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Pierre A.

RIFFARD
Professeur à I.U.F.M. de la Guyane et à Université des Antilles et de la
Guyane

LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ÉSOTÉRIQUES

Toute culture développe une ou des religions, une ou plusieurs


philosophies, diverses sciences, qui sont reconnues, admises par les
autorités et le peuple. Mais, parallèlement à cette culture officielle,
circulent des connaissances secrètes, généralement suspectes, qui
s’appellent « sciences occultes », « traditions initiatiques»,
« ésotérisme ». On y trouve des techniques, comme l’astrologie, des
doctrines, comme la kabbale, des organisations, comme la Rose-Croix.

En particulier à Alexandrie, l’histoire a retenu de nombreux


ésotérismes. On peut citer l’hermétisme gréco-égyptien (né vers le III°
s. av. J.-C.), l’alchimie gréco-égyptienne (dès Bôlos de Mendès, vers
200 av. J.-C.), le gnosticisme (du Ier s. av. au IV° s. après J.-C.), le
néo-platonisme alexandrin (depuis Ammonius Saccas en 193, jusqu’à
Étienne d’Alexandrie vers 640).

Avec l’ésotérisme, on observe une transmission des savoirs


parfaitement originale, puisqu’il favorise un culte du secret en même
temps qu’un éloge de la connaissance. D’un côté, il y a discipline de
l’arcane, obligation du secret, savoir réservé à des initiés. De l’autre il y
a transmission, chaîne initiatique. Telle est la contradiction apparente
de la notion de Tradition ésotérique, à la fois secret et transmission.
Comment ce paradoxe peut-il être éclairé ?

I) EXEMPLES

On peut prendre l’exemple du pythagorisme, celui de Grèce


antique (avec Pythagore ou Philolaos) ou d’Alexandrie (avec Jamblique
ou Hiéroclès). Les pythagoriciens ont des secrets, qui concernent la
numérologie, certaines constructions géométriques, la transmigration
des âmes, certains rites, le symbolisme, etc. Comment font-ils pour
s’adresser aux seuls initiés ou pour donner de fausses pistes ou de
simples indications aux non-initiés ? On connaît les procédés
d’occultation grâce à Porphyre et à Jamblique, qui ont chacun écrit une
Vie de Pythagore. Un premier procédé est l’oralité : Pythagore parle
mais n’écrit rien, son message reste verbal, donc limité à ses auditeurs,
qui sont choisis et prêtent le serment de silence. Un second moyen est
le symbole. Un enseignement profond est donné, mais codé, il faut
savoir qu’il est chiffré, par quoi, il faut savoir comment le déchiffrer,
l’interpréter, l’utiliser. Ainsi, une expression d’apparence
superstitieuse ou sotte comme « Ne pas aider à décharger un fardeau »
semble égoïste. En réalité cette formule est initiatique et altruiste. Elle
signifie : « Il ne faut pas encourager le manque d’effort, mais aider à le
charger » (Jamblique, Vie de Pythagore, § 84). Un tel conseil entre dans
le cursus initiatique des pythagoriciens. Une troisième modalité est le
langage par objets. Une anecdote célèbre raconte qu’un pythagoricien,
au moment de mourir et incapable de payer sa dette à l’aubergiste, avait
placé un pentagramme sur la porte de l’auberge ; « un pythagoricien
passant par là s’arrêta, il s’enquit de ce qui s’était passé et il remit à
l’aubergiste une somme d’argent » (idem, § 238). Il y a bien eu message,
mais un message réservé, codé, silencieux, et philanthropique. Un autre
procédé d’occultation est la pratique, l’exercice. Les pythagoriciens se
transmettaient des chants, des rites, des sciences, seulement ces
pratiques ou ces connaissances ne pouvaient passer que si elles étaient
maîtrisées, ce qui supposait des années et des années d’études, de
fréquentation, de méditation. Par exemple, la science des médiétés, des
proportions supposait une grande persévérance, une profonde maîtrise
des mathématiques, de la musique, de la science des correspondances.

Comme autre exemple de la transmission ésotérique, prenons


l’Afrique noire traditionnelle, celle des initiations, si bien étudiée par
Marcel Griaule (1948), Dominique Zahan (1960), René Jaulin (1982),
Bernard Holas (1984), et tant d’autres. Des expressions existent, qui
désignent la connaissance secrète. Les Bambara parlent de
« connaissance profonde » (lomi dogolé), les Bwa de « dit des choses
cachées », les Mitsogho de « médicament ». Les secrets, en terre sud-
saharienne, portent sur la magie, les noms et le verbe créateur, les
correspondances cosmiques, l’animal-âme, les initiations de puberté, et
surtout sur la force vitale (evur au Gabon, elima au Congo ou nyama
chez les Dogons).

Quels sont les moyens utilisés pour à la fois sauvegarder les


secrets initiatiques et les faire circuler entre initiés, les garder vivants de
génération en génération ?

- Dans le démembrement, seul l’initié peut reconstituer le


puzzle. Les mythes dogons sont donnés de façon volontairement
fragmentaire. Seul le sage détient l’ensemble, la suite. Les futurs intiés
ne possèdent que des fragments, il n’en voit pas la globalité, et donc
pas le sens profond.

- Avec l’obstruction, le Négro-Africain va plus loin, sur les


conditions concrètes, celle du camp d’initiation ou de l’informateur.
Voici ce que dit Bernard Holas à propos des Sénoufo : « Afin de garder
à l’abri du profane les vérités dogmatiques de l’enseignement religieux,
un véritable système de ‘trompe-l’œil’ s’est ainsi institué, dans le sens
matériel (faux sentiers d’accès, double système d’endroits sacrés, etc.)
et figuratif (paroles trompeuses des initiés à l’adresse du profane,
‘hommes de paille’ représentés à l’étranger à la place du fonctionnaire
cultuel, etc. » (Les Sénoufo, 1957, p. 147).

- La langue secrète est le cas le plus intéressant. Il y a langage,


donc communication, mais aussi secret, donc restriction. G. Balandier a
relevé quelques techniques : « déformations généralisées, intercalation
d’éléments insolites, récupération de vocabulaires archaïques ou
étrangers, jeu sur le multiple sens des mots du langage courant,
créations nouvelles, emploi de périphrases stylistiques particulières,
tels sont les caractères généraux de ces langues spéciales »
(« Littératures de l’Afrique et des Amériques noires », apud Histoire
des littératures, 1955, t. 1, p. 154).

- La langue secrète n’empêche pas le langage secret, une parole


sans mots. Ce langage peut-être le tam-tam, le sifflet, l’idéogramme, le
symbole, le mouvement du masque ou du danseur… « D. Zahan
montre que si l’initié Nago, dans certaines danses, n’use que d’un bras
et d’une jambe, c’est pour souligner l’idée d’équilibre et de
complémentarité dans la latéralité » (Anne Stamm).

- Le symbolisme joue aussi un grand rôle. De nombreuses


activités ont une valeur signifiante qui échappe au premier venu, mais
que les Anciens connaissent. L’homme avec sa houe est principe
masculin, la femme avec sa calebasse est principe féminin. Chez les
Fali, au Cameroun, la disposition au sol des éléments d’un enclos
(chambre, grenier, grenier central, vestibule) figure un homme au sol, la
face tournée vers la terre (J.-P. Lebeuf, L’habitation des Fali, 1961).
Ainsi, l’habitation représente un microcosme, mais peu le savent. Le
panier dogon est carré en bas, rond en haut, ce qui figure le carré de
l’orientation et le cercle du ciel, mais aussi l’unité des contraires, carré
et cercle, bas et haut, terre et ciel.

II) QUESTIONS

Une tradition contient plusieurs composantes : réception,


transmission, enseignement, conformité. À cela s’ajoutent pour
l’ésotérisme : discipline de l'arcane, gnose, « chaîne d'or » d'initié à
initié, « genre de vie » contemplatif. Chacun de ces sous-concepts se
divise à son tour en problèmes.

- L'enseignement. Une tradition suppose un contenu. Quelle


doctrine et quelles pratiques sont présentées ? sous quelles
expressions, orale ou écrite, intellectuelle, émotionnelle, artistique,
technique ?
- La réception. Une tradition a une origine. D'où vient
l'enseignement des fondateurs ? par quelles voies d'élection ? qui en
bénéficie ? est-on reporté en des temps immémoriaux ?

- La transmission. Une tradition passe de maître à disciple, de


génération en génération. Quels individus ou quelles institutions
transmettent ? à qui ? par quelles voies de passation ?

- La conformité. Il n'y a pas tradition si l'on n'observe pas une


continuité, une fidélité. La régularité des rites et l'orthodoxie des
dogmes est-elle si pure qu'il y paraît ? quelle part revient à l'innovation
?

III) OUVERTURES

Le plus important est moins un savoir qu’une authentique


expérience de ce qui est important ou sacré. Les sociétés
traditionnelles, les organisations initiatiques, les textes occultes, en fin
de compte, privilégient le contact avec la beauté ou la vie, notions
abstraites qui méritent une approche authentique, propre. Le savoir,
extérieur, se transmet, tandis que la connaissance, intérieure, s’éprouve.
Une célèbre phrase d’Aristote le dit : "Les initiés n'ont pas à apprendre
(mathein) quelque chose, mais à éprouver (pathein) une émotion et à
atteindre un certain état, après en avoir été rendus aptes" (frg. 15 Ross,
apud Synésios, Dion, 10). L’émotion en question, qui donc est
intransmissible, porte sur l’énigme du monde, qui est indescriptible.

La notion de tradition est à déconstruire. Il est illusoire de croire


en une Tradition éternelle, intacte. Chaque génération la modifie,
l’adapte. Jack Goody a montré que le Bagré, cérémonie d’initiation des
LoDagaa du Ghana, n’a cessé d’évoluer, même s’il se présente comme
une tradition immuable (The Myth of the Bagre, 1972 ; Une récitation
du Bagré, 1981).
Qu’en est-il aujourd’hui ? Les ésotéristes contemporains
préfèrent utiliser le roman à clefs (d’où le succès du Da Vinci code) et
des pratiques puisées dans diverses religions puis bricolées pour usage
personnel (par exemple le feng shui, la « méditation transcendantale »).
Il y a, encore de nos jours, transmission secrète de connaissances
secrètes, mais par des moyens plus démocratiques, comme la bande
dessinée, les expériences médiumniques. Le New Age est un cas
révélateur.

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