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Chateaubriand, traducteur de Milton Lorsque Chateaubriand publie, en 1836, sa traduction du Para- dise Lost de Milton, la France est en pleine période « romantique ». Du point de vue qui nous occupe, cela signifie deux choses. Avec la pénétration des romantismes anglais et allemand, on a un grand mouvement de traduction qui, pour l’essentiel, voulut rompre avec la traduction classique des « belles infidéles » et s’attacher — tout @ fait dans la ligne de Humboldt (mais sans la réflexivité spéculative propre 4 la culture allemande de l’époque) — aux « particularités » des originaux. De méme, il y a eu en France une revalorisation de l’acte de traduire, comme en témoignent ces lignes de Victor Hugo : « Ils [les traducteurs] superposent les idiomes les uns aux autres, et quelquefois, par l’effort qu’ils font pour amener et allonger le sens des mots A des acceptions étrangéres, ils augmentent I’élasticité de la langue. A la condition de ne point aller jusqu’a la déchirure, cette traduction sur l’idiome le développe et I’agrandit'. » Ailleurs, Hugo — tout a fait dans l’esprit de son siécle — affirme que les traducteurs traduisent «comme les ingénieurs font carrossables les hautes montagnes? ». 1. Cité par H. Meschonnic, « Ce que Hugo dit de la langue », Romantisme, « Conscience de la langue », n° 25-26, Champion, Paris, 1979, p. 63. La limite indiquée par Hugo pour la traduction est la méme que celle de Humboldt. 2. bid. Dans le domaine technologique, les figures du traducteur et de l’ingé- nieur tendent aujourd'hui a se rejoindre avec la nouvelle profession d’ingénieur linguiste ! o7 LA TRADUCTION ET LA LETTRE Mais cette ouverture sur l’Etranger, qui ne veut pas aller « jus- qu’a la déchirure », a été préparée par tous les bouleversements de la Révolution et de l’Empire de deux fagons. D’abord, Révo- lution et Empire ont sillonné l'Europe, et méme 1’Orient, avec V’expédition d’Egypte qui a eu un immense impact culturel. Cette expédition a méme eu comme conséquence le premier déchiffrement d’une langue antique restée auparavant incompré- hensible, 1’égyptien, et cela grace 4 une double traduction : c’est la pierre de Rosette, oi le méme texte est gravé en trois langues. Ensuite, Révolution et Empire ont produit un fort contingent d’exilés parmi les écrivains frangais : Chateaubriand lui-méme, Madame de Staél, Benjamin Constant, Joseph de Maistre, Rivarol, Delille, Bonald, etc. De fait, la traduction du Paradise Lost est un fruit de l’exil'. L’expérience de l’exil faite par ces €crivains a eu une importance décisive sur la structure de la culture frangaise. Elle l’a ouverte sur I’Etranger, comme [’attes- tent De I’Allemagne de Madame de Staél, l’Essai sur la littéra- ture anglaise de Chateaubriand, Les Soirées de Saint-Pétersbourg de Joseph de Maistre. La visée de littéralité En 1836, Chateaubriand est sans doute le maitre incontesté de la grande prose frangaise. Il l’a portée 4 un degré d’élaboration qui ne sera probablement dépassé que par Proust. D’oi vient, alors, qu’il choisisse de traduire Milton littéralement, c’est-a-dire en renoncant délibérément aux immenses ressources de cette prose qu’il domine magistralement? Il y a une volte significa- tive, dont Pouchkine — qui suivait de prés la situation littéraire en France et le mouvement des traductions — s’est 4 1’époque étonné?. 1. Et de la pénurie matérielle de son auteur: c’est une Brotiibersetzung, une traduction faite pour gagner (un peu) d’argent. Sans l’exil et la pauvreté, Chateaubriand n’aurait pas traduit Milton, affirment ses « spécialistes ». 2. « Aujourd’hui — exemple inoui — le premier des écrivains francais traduit Milton mot a mot et déclare qu’une traduction juxtalinéaire serait le sommet de son art [...] il est possible qu’elle ait une grande influence sur la littérature. » Cité 98 CHATEAUBRIAND, TRADUCTEUR DE MILTON Chateaubriand lui-méme s’en est expliqué dans les « Remarques » qui précédent sa traduction. Mais il faut dire tout de suite que ce choix de littéralité est simultanément issu de Ja structure de I’ceuvre traduite et de la position du traducteur. La littéralité de V original et la latinisation Le Paradise Lost est, d’abord, un poéme chrétien, avec un double horizon, et une double source : — la Bible, a Ja fois dans sa version hébraique, sa version latine (la Vulgate) et sa version anglaise, l’Authorized Version; — la littérature latine. Certes, Milton puise aussi chez les Grecs, chez les Italiens de la Renaissance et du Baroque (il a écrit, dans sa jeunesse, des son- nets en italien), mais, fondamentalement, il est déterminé par la latinité et la christianité. Et cela a quelque chose a voir, chez lui, avec traduction et littéralité. Le poéte reprend tels quels des pas- sages de l’Authorized Version, traduit (transpose) d’innombrables images, locutions bibliques, latines, grecques et italiennes. Cette pratique intertextuelle de I’ emprunt passe par la traduction. Cha- teaubriand le montre fort bien dans ses « Remarques » : « L’obscurité ou les ténébres visibles rappellent l’expression de Sénéque, non ut per tenebras uideamus, sed ut ipsas. Satan élevant sa téte au-dessus du lac de feu est une image empruntée a l’Enéide. Pectora quorum inter fluctus arrecta. Milton faisant dire 4 Satan que régner dans |’Enfer est digne d’am- bition traduit Grotius : Regnare dignum est ambitu, etsi in Tartaro. in Claude Esteban, « Traduire », Argile, XXII, Maeght éditeur, Paris, 1980, p. 78. 1, « Remarques & propos de la traduction de Milton », que l’on trouvera dans ses Euvres completes ou — en séparé — dans le n° 23 (1982) de la revue Po&sie, op. cit., p. 112-120. Les citations des « Remarques » renvoient toutes & ce numéro. 99

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