur späthethitischen Kunst, Bonn,
1971 : 59-75, 537-553, et les pl. 55-67.
193) Il faut probablement lire Kırk Mahalle (Kiepert, 1337) ou Kırkağaç (1946), village se trouvant à mi-chemin entre
Zencirli et Sakçagöz (Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Haleb ; 1946, pl. Hatay).
194) Çerkes Köy : littéralement le village circassien ou des Circassiens. Ce lieu-dit n’est indiqué ni sur les cartes de
Cuinet et de Kiepert, ni sur celles de 1337 ou 1946. Il pourrait toutefois s’agir – si l’on considère le fait que l’on apercevait
Sakçagözü de ce village – du village de Kel Mustafa Köyü (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Haleb ; Memâlik-i Osmâniyye,
1337, pl. Haleb).
195) Un grand nombre de Circassiens fuyant l’occupation russe s’étaient réfugiés dans l’Empire ottoman, à partir des
années 1860 et, surtout, au lendemain de la guerre de 1877-1878. Ils furent installés par le gouvernement dans diverses
provinces de l’empire, dont les vilayets méridionaux d’Adana et d’Alep : “Circassiens (Tcherkesses). – Originaires du
Caucase et émigrés depuis une dizaine d’années dans le vilayet [d’Alep], les Circassiens d’Alep, à l’instar de leurs
compatriotes auxquels des terrains ont été concédés dans les autres provinces de l’empire ottoman, parlent leur langue
natale, qui n’a, dit-on, ni livre, ni traditions écrites, et professent la religion musulmane. Malgré leurs habitudes
belliqueuses, ils se sont rapidement faits à la vie paisible des champs, et leurs cultures se font remarquer parmi les plus soi-
gnées.
A Harem, à Kiliss, à Antioche et à Membidj, où le gouvernement leur a donné des terres à cultiver, ils ont établi des
fermes et bâti des villages qui peuvent être comptés au nombre des plus productifs et des plus riches du vilayet.
Parmi les jeunes gens, quelques-uns recherchent les emplois du service de l’Etat, des diverses administrations et des
consulats ; les autres s’occupent exclusivement d’agriculture. Leurs maisons, contrairement à celles des villageois
indigènes, sont, ainsi que leurs habits, d’une grande propreté” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 126-127).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 53

Là, nous nous arrêtâmes et nous fûmes très cordialement reçus par le chef du village, et nous
passâmes une heure chez lui pour nous reposer. Nous aperçûmes de Tcherkess Keui, le village de
Saktchégueuz situé au pied de Keferdiz Dagh196. Nous reprîmes notre marche et au bout d’une heure
nous arrivâmes à notre destination. Là, nous descendîmes chez Gulli Bey, chef kurde de l’endroit197,
qui nous reçut avec cette hospitalité empressée qu’on trouve chez tous les peuples de l’Orient.
De même que le Dr Puchstein nous dit dans son rapport, on voit à gauche à l’entrée de la maison un
bas-relief assyrien composé de trois plaques de pierre identiques à celles qui ont servi à faire les bas-
reliefs de Zindjirli. L’ensemble de ce bas-relief mesure 2,68 m de largeur ; les trois plaques ne sont
pas de même grandeur, à commencer par la gauche les mesures sont :
largeur 0,94 m hauteur 1,17 m
largeur 0,91 m hauteur id.
largeur 0.83 m hauteur id.
De même qu’on le constaterait aisément par les reproductions photographiques que nous
donnons ici le travail de ce bas-relief est supérieur en exécution à ceux de Zindjirli. Néanmoins nous
pouvons dire qu’ils sont de la même époque, seulement ceux de Saktchégueuz sont plus soignés et
les plaques sont encadrées d’un dessin dont nous donnons ici la reproduction. Il nous semble que
l’interprétation que le Dr Puchstein a donné de ces bas-reliefs, est tant soit peu fantaisiste (voir p. 86).
On verra par la photographie que nous donnons ici198, que le bas-relief se compose seulement de
trois plaques et non de quatre et que le nègre qui a enfoncé l’épieu dans le dos du lion, tient de l’autre
main une hache à deux tranchants absolument comme celle que l’on voit sur le revers des médailles
de Ténédos et non une épée. Le haut de la première plaque est décoré par un disque ailé comme on
en voit souvent dans l’ornement d’architecture égyptienne et assyrienne199. Avec peu de sacrifices on
pourrait faire venir ces bas-reliefs au Musée impérial ; il en est absolument digne. Nous ne pourrions
pas dire la même chose des bas-reliefs de Zindjirli vu l’épaisseur extravagante des plaques (là aussi
le sujet représente une chasse). Après avoir photographié et étudié ce bas-relief, nous partîmes im-
médiatement pour visiter l’endroit d’où l’on avait retiré ces sculptures ; c’est une petite élévation de
terrain comme celle de Zindjirli au sommet de laquelle on voit gésir parterre plusieurs fragments
dont deux attirent l’attention vu qu’on en voit les sculptures. L’une représente la moitié d’un lion [et]
mesure 1,00 m sur 1,00 m, l’autre représente un homme jusqu’aux épaules et le pied de derrière d’un
lion ; il mesure 1,10 m de large et 0,93 m de haut. D’autres blocs de la même pierre et de différentes
grandeurs gisent au pied de cette élévation de terrain dans un endroit marécageux. Une de ces pierres
seulement offre aux regards un bas-relief d’une petite dimension, où l’on aperçoit à gauche un
homme assis sur une chaise et à droite les traces d’une sculpture qu’on ne peut distinguer et le tout
dans un état très fruste. Nous donnons ici une photographie de ces pierres200. Nous retournâmes
ensuite au conak et après le dîner nous développâmes nos plaques photographiques, tandis qu’au
dehors sur le tarma201 les Kurdes chantaient et jouaient du saz202 ; ensuite nous passâmes la nuit
couchés sur le tarma.

196) Keferdiz Dağı : Montagne située immédiatement au nord-ouest de Sakçagözü (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
197) On en déduit que le village de Sakçagözü était peuplé essentiellement de Kurdes.
198) Photographie que nous n’avons malheureusement pas réussi à retrouver.
199) Pour une reproduction et un commentaire de ce bas-relief, voir Pottier, Art hittite : 95-98, pl. IX, fig. 117 : “Mais
le plus beau relief qui soit sorti de ces ruines n’a pas été trouvé dans les fouilles anglaises ; il avait été employé comme
pierre de constructions dans les murs du Konak (habitation du gouverneur militaire turc), où un voyageur allemand
[Puchstein] le remarqua et le fit desceller pour l’emporter au Musée de Berlin” (Ibid. : 95). Voir aussi Orthmann,
Untersuchungen, pl. 51 fig. Sakçagözü B/1.
200) Sur le site de Sakçagözü, voir Pottier, Art hittite : 93-100 ; Orthmann, Untersuchungen : 79-82, 529-533 et les
pl. 49-51.
201) Dans les maisons et les étables d’Anatolie orientale, le tarma est une sorte de grande terrasse utilisée pour y
entreposer de la marchandise ou pour y dormir.
202) Saz : luth à trois chœurs de cordes extrêmement répandu à travers l’Anatolie.
54 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

Lundi 25/7 mai


Nous quittâmes ce matin Saktchégueuz à dix heures et demie et après avoir franchi les rochers
escarpés de Keferdiz Dagh, nous arrivâmes au bout de trois heures à Yamadj Oba203 au pied du Sari
Kaya204. Nous nous y arrêtâmes pour nous reposer et nous fûmes reçus par Osman Aga, le chef du
village. Notre halte dura deux heures à cause des préparatifs du déjeuner, après quoi nous reprîmes
notre route par les défilés des montagnes arides et nous arrivâmes à Aïntab205 à neuf heures et demie
du soir et nous allâmes directement au conak ; après y avoir pris une demi-heure de repos et avoir
envoyé une dépêche pour avoir des nouvelles de nos familles nous allâmes chez Nevres Bey206 où
nous trouvâmes le plus cordial accueil. Il est à remarquer que de Saktchégueuz à Aïntab nous ne ren-
contrâmes aucun vestige de monuments antiques ; si ce n’est qu’aussitôt quitté Saktchégueuz, nous
vîmes avant de gravir la montagne des grottes creusées dans le rocher au bas de la montagne qui ont
l’air d’être des tombeaux et de grandes cavités que nous avons vues sur le faîte de la montagne qui
sont creusées par la main de l’homme. Si nos regards furent privés aujourd’hui de rencontrer des
traces d’art antique, ils furent récompensés par l’aspect riant des vignobles et des champs cultivés
que nous eûmes à traverser sur tout notre parcours, on ne voit pas un bout de terrain cultivable qui
soit négligé. Malheureusement nous ne rencontrâmes aucun endroit boisé et surtout aux environs
d’Aïntab on ne voit pas le moindre arbrisseau.

26/8 mai et 27/9 mai


Séjour à Aïntab, visites à plusieurs mosquées207 et promenade dans les bezestins208 ; achat de
quelques médailles et pierres gravées et de chevaux209.

28/10 mai Jeudi


Nous quittâmes Aïntab aujourd’hui à deux heures et quart du matin et prenant la direction nord-
est nous marchâmes pendant quatre heures sans rencontrer un arbre, c’est une série de descentes et
de montées. La conformation du terrain est calcaire. Nous fîmes halte au bord de la petite rivière

203) Osgan Efendi écrit Giamadj Auva. Il s’agit donc de Yamaç Oba (aujourd’hui Yamaçoba) : village à mi-chemin
entre Sakçagözü et l’embranchement de la route pour Aïntab (Gaziantep) (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Haleb ; Memâlik-
i Osmâniyye, 1337, pl. Haleb ; Türkiye, 1946, pl. Hatay). A noter, encore une fois, la confusion de l’auteur du récit entre
oba et ova. Le fait que ce village porte le nom de Yamaç Oba (le campement du flanc de montagne) atteste ses origines no-
mades.
204) Sarı Kaya : le rocher jaune. Petit massif montagneux se trouvant immédiatement au sud de Yamaç Oba (Kiepert,
Kleinasien, 1916, pl. Haleb ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Haleb).
205) Aïntab (Anteb, aujourd’hui Gaziantep) était une des plus grandes villes de la région. Elle comptait, selon Cuinet,
43 150 habitants, dont 30 486 musulmans, 2 667 Syriens unis, 2 500 Syriens non-unis, 1 500 Grecs orthodoxes, 500 Grecs
catholiques ou Melchites, 2 046 Arméniens grégoriens, 2 000 Arméniens catholiques, 594 Arméniens protestants et 857
Israélites. “Bâtie sur une colline toute plantée de belles vignes et d’oliviers, au milieu de jardins d’agréments et de vastes
vergers, arrosés par la rivière Sadjour, Aïntab est une des plus jolies villes du vilayet. Certains édifices construits à
l’européenne, tels que le couvent des Pères franciscains et le Collège de la mission protestants américaine, plusieurs autres
belles maisons également bien situées et entourées de verdure, des rues propres et assez bien pavées, lui donnent un air de
prospérité qui manque souvent, lorsqu’on les voit de près, aux villes d’Orient, dont l’aspect, de loin, est le plus féerique”.
La ville produisait des tissus de coton, des maroquins, une eau-de-vie très prisée et de l’huile d’olive et Cuinet y
dénombrait 1 965 boutiques, 3 815 ateliers de tisserands et 40 teintureries, tanneries et maroquineries (Cuinet, Turquie
d’Asie, t. II : 189-191).
206) Très probablement le kaymakam de la ville.
207) Aïntab en comptait 36, auxquelles venaient s’ajouter 57 mescids (petites mosquées) et 21 medreses (écoles de
théologie) (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 190).
208) Bedesten : (du persan bezzâzistân) marché couvert où se vendent des objets de valeur.
209) Pour deux vues de la citadelle d’Anteb, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 168, fig. 20 et 170,
fig. 21.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 55

appelée Pesghé210. Pendant ce temps une pluie battante nous surprit et bientôt voyant de loin arriver
nos bagages nous nous mîmes de nouveau en selle pour gravir Roumanli Dagh211. On y met à peu
près 25 minutes au bout desquelles on est sur un plateau qu’on met quatre heures à traverser. C’est
sur ce plateau et à l’endroit appelé Ak-Kabir212 que nous vîmes des tombeaux creusés dans les
rochers. Ce sont des trous rectangulaires et sur un des petits côtés est pratiqué un escalier tantôt de
trois tantôt de quatre, cinq marches qui descend vers une petite porte ouverte sur le côté opposé, qui
donne accès à des cavernes de formes différentes, sur les parois intérieures desquelles on voit
façonnés tantôt trois tantôt quatre selon la grandeur de la caverne des lits de mort. Toutes nos
recherches sont restées infructueuses et aucun signe aucune inscription n’a pu récompenser nos
recherches. Au même endroit nous remarquâmes des orifices circulaires qui allaient en s’élargissant
comme un entonnoir renversé. C’était évidemment là des citernes, nous vîmes aussi d’autres
cavernes qui nous firent l’effet d’être des habitations. En un mot il y avait à cet endroit une ville dont
nous ne pourrions déterminer l’époque. De même que nous avions remarqué l’entrée d’une grande
caverne en gravissant le Roumanli Dagh nous en remarquâmes une autre à une heure de distance
d’Ak-Kabir dans un profond ravin qui se trouve à droite du chemin. Après quoi nous traversâmes à
pied et en chassant des pigeons ramiers un bois de chênes qui nous conduisit au versant opposé de
Roumanli Dagh au petit village nommé Eïri-Déré Keui213. Les habitants de ce village situé sur une
pente au bas de laquelle coule le Kara Merzeman Sou214 nous reçurent avec empressement et nous
offrirent logis dans le conak d’un Bey nommé Latifzadé Mehmed Effendi chef de l’achiret
Tchesné215 ; lui-même était absent, c’est son intendant qui a fait les honneurs de la maison avec la
plus parfaite bonhomie. Il commença par nous faire égorger un agneau et lui comme plusieurs
paysans sont venus nous offrir des roses pour nous souhaiter la bienvenue.

29/11 mai Vendredi


Nous partîmes d’Eïri-Keui ce matin à onze heures et demie après que les bons villageois nous
avaient encore fleuris d’un gros bouquet de roses que nous emportâmes avec nous. Comme depuis
hier soir nous entendions le bruit d’une grosse caisse dans les environs, nous en avions demandé la
cause et on nous avait dit qu’il y avait une noce dans un village voisin nommé Milélis216. En moins
d’une heure nous y arrivâmes mais malheureusement la danse avait cessé. Le chef de ce village,

210) Il s’agit probablement de l’affluent nord du Nizip Çayı, au niveau des villages de Büyük Binamlı et Hıyam où
cette rivière coule dans une vallée au pied d’un plateau de 750 m d’altitude (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
211) Ce toponyme ne figure pas sur les cartes consultées. Il faut probablement y voir le plateau élevé de 750-1 000 m
qui s’étend vers le nord jusqu’au Merzumen Deresi (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
212) Ak Kabir, littéralement le tombeau blanc. Encore une fois, ce lieu-dit est absent des cartes que nous avons
consultées. Nous serions tenté d’y voir l’actuel Saraymağara (littéralement Palais-grotte) dont le toponyme suggère un
rapport avec les tombes rupestres décrites par Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi (Türkiye, 1946, pl. Hatay). (Memâlik-i
Osmâniyye, 1337, pl. Haleb). Il est encore plus vraisemblable qu’il s’agisse des tombes rupestres (Felsgräber) indiquées
par Kiepert à proximité de Chalbasi (Eski Halbaş) et indiquées par Mezar (tombeau) sur la carte ottomane de 1337
(Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Haleb ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Haleb).
213) Eğridere Köy : littéralement le village du ruisseau tortueux. village situé sur la rive gauche du Merziman ou
Merzumen Deresi. Notons que Kiepert orthographie ce nom Ergidere et que la carte de 1337 semble indiquer Örgidere (?)
(Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya).
214) Le Merzimân ou Merzumen Deresi, prenant sa source dans les montagnes au nord de Gaziantep et rejoignant
l’Euphrate à Rumkale sur la rive droite, un peu au nord de Halfeti situé sur la rive opposée (Memâlik-i Osmâniyye, 1337,
pl. Malatya ; Türkiye, 1946, pl. Hatay)
215) Aşiret : tribu ou clan. Il nous a été impossible d’identifier la tribu en question.
216) Milalis (Kiepert, 1337) ou Milelis : village au nord du Merzumen Deresi, au pied de la montagne dite Karadağ
(Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya ; Türkiye, 1946, pl. Hatay).
56 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

nommé Ibrahim Kiahya217 nous offrit de prendre du café. En rentrant dans sa maison, nous offrîmes
galamment nos roses à une jeune femme qui travaillait (Fathma)218. Après y avoir fait une demi-
heure de halte nous nous mîmes en route, toujours dans la direction du nord-est ; pendant une heure
et demie, nous longeâmes la plaine au bout de laquelle avant de nous mettre à gravir Kara Dagh219 on
nous montra des pistachiers220 que nous n’avions pas vus jusqu’ici. En gravissant cette montagne de
formation calcaire et fort abrupte, nous dûmes descendre de cheval et une fois sur le plateau nous
nous enfonçâmes dans un bois de chênes qui nous conduisit jusqu’au Kara Sou221 ; sur ce parcours
nous rencontrâmes quelques fragments de colonnes semblables à celles que nous avons décrites à
Islahié. Puis nous rencontrâmes pour la première fois un campement de Kurdes nomades où le chef
seul parlait un peu le turc. A l’endroit même où nous avons passé à gué le Kara Sou, il existe un pont
en ruines, composé de cinq arcs dont l’un n’existe plus ; sur ces quatre existants on remarque que le
plus grand qui fait face au plus fort du courant est une construction romaine et que les trois autres
n’ont de romain que les fondations et que les arcs y compris les deux portions de cercle sont de
construction turque d’une époque fort défectueuse. L’arc romain est un arc plein cintre. Nous
donnons ici la photographie de ce pont (photo 1)222. Aujourd’hui tout ce pont est une immense ruine
qui ne peut donner passage. A partir de ce pont en une heure on arrive à Supurgutch223. Ce village est
à une heure de distance de l’endroit où [le] Kara Sou passant à travers une crevasse profonde et
rocheuse de Kara Dagh se jette dans l’Euphrate. Les fragments de chapiteaux qui se trouvent à
Supurgutch et dont on nous montra à cinq minutes de distance l’endroit où on les avait retirés ne
méritent aucune description ; il nous suffira de dire qu’ils sont d’une époque bâtarde-romaine.

30/12 mai Samedi


Nous partîmes le matin de Supurgutch à dix heures accompagnés de notre hôte et de quelques
habitants du village. Nous traversâmes le Kizil Dagh224 et nous arrivâmes dans une plaine fertile et
bien cultivée ; c’est alors qu’on nous montra le tumulus de Leding situé sur le Kizil Dagh que nous

217) Kâhya (de kethudâ), littéralement intendant mais, souvent, un titre – comme ağa – conféré à des villageois de
quelque importance.
218) La galanterie d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi est à replacer dans le contexte des mœurs et usages des
habitants du vilayet décrits par Cuinet : “Ils s’adonnent tous à l’agriculture, et c’est à la femme que sont réservés les
travaux les plus durs, les plus pénibles, ainsi que les plus lourds fardeaux ; elle est en un mot considérée plutôt comme une
bête de somme que comme la compagne de l’homme et la mère de la famille” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 115-116) ;
“Ainsi qu’il est d’usage général en Orient, les femmes musulmanes et même beaucoup de chrétiennes ne se montrent que
voilées ; elles vivent séparées des hommes : le mari, le fils, le frère, un proche parent ont seuls le droit d’entrer dans
l’appartement occupé par la femme. […] Chez les musulmans, et même chez les chrétiens de ce pays, les femmes sont
considérées comme des êtres inférieurs : elles sont condamnées au travail, quelle que soit la condition sociale des maris”
(Ibid. : 323-324).
219) Karadağ (littéralement la montagne noire) : massif montagneux de culminant à 1050 m et s’étendant dans la
direction est-ouest entre le Merzumen Deresi et le Karasu (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
220) “Le grenadier, l’olivier et surtout le pistachier ont la prééminence à Alep, Roum-Kalé, Aïntab et Bab-Djéboul”
(Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 139). Rappelons que Karadağ se trouve à environ 30 km à l’ouest de Rumkale (Türkiye,
1946, pl. Hatay).
221) Il s’agit d’un autre Karasu (rivière noire, voir n. 219 supra), affluent de l’Euphrate et coulant dans la direction
ouest-est depuis le massif montagneux se trouvant à l’ouest de Karadağ (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
222) MAI, coll. phot., cliché nº 11243. La photographie ne montre que deux arcs sur pied ainsi que celui qui s’était
écroulé. Au centre de la photographie, on reconnaît le grand arc romain. Les deux autres arcs se trouvent probablement
hors-cadre, sur la droite.
223) Süpürgüç : village situé entre le Karasu et le Kızıl Dağ, à environ 3 km de l’Euphrate (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
Sur la carte ottomane de 1337 figurent les deux villages voisins de Büyük (Grand) et Küçük (Petit) Süpürgüç (Memâlik-i
Osmâniyye, 1337, pl. Malatya). Ce village a été depuis rebaptisé Akbudak.
224) Kızıl Dağ : la montagne rouge ou rousse, petit massif montagneux orienté est-ouest entre le Karasu et le Keysun
Çayı, culminant à 1079 m dans son extrémité ouest, à Yaylacık (Türkiye, 1946, pl. Hatay).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 57

avions par conséquent à notre droite225 ; le temps nous manquait pour aller le visiter. Cette plaine
d’une fertilité remarquable est traversée par un certain nombre de rivières qui vont toutes se jeter
dans le Gueuk Sou226 qui à son tour se jette dans l’Euphrate. La première que nous traversâmes est
Kizil Tchaï227, puis Safran Sou228 après quoi nous fîmes halte dans un village appelé Sautir Keui229
où se trouve un tumulus. De ce village en moins d’une heure nous atteignîmes Gueuk Sou et
l’endroit appelé Bech Guétchid230. Là nous devions passer au gué le Gueuk Sou dont les eaux avaient
heureusement diminué depuis quelques jours. Ce sont les habitants d’un village nommé Kulafhuyuk231
qui aident les voyageurs à traverser le fleuve. Une bande de ces paysans ayant à leur tête deux
derviches qui jouaient de gros tambours de basque et chantaient à tue tête, sont venus au devant de
nous, nous saluant et baisant pieds, mains et étriers à Hamdy Bey. Rien n’est plus amusant et plus
pittoresque que de voir tous ces bonshommes, les uns tout nus et les autres en chemise seulement,
prenant voyageurs et bagages sur leur dos ou guidant les chevaux en plein soleil à travers les eaux
rapides du fleuve et les nombreux bancs de galets qui les entrecoupent. Nous fûmes les premiers à
nous livrer dans les mains de ces hommes habiles et vigoureux qui nous firent traverser le fleuve,
poussant des cris et adressant des prières ferventes au bon Dieu et à ses saints pour que la traversée
soit heureuse. Une fois de l’autre côté de l’eau, nous assistâmes à la traversée de nos hommes et de
nos bagages qui dura près d’une heure et demie parce que chaque fois il fallait que ces hommes
retournent de l’autre côté, ce qu’ils faisaient tantôt à la nage et tantôt à gué. Malheureusement les
deux photographies que nous fîmes de ces spectacles pittoresques ont complètement manqué au dé-
veloppement. Une fois la traversée faite nous nous mîmes en selle et nous arrivâmes en quatre heures
[à Adiyaman], toujours à travers de petites rivières, affluents de Gueuk Sou et des collines fertiles et
parfaitement cultivées. Nous arrivâmes à Adiyaman232 à dix heures et demie du soir.

1er/13 mai Dimanche


Aujourd’hui nous eûmes l’occasion de nous faire une idée de la ville d’Adiyaman, c’est un grand
village et à part quelques rares maisons à étages, tout le reste se compose de quatre murs sans
fenêtres et dont les toits sont couverts de terre. D’ailleurs aucun monument ne distingue cette localité
pour que nous nous étendions sur sa description. En dehors de la ville se trouve une caserne assez
grande et très proprement tenue où fait garnison un bataillon de soldats de ligne. Le binbachi233 qui
nous invita à dîner nous donna un spectacle fort intéressant en faisant danser une vingtaine de soldats
kurdes. Cette danse nationale des Kurdes consiste à se diviser en deux rangs et à se suivre à une

225) Même si le nom de Leding est déconcertant, il est évident qu’il s’agit du tumulus de Sesönk, situé à une trentaine
de kilomètres au sud-est de Besni/Behesni.
226) Göksu : la rivière bleue, un des affluents de l’Euphrate, lui-même alimenté par le Keysun Çayı, le Safraz Çayı ou
le Değirmendere Çayı et l’Aksu Deresi (Türkiye, 1946, pl. Hatay ; Türkiye, 1948, pl. Birecik ; Türkiye, 1953, pl. Adıya-
man).
227) Kızıl Çay : le ruisseau rouge, probablement l’actuel Keysun Çayı, affluent du Göksu (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
228) Safran Suyu : le ruisseau du safran, de toute évidence l’actuel Değirmendere Çayı, affluent du Göksu, qu’une des
planches de la carte au 1/200 000 de 1948 appelle le Safraz Çayı (Türkiye, 1946, pl. Hatay ; Türkiye, 1948, pl. Birecik ;
Türkiye, 1953, pl. Adıyaman). Les cartes de Kiepert et de 1337 nomment cette rivière Sirfaz Çayı (Kiepert, Kleinasien,
1916, pl. Malatja Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya).
229) Probablement Satıluşağı, qui se trouve à peu de distance au nord du Safraz Çayı (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
230) Beş Geçid : littéralement, les cinq passages, probablement par référence à des endroits où il était facile de passer
le Göksu à gué. Aucune indication ne figure sur les cartes consultées.
231) Külafhüyük (1946) ou Külafhöyük (1953) : village à l’est du Göksu (Türkiye, 1946, pl. Hatay ; Türkiye, 1953,
pl. Adıyaman). Il s’agit probablement aussi de Kilafa que la carte ottomane de 1337 et celle de Kiepert situent sur la rive
gauche du Göksu (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya).
232) Adıyaman : petite ville du kaza de Hısn-ı Mansûr du sancak de Malatya, lui-même rattaché au vilayet de
Mamuret’ül-Aziz, formé en 1880 d’une partie du vilayet de Diyarbekir. Cuinet lui donne le nom de Keurkun (Görgün) et lu
attribue une population de 2 000 âmes, dont 1 030 musulans, 670 Kurdes, 208 Kizil-bach (Kızılbaş) et 92 Arméniens
grégoriens (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 378-379). Ş. Sâmî, qui lui donne aussi le nom de Hısn-ı Mansûr, y dénombre
1 100 habitants (Ş. Sâmî, Kâmûs’ül-A‛lâm, t. 1 : 65).
233) Binbaşı : major dans l’armée ottomane.
58 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

vingtaine de pas en dansant et en chantant et au bout de cette course se mettre en face l’un de l’autre
et se frapper les mains avec son vis-à-vis. Puis la même manœuvre se répète en sens inverse et ainsi
de suite.
L’ancienne Perrée qu’on appelle aujourd’hui Perrin234 est située dans une vallée sise à une heure
de distance d’Adiyaman vers le nord-est au pied du Taurus. Dans cette vallée coulent deux sources
qui donnent naissance à la petite rivière de Perrin235 qui se joint plus bas au Ziaret-Tchaï236 dans un
endroit où existent cinq ou six moulins et un pont de bois ; on voit encore à cet endroit les restes d’un
pont de pierre237. Pour arriver à Perrée on longe les appendices du Taurus puis en prenant à gauche,
on entre dans la vallée en question. C’est sur ce coude que se trouve la nécropole installée dans les
carrières de pierres appartenant à une époque antérieure. Il est très facile de reconnaître là d’anciennes
carrières puisqu’on voit encore par ci par là plus d’un bloc rectangulaire à moitié détaché de la roche
mère, et partout on voit des échelonnages toujours rectangulaires de façon à suivre parfaitement leur
système d’exploitation. Il est certain que toute la pierre extraite de cette carrière a servi à ériger
l’antique cité dont quelques témoignages sont encore visibles. Nous citerons une route construite sur
la première source ; la construction de cette route remonte à une bonne époque romaine. Nous ne
pourrions dire si cette route dont la construction est si soignée a été faite pour la source même ou ap-
partenait-elle aux fondations d’un grand édifice, car les dimensions de l’appareil sont colossales.
Plus loin et vis-à-vis la source nous trouvâmes un fragment de frise renversé et à moitié enfoncé dans
la terre ; on voit sur cette frise quelques moulures et une rangée d’oves et sur le champ des ornements
en feuilles en forme de volutes. Les paysans nous montrèrent des fragments de mosaïques qui sont
aussi de l’époque romaine. Plus loin au fond de la vallée on aperçoit un grand pan de mur
évidemment d’une époque postérieure, que nous supposons être les restes d’un aqueduc ; on voit
encore tout près de cette frise isolée quelques restes de construction romaine. Voici en somme tout ce
qui reste de l’ancienne Perrée.
Quant aux tombeaux pratiqués dans les carrières ils appartiennent à une époque byzantine. On
s’en rend facilement compte par la façon négligée dont ces tombeaux sont creusés dans la roche et
par les restes de quelques bas-reliefs si détériorés qu’ils soient. Nous donnons ici quelques
photographies prises de l’ensemble de certaines parties de la nécropole (photos 2 et 3)238 ; une
particularité qui attira notre attention est la façon dont ces tombeaux se fermaient. D’abord, c’est
toujours une cavité en forme de voûte d’une profondeur de 70 à 80 cm au fond de laquelle est
pratiquée une porte rectangulaire. Dans cette cavité tantôt à gauche tantôt à droite, est pratiqué aussi
un enfoncement où devait se renverser sur champs l’épaisse plaque servant de fermeture aux
tombeaux. Cette plaque a aussi un trou qui servait probablement à y attacher une corde pour la
redresser devant la porte.
Trois sortes de tombeaux.
Les plus importants sont ceux qui forment une chambre funéraire contenant plusieurs tombeaux
pratiqués dans les parois intérieures. Viennent ensuite les tombeaux en plein air sous voûte pratiqués
sur un pan vertical de la roche et enfin des sarcophages taillés sur les pans horizontaux de la roche.
Parmi les bas-reliefs que nous y avons vus, nous citerons des portraits de femmes sur l’entrée d’un
tombeau dont l’inscription grecque est plus lisible, deux figures très détériorées sculptées dans deux

234) Il s’agit de Pirun, au nord-nord-est d’Adıyaman (Türkiye, 1946, pl. Hatay). La carte au 1/200 000 de 1953 appelle
la même localité Pirim (Türkiye, 1/200 000, Harta Genel Müdürlüğü, pl. Adıyaman).
235) Le Pirun Çayı, passant par le village du même nom (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Memâlik-i
Osmâniyye, 1337, pl. Malatya).
236) Ziyaret Çayı ou Ziyaret Deresi. C’est sous ce dernier nom qu’on retrouve ce ruisseau sur la carte au 1/200 000 de
1953. Celui-ci prend sa source à environ 8 km au nord de Pirun/Pirim et rejoint ensuite le Koru Deresi (Koruç Deresi sur la
carte de 1946) (Türkiye, 1946, pl. Hatay, Türkiye, 1953, pl. Adıyaman). Cette rivière prend de toute évidence son nom des
tombeaux de saints hommes (ziyaret = visite/pélerinage) qui se trouvaient à proximité : Mahmûd Ensârî Ziyareti et Ebû
Zûlfikâr Ziyareti (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya).
237) Pour une vue de ce pont, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 401, fig. 59.
238) MAI, coll. phot., clichés nº 11237 et 11241.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 59

niches des deux côtés de la porte dont nous donnons ici une photographie (photo 4)239 et enfin au
fond d’un tombeau à jour un relief représentant un homme couché et appuyé sur un coussin et une
femme assise à gauche et une inscription qui se trouve à côté. Nous donnons ici un dessin240.

2/14 mai Lundi241


Nous quittâmes ce matin à dix heures Adiyaman pour prendre la route de Kiahta. En sortant de
cette ville les sentiers qu’on suit à travers les jardins et les vignes sont tous bordés d’églantiers dont
la plupart est à fleurs jaunes d’une intensité remarquable. A une heure et demie de distance
d’Adiyaman et après avoir passé le Ziaret Sou on voit à côté d’un village nommé Hersektiran242
d’autres carrières de pierre où sont pratiqués des tombeaux semblables à ceux de Perrée243. Après
avoir traversé Kabourlou Tchaï244 et plusieurs ruisseaux nous avons vu à notre droite le tumulus de
Kara Kouch auquel nous destinons une expédition spéciale245. Arrivés sur les bords de Kiahta Sou246,
nous vîmes arriver à notre rencontre plusieurs zaptiés à cheval qui nous accompagnèrent jusqu’à
l’entrée de l’ancien pont romain (photo 5)247 jeté sur le Boulam Sou248, affluent du Kiahta. Là, le
caïmacam accompagné de plusieurs personnes appartenant à l’autorité nous reçut avec beaucoup
d’affabilité. Ce pont dont l’importance est capitale fera l’objet d’une étude à part que nous nous
réservons de faire à notre retour de Nemroud Dagh. Le village de Kiahta qui est le siège du
caimacamlik249 du caza de ce nom est un misérable village composé de quarante huttes (photo 6)250,
le tout est placé dans une gorge au pied d’un immense rocher sur lequel existe un château en ruine
(photo 7)251. A peine arrivés à Kiahta nous allâmes visiter en détail cette superbe construction et voilà
le résultat de nos investigations252.
239) MAI, coll. phot., cliché nº 11238.
240) Sur Perrée et sa nécropole, voir Dörner et Naumann, Forschungen in Kommagene, 1939 : 66-69, pl. 8.
241) Ici débute le texte de la publication du Tumulus : 1.
242) Hestiran/Heştiran : village à environ 3 km au nord-est de Pirun/Pirim (Türkiye, 1946, pl. Hatay). La carte au
1/200 000 utilise le toponyme de Hiştiran (Türkiye, 1953, pl. Adıyaman). Le nom d’origine semble avoir été
Heresteran/Herestiran, tel qu’on retrouve sur la carte de Kiepert et celle de 1337 (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ;
Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya). La version imprimée utilise “Héréctran” (Tumulus : 1)
243) Dans la version imprimée du récit, “[…] on passe devant Péré, aujourd’hui Pérouz […]” (Tumulus : 1). En fait, il
s’agit de Pirun/Pirin (voir n. 234 supra).
244) “Kalbouran-sou” dans le Tumulus (p. 1). En fait il s’agit du Kalburcu Çayı ou Kalburcu Suyu, prenant sa source
dans les montagnes au nord-est d’Adıyaman et rejoignant le Koruç Deresi avant de se jeter dans l’Euphrate (Türkiye, 1946,
pl. Hatay ; Türkiye, 1953, pl. Adıyaman).
245) Le site de Karakuş est indiqué sur la carte de 1337 et celle de Kiepert à peu de distance de la rive droite du Kâhta
Suyu, à 8 km au sud de la jonction de cette rivière avec le Pulam (Bulam) Suyu (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ;
Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya ; Türkiye, 1953, pl. Adıyaman).
246) Kâhta Suyu ou Kâhta Çayı : rivière prenant sa source à environ 8 km au nord-est de Kâhta et se jetant dans
l’Euphrate après avoir rejoint le Pulam (Bulam Suyu, Bölam pour Kiepert) (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ;
Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya). Il s’agit de l’ancienne rivière Nymphaios.
247) MAI, coll. phot., cliché n° 11195, correspondant à la pl. 1 du Tumulus. Il s’agit du pont connu aujourd’hui sous
le nom de Cendere Köprüsü.
248) Pulam Suyu (1337) ou Bölam Suyu (Kiepert) : rivière prenant sa source dans Kürd Yusuf Dağı (la montagne de
Yusuf le Kurde) et rejoignant le Kâhta Suyu à peu de distance à l’ouest de Kâhta (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ;
Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya). D’après la carte de 1946, ce n’est plus que la partie supérieure de cette rivière
qui conserve son nom – quelque peu modifié sous la forme de Bilâm Çayı – pour devenir Cendere Suyu et ensuite Kâhta
Suyu (Türkiye, 1946, pl. Hatay). Le Tumulus utilise le nom de Boulan-sou.
249) Kaymakamlık: poste de kaymakam, sous-préfet de district.
250) MAI, coll. phot., cliché n° 11242, correspondant à la pl. 2 du Tumulus.
251) MAI, coll. phot., cliché n° 11236, correspondant à la pl. 3 du Tumulus.
252) Kâhta (Kiahda pour Cuinet), chef-lieu du kaza du même nom avait une population de 1300 habitants, dont
700 musulmans, 469 Kurdes, 102 Kızılbaş et 29 Arméniens grégoriens (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 380). Il faut noter que
Kâhta a depuis changé d’emplacement. En effet, le Kâhta visité par Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi est aujourd’hui
appelé Eskikâhta (l’ancienne Kâhta), ou Kocahisar, alors que le nom de Kâhta est donné actuellement au village
anciennement connu sous le nom de Kölük (Kolik d’après Kiepert) (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Türkiye, 1953,
pl. Adıyaman). Pour une vue de Kâhta, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 186, fig. 30. Le château en
question est connu sous le nom de Yeni Kale (le nouveau château) et surplombe le village de Kâhta (l’actuel Eskikâhta)
(Dörner, Kommagene : 85-89).
60 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

Primitivement il existait un château byzantin d’une construction défectueuse puis est venu une
seconde époque à laquelle le Mélik Mansour ayant conquis la place lui a donné une grande
importance en faisant construire plusieurs tours à portiques élégants et à inscriptions multiples253.
Toute cette époque est remarquable par le soin et l’art exquis qu’on a apporté à cet édifice. Nous
donnerons ici plusieurs de ces inscriptions et quelques croquis de détails. A une troisième époque
que nous nous réservons de déterminer254, de nouvelles additions ont été faites à certaines parties de
l’édifice. Les trois époques se distinguent au premier regard par les genres de construction différents
les uns des autres et par les parties ajoutées aux constructions déjà existantes ; en somme le tout est
d’un effet grandiose et réellement on se sent le cœur serré de voir à côté de cette exubérance d’art, de
courage et de bonne volonté, ces misérables taudis marqués au coin de la plus grande décadence et
d’une dégénérescence sans remède255 ! Que sont donc devenus dans cette partie de la terre ces
hommes à large conception et à volonté de fer qui osaient entreprendre d’œuvres aussi gigantesques.
Il y a des siècles que cet édifice est debout et bientôt le misérable village de Kiahta n’existera plus, il
sera complètement oublié et plus d’un siècle après le château de Melik Mansour se montre encore
fier sur cette roche gigantesque ; voilà la récompense de ces hommes d’autrefois.

3/15 mai Mardi


Ce matin nous sommes retournés au château et [nous avons] fait l’estampage d’une inscription
arabe placée sur la porte de la deuxième enceinte qui a été construite en 620 de l’Hégire par
conséquent elle est antérieure à la construction de Mélik Mansour dont la date est plus récente. La
pluie ayant commencé à tomber avec violence nous nous sommes enfermés pour attendre le beau
temps ce qui nous a empêchés de relever les autres inscriptions. La pluie torrentielle n’a pas cessé de
tomber toute la nuit.

4/16 mai Mercredi


De très bonne heure comme le temps paraissait se remettre au beau, nous fîmes partir nos tentes et
nos bagages et nous nous mîmes en route pour faire l’ascension de Nemroud Dagh256. Immédiatement
en sortant du village on traverse un pont de construction arabe, les eaux rapides et torrentielles de
Kiahta Sou qui coule à travers les déchirures profondes et des blocs de rochers gigantesques. L’aspect
de ce torrent est si imposant que pour en donner une idée nous nous décidâmes à la photographier
(photo 8)257. Après avoir passé ce pont et les eaux turbulentes de quelques moulins on prend à gauche
et on suit pendant une heure et demie et toujours en grimpant un profond ravin tortueux bordé de pics
rocheux et d’une hauteur incommensurable. On arrive enfin au petit village nommé Horik258. Ce
253) La publication date cette construction à 525 de l’hégire (1130-1131) (Tumulus, p. 2-3). Voir l’article par Claude
Cahen, “Kakhta”, The Encyclopaedia of Islam, New ed., vol. 4, Leiden, 2006 : 464-465 et les informations qu’il donne au
sujet de la lecture de cette inscription par Osman Hamdi Bey (Dörner et Naumann, Forschungen in Kommagene : 97,
n. 3). Pour les inscriptions du château, voir Dörner et Naumann, Forschungen in Kommagene : 97-101 ; Dörner et Goell,
Arsameia am Nymphaios : 305-313 ; Dörner, Kommagene : 87-89. Cahen s’étonne de ce qu’Osman Hamdi Bey ait lu 525
au lieu de 685/1286 pour la date et que, par conséquent, il ait faussement attribué cette inscription à al-Mansur, alors
qu’elle date du règne de Kalawun (678/1279-689/1290).
254) D’après le Tumulus, cette construction serait postérieure d’un siècle au château arabe d’origine (Tumulus, p. 2).
255) Pour des photographies plus récentes de ce château, voir Dörner, Forschungen, pl. 10-13 ; Dörner, Kommagene :
85-86, fig. 53-54.
256) Le Tumulus précise qu’ils étaient “accompagnés d’un guide kurde et d’un nommé Bogos-aga, membre du
Conseil d’administration du caza de Kiahta” (Tumulus, p. 3). Bogos Ağa, de toute évidence, faisait partie de la communauté
arménienne du kaza.
257) MAI, coll. phot., cliché nº 11187, correspondant à la pl. 4 du Tumulus. Les auteurs remarquent dans le texte
publié que cette photographie ne “donne guère malheureusement qu’une bien faible idée” de l’aspect de ce torrent
(Tumulus, p. 3).
258) Orik (1337) ou Urik (Kiepert), situé immédiatement à l’est de Kâhta (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ;
Memâlik-i Osmâniyye, 1337, pl. Malatya). Le Tumulus précise que “ce hameau kurde […] se compose de sept à huit
habitations délabrées” (Tumulus, p. 4). On retrouve ce village sous le nom de Horik sur des cartes plus récentes (Türkiye,
1953, pl. Siverek).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 61

village est composé de cinq ou six huttes des plus misérables. De ce point on voit le tumulus de Nem-
roud-Dagh259. Après un court repos, nous nous remîmes en route et en moins de deux heures tantôt à
cheval tantôt à pied, nous atteignîmes le tumulus gigantesque sous lequel repose le corps du grand
Antiochus de Commagène. Nous n’oublierons pas de dire ici que tout ce parcours est parsemé
d’hyacinthes bleues et de tulipes.
Quand nous arrivâmes au sommet du tumulus, nous fûmes désagréablement surpris de voir une
partie du monument littéralement couverte de neige. Tout travail sérieux devenait par conséquent ab-
solument impossible de ce côté là, tandis que toute description du paysage environnant était non
moins impossible à cause d’épais nuages qui nous entouraient de tout côté. Nous crûmes devoir
quitter la place et remettre tout travail et toute description à un temps plus propice. Pourtant la
terrasse placée à l’est du Tumulus était à la portée d’un travail sérieux, mais ne voulant pas scinder
le travail nous nous décidâmes à nous remettre aussi afin de faire un seul travail après avoir étudié
les deux monuments à la fois et de nous initier à fond au rapport existant entre eux. De cette façon
nous espérons qu’il y aura unité dans notre travail et qu’il deviendra aussi plus clair et plus
compréhensible. Nous nous décidâmes à prendre des ouvriers et à faire déblayer toute la neige qui
couvre le monument placé au nord du tumulus. Nous laissâmes le soin de ce travail à un Kurde de
Horik dont l’intelligence et la bonne volonté nous parurent suffisantes pour mener la chose à bonne
fin. Quatre heures plus tard nous étions de retour à Kiahta après avoir consigné nos bagages à Horik
et [le] cœur navré de n’avoir pu commencer à travailler à l’étude du tumulus.

5/17 mai Jeudi


Aujourd’hui nous nous sommes fortement embêtés à cause de la pluie qui n’a pas cessé de
tomber toute la journée. Nous avons étés forcés de rester au conak tout le temps. Ce n’est que vers le
soir que nous sommes allés faire un tour derrière le château sur les bords escarpés et rocailleux du
torrent de Kiahta Sou qui passe par cascades et avec grand fracas au pied de l’immense rocher qui
supporte le château. Deux ponts de construction arabe traversent ce torrent. L’un à l’est du château et
l’autre à l’ouest immédiatement au pied du château.

6/18 mai Vendredi


Nous partîmes à onze heures du matin pour aller étudier le tumulus de Kara-Kouch260 qui se voit
au sud de Kiahta sur une des premières collines du Taurus. Pour y aller on passe par le pont
majestueux de Boulam Sou puis en prenant à gauche on suit le cours de Boulam et bientôt en s’en
écartant un peu à une heure et demie de distance du pont on arrive au tumulus. Ce tumulus qui
mesure à partir du niveau de la base des colonnes 28 m de hauteur261, est à moitié artificiel et à
moitié naturel (photo 9)262. Autrefois voulant trouver le tombeau, une large tranchée a été pratiquée
dans cette partie qui est située du côté sud, nous pensons que ce travail n’a pu donner le résultat at-
tendu.
Tout autour du tumulus et à des distances égales se trouvaient en principe trois rangées de
colonnes et chaque rangée en comptait trois. Elles étaient placées de façon à ce que si on joignait les
unes les autres le tout formerait un hexagone dont les grands côtés auraient 12 m et les petits côtés
opposés auraient 10,30 m. Les colonnes étaient par conséquent érigées par trois sur les petits
côtés263. Aujourd’hui des neuf colonnes il n’en existe que quatre. Deux à l’est et une au sud-ouest et
259) Le Tumulus en donne une version plus dramatique : “Nous étions descendus de cheval pour prendre quelque
repos, quand nous vîmes tout à coup devant nous sortir d’une déchirure d’épais nuages qui couvraient les hauteurs la
silhouette imposante du Tumulus” (Tumulus, p. 4). Les auteurs du récit estimaient à 6 500 pieds (environ 1 980 m) la
hauteur de cette montagne (Tumulus, p. 10). En fait, le Nemrud Dağı culmine à 2 150 m.
260) Cara-Couch dans le Tumulus, p. 5-6.
261) 21 m d’après le Tumulus, p. 6.
262) MAI, coll. phot., cliché nº 11205. Le personnage debout sur le socle de la colonne de gauche semble être Osgan
Efendi.
263) Pour une reconstitution du site, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 223, fig. 43.
62 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

la quatrième au nord-ouest. Celle là porte sur elle une plaque de pierre rectangulaire où on aperçoit
en bas-relief très détérioré deux figures grandeur naturelle ; un homme et une femme qui ont l’air de
se donner la main264. A gauche de cette colonne gît parterre un lion assis (photo 13)265 qui mesure
hauteur 2,38 m
largeur à la base 0,85 m
Ce lion surmontait la première colonne à gauche de cette série nord-ouest ; de la colonne de
droite il n’existe aucun vestige.
La colonne du sud qui fait face à la tranchée dont nous avons parlé est surmontée d’un aigle dont
le bec est cassé (photo 11)266 ; celle-ci était la colonne de droite ; de même ici nous ne trouvâmes
aucun vestige des deux autres. Probablement tout était cassé pour se servir de la pierre à faire des
constructions dont on voit aujourd’hui les débris entre la colonne et le tumulus. Le côté le plus
important aujourd’hui est celui du côté est. Là existent encore deux colonnes debout deux tambours
renversés de la troisième et des fragments d’un animal. La colonne du milieu qui n’est surmontée de
rien, porte sur sa face postérieure au tumulus et sur les premier et deuxième tambours d’en haut une
longue inscription fort détériorée où Dr Puchstein dit n’y avoir déchiffré que le nom de (Mithridate).
Pourtant le Dr dans la deuxième visite qu’il y fit a eu soin de prendre un estampage267. Ceci nous a
été dit par les paysans. Comme la chose est d’un intérêt capital, nous allons de même estamper
l’inscription qui s’il faut l’espérer donnera la clef de l’énigme268. La colonne de gauche est surmontée
d’un taureau dont la tête n’existe plus (photo 10)269. Ces colonnes sont en pierre grise270 grossièrement
taillées et se composent de six tambours à part celle du sud qui en a sept. Elles reposent en général
sur une base rectangulaire qui elle même repose sur un socle à saillie.
Ces colonnes sont d’ordre dorique ayant 1,70 m de diamètre à la base. Nous donnons ici sur un
dessin spécial toutes les dimensions, et plusieurs photographies de l’ensemble et du détail afin de
donner une idée plus exacte du monument. Disons en terminant que l’aspect du tumulus est imposant
et que sa partie artificielle est faite de pierres concassées et de galets qu’on aurait retirés des torrents
et rivières qui se trouvent aux alentours. Il serait si non impossible du moins fort difficile d’ouvrir le
tumulus de ce côté là car au fur et à mesure qu’on retirerait ces pierres d’autres coulant d’en haut
viendraient les remplacer et par conséquent boucher le trou qu’on essaierait en vain de faire. Nous
donnons aussi une photographie d’une bande de Kurdes nomades dont les tentes étaient dressées à
proximité du tumulus et qui étaient venus là poussés par la curiosité, nous voir travailler. Ce sont des
gens d’un aspect doux, très affables et surtout fort serviables (photos 12, 15 et 16)271.
Nous quittâmes le tumulus et en revenant on nous montra l’endroit où le Boulam Sou se jette
dans le Kiahta sous un amas de ruines qu’on dit être celles d’un palais. Nous ne manquerons pas
d’aller nous en rendre compte avant de quitter Kiahta.

264) “L’homme est vêtu d’une large robe et porte une sorte de tiare ; c’est là, peut-être un roi. On ne saurait rien dire
du costume que porte la femme, le temps ayant fort maltraité le bas-relief” (Tumulus, p. 6). Pour un dessin de cette colonne
qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi n’ont pas photographiée, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 221, fig.
41.
265) MAI, coll. phot., cliché nº 11212, correspondant à la pl. 6 du Tumulus. Voir aussi Humann et Puchstein, Reisen in
Kleinasien : 222, fig. 42.
266) MAI, coll. phot., cliché nº 11211, correspondant à la pl. 8 du Tumulus. “[…] c’est l’aigle qui surmonte la colonne
de la série C qui a dû donner le nom de Cara-Couch (qui veut dire en turc : aigle)” (Tumulus, p. 8). Voir aussi Humann et
Puchstein, Reisen in Kleinasien : 220, fig. 40.
267) Pour le texte de l’inscription, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 224-225.
268) “Malheureusement un concours de circonstances imprévues nous empêcha de mettre notre projet à exécution”
(Tumulus, p. 8).
269) MAI, coll. phot., cliché nº 11200, correspondant à la pl. 9 du Tumulus. On reconnaît Osgan Efendi adossé à la
colonne de gauche. Voir aussi Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 219, fig. 39.
270) Il s’agit de “calcaire gris” (Tumulus, p. 6).
271) MAI, coll. phot., cliché nº 11193, correspondant à la pl. 7 du Tumulus et clichés n° 11175 et 11214.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 63

7/19 mai Samedi


Nous avons consacré toute la journée à l’étude du pont romain sur le Boulam Sou dont nous
avons déjà parlé272. Disons d’abord qu’il se dirige du sud au nord avec une petite déviation vers le
nord-ouest. Au quart à peu près de la longueur du pont du côté sud, le pont se brise vers l’est. Un arc
puissant plein cintre dont le diamètre est de 34,80 m donne passage aux eaux rapides du Boulam Sou
qui se précipitent avec éclat par une fente profonde de rochers gigantesques. Les deux piliers du pont
reposent sur le rocher ferme, puis vient un second arc vers le sud à une distance de 26,20 m qui
mesure 5 m de hauteur et 3,85 m de large.
La largeur du passage du pont est de 4,90 m bordé d’un parapet à échelon dont la largeur mesure
1,60 m qui à son tour est surmonté d’une rampe verticale dont la hauteur est de 85 cm. Nous en
donnons ici un profil. Le pont mesure 118 m de longueur mais la clef de l’arc principal se trouve à
une distance de 56,15 m à partir de l’entrée du côté sud. Cela provient de ce que la conformation
naturelle du rocher au côté nord est telle qu’il a fallu prolonger de quelques mètres le tablier. Les
parapets sont terminés à chaque entrée par une colonne corinthienne, dont une, celle du côté nord-
ouest manque aujourd’hui. Chacune de ces colonnes est posée sur un socle dont nous donnons ici un
dessin avec les dimensions. La hauteur de ces colonnes composées de neuf pièces mesure 6,27 m à
partir du socle ; leur diamètre est de 0,75 m. Chacune de ces colonnes porte une inscription latine273.
Outre ces inscriptions, quatre plaques, dont l’une manque, celle du sud-est, sont encastrées au
sixième échelon à partir de chaque entrée et des deux côtés portent une inscription identique. Ces
plaques mesurent 2,15 m de haut et 75 cm de large. Nous donnons ici deux vues de ce pont
(photo 5)274. La cassure du pont dont nous avons parlé est due à ce qu’une route qui n’existe plus du
côté sud-est ne fasse pas avec le pont un angle brusque. Nous donnons ici une photographie de cette
entrée du pont afin de bien faire voir cette brisure275. Nous supposons que le second arc du pont est
destiné à donner passage aux eaux de pluie qui couleraient le long d’une pente immense de rocher au
sud-ouest de la rive droite. Sans cette précaution ces eaux seraient venues donner contre le pont et
couler le long de la construction. Actuellement le pont est en parfaite conservation si ce n’est le
pavage du tablier et le parapet qui sont fortement détériorés. Vers le soir de retour nous sommes allés
voir les ruines d’une construction qui se trouvent au point de jonction des deux rivières Kiahta Sou
et Boulam Sou qui avaient attiré notre attention. Ce sont les restes d’une construction byzantine qui
ne méritent aucune description.

8/20 mai Dimanche


Aujourd’hui nous sommes restés au conak pour bien nous reposer car demain nous faisons notre
ascension au Nemroud Dagh (but principal de notre voyage), où nous devons dresser nos tentes pour
faire nos études sur le monument qui s’y trouve. Vers le soir nous sommes allés faire un tour avec
notre fusil nous avons vu force tourtereaux mais nous n’avons pas pu en tuer. Ce matin nous avons
photographié quelques types de Kurdes, le château et les cascades.

272) La description de ce pont a été, dans la publication, abrégée et insérée dans le récit de la journée du 2/14 mai
(Tumulus, p. 2).
273) Les auteurs du récit ont appris par la suite que ces inscriptions “nous apprennent qu’il a été entièrement restauré
par Septime Sévère, Caracalla et Géta, sous la surveillance du surintendant Alphénus Sinessis, et puis, du légat de la
seizième légion, Marius Perpétuus, et que les communautés de Commagène, reconnaissantes, avaient érigé sur quatre
colonnes, terminant de deux côtés le large parapet qui borde le pont, les statues de ces empereurs” (Tumulus, p. 2). Pour une
description du pont et de ses inscriptions, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 394-397.
274) Nous n’en avons retrouvé qu’une : MAI, coll. phot., cliché nº 11195, correspondant à la pl. 1 du Tumulus. Pour
des photographies récentes du pont, voir Dörner, Kommagene : 112, fig. 81-82.
275) Nous n’avons malheureusement pas pu retrouver la photographie dont il est question.
64 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

9/21 mai Lundi (Nemroud Dagh)


Nous quittâmes aujourd’hui Kiahta pour aller entreprendre définitivement nos études du tumulus
de Nemroud Dagh. Depuis plusieurs jours un nombre assez considérable d’ouvriers travaillent à
déblayer l’épaisse couche de neige qui couvrait le monument au côté nord. D’un autre côté
l’alternative de fortes pluies, et ce soleil ardent ont fait que nous espérons bientôt mettre à jour le
monument entier. Nous arrivâmes vers les sept heures de l’après midi à une demi-heure de distance276
au sud du tumulus où dans un ravin suffisamment pourvu de gazon pour faire nourrir nos chevaux,
nous installâmes notre petit campement composé de deux tentes. Pendant que nous nous occupions à
dresser nos tentes un Kurde de nos gens fameux chasseur nous tua un perdreau dodu avec lequel
nous fîmes un dîner copieux. Des photographies que nous fîmes immédiatement de l’emplacement
de notre campement et de nos tentes ont donné un résultat inattendu vu que la chambre obscure que
nous avions improvisée ne nous semblait pas suffisamment conditionnée (photo 14)277. Sur notre
chemin nous fîmes un gros bouquet de hyacinthes, de tulipes et d’une autre fleur dont nous ignorons
le nom et que nous n’avons vu jusqu’ici nulle part ; il orna notre tente et ajouta un charme de plus à
la nature belle et poétique au milieu de laquelle nous vivons. Tout autour de nous 30 à 40 Kurdes,
précisément ceux qui ont travaillé au tumulus bivouaquent autour de grands feux qu’ils ont allumés.
C’est un spectacle merveilleux de voir ces immenses montagnes rocheuses, tachetées de neige et des
grands feux de nos gens qui brillaient par-ci par-là, le tout noyé dans la lumière d’une pleine lune
merveilleuse278.

10/22 mai Mardi (Nemroud Dagh)


L’état où nous avons trouvé le tumulus.
Le côté sud-ouest du tumulus est caché sous une épaisse couche de neige de sorte que nous ne
pouvons donner aucune description de cette partie d’une façon précise. Pour donner une idée des
travaux que nous y faisons faire je dirai que nous avons employé à déblayer la neige samedi 18
ouvriers, dimanche 13, lundi 33, mardi 34 (photos 21 et 22)279. Il a été mis au jour toute la galerie se
trouvant derrière les statues, la grande inscription plus loin, deux lions, deux aigles et cinq grandes
plaques renversées sur leurs faces. Nous donnâmes ordre de bien nettoyer demain la place afin de
relever les plaques et de retirer les aigles et les lions (photo 54)280. Ce sont précisément celles que le
Dr Puchstein n’a pu voir attendu qu’il ne possédait pas les moyens de les relever. Plus bas la neige
qui fond un peu a mis à moitié au jour quatre têtes appartenant à une série de statues. Nous
trouvâmes aussi une plaque d’inscription qu’on avait récemment brisée en petits morceaux, nous les
ramassâmes afin de les réunir et l’estamper plus tard281.
Au côté nord-est où il n’y avait pas de neige nous travaillâmes toute la journée. Nous y
trouvâmes une série de cinq statues debout sur leurs piédestaux. Celle du milieu la plus grande n’a
pas de tête, elle a roulé vers la gauche au bas de l’escalier, le menton manquait ainsi que le bout de la
coiffure282. Nous ne trouvâmes aucun de ces morceaux, cette tête a été dressée par nous (photo

276) 1 h. ½ d’après le Tumulus : 8.


277) MAI, coll. phot., cliché nº 11176. Correspondant à la pl. 10 du Tumulus.
278) Le Tumulus (p. 8-9) dénombre “40 à 50 kurdes” et précise qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi passèrent “une
grande partie de la nuit à contempler ce tableau grandiose, tout en écoutant le chant des Kurdes”.
279) MAI, coll. phot., clichés nº 11181 et 11188.
280) MAI, coll. phot., cliché nº 11191 (Tumulus, nº 30). Pour une reconstitution de l’emplacement de ce lion au bout
de la série de cinq plaques à bas-relief, voir le cliché nº 11180.
281) L’inscription en question est, de toute évidence, l’inscription honorant Aroandès qui fut remise au Musée
d’Istanbul (voir n. 317 et 322 infra ; Tumulus, pl. VI). Le Tumulus (p. 9) donne par ailleurs deux paragraphes correspondant
à cette description, tirés des “notes que nous avons prises, sur les lieux-mêmes, concernant l’état où nous l’avons trouvé”.
Or ces quelques lignes ne correspondent nullement au carnet de voyage que nous publions ici. Il faut probablement en
déduire qu’il existait une version antérieure, faite de notes prises sur le terrain – probablement par Osgan Efendi ainsi
qu’on le voit sur la photo 29 – et qui étaient par la suite réécrites dans le carnet de voyage.
282) Il s’agit de la statue colossale de Jupiter, légèrement plus grande que les quatre autres (Tumulus, p. 15).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 65

27)283. La statue qui se trouve à la droite de celle-ci est une statue de femme qui conserve sa tête,
pourtant le haut de sa coiffure qui était d’une pièce rapportée avait roulé et gisait à côté de la tête que
nous avons redressée284. La tête de la statue qui vient après n’a pu être retrouvée par nous285. La
statue qui est à gauche de celle du milieu n’a pas de tête ; ainsi que l’autre [elle] avait roulé au bas de
l’escalier et nous l’avons redressée (photo 28)286 ainsi que celle de la suivante qui se trouvait sur la
pente de l’escalier [et] qui a été roulée par nous jusqu’au bas de la terrasse où nous l’avons redressée
(photo 26)287. Cette série de cinq statues se terminait à chaque bout par un aigle et un lion [qui] ont
été absolument démolis avec leurs piédestaux sauf l’aigle de gauche dont la moitié est encore sur un
piédestal à moitié conservé. Tous les fragments de ces aigles et ces lions gisent pêle mêle des deux
côtés de la série des statues (photos 23 à 25)288. Nous trouvâmes parmi eux deux têtes d’aigle
(photo 30)289 et une tête de lion, des ailes, des pattes et des griffes. Comme derrière les piédestaux de
ces statues, il y a une inscription ; pour l’étudier, le Dr Puchstein a fait déblayer et fait jeter tous les
cailloux provenant à travers l’espace qui sépare les piédestaux de façon que toute la pente qui
formait l’escalier en est couverte en très grande partie. Ainsi pour se rendre compte d’une façon
exacte de cet escalier il faudra le déblayer.
Le Dr Puchstein a fait aussi fouiller le côté opposé de la terrasse, on y voit à gauche un lion et la
moitié d’un aigle.

11/23 mai Mercredi (Nemroud Dagh)


A la plateforme sud-ouest à gauche de la série des statues et d’inscriptions nous fîmes faire une
grande tranchée dans la neige d’abord puis dans les pierres cassées, qui a mis à jour cinq plaques et
à chaque bout deux lions et deux aigles (photos 21-22 et 36-37)290. Partant de gauche la plaque Nº 1

283) MAI, coll. phot., cliché nº 11182 (Tumulus, nº 15).


284) Statue de la Commagène (Tumulus, p. 16).
285) Statue d’Apollon. L’absence de toute trace de la tête fait supposer Osman Hamdi Bey que cette statue était
inachevée (Tumulus, p. 17).
286) MAI, coll. phot., cliché nº 11183 (Tumulus, nº 16). Il s’agit de la statue alors identifiée comme celle d’Antiochus
(Tumulus, p. 16), alors qu’il s’agit d’Apollon-Mithras.
287) MAI, coll. phot., cliché nº 11207 (Tumulus, nº 17). Il s’agit de la statue d’Hercule (Tumulus, p. 16). On est tenté
de voir dans le personnage se tenant à gauche de la tête d’Hercule Bogos Ağa, “membre du Conseil d’administration du
caza de Kiahta” (voir n. 256 supra) en raison de son costume qui le distingue nettement des ouvriers kurdes de l’équipée.
Pour une photographie récente de cette tête, voir Dörner, Kommagene : 24, fig. 10.
288) MAI, coll. phot., clichés nº 11177, 11206 et 11197, les deux derniers correspondant aux planches 12 et 12/1 du
Tumulus. Il est à noter que, bien qu’extrêmement semblables, les clichés nº 11177 et 11206 présentent l’intérêt d’avoir été
pris à quelques jours de distance. En effet, ce “jeu des sept erreurs”, dont la fonte des neiges sur le tumulus fournit peut-être
l’indice le plus voyant, permet de constater que trois têtes qui avaient roulé au bas de la plateforme ont été redressées. On
reconnaît ainsi à l’extrême gauche du second cliché une partie de la tête de Zeus, gisant aux pieds du personnage debout sur
le premier cliché – encore une fois Bogos Ağa (voir n. 256 et 287, supra) – et celle d’Apollon, redressée à l’endroit même
où on la voit couchée sur la joue gauche et à moitié ensevelie sur le premier cliché. Quant à la tête d’Hercule, redressée en
bas à droite du second cliché, il est probable qu’elle corresponde, sur le premier cliché, au gros bloc de pierre situé derrière
la tête d’Apollon. En revanche, il est difficile de se prononcer sur l’époque à laquelle le cliché nº 11197 a été réalisé, l’angle
de la photographie ne permettant pas de voir l’état des têtes au bas de la plateforme. Toutefois, on serait tenté d’identifier
la tache blanche qui se distingue à peine derrière un bloc plus foncé au niveau du second moellon à partir de la gauche du
mur au premier plan comme une partie du bloc que nous avons identifié comme l’état premier de la tête de Zeus sur le
cliché nº 11177. Ce détail, de même que la présence d’un personnage ressemblant à celui que l’on voit devant la jambe
droite de Jupiter sur le cliché nº 11177, permettrait de supposer que cette vue fut aussi prise avant les travaux de
redressement des têtes. Pour des images plus récentes, voir Dörner, Kommagene : 21-22, fig. 6-7 ; Sanders, Nemrud Dağı,
vol. II : 54-81.
289) MAI, coll. phot., cliché nº 11203, correspondant à la pl. 22 du Tumulus. Accroupi aux côtés de la tête d’aigle,
Osgan Efendi. Pour une photographie récente de cette tête d’aigle, voir Dörner, Kommagene : 27, fig. 15.
290) MAI, coll. phot., clichés nº 11174, 11180, 11181 et 11188, les trois premières correspondant aux pl. 29, 26 et 11
du Tumulus. On reconnaît sur la seconde, la cigarette aux lèvres et le pistolet à la ceinture, Osman Hamdi Bey. Sur la
troisième et la quatrième, il apparaît debout sur une des plaques. Les clichés nº 11180 et 11181 permettent de se faire une
idée de l’état de cette série de plaques telle qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi la découvrirent. La plaque sur laquelle
Osman Hamdi Bey se tient est la nº 1 qui avait été relevée auparavant par Otto Puchstein et dont le bas-relief était fort
66 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

étant tombée sur la face avait été retournée par le Dr Puchstein, elle portait un bas-relief fort
détérioré. Aujourd’hui on voit à peine deux figures debout et on distingue que l’une des figures porte
une sorte de casque grec et l’autre la tiare291, elle mesure :
largeur 1,35 m292
longueur 2,30 m
épaisseur 0,28 m
La seconde plaque étant tombée de son piédestal sur la face nous la retournâmes. Elle ne portait
aucune inscription sur le dos qui soit lisible. Nous mîmes donc à jour un bas-relief composé de deux
personnages debout et se donnant la main (photos 42 á 44)293 ; celle de droite représente un roi,
Antiochus sans doute, imberbe, portant une tiare et un sceptre à la main la figure de vis-à-vis de
même grandeur représente Apollon ou Hélios portant à la main quelque chose qu’on ne peut
distinguer. Une sorte de bonnet phrygien à la tête qui se détache sur un fond radié, tous deux portent
un costume oriental294. Cette plaque mesure : larg. 1,50, long., 2,30, épais. 0,50. Pour faciliter le
travail nous retournâmes la cinquième plaque qui se trouvait dans la même position que la seconde.
Nous découvrîmes un lion parfaitement conservé, il est de profil et la tête de face, une grande lune
sur la poitrine (photos 45 et 46)295. Le corps et le champ sont ornés de soleils à huit rayons. Au bord
de la plaque sur ces trois soleils à 16 rayons une inscription (?)296. Cette plaque mesure : longueur
2,45, hauteur 1,80297. Nous donnons ici différentes photographies que nous avons faites aujourd’hui.
Nous avons fait aussi le plan du plateau du côté nord-est du tumulus298.

12/24 mai Jeudi (Nemroud Dagh)


Aujourd’hui nous continuâmes à renverser la série de plaques d’hier. La quatrième plaque que
nous retournâmes avec difficulté porte un relief de même grandeur que le Nº 2. C’est le roi
Antiochus dans la même attitude et le même costume donnant la main à l’Hercule nu (photo 47)299.
Celui-ci porte une massue à la main gauche et appuyée à l’épaule ayant la tête laurée une peau de
lion qui couvre son épaule droite tombe jusqu’à terre. De même que dans le bas-relief Nº 2 le milieu

détérioré. Les plaques retournées qui la suivent vers le premier plan correspondent vraisemblablement aux trois suivantes.
Quant aux clichés nº 11180 et 11174, ils représentent deux étapes successives des travaux de redressement. Sur le premier,
pris de l’extrémité nord de la série, on distingue, en partant du premier plan, les plaques nº 1 (avec un ouvrier assis dessus),
nº 2 (déjà redressée avec son bas-relief d’Antiochus et Apollon), nº 3 (encore retournée et dont on observe la cassure près
du socle), nº 4 (avec un bas-relief d’Antiochus et Hercule) et nº 5 (avec son lion étoilé), ainsi que, tout au fond, la statue de
lion à demi ensevelie dans les galets (voir le cliché nº 11191). Le second cliché représente les mêmes plaques, cette fois-ci
prises du sud, après la fin de tous les travaux de redressement. On remarque ainsi que la plaque nº 3, maintenant redressée,
est cassée et que sa partie inférieure a basculé derrière. Notons par ailleurs que l’état antérieur de cette plaque, bien
qu’arborant déjà une cassure transversale, ne semble pas indiquer que celle-ci fût complète. On en retire l’impression que
la plaque s’est peut-être brisée en deux lors du redressement, lorsqu’une fausse manipulation a pu transformer en brisure ce
qui n’était encore qu’une fêlure. Pour une reconstitution de la terrasse ouest avec les statues colossales et les plaques, voir
Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 328, fig. 48.
291) Le Tumulus précise qu’il s’agit d’un homme et d’une femme se donnant la main, l’homme portant une tiare et la
femme, “une sorte de coiffure qui va en s’élargissant, comme un panier à bord recourbé” et en conclut “que c’est là le roi
Antiochus lui-même, donnant la main à la fertile Commagène, sa patrie” (Tumulus, p. 20).
292) 1,53 d’après le Tumulus, p. 20.
293) MAI, coll. phot., clichés nº 11204, 11208 (Tumulus, nº 23) et 11210.
294) Pour une description détaillée de ce bas-relief, voir le Tumulus, p. 21.
295) MAI, coll. phot., clichés nº 11179 (Tumulus nº 24) et 11202. Pour une photographie récente, voir Dörner,
Kommagene : 27, fig. 16.
296) “L’igné à Hercule, le brillant à Apollon, Phaéton à Jupiter”, références astrologiques probablement liées à
l’horoscope d’Antiochus (Tumulus, p. 22).
297) Epaisseur 0,47 m (Tumulus, p. 22).
298) Les plans du monument, ainsi que le plan d’ensemble publié en appendice du Tumulus furent dressés par Osgan
Efendi (Tumulus, p. 10). Il est à noter que ce passage, où Osgan Efendi est nommément cité, inverse en quelque sorte le
processus de rédaction du récit, puisque le carnet que nous publions a été tenu par Osgan Efendi lui-même. Pour un plan to-
pographique du site et des environs, voir le plan dressé en 1953-1956 par H. Brokamp (Dörner, Kommagene, p. 20, fig. 5).
299) MAI, coll. phot., cliché nº 11199 (Tumulus, 25). L’instrument à manivelle au premier plan semble être un cric.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 67

de la plaque étant fortement détérioré on voit à peine les mains qui se touchent. Cette plaque qui
porte une inscription300 a été estampée par nous (?) (photos 38 à 41)301 la plaque mesure long. 2,50,
larg. 1,50302. Il nous restait la troisième plaque qui est celle du milieu et qui est la plus grande ; [elle]
se trouve être malheureusement cassée transversalement cette cassure a été faite sans doute au
moment de la chute303. La chute de toute cette série des plaques et des lions et aigles qui terminaient
les deux bouts est due à l’écoulement des pierres du tumulus provenant d’un trou qu’on avait
pratiqué quelques mètres plus haut, sur la plateforme où gisent dans la neige trois têtes (photos 30 à
35)304. L’une a été redressée et photographiée par nous.

13/25 mai Vendredi (Nemroud Dagh)


Aujourd’hui nous avons dressé la grande plaque du milieu, la Nº 3. Nous fûmes fort désappointés
de voir que le bas-relief qu’elle portait était plus détérioré que les trois autres. C’est d’autant plus
regrettable que cette plaque était la plus importante non seulement comme dimension mais encore
comme représentation. Ici le dieu est assis, c’est Jupiter. Tandis que dans les autres plaques Hercule,
Apollon et Mercure étaient debout. Il semble que le grand roi Antiochus se considérait l’égal des
petits dieux tandis que ici il a l’air de rendre hommage au plus grand des dieux en se tenant debout
devant Jupiter assis. Le fauteuil qui le porte a des bras qui se terminent par une tête de lion à cornes
et le dossier se termine des deux bouts par un aigle aux ailes déployées. Il porte une coiffure en
forme de bonnet phrygien et toute parsemée d’étoiles. Il porte un sceptre dans la main gauche et la
droite se donne avec celle d’Antiochus. Antiochus debout devant le grand dieu donne sa main droite
à Jupiter tandis que de la gauche qui est avancée jusqu’au milieu du champ entre les deux figures, il
tient une épée, il porte à droite suspendue à la ceinture une toute petite épée dont le fourreau est orné
de têtes de lions. Le roi Antiochus porte un costume très riche et une tiare comme tous les autres bas-
reliefs. Cette plaque est excessivement bien conservée comme on pourra le voir d’après la
photographie que nous avons faite (photo 48)305. Mais ce qui fait défaut ce sont les figures, on n’y
distingue aucune trace ; elles étaient probablement de profil, on en peut juger facilement par le
bonnet phrygien et par la tiare du roi. Sous les pieds de Jupiter il y a un escabeau (photo 49)306. Cette
plaque mesure
hauteur avec la pièce cassée 2,55 m307
largeur 2,25 m

14/26 mai Samedi (Nemroud Dagh)


Nous quittâmes notre campement de fort bonne heure et à une heure nous nous mîmes à monter
la tête d’Antiochus et celle d’Hercule, tandis que nos ouvriers de l’autre côté sur le plateau nord-est
dressaient la tête de lion (photo 29)308 et deux bas-reliefs. Un vent assez fort s’est levé dans l’après-

300) “[…] fort dégradée, où on distinguait vaguement le nom d’Antiochus et, plus bas, celui d’Hercule” (Tumulus,
p. 23).
301) MAI, coll. phot., clichés nº 11216, 11217, 11173, 11213. Les deux premières photographies nous montrent
Osman Hamdi Bey en train d’effectuer un moulage du roi Antiochus sur la plaque nº 2 le montrant avec Hercule. Sur les
deux suivantes, le même travail est effectué sur Hercule par Osgan Efendi.
302) Epaisseur 0,30 m (Tumulus, p. 23).
303) Au sujet de cette cassure, voir n. 290 supra.
304) MAI, coll. phot., clichés nº 11186 et 11192 (Hercule), 11190 (Antiochus), 11185 (Zeus), 11194 (Commagène)
(Tumulus, nº 18, 19, 19/1, 20, 21). Pour des photographies récentes de ces têtes, voir Dörner, Kommagene : 23-25 ; Sanders,
Nemrud Dağı, vol. II : 83-111.
305) MAI, coll. phot., cliché nº 11184 (Tumulus, nº 27).
306) MAI, coll. phot., cliché nº 11196 (Tumulus, nº 28).
307) 2,50 m d’après le Tumulus : 24. Epaisseur 0,45 m.
308) MAI, coll. phot., cliché nº 11178 (Tumulus, nº 14). Aux côtés de la tête de lion, Osgan Efendi en train de prendre
des notes dans un calepin. On distingue difficilement, derrière la tête de lion, les deux plaques à bas-relief – celle de droite
est presque entièrement cachée – qui figurent sur la photographie nº 13 du Tumulus mais dont nous n’avons pu retrouver la
plaque de verre au musée.
68 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

midi du côté de l’est qui nous a fort incommodés pendant notre moulage. De grandes masses de
neige qui se trouvaient derrière nous sur la pente du tumulus ont été précipitées pendant que nous
étions en train de travailler au moulage, heureusement qu’elles ont été arrêtées par une rangée de
grosses pierres que nous avons entassées à dessein derrière nous soit pour arrêter la descente des
cailloux ou celle d’une avalanche, car la neige depuis notre arrivée avait déjà diminué de beaucoup
et les neiges se tenaient suspendues en arcades sur nos têtes. Nous avons travaillé jusqu’à dix heures
et demie du soir, nous avons fini de mouler la tête d’Hercule, mais celle d’Antiochus est restée
inachevée, il n’en reste pourtant que très peu.

15/27 mai Dimanche (Nemroud Dagh)


Jusqu’à midi nous finîmes le reste de notre moulage, après nous nous mîmes à copier l’inscription,
la grande derrière les socles des grandes statues309. Nous mîmes aussi à jour un bout de mur à gauche
du plateau sud-ouest où l’on voit des trous pour y dresser des plaques comme dans les autres murs et
des autels devant chaque trou et des fragments de bas-reliefs appartenant à des plaques qui se
trouvaient sur ce mur. Nous en avons photographié un (photo 50)310.

16/28 mai Lundi (Nemroud Dagh)


Aujourd’hui nous continuâmes à copier la grande inscription et nous la finîmes jusqu’au soir.
Nous avons photographié du haut du tumulus la vue tout autour de nous (photos 17 á 20)311. Le soir
de retour nous avons remarqué sur le rocher à une centaine de mètres de distance du plateau sud-
ouest sur la pente un trou rectangulaire comme ceux qui se trouvent sur les murs des deux plateaux,
c’était probablement pour y fixer une plaque dont nous n’avons vu malheureusement aucun vestige.

17/29 mai Mardi (Nemroud Dagh)


Ce matin nous nous réveillâmes par le bruit d’une pluie battante, qui se faisait entendre sur les
parois extérieures de notre tente. Mais elle ne fut pas d’une longue durée de sorte que nous pûmes
nous mettre en route comme à l’ordinaire pour rencontrer S.M. Antiochus Mégas. Arrivés là-haut,
nous nous mîmes immédiatement à contrôler la première partie de l’inscription avec celle de l’autre
côté ceci nous occupa jusqu’à midi. De grands nuages enveloppèrent les montagnes au sud de
Nemroud Dagh et déjà la pluie tombait à très peu de distance de nous. Nous eûmes à peine le temps
de battre en retraite. Ce ne fut plus une descente mais bien une dégringolade. En moins de 20 mn
nous gagnâmes notre tente sans être atteints par la pluie. Nous fûmes quelque peu mécontents pour
le temps que nous perdîmes, car il était bien précieux pour nos études, mais bientôt, l’idée d’un repos
après tant de journées de travail et de fatigue calma nos esprits. Nous passâmes le reste de notre
temps agréablement en faisant causette et en ramassant dans la prairie qui s’étend devant notre tente
diverses espèces de plantes. Après le dîner comme d’habitude nous nous mîmes à développer nos
clichés mais il n’y en a que deux pour aujourd’hui qui réussirent à merveille.

18/30 mai (Nemroud Dagh)


Après une nuit de pluie, de tonnerre et de vent, nous entreprîmes notre dernière ascension avec
un beau soleil. Arrivés au monument nous nous mîmes immédiatement à raccorder les morceaux
brisés d’une inscription que nous donnons ici, puis nous redressâmes une plaque dont le bas-relief
était dessous et on pouvait à peine distinguer quelques lettres [sur] le revers. La figure parfaitement
conservée représente un ancêtre persan portant robe brodée chaussure étoilée collier et agrafes. La
coiffure toujours de forme phrygienne porte ornementation. C’est une figure barbue à la façon

309) Pour le texte de cette inscription, sa transcription, sa traduction et son commentaire, voir le Tumulus, pl. I-V et
p. I-XX ; Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 262-278.
310) MAI, coll. phot., cliché nº 11198 (Tumulus, nº 31).
311) MAI, coll. phot., clichés nº 11218-11221.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 69

archaïque qui tient d’une main une pa…312 et de l’autre un rouleau qui a l’air d’un faisceau
(photos 51 et 52)313. Elle mesure hauteur […] largeur […]314. La plaque à côté dont la figure était
dessus et qui était d’ailleurs fort fruste représente une figure identique. Nous nous dispensâmes de la
photographier mais l’ayant retournée nous trouvâmes sur le revers l’inscription suivante315.
Les fragments des bas-reliefs et d’inscriptions prouvent suffisamment que cette série était
destinée à la représentation des ancêtres persans du grand roi Antiochus.
La série des bas-reliefs (photo 53)316 tous excessivement détériorés presque parallèle à la grande
série des statues des dieux représente en général des figures de femme ; une inscription que nous
pûmes relever avec peine, nous la donnons ici317.
Ces plaques mesurent :
largeur 1,20
hauteur 1,80
Nous passâmes ensuite à la plateforme nord-est après avoir mesuré le diamètre du tumulus, il est
à peu près de 150 mètres318. Au nord de ce plateau à une distance de 45 m319 commence une série de
socles allant vers l’ouest et formant trois échelons vu l’élévation du terrain ; elle mesure 84 m de
long elle se compose de 70 plaques de différentes grandeurs ; aucune figure ne s’y voit320. Toutes ces
plaques ayant été renversées sur le dos et le temps ayant détruit leurs surfaces sculptées, sur leurs dos
point d’inscription ce qui fait que nous ne pouvons rien dire sur le sujet continu qu’elles représentaient.
A 52 m de distance du commencement de cette série et à un écartement de 6 m on aperçoit les
vestiges de deux fondations parallèles de (x)321 d’écartement formant un angle de 40 degrés
d’écartement avec la ligne des socles qui finissait à un rocher où l’on aperçoit le dernier trou
rectangulaire où s’enclavait la dernière plaque. Toute cette série de bas-reliefs regardait le tumulus.

19/31 mai Jeudi


Départ de Nemroud Dagh.
Ce matin à une heure il a fallu que je grimpe de nouveau au pied du tumulus pour refaire la pho-
tographie d’une plaque qui n’avait pas réussi. Une fois là-haut j’ai trouvé une pièce de cette
inscription que nous emportons pour le Musée322. Après avoir photographié et mesuré la largeur du
mur de la série des plaques qui mesure 1,60 m (photo 36)323 je descendis la montagne pour la
dernière fois et cueillant en route un grand bouquet de tulipes ; j’arrivai à notre campement que l’on
était déjà en train d’enlever à cause de l’arrivée des bêtes de transport. Après avoir fait un petit
déjeuner sous notre tente qui n’était pas encore enlevée nous nous mîmes à cheval à trois heures et
demie et à six heures nous étions à Kiahta où nous descendîmes chez le caïmacam. En route nous
avons arraché des racines de cette jolie fleur rouge dont nous avons déjà parlé pour l’emporter à
Constantinople.
312) Patère, ainsi que le précise le texte du Tumulus : 25.
313) MAI, coll. phot., clichés nº 11209 (Tumulus, nº 32) et 11215.
314) Laissé en blanc. Le Tumulus non plus ne donne pas les dimensions de ce bas-relief.
315) Pour cette inscription honorant Darius, fils d’Hystaspe, voir le Tumulus : 25.
316) MAI, coll. phot., cliché nº 11201 (Tumulus, nº 33). Il s’agit de la septième plaque de cette série des “ancêtres”
(Tumulus : 26).
317) Voir le Tumulus : 26 et 28 pour deux inscriptions honorant l’une, Aroandès, fils d’Artassouras et mari de la reine
Rodogune, fille d’Artaxerxès et l’autre, la reine Issiade Philostorgue.
318) C’est la distance séparant les socles des statues colossales des deux plateformes du monument (Tumulus : 11).
319) 46 m selon le Tumulus : 11.
320) Le Tumulus en dénombre 71, en comptant un dernier trou pratiqué dans le rocher à l’extrémité ouest de la série.
L’absence de toute représentation sur ces plaques est un des principaux arguments avancés par Osman Hamdi Bey dans son
hypothèse que le monument est resté inachevé (Tumulus : 11-12).
321) 2,70 m (Tumulus : 12).
322) Il s’agit de l’inscription honorant Aroandès, qui fut remise au Musée de Tchinili-Kiosk (Çinili Köşk), alors
Musée des antiquités (Tumulus : 26, n. 1).
323) MAI, coll. phot., cliché nº 11174.
70 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

20/1 juin Vendredi


Nous n’avons pas pu fermer l’œil toute cette nuit ; soit la chaleur étouffante, soit les moustiques
et les poux qui n’ont pas cessé de nous manger et piquer toute la nuit.
Nous nous sommes levés de très bonne heure et fait nos préparatifs pour partir pour Samsat324.
Nous quittâmes Kiahta à dix heures et demie du matin ; arrivés au pont romain nous nous arrêtâmes
pour le photographier. Ceci nous prit une demi-heure de temps. Nous continuâmes ensuite notre
route en passant par Kara-Kouch et marchant à travers une campagne aride et non cultivée ; nous
arrivâmes à trois heures et demie à un village nommé Kaïrasch325 de l’achiret Zirafkian. Là nous
fîmes un petit déjeuner et après une halte de trois quarts d’heure nous reprîmes notre route. A une
heure de distance de ce village mon ami Hamdy Bey eut un gros accident, heureusement sans aucune
conséquence grave. A huit heures et quart nous arrivâmes à un village nommé Birik326 où nous nous
reposâmes une demi-heure. Ici les paysans nous dirent que dans un village situé sur notre route il se
trouvait une pierre où sont sculptées des figures. Nous partîmes immédiatement et presque une heure
après nous atteignîmes ce village qu’on appelle Silik327. Là nous vîmes réellement gisant par terre
sur une route à moitié enfouie dans la terre et à moitié cachée par les herbes une plaque de pierre
grise d’une hauteur de 1,50 m largeur 0,80 m, épaisseur 0,30 m328. Cette plaque portait un bas-relief,
qui représente en petit le grand bas-relief que nous avons vu à Nemroud Dagh où Antiochus est
représenté debout donnant la main à Hercule. C’est absolument le même sujet. Il est assez bien
conservé seulement un petit bout d’en haut est cassé du côté de la tête d’Hercule. Cette plaque porte
des inscriptions sur l’épaisseur à droite et à gauche. Il est à supposer que cette inscription continue
aussi sur le dos329. Tous nos efforts furent insuffisants pour redresser ou renverser sur le dos la plaque
car nos crics faisaient partie de nos bagages et nous les avions précédés de beaucoup.
Nos forces musculaires et celles des chétifs paysans kurdes ne furent pas suffisantes dans cette
occasion. L’inscription est excessivement détériorée, mais nous regrettons beaucoup de n’avoir pas
pu la photographier. Du reste la chaleur étouffante et l’approche de la nuit ne nous permirent pas de
porter à bonne fin nos efforts et nous fûmes forcés de continuer notre route. Ici nous rencontrâmes de
campagnes fertiles et bien cultivées. Nos regards furent attirés par l’éclat éblouissant des roses
trémières blanches qui brillaient au soleil ; c’était vraiment ravissant l’effet que présentaient ces
fleurs répandues en grand nombre dans les champs de blé. Pourtant nous n’en avons pas vu une seule
qui soit rouge, elles étaient toutes blanches. A l’approche de Samsat nous vîmes au bout de la
plateforme qui domine Samsat et l’Euphrate, quelques tumulus de petite dimension. A onze heures et
demie nous arrivâmes à Samsat. Nous fûmes fortement saisis au cœur en voyant ces quelques mal-
heureuses huttes qui composent la ville moderne. Où trouver ce Samsat, la superbe capitale de la
Commagène, cette ville qui vit naître Lucien ? Il n’en reste pas le moindre vestige. On voit
seulement à quelque distance de la misérable ville moderne une élévation sur le bord du fleuve sur
laquelle se trouve une immense plateforme. Ce devait être l’acropole, elle est d’une forme
rectangulaire et à l’extrémité sud-ouest se trouvent les restes d’une fortification rectangulaire d’une
époque postérieure d’aucune importance. Voilà tout ce qui reste de l’ancienne ville330.
324) Samsat, village à environ 60 km de Kâhta, sur la rive gauche de l’Euphrate (Kiepert, Kleinasien, 1916,
pl. Malatja ; Türkiye, 1946, pl. Hatay ; Türkiye, 1948, pl. Birecik). A noter que la carte de Cuinet situe Simsat (Samsat) un
peu en retrait de la rive droite du fleuve (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II, carte du vilayet d’Alep, h.t.).
325) Kayraş, village se trouvant à 8 km au sud de Karakuş, 18 km au sud de Kâhta et 23 km au nord-nord-est de Birik
(Türkiye, 1953, pl. Adıyaman).
326) Birik, village à une quarantaine de kilomètres au sud-sud-ouest de Kâhta (Türkiye, 1946, pl. Hatay ; Türkiye,
1953, pl. Adıyaman).
327) Selik selon le Tumulus : 29. Selik : village à environ 2 km au sud-sud-ouest de Birik (Türkiye, 1953, pl. Adıya-
man).
328) Les dimensions données par Humann et Puchstein sont de 1,57 x 0,60 x 0,57 (Humann et Puchstein, Reisen in
Kleinasien : 368).
329) Le Tumulus précise que cette inscription “n’était autre que la répétition de la seconde partie de la grande
inscription de Nemroud-Dagh” (Tumulus : 29). Pour une reproduction de la stèle de Selik, voir Humann et Puchstein,
Reisen in Kleinasien : 368, fig. 52. Pour le texte de l’inscription, ibid. : 370-371.
330) Ici se termine le texte publié dans le Tumulus : 30.
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 71

21/2 juin Samedi


Ce matin nous allâmes visiter les environs de Samsat et comme nous avons déjà dit dans notre
rapport d’hier, il n’y a absolument rien à voir. Donc nous montâmes sur la plateforme de l’acropole
qui est d’une forme triangulaire331 et dont l’angle sud touche l’Euphrate. De cette hauteur nous fîmes
la photographie du Samsat actuel qui est au bord du fleuve. De la ville ensuite nous photographiâmes
l’acropole avec les restes de château qu’on voit sur l’extrémité sud. De retour chez notre hôte nous
photographiâmes dans la cour le Kurde Ismaïl Aga à cheval en deux différentes poses. Nous
quittâmes Samsat à trois heures et en remontant le fleuve vers l’est nous atteignîmes le bord du
fleuve à Harlaïam332, village situé sur l’Euphrate à trois quarts d’heure de distance de Samsat. Là
nous traversâmes le fleuve nous et nos chevaux dans une misérable barque (photo 55) et à quatre
heures et demie nous gagnâmes l’autre rive où se trouve le village de Kantara333. Au moment où nous
remontions à cheval pour continuer notre voyage, nous entendîmes derrière nous des personnes qui
nous appelaient, nous reconnûmes avec une surprise aussi grande qu’agréable le comité allemand de
Nemroud Dagh. C’étaient nos amis les Drs Humann, Puchstein et von Luschan. Nous résolûmes de
nous arrêter sur la Mésopotamie pour célébrer cette heureuse rencontre334.
Nous fîmes donc retourner nos bagages qui étaient déjà partis et nous dressâmes nos tentes tout
au bord de l’Euphrate ; notre joie redoubla quand nous y reçûmes les lettres de nos familles. Ce ne
fut que rire et gaîté. Nous prîmes toutes sortes de liqueurs, c’était une vraie fête. Nous nous photo-
graphiâmes tous ensemble pour avoir un souvenir de cet heureux jour. Nous photographiâmes aussi
des chameaux. Le soir nous fîmes un dîner copieux et nous passâmes le reste de la soirée à
développer nos clichés.

22/3 juin Dimanche


Après avoir fait nos adieux à nos amis et des vœux pour nous revoir bientôt nous reprîmes notre
route à dix heures du matin à destination d’Ourfa. Après une course de trois heures et demie nous
arrivâmes à Tordek335 village où nous nous reposâmes pour une demi-heure. En continuant notre
route toujours vers le sud et suivant toujours une bonne route à travers une plaine plate et très riche
en culture et par une chaleur excessive nous arrivâmes à sept heures à un endroit où plusieurs
gendarmes envoyés à notre rencontre par le mutessarrif pacha336 nous conduisirent dans un kiosque

331) Elle était rectangulaire la veille !


332) Havliyan, situé à peu de distance au nord-est de Samsat (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Türkiye, 1948,
pl. Birecik ; voir aussi la carte très détaillée d’après A. Nöldeke dans Dörner et Naumann, Forschungen in Kommagene, pl.
17). Pour une barque similaire, voir Humann et Puchstein, Reisen in Kleinasien : 174.
333) Arab Kantara ou Arapkantara, situé sur l’autre rive du fleuve (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja ; Türkiye,
1948, pl. Birecik).
334) Voici ce que Humann dira de cette rencontre: “Sobald das Fahrzeug bei uns anlegte, stellte es sich heraus, daß es
Hamdy-Bey und Osgan-Effendi waren, die vom Nemrud-dagh schon zurückkehrten. Da gab es viel zu erzählen; wir
schlugen darum am hohen Ufer unsere Zelte auf und blieben bis zum nächsten Morgen beisammen. Ich teilte Hamdy-Bey
vor allem mit, daß ich die Reliefs von Saktsche-gözü gekauft und nach Alexandrette expediert hätte, und wir kamen
überein, daß sie in Smyrna deponiert werden sollten, bis mit der türkischen Regierung die gesetzliche Entschädigung für
die Ausfuhr vereinbart wâre. Abends schickte ich sämtliche Pferde auf das andere Ufer hinüber und am Morgen des 3. Juni,
eines Sonntags, folgten wir mit dem Gepäck, während Hamdy-Bey weiter nach Urfa ging” (Une fois notre embarcation à
quai, nous vîmes Hamdy Bey et Osgan Effendi, déjà de retour de Nemrud-Dagh. Nous avions beaucoup à nous raconter, et
nous avons donc dressé nos tentes sur la rive haute, et sommes restés ensemble jusqu’au lendemain matin. J’ai tout d’abord
annoncé à Hamdy-Bey que j’avais acheté les reliefs de Saktsche-Gözü et que je les avais expédiés d’Alexandrette ; nous
avons convenu qu’ils devraient être entreposés à Smyrne jusqu’à ce que le gouvernement turc fixe l’indemnité légale
convenue pour leur exportation. Dans la soirée, j’ai envoyé tous les chevaux sur l’autre rive et le matin du 3 juin, un
dimanche, nous les avons suivi avec nos bagages, tandis que Hamdy-Bey partait pour Urfa) (Humann et Puchstein, Reisen
in Kleinasien : 181-182).
335) Probablement Ördek (Kiepert, Kleinasien, 1916, pl. Malatja) qu l’on retrouve sous l’appellation de Büyük Ördek
sur la carte de 1953, à 22 km au sud-est d’Arapkantara (Türkiye, 1953, pl. Urfa).
336) Le mutasarrıf ou gouverneur du sancak d’Urfa.
72 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

tout près de la ville. Le pacha nous reçut avec beaucoup d’affabilité et après nous y être reposés une
heure nous entrâmes à Ourfa (photo 56)337 où nous trouvâmes la plus cordiale hospitalité chez338…
Après un court repos nous allâmes dans un bain que notre hôte avait fait préparer exprès pour
nous et c’est là que nous nous aperçûmes combien nous avions besoin de propreté. Rentrés au conak
de notre hôte, nous y trouvâmes tout le confortable nécessaire. Nous allâmes nous coucher de bonne
heure, car nous avions grand besoin de sommeil.

Séjour d’Ourfa 23/4 juin Lundi


Ce matin de bonne heure à peine levés nous voulûmes voir nos clichés depuis Kiahta jusqu’à
Ourfa. Ils étaient tous abîmés malheureusement. Ils avaient pourtant bien réussi quand nous les
avons développés sur les bords de l’Euphrate, mais comme le lendemain nous les avions mis dans la
caisse sans qu’ils soient tout à fait secs, la grande chaleur de la Mésopotamie avait fait évaporer les
parties mouillées des plaques de sorte que tout était abîmé. Ça a été une leçon d’expérience pour
nous, mais une leçon rudement désagréable.
Le kalé339 que nous allâmes visiter est une construction musulmane où l’on constate plusieurs
époques, on y voit aussi deux grandes colonnes à tambours surmontées de chapiteaux corinthiens et
qui datent de l’époque romaine (photo 57)340. Nous croyons que ce sont les restes d’un temple. Au
bas du château s’offrent à la vue deux petits étangs, remplis de poissons, ce sont des carpes. Le
premier de ces étangs s’appelle Ain-i Zuleïha l’autre Halil Rahman (photos 58 à 60)341. Derrière le
château sur deux collines calcaires on voit un grand nombre de tombeaux taillés dans la roche342,
entre le kalé et ces collines il existe un grand fossé qui est aussi taillé dans le rocher. Nous avons fait
plusieurs photographies de ces endroits que nous avons développées la nuit, elles sont toutes bien
réussies (photos 56 à 60)343. Nous sommes allés ensuite visiter les bazars de la ville qui ont beaucoup
de cachet344, nous avons cherché des médailles et pierres antiques, mais nous n’avons rien trouvé si
ce n’est quelques médailles en bronze byzantines ou arabes sans aucune valeur345.

337) Urfa, l’ancienne Edesse ou Callirhoé, avait une population de 55 000 habitants dont 40 835 muslulmans (Turcs,
Kurdes et autres), 13 843 chrétiens (Grecs, Arméniens et Syriens) et 322 Israélites (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 258,
260-261). MAI, coll. phot., cliché n° 11228.
338) Probablement chez le mutasarrıf d’Urfa qui avait envoyé ses hommes à la rencontre d’Osman Hamdi Bey et
Osgan Efendi. En 1883/1884, le mutasarrıf d’Urfa était un certain Celal Bey (1301 Sene-i Hicriyyesine Mahsus Salname-i
Devlet-i Aliyye-i Osmaniyye, Istanbul, 1301/1884 : 538).
339) Château-fort ou citadelle.
340) MAI, coll. phot., cliché nº 11233. “Quant au château-fort, bâti au-dessus de la ville sur une pente du Top-dagh, il
est certainement de construction arabe, mais les matériaux en ont été, en grande partie, empruntés à des monuments
antiques du temps des Séleucides, comme le prouvent les colonnes d’ordre corinthien qui en soutiennent encore les restes
les mieux conservés” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 260).
341) MAI, coll. phot., clichés nº 11231, 11226 et 11230. “[…] la source du Khalil-el-Rahman, ancienne source de
Callirhoë, près de laquelle est un bassin carré entretenu par ses eaux et rempli d’une multitude de poissons, nourris de
gâteaux par les nombreux promeneurs qu’attirent les agréments du site, très pittoresque. C’est le lieu le plus fréquenté de
la ville il est ombragé par de vieux platanes d’une grosseur remarquable” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II, p. 259-260).
342) “D’ailleurs, tous les escarpements qui se trouvent près de ce château-fort, à l’ouest de la ville, présentent des
ouvertures taillées dans le roc, qui conduisent à des catacombes anciennes, mieux conservées que celles d’Egypte, et
contenant des monuments funéraires revêtus de sculptures appartenant à une belle époque de l’art grec ; ils sont taillés dans
le rocher même, d’un calcaire très dur, et l’on n’y a trouvé aucun sarcophage dans les explorations, très superficielles, du
reste, faites par des voyageurs” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 260).
343) MAI, coll. phot., clichés n° 11226, 11228, 11230, 11231, 11233, ainsi que, probablement, 11232-11234.
344) La ville d’Urfa comptait “3 bazars voûtés assez bien construits, l’un pour les marchands d’étoffes, les autres pour
les orfèvres, bijoutiers, etc.” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 262).
345) “On trouve à Orfa beaucoup de médailles et de monnaies des rois séleucides, des Abgares, des médaillons en
bronze des empereurs romains, et une grande quantité de monnaies du Bas-Empire, des Croisés et des Arabes” (Cuinet,
Turquie d’Asie, t. II : 260).
VOYAGE A NEMRUD DAĞI 73

24/6 juin Mardi


Nous quittâmes ce matin Ourfa à douze heures Notre hôte le mutessarrif pacha et plusieurs
personnes du gouvernement local nous accompagnèrent à quelque distance de la ville. Nous partîmes
sans que nous ayons eu des nouvelles de nos familles, mais dans l’espérance de les trouver à
Birédjik346. Nous marchâmes donc dans une direction sud-ouest vers Souroudj347 car on nous avait
dit à Ourfa que près de cet endroit se trouvait un endroit nommé Arslan Tach348 dans le voisinage
duquel se trouvent des antiquités. Nous nous engageâmes dans une contrée aride et par des sentiers
rocheux sans culture et végétation sans rencontrer le moindre ruisseau, nous arrivâmes près d’une
citerne qu’on appelle hairat où se ramassaient les eaux de neige et de pluie qui servent en été pour
désaltérer le voyageur349. Nous en avons rencontré plusieurs sur notre parcours. Là, nous fîmes une
halte et un déjeuner frugal après quoi nous reprîmes notre route. Après une heure et demie de marche
nous entrâmes dans une belle plaine vaste et fertile qu’on appelle Souroudj Ova et qui est parsemée
d’un grand nombre de villages350. Ici les habitations changent de forme les maisons ou plutôt les
huttes sont couvertes de dômes. Vers les huit heures du soir, nous arrivâmes sur une petite élévation
où l’on avait dressé des tentes à une distance d’une heure de Souroudj. Ici nous nous reposâmes sous
une tente immense avec une division pour le harem et ouverte de toute part. Elle appartenait à un
nommé Réchid Aga, chef kurde de l’achiret. Nous voulûmes continuer notre route mais sur les
instances de ces braves gens nous fûmes forcés d’y rester.

25/6 juin Mercredi


Départ de Boztépé351 à Birédjik en passant par Arslan Tach.
Ce matin nous nous mîmes en route à dix heures dans une direction plus au sud et nous
atteignîmes en trois heures Arslan Tach après avoir traversé d’immenses champs fertiles et de
nombreux villages. Dans un de ceux là se trouve le tombeau d’un saint nommé Eba Muslim Teberi
et une mosquée352. Il paraît que ce saint est en grande vénération dans toute la contrée et que de tous
les côtés on vient le visiter et y sacrifier ; c’est ainsi qu’au moment où nous arrivions nous
rencontrâmes une bande de pèlerins composée d’hommes et de femmes et de jeunes filles parées de
leurs plus beaux atours ; la marche était ouverte par un homme portant un agneau sur l’épaule. Puis
venait un enfant sur un âne et enfin toute la foule des pèlerins pêle-mêle, une folle gaîté régnait dans
la bande qu’on aurait plutôt cru voir une procession de mariage. Plus loin dans un autre village

346) Birecik, l’ancienne Birtha : chef-lieu du kaza du même nom, situé à 99 km à l’ouest d’Urfa sur la rive gauche de
l’Euphrate. Sur ses 10 162 habitants la ville comptait 8 702 musulmans, 978 Arméniens grégoriens, 437 Arméniens
catholiques et 45 Israélites (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 267).
347) Suruc ou Suruç, Batnæ dans l’antiquité : chef-lieu du kaza du même nom, situé à 54 km au sud-ouest d’Urfa. La
population en était entièrement kurde et comptait quelque 1 500 âmes (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 270 ; Türkiye, 1948,
pl. Birecik).
348) “On connaît dans son voisinage (de Souroudj) deux lions de taille colossale, sculptés par les Assyriens dans un
basalte très dur, d’un gris noirâtre. Le colonel anglais Chesney, qui a fait un important voyage d’exploration dans ces
contrées dès l’époque de la guerre de Crimée, en vue de l’établissement d’un chemin de fer reliant la mer Méditerranée au
golfe Persique, a mesuré des blocs dans lesquels sont taillés ces lions. La hauteur de chaque pierre est de 7 pieds 3 pouces
anglais, sa longueur de 12 pieds et son épaisseur de 2 pieds. M. le colonel Chesney ne dit pas quelle est la hauteur totale de
ces colosses” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 270).
349) Hayrat : édifice – généralement une fontaine ou une citerne – construit comme œuvre pieuse afin de rendre
service à la communauté.
350) Suruç ou Suruc Ovası, plaine de Suruc. “La plaine de Batna ou Batnæ, où s’étendent 371 villages du caza de
Sourodj, avait dans l’antiquité une grande renommée de fertilité. Aujourd’hui encore, sa production agricole est des plus
remarquables, surtout en céréales, qui sont transportées chaque année en quantités considérables à Deïr (mutessarifat de
Zor) par l’Euphrate, sur des radeaux et des barques, et d’autre part dirigées sur Aïntab, Alep et autres localités à dos de
chameaux” (Cuinet, Turquie d’Asie, t. II : 270-271).
351) Boztepe Köyü, à 5 km à l’est de Suruc (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
352) Ebu Müslim Ziyareti, situé à 5 km au sud-est de Suruc (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
74 OSMAN HAMDİ BEY et OSGAN EFENDİ

nommé Cherran353 nous aperçûmes un chapiteau corinthien en marbre blanc et des fragments de
colonne. Il est hors de doute qu’à Arslan Tach, ainsi nommé à cause des grands bas-reliefs qui s’y
trouvent et qui représentent des lions, il existait un établissement assyrien. Les quelques restes d’une
importance notable le prouvent. D’abord au milieu d’un cimetière musulman il existe deux plaques
en basalte, l’une debout et l’autre couchée mesurant :
longueur 3,65, larg. 2,70, épaisseur 0,90
Ces deux plaques portent deux bas-reliefs représentant des lions du plus pur assyrien ; il est à
présumer que c’était là l’entrée de la ville puisqu’ils sont absolument parallèles et que le village
actuel où le terrain est plus élevé d’autres restes que nous allons décrire ont été trouvés dans une
profondeur d’un mètre et demi se trouve derrière ces lions. Une autre preuve est que les peuples qui
habitent ces contrées n’ont jamais pu avoir le moyen mécanique de transporter et de redresser des
pierres d’un volume et d’un poids si considérable et d’ailleurs il y avait aucun intérêt, pas même de
servir d’ornement. L’écartement de ces deux plaques l’une de l’autre est de 3,10 m ; elles sont
dirigées dans une direction sud-est ; plus loin gisent dans le cimetière deux morceaux de bas-reliefs
qui formaient à eux deux une sorte de socle représentant des deux côtés deux taureaux. On voit par
la cassure que le tout était taillé d’un seul bloc. Le tout mesure
longueur 1,50 m
hauteur 1m
épaisseur 1m
Au-dessus on voit un creux carré de 0,45 m de côté et d’une profondeur de 1,35 m. Il est évident
que là s’emboîtait un objet dont ce bloc servait de base. Dans le village à côté d’un puits gisent
quatre plaques dont trois se trouvant renversées ; nous ne pûmes les examiner mais la quatrième
couchée sur le dos laissait voir un bas-relief représentant deux guerriers tenant de la main gauche un
bouclier rond et de la main droite une lance. Ils ont absolument le même costume et le même
mouvement. Ce bas-relief est absolument intact et mesure hauteur 1,16 m et largeur 1 m. Les
paysans nous assurent que les autres plaques qu’ils avaient vues portaient absolument les mêmes
figures354. A gauche près du village et sur une petite élévation on voit quelques pierres hissées
verticalement et de différentes dimensions qui ne portent aucun vestige de sculpture ou d’inscrip-
tion355.

353) Probablement Büyük Şervan, situé à environ 4 km à l’est de Suruc et sur le chemin menant de Boztepe Köyü à
Ebu Müslim Ziyareti (Türkiye, 1948, pl. Birecik).
354) Pour une description des ruines d’Arslantaş, voir Orthmann, Untersuchungen : 49-50, 480 et les figures d et e, pl. 4.
355) Sur Arslantaş, Osman Hamdi Bey publiera quelques années plus tard Les ruines d’Arslan-Tasch, Constantinople,
1889.
Dernière page du texte d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi.
Plan du tumulus de Karakuş (Tumulus, planches).
Plan du tumulus de Nemrud Dağı (Tumulus, planches).
81

Itinéraire d’Alexandrette à Nemrud Dağı et retour


(mai-juin 1883).
Durée Localité Arrivée Départ
Alexandrette / İskenderun 01.05 01.05
2h Belen 01.05 02.05
3½h Kırıkhan 02.05 02.05
2¾h Veli Ağa Obası 02.05 02.05
~2h Orduköy 02.05 03.05
2¾h Hassa 03.05 03.05
6h Islahiye 03.05 04.05
2h Zincirli 04.05 06.05
2+h Çerkesköy 06.05 06.05
1h Sakçagözü 06.05 07.05
3h Yamaçoba 07.05 07.05
7h Aintab / Anteb 07.05 10.05
8½h Eğridereköy 10.05 11.05
1h Milelis 11.05 11.05
2½+h Süpürgüç 11.05 12.05
[~2 h ?] Satıluşağı 12.05 12.05
1h Beş Geçid 12.05 12.05
4h Adıyaman 12.05 13.05
1h Perrée / Pirun 13.05 13.05
1h Adıyaman 13.05 14.05
1½h Heştiran 14.05 14.05
[~3 h ?] pont romain 14.05 14.05
[~1 h ?] Kâhta 14.05 16.05
1½h Horik 16.05 16.05
2h tumulus de Nemrud Dağı 16.05 16.05
4h Kâhta 16.05 18.05
~2 ½ h tumulus de Karakuş 18.05 18.05
~2 ½ h Kâhta 18.05 19.05
~1 h pont romain 19.05 19.05
~1 h Kâhta 19.05 21.05
~4 h tumulus de Nemrud Dağı 21.05 31.05
~3 h Kâhta 31.05 01.06
4½h Kayraş 01.06 01.06
3½h Birik 01.06 01.06
1h Selik 01.06 01.06
[~1 h ?] Samsat 01.06 02.06
¾h Havliyan 02.06 02.06
¾h Kantara 02.06 03.06
3½h Tördek 03.06 03.06
6h Urfa 03.06 06.06
8h Boztepe 06.06 07.06
3h Arslantaş 07.06
Birecik
Alep / Haleb
Saint-Siméon
Antioche / Antakya
Belen
Alexandrette / İskenderun
ANNEXE
TRADUCTION MANUSCRITE DU RAPPORT
D’OTTO PUCHSTEIN DE 1882
Première page de la traduction manuscrite du rapport de Puchstein.
Compte rendu des séances de l’Académie royale des sciences de Berlin
Séance du 11 janvier 1883
RAPPORT SUR UN VOYAGE AU KURDISTAN PAR LE DR OTTO PUCHSTEIN
Présenté par Monsieur Couché

Note : Monsieur Puchstein a rédigé son rapport à Beyrouth et à Athènes où il n’avait pas à sa dis-
position des ressources littéraires suffisantes. L’esquisse qui constitue la planche I a été dressée par
Monsieur Kiepert d’après les données que Monsieur Puchstein lui avait fait parvenir. Elles donnent
seulement ce qui est nécessaire pour l’intelligence de cette relation de voyage et fait partie d’un
travail plus étendu que nous nous réservons de publier après que nous aurons été mis en possession
du travail topographique que Mr Sester a l’intention de nous envoyer. Quelques lectures et variantes
proposées à l’inscription sont dues à Mr Usener de Bonn356.

Vers la fin du mois de mars 1882 l’Académie royale des sciences de Berlin me confia la mission
d’examiner sous la direction de l’ingénieur Mr Sester un monument qu’il avait découvert pendant ses
voyages antérieurs au Taurus en deçà de l’Euphrate.
Quelques autres points qui à cette occasion devaient être examinés topographiquement m’avaient
été indiqués d’après une carte que le professeur Kiepert avait spécialement dressée. Je me borne à
consigner ici brièvement l’itinéraire de mes voyages et leurs principaux résultats.
Nous quittâmes Alexandrette, point de départ de notre itinéraire le 15 avril par un temps pluvieux
qui cachait entièrement les montagnes (ainsi qu’après une absence de trois mois nous les retrouverons
le 16 juillet) et nous suivîmes les bords bourbeux entre les pentes abruptes de l’Amanus et la mer
vers le nord pour chercher une route à travers la montagne. Comme par suite de la température froide
toutes les passes devaient être couvertes de neige nous fûmes obligés de franchir les hauteurs
basaltiques qui limitent la plaine de l’Issus au nord et de nous avancer jusqu’à Osmanié.
De là pour franchir le Ghiaour Dagh nous avions le choix entre Arslan Boghaz situé du côté du
nord à peine à une journée de distance et un autre chemin de montagne plus difficile il est vrai mais
comme nous le vérifiâmes plus tard, très remarquable, qui mène par Yarpout (Gebel Bereket) à
Islahié. Nous préférâmes cette dernière route parce qu’elle nous offrait l’occasion de reconnaître une
partie de l’Amanus qui n’avait pas fait l’objet d’une description. Après avoir gravi la montagne non
loin de la vallée de l’Osmanié Tchaï nous franchîmes dans la direction du nord-est plusieurs cours
d’eau qui portent leur tribut en partie du côté de l’ouest dans la plaine de l’Osmanié et en partie plus
au nord dans le bassin de Boulanik Tchaï et nous parvînmes en un jour et demi par Yarpout
récemment élevé au rang de siège de mutessarrif à Islahié. Quelques heures seulement auparavant
les eaux avaient commencé à prendre une direction orientale et sud orientale.
Islahié est sise dans la vallée du Kara-Sou au pied de l’Amanus et il semble dans cette petite
plaine à la forme d’une acropole les emplacements des anciens établissements étaient situés plus loin
dans la plaine. Sur la hauteur existe encore une tour de garde turque autour de laquelle on remarque
les restes d’un ancien mur. Des débris antiques (parmi lesquels nous citerons le relief architectonique

356) Il s’agit de Hermann Karl Usener (1834-1905), spécialiste allemand de religion comparative et de philologie et
professeur à l’Université de Bonn.
86 OTTO PUCHSTEIN

d’une tête de lion plus grande que nature) le sol jusqu’auprès d’un petit lac et des architraves et des
fragments de colonnes ont fourni des matériaux de construction à un petit bourg de la ville moderne.
Une inscription grecque d’une époque postérieure qui se trouvait dans la cour du sérail est adressée
à un gymnasiarque Barnebus par ses amis. L’emplacement coïncide, ainsi que Kiepert l’a déjà
remarqué, avec la Nicopolis de l’itinéraire antonin.
La vallée qui se forme entre les rochers calcaires de l’Amanus et le Kurd Dagh qui lui est
parallèle et qui s’étend depuis Marach jusqu’à Antioche a un terrain basaltique et les hauteurs
arrondies qui s’y élèvent lui donnent un caractère particulier. Une série de collines de cette nature
coupe la plaine en deux moitiés et oblige les eaux à s’écouler dans deux directions contraires. En
poursuivant maintenant notre route d’Islahié dans la direction nord-est nous traversâmes le point de
partage des eaux nous franchîmes le Ichre Sou357 et atteignîmes après une marche d’un jour le village
de Saktchégueuz. Après que nous eussions vu ici pour la première fois des Kurdes vivant sous la
tente même l’hiver et des villages de Tcherkesses civilisés.
Saktchégueuz situé sur une grande terrasse du Kurd Dagh un peu au-dessous de la plaine est re-
connaissable de loin grâce au grand conak d’un bey kurde. D’après les données de Miss Scott-
Stevenson358 relevés par Monsieur Kiepert nous devions y retrouver quelques bas-reliefs très
remarquables. Ceux-ci se présentent immédiatement aux yeux du voyageur étant encastrés près de
l’entrée. C’est une représentation bien conservée d’une chasse au lion qui est partagée en rangées de
frises, trois en haut et une en bas, de manière qu’il semble que rien n’y manque. Le dessin et
l’exécution de ces bas-reliefs correspond en général au style assyrien. Cependant les types des
figures sont différents comme si la main de l’artiste eût été guidée par une manière de faire plus libre
et plus réaliste. Deux chasseurs attaquent un lion puissant qui marche à droite et lève la patte gauche
pour frapper. L’un de ces voyageurs portant la barbe, un bonnet pointu et une couverture en forme
d’habit (frac) perce le front du lion avec une lance qu’il tient des deux mains. L’autre, un petit nègre
avec un habillement serré autour des reins, après qu’il a enfoncé l’épieu dans le dos du lion avec une
telle violence que la pointe est ressortie de l’autre côté, se prépare à lui donner un nouveau coup avec
une épée à double tranchant. Derrière lui vient sur une voiture à un cheval richement harnaché le
seigneur tenant une forte lance. Le cocher est près de lui, tous les deux représentés d’après les lois de
l’isocéphalie sur une échelle sensiblement plus petite, portent la barbe, ont la tête découverte avec un
habit semblable à celui du premier chasseur. L’espace vide au-dessus de la voiture est rempli par un
disque ailé et orné de plumes de cygne. L’espace vide au-dessus du lion est rempli de quatre rosettes.
Même avant de satisfaire à l’intérêt qu’inspirent ces représentations et leur style je me mis en
devoir de rechercher d’où pouvait provenir, dans cette contrée surtout, une sculpture aussi remarquable.
Sur ma demande on me mena dans la plaine à une distance de trois quarts d’heure dans la direction
nord-ouest-nord non pas comme je m’y attendais à quelqu’une de ces élévations basaltiques qui
frappent l’œil mais à une colline plate qui se fait à peine remarquer et qui est aujourd’hui en partie
labourée. Elle mesure à sa base environ 420 pas. Devant la colline coule un petit ruisseau qui remplit
un fossé large de plusieurs mètres et qui est plein de roseaux. Trois grandes pierres dont les deux
malheureusement sont enfermées dans la boue et qu’on reconnaît facilement comme faisant partie
du bas-relief de la chasse au lion servent de fond. Sur la troisième pierre malheureusement fruste et
incomplète on reconnaît une figure assise sur une table à trois pieds et les restes d’une seconde figure
qui devait lui servir de pendant. Lorsque cependant je fus sur le point même d’où avait été extraite la
chasse au lion, il m’apparut deux autres fragments. Le premier montre encore les pieds d’un lion
tandis que dans le second on voit un lion assailli par un homme. Les petites dimensions de la colline
ainsi que l’uniformité des débris prouvent que la terre ici cache les restes d’un monument isolé qui
ne devait pas être bien grand, sur les vraies formes et la destination duquel des fouilles ultérieures

357) Probablement l’İçerisu de la carte de 1946.


358) Mary Esme Gwendoline Scott-Stevenson, Our Ride through Asia Minor, London, Chapman and Hall, 1881.
RAPPORT SUR UN VOYAGE AU KURDISTAN 87

nous éclairciront. Nous avons vu encore un chapiteau d’une époque postérieure dans un village de
Tcherkesses sis à proximité.
L’objet de notre voyage ultérieur en partant de Saktchégueuz fut Aïntab éloigné de treize heures.
Après avoir dépassé sur notre chemin au travers du plateau calcaire les ruines probablement
anciennes d’Arslan Kalessi nous gravîmes par Sari-Kaya les dernières ramifications visibles de la
montagne et nous descendîmes dans la plaine où se réunissent parmi des champs de blé et des
vignobles d’un côté l’Afrin et de l’autre côté l’Alebend Tchai qui se jettent dans l’Euphrate. Nous at-
teignîmes Aïntab dans la matinée du 21 avril. Notre halte dans cet endroit que le changement de nos
montures, la visite au caïmacam et d’autres soins avaient rendue nécessaire ne nous fut guère
désagréable par la raison que nous trouvâmes dans la maison hospitalière des missionnaires
américains tout le confort désirable. Nous pouvons mentionner ici un bas-relief sur pierre calcaire
qui s’y trouve bien qu’il ne paraisse avoir une importance particulière. Dans un édicule orné de
grosses guirlandes on voit sur une plinthe la représentation d’un objet ayant la forme d’une ruche.
Près de là on voit un aigle qui les ailes déployées retourne la tête. Au-dessous une inscription
grecque nous donne les noms de Zedagathé et Olympias. On nous dit que ce bas-relief avait été
trouvé à Nizib au-delà de l’Euphrate.
Nous quittâmes Aïntab le 24 avril au matin dans le but d’atteindre l’ancienne Doliché ensuite
Altun Tach Kalessi où Kiepert reconnaît l’ancienne Germanicia et de rechercher Nemroud Dagh, but
principal de notre voyage, par Samsat et Guerguer. Dans la plaine d’Aïntab s’élève au-dessus de la
plaine environnante au nord le Tel Duluk ainsi nommé à cause du tekké du saint Duluk qui se trouve
à son sommet359. On serait tenté d’y reconnaître le successeur de Jupiter Dolichenus. Le village de
Tel Duluk Keui ou Keber Keui est distant d’à peine deux heures d’Aïntab sur le long et plat versant
de Tel Duluk précisément là où une ramification se dirigeant au nord forme par une branche dirigée
vers l’Orient un angle prononcé. En opposition aux brillantes pierres blanches calcaires des environs
d’Aïntab on voit ici apparaître les formes cristallines sombres de la même formation. L’ancienne
ville de Doliché, située précisément dans l’enfoncement de cet angle, a disparu aujourd’hui sous la
terre.
De grands morceaux de pierre et d’autres restes de muraille sont, en dehors d’un chapiteau
d’ordre corinthien, les seuls témoignages, autant du moins que nous avons pu le vérifier, de l’ancien
établissement. Même la petite mosquée bâtie avec des pierres antiques de grandeur moyenne ne
paraît cacher rien d’antique. Les tombes sans goût et sans marque distinctive qui se trouvent ici et
qui ordinairement se composent d’une chambre plus ou moins grande avec des niches pour les morts
appartiennent à l’époque postérieure romaine aux premiers temps du christianisme. Après que nous
eussions suivi pendant quelques heures le ruisseau qui coule vers le nord en partant de Doliché, notre
route nous mena sur un plateau presque désert et abandonné lequel conduit graduellement à la vallée
d’Atan Boutchan Tchaï par une marche [d’une] demi-journée.
Nous nous trouvâmes là sur la route principale d’Aïntab à Behesni qui nous procura l’avantage
de la compagnie d’une grande caravane et d’une bande de Tziganes. Un misérable pont de
construction moderne facilite le passage sur le fleuve. Le Kara Dagh, montagne calcaire, limite la
vallée d’Atan Boutchan Tchaï de l’ouest à l’est. Nous gravîmes un défilé de rochers du côté du sud
pour arriver à un plateau planté d’acacias et là nous eûmes le spectacle de toute la contrée peu gaie
en vérité, qui s’étend autour d’Aïntab dominée au sud-ouest par le Sari Kaya et plus loin par les
sommets nébuleux du Ghiaour Dagh. Pendant que nous descendions la montagne nous remarquâmes
que le Kara Sou coule dans une vallée beaucoup plus large et profonde qu’on ne se le serait imaginé
d’après la carte. Cette nouvelle vallée est enclavée au sud par le Kara Dagh et au nord par le Kizil
Dagh, deux chaînes de montagnes dont la ressemblance quant à la formation et la direction
correspond assez bien à la ressemblance des noms que les Turcs leur ont donnés. Ici aussi se

359) Dülük. Dülük Baba tepesi.


88 OTTO PUCHSTEIN

détachent sur la plaine, mais plus isolés, de petits monticules arrondis qui presque exclusivement
dénotent les emplacements occupés aujourd’hui par de misérables villages de Kurdes. On doit
ranger dans cette catégorie l’Altun Tach Kalessi. Nous y arrivâmes à une heure avancée après avoir
dévié de la route allant à Behesni au pied du Kara Dagh et avoir traversé le Kara Sou près d’un pont
du moyen âge tombé en ruine. Ce sont là les ruines d’une citadelle bâtie sur une colline plate et basse
qui dans cette position ressemble beaucoup aux châteaux d’Aïntab, Samsat, Sévérek et autres. A la
sortie du pont qui avait autrefois existé s’élèvent les restes d’une ancienne tour et de chambres
voûtées tandis que plus loin sur la plateforme de la colline, au milieu des herbes et des broussailles
on peut à peine reconnaître la position originairement polygonale des murs. Très probablement des
petites tours garnissaient les angles de ces murs sur lesquels s’appuyaient les habitations, laissant
ainsi au milieu un espace vide. Près de cette citadelle du moyen âge nous n’avons pas remarqué de
ruines antiques, et je pense que l’emplacement même ne se prête guère à la supposition qu’une ville
a existé ici dans des temps anciens. Comme après Altun Tach Kalé nous nous dirigions sur Samsat
nous suivîmes la direction des deux chaînes de montagnes vers l’Orient jusqu’au village de
Supurgutch à peine distant d’une heure de l’endroit où le Kara Sou se jette dans l’Euphrate. Nous
trouvâmes ici dans les murs de misérables huttes quelques fragments de chapiteaux corinthiens
d’une époque prétorienne et devant la maison de notre hôte nous vîmes un chapiteau (en marbre)
ionien qui entre les volutes et les oves était chargé d’une double cyma360. Quelques minutes à l’ouest
du village nous passâmes par un endroit où la terre était jonchée de matériaux de constructions
antiques. Ici, comme dans la suite de notre voyage, on nous offre des médailles presque exclusivement
arabes et arméniennes d’une époque relativement récente. Au sud de Supurgutch le Kara Dagh
déchiré par l’Euphrate court vers le lointain plateau de la Mésopotamie. Par contre le Kizil Dagh
s’étend sur la rive nord de l’Euphrate comme nous le vîmes plus tard jusqu’à la vallée de Gueuk Sou.
Comme à cause de l’élévation des eaux le chemin menant vers l’Euphrate devait être impraticable
nous fûmes obligés de franchir un petit défilé assez bas du Kizil Dagh derrière Supurgutch.
Immédiatement en-deçà, là où nous plongions le regard sur une campagne fermée à l’ouest par une
série de montagnes de formes circulaires jusqu’au pied du Taurus, Monsieur Sester me montra pour
la première fois la cime dominante de Nemroud Dagh, le but principal de notre voyage. En même
temps cependant sur la continuation de Kizil Dagh notre regard fut attiré par un tumulus entouré de
trois colonnes. Un paysan qui travaillait à proximité nous désigna ce monument majestueux sous le
nom de Se Seng361 et nous raconta des histoires à propos d’écritures miraculeuses qui se trouvaient
sur ces pierres qui ont la forme de minarets. Mais bien que nous ne fussions pas éloignés du tumulus
de plus de deux heures et demie, nous préférâmes nous diriger vers le Nemroud Dagh qui nous
sembla promettre d’avantage. On nous dit que nous pouvions atteindre Adiyaman bien plus tôt que
Samsat. En conséquence nous résolûmes de changer notre direction actuelle contre une autre tirant
plus au nord afin d’atteindre le Nemroud Dagh par Kiahta.
Pendant note marche sur Adiyaman nous eûmes à traverser au pied du Kizil Dagh, l’Araban
Tchaï et un peu plus loin Gueuk Sou, cours d’eau bien plus considérable, ainsi qu’un autre petit
affluent. Après une tournée d’un jour et demi, nous atteignîmes le 28 avril à midi Adiyaman où nous
trouvâmes l’accueil le plus empressé auprès de l’évêque catholique Tokmadji362.
La ville moderne d’une apparence tout à fait asiatique turque est sise sur les sommets et les côtés
d’une colline basse et n’est séparée des avant postes du Taurus que par une petite bande de terrain
uni. Il est à remarquer que partout dans les environs jusqu’à Samsat et Guerguer elle est connue sous
le nom spécial de la ville mais le site de l’antique cité Perrée qu’aujourd’hui encore on appelle

360) Cyma ou sima, bordure verticale du chéneau d’un édifice, courant tout autour de celui-ci et souvent ornée d’une
frise.
361) Se seng, en persan, “trois pierres”. Il s’agit du tumulus connu sous le nom de Sesönk.
362) Probablement Tokmakdjian.
RAPPORT SUR UN VOYAGE AU KURDISTAN 89

Piroun est caché derrière un contrefort du Taurus sur la rive droite du Ziaret Tchai. On y arrive
d’Adiyaman en 40 minutes à pied en suivant la montagne vers l’Orient et en dirigeant sa course non
loin du cours d’eau dont il a été question vers le nord de manière à atteindre le haut de la vallée dans
vingt minutes encore. Avant même d’atteindre le site de l’ancienne Perrée on passe sur la rive droite
du fleuve à travers de nombreux tombeaux. En les comparant à ceux de Doliché on trouve qu’ils sont
plus régulièrement disposés et travaillés avec plus de soin. Par exception près des portes de l’entrée
des tombes, on voit les portraits des défunts ou bien un bas-relief représentant un petit autel. Malheu-
reusement tout est si maltraité qu’on ne peut en déterminer ni le style ni l’époque. On trouve aussi de
grands sarcophages sans goût sculptés dans la roche avec des couvercles en forme de toit. Au nord de
cette nécropole on voit des restes de murs d’une époque assez récente et un bloc de frise isolé avec
des ornements en feuillage et l’ensemble de ces ruines indique l’endroit où était la ville qui a
beaucoup de ressemblance avec Doliché. Il semble qu’une rue menait à travers la cité à deux sources
dont l’une coule encore sous une voûte basse et dont l’autre se jette dans un grand bassin rond. Le
prolongement de cette route mène à l’est très probablement aux ruines d’un han ou d’un château et
aboutit à un petit pont du moyen âge qu’on peut utiliser encore aujourd’hui pour traverser le Ziaret
Tchai. Kiahta, la dernière station avant le Nemroud Dagh, est encore éloignée d’Adiyaman d’une
bonne journée de voyage que nous fîmes le 30 avril par un temps nuageux. Après que nous eûmes,
sans perdre notre objectif des yeux, marché six heures au pied du Taurus vers l’est nous nous
trouvâmes sur les bords escarpés du Kiahta Sou qui descend ici des hautes montagnes, dans un
endroit où l’aspect imprévu d’un grand nombre de monuments d’un genre particulier permettrait à
peine à l’œil de consacrer un moment aux beautés de la campagne. En effet, à notre droite nous
avions déjà remarqué sur une grande élévation un tumulus entouré de plusieurs colonnes semblable
à celui de Se Seng avec lequel nous avions fait connaissance. Ce tumulus semble être celui qui figure
sur la carte de Moltke par deux colonnes. A notre gauche au fond de la vallée se présentait le bourg
important de Kiahta. Entre les deux s’élève la puissante pyramide du Nemroud Dagh. Un peu plus
loin en amont est situé un pont que Moltke et Sester ont reconnu comme étant de construction
romaine. Cependant la pluie et l’obscurité croissante nous obligeaient de hâter le pas. Pendant que
sur la rive droite du fleuve nous nous engagions dans la montagne même, nous traversâmes un pont
qui au premier abord semble une construction de la Renaissance et nous poussâmes en avant afin de
réserver le jour suivant en partant de Kiahta à une exploration plus soignée du pont et du monument
du tumulus. Le monument qui est visible de Kiahta en est distant de trois heures de chemin. La route
nous mena de nouveau par le pont qui vu de ce côté de la rivière produit un effet imposant. Un arc
puissant réunit les deux bords là précisément où le Boulam Sou un affluent du Kiahta Sou débouche
à travers une fente de rocher sauvage et étroite363. Tout à côté se trouve une petite baie qui a été
ménagée dans la partie sud du pont afin de donner passage à un petit ruisseau torrentiel. Le parapet
formé de gros blocs suit la ligne de l’arc et se trouve fermé aux quatre angles par des colonnes lisses
dont il ne manque aujourd’hui qu’une seulement, celle de l’angle nord-ouest. Quatre tables
d’inscriptions identiques encastrées dans le parapet nous font connaître que le pont a été réparé de
fond en comble par Septime Sévère, Caracalla, et Geta sous la direction du lieutenant de Syrie
Alphenus Senetio et du légat de la XVIe légion Marius Perpetuus. En reconnaissance de ce travail les
quatre communautés de Commagène avaient érigé sur les colonnes les statues de la famille de ce
César qui manquent aujourd’hui. Pour arriver maintenant du pont au tumulus nous dûmes remonter
la vallée de Kiahta Sou bien au-delà du point où nous l’avions traversé en venant d’Adiyaman.
Le monument est sis sur la rive droite du fleuve sur le plus haut sommet du contrefort du Taurus
de manière que une fois là on découvre tout à l’entour une grande étendue de la campagne au sud. Il
est facile de voir que pour former ce tumulus on avait consolidé avec des blocs de pierre un tertre
déjà existant et qu’on y avait dressé sur chacun des trois côtés trois colonnes doriques pour

363) Petit croquis du pont en marge.


90 OTTO PUCHSTEIN

compléter la symétrie. Il n’en reste plus aujourd’hui que quatre. Deux du côté oriental, une du côté
nord-ouest et une au sud. La colonne du nord-ouest qui était la colonne centrale de la série primitive
porte un bas-relief en pierre calcaire représentant deux figures de grandeur naturelle. Une femme
semble offrir la main à un roi habillé en costume oriental et portant une haute tiare. A côté de cette
colonne gît sur le sol un lion colossal assis. Que ce lion provient d’une des colonnes qui manquent
c’est ce que montre le côté sud-ouest où devant un enfoncement du tumulus qui était autrefois une
porte sur une des colonnes on voit un aigle (?) qui a donné le nom à tout le monument comme sous
la désignation de Kara Kouche. Quant au côté est qui regarde Nemroud Dagh il semble qu’une des
colonnes y ait porté un bas-relief pendant que sur la seconde qui se trouve à droite on voit un animal
c’est-à-dire un taureau bien conservé. Une inscription grecque qui était visible sous le chapiteau de
la colonne médiane à l’est promettait de nous donner l’explication de ce monument si curieux qui
nous rappelait celui de Se Seng. Mais à cause du temps qui était très défavorable il me fut impossible
même dans une seconde visite que j’y fis de déchiffrer d’une manière suffisante les caractères qui se
trouvent sur les colonnes qui d’ailleurs ont beaucoup souffert du temps. Je me contente de consigner
ici comme un simple indice le nom de Μιθραδατης (Mithradate)364 dont je suis parfaitement sûr.
Après nous être ainsi orientés moyennant cette exploration en réalité très superficielle du pont et
du monument du tumulus et après être parvenus grâce à l’assistance du caïmacam à arranger
plusieurs questions embarrassantes qui avaient surgi avec nos conducteurs, nous pûmes enfin nous
mettre en route pour le but principal de notre voyage, le Nemroud Dagh.
Nous quittâmes Kiahta le 4 mai. Nous traversâmes le Kiahta Sou qui coule ici ses eaux
écumantes à travers les blocs de roche dont son lit est parsemé et nous gravîmes avec peine une
montée raide, étroite et sans eau jusqu’au village de Ourik où nous [nous] arrêtâmes après 1 h ½ de
marche. Après un court repos nous nous confiâmes à la direction d’un Kurde et nous nous
engageâmes à pied encore plus avant sur cette montagne abrupte et une […]365.
Le but était caché à nos yeux jusqu’au moment où après avoir gravi tout le versant de la
montagne il nous apparut tout d’un coup à une distance d’une demi-heure sous la forme d’un
tumulus dominant tout autour de lui de la hauteur des roches sauvages et escarpées où il était placé.
Après nous être un peu reposés et avoir secoué la neige qui couvrait nos épaules nous marchâmes sur
un chemin qui mène doucement au plus haut point du plateau. Un peu plus loin nous dûmes passer à
travers un amas de roches et de pierres et enfin nous nous trouvâmes au pied du tumulus du côté de
l’ouest sur une petite plateforme qui était alors couverte d’une neige épaisse. De la masse blanche se
détachaient seulement des débris que nous ne pouvions pas clairement distinguer dans leur état
imparfait si ce n’est une tête voilée féminine colossale de deux mètres environ (!) d’un style
évidemment grec à moitié penchée sur la figure. Nous commençâmes alors notre tour du tumulus,
qui n’était pas sans difficultés. Tout d’abord nous nous heurtâmes contre des plaques de pierre
étendues sur le sol. Un peu après du côté de l’est tout d’un coup nous vîmes s’élever au-dessus de
nous un certain nombre de Géants assis, tous privés de leurs têtes. Les vents soufflant de la
Mésopotamie avaient balayé la neige de devant les Géants. En nous plaçant vis-à-vis d’eux nous
avions à notre droite et à notre gauche une large muraille et derrière nous une construction plus
grande entièrement détruite. En suivant Monsieur Sester pour atteindre ces figures colossales je fus
frappé de nouveau par des caractères qui se détachaient sur les pierres. Ils avaient l’air d’appartenir
à une inscription grecque placée derrière l’exèdre. Nous courûmes du côté de l’ouest et en enlevant
la neige nous trouvâmes ici aussi de grands blocs presqu’intacts et couverts d’inscriptions. Que le
monument eût des inscriptions c’était ce que Monsieur Sester avait déjà notifié à Berlin dans son
compte-rendu sommaire. Il ne nous restait maintenant qu’à grimper sur le sommet du tumulus où
rien ne devait empêcher le regard de plonger sur la campagne environnante. Au nord et à l’est

364) Mithradate au lieu de Mithridate peut surprendre, mais c’est l’orthographe d’origine, dérivée de Mithra.
365) La phrase est laissée en suspens.
RAPPORT SUR UN VOYAGE AU KURDISTAN 91

s’élevaient les grandes et puissantes branches du Taurus éblouissantes de blancheur et rivalisant de


fierté avec le Nemroud Dagh, pendant qu’au sud une grande vallée attirait le regard vers le bas. La
grande émotion produite par ce spectacle ne nous permit pas ce jour de nous livrer à quelque travail
spécial. Les jours suivants nous fîmes quelques tentatives pour arriver jusqu’aux inscriptions. Mais
le froid et le temps pluvieux empêchaient notre travail. Le 8 mai le tumulus fut couvert d’une
nouvelle couche de neige. Nous résolûmes là-dessus de réserver l’examen du monument à une
époque de l’année plus avancée et d’utiliser l’intervalle en faisant une excursion du côté de la
Mésopotamie d’après les bases proposées.
Il s’agissait de faire une première reconnaissance des ruines de Viran Chéhir. On pouvait y
arriver directement par Nemroud Dagh mais nous avions admis dans notre plan une visite à
Guerguer, l’ancienne Barzalo. Dès lors nous n’hésitâmes pas à entreprendre ce détour, ce que par la
suite nous n’eûmes que lieu de regretter. Le Nemroud Dagh forme le sommet sud-ouest d’une longue
chaîne de montagnes parallèle à l’Euphrate. Le versant atteindrait immédiatement les bords de ce
fleuve si des éboulements n’avaient formé entre le pied de la montagne et le fleuve une nouvelle
vallée. Les petites élévations qui en ont été la conséquence aboutissent du côté de l’est sur les bords
de l’Euphrate à un point où s’élève un château qu’on aperçoit de loin au pied duquel est bâtie la ville
actuelle de Guerguer.
Pour y arriver nous devions atteindre la vallée par le village d’Ourik. Sur notre chemin nous
constatâmes que les eaux de cette vallée qui se prolonge dans une seule direction ont néanmoins un
double écoulement. Les eaux coulant de la partie haute de la vallée tournent soudainement à droite et
cherchant une issue vers l’Euphrate et passent à travers le contrefort situé à l’est qui a une massive
apparence. Quant au Guerguer Tchai, il suit la direction naturelle jusqu’à la fin de la vallée et est
alimenté principalement par les versants de sa masse des hautes montagnes. Lors même que notre
hôte arménien à Guerguer ne nous eût pas entretenus d’une manière tout à fait particulière des
inscriptions qui se trouvent dans les ruines nous aurions été tentés tout de même de visiter ce point.
Une niche avec une figure visible à une grande distance est située sur un pan du rocher très en
évidence mais où aucun chemin ne semblait mener excita notre curiosité. Plus nous nous approchions
du bourg et plus distinctement nous apercevons dans la niche la figure en relief d’un homme au
costume oriental avec une haute tiare pointue et la main droite étendue. L’emplacement aussi bien
que la position et le costume de cette figure nous rappelaient d’une manière frappante le bas-relief du
rocher de Nymphée à Smyrne366. Nous dûmes prendre par le côté de l’est tourné vers l’Euphrate.
Après avoir grimpé sur la terrasse du rocher je me trouvais en face d’une seconde niche haute de
2,50 m dont le bas-relief devait faire partie de l’ensemble de la porte qui devait s’y trouver. Du côté
intérieur nous vîmes une inscription grecque fortement endommagée mais dont les caractères
avaient une grande ressemblance avec ceux que nous avions vus à Nemroud Dagh. Il a été constaté
plus tard qu’il s’agit d’une répétition textuelle du grand monument de Nemroud Dagh, sauf le com-
mencement qui se trouve malheureusement endommagé, textuelle, dis-je, jusqu’à une variante
inexplicable dans la désignation du Ciel. Après que l’inscription dont l’état fragmentaire excita
plutôt qu’elle satisfit notre curiosité eût été copiée et estampée, il s’agit de vérifier de plus près la
nature de l’autre bas-relief en pierre. Il est vrai qu’il semblait inabordable. On me parla de danger de
vie pour me dissuader d’entreprendre de m’en approcher. Cependant ma tentative réussit d’autant
plus que du côté qui semblait le plus difficile je retrouvai une route ancienne à travers les rochers.
Mon étonnement ne fut pas petit lorsque débouchant par un court corridor ouvert à travers le rocher
je me trouvai sur un abîme vertigineux devant une représentation de figures sous laquelle il y avait
une inscription grecque. Par là le Roi Antiochus de Commagène consacrait la figure à un autre roi
dont le nom n’a pu être déchiffré par moi sur les fragments que j’avais vus. Ce que signifiaient

366) Nymphée, autrefois appelée Nif et aujourd’hui Kemalpaşa, se trouve à une trentaine de kilomètres à l’est d’Izmir.
A environ 8 km au sud de Kemalpaşa, au col de Karabel, se trouve un bas-relief taillé dans le rocher, représentant un
souverain hittite.
92 OTTO PUCHSTEIN

exactement deux ouvertures ressemblant à des fenêtres sur le pan situé sous cette représentation ainsi
qu’un passage qui semble se prolonger au loin dans la montagne, c’est ce qu’il ne nous fut pas
possible de vérifier.
Peut-être quittâmes-nous trop tôt cet intéressant emplacement. Le soir du 13 mai nous nous
dirigeâmes de Guerguer vers Tulbuch afin de traverser le lendemain l’Euphrate. Sur un kelek nous et
notre bagage nous franchîmes le fleuve pendant que les chevaux nous suivaient à la nage. De là le
chemin peu varié nous mena à travers une campagne uniformément plate où l’on voyait de temps à
autre quelques champs labourés. Derrière nous s’étendaient les chaînes du Taurus et à notre gauche
les hauteurs aux lignes douces de Karadja Dagh. La population kurde au milieu de laquelle nous
nous trouvions avait été mise en mouvement par suite d’une attaque d’une horde d’Arabes. Bientôt
après Sévérek nous dûmes traverser les troupeaux de leurs misérables chameaux qui étaient
disséminés sur la plaine comme des fantômes. A Viran Chéhir nous trouvâmes les gens d’Ibrahim
Agha, cheikh kurde, ami du gouvernement, qui de concert avec le détachement d’un binbachi
surveillent les menées des intrus Arabes. Peut-être ne devons nous qu’à cette circonstance d’avoir pu
arriver sains et saufs dans le champ de ruines de Viran Chéhir.
Quelque étendues et nombreuses que soient les ruines de l’ancienne Pela ce qui est visible porte
les traces d’un caractère insignifiant et relativement récent et rappelle les établissements de cités de
villes Lyciennes de la dernière époque. La nécropole seule éveilla quelque intérêt. On y retrouve la
même forme de tombes que nous avions déjà vues à Doliché et à Perrée. Avec cette différence qu’au
lieu d’être sculptées dans le roc elles sont formées de pierres basaltiques. Pour la plupart on voit les
portes surmontées d’une croix. Une grande tombe a été bâtie ainsi que l’indique l’inscription qui
surmonte la porte par l’évêque Abraham au VIe siècle pour être consacrée aux étrangers. C’est à cette
époque que doivent remonter aussi les ruines d’une église qu’on aperçoit en pleine campagne à une
distance de 15 minutes. Elle a la forme [d’un] octogone et une entrée à l’ouest. A l’est un long chœur
avec abside se rattache à l’édifice principal. Deux plus petites ailes en croix sont complètement dé-
truites.
Nous quittâmes Viran-Chéhir le 23 mai pour retourner à Nemroud Dagh par un grand détour
passant par Diarbékir et Tchermuk367. En compagnie de deux zaptiés dont l’un ne parlait qu’arabe
tandis que l’autre, un Kurde, parlait arabe et turc, nous parvînmes à franchir sains et saufs les tribus
arabes qui rôdaient jusque près de Karadja Dagh. Comme nos conducteurs ne connaissaient pas bien
le chemin, nous fûmes obligés de le retrouver bien souvent au moyen de la boussole ce qui ne put se
faire quelquefois qu’avec difficulté à cause de la pluie et des orages. Aussitôt que nous fûmes sortis
des hautes chaînes de Karadja Dagh nous aperçûmes, à une journée de distance, les murs de
Diarbékir au milieu de la grande plaine du Tigre. Malheureusement les cimes neigeuses des
montagnes kurdes étaient toutes invisibles à cause de la pluie. L’accueil que nous fit à Diarbékir
l’évêque Boyadjian nous dédommagea des peines et des privations que nous avions eu à supporter
ces derniers jours et en compagnie des docteurs Batréa et Vutch nous retrouvâmes un milieu
européen. Le 31 mai nous poussâmes vers Tchermik. Sur le chemin nous eûmes pendant très
longtemps à côtoyer à travers cette haute plaine le Kizil Tchibouk Tchaï dont les eaux coulent avec
une telle lenteur sur ce terrain uni que c’est à peine si on peut constater leur direction. En le quittant
à notre gauche nous dûmes franchir une petite élévation calcaire et au-delà nous trouvâmes dans une
plaine délicieuse un peu avant la ville des sources chaudes sur lesquelles se trouvent bâtis des bains
en vérité fort misérables. Pas plus ici qu’à Tchermik nous ne fûmes sur la trace d’aucun reste
d’antiquité. La ville est située au confluent d’un petit cours d’eau dont nous avions suivi la direction
avec le Sinek Tchaï et elle est bâtie sur des terrasses détachées d’un aspect réellement pittoresque.
Les restes d’un château qu’on y voit n’ont rien de remarquable et n’ont aucune prétention à une

367) S’il existe un village du nom de Çermük, celui-ci se trouve dans la province de Bingöl, à une très grande distance
de Diyarbakır. Il s’agit donc vraisemblablement de Çermik, à environ 70 km au nord-ouest de Diyarbakır.
RAPPORT SUR UN VOYAGE AU KURDISTAN 93

haute antiquité. Une excursion dans les montagnes sauvages sises du côté du nord ne nous donna
aucun résultat ce qui probablement doit être attribué aussi à l’influence des mauvais temps consécu-
tifs.
Le 5 juin nous remontâmes pendant quelques heures la vallée dans laquelle coule le Sinek Tchaï
formant plusieurs cataractes368. Nous admirâmes la pureté argentine des eaux du Kizil Tchibouk
Tchaï369 pendant que les collines douces et simples d’une chaîne de hauteurs basaltiques formaient
un frappant contraste avec les formes hardies et bizarres du Taurus. Comme les eaux réunies de ces
deux cours d’eau ne laissaient plus de possibilité à une course ultérieure nous dûmes remonter de
nouveau à droite un peu plus haut que leurs embouchures sur l’Euphrate. Cette excursion nous coûta
beaucoup de peine et après avoir surmonté pas mal de difficultés nous ne parvînmes qu’à travers
mille embarras au village de Bibol (l’Ibol de la carte de Moltke). Ici nous nous trouvâmes au milieu
d’une campagne magnifique. Des masses d’eau sorties de montagnes inabordables se frayent une
voie à travers de profondes déchirures de la vallée et se pressent dans un lit étroit. Quel contraste de
formes et quel développement des forces de la nature ! Il doit paraître vraiment incroyable que cet
élément aussi inoffensif ait pu déchirer des murs de rocher aussi compacts.
Bibol est situé au pied du ballon montagneux du même nom appelé aussi Ghirfé qui se détachant
de la masse de la montagne dépasse presque en hauteur le Nemrud Dagh. Je trouvais la montée par
le village de Helul la plus accessible. Je l’entrepris de bon matin en compagnie de deux garçons
kurdes. Aussitôt que le village eut disparu de nos yeux mes guides m’abandonnèrent craignant
quelque attaque de voisins ennemis et ne me rejoignirent que lorsqu’ils m’eurent vu atteindre la
hauteur sain et sauf. La perspective qui se déroule aux yeux du voyageur du haut de cette hauteur
présente le même aspect que celle dont j’avais joui des hauteurs du Nemroud Dagh. D’un côté l’œil
plonge dans la vallée de Diarbékir tandis que du côté du nord-est il domine des hauteurs toutes
couvertes de neige. Sous mes pieds coulaient les eaux jaunes de l’Euphrate ou plutôt du Mourad
Tchai comme les Turcs l’appellent ici.
Bibol fut la dernière station où nous nous arrêtâmes. Pour continuer notre route plutôt que de
nous engager le long de l’Euphrate et de la vallée de Guerguer Tchai nous préférâmes suivre les
sentiers déserts et difficiles que les montagnes nous offraient bien qu’on n’eût pas manqué de nous
engager à changer d’opinion. Comme les zaptiés nous avaient quittés à Bibol nous n’avions pour
toute ressource que des guides Kurdes qui cependant osaient à peine dépasser les limites de leurs vil-
lages.
En fait la population de ces montagnes écartées ne se trouve pas dans une situation normale.
Nous rencontrâmes nous mêmes des paysans retournant d’un village qu’ils avaient pillé et nous
vîmes de loin un village et la forêt voisine livrés aux flammes. En suivant la route que nous nous
étions tracée nous espérions atteindre le Nemroud Dagh du côté du nord mais vers le milieu de notre
course on nous mena de nouveau dans la vallée du Guerguer et nous dûmes nous arrêter chez notre
ancien hôte d’Ourik le 10 juin. Nous y trouvâmes des préparatifs pour un séjour plus prolongé dans
les environs du monument et nous fîmes dresser une tente à une heure du sommet. Cette tente
consistait en réalité en une simple couverture et lorsque quelques jours après le propriétaire de la
tente nous quitta nous dûmes nous réfugier avec les quelques ouvriers kurdes qui nous accompagnaient
dans une crevasse du rocher où nous nous tînmes compagnie n’ayant à notre service que quelques
mots turcs. Le côté oriental du sommet du Nemroud Dagh était entièrement débarrassé des neiges et
des rayons chauds modéraient la fraîcheur des vents qui y soufflaient avec violence. J’ai déjà dit que
l’exèdre des géants porte sur le dos une inscription grecque. Pendant donc que les ouvriers
travaillaient lentement du côté de l’est à débarrasser l’inscription des débris de pierre qui s’y étaient
accumulés, je mis le temps à profit pour étudier les parties libres du monument et prendre quelques
mesures.

368) Sinek Çayı.


369) Kızılçubuk Çayı.
94 OTTO PUCHSTEIN

Revenant sur l’ensemble de cet emplacement je dirai que le Nemroud Dagh forme la plus haute
et la plus occidentale des cimes (environ 6 500 pieds je suppose) d’une série de montagnes qui
s’étend jusqu’aux environs de Bibol et qui du côté de l’ouest descend par un versant large mais
abrupt vers le Kiahta Sou et la plaine. Vers l’est une profonde ondulation sépare cette cime du restant
de la montagne et le tumulus forme le couronnement imposant de cette grande pyramide naturelle.
Les petites pierres que nous avons ramassées sur les versants voisins font croire que le monument a
une base de 150 m de largeur et de 45 m de longueur. Comme le rocher est très abrupt du côté sud,
l’angle d’inclinaison du tumulus de ce côté est plus grand que du côté nord où il est d’environ 32º.
Un quart d’heure plus loin on trouve des amas de pierres qui probablement ont coulé du côté sud à
l’époque même des travaux de construction. Les chercheurs de trésor qui ont essayé de pénétrer vers
le centre derrière ces statues colossales n’ont pu cependant entamer la masse du tumulus. La planche
ci amenée servira à faire comprendre nos descriptions.
Par suite de la forme ovale du sommet qu’on aperçoit de tous les points de cette chaîne de
montagnes on a choisi comme emplacement des travaux d’art une petite coupure qui dépasse la base
circulaire du tumulus du côté de l’est et de l’ouest. Il semble cependant qu’une partie du côté nord ne
doive sa forme actuelle qu’à un travail ayant pour but d’y établir artificiellement une longue terrasse.
Sur cette terrasse on trouve un mur de fondation de 87 m de long de pierres basaltiques concassées.
Il est pourvu d’une série de 75 excavations verticales et d’un soubassement qui est un peu plus au
nord. Quant à la destination de ce mur, les plaques de basalte qu’on y voit encore aujourd’hui dans le
sens de la longueur ne laissent aucun doute. Elles devaient être originairement attachées fortement
dans les trous du mur et former un pan ininterrompu dont la partie proéminente était certainement
dirigée vers le nord. Ces plaques hautes de 2 m et larges d’un mètre très peu endommagées par l’air
et la pluie semblent n’avoir jamais porté d’inscription et de figures sauf ce qu’une exploration plus
minutieuse pourra établir ultérieurement. Deux pans de mur bien plus courts mais aussi bien plus in-
complets et très endommagés se dirigent à angle droit vers le milieu du premier long mur dont nous
venons de parler et ont porté ou contenaient entre eux une figure colossale de basalte. Il n’en reste
qu’un seul fragment. Quant au but et à la signification de cette partie du travail je ne puis m’en
former une idée exacte.
En se dirigeant de cette terrasse vers le sud un peu plus bas on arrive à une grande plateforme
presque carrée qui a été établie sur le rocher calcaire de la montagne. Pendant qu’ici du côté de
l’ouest environ 6 m au-dessus de nous et à la fin d’un escalier ruiné s’élèvent les Géants dans une
imposante tranquillité la place est limitée à droite et à gauche par deux murs de côté qui par analogie
avec ceux qui se trouvent du côté nord, doivent être considérés comme les socles d’une série de
plaques. Du côté de l’Orient les restes de deux petits murs attirent l’attention sur un amas de ruines
dont l’élévation dépasse celle du socle et où se détachent au moins du côté droit et du côté gauche
des marches de basalte. On voit que les chercheurs de trésor avaient percé jusqu’au centre et ont
amené de grands dégâts à tout le monument. Les limites de l’extension du monument semblent être
indiquées par un mur de soutènement qu’on trouve sur le pan du rocher. Le côté nord semble avoir
été le plus orné, du moins autant qu’on peut en conclure par un lion assis et un aigle au repos dont on
trouve le pareil dans d’autres endroits du monument. Les deux murs qui montrent du côté de l’est
une certaine convergence, cependant on ne s’aperçoit pas au premier abord, laissant entre eux un
espace libre. Pendant que du côté de l’est ils se terminent brusquement sans qu’il soit possible d’en
établir exactement la continuation on reconnaît facilement que le point B formait la fin du côté de
l’ouest. Au contraire des débris de pierre et de grands blocs détachés de l’exèdre des statues et des
statues elles-mêmes ont complètement obstrué l’entrée au point A. Toutes les pierres sont de la
même nature que le rocher calcaire d’une nature peu consistante et on semble avoir employé dans la
construction des blocs qui n’ont pas été dégrossis avec beaucoup de soin. Sur la terrasse derrière β on
trouve plusieurs débris ainsi que de grands morceaux ou plaques qui reposaient sur le socle mais on
ne rencontre que deux fragments assez insignifiants des bas-reliefs qui ornaient la partie antérieure,
notamment la partie supérieure du corps d’un homme en cuirasse tourné à gauche sans barbe et la
RAPPORT SUR UN VOYAGE AU KURDISTAN 95

tête découverte qui a été trouvé près du quatrième trou d’attache et une poitrine féminine en chiton370
et manteau appartenant à la seizième plaque. Nous n’avons pas non plus de meilleurs fragments des
plaques de α sur lesquelles nous devons supposer que des bas-reliefs ont existé. Parmi les gros
fragments des numéros 5, 10, et 14 ceux de ce dernier font supposer qu’ils faisaient partie de la re-
présentation d’un homme dont le costume et l’attitude rappellent celles de la figure que nous avons
trouvée sur le rocher de Guerguer. Au contraire les plaques qui se trouvent autour du point α’ sont
mieux conservées et on y voit des restes de bas-reliefs lesquels bien que fortement endommagés font
croire qu’il y avait là des figures d’hommes sans barbe tournés du côté gauche et qui levaient la main
droite en guise de prière. Les deux mieux conservées sont ceintes d’une épée et portaient probablement
un habit court, de larges pantalons, et un manteau attaché à l’épaule droite par une agrafe. L’une de
ces deux figures a la tête nue tandis que l’autre porte la tiare conique qui nous est déjà connue.
L’ensemble permet de se faire une idée quant à la pensée qui a présidé à la construction du
monument. Comme je l’ai déjà fait remarquer la série des statues assises est placée à une hauteur
d’environ 6 m au-dessus de la terrasse que nous venons de décrire. On y voit clairement surtout du
côté supérieur bien que tout soit abîmé et couvert des débris des pierres du tumulus qu’un escalier
taillé dans le rocher même menait à ces statues. Il est plus difficile de se faire une idée claire de la
manière dont les parties de gauche et de droite se rattachaient au large escalier du milieu. Les restes
qui se trouvent épars de tous côtés indiquent bien une couverture de basalte et c’est à ce pavage que
doivent avoir appartenu deux grands blocs de basalte qui se trouvent devant la statue du milieu.
Lorsqu’on essaye d’y grimper on arrive sur une terrasse qui donne à peine assez de place pour y
rester et qui a été taillée aussi dans le rocher naturel. Il n’y aurait eu de muraille qu’aux extrémités
afin de faire une place aux statues qui s’y trouvent placées. Aujourd’hui ces murs sont tombés ainsi
que les statues qui s’y trouvaient car évidemment la série se terminait aux deux bouts par un lion
assis et un aigle debout. Les statues sont formées de blocs de pierre calcaire qui ont dû être détachés
sur les lieux mêmes. Les chercheurs de trésor pour arriver à l’intérieur des statues ont dû çà et là
soulever les blocs et abattre les têtes. Cependant au milieu de ces torses sans chef la statue de femme
assise à la droite de la plus grande statue du milieu est conservée intacte. Elle avance le pied droit et
elle est assise sur un trône taillé sans goût mais qui a des deux côtés un profil de sculpture grecque
sans appui et sans mouvement avec la tête un peu en haut. Elle porte un chiton, un manteau qui
remonte derrière la tête, des souliers et à la main gauche une corne d’abondance pendant que la main
droite se porte vers le sein avec un panier de fruits et de fleurs. La tête a une couronne qui se
concentre sur le front et qui était surmontée autrefois d’un peles qui aujourd’hui gît sur le sol. La
hauteur totale est d’environ 7 m. Parmi les autres figures, toutes d’hommes, se détache par sa
grandeur celle du milieu. Elle est assise aussi dans une tranquillité majestueuse, les mains reposant
sur le genou, le dos et le reste du corps sont couverts d’un manteau attaché par une agrafe au côté
droit de la poitrine. On n’a plus que la moitié supérieure de la tête dont les formes bien modelées
mais un peu vite ne rappellent que faiblement les formes idéales auxquelles la représentation de
Jupiter nous a habitués. La tiare en forme de toit pentu qui la surmonte produit un effet bizarre. Des
ailes larges se détachant de la tiare tombent sur la nuque et sur les oreilles et d’un cercle étoilé avec
rayons devant tombent de larges bandeaux. En avant et en arrière de la tiare on remarque une ligne
qui porte des ornements circulaires. Les trois statues encore restantes correspondent par leur costume
et par leur attitude et la forme du torse à celle du milieu. La tête renversée de la statue aussi à gauche
est malheureusement très maltraitée. Ses dimensions colossales m’ont empêché de la remuer ce qui
d’ailleurs m’est arrivé pour toutes les autres. Elle porte la même tiare si ce n’est que les séries
d’étoiles au lieu de rayons portent alternativement des cercles et des losanges. La tête est jeune et
d’une forme longue et ovale. Toute trace de la tête de la figure de l’angle à droite a disparu.
Cependant la massue du bras gauche et l’ensemble du type désigne la dernière statue comme celle

370) Tunique en lin ou laine légère.


96 OTTO PUCHSTEIN

d’Hercule malgré la haute tiare qu’il porte sur la tête. Pour dire encore un mot sur le style de ces
figures je dois dire que ce sont des têtes colossales travaillées avec soin et dont la surface est bien
conservée. Le manque d’expression et le vague des formes peuvent être excusés par la grandeur de
l’échelle. Destinés à produire leur effet de loin les torses sont autant de grosses masses sans détail.
J’ai déjà parlé de l’inscription grecque tracée au dos de l’exèdre. On ne peut plus reconnaître à la
suite des dommages produits par le temps comment on y parvenait. On peut seulement supposer que
dans tous les cas on avait ménagé quelque passage derrière l’exèdre pour laisser au lecteur un accès
suffisant. Quel était ce passage, c’est ce qu’il me fut impossible de vérifier par suite des difficultés
produites par les éboulements successifs et l’impatience des ouvriers. L’inscription est en deux
colonnes sur le dos des cinq exèdres comprenant en tout quarante mètres carrés et est tracée en gros
caractères dignes du monument. Les dommages sur les surfaces d’écriture que les débris protégeaient
sont dus beaucoup plus à quelque action violente qu’aux vents et à la pluie. Mais comme
heureusement l’inscription se répète sur le côté ouest également endommagé il me fut possible de
restaurer tout le document dans son intégrité à l’exception de quelques lacunes. La voici telle qu’elle
a été copiée.
L’inscription donne la clef de l’énigme. Le fondateur du monument est ce même Roi Antiochus
de Commagène dont Monsieur Mommsen a établi la filiation en démontrant qu’il eut pour père un
roi Mithridate et pour mère une princesse syrienne et dont l’époque doit être placée entre 64 et 34
avant J.-C.371.
Après avoir donné une idée de la piété de ses sentiments auxquels il devait sa puissance, son
gouvernement heureux et les autres biens de la terre, Antiochus a voulu donner une expression
visible de ses croyances en consacrant aux dieux des statues et en prenant soin de les faire honorer.
Ici sur les lieux mêmes où il lui avait été donné de donner un emplacement de repos à son corps près
des sièges des dieux, il avait destiné une localité pour le culte de dieu et de ses heureux ancêtres. Il
ne s’occupa pas seulement de la consécration du lieu mais il établit aussi des prêtres qui devaient
célébrer des fêtes solennelles en l’honneur des dieux les jours de sa naissance et de son couronnement.
Afin d’assurer la continuation de ces institutions il imposa par une loi expresse aux potentats ses suc-
cesseurs la nécessité d’y persister. Nous nous trouvons donc en présence d’une tombe d’Antiochus
consacrée au culte des dieux et des ancêtres d’un ιJεροθέσειον372 dans les chambres souterraines
duquel probablement encore aujourd’hui repose intacte la dépouille mortelle du roi. Nous ne
manquerons pas non plus de renseignements sur le détail du monument. Les figures colossales sont
des représentations des dieux et d’après l’inscription nous reconnaissons facilement dans la figure
dominante du milieu le Ζευς Ορομασδης373 aux places d’honneur à sa droite la Commagène et à sa
gauche le roi lui-même sous les traits d’une jeunesse idéale pendant que plus loin des divinités syn-
crétistiques (mixtes) Artagnès-Héraclès-Arès à gauche, Apollon-Mithra-Hélios-Hermès à droite,
fermant la série qui est gardée par des lions et par des aigles. On doit reconnaître dans l’emplacement
situé à l’est de cet enclos sacré et qui est entouré de marches l’autel sur lequel les jours de fête le
prêtre devait offrir l’encens et les victimes. Le groupe des ancêtres dans la forme de héros dont nous
avons retrouvé les textes défigurés devait être représenté sur des bas-reliefs. Leur culte devait se
célébrer sur les petits autels placés devant chaque figure qui elle-même était représentée comme
offrant l’hommage de son adoration aux dieux supérieurs. Je donne plus bas les passages des
inscriptions qui permettent d’expliquer encore aujourd’hui dans ce sens les bas-reliefs en question.
Instruits ainsi par la grande inscription, complétant maintenant le tour du monument nous
quittons la plateforme du monument en suivant un sentier large de 1 m derrière le socle de la série du
sud des héros, nous franchissons l’amas de pierre et nous [...]374.

371) Theodor Mommsen, “Die Dynastie von Kommagen”, Mitteilungen des Deutschen Archäeologischen Instituts,
Athenische Abteilung, 1 (1876) : 27-39.
372) Hiérotheseion, terme décrivant les monuments d’Antiochus Ier ou les tombes de membres de sa famille.
373) Zeus Oromasdès (Ahura Mazda).
374) La traduction manuscrite du texte se termine ici.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
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Collection de l’auteur :
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Traduction manuscrite en français du rapport d’Otto Puchstein sur son voyage à Nemrud Dağı en 1882, vers
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INDEX DES NOMS PROPRES

Abdülhamid II, sultan ottoman : 15, 27 n. 70 Arslan Boğazı, col de montagne : 85


Abraham, évêque du VIe siècle à Viranşehir : 92 Arslan Kalesi, ruines : 87
Académie royale des sciences de Berlin : 29, 85 Arslantaş, site archéologique : 11, 73-74, 80-81
Adıyaman : 32, 57-59, 70, 80-81, 88-89, 107-108 Artagnès : 96
Adil, Fikret, écrivain et critique d’art : 14 Asie Mineure : 21-22, 26 ; voir aussi Anatolie :
Afrin Çayı, rivière : 87 Assyrie, assyrien : 19, 51, 53, 73 n. 348, 74, 86
Afrique : 20 Atan Buçan Çayı, rivière : 87
Aintab (Anteb) : 26, 54-56, 80-81, 87-88 Athènes : 20, 28 n. 71, 38 n. 107, 85 ; voir aussi
Ak Kabir, village : 55 Ecole française d’Athènes
Akbez, village : 48 Aydın : 22
Alebend Çayı, rivière : 87 Ayn-ı Züleyha, bassin à Urfa : 72, 134
Alep : 11, 45-46, 80-81, 136-139
Alexandrette : 10, 25-26, 42, 45, 71 n. 334, Bagdad : 16, 20, 31, 33
80-81, 85 Baltazzi, Aristide : 37 n. 100, 40
Algérie : 33 Baltazzi, Démosthène : 24-25, 37 n. 100,
Ali Ağa Çiftliği, village : 10, 37-40, 42 39 n. 114-115
Allemands : 19-20, 26-27, 29-30, 71 Baltazzi, Epaminondas : 37 n. 100
Alphenus Senetio, lieutenant de Syrie : 89 Baltazzi, frères : 10, 37 n. 100-101, 39, 42
Altuntaş Kalesi, village : 87-88 Baltazzi, Théodore : 37 n. 100, 38, 40
Amanus, monts : 48, 85-86 Banque impériale ottomane : 21
Amik Ovası, plaine : 31, 46 Barnebus, gymnasiarque : 86
Anamur, cap et château : 43-44 Barzalo, voir Gerger
Anatolie ; voir aussi Asie Mineure : Bedirhan Bey, chef kurde : 49
9-10, 11, 13, 19 Bedri Bey, commissaire du Musée impérial : 25
Antakya, voir Antioche Behesni, village : 87-88
Anteb, voir Aintab Bektaş Ağa Köy, village : 49
Antioche (Antakya) : 11, 21-22, 25, 28, 80-81, 86, Belen, village : 45, 80-81
140 Berlin : 19, 28 n. 71, 90 ; voir aussi Académie
Antiochus Ier de Commagène :10, 25-26, 30, 61, royale des sciences de Berlin, Musée de Berlin
65 n. 286, 66-70, 91, 96, 120, 122, 125-127, Bertrand, consul de France à Alep : 46
129-131 Beş Geçid, passage à gué : 57, 80-81
Apollon ; voir aussi Hélios : 38, 65 n. 285-286, 288, Beyrouth : 85
66-67, 96, 118, 120, 122, 127 Bibol, village : 93-94
Araban Çayı, rivière : 88 Birecik : 11, 73, 80-81, 135, 139
Arabes, arabe : 16, 31, 60-61, 72, 88, 92, 110 Birik, village : 70, 80-81
Arès : 96 Birs Nimroud, site archéologique : 34 n. 92
Arméniens, arménien : 13, 18, 33, 42 n. 132, Bohémiens, voir Tziganes
44 n. 145, 45-46, 48 n. 173, 54 n. 206, Boulanger, Gustave, peintre : 24
57 n. 232, 59 n. 252, 60 n. 256, 72 n. 337, Boyadjian, évêque arménien de Diyarbekir : 92
73 n. 346, 88, 91 Boztepe, village : 73-74, 80-81
102

Bulam Suyu, rivière : 59, 61-63, 89, 109 Ersoy, Ahmet : 15, 34 n. 92
Bulanık Çay, rivière : 85 Erymanthe, paquebot des Messageries Maritimes :
Byzance, byzantin : 38, 58, 60, 63, 72 10, 25, 43
Euphrate : 56-57, 70-72, 85, 87-88, 91-93, 132
Caracalla, empereur romain : 63 n. 273, 89 Exposition universelle de Vienne de 1873 : 20, 22 ;
Cavalier, cap : 44 voir aussi Vienne
Cebel-i Bereket, montagne : 45-46
Cezar, Mustafa : 14, 21 Fırka-i Islahiye, corps expéditionnaire : 47, 49
Chemin de fer d’Anatolie : 21 France : 28, 46 ; voir aussi Paris
Circassiens : 52 n. 195, 86-87
Commagène 25, 29, 65, 66 n. 291, 67 n. 304, 70, Gâvur Dağı : 45-46, 48-49, 85, 87 ; voir aussi
89, 96, 123, 130 ; voir aussi Antiochus Ier de Amanus
Commagène
Constantinople : 20-23, 25, 69 ; voir aussi Istanbul Gaziantep, voir Anteb
Conze, Alexander, archéologue allemand : 19 Gediz, rivière : 42
Costumes populaires de la Turquie en 1873 : 15, Gerger Çayı, rivière : 91, 93
22, 34 Gerger, village : 87-88, 91-93, 95
Cuinet, Vital : 12-13 Geta, empereur romain : 63 n. 273, 89
Göksu, rivière : 32, 34, 57, 88
Çandarlı, golfe de : 37 Grèce, Grecs, grec : 21, 23, 28, 42 n. 130 et 132,
Çelik, Zeynep : 15 43, 44 n. 145, 54 n. 205, 58, 66, 72 n. 337,
Çerkes, voir Circassiens 86-87, 90-91, 93, 95-96
Çerkesköy, village : 52-53, 80-81 Grynium, site archéologique : 24-25, 38
Çermik, village : 92 Guildany Efendi, secrétaire-général des postes et
Çesne, clan établi à Eğridere : 55 télégraphes : 21
Çıtak, village : 40-41 Gulli Bey, chef kurde : 32, 53
Çifut Kalesi, ruines : 38
Çinili Köşk : 20, 23-24 ; voir aussi Musée impérial Halilü’r-Rahman, bassin à Urfa : 72, 133
Hassa, bourg : 48-49, 80-81
Demrik, village : 49 Havliyan, village : 71, 80-81, 132
Deringil, Selim : 15, 27 n. 69 Hélios ; voir aussi Apollon : 66, 96
Derviş Pacha : 47-50 Héraclès : 96 ; voir aussi Hercule
Dethier, Philipp Anton, prédécesseur d’Osman Hercule : 10 n. 7, 65-68, 70, 96, 118-119, 123,
Hamdi Bey à la tête du Musée impérial : 20 125-127, 129 ; voir aussi Héraclès
Diyarbekir : 92-93 Hermès : 96 ; voir aussi Mercure
Doliché, ruines : 87, 89, 92 Hermus, voir Gediz
Dumanlı Dağ, montagne : 39-40, 41 n. 127 Heştiran, village : 59
Dülük, voir Doliché Horik, village : 33, 60-61, 80-81, 90-91, 93
Humann, Carl, archéologue allemand : 13, 19,
Eba Müslim Teberi, saint musulman : 73 25-26, 29-30, 42, 71
Ecole des Beaux-Arts d’Istanbul : 9, 19-20, 28-29
Ecole française d’Athènes : 20 n. 40, 21, Islahiye, village : 49, 51-52, 56, 85-86
39 n. 114-115, 40 n. 119 Issus, rivière : 85
Edhem Pacha, père d’Osman Hamdi Bey : 20-25, Istanbul : 10-11, 19, 23, 26 ; voir aussi
28 n. 71 Constantinople
Egypte, égyptien : 53, 72 Izmir (Smyrne) : 10, 21-22, 24-26, 37, 41-43, 91
Eğin, bourg : 46 İbrahim Agha, cheikh kurde à Viranşehir : 92
Eğridere, village : 32, 55, 80-81 İbrahim Kâhya, chef du village de Milelis : 32
Eolide : 24 İçeri Suyu : 86
103

İskenderun, voir Alexandrette Mansur, Melik, souverain arabe : 60


İsmail Agha, Kurde : 34, 71 Maraş : 82
İsmail Galib Bey, frère d’Osman Hamdi Bey : 22 Mardin : 34
İzzet Efendi, directeur des Postes et télégraphes : 21 Margossian, C., ingénieur et ami d’Osman Hamdi
Bey : 37, 42
Jupiter Dolichenus : 87 Margossian, Marie, cousine de C. Margossian : 42
Jupiter ; voir aussi Zeus : 64 n. 282, 65 n. 288, Marius Perpetuus, légat de la XVIe légion
66 n. 296, 67, 87, 95 romaine : 63, 89
Mèdes : 34
Kâhta Suyu, rivière : 59-63, 89-90, 94, 110 Menemen, bourg : 25, 42
Kâhta : 10-12, 26, 30, 59-64, 69-70, 72, 88-90, Mercure : 67 ; voir aussi Hermès
109-110, 119 Mersin : 10, 44-45
Kalburcu Suyu, rivière : 59 Merzumen Suyu, rivière : 55-56
Kantara, village : 71, 80-81, 132 Mésopotamie : 71-72, 88, 90-91
Kara Dağ, montagne : 55-56, 87-88 Messageries Maritimes : 10
Karaca Dağ : 92 Metzger, Henri : 16
Karakuş, tumulus de : 10, 12, 17, 34, 59, 61-63, Midhat Pacha : 16, 31
70, 77, 80-81, 90, 111-114 Milelis, village : 32, 55, 80-81
Karasu, rivière : 46-49, 56, 85, 87-88 Mithra : 65 n. 286, 86 n. 364, 96, 120
Kayraş, village : 70, 80-81 Mithridate : 62, 90, 96
Keferdiz Dağı, montagne : 53-54 Moltke, Helmuth Karl Bernhard von, officier
Kırıkhan, village : 45, 52 allemand : 89, 93
Kız Limanı, village : 44 Mommsen, Théodore, archéologue allemand : 92
Kızıl Çay, rivière : 57 Murad Çayı, rivière : 93
Kızıl Dağ, montagne : 56, 87-88 Musée de Berlin : 19, 26
Kızılçubuk Çayı, rivière : 92-93 Musée impérial [ottoman] : 9, 11-12, 16-17, 19,
Kiepert, Heinrich, cartographe allemand : 21-30, 53, 69 ; voir aussi Çinili Köşk
49 n. 175, 85-87 Mustafa, Yürük Beyi : 40
Kiepert, Richard, cartographe allemand : 12 Myrina, site archéologique : 10-11, 24-25, 39-41
Koca Çay, rivière : 38, 40
Kör Çay, rivière : 38 Nemrud Dağı, tumulus de : 9, 19, 29, 42, 59-61,
Kurdes, kurde : 31-34, 46-47, 49, 51, 53, 56-57, 63-71, 78-81, 87-94, 115-131
61-64, 71, 73, 86, 88, 90, 92-93, 112, 114 Nevres Bey, kaymakam d’Anteb : 54
Kurdistan : 29, 81 Nicopolis : 49 n. 175, 86
Külafhüyük, village : 32, 57, 80-81 Nimroud, voir Birs Nimroud
Kürd Dağı, montagne : 46, 52, 86 Nizib, bourg : 87
Noailles, Emmanuel-Henri-Victorien, marquis de,
Lambro, domestique grec : 42 ambassadeur de France à Constantinople : 30
Latifzade Mehmed Efendi, chef du clan Çesne : 55 Nymphée, bas-relief : 91
Launay, Marie de, collaborateur d’Osman Hamdi
Bey : 34 Olympias, mère d’Alexandre le Grand : 87
Lazaristes : 48 Orduköy, village : 31, 47, 49
Lewis, Reina : 15 Osgan, Yervant (Osgan Efendi) : 9, 11-13, 17, 19,
Leyla, fille d’Osman Hamdi Bey : 46 21-22, 25-26, 29, 31, 33-34, 37-75, 111, 113,
Lindau, Rudolf, écrivain allemand : 16 120-123, 126-127
Loeffler, lithographe et imprimeur : 29 Osman Agha, chef du village de Yamaçoba : 54
Luschan, Felix von, archéologue allemand : 13, 22, Osman Hamdi Bey : 9-34, 36-77, 113, 120,
26, 45, 71 122-125, 141
Osmaniye Çayı, rivière : 85
Makdisi, Ussama : 15 Osmaniye, bourg : 85
104

Paris : 16, 24, 31 Subhi Pacha, homme d’Etat : 20


Pela, site archéologique : 92 Suruc, bourg : 73
Pergame : 29, 38 Süpürgüç, village : 56, 80-81, 88
Perrée (Pirun), site archéologique : 58-59, 80-81, Syrie : 21-22, 89, 96
88-89, 92, 107-108
Perrot, Georges, archéologue français : 23, 29-30 Şervan, village : 74
Perses, perse : 34
Pesge Çayı, rivière : 55 Tarsus : 44
Phrygie, phrygien : 66-68 Taurus, monts : 43, 58, 61, 85, 88-89, 91-93
Pirun, voir Perrée Tel Dülük Köyü, village : 87
Pottier, Edmond, archéologue français : 24-25 Ténédos, île : 53
Puchstein, Otto, archéologue allemand : 13, 19, 22, Thalasso, Adolphe, critique d’art : 14
25-26, 29-30, 49 n. 175, 50, 53, 62, 64-66, 71, Tigre : 92
83-96 Tissot, Charles-Joseph, ambassadeur de France à
Constantinople : 20
Rassam, Hormuzd, archéologue anglais : 28 n. 71 Tokmakdji, évêque catholique d’Adıyaman : 88
Reinach, Salomon : 10, 20, 23-30 Tördek : 71, 80-81
Renan, Ernest : 30 Tumulus de Nemroud Dagh, ouvrage d’Osman
Reşid Agha, chef kurde : 73 Hamdi Bey et Osgan Efendi : 9, 11-12, 17,
Revue archéologique : 22-23, 29 29-30, 61
Rhodes : 10, 43 Turquie d’Asie, ouvrage de Vital Cuinet : 12-13
Rome, romain : 10, 12, 20, 38, 47, 49-51, 56, Turquie, quotidien : 21-22, 26
58-59, 63, 70, 72, 80-81, 87, 109 Tziganes : 48, 87
Rumanlı Dağ, montagne : 55
Urfa : 26, 71-73, 80-81, 132-135, 139
Safran Suyu, rivière : 57 Usener, Hermann Karl, philologue allemand : 81
Said, Edward : 15
Saint-Siméon le Stylite, saint et église : 80-81, 137 Vienne : 24 ; voir aussi Exposition universelle de
Sakçagözü, village : 26, 32, 51-54, 80-81, 86-87 Vienne de 1873
Samsat, bourg : 26, 70-71, 80-81, 87-88, 132 Viranşehir, bourg : 91-92
Sarç, Cenan, petite-fille d’Osman Hamdi Bey : 9
Sarıkaya, montagne : 54, 87 Wilhelm II, empereur d’Allemagne : 26
Satıluşağı, village : 57
Schick, Irvin Cemil : 15 Yamaçoba : 54, 80-81
Scott-Stevenson, Mary Esme Gwendoline, Yarput : 85
voyageuse anglaise : 86 Yürük (nomades) : 40 n. 123
Se Seng, voir Sesönk Yürük Bey : 40-41, 48
Selik, village : 70
Septime Sévère, empereur romain : 63, 89 Zedagathé : 87
Sesönk, tumulus de : 57, 88-90 Zeus Oromasdès : 96
Sester, Karl, ingénieur allemand : 19, 85, 88-90 Zeus ; voir aussi Jupiter : 65 n. 288, 67 n. 304,
Shaw, Wendy K. : 15-16 119, 122-123, 129
Sidon : 30 Zincirli : 18, 51-53
Sinek Çayı, rivière : 92-93 Zirafkyan, clan : 70
Siverek, village : 88, 92 Ziyaret (Eba Müslim Ziyaret) : 73
Smyrne, voir Izmir Ziyaret Çayı : 58-59, 89
Softa Kale, château : 44
PLANCHES
Il m’a paru utile de donner en annexe les 81 photographies prises par Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi
lors de leur expédition de Nemrud Dağı, conservées aujourd’hui aux Musées archéologiques d’Istanbul. Ce
désir d’exhaustivité n’est pas sans inconvénient : il existe dans le lot un certain nombre de prises de vue presque
identiques, probablement prises à la suite l’une de l’autre. Toutefois leur nombre est assez réduit pour justifier
ce léger excès d’iconomanie.
L’ordre dans lequel ces photographies sont insérées dans cette publication ne reprend pas la numérotation
des clichés qui semble avoir été en grande partie aléatoire. J’ai donc plutôt essayé de reconstituer un ordre plus
ou moins fidèle au déroulement du texte, tout en respectant une certaine logique topographique dans les sé-
quences d’images représentant différents aspects et monuments d’un même site.
Le cahier d’inventaire des clichés photographiques que j’ai consulté ne comportait aucune indication per-
mettant d’identifier ces images avec la moindre précision. Il a donc fallu les identifier par d’autres moyens, no-
tamment en les comparant avec des images connues. Les sites de Nemrud Dağı et du tumulus de Karakuş n’ont
guère posé de problème, étant donné qu’ils ont été abondamment documentés et photographiés. Pour d’autres,
il a fallu des recherches un peu plus poussées et une lecture attentive du carnet de voyage dans ses références
à des prises de vues. C’est d’ailleurs cette lecture qui permet de constater que les photographies publiées ici ne
représentent qu’une partie du produit total de cette campagne photographique. En effet, en plus de fréquentes
remarques concernant des prises de vue ou des développements ratés, il apparaît qu’un bon nombre de photo-
graphies que l’on sait avoir été prises ne se trouvent pas dans les archives consultées. J’ai tenu par conséquent
à indiquer en note les images manquantes ; quant à celles qui ont survécu, un système de renvois les met en
rapport avec le texte dans la mesure du possible, afin de permettre au lecteur de suivre les correspondances
entre texte et images.
Grâce à l’aide d’amis et collègues – Aslı Özyar, Oya Pancaroğlu, Nezih Başgelen – je suis parvenu à iden-
tifier la presque totalité des images. Seule la photo 70, représentant la façade d’une demeure d’Urfa, de Birecik
ou d’Alep, reste encore à identifier. En revanche, il est apparu qu’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi s’étaient
trompés sur l’identité de certaines des représentations monumentales de Nemrud Dağı. Ces erreurs ont été cor-
rigées grâce à une documentation plus récente ; j’ai quand même tenu à les indiquer telles qu’elles apparaissaient
dans l’édition de 1883 du Tumulus. De la même manière, la correspondance entre les images publiées ici et les
planches du Tumulus est indiquée dans la légende des photographies communes.
Toutes les photographies utilisées ici ont été obtenues à partir de négatifs sur plaques de verre de 13 x 18 cm.
Onze des images ont été obtenues par la digitalisation directe des plaques de verre. Les autres ont été numérisées
à partir de tirages papier ou de diapositives.
107

1. Ruines d’un pont romain enjambant le Karasu entre Milelis et Süpürgüç (voir p. 56).
12 mai 1883. Cliché n° 11243.

2. Grottes de Perrée/Pirun, au nord d’Adıyaman (voir p. 58-59). 13 mai 1883.


Cliché n° 11237.
108

3 et 4. Grottes de Perrée/Pirun, au nord d’Adıyaman (voir p. 58-59). 13 mai 1883.


Clichés n° 11241 et 11238.
109

5. Pont romain sur le Bulam Suyu/Cendere Suyu, connu aujourd’hui sous le nom de
Cendere Köprüsü (voir p. 59, 63). 14 mai 1883. Cliché n° 11195. Planche 1 du Tumulus.

6. Village de Kâhta, à l’emplacement actuel d’Eski Kâhta (voir p. 59).


14 mai 1883. Cliché n° 11242. Planche 2 du Tumulus.
110

7. Château de Kâhta, à l’emplacement actuel d’Eski Kale (voir p. 59-60). 14 mai 1883.
Cliché n° 11236. Planche 3 du Tumulus.

8. Pont “de construction arabe” et torrents sur le Kâhta Suyu (voir p. 60). 16 mai 1883.
Cliché n° 11187. Planche 4 du Tumulus.
111

9. Vue du tumulus et des colonnes ouest de Karakuş (voir p. 61-62). 18 mai 1883.
Cliché n° 11205. Debout sur le socle de la colonne de gauche, on reconnaît Osgan Efendi.

10 et 11. Vue du tumulus de Karakuş et des colonnes ouest (à g.) et de la colonne sud (à dr.),
surmontée de l’aigle qui donne son nom en turc au monument (voir p. 61-62). 18 mai 1883.
Clichés n° 11200 et 11211. Planches 9 et 8 du Tumulus.
Debout devant la colonne de gauche, Osgan Efendi.
112

12. Groupe de Kurdes devant la colonne nord-ouest du tumulus de Karakuş (voir p. 61-62).
18 mai 1883. Cliché n° 11193. Planche 7 du Tumulus.
113

13. Lion de Karakuş à terre (voir p. 62). 18 mai 1883. Cliché n° 11212. Planche 6 du Tumulus.

14. Ravin en contrebas du tumulus de Nemrud Dağı et tentes d’Osman Hamdi Bey et
Osgan Efendi (voir p. 64). 21 mai 1883. Cliché n° 11176. Planche 10 du Tumulus.
114

RS

15 et 16. Groupe de Kurdes à Karakuş (voir p. 62). 18 mai 1883. Clichés n° 11175 et 11214.
115

17. Vue du haut de la terrasse ouest du tumulus de Nemrud Dağı (voir p. 68). 28 mai 1883.
Cliché n° 11218.

18. Vue du haut du tumulus de Nemrud Dağı (voir p. 68). 28 mai 1883. Cliché n° 11220.
116

19 et 20. Vues du haut du tumulus de Nemrud Dağı (voir p. 68). 28 mai 1883.
Clichés n° 11221 et 11219.
117

21 et 22. Nettoyage avant le redressement des plaques de la terrasse ouest du tumulus


(voir p. 64). 22 mai 1883. Clichés n° 11181 et 11188. Planche 11 du Tumulus.
118

23 et 24. Série de statues colossales de la terrasse est du tumulus (voir p. 64-65). Mai 1883.
Clichés n° 11177 et 11206. Planche 12 du Tumulus . On remarque que sur la deuxième image
les têtes d’Apollon et d’Hercule ont été redressées.
119

25. Vue cavalière de la série de statues colossales de la terrasse est du tumulus (voir p. 65).
Mai 1883. Cliché n° 11197. Planche 12/1 du Tumulus.

26 et 27. Têtes d’Hercule (à g.) et de Zeus (à dr.) de la terrasse est du tumulus.


A côté d’Hercule, probablement Bogos Ağa, “membre du Conseil d’administration du caza de
Kiahta” (voir p. 65). Mai 1883. Clichés n° 11207 et 11182. Planches 17 et 15 du Tumulus.
120

28. Tête d’Apollon-Mithras de la terrasse est du tumulus (voir p. 65). Mai 1883.
Cliché n° 11183. Planche 16 du Tumulus. Dans leur ouvrage, Osman Hamdi Bey et
Osgan Efendi l’identifiaient comme Antiochus.
121

29 et 30. Osgan Efendi aux côtés de la tête de lion gardien de la terrasse est (haut) et de la tête
d’aigle gardien de la terrasse ouest (bas) du tumulus (voir p. 65). Mai 1883.
Clichés n° 11178 et 11203. Planches 14 et 22 du Tumulus.
122

31 et 32. Osman Hamdi Bey avec la tête de Zeus (haut) et la tête d’Antiochus (bas) de la
terrasse ouest du tumulus (voir p. 65). Mai 1883. Clichés n° 11185 et 11190. Planches 20 et 18
du Tumulus. Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi avaient pris Antiochus pour Apollon.
123

33 et 34. Tête d’Hercule de la terrasse ouest du tumulus. Mai 1883. Clichés n° 11192 et 11186.
Planches 19 et 19/1 du Tumulus. Identifié par Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi comme Zeus.

35. Tête de la Commagène de la terrasse ouest du tumulus. Mai 1883.


Cliché n° 11194. Planche 21 du Tumulus.
124

36 et 37. Rangée de plaques de la terrasse ouest du tumulus (voir p. 65-69). Mai 1883.
Clichés n° 11174 et 11180. Planches 29 et 26 du Tumulus. On reconnaît sur la deuxième image,
la cigarette à la bouche et le pistolet à la ceinture, Osman Hamdi Bey.
125

38 et 39. Osman Hamdi Bey travaillant au moulage de la plaque représentant


la dexiosis (poignée de main) entre Antiochus et Hercule (voir p. 67). 25 mai 1883.
Clichés n° 11216 et 11217.
126

40. Osgan Efendi travaillant au moulage de la plaque représentant la dexiosis (poignée de


main) entre Antiochus et Hercule (voir p. 67). 25 mai 1883. Cliché n° 11173.
127

41. Osgan Efendi travaillant au moulage de la plaque représentant la dexiosis (poignée de


main) entre Antiochus et Hercule (voir p. 67). 25 mai 1883. Cliché n° 11213.

42 à 44. Plaque de la terrasse ouest représentant la dexiosis entre Antiochus et Apollon


(voir p. 66). Mai 1883. Clichés n° 11208, 11210 et 11204. Planche 23 du Tumulus.
128

45 et 46. Plaque du lion horoscope de la terrasse ouest du tumulus (voir p. 66). Mai 1883.
Clichés n° 11179 et 11202. Planche 24 du Tumulus.
129

47 à 49. Plaques de la terrasse ouest représentant la dexiosis entre Antiochus et Hercule (à g.)
et entre Antiochus et Zeus (à dr.), avec le socle de la seconde (bas) (voir p. 66-67). Mai 1883.
Clichés n° 11199, 11184 et 11196. Planches 25, 27 et 28 du Tumulus.
130

50. Fragment de la plaque de la terrasse ouest représentant la dexiosis entre Antiochus et la


Commagène (voir p. 68). Mai 1883. Cliché n° 11198. Planche 31 du Tumulus.

51 et 52. Plaque de la terrasse ouest représentant Darius, ancêtre paternel d’Antiochus


(voir p. 68-69). Mai 1883. Clichés n° 11209 et 11215. Planche 32 du Tumulus.
131

53. Plaque de la terrasse ouest représentant […]danès, fils d’Aroandès II, ancêtre paternel
d’Antiochus (voir p. 69). Mai 1883. Cliché n° 11201. Planche 33 du Tumulus.

54. Lion gardien nord de la terrasse est (voir p. 64). Mai 1883.
Cliché n° 11191. Planche 30 du Tumulus.
132

55. Barque sur l’Euphrate, utilisée pour la traversée du fleuve entre Havliyan et Kantara,
au nord-est de Samsat (voir p. 71). 2 juin 1883. Cliché n° 11229.

56. Vue générale de la ville d’Urfa (voir p. 72). 3 juin 1883. Cliché n° 11228.
133

57. Vue de la citadelle d’Urfa (voir p. 72). 4 juin 1883. Cliché n° 11233.

58. Etang aux poissons (Balıklı Göl) dans la cour de la mosquée de Halil-ur-Rahman à Urfa
(voir p. 72). 4 juin 1883. Cliché n° 11231.
134

59 et 60. Etang de Ayn Zuleiha à Urfa (?) (voir p. 72). 4 juin 1883. Clichés n° 11226 et 11230.
135

61 et 62. Murailles de Birecik, porte d’Urfa. Vers juin 1883. Clichés n° 11234 et 11232.
136

63 et 64. Citadelle d’Alep. Vers juin 1883. Clichés n° 11222 et 11225.


137

65. Citadelle d’Alep. Vers juin 1883. Cliché n° 11246.

66. Église de Saint-Siméon le Stylite, près d’Alep. Vers juin 1883. Cliché n° 11245.
138

67 et 68. Vestiges du palais ayyoubide à l’intérieur de la citadelle d’Alep. Vers juin 1883.
Clichés n° 11223 et 11224.
139

69. Khan al-Wazir à Alep. Vers juin 1883. 70. Demeure à Urfa, Birecik ou Alep (?).
Cliché n° 11235. Vers juin 1883. Cliché n° 11239.

71. Pont moderne près d’Aintab/Anteb. Vers juin 1883. Cliché n° 11244.
140

72 et 73. Rives de l’Oronte et noria à Antioche (Antakya). Vers juin 1883.


Clichés n° 11227 et 11240.
141

74. Cavalier devant les tentes de l’expédition. Vers mai 1883 ? Cliché 11247.
On est tenté de voir sur cette image Osman Hamdi Bey affublé d’un costume local,
mais la qualité de l’image ne permet pas de le vérifier.

75. Caravane de chameaux au repos. Vers mai 1883 ? Cliché n° 11253


142

76 à 79. Types locaux. Vers mai 1883 ? Clichés n° 11249 à 11252.


143

80. Types locaux. Vers mai 1883 ? Cliché n° 11248.


144

81. Types locaux. Vers mai 1883 ? Cliché n° 11254.

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