La banqueroute
de Law
1 7 JUILLET 17 20
GALLIMARD
Il a été tiré de l'édition originale de cet ouvrage vingt-sept exem-
plaires sur velin d'Arches Arjomari-Prioux numérotés de l à 27.
L'HOMME ET LA DOCTRINE
I
Law of Lauriston, cette mention n'est pas reprise, on ne sait pourquoi, dans l'édi-
tion de 1824.
Ce prélat a surtout marqué sa trace dans la chronique pour avoir, alors qu'il
n'était encore que simple ministre, joué au football le jour du Seigneur, et encouru,
de ce chef, une réprimande de son synode. Cependant, selon Fairley, la réalité de ce
méfait n'est pas établie.
Le biographe J. P. Wood était un gentil sourd-muet qui s'était consacré à l'his-
toire du comté de Cramond. Les études qu'il a consacrées à John Law, d'abord
en 1791, puis dans une édition plus étoffée en 1824, font preuve d'une grande
conscience mais d'une absence totale d'esprit critique. En ce qui concerne l'arche-
vêque, il tenait son information de Walter Scott senior, père de l'illustre historien,
qui était lui-même l'agent d'affaires du maréchal de camp Law de Lauriston.
1. L'hypothèse d'une parenté entre les deux branches nous paraît peu compa-
tible avec le ton impersonnel employé par l'archevêque dans une lettre de service
concernant le ministre (John Fairley, John Lauriston Castle, the estate and its owner,
éd. Edinburgh and London, p. 63).
2. Charles I er avait passé avec les « Covenanters » (presbytériens) un pacte
appelé « engagement », qui avait été répudié par les extrémistes, mais auquel un
certain nombre de ministres, dont John Law de Neilston, se rallièrent. A la suite
du triomphe de Cromwell et de l'exécution de Charles I e r , les partisans de l'intran-
sigeance triomphèrent et firent priver, par une loi, du droit d'occuper une charge
quelconque, qu'elle fût laïque ou ecclésiastique, leurs adversaires. « C'est ainsi que
le révérend John Law se vit retirer ses bénéfices pour cause d'incapacité » (M. Hyde,
John Law, un honnête aventurier, p. 15).
6 L'homme et la doctrine
1. Par la suite John Law fut en rapports amicaux avec différents membres de
cette famille, notamment Lord Islay, mais on ne trouve nulle part la moindre allu-
sion à un rapport de parenté.
2. Selon M. Hyde, les enfants des orfèvres étaient logés dans des chambres en
sous-sol sous les boutiques et l'insalubrité de l'habitat était une cause fréquente de
mortalité infantile : « La pièce réservée aux enfants dans la maison était une sorte
de cave située en sous-sol, sous les magasins principaux et où la clarté du jour par-
venait seulement par un soupirail donnant sur la rue. Les jeunes enfants des autres
familles d'orfèvres de l'enclos vivaient dans les mêmes conditions d'insalubrité »
(M. Hyde, op. cit., p. 17). Cet auteur, selon son habitude, n'indique pas l'origine
de ses informations.
3. Chambers, Traditions of Edinburgh, cité par Fairley, op. cit., p. 91.
4. Fairley, op. cit., p. 82.
L'ennemi de l'or est né dans la maison de l'orfèvre 7
1. Cf. le texte intégral dans J. Fairley, op. cit., p. 99-111. « Beaucoup de noms
mentionnés dans le testament figurent dans le Journal d'Erskine of Carnock's »
(p. 99, n. 3).
2. « Une pièce secrète construite de manière que l'on pût entendre de là tout
ce qui se passait dans la salle située au-dessus » (M. Hyde, op. cit., p. 19).
3. Enregistrée le 10 août (Fairley, op. cit., p. 98).
4. 1683. Le mois est laissé en blanc dans l'enregistrement du testament.
8 L'homme et la doctrine
puie a été connue depuis qu'on a prêté de l'argent sur des terres et
depuis qu'un titre héréditaire a été égal à une certaine quantité de
terres. »
La fonction anoblissante de la terre marque l'association de la
propriété avec le pouvoir politique. Ainsi s'articuleront les diffé-
rentes pièces de la construction. Law a appris que le métal pouvait
être avantageusement remplacé par le papier en tant que signe,
il suffit maintenant de le remplacer par la terre en tant que support.
Cette réflexion le conduira logiquement à l'idée d'une monnaie de
papier émise sur une garantie foncière.
Faut-il en déduire que Law était prédestiné à être le théoricien
monétaire qu'il fut, et dès lors par la suite, contrôleur général des
Finances en France?
Bien entendu nous n'irons pas jusque-là.
Les premières circonstances remarquables que nous avons vu
apparaître dans la vie de John Law ne sont pas l'expression d'une
fatalité, mais bien d'une disponibilité qui s'affirme, d'une conve-
nance qui se précise. « L'époque exige son serviteur. » Les pre-
miers signaux se sont allumés, d'autres vont suivre, qui seront
captés, transmis, et enregistrés un jour à la rubrique des offres et
demandes d'emplois des « serviteurs de l'époque », ces person-
nages que l'on appelle « historiques ».
VIII
1. Steven, History of the High School, cité par Fairley, op. cit., p. 116.
2. J. P. Wood ne connaît cependant le manuscrit que de seconde main. Citation
du manuscrit de Woodrow par Wood, op. cit., p. 206-207.
3. La restauration de Charles II s'était traduite par des excès répressifs qui pro-
voquèrent, à leur tour, une révolution. « Le jeune Law devait être endurci après
avoir assisté à tant de pendaisons, de flagellations, et avoir vu tant d'oreilles clouées
au pilori » (M. Hyde, op. cit., p. 17).
4. M. Hyde qualifie Jame Hamilton de directeur de collège, mais, selon le manus-
Le <r beau Law » de Saint-Gilles-aux-Champs 11
1. « On sait aujourd'hui que parier est un jeu qui a ses règles particulières. Il
y a fort longtemps que ce genre d'industrie est introduit en Angleterre et l'on assure
que quelques Français ont fait de grands progrès » (Sénovert, Discours préli-
minaire).
2. Du Hautchamp raconte que Law aurait même fait l'objet d'une mesure d'expul-
sion pour avoir introduit le jeu et pour y connaître une chance abusive. Il existe
bien une pièce qui mentionne l'incarcération d'un certain Las, mais il n'est pas
certain qu'il s'agisse de notre héros et le motif n'est pas connu, voir ci-après
chap. vi.
3. Daridan, John Law, père de l'inflation, p. 80.
On a même tenté d'expliquer ce déclin de la chance par l'amoindrissement de ses
facultés consécutif à ses revers. Mais ses écrits témoignent jusqu'au bout de la viva-
cité de son esprit.
Le <r beau Law » de Saint-Gilles-aux-Champs 15
prit comme compagne une femme affligée d'une tare physique, lui
fit des enfants, et lui demeura toujours très attaché. Quand on
cherche quelles pouvaient être les favorites de ce Don Juan, Wood
et Hyde ne trouvent rien de mieux à nous proposer que... la prin-
cesse Palatine, mère du Régent, alors âgée de soixante et onze ans,
mais gardant, nous dit-on, un tempérament de jeune femme. Cet
absurde ragot trouve sa source dans les pseudo-mémoires de
Richelieu, publiés par Soulavie à la fin du xvme siècle 1 .
On a mentionné également le nom de M m e de Tencin, avec plus
de vraisemblance, étant donné l'âge de l'héroïne et sa notoire
accessibilité. Cependant, cette circonstance même explique que
l'hypothèse ait pu être faite sans qu'il fût besoin d'un indice précis
pour l'étayer. En fait les références dont nous disposons se
limitent à une remarque cursive de Barbier, et à un pamphlet
contre la famille de Tencin écrit par un auteur qui, visiblement, ne
connaissait guère Law, qu'il croit marié en Angleterre 2 .
Si l'on considère que les écrits de ce genre abondent en détails
grivois ou en récits scandaleux sur un grand nombre de personnes
moins célèbres, le fait, que Law y soit rarement cité démontre
que sa vie privée ne prêtait guère à la rumeur, ni même à la pure
malveillance. En fait, nous n'avons trouvé qu'un seul indice figurant
d'ailleurs dans une correspondance honorable (la marquise de
Balleroy) et qui semble attribuer à Law, sinon une liaison, du moins
une relation passagère, avec M m e de Nesle, qui ne passait point
pour farouche. Rien de bien concluant d'ailleurs ni même de précis,
car tout se ramène au paiement d'une facture et il existe de ce fait
ténu deux versions dont une seule est dépourvue d'équivoque 3 .
homme dans son cabinet, qui était en état de lui en prêter : c'était M. Lass, qui.
ayant tout entendu, se montra et dit qu'il ne fallait point faire de bruit et qu'il allait
payer, ce qui finit toute discussion. »
Sans signature, 24 juillet 1718 (t. I, p. 333) : « On fait un conte que je meurs de
peur qui ne soit pas vrai; le voici : Galpin se transporta, il y a quelques jours, chez
M. le duc pour lui demander le paiement de 72 000 livres d'étoffes dont il avait
répondu; après bien du verbiage qui donnerait de la grâce au conte, mais qui serait
trop long de rapporter ici, il le renvoya à Lass. Galpin le pria d'écrire et de signer
le renvoi, ce qu'il fit. Galpin alla trouver Lass; Lass refusa et porta ses plaintes au
Régent, qui, après avoir dit qu'il ne se brouillerait pas avec M. le duc, conseilla de
payer sans se faire tympaniser, que le public le haïssait déjà assez, que, puisqu'il
voulait prendre la maîtresse d'un prince du sang, il devait payer ses dettes de bonne
grâce, ce qu'on dit qu'il a fait. »
VIII
Crime et châtiment
C.-J. Nordmann 1 .
Gray n'a connu Law que plus tard et il est possible qu'il ait été
influencé par la campagne du clan Wilson. Cette manière crapu-
leuse d'agir ne concorde guère avec ce que nous savons de Law, ni
même avec son attitude à l'époque des faits : Warristoun souligne
qu'il n'avait pas été pris sur le fait, et qu'il fit preuve d'« ingé-
nuité » en reconnaissant qu'il était l'auteur du coup meurtrier.
D'autre part, on ne voit pas pourquoi Wilson se serait prêté de
bonne grâce à une mise en scène destinée à le rayer du nombre des
vivants. Comment Law l'aurait-il obligé à écrire deux lettres?
Warristoun a trouvé un banquier qui attestait avoir remis à Law
une somme de 400 livres, mais qui n'apportait pas son livre de
comptes. Même si le banquier a menti pour rendre service à Law
dans la circonstance, celui-ci avait tout de même des ressources
par sa famille et, au surplus, rien ne démontre qu'un embarras de
trésorerie, fût-il cruel, eût pu le porter à tant de noirceur.
Il s'en fallut de peu que tout se terminât sans casse, puisque le
guet arriva presque à l'instant sur les lieux du drame. On peut sup-
poser que Wilson, qui avait la réputation d'un lâche, et qui n'avait
pas osé se dérober à un cartel, avait trouvé la solution élégante
qui consistait à prévenir discrètement les gardiens de l'ordre; on
connaît d'autres exemples d'un tel raffinement. Rien n'indique que
Law lui-même ait eu la volonté de tuer. Le fait qu'il n'y ait eu entre
les adversaires qu'une seule passe d'armes, la nature même de la
blessure de la victime au ventre, laissent penser que, comme devait
le soutenir Law, Wilson s'était, dans sa nervosité, embroché sur la
pointe du sabre de l'adversaire.
A partir de données aussi ténues, et qui gardent un fond d'incer-
titude, il est hasardeux de tenter une interprétation qui nous livre-
rait une nouvelle clef sur le personnage de Law et par voie de
conséquences sur son œuvre.
On doit cependant remarquer que ce jeune homme, doté de capa-
cités intellectuelles supérieures, bien qu'il n'en eût point encore
administré la preuve, et voué aux techniques du calcul, a pris un
risque hors de proportion avec les avantages qui en pouvaient
faire la contrepartie, fussent-ils d'honneur, fussent-ils même de
gain. Le risque de laisser sa vie dans le combat était sans doute
faible d'après ce qu'on nous dit de Wilson, mais celui du scandale,
de la prison, de la mort, de la fuite?
Nous verrons que ce spécialiste des probabilités, ce précurseur
de l'analyse « systémique », éprouve souvent de la peine à saisir
l'ensemble d'une situation; son esprit ne se déplace aisément que
sur des rails. Il tend à négliger tout ce qui se trouve hors du champ
de vision qu'il a dessiné, tout ce qui pourrait contrarier une impul-
sion qui projette devant elle sa certitude.
Crime et châtiment 23
1. Les biographes qui, même sans romancer l'histoire, croient habile d'ajoutei
des détails glanés ici et là, prennent des risques. Ainsi M. Hyde relate comment
Law aurait rédigé un plan propre à faire renaître l'industrie française dans la vallée
du Rhône, qu'il l'aurait remis à l'ambassadeur de France à Turin, en vue de le faire
transmettre à Chamillart, contrôleur général des Finances, qui lui aurait même
fait faire réponse. Quelle est la provenance de cette information? Bien que Hyde ne
l'indique pas, il s'agit d'un long document intitulé « Rétablissement du commerce »,
or, pour des raisons que nous mentionnons plus loin, l'hypothèse de l'authenticité
de ce texte doit être rejetée. P. Harsin a d'ailleurs retrouvé le véritable auteui
du projet sur les vers à soie qui est Pottier de La Hestroye.
2. On ne sait de quel côté.
Un itinéraire dans la brume 27
si l'on peut dire, éclairant, et parmi les textes déposés sur le bureau
du Parlement apparaît, le 10 juillet, sa proposition intitulée Pro-
posai for supplying the nation with money by a paper crédit1. Ce
document lui-même n'est autre que l'ouvrage publié en 1705 par
Law chez son beau-frère Anderson, et que nous avons déjà men-
tionné, à ceci près que le titre de la publication est — cela se
conçoit — un peu différent 2 . L'ensemble de l'étude se présente bien
en effet comme un projet soumis au Parlement, et les dates
concordent. Nous ne pouvons, sans doute, écarter totalement l'hy-
pothèse selon laquelle la présentation aurait été faite sous une
forme un peu abrégée : néanmoins, si un second texte avait été
établi, nous en trouverions certainement quelque trace, soit dans
des archives, soit dans d'autres publications.
En revanche, il est exclu que Law ait modifié son premier
mémoire et l'ait remplacé par quelque chose de tout à fait diffé-
rent. Cette thèse extravagante a cependant été avancée par Saxe
Bannister — le même Bannister qui s'était justement montré fort
perspicace dans l'attribution à Patterson des Proposais de 1704.
Et sur la foi de cette référence, elle a été reprise par quelques
auteurs, dont Montgomery Hyde. Il nous a donc paru nécessaire
de liquider cette difficulté imprévue, et nous croyons être parvenu à
démontrer que, cette fois, 1 érudit apologiste de Patterson avait
été abandonné par sa bonne étoile.
Le texte publié par Saxe Bannister tient en quelques pages
imprimées et porte le titre : « Deux ouvertures humblement sou-
mises à sa grâce John, duc d'Argyll 3 . » Il propose, pour l'essen-
tiel, la création d'une sorte de monnaie, fondée sur le troc et por-
tant intérêt, deux conceptions qui sont l'une et l'autre antinomiques
à celles de Law. C'est dans la dernière phrase du texte que l'on
voit apparaître le nom de « M. Law », dans une tournure dont la
rédaction déconcerte. Il n'est pas clairement affirmé que ce Law
soit l'auteur du texte, sur lequel il ne se prononce pas d'une façon
catégorique, et son invocation quelque peu fataliste au Seigneur
1. Actes du Parlement, vol. XI, appendice 71. Le titre indiqué dans ce premier
document est abrégé : « Proposai for supplying the Nation with money read and
ordered to ly ». Le titre complet figure dans les notes.
2. Il est à remarquer, contrairement à ce qu'on note au sujet de Chamberlen, que le
Parlement n'a pas ordonné l'impression du texte, ce qui prouve qu'il était déjà
imprimé.
3. Il comporte en effet deux parties distinctes. Saxe Bannister a trouvé le manus-
crit à la Bibliothèque des avocats à Edimbourg. Celle-ci l'aurait reçu de Lord Glem-
bervie, qui avait acheté ce document dans une vente. Cependant il appartenait à
l'origine à la collection de Charles Montagu, Lord Halifax, qui fut chancelier de
l'Échiquier (cf. Saxe Bannister, op. cit., p. X L V I ) .
34 L'homme et la doctrine
1. Une autre exception doit sans doute être constatée avec les Proposais de
W. Patterson. Mais justement le cas de Patterson est, comme celui de Law, hybride.
C'est pourquoi on a pu les confondre.
2. Au sens anglo-saxon de ce terme.
36 L'homme et la doctrine
La monnaie de papier
sente 40 shillings : c'est autant d'ajouté à la valeur du pays. Si l'on suit l'exemple
qu'il donne, on voit que sur 40 s que représente la production, il considère que 15 s
correspondent à l'entretien de l'ouvrier qui gagne en plus 10 s (il se montre ici
plus moderne que beaucoup d'économistes postérieurs qui limitent la rémunération
de l'ouvrier au coût de son entretien). La plus-value, au sens marxiste du terme,
est donc chiffrée à 25 s dont 10 restent acquis à l'ouvrier et dont 15 vont à l'entre-
preneur (spoliation seulement partielle). La pensée de l'auteur est plus confuse
quant à ce que gagne exactement « la nation ». II semble d'abord que ce soit seule-
ment la part de l'entrepreneur (15 s). Puis il présente un autre calcul et attribue à
la nation tout ce qui n'est pas consommé par l'ouvrier mais il complique son rai-
sonnement en supposant que l'ouvrier, mieux payé, consommera davantage. Il
évalue à tout hasard cette consommation à un chiffre intermédiaire (20) entre la
subsistance (15) et le salaire (25). Il reste donc 20 shillings, comprenant le reste
du salaire de l'ouvrier (épargné? investi? on ne sait) et le profit de l'entrepreneur;
l'ensemble appartient à la nation : probablement parce que cela représente la partie
exportable puisqu'elle n'est pas consommée.
1. John Law se fait une idée assez simpliste des catégories sociales. Il distingue
les propriétaires fonciers d'une part, d'autre part les « catégories inférieures » qui
« dépendent » des propriétaires fonciers. Quand les propriétaires fonciers vivent
mieux, les classes inférieures sont moins dépendantes (Œuvres complètes, op. cit.,
t. I, p. 15).
2. Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 25.
Les projeteurs d'Édimbourg 39
La monnaie terrienne
les vertus symétriques des vices dont le métal est affligé. La terre
est disponible en quantités pratiquement illimitées. Elle possède
une valeur qui lui est propre et qui échappe aux décisions arbi-
traires de l'Etat. Elle produit un revenu. Pour ces raisons, elle ne
peut, à la différence de l'argent, se déprécier, et au contraire on
est assuré que son prix augmentera régulièrement.
C'est ici que réside l'extrême point de faiblesse de la théorie :
nous y reviendrons.
Comment, cependant, fera-t-on de la terre une monnaie? Quant
aux modalités pratiques, le projet reste flou, et Law confesse spon-
tanément qu'il l'a en quelque sorte bâclé. C'est le propriétaire fon-
cier qui déclenche le mécanisme de l'émission; il s'adresse à l'État
pour obtenir un certain montant de billets. Il fournit en contre-
partie une hypothèque sur son bien, ou même il en cède définiti-
vement la propriété. L'option n'est pas tranchée, et d'ailleurs les
deux formules peuvent coexister. De toute façon, c'est une commis-
sion parlementaire qui mettra tout cela au point.
Les premières dispositions prévues par Law témoignent de pru-
dence et de modestie. Les billets émis représenteront 20 fois le
revenu des biens-fonds qui leur est affecté, ce qui correspond à
une rentabilité honorable de 5 %. Il prévoyait d'autre part une
sorte de rationnement (plus apparent qu'effectif) pour les émis-
sions La commission ne pourrait monnayer plus de 80 000 livres
à la fois et elle ne ferait pas de nouveaux billets tant qu'elle aurait
plus de 250 000 livres « au bureau ». Cependant au bout d'un an
et demi, ces limites seraient abolies et la commission aurait les
coudées franches.
Quant au principe même d'une monnaie supplémentaire, Law
entrait en compétition avec plusieurs autres projeteurs, et en ce
qui concerne plus particulièrement la monnaie terrienne, il trou-
vait à la fois un prédécesseur et un rival en la personne du docteur
Hugh Chamberlen. Chamberlen forme avec Patterson et Law lui-
1. Cette évaluation est sans doute inspirée de W. Petty, qui, cependant, retenait
le coefficient 21. Petty, d'autre part, avait présenté, fort curieusement, une estima-
tion de la valeur d'un homme d'après expressément le même coefficient : 20 fois son
salaire annuel (et celle-ci est mentionnée par Law). C'est en somme par anticipation
sur Hegel et sur Marx, la notion de la force de travail. Le raisonnement de Petty,
repris par Law de façon elliptique, établit une équivalence fort intéressante entre la
terre et le travail qui sont associés, voire identifiés, par les économistes de cette
époque aux notions de valeur et de richesse; la rente de la terre en argent est égale à
l'argent qu'un homme travaillant dans une mine d'argent peut économiser dans le
même laps de temps en plus de ses dépenses, s'il s'est consacré entièrement à cette
production (W. Petty, Œuvres économiques, p. 41. Pierre Dockers, L'Espace dans
la pensée économique, p. 141).
Les projeteurs d'Édimbourg 41
leur emploi des pauvres, 14 novembre 1703. Proposition de Land Crédit (en associa-
tion avec James Armour), 23 août 1704. (Actes du Parlement d'Écosse, vol. X,
p. 213, vol. XI, p. 50 et p. 184.)
1. « Animadversion upon a small inconstancial différence », tract imprimé sur
deux pages. British Muséum.
2. Il s'agit bien entendu de la monnaie de papier, la monnaie signe, car la mon-
naie gage, au contraire, terre ou actions, a pour Law cette vertu caractéristique de
comporter un revenu qui en assure la valeur propre. Et là précisément réside son
erreur.
3. Nous avons déjà émis quelque réserve sur cette source (cf. supra, p. 16).
4. Memoirs concerning the affair of Scotland from Queen St Anne accession to
the throne for the commencement of the Union, Londres, 1714 (G. Lockart de
Cornwarth) :
« Law avait trouvé le moyen de s'introduire rapidement dans la faveur du duc
d'Argyll... Il présenta un schéma très plausible. Toute la cour et le Squadrone à
l'exception de quelques-uns qui étaient des " moneyed men " l'épousèrent parce
qu'il était si solide que, dans le cours des temps, il aurait placé tous les fonds du
royaume dans la dépendance du Gouvernement. » Mais la chambre rejeta la motion.
5. C'est Lord Islay qui écrivit en termes superlaudatifs la préface de la seconde
édition de Money and Trade, parue à Londres au -début de 1720.
Les projeteurs d'Édimbourg 43
1. « On pourrait objecter que la demande pour l'argent est à présent plus grande
que la quantité. On répond que, bien que la demande soit plus grande que la quantité,
elle n'a cependant pas augmenté dans la même proportion que la quantité » (Œuvres
complètes, op. cit., p. 97 et sq.).
2. On se demande dès lors pourquoi il est nécessaire de régler la question par
des mesures particulières à l'Écosse. Il insiste lui-même sur le fait qu'en Hollande
l'abondance de l'argent assure un faible taux d'intérêt — pourtant ce n'est pas
un phénomène européen.
Les projeteurs d'Édimbourg 45
La traversée du désert
Il semble que John Law ait quitté l'Écosse (vers 1706?) quelque
temps après l'échec de son projet, et aussi, dit-on, après un nou-
veau refus opposé à une seconde demande de grâce Il ne pouvait
d'ailleurs demeurer dans ce pays à partir du moment où l'union
avec l'Angleterre serait devenue effective et sans doute prit-il les
devants.
Pendant la petite décennie qui s'écoule entre son retour sur le
continent et la mort de Louis XIV, il résida, selon les périodes, dans
divers pays-européens, à Bruxelles, à Paris, à Gênes, à Turin, à
Amsterdam. Selon une certaine version, il se serait rendu à Vienne,
afin de proposer un plan à l'empereur, mais ce fait n'est pas éta-
bli 2 . Il envisagea en 1712 de s'installer aux Pays-Bas où il se fit
ouvrir un compte et où il acquit un immeuble d'habitation. Cepen-
dant il décida, en fin de compte, de fixer son domicile en France
où il acheta également une maison. Ses pérégrinations étaient
déterminées par les épisodes de sa carrière de projeteur.
En France en 1707, parce qu'il adresse des mémoires au gouver-
nement. Au Piémont en 1711-1712, parce qu'il établit un projet
pour Victor-Emmanuel. Aux Pays-Bas, il aurait, selon certaines
sources, tenté de mettre sur pied une loterie, ce qui nous paraît
douteux, car il a déconseillé fortement cet expédient en Savoie et
1. Saxe Bannister, op. cit., 3, IX. Selon cet auteur, qui se réfère aux archives du
State Papers Office, Law aurait cependant obtenu le désistement de l'appel de la par-
tie civile et il aurait proposé à la Reine de la servir en Flandre à ses propres frais.
2. Ce renseignement est donné par Marmont Du Hautchamp, Histoire du Sys-
tème des Finances, sous la minorité de Louis XV, pendant les années 1719-1720
(La Haye, 1739, t. I, p. 71) et accueilli avec réserve par les autres biographes
(cf. Hyde. op. cit., p. 78). Le même auteur indique que Law se serait rendu secrète-
ment en Angleterre (voir ci-après).
48 L'homme et la doctrine
Dans cette période qui paraît assez plate pour ses biographes,
nous voyons s'élever comme des menhirs au-dessus d'une lande
déserte quelques monuments écrits de sa pensée raisonnante et
planificatrice.
Ces textes nous intéressent, car d'abord, nous y suivons le chemi-
nement intellectuel de l'auteur. Nous voyons sa puissance créatrice
osciller entre les suggestions pratiques, les vues réformistes, l'ima-
gination révolutionnaire. Également entre le bon sens et le contre-
sens, le faux sens et l'insensé. Enfin nous pouvons y déchiffrer la
programmation de ce qui sera son expérience. Il n'y a rien dans ce
qu'il fera qui ne figure dans ce qu'il a préalablement écrit. Il est
comme un ordinateur qui ne peut pas sortir de son programme.
Nous pouvons y lire les raisons pour lesquelles les entreprises de
Law exerçaient une telle force d'entraînement et également nous y
discernons la fatalité de son échec. Une fatalité psychologique.
L'impossibilité pour l'auteur de prendre une conscience exacte des
lignes qui ne peuvent pas être franchies. Il y a chez Law beaucoup
de raisonnable, même dans la part de novation; mais il est rare que
l'on ne découvre pas, dans l'une quelconque de ses œuvres, une
excursion du « raisonné » au-delà du « raisonnable ».
Le premier texte disponible après l'échec écossais est un
mémoire de 1707 adressé à une Altesse royale. Ce destinataire
n'est point le duc de Chartres, futur Régent, bien que Forbonnais
ait donné cette indication 1 , mais soit le duc de Bourgogne, soit le
prince de Conti et probablement le premier par l'intermédiaire du
second 2 .
C'est un ouvrage purement pédagogique, qui commence par une
affirmation péremptoire, dont on ne peut s'empêcher de sourire :
« Quoique la monnaie soit une affaire très importante, pourtant
elle n'est pas entendue. Ceux qui ont écrit sur ce sujet, au lieu de
l'éclaircir, l'ont rendu plus obscur. Les principes qu'ils établissent
et sur lequel les États les plus considérables de l'Europe se gou-
vernent, sont faux. »
Moi seul et c'est assez!
L'objet de l'étude, en dehors de son propos didactique, est de
déconseiller à l'État toutes les manipulations monétaires (ainsi que
des mesures telles que la défense des transports d'espèces). Law
maintient fermement sa thèse sur la monnaie aussi peu variable
que possible.
Sans doute ce texte est-il essentiellement destiné à préparer le
1. Lors de la publication par ses soins de ce texte présenté sans date dans ses
Recherches et Considérations publiées en 1767, t. II, p. 542 et sq.
2. Œuvres complètes, op. cit., Introduction, p. xxiv.
50 L'homme et la doctrine
1. Il reprend cette idée en décembre 1720 alors qu'il est aux abois.
2. Il est à remarquer que l'auteur développe ici un projet quelque peu analogue
à celui d'Olivier du Mont — que nous avons hésité à lui attribuer. Du Mont pré-
voyait en effet, d'une part, que le Roi pourrait, grâce à son système, payer ses
dettes et, d'autre part, que le Roi deviendrait, par ce moyen, maître de tout l'ar-
gent du royaume (cf. Annexe II, infra, p. 639 et sq.).
3. Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 204-205.
4. Cette précision ne figure pas dans ce texte; nous rappelons qu'elle fait partie
de l'explication globale précédemment donnée.
52 L'homme et la doctrine
vendeurs. Il faut donc que les hommes se mettent à l'égard des actions, dans le même
esprit. » Oui mais... Il semble qu'ils aient de la peine à s'y mettre d'eux-mêmes.
1. Le texte de P. Harsin porte 2 % mais celui de Gennaro, 0,5 %. Ce texte n'est
que la seconde mouture d'un premier projet, plus flou et que les conseillers du Duc
avaient trouvé imprudent!
Il conseillait de créer une banque, ou une sorte de bureau où des fonctionnaires
(officiers du Duc) recevraient les rentrées du Trésor et remettraient en échange des
billets payables à vue... Cependant, s'ils ne l'étaient pas, ils porteraient intérêt
à 8 %. D'autre part on pourrait ordonner que tous les paiements soient faits en
billets, cette disposition étant limitée, pour un premier temps, à la capitale et aux
environs.
Trois experts désignés par le Duc avaient étudié ce premier document et avaient
été déçus. Le but qu'ils entendaient voir poursuivre par la création d'une banque
était de faire fructifier des fonds par les opérations classiques de dépôts,
d'escomptes, de compte courant, etc., et nullement de parvenir à l'augmentation de
la masse monétaire en mettant en circulation une richesse fictive (cf. Mario di Gen-
naro, Giovanni Law e l'opéra sua, Milan, 1931).
2. Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 218-221.
3. Du Hautchamp, op. cit., t. I, p. 71.
54 L'homme et la doctrine
matie, il exposa au Duc que s'il devait rester en France, c'est parce
qu'il avait investi son patrimoine en fonds publics dans ce pays et
qu'il se voyait en somme dans l'obligation de sauver le royaume
pour éviter la perte de sa fortune. Sans quoi, rien n'aurait pu le
détourner de travailler au seul service du Duc!
Victor-Amédée eut encore l'occasion de consulter John Law sur
la création d'une loterie, et celui-ci lui déconseilla formellement cet
expédient. « Ce genre de projets ne doit pas être permis dans les
Etats bien ordonnés. » Il en donne des raisons dont la. lecture,
quand on connaît les épisodes du système, donne l'impression de
1 ironie. La loterie peut inspirer au petit peuple le désir de sortir
de sa condition et de faire fortune. Quant aux bourgeois il vaut
mieux qu'ils emploient leurs fonds à soutenir le commerce et à
payer leurs créanciers. De tels expédients n'ont pas leur place
« dans les États bien gouvernés ».
Cet avis est écrit... le 7 décembre 1715. Law est bien bon de faire
bénéficier de ses conseils le roi de Sicile. Il est désormais conseiller
du Régent et il vient d'engager la grande parabole de sa carrière.
C'est à la date du 24 décembre 1713 que Law avait demandé une
audience au Contrôleur général Desmarets pour lui parler « d'une
affaire, qui, j'espère, lui sera agréable, étant pour le service du Roi
et pour l'utilité des sujets ». D'après le détail de la correspondance,
il semble qu'il eut quelque mal à être reçu, mais enfin le contact fut
pris et il présenta au Contrôleur général un mémoire relatif à
l'amortissement de la dette. Après quoi il se remit au travail et
établit un véritable projet de Banque 1 .
Tout en travaillant avec Desmarets, John Law entretenait des
relations avec diverses personnalités. Nous savons notamment que
l'ambassadeur d'Angleterre, Lord Stair, arrivant de nuit à Paris,
le 23 janvier 1715, pour prendre possession de son poste, notait
qu'il avait rencontré dans cette première soirée une seule personne,
qui était John Law 2 .
Il semble qu'il était également en contact, soit avec le duc
d'Orléans, soit en tout cas avec des personnes de son entourage.
Selon Saint-Simon, le duc d'Orléans l'avait recommandé à Desma-
BANQUE ET LA GUERRE
VIII
par Saint-Simon qui note simplement pour le samedi 24 août : « Il soupa debout
en robe de chambre en présence des courtisans pour la dernière fois. » Les deux
récits concordent quant à l'aggravation survenue le 25.
1. Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 1081.
2. Et encore : « ... Un grand prince chrétien qui a poussé le pouvoir indépendant
au-delà de toutes ses bornes, est mort d'une maladie gangrénée, peu regretté de
ses sujets et haï de tous les étrangers. »
On ne peut s'empêcher d'évoquer la ressemblance de cette situation avec celle qui
se présentera à la fin du règne, lui-même fort long (cinquante-neuf ans), de
Louis XV. A ceci près que, dans ce cas, on ne parlera pas seulement du peu de tris-
tesse mais d'une véritable joie. « La satisfaction se lisait sur tous les visages », écrit
le baron de Besenval. Faut-il en déduire que lorsqu'une même personne gouverne
pendant très longtemps, sa fin est toujours attendue avec impatience et saluée avec
soulagement? Il peut y avoir quelque chose d'exact dans cette vue, car le caractère
oppressif que comporte nécessairement le pouvoir (surtout s'il est absolu) s'accroît
de l'oppression supplémentaire qu'engendrent l'absence de changement, la mono-
tonie de la durée et l'impression de huis clos qui peut résulter de la permanence du
nom et de l'image.
Cela dit, il existait dans les deux cas des raisons de désabusement et de
mécontentement, mais fort dissemblables. Le règne de Louis XIV s'était terminé dans
une bigoterie étouffante, mais non sans respectabilité. Au contraire, celui de Louis XV
avait suscité, par l'immoralité et le cynisme, le mépris et le dégoût. Par contre, si
La passation des pouvoirs 63
dans l'un et l'autre cas les finances étaient en piteux état, on n'observe rien en 1774
qui rappelle le marasme économique de 1715. La période intermédiaire a vu
reprendre, notamment à la suite de l'expérience de Law, le chemin de l'expansion,
bien que ce soit au détriment du pouvoir d'achat réel de certains travailleurs (voir
Labrousse). Les sujets de mécontentement, cette fois, sont autres et tiennent juste-
ment à un mouvement progressif de l'économie, entraînant des distorsions ten-
dancielles.
1. F. Braudel, Labrousse, P. Goubert, Histoire économique et sociale, t. II, p. 363
et sq.
2. Voir ci-après note annexe, p. 66.
64 La banque et la guerre
Louis XIV a fait son œuvre et on peut même penser que c'est
depuis longtemps puisque l'agrandissement territorial 1 , qui est
sans doute la meilleure justification d'un règne si dispendieux, est
achevé depuis 1681. Si l'Histoire a ses ruses, elle peut aussi avoir
sa courtoisie. Il est bien naturel qu'elle en ait usé envers un souve-
rain qui a porté cette vertu à sa sublimité astrale. 1681-1715,
c'est très exactement, comme nous le savons aujourd'hui, la période
pendant laquelle s'effectua, d'ailleurs en liaison avec une reprise
sur le trafic des métaux précieux 2 , une grande mutation expansion-
niste de l'économie mondiale 3 dont d'autres pays surent s'assurer
le bénéfice 4 .
Il est normal pour toutes les raisons que l'on connaît que la
France ne suive le mouvement qu'avec un certain décalage par
rapport à l'Angleterre et à la Hollande. Mais la limite extrême est
atteinte, et même sans doute dépassée. Au-delà de ce point, il fau-
drait admettre que la survivance — dans la personnalisation de son
agent — d'une politique dont le sens a été épuisé, put indéfiniment
contrarier l'émergence d'une politique nouvelle, répondant aux
nouveaux objectifs que déterminent les situations concrètes et les
forces psychologiques profondes.
L'acteur individuel n'a que trop longtemps contrarié l'acteur
collectif.
Cet acteur collectif n'est autre que les « dix-sept ou dix-huit
millions de Français aux champs ou aux ateliers, travaillant paisi-
blement, lentement, dans des conditions encore précaires mais
avec un courage, une habileté, une finesse, une persévérance
jamais démentis. C'est en eux que reposent, en fin de compte, l'ave-
nir et la force de cette nation qui commence à se chercher, à se
trouver 5 ».
La patience du peuple s'épuise en même temps que la courtoisie
de l'Histoire se lasse. Si vêtu d'or qu'il soit, il est temps de dire à
ce Roi de soixante-dix-sept ans : « Vous êtes rentré chez vous et
vous avez reçu votre salaire 6 . »
Tel était l'objet d'un édit que Louis XIV avait pris le soin de faire
enregistrer par le Parlement, réuni à cet effet avec la Cour, à
Marly, le 2 août 1714. Par le même acte, le duc du Maine et le
comte de Toulouse recevaient le rang de princes du sang.
Le même jour, et comme dans la foulée, Louis XIV rédigeait son
testament. Il prit, pour sa conservation, des précautions exception-
nelles. Il le remit en mains propres au Premier président de
Mesmes et au procureur général d'Aguesseau. Les magistrats, de
retour à Paris, firent creuser un trou dans la muraille d'une tour
du Palais et y déposèrent le document. On ferma l'ouverture par
une grille et une porte, dont chacune comportait trois serrures
différentes. Les trois clefs furent gardées respectivement par le
Premier président, le Procureur général et le greffier. Ainsi le tes-
tament ne risquait-il point de s'égarer : c'est là tout ce que l'on
pouvait garantir.
L'objet de ces dispositions testamentaires était triple. D'une
part, Louis XIV entendait limiter les pouvoirs qui appartiendraient
au duc d'Orléans, qui était le parent majeur le plus proche. Le tes-
tament ne lui accorde pas même le titre de Régent et en fait seule-
ment le Président d'un Conseil de Régence. La composition de
ce Conseil était fixée d'avance. Le duc n'y disposerait que d'une
voix préférentielle en cas de partage, toutes les décisions devant
être prises à la « pluralité des suffrages » (majorité).
En second lieu, Louis XIV entendait conférer des pouvoirs aux
princes légitimés, qui entraient tous les deux au Conseil de
Régence : ils détenaient ainsi à eux deux plus d'autorité que le
président!
Enfin, et en troisième lieu, le Roi prenait des mesures relatives à
la personne même du jeune Roi. Celui-ci se trouvait placé sous la
« tutelle et la garde » du Conseil de Régence, mais — « sous l'auto-
rité de ce Conseil » — le duc du Maine était investi d'une fonction
spéciale comme chargé de veiller à « la santé, conservation et édu-
cation » du mineur. Le duc de Villeroy, à son tour, était nommé
gouverneur du Roi sous l'autorité du duc du Maine. La distinction
ainsi établie entre l'administration du royaume et la garde du
jeune Roi n'a rien d'une innovation bizarre : elle se recommande
de précédents, eux-mêmes assez bien fondés en raison. On estimait
qu'il pouvait être dangereux de confier la surveillance du Roi à
celui qui étant son plus proche parent avait vocation à lui succé-
der :
« Ne doit mie garder l'agnel
qui doit en avoir la pel 1 .» %
1. Cette pluralité ne s'appliquait qu'à la « décision des affaires », toutes les grâces
et punitions demeurant dans les mains du Régent.
2. Au lieu de vingt-cinq, âge minimum requis.
3. D'après l'exposé que présentèrent les gens du Roi, il s'agissait de confier au
duc d'Orléans le commandement des troupes de la Maison et au duc du Maine celui
de la partie de ces troupes qui assurait la garde personnelle du Roi. Mais les chefs
des différents corps qui composaient la Maison du Roi estimèrent que le comman-
dement ne pouvait être divisé et leur avis prévalut.
La passation des pouvoirs 73
Quel est donc ce prince qui, sans avoir le titre de roi, va être pen-
dant près de huit ans (jusqu'à la majorité de Louis XV, acquise à
treize ans et un jour) le véritable souverain du royaume? Philippe,
duc d'Orléans, est alors âgé de quarante et un ans. « Il était, nous
dit Saint-Simon, de taille médiocre au plus, fort plein, sans être
gros, l'air et le port aisés et fort nobles, le visage large, agréable,
fort haut en couleur et la perruque de même. » Ce portrait paraît
encore un peu flatté. En fait, le prince n'était pas de taille médiocre,
il était petit et même, selon sa mère, très petit (il est vrai que
Saint-Simon était lui-même un nabot, ce qui pouvait fausser son
optique); il avait eu la taille fine, mais il était devenu épais, ce qui
faisait un point de ressemblance avec sa fille chérie, la duchesse de
Berry, « puissante comme une tour 1 ». Il avait été fort joli, disait-
on encore, à l'âge de quatorze ou quinze ans, mais depuis il était
devenu laid : « Malgré sa laideur, les femmes le courent; l'intérêt
les attire; il les paie bien 2 . » Il avait pris, sous l'effet dit-on du
soleil d'Italie et d'Espagne (?), un tel hâle qu'il était resté d'un
brun rouge. Mais il semble qu'on puisse trouver une autre expli-
cation qu un bronzage de grand air à ce visage couperosé chez un
homme adonné à tant d'excès et porté à l'apoplexie.
Dans les derniers temps de sa vie, on parle même de son teint
enflammé et de ses yeux chargés de sang.
« Le mal qu'il avait aux yeux le faisait loucher quelquefois. » En
fait, il avait perdu la vision d'un œil, ce qui donnait lieu à des plai-
santeries dont il était débité en commun avec le duc de Bourbon 3 .
dur comme fer que le crime « ne peut être contesté » et qu'il est en
tout cas l'œuvre de la jeune femme 1 .
Le duc lui-même croyait aux fables ordinaires quand il ne s'agis-
sait pas de sa propre criminalité et à défaut d'administrer le poison,
il craignait d'en être victime. Ainsi prenait-il la précaution de faire
passer sur le feu les envois d'origine inconnue . »
Lorsque la duchesse de Berry fut morte, il sortit de l'écrasement
de la douleur pour concevoir les soupçons qu'il avait trouvés si
ridicules dans les autres cas et fit pratiquer l'autopsie (l'ouverture,
disait-on alors) qui ne manqua pas de confirmer, par le délabre-
ment général d'un organisme si absurdement éprouvé de longue
date, la cause trop naturelle de cet événement fatal.
En dehors des divertissements où l'engageait la curiosité de
l'esprit et de l'importante partie de son temps qu'il consacrait à
la dissipation et aux plaisirs, le duc d'Orléans s'était trouvé occupé,
à diverses reprises, d'intérêts plus sérieux et d'affaires plus consi-
dérables. Comme il était peu probable qu'il fût appelé à régner
en France, il avait éprouvé la tentation de faire valoir ses droits
au trône d'Espagne. Des documents authentiques confirment
qu'il y avait pensé ou qu'on y avait pensé pour lui dès 1701 3 et
même, semble-t-il, dès 1699, mais l'affaire pour lors n'alla pas
plus avant. En 1707, Louis XIV lui confia le commandement de
l'armée d'Espagne, mais c'était plutôt un commandement nominal
dont il n'assurait pas réellement la responsabilité stratégique.
A cette occasion, des personnages obscurs, prétendant être ses
agents, se livrèrent à différentes intrigues qui tendaient à préparer
pour lui la succession de Philippe V dont la situation était devenue
précaire et auquel le roi de France envisageait de cesser son sou-
tien. Philippe V se plaignit à Louis XIV et celui-ci, selon Saint-
Simon, en aurait fait au duc d'Orléans une sévère admonestation,
le menaçant même de poursuites criminelles. Cependant, dans une
lettre envoyée au roi d'Espagne le 5 août 1709, Louis XIV s'atta-
chait à justifier pleinement son neveu : « Je suis persuadé par la
manière dont il s'est expliqué qu'il ne m'a rien déguisé. Ainsi, je
puis vous assurer qu'il n'a jamais eu l'intention d'agir contre votre
service. » En conclusion, le roi conseillait « d'assoupir incessam-
ment une affaire dont l'éclat n'a déjà fait que trop de mal ».
En fait, les agents secrets restèrent emprisonnés en Espagne
pendant six ans et, soit sur la demande de Philippe V, soit par
l'effet de son jugement personnel, Louis XIV ne renvoya pas son
Noailles
ou
Le radicalisme de gestion
cartes en mains. Law pouvait lui apporter l'atout qui lui manquait.
Un gestionnaire solide pour mener à bien une politique classique
dans les domaines du budget et de la trésorerie. Un banquier
inventif, pour habituer l'économie française à l'usage du papier-
monnaie et du crédit selon les exemples anglais et hollandais.
Voilà les deux hommes dont le Régent a besoin pour sauver les
finances du Royaume, ranimer l'activité, réveiller la France au
bois dormant de son « insensibilité funeste 1 ».
De Noailles à Law, le contraste est saisissant mais les analogies
sont perceptibles.
Ils ont en commun l'éloquence, l'art de persuader et de séduire,
l'opiniâtreté à surmonter les rebuffades, le goût de l'action, la pas-
sion du pouvoir.
Si le duc n'est pas un aventurier, il y a quelque chose d'aventu-
reux en lui : on lui attribuait un étrange complot ourdi en Espagne
avec le marquis d'Aguilas en vue de donner à Philippe V une
maîtresse et de soustraire ainsi le Roi à l'influence de la toute-
puissante duchesse des Ursins.
Il aimait les idées nouvelles et les projets originaux : l'idée du
Mississippi vient de lui.
On relève entre nos deux héros un autre trait de ressemblance.
C'est une certaine densité morale, fait assez rare à l'époque chez
les hommes occupant de telles places. Ils étaient honnêtes. L'inté-
grité de Noailles n'est pas douteuse et c'est un des arguments que
Saint-Simon énonce pour se justifier de n'avoir pas dissuadé le
Régent de le choisir. S'il a bien, par la suite, assez petitement
tenté de limiter la portée de cet éloge, il n'y est point parvenu.
Un autre grand ennemi de Noailles, le marquis d'Argenson, aux
termes d'un portrait dont l'extrême méchanceté n'est pas sans drô-
lerie, n'hésite pas à lui faire grief de son incapacité à s'enrichir :
« Quant à ses propres affaires, il les a toujours plus mal gérées
encore que celles du Roi et son zèle en a été la ruine. Il a fini par
abandonner tous ses biens à ses créanciers. » Or tel fut également
le destin de Law, bien qu'il fût, à la différence de Noailles, expert
en finances.
Si ces hommes étaient honnêtes, ce n'est pas seulement parce
qu'ils étaient ambitieux et que pour les ambitieux le pouvoir passe
au-dessus du profit; c'est aussi parce qu'ils étaient des hommes
sincères, sincères dans leurs opinions, sincères dans leur dévoue-
ment au bien public. En réalité, ils étaient tous deux « patriotes »,
ce qui paraît naturel chez Noailles, si l'on considère sa lignée et sa
carrière, ce qui surprend davantage chez Law qui n'était pas fran-
1. Forbonnais.
Le radicalisme de gestion 97
1. Ces traits de son personnage sont illustrés par une anecdote fort connue :
« M. Rouillé du Coudray étant arrivé un peu tard au Conseil des Finances, M. le duc
de Noailles lui dit en plaisantant : " Le vin de Champagne vous a peut-être trop
arrêté. "... A quoi M. du Coudray répliqua sur le même ton : " Il est vrai que j'aime
un peu le vin de Champagne, mais ce n'a jamais été jusqu'au pot-de-vin " (Buvat,
op. cit., t. I, p. 117).
2. Déclaration rapportée dans le rapport de Fagon à la séance du 24 octobre.
100 La banque et la guerre
Bernard Fénelon
Heusch Tourtou
Chauvin Piou
Anissou Guiguer
Philippe
Mouchard
Mouras
Lecouteux (Le Couteulx)
Hélissant
CONTRE FAVORABLES
2. Cf. les commentaires de Luthy sur ces personnalités, deux d'entre elles repré-
sentant Bordeaux et Nantes, les deux autres étant des banquiers spécialistes d'opé-
rations internationales (Luthy, op. cit., p. 301-302).
La banque de Law n'aura pas lieu 101
La dette
La monnaie
t
La banque de Law n'aura pas lieu 103
1. <i Voulez-vous savoir, Monsieur, ce qui rend l'argent si rare? En voici une
démonstration : M. de Chalais, receveur général de Champagne, ayant un billet de
1 500 livres à payer, le porteur alla avec un ami le prier incessamment de le payer...
M. de Chalais chercha sur lui et dans ses tiroirs et ne put ramasser que 300 livres
qu'il donna en soupirant. Cependant, le feu ayant pris à la nuit de Noël à l'hôtel
d'Albret, il a fallu jeter les coffres par la fenêtre qui se sont trouvés remplis d'argent
jusqu'à 800 000 livres. » Gazette de la Régence, p. 50.
2. Gazette de la Régence, p. 11.
3. Notée à la date du 24 par le Journal de la Régence, Dom Leclercq indique la
date du 15.
La banque de Law n'aura pas lieu 107
les profanes. Il faut avoir dans l'esprit la distinction que nous venons de
rappeler entre la monnaie réelle (louis, écu, etc.) et la monnaie de compte
(livre). En haussant les espèces, monnaie réelle de métal, on dévalue la
livre, monnaie idéale de compte. Ainsi, dans l'opération de décembre 1715
(qui annule celle de Desmarets) le louis passe de 14 à 20 livres : il est
donc haussé (par rapport à la livre). Mais la livre elle-même est baissée,
dévaluée par rapport au louis : 1/20 au lieu de 1/14.
Du fait que le haussement des espèces est la forme normale de la per-
ception répétée du seigneuriage, on pourrait déduire que les manipula-
tions des monnaies vont toujours dans le même sens : hausse du métal,
baisse de la livre. Et c'est bien en effet la tendance générale, comme nous
le voyons par l'énorme dévaluation de la livre au cours des siècles. Mais
il advient aussi que l'État procède à l'opération inverse : la diminution
des espèces métalliques, c'est-à-dire l'augmentation, la réévaluation de la
livre.
Quel intérêt peut-il donc y trouver? Le plus souvent, cette opération est
savamment liée à la précédente. On diminue : par exemple, le louis passe
de 20 à 19, et on annonce qu'il passera ensuite à 18, à 17, etc. Le porteur
rapporte donc ses pièces à l'hôtel des Monnaies puisqu'elles risquent de
diminuer davantage jusqu'au moment où elles seront décriées, c'est-à-dire
mises hors de service. L'État frappe de nouvelles espèces « en augmen-
tation » et garde ainsi la différence de la valeur en métal. Ce méca-
nisme se prête à des combinaisons très variées, comme on le verra ample-
ment par l'expérience de Law.
Cependant il peut arriver que la diminution ne soit pas liée à une opé-
ration jumelée de haussement. Dans ce cas, il s'agit d'une réévaluation,
sans bénéfice pour l'État, sans seigneuriage. Elle est décidée en vue d'ob-
tenir un résultat économique déterminé, tel que l'amélioration du change
ou la baisse des prix extérieurs. C'est une technique analogue à celle de
la déflation pratiquée par Pierre Laval en 1935 et dans une certaine
mesure comparable à ce qu'on appelle aujourd'hui un plan de stabilisa-
tion, à ceci près que nous préférons agir aujourd'hui par les restrictions
de crédit ou par la voie fiscale plutôt que par le changement de valeur
nominale des espèces, peu praticable avec une monnaie de billets.
XI
dit le sujet de sa venue, ils lui dirent que la personne de Marseille n'avait qu'à
remettre ces deniers au directeur de la Monnaie du lieu et qu'ils lui donneraient
ici les 1 800 louis; et sur ce qu'il demande à quelles conditions ils répondirent que
c'était sans conditions, et qu'ils lui payeraient comptant. Ce qui donna lieu à mon
ami de leur demander comment ils entendaient maintenir leur banque et y faire des
profits ordinaires et raisonnables, sur quoi ils dirent qu'ils n'entendaient rien gagner
sur une remise de cette qualité-là, qui ne leur coûtait rien et que leur profit vien-
drait aux escomptes des pays étrangers, chose que notre ami ne comprit pas bien.
Ils ajoutèrent qu'actuellement leurs correspondants n'étant pas encore établis,
ils ne pourraient rendre service à ceux qui se présenteraient que lorsque l'argent se
trouverait en province aux endroits où il y a des Monnaies. »
1. A propos d'une remise de 150 000 rexdallers à la Banque de Suède : « Le
Régent trouva que je lui chargeais environ 25 % moins qu'il n'avait payé quelques
mois auparavant, pour une remise pareille, quoiqu'il n'y avait pas eu de variations
dans les monnaies. S.A.R. me renvoya chez moi pour voir mes livres, s'imaginant
que j'avais fait quelque erreur dans le compte que je lui avais porté... » (Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 246).
2. Il expose qu'il a fait du billet de banque une lettre de change universelle...
« A l'égard de l'opération dans les pays étrangers, mes correspondants étaient
d'abord d'opinion qu'il serait impossible d'introduire la négociation de ces billets...
Ils me les renvoyèrent... J'ai vaincu les difficultés qu'ils alléguaient... Les banquiers
étrangers ont remarqué que je me suis rendu le maître de tous les arbitrages en
matière de change. » Ce texte est connu sous le titre (ne répondant pas au fond) de
« Lettre de M. Law à S.A.R.... lorsque le Système eut du dessous » et date probable-
ment de 1717 (Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 27-29).
Le facteur sonne toujours deux fois 119
1. Voir ces tableaux de Dutot dans les Œuvres, pour la période antérieure à
avril 1717, et dans le manuscrit de Douai pour la période postérieure. Cf. égale-
ment notre annexe en fin de chapitre (cf. H. Luthy, op. cit., p. 304-305).
2. Dutot, op. cit., t. II, p. 67.
3. Instructions du duc de Noailles, 7 octobre 1716, citées par Levasseur, op.
cit., p. 49.
4. Instructions du 20 décembre 1716, citées par Levasseur. op. cit., p. 50.
LETTRE AU RÉGENT
(décembre 1715)
extraite des <r Œuvres complètes M, t. Il, p. 266
banquiers « qui croient recevoir un grand préjudice d'un établissement qui leur
ôte tous moyens d'exercer leurs usures et les commerces illicites qu'ils faisaient
des deniers du Roi ». Il engage son correspondant « à prendre moins d'inquiétude
sur les mauvais discours que l'esprit d'intérêt et de cabale peut exciter contre les
billets de la banque générale » (cf. cette lettre et les autres documents publiés par
Levasseur, op. cit.. Appendice F).
1. Marcel Ciraud, Histoire de la Louisiane française, p. 21 et sq.
2. Le premier chiffre est indiqué dans Y Histoire des Finances et, sous la forme
d'un minimum, dans un document explicatif cité par Giraud (p. 22). Le second figure
dans une publication de propagande semi-officielle, parue à Londres en texte
bilingue au début de 1720, et qui présente un historique très sérieux de la Compa-
gnie. « L'on ne se proposa au commencement que souscrire un fonds de 60 000 000 de
livres en billets de l'État » (A full and impartial account of the Cie of Mississipi,
Londres, 1720). Un exemplaire de ce tract, très rare, figure dans la collection
Goldsmith de l'Université de Londres.
De la taxe d'Antoine Crozat au souper de La Raquette 129
1. Noailles aurait fait rendre, sans en informer Law, un arrêt du Conseil qui
obligerait les porteurs de billets d'État à souscrire les actions. Or, Law estimait
que toute opération forcée ruinait la confiance et pour cette raison même il aurait
alors décidé de suspendre les souscriptions.
En réalité l'article 13 n'oblige pas les porteurs à souscrire des actions : ils seront
seulement privés des intérêts s'ils n'acceptent aucune des solutions qui leur sont pro-
posées. Il faut bien considérer d'autre part qu'il s'agissait d'un simple projet, qui nt
fut pas suivi de promulgation et de ce fait le mécontentement de Law peut paraître
excessif. Contrairement au récit il n'arrêta nullement les souscriptions (du moins
à ce moment-là).
130 La banque et la guerre
1. « Sur ceux qui restaient, M. le duc d'Orléans eut la faiblesse, poussé par la
frayeur qui avait saisi le duc de Noailles et son désir de faire sa cour au Parleméht,
de les faire discuter par le duc en sa présence, le dimanche matin 5 septembre, avec
quatorze députés du Parlement, et il y fit aussi entrer le sieur Law, pour lui expli-
quer les avantages qui en reviendraient à la Compagnie du Mississipi » (Saint-
Simon, op. cit., t. V, p. 742-743).
2. L'octroi.
3. Imprimerie royale. Quant à savoir si cette décision était prise contre Noailles
et si elle fut réellement et largement appliquée, nous ne pouvons en juger que d'après
les indications de YHistoire des Finances. Quoi qu'il en fût, il ne parut pas superflu
de publier, le 26 février 1718, un nouvel arrêt qui rappelait ceux du 10 avril et
12 septembre 1717.
132 La banque et la guerre
1. Il peut y avoir du vrai à cela, mais il faut alors admettre que l'abbé manœu-
vrait à distance. Depuis la fin de septembre, il avait passé la plus grande partie
de son temps à Londres et en tout cas il avait quitté Paris le 9 décembre. Il n'était
donc ni présent ni proche aux instants décisifs de La Raquette et de la disgrâce :
« Le 5 au soir l'abbé Dubois arriva de Londres d'où il était parti le 29 novembre...
Le 9 au matin M. l'abbé Dubois reprit le chemin de Londres » (Buvat, op. cit., t. I,
p. 310).
2. L'Histoire des Finances nous a laissé de Noailles un portrait sévère et fort
injuste, accompagné en parallèle d'une justification délirante de Law. Ce passage
n'est évidemment pas de la plume de celui-ci (Œuvres, t. III, p. 325, n. 196) et
rappelle assez curieusement certaines pointes de Saint-Simon : « Il avait été très
ami avec lui, mais l'amour-propre de l'un n'avait pas pu l'aveugler au point de lui
cacher la supériorité de l'autre. L'autorité de l'un (Noailles) et le crédit de son plan
n'avaient fait succéder (réussir) aucune affaire, pendant que l'autre sans carac-
tère (sans titre) avait réussi au-delà de l'espérance dans toutes ses entreprises. »
« L'imagination (de Noailles) voltigeait sans cesse sans se fixer à rien de suivi;
croyant se mieux approprier les affaires que les autres avaient conçues, (il) ne man-
quait jamais de les défigurer en leur imprimant le caractère d'un esprit sans ordre;
sans règle, sans justesse et sans suite. » (Cf. Saint-Simon : « un homme de fan-
taisie qui n'a aucune suite dans l'esprit ». « Law m'y exhortait pour la nécessité
et le bien des affaires, qui, indépendamment de celles que Noailles gâtait entre
ses mains (les mains de Law), périssaient entre les siennes », op. cit., t. V,
p. 394, sq.).
138 La banque et la guerre
Mais nous savons déjà, par d'autres exemples, que « les provi-
dentialistes » de la politique et les gestionnaires éclairés ne se
comprennent jamais ni tout à fait ni longtemps.
En tout cas, le départ du ministre n'eut certainement pas pour
conséquence de donner à Law une plus grande liberté de manœuvre.
Le premier semestre de 1718 va être pour lui une période d'attente
et en quelque sorte d'hibernation.
L'explication de cette pause nous est clairement donnée par le
duc d'Antin; elle souligne l'esprit réaliste du Régent, sa faculté
d'adaptation manœuvrière. Le renvoi du ministre est un « coup
d'État » et il faut laisser les choses se tasser. Nous saisissons aussi
le caractère très sérieux de la crise politique latente, sensible à
travers l'opposition encore couverte du Parlement, la cabale encore
secrète du parti espagnol. La même crise qui, pour l'heure, nous
éloigne du système, plus tard nous y ramènera 1 .
1. Selon l'auteur du manuscrit du British Muséum, ces visites avaient lieu deux
fois par semaine, de deux heures à dix heures du soir.
2. Ainsi S. Cochut, Law, son système et son époque, Paris, Hachette, 1852, p. 46.
M. Hyde, op. cit., p. 117.
142 La banque et la guerre
1. Cf. p. 143, n. 3.
2. « On espère, note le duc d'Antin, faire sortir par là beaucoup de vieilles
espèces, faire circuler l'argent en en augmentant le nombre, diminuer les billets et
leur donner un peu plus de valeur, jusqu'à ce qu'on trouve à mieux faire. »
3. Pour les amateurs de précision, notons que les cours de 16 et de 4 étaient théo-
riques car les pièces étaient reprises en tenant compte du prix au poids du marc.
Or le louis n'étant pas exactement de 30 au marc, mais plutôt de 30 1/2 ou 31, les
cours nets étaient donc de 15 livres 15 sous pour le louis et de 3 livres 18 sous
9 deniers pour l'écu (Dutot, ms. Douai, p. 79).
La machine de Moïse Augustin Fontanieu 143
I
144 La banque et la guerre
1. Nous venons de voir que les espèces anciennes avaient cours théoriquement
jusqu'au 1 er août, mais rien n'interdisait de les faire « reprendre » avant cette date.
La machine de Moïse Augustin Fontanieu 145
D'autre part certaines espèces (les monnaies étrangères) étaient exclues des « haus-
sements » et le public avait donc intérêt à les apporter sans plus attendre.
1. A noter enfin que des taux spéciaux sont fixés pour l'or fin (654-10-11) et pour
l'argent fin (43-12-18) et que l'augmentation est étendue à la monnaie de billon :
les anciens sols ou douzains passent de 15 à 18 deniers, et les pièces de 36 deniers,
qui avaient été réduites à 21, remontent à 27!
2. Exemple donné par Daire : si l'on apportait 8 écus (anciens) de 5 livres, soit
40 livres, on recevait 6 écus 2/3 nouveaux (de 6 livres chacun). Si l'on ajoutait
16 livres en billets d'État, le total était porté à 56 livres et on recevait 9 écus 1/3
nouveaux. Cependant si l'on considère le poids d'argent, le porteur n'avait qu'une
quantité de métal inférieure de 1/15 à celle de ses 8 écus anciens et il avait donné
les 16 livres en billets contre rien.
146 La banque et la guerre
valoir une certaine portion de terres par ses mains. L'égalité de l'imposition bles-
sera ces deux parties, ceux mêmes qui doivent profiter par l'égalité travailleront
contre, ne connaissant pas leurs vrais intérêts » (Œuvres complètes, op. cit., t. III.
p. 175-176).
1. L'ouverture de ce débouché pour les billets d'État pouvait contrarier dans une
certaine mesure le mécanisme imaginé par d'Argenson, mais de cela Law ne se fai-
sait sans doute aucun scrupule.
2. De ce fait les fermes du contrôle et de la poste se trouvèrent libérées des
assignations qu'elles supportaient à concurrence de 3 000 000.
3. Ce document reproche au Parlement d'avoir fait perdre 125 millions à l'État.
Ce chiffre paraît d'abord mystérieux. Pour le comprendre, il faut penser que la
perte de 25 % affectait le papier apporté en souscription. Comme, avec ces 25 %,
on pouvait souscrire cinq fois plus, soit, 12 5 000 000, l'État perdait l'avantage
d'une souscription qui pouvait atteindre théoriquement ce montant démesuré. C'est
un argument fort spécieux, car l'État était aussi le débiteur des billets et d'autre
part l'émission des titres était pour l'instant limitée à 100 000 000. Néanmoins, le
raisonnement peut se comprendre et il est typique du « paralogisme » de Law. L'État
La machine de Moïse Augustin Fontanieu 149
LA FABLE DE L ' A N T I - S Y S TE M E
1. Pour motiver leur refus, les Paris portent à l'encontre de Law deux imputations
dont l'une est en tout cas fausse (la prétendue expulsion par le roi du Piémont) et
dont l'autre n'a pu être vérifiée (sa prétendue liaison avec le ministre suédois
Goertz). Lorsque la Banque fut transformée, les frères Pâris, qui faisaient partie
des premiers actionnaires, reprirent leurs parts pour la valeur nominale de
45 000 livres.
2. Giraud, op. cit., t. III, p. 49.
XIII
1. Il avait envoyé en août 1716 une escadre devant Corfou assiégé par les Turcs.
Il avait ainsi pu obtenir pour lui la promesse du chapeau et pour l'Espagne la per-
mission de lever la contribution du dixième sur le clergé. Seul Dubois, semble-t-il,
avait deviné que l'Espagne préparait une entreprise contre l'Italie et il avait donné
l'assurance à Londres que la France n'y participerait ni directement ni indirecte-
ment (Lettre du 28 juillet 1717, citée par Wiesener, Le Régent, l'abbé Dubois et les
Anglais, t. II, p. 101 et sq.).
Une banque pour une guerre 161
1. Oxenf. Castle; Stair Papers, vol. XIII, cité par Wiesener, op. cit., t. II, p. 297,
n. 1.
166 La banque et la guerre
l
168 La banque et la guerre
XV
La charmante histoire
de Vadolescente livre tournois
1. Voir n. 1, p. 178.
178 La banque et la guerre
1. « Les avantages que le roi a bien voulu donner à ces billets dans ses caisses,
la garantie dont il se charge et le privilège qu'ils ont d'être en tous temps, par
leur nature, exempts de toutes diminutions » (Œuvres complètes, t. III, p. 121). Un
peu plus loin il est écrit que « la cherté qui vient de l'affaiblissement des monnaies
soit un mal ou non, ce n'en sera plus un pour nous. Les diminutions indiquées nous
garantissent que bientôt l'étranger nous donnera ses denrées à un tiers du prix en
livres qu'il nous les vend aujourd'hui ». Law pousse même l'assurance jusqu'à
affirmer qu'il n'y aura plus désormais de dévaluation! « Le crédit des billets de
banque, une fois bien établi, nous assure que l'on ne sera plus obligé d'avoir recours
à l'augmentation des espèces » (Œuvres complètes, t. III, p. 123). Donc il s'agit bien
d'une monnaie invariable (en fait).
La charmante histoire de l'adolescente livre tournois 179
1. En fait, Law, avec sa grande habileté, semble d'ailleurs avoir trouvé le moyen
de rendre l'opération plus avantageuse encore en éliminant la perte que la Banque
devrait supporter par suite de la diminution. Cette dernière clef nous est fournie
par des archives de Genève, découvertes et étudiées par H. Luthy. Selon des indi-
cations qui figurent dans une correspondance entre deux hommes d'affaires, La
Barre et Calandrini, et dont rien ne permet de mettre en doute l'exactitude car il
s'agit d'esprits précis et de personnes habituées aux maniements de fonds, la
Banque, en fait, refusait depuis février 1719 les remises d'or et ne délivrait les
billets que contre les dépôts en espèces d'argent, ce qui, de toute évidence, était
parfaitement son droit. Elle évitait ainsi les effets de la diminution sur toute la
quantité d'or qu'elle pouvait posséder. Elle ne perdait que sur l'argent : or en
pratique certaines diminutions et tout particulièrement la première, celle du 7 mai,
étaient limitées à l'or, et on laissait l'argent en dehors de l'opération (cf. Luthy,
op. cit., t. I, p. 315, n. 32).
180 La banque et la guerre
ments, et c'est le 5 janvier que l'on crée une monnaie de papier plus
attractive que la précédente. L'arrêt prévoyait la fabrication
d'une double série de « registres » représentant respectivement
12 000 000 (de livres) en billets-écus et 18 000 000 en billets-
livres. La nouvelle formule l'emporta nettement sur l'ancienne
dans la faveur du public, puisque, en février, on tira de nouveau
pour 21 000 000 de billets-livres, alors que les 12 000 000 de
billets-écus ne furent pas diffusés dans le public, qui sans doute
n'en demanda pas, et ils furent tout simplement annulés le
22 avril 1719 (en attendant la suppression générale du modèle,
qui fut décidée le 8 juillet) 1 .
Le succès de la livre-papier s'explique par deux raisons diffé-
rentes. D'une part, et c'est là-dessus qu'insistent principalement,
voire exclusivement, les commentateurs, la formule était plus com-
mode pour le public, qui avait l'habitude de traiter toutes les opé-
rations en livres.
Certains auteurs soulignent que 1' « écu de banque » avait pu
satisfaire une demande restreinte, émanant de professionnels, à
l'époque de la Banque générale, mais que la Royale, s'adressant au
grand public, devait se mettre à la portée de cette clientèle plus
nombreuse et non spécialisée. En fait cependant nous avons vu
que les billets de la Banque générale avaient déjà connu une
diffusion très large (148 000 000), de beaucoup supérieure au
montant de la nouvelle tranche de janvier, et même des deux
tranches janvier-février. L'hypothèse d'une grande extension
socio-économique des catégories de porteurs est donc hasardeuse.
Inversement, si l'écu de banque avait, pour quelque raison parti-
culière, séduit les professionnels de la banque et du grand négoce,
il aurait conservé la préférence auprès d'un certain nombre d usa-
gers : or tous l'abandonnèrent.
En revanche, la particularité de la monnaie-livre, résultant de
la garantie qu'elle assurait contre les « diminutions », a pu, dès
ces premières semaines, jouer un rôle dans son ascension, car,
après les dévaluations successives de 1715 et de 1717, le public
ne s'attendait plus à un « haussement », et dès lors songeait plu-
tôt à se prémunir contre le danger inverse. Il convient cependant
de remarquer que cet avantage de la livre, bien que résultant auto-
matiquement du libellé adopté, n'était pas très connu, et ne parais-
sait sans doute pas certain, puisqu'il fallut un arrêt du 22 avril
pour le préciser. Le texte présente même comme une nouveauté
1. C'est l'existence (si l'on peut dire) de ces 12 000 000... non créés qui a induit
certains historiens à supposer que ce chiffre représentait le montant des émissions
de la Banque générale.
La charmante histoire de l'adolescente livre tournois 181
spéciale. Les billets en livres tournois ne pouvaient être réduits avec la monnaie,
sans infraction de nos lois, et la clause qui les garantissait de cette perte était
surabondante » (Examen, t. I, p. 237-238, cf. Luthy, op. cit., t. I, p. 308,
n. 22).
1. Cette erreur trouve son origine, ou tout au moins son support, dans un pas-
sage de VHistoire générale des Finances. Ce passage a été compris de travers.
Il se réfère en réalité, non point à l'arrêt du 22 avril 1719 mais à un épisode
ultérieur, l'arrêt du 5 mars 1720 (Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 373-
376).
C'est sans doute sur cette indication mal comprise que Dutot, défenseur zélé mais
peu subtil de Law, confondant les deux affaires imagina de prétendre que le Régent
avait forcé la main de Law... déjà en avril 1719! « L'article 3 de l'arrêt du 22 avril
1719 qui, contre le sentiment de Law, déclare le billet monnaie fixe et invariable »...
M. Law « dit positivement que cet article fut mis malgré lui » (cf. Dutot, Œuvres
complètes, t. I, p. 83 et t. II, p. 43). Harsin relève la confusion dans une note, op.
cit., p. 142, n. 15. Forbonnais, à son tour, sur la foi de Dutot, a cru que Law avait
protesté mais il ne s'explique pas la raison de cette attitude. Et il relève très juste-
ment que dans Money and Trade, c'est bien une monnaie invariable que Law avait
préconisée.
Par la suite, Louis Blanc, favorable à Law, a repris le thème de Dutot selon
lequel le méchant Régent, dans son incompétence, aurait imposé à l'inventeur de
la monnaie dirigée... la disposition qui contenait, en fait, la clef de sa stratégie
et de sa réussite!
Levasseur ne croit pas que Law ait eu la main forcée, mais il pense que Law a
voulu faire croire que tel était le cas. Il écrit avec tristesse : « C'était par un pri-
vilège préparer le discrédit de l'argent dont il suffisait d'abaisser la valeur pour le
faire affluer dans la caisse de la banque. » (Cette partie de l'analyse est parfaitement
exacte, mais ne mérite aucune condamnation morale.) « On a voulu épargner cette
honte à la mémoire de Law et la faire retomber sur ses ennemis!!! » (Levasseur,
op. cit., p. 88.)
Le contresens est d'autant plus étonnant que Law ne cachait pas son jeu. En
dehors même de ses écrits de 1705, la lettre du Mercure, publiée en 1720, met en
évidence le rôle essentiel des diminutions d'espèces dans le soutien d'une monnaie
de papier et, de surcroît, dans ce dernier document, comme un instrument essen-
tiel pour une politique économique générale.
Naturellement les commentateurs les plus avisés, tels que Pâris-Duverney parmi
les contemporains, P. Harsin et H. Luthy parmi les modernes, ont parfaitement
aperçu le caractère non seulement normal mais automatique et inévitable de la
décision du 2 2 avril appliquée brillamment par les « diminutions » de mai et de juil-
let.
184 La banque et la guerre
faire lui-même les 4 000 000 qu'il avait promis 1 . Or, voici qu'il
prévoyait de dépasser pour l'année en cours les 8 000 000; il envi-
sageait d'ailleurs de procéder autrement à l'avenir : en rendant la
liberté au tabac et en faisant percevoir 15 sous par livre pour la
Compagnie, il pensait atteindre 12 000 000 et de plus procurer au
roi des gains supplémentaires 2 . Il se limita cependant dans ses
évaluations ultérieures à un chiffre inférieur de moitié : 6 000 000.
C'est en suivant la voie parallèle ainsi ouverte par la ferme des
tabacs que Law va, par la suite, assurer à la Compagnie des
sources de recettes assurées — et assurées de leur progression —
avec la fabrication des monnaies (25 juillet) et enfin avec la conces-
sion du bail de la ferme générale qui marque le choc du système
(26 août). Cependant il va d'abord faire progresser la Compagnie
d'Occident dans l'ordre de ses activités normales. Avec le synchro-
nisme du ballet nous avons vu, dès le 12 décembre 1718, appa-
raître sur la scène une compagnie d'envergure moyenne, la Compa-
gnie du Sénégal. La Compagnie d'Occident absorbe et rachète son
actif pour un million six cent mille livres 3 . Elle obtenait ainsi la
disposition d'un certain nombre de moyens, notamment des
bateaux, dont elle était insuffisamment pourvue jusque-là 4 . En
partie sans doute pour cette raison, elle était restée dans un état
de médiocrité pendant près de dix-huit mois. Elle s'était surtout
préoccupée, pendant cette période, de la culture du tabac (ce qui
était fort judicieux puisqu'elle en avait la ferme) et du commerce
des castors (« dont elle avait l'exclusif») 5 .
Grâce à cette première fusion, la Compagnie faisait, en mai 1719,
une figure assez honorable 6 , celle d'une entreprise d'envergure
siane, emportant pour la nouvelle colonie, 700 hommes de recrue et 500 habitants. »
On aurait rassemblé 20 000 peaux de buffles, le tabac était supérieur à celui de la
Virginie, on pensait « à l'éducation des vers à soie et à la culture de l'indigo » (Levas-
seur, op. cit., p. 92).
Tout cela donne plutôt une impression bucolique que celle du départ pour une
grande expansion. La situation de la Compagnie est étudiée minutieusement dans
M. Giraud, op. cit., t. III.
190 La banque et la guerre
Law et la colonisation
Law a toujours été obsédé par la pensée que son pays d'adoption
pouvait et devait grandement améliorer la situation de sa marine
marchande ainsi que, par voie de conséquence, le profil de son
commerce maritime. Il considère que la France dispose de deux
atouts : l'un est sa situation géographique, exceptionnellement
favorable, l'autre, l'importance de sa population qui, par le nombre
des consommateurs, assure des débouchés aux produits transpor-
tés. La France se trouve véritablement spoliée par l'impôt de
fret qu'elle paie à l'Angleterre et aux Pays-Bas; il projette de
renverser cette situation, d'une part, en assurant sous notre propre
pavillon le ravitaillement de la clientèle nationale, d'autre part,
en concurrençant nos rivaux pour le trafic entre les pays étrangers,
fournisseurs et acheteurs les uns des autres 1 . Nous pouvons faire
passer les marchandises des Indes au travers du Royaume pour
fournir l'Allemagne, la Suisse, l'Italie « et à meilleur marché que
les Hollandais ne pourraient les envoyer par les rivières à cause
des péages 2 ».
1. L'auteur fait une énumération de divers postes de dettes, qui étaient fort
variés, puisqu'ils allaient de l'indemnisation des négociants sur qui on avait pré-
levé des matières de la mer du Sud à mesure que les vaisseaux faisaient des retours
jusqu'à des sommes dues comme reliquat de subventions aux Électeurs de Cologne et
de Bavière en passant par des paiements aux fournisseurs, des appointements et
des pensions, arriérés, etc., « enfin, pour solder une infinité d'autres paiements » (For-
bonnais, op. cit., t. II, p. 422).
2. On peut également supposer que la libération fut facilitée par des combinai-
sons et différentes spéculations réalisées sur les billets, les « manèges » de Law
selon l'expression de d'Argenson.
3. On relève d'ailleurs vers cette époque dans le Journal de la Régence (juin 1719.
t. I, p. 403) une allusion à un projet du Régent qui consisterait à reconstituer la
flotte française en y consacrant 1 000 000 par mois.
4. Puisque 32 % en valaient 90.
Le véritable trésor des Indes ou les cent mille actions du Roi 199
1. C'est bien à tort que certains auteurs ont cru que la prime était versée d'un
seul coup, ce qui aurait entraîné un décaissement de 525 1. par titre (cf. Henri
Weber, op. cit., p. 309, n. 2).
202 La banque et la guerre
1. Par rapport à la valeur réelle des billets d'État utilisés pour la souscription et
qui d'ailleurs ne lui coûtaient rien.
2. Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 345-346.
Le véritable trésor des Indes ou les cent mille actions du Roi 203
Le donativum
1. « Il aurait fait de même de la Compagnie des Indes en saisissant les fonds qui
lui avaient été assignés comme le fit le duc de Noailles, les premières années que
cette Compagnie fut établie et comme les ministres qui les avaient précédés avaient
fait » (Œuvres complètes, op. cit., p. 187-188). Passage reproduit par Dutot avec
une déformation qui le rend plus sévère pour le duc de Noailles (cf. Dutot, op. cit.,
t. 11, p. 98).
Troisième partie
XVIII
Le plan sage
27-31 août 1719
1. Essai politique sur le commerce, 1734. Chap. xxv : Du Système, éd. Daire,
p. 76.
220 Le système et son ambiguïté
La reprise du bail
Le remboursement de la dette
et sur les cartes, ainsi qu'un droit de 24 deniers qui était prélevé
sur les ventes de poissons à Paris. Tout cela était de bonne publi-
cité.
C'est donc en définitive la somme totale de un milliard six cents
millions qui devait être « prêtée » à l'État par la Compagnie. L'État
versait à la Compagnie un intérêt de 3 %, c'est-à-dire 48 0 0 0 0 0 0
par an. Par les textes précités, l'État s'engageait à ne pas amortir
cette somme pendant une durée de vingt-cinq ans 1 . Enfin, comme
couronnement de cet édifice, l'État, pour marquer à la Compagnie
sa juste reconnaissance, confirmait pour cinquante ans, soit jus-
qu'au 1 e r janvier 1770, tous les privilèges afférents aux différentes
concessions qu'à la suite des fusions successives elle réunissait
entre ses mains.
En fait, il ne s'agissait pas à proprement parler d'un rembour-
sement global des dettes de l'État, bien que l'opération revêtît
juridiquement cette apparence. La Compagnie n'avait nullement
l'intention de décaisser d'un coup un milliard six cents millions
— fût-ce en papier que d'ailleurs les créanciers auraient pu,
théoriquement, présenter 'aussitôt aux différents bureaux de la
Banque, pour demander des espèces métalliques, ce qui n'eût
pas manqué de créer un réel embarras. De leur côté, les rentiers
ne souhaitaient nullement se faire rembourser leurs capitaux : ils
avaient pris l'habitude de percevoir le revenu de ces capitaux et
ils auraient été déconcertés s'ils avaient dû se mettre en quête
d'un nouvel emploi plus ou moins rémunérateur de ces fonds
libérés contre leur souhait.
L'opération ainsi traitée était excellente pour l'État.
Mais on aurait pu parvenir aisément au même résultat en pro-
cédant à une réduction autoritaire des taux accompagnée ou non
du mécanisme classique de la conversion (offre de rembour-
sement). En fait, il existait des précédents de l'une et l'autre
méthode.
On ne voit pas clairement quelle est l'utilité avouable de l'in-
tervention de la Compagnie dans cette seconde partie du schéma.
On pouvait cependant admettre que la Compagnie, ayant reçu la
concession de la Ferme et la gestion des Recettes, se chargerait
de payer elle-même pour le compte du Roi un intérêt de 3 % à
ses créanciers.
C'est bien sous cette forme que l'affaire fut d'abord conçue ou,
plus exactement, présentée. C'est ici que nous en venons au troi-
sième point : au point mobile, celui qui ne sera pas conservé dans
le plan définitif du Système. Nous en sommes pour l'heure à la
version initiale, à ce que l'on peut appeler le plan sage d'un homme
sage.
Le plan fou
13 septembre 1719 et la suite
1. Les textes de la première série prévoyaient une alternative entre cette for-
mulent celle des contrats de constitution de rente, mais il y a tout lieu de penser que
c'est la première, la plus originale, qui aurait été employée par Law.
2. La formule revint cependant par la suite, niais à destination d'une catégorie
particulière d'intéressés et dans des conditions tout à fait différentes. Arrêt du
22 février 1720.
3. Sans doute les textes ne précisaient pas que les actions rentières seraient
réservées aux rentiers, mais ils disaient expressément que toutes personnes pou-
vaient en acquérir, ce qui équivalait, quoique sans exclusivité, à consacrer le droit
des rentiers.
230 Le système et son ambiguïté
Soit que le plan de Law ait été conçu d'un seul coup dans toute
son envergure, soit qu'il l'ait construit par fractions successives,
mais à partir d'un matériel déjà disponible dans son esprit, il nous
paraît nécessaire d'en tracer ici dès maintenant toutes les figures.
Car, en réalité, tout s'est passé comme s'il l'avait élaboré
entièrement à l'avance, et, c'est seulement de cette manière que
nous pouvons porter un jugement d'ensemble sur ce qu'étaient les
chances du Système à son départ. Nous en démonterons les pièces
ainsi que suit :
1. En fait, le calcul étant fait sur un nombre d'actions minoré, le dividende réel ne
serait que de 3 %. Mais, inversement, Law a sous-estimé ses calculs dans l'assemblée
du 31 décembre, et il donnera, dans la notice de Londres, un chiffre supérieur :
106 000 000. L'équilibre se trouve donc rétabli.
Le plan fou 233
même prix, on doit conclure qu'il était dans son plan de les y
porter . »
Les frères Pâris donnent une preuve supplémentaire de ce prix
plafond, à l'occasion d'une affaire où leurs intérêts personnels
étaient en jeu. Ils relatent dans leurs Mémoires inédits que Law,
soucieux de les gagner à sa cause, avait proposé de donner à
chacun 500 actions, soit donc au total 2 000, et qu'ils auraient pu
ainsi obtenir 20 millions en les réalisant. Ce calcul suppose un
cours maximum de 10 000. Comme ils entendent faire valoir leur
désintéressement, ils n'auraient pas manqué, si le cours avait
atteint 20 000, de souligner qu'ils avaient sacrifié une recette de
40 millions 2 .
Nous relevons un indice du même ordre dans la constitution
d'une société ayant pour objet des activités de colonisation,
société constituée par le duc de La Force qui fit apport d'actions de
la Compagnie des Indes « estimées à leur cours le plus haut de
10 000 livres 3 ».
Enfin, le président Dugas, qui suit de près l'évolution du Sys-
tème et qui l'évoque souvent dans sa correspondance avec Bottu
de Saint-Fonds, écrit le 5 janvier 1720 : « La fureur qui a fait
augmenter les actions et qui les a portées jusqu'à mille (c'est-
à-dire jusqu'à deux mille, y compris ce que le Roi en retire) est
beaucoup ralentie... » Si la pointe avait dépassé cette hauteur, on
ne voit pas pourquoi il n'en ferait pas mention 4 .
Nous avions réuni les éléments de cette démonstration avant
d'avoir découvert les tables de Giraudeau, qui lui apportent une
confirmation indiscutable.
Notons cependant, pour être complet, que les marchés avec
prime ont pu être traités à des cours supérieurs : en fait, selon Law,
jusqu'à 12 et 15 000 (ce pourquoi d'ailleurs il les « bloqua » à
1 000 + 10 000, puis les prohiba), mais aucun de ces marchés ne
fut levé et il ne s'agit donc point d'un cours.
Cette pièce essentielle du plan est bien caractéristique du sys-
tème. Elle comporte un élément de politique économique d'indis-
1. Examen, t. I, p. 279-281.
2. Arch. nat. K 884, p. 85 et sq.
3. B.N. Ms Joly de Fleury, 2042, P 213, v. 4, cité par M. Giraud, op. cit., t. 111,
p. 219.
4. Correspondance littéraire et anecdotique entre M. de Saint-Fonds et le pré-
sident Dugas, Lyon, Mathieu Paquet, 1900.
Le président Dugas était président de la cour des Monnaies, sénéchaussée et pré-
sidial, et prévôt des marchands de Lyon. Bottu de Saint-Fonds était lieutenant par-
ticulier au bailliage de Beaujolais.
Le plan fou 237
1. C'est sur ce point que ses explications sont les plus embrouillées et s'éloignent
de la bonne foi.
« A l'égard des rentiers... son dessein n'était pas de les ruiner mais bien plutôt
de les enrichir. Son intention était que ceux qui seraient remboursés fissent acquisi-
tion des actions qu'elle exposait en vente au-dessous de leur valeur et qu'en s'assu-
rant à elle-même une rente fixe contre tout événement, le Roi fût libéré et les rentiers
enrichis. »
« Cela est arrivé, poursuit-on, à ceux qui se sont conformés à ses intentions. Il en
est arrivé autrement à plusieurs autres, accoutumés à faire peu de réflexion sur le
commerce et les finances, ils ne se sont pas livrés à un système qui ne se développait
que successivement. »
Et voici une question admirable : « Faut-il leur en faire un crime et les regarder
comme mal intentionnés? Ce serait une injutice. » Encore heureux que les spoliés
ne soient pas pour autant réputés malfaiteurs! Et pour faire bonne mesure de bien-
veillance (après tout — dirait-on aujourd'hui — les rentiers sont aussi des électeurs!),
le rédacteur ajoute : « Il ne serait pas moins injuste de dire que les rentiers sont gens
oisifs et à charge de l'État. »
Dans un autre passage il classe les rentiers en trois catégories : « Ceux qui se
firent rembourser très vite et qui convertirent aussitôt en actions, gardèrent leur
intérêt de 4 %. Ceux qui, plus habiles encore, utilisèrent tout leur capital dans la
première mise (qui n'était, rappelons-le, que de 10 %). Ceux-là firent un profit très
considérable [ils appartiennent en réalité à la catégorie des agioteurs]. Par contre,
Le plan fou 239
V. L'agiotage :
les absents, ceux qui hésitaient sur leurs remboursements, ou qui ne pouvaient pas
les obtenir diligemment, ou qui étaient arrêtés pour des oppositions de créanciers,
ceux-là souffraient beaucoup de perte, ce qui blessait la justice distributive » (Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 350). En fait l'inégalité créée entre les différentes
catégories de rentiers et l'offense qui en résulte pour la justice distributive ne
constituent qu'une faible partie d'une situation d'ensemble, profondément choquante
du point de vue de ladite justice et en tout cas de la morale. La réduction des reve-
nus de placements à intérêts fixes, même avec des modalités mal équilibrées, pro-
voque un malaise par l'effet de contraste qu'elle présente avec la faveur accordée
à l'agiotage et aux bénéfices spéculatifs.
1. Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 371.
240 Le système et son ambiguïté
admirer la sagesse divine qui ne souffrait pas que tous les biens
demeurassent dans des mains qui en sont indignes, et qui permet-
tait à la cupidité d'exercer en cette occasion les devoirs de la cha-
rité. »
En dehors même de toute appréciation d'ordre moral, cet argu-
ment est insensé de la part d'un économiste. Car les gaspillages
supposent les réalisations, et tout le raisonnement de Law, pré-
senté dans le même texte, consiste justement à dire que les proprié-
taires des titres devraient les garder, comme font les propriétaires
des biens-fonds.
Et nous en venons à un morceau d'anthologie.
« Je n'ignore pas, lisons-nous, la qualification odieuse que
quelques-uns donnent à l'espèce de gens, pour me servir de leurs
termes, qui ont fait fortune; mais je n'ignore pas non plus le
nombre prodigieux de grands seigneurs et de personnes de la plus
haute considération que le Système a enrichis; et la réponse la plus
douce que je puisse faire à ces déclamateurs est de leur dire qu'ils
sont en tout cas fort mal appris. »
Ainsi, c'est être mal élevé que d'émettre une critique contre
l'enrichissement spéculatif dès l'instant qu'il profite à des per-
sonnes de naissance aristocratique!
Nous voici loin des vues économiques de l'auteur de Money and
Trade, orientées vers la recherche de l'investissement productif et
la réalisation du plein emploi.
La promotion du gain spéculatif à la double dignité de circuit
normal d'alimentation des finances publiques et de moteur fiable
pour l'administration de l'économie constitue la véritable extra-
vagance du Système dans sa seconde version.
XX
La rue
La Quincampoix ancienne
L'argent à la pendule
Les locaux
Le soldat et le bossu
L'agiotage à la cloche
Le brassage social
Un public mélangé
Le jeu
Les gagne-petit
fenêtre voisine plusieurs seaux d'eau sur ces barboteurs qui étaient
pour cette raison dans un état qu'on peut s'imaginer 1 . »
On imagine en effet, mais avec un certain malaise, cette scène
assez peu symbolique des raffinements que l'on accole au nom de
la Régence.
C'est cependant à nouveau dans ce coupe-gorge de la rue Quin-
campoix, que, le 9 janvier suivant, John Law, promu depuis peu
de jours aux fonctions les plus élevées de l'État, Contrôleur général
des Finances, appelé à recevoir prochainement la haute dignité
de la surintendance, abolie depuis Fouquet, se rendra à nouveau
pour une sorte de visite officielle, comme s'il devait solliciter la
consécration de cette plèbe frumentaire et fera derechef le geste,
désormais auguste, de la « gribouillette ».
Entre ces deux apparitions, le climat de la rue Quincampoix a
changé par une série de glissements imperceptibles. La grande
tendance haussière a pris fin avec le mois de novembre, avec la
première « attaque » de la Banque. Tous les renseignements
concordent : le mois de décembre est celui de la première vague
des « réaliseurs ».
Un hiver éclatant
(un château bien bâti, les eaux vives n'y manquent pas, on dit qu'il
y a des canons) et même une île à dessein d'établir une colonie.
Il collectionnait les pierreries. « Certains joailliers assurent lui
avoir fourni pour plus de 3 000 000, non compris le beau diamant
du comte de Nossey qu'il a payé 500 000 livres et une boucle de
ceinture qu'un juif lui vendit pour la même somme. Il poussa même
les choses si loin qu'il fit proposer à un cardinal de lui payer
d'avance 100 000 livres pour sa croix de chevalier de l'ordre du
Cordon bleu dont il exigeait la délivrance après la mort de ce
prélat. »
Enfin, c'était le spécialiste de la grande vaisselle. « Peu content
des quatre mille marcs de vaisselle d'argent et de vermeil doré
qu'il avait fait faire d'abord, il trouva le secret d'en tirer de chez
l'orfèvre qui achevait celle du Roi du Portugal. Outre cette prodi-
gieuse vaisselle de table, il " réalisait " en guéridons, miroirs, che-
nêts, grilles, garnitures de feu et de cheminées, chandeliers à
branches, lustres, plaques, cassolettes, corbeilles, paniers, caisses
d'orangers, pots de fleurs, seaux, cuvettes, carafons, marmites,
casseroles, réchauds. Enfin toute sa batterie de cuisine n'était que
d'argent, sans en excepter les pots de chambre. »
Cette anecdote a été souvent répétée, avec un enjolivement : on
a parlé en effet de pots de chambre en or.
Quelle que soit la vérité historique, l'image de cet objet familier,
taillé dans un métal précieux, accolée à celle des agioteurs-
clochards qui ramassent les pièces dans la boue, compose un
symbole expressif de cette période extravagante.
Un phénomène international
L'obsession du Mississippi
1. Dans deux lettres des 9 et 23 septembre publiées dans les State Papers, Stair
se déchaîne contre Law. C'est le début de l'offensive tous azimuts. Il le dénigre
auprès du ministère anglais et il pense que les récits (sans doute orientés) qu'il fait
à Londres de ses entretiens avec le Régent au sujet de Law convaincront le Cabinet
anglais que Law est à la fois malfaisant et perfide.
Law est en fait le Premier ministre. Il intrigue avec Torcy contre Dubois. Il ne
se passera pas beaucoup de mois avant qu'il y ait rupture entre la France et l'An-
gleterre... Le plus urgent est d'alléger la dette anglaise (idée fixe). Stair conseille
au Régent d'éloigner Torcy afin que lui, le Régent, soit seul au courant des affaires
extérieures et se rende ainsi indispensable au jeune Roi quand il atteindra sa majo-
rité. (Un tel conseil donné au Régent nous paraît peu vraisemblable.) Dubois redoute
la conjonction entre Torcy et Law (or à cette époque Dubois pousse Law vers le
ministère), et Law aurait dit qu' « il rendra la France si grande que toutes les nations
d'Europe enverront des ambassadeurs à Paris et que le Roi n'enverra que des cour-
riers ».
260 Le système et son ambiguïté
Il faudrait une forte dose de naïveté pour s'en tenir à une pareille
explication. Les Anglais n'ont d'ailleurs pas tardé à comprendre
qu'il s'agissait d'autre chose, et encore n'ont-ils vu qu'une partie
de l'affaire.
A l'aide du récit de Crawford, et aussi de quelques éléments, nous
sommes en état d'élucider cette petite énigme de la phase ascen-
dante du Système. Tout d'abord, il existe bien un arrêt sur le sujet
des droits de souscription : certains historiens en avaient douté 2 .
Nous avons pu en retrouver le texte, qui porte d'ailleurs la
date du 24, bien qu'il soit toujours cité sous celle du 26 Cer-
tains auteurs ont cru, soit qu'il n'avait pas été mis en application,
soit qu'il aurait été annulé, quelques jours après, par un autre
arrêt 2 . Ces hypothèses sont fantaisistes.
L'arrêt a bien été pris, il fait d'ailleurs suite à une délibération
de la Compagnie en date du 2 2 3 ; il n'a pas été retiré, il a été appli-
qué et nous allons voir comment; il n'a pas été conçu pour per-
mettre d'évincer des fâcheux mais bien pour réaliser une double
combinaison profitable.
En premier lieu, il s'agit encore d'un agiotage sur les billets
d'État et sur certains autres titres plus ou moins décriés. Il faut
savoir que la délibération et l'arrêt ne réservaient pas aux seules
rentes le droit préférentiel de souscription, mais étendaient aussi
bien cet avantage aux billets de l'État, aux billets dits de la Caisse
commune, et même aux actions de la Ferme générale émises à
l'époque des frères Pâris. De ce fait, les billets de l'État, qui étaient
déjà venus au pair le 14 septembre, le dépassaient de 12 % à la
date du 27, aussitôt après la divulgation du nouvel arrêt 4 .
Ces indications sont rigoureusement confirmées par les cotes de
Giraudeau.
Ayant empoché ce premier bénéfice (du moins on le suppose)
Law mit aussitôt sur pied une seconde combinaison. Voyant que les
papiers d'État montaient et que le paiement des souscriptions en
deviendrait plus difficile, la Compagnie ordonna à son caissier
Vernezobre de recevoir des billets de banque avec 10 % de bénéfice
en sus, en paiement des souscriptions. Une délibération de la
Banque fut prise à ce sujet, le 25 septembre 1719 5 .
Ainsi l'arrêt a été pris entre les deux délibérations de la Compa-
gnie, qui sont datées du 22 et du 25. Mais quand il a été publié
(le 26), la Compagnie avait déjà décidé de le tourner par l'applica-
tion de la prime de 10 %.
Les Anglais, sans être informés de la teneur du texte, ne tar-
dèrent pas à comprendre la combinaison : « La Compagnie a eu
bon profit à cette occasion car lorsqu'on s'est avisé que la demande
était très forte pour ces papiers, comme chacun souhaitait entrer
1. C'est cette correspondance qui nous a mis sur la piste, à une époque où nous
n'avions pas encore pu prendre connaissance du manuscrit de Douai.
2. Personne ne s'émouvait de cette situation, pas même Crawford, qui exprime à
la fois son émerveillement (pour Law) et son anxiété (pour l'Angleterre)... « Les
souscriptions sont renouvelées pour 50 000 000 de plus sur le même pied. On pour-
rait penser qu'une telle augmentation de capital avec l'intérêt à payer, l'afïluence du
papier sur le marché, découragerait le public; mais au contraire, je pense que ces
nouveaux 50 millions seront remplis dans les vingt-quatre heures, telle est la
confiance qu'ils ont tous que Law les fera gagner, s'ils entrent dans son projet. » —
« La France se trouvera plus puissante que jamais d'ici deux ans... Le Roi n'aura plus
de dettes ou insignifiantes... ses revenus seront augmentés d'un tiers, sinon de
moitié. Une telle banque à Paris, avec tout le crédit et toute la monnaie d'un si grand
pays, dans la main d'un homme si capable, peut permettre d'accomplir facilement
ce qui semblerait miraculeux aux autres pays. »
264 Le système et son ambiguïté
de ces dernières données, les valeurs tendent, par l'effet des arbi-
trages, vers un niveau d'équivalence (sous réserve de l'anarchie
que nous observerons en octobre, quand les porteurs de mères —
entièrement libérées — les vendront au comptant pour acheter
des souscriptions dont les 9/10 sont payables à terme).
La progression initiale
Quant aux soumissions sur les 150 000 000, les tables ne les
mentionnent qu'au début d'octobre. Ce n'est sans doute que dans
les tout derniers jours de septembre et surtout dans les premiers
jours d'octobre qu'elles font l'objet d'un véritable marché. Cela est
bien naturel puisque la seconde tranche ne date que du 28 sep-
tembre, la troisième du 2 octobre et que le régime lui-même n'a
été défini, dans les conditions que nous avons évoquées, que par un
décret publié le 26 septembre.
C'est probablement dès la fin septembre que les nouvelles sou-
missions se revendent avec un bénéfice qui, le 2 octobre, se chiffre
à 27,50, puis à 20 le 3 et le 4, à 27,50 de nouveau le 5, pour mon-
ter à 34,50 le 6, à 92,50 % le 10, et s'élever en flèche au point d'at-
teindre 270 % le 15 octobre.
La hausse des « soumissions » (D) coïncide avec un fléchissement
des autres titres; en ce qui concerne les actions mères (A), nous les
retrouvons le 2 octobre à 869,50, alors que nous les avions laissées
le 19 septembre à 1 027,50. Elles descendent encore à 820 le 3 et
remontent le 4 à 900.
266 Le système et son ambiguïté
L'escalade
1. Le 19 étant un dimanche.
2. Voir ci-après, note annexe.
3. Dutot, op. cit., t. II, p. 257-258.
270 Le système et son ambiguïté
Ce sont donc bien des oscillations d'assez faible amplitude autour d'un
pôle. D'où l'invraisemblance de la cote de 1317 retenue par Dutot pour
les souscriptions au 27 novembre. Donnons encore ici pour cette date les
cotes comparatives de Giraudeau.
UN INCIDENT FRANCO-ANGLAIS
Ce qui est certain, c'est que cet épisode marque une nouvelle
escalade dans les hostilités entre Law et Stair. Dans une lettre
du 20 décembre, l'ambassadeur dénonce Law à son Ministre
comme protecteur des jacobites. Il se serait même ouvert à l'abbé
Dubois des inquiétudes qu'il en concevait : « Je me suis plaint
au même temps de la protection que ces messieurs trouvaient auprès
de M. Law, des fréquentes conférences qu'il tenait avec eux et
des allées et des venues de ces gens d'ici en Angleterre et d'Angle-
terre ici 1 . » On admire la perfidie de la rédaction, qui semble
rendre Law responsable des déplacements des jacobites.
En fait les relations que Law entretenait avec les partisans du
Prétendant ne comportaient aucune arrière-pensée politique. Law
l'a affirmé avec force, notamment en recourant au témoignage
de Crawford, et nous n'avons aucune raison de douter de sa sin-
cérité 2 .
1. Inédite en français.
2. Lettre du 20 décembre, P.R.O., S.P. 78-165, n° 537. Dubois n'était d'ail-
leurs point disposé à entrer dans le jeu de Stair. Le 20 octobre, il écrivait lui-même
à l'ambassadeur dans les termes suivants : « Mylord Peterborough a dû être désa-
busé que je fusse mal avec M. Law par le soin que celui-ci a pris de le mener chez
moi d'abord qu'il a été à Paris. Je n'ai pas connaissance que M. Law soit mécon-
tent de moi et je mérite le contraire. Si Lord Peterborough était aussi attaché au
roi votre maître qu'il devrait l'être, il penserait comme V.E.H. et bien loin d'être
fâché des arrangements que S.A.R. fait dans les finances du royaume, il les regar-
derait comme l'effet de l'union de nos deux maîtres et comme un avantage commun »
(défense commune, intérêts inséparables) (S.P. 78-165, n° 362).
3. Il est probable que certaines oscillations se produisaient au cours d'une même
séance, car les tables de Giraudeau ne reflètent pas un semblable zigzag.
4. Correspondance de la marquise de Balleroy, op. cit., t. II, p. 86.
De l'attaque sur la banque à la guerre du solstice 283
LA GUERRE DU SOLSTICE
mais qui en prévoyait la confiscation après cette date (cf. trois arrêts du 19 décembre
concernant Cosnet, E 2011, P 290-291; Garnier, E 2011, P 292-293; Veuve Bar-
bet, E 2011, P 294-295).
1. Correspondance La Closure, op. cit., p. 334-335.
Ces réaliseurs réinvestissant leurs profits parisiens avaient fait monter de deux
tiers le prix des maisons et des domaines, non seulement à Genève mais dans le
pays de Gex et dans le pays de Vaud. « Les étrangers qui ont gagné dans ce commerce
actionnaire de France achètent à toutes sortes de prix sans regarder à l'extrême
perte de change, pour mettre leur grande fortune à couvert » (19 décembre).
2. Ibid., lettre du 30 janvier citée ci-dessous, p. 335.
3. Table de Giraudeau : la cote descend légèrement le 31 à 950.
286 Le système et son ambiguïté
1. Dans les extraits que nous donnons ci-après des chroniques de l'époque, nous
ne ferons pas toujours la distinction entre les faveurs directes du Régent et les avan-
tages que Law procurait à ses protégés de diverses manières, notamment selon
le procédé bien connu qui consistait à leur donner des « tuyaux » ou à agir soi-disant
pour leur compte.
2. Dialogue entre l'Empereur et Eugène Rougon (Son Excellence Eugène
Rougon).
288 Le système et son ambiguïté
1. Mémoires de la Régence.
2. Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 249-250. Les chiffres indiqués comportent
une équivoque, car Law parle de 20 000 000 de bénéfices pour 2 000 000 de sous-
criptions, mais la suite précise bien qu'il fit payer en billets de banque sur le pied
de 1 000 pour 100 de bénéfices, soit 5 000 livres par titre.
3. Ibid., p. 251.
294 Le système et son ambiguïté
1. Saint-Simon, op. cit., t. VI, p. 499. Il semble que l'abbé Dubois, comme Law
lui-même, recherchait l'argent, non pour en tirer un agrément personnel, mais
comme moyen de puissance et instrument de sa politique.
2. Saint-Simon, op. cit., t. VI, p. 626.
3. Ibid., p. 342-344.
La politique de la bonne fée 295
1. Du Hautchamp, op. cit., t. II, p. 6. Les droits abandonnés par l'État repré-
sentaient 1053 000 livres, les droits sur le poisson étaient sous-affermés pour
200 000 livres.
2. Buvat, op. cit., t. I, p. 443.
3. Ibid., p. 447.
4. Ibid., p. 450.
Il s'agit sans doute d'un arrêt du 10 octobre, cité par Levasseur qui ajoute : « Le
succès ne répondit pas aux intentions des financiers; les marchands pour échapper
au droit de 5 livres (qui remplaçait à Paris un ensemble complexe de droits de gros
et de détail) firent venir leurs crus et leurs liqueurs sous des noms supposés.
En 1759, il fallut rétablir aux barrières l'égalité des droits, et dans la ville, la visite
domiciliaire. Tous les marchands et particuliers payèrent désormais 20 et 23 livres
par muid » (Levasseur, op. cit., p. 175 et sq.).
La politique de la bonne fée 297
La puissance et la gloire
I. L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DIVIDENDES ET COMPASSION
1. La Pitié dangereuse.
2. Interview New York Herald Tribune, 22-23 mars 1975.
3. « Tous les ans, les trente directeurs et les principaux actionnaires devaient
arrêter les comptes... Ce fut une belle et étrange réunion. Les directeurs étaient
presque tous d'anciens fermiers généraux, de riches financiers... à côté d'eux sié-
geaient indistinctement, parmi les actionnaires, le duc de Bourbon, le prince de
La puissance et la gloire 303
Assemblée générale
31 décembre {Doctrines monétaires,
et Mémoire justificatif op. cit., p. 1 7 8 )
(Œuvres complètes, t. III, p. 213)
Rentes sur les fermes 48 48 1 48
Tabac 6 4 2,5
Le bureau d'achat
1. Dans le même document, on lit, quelques pages plus loin : « [les actions I
étaient payées 10 000 livres au mois de novembre suivant, quoique pour les empê-
cher de monter la Compagnie en jetât sur la place pour 30 000 000 en une seule
semaine ».
2. Cet aspect du problème n'apparaît pas dans VHistoire des Finances, ce qui
peut s'expliquer par une réticence volontaire de Law (ou par l'insuffisante infor-
mation du rédacteur).
La puissance et la gloire 309
II. LE MINISTÈRE
semblent avoir ignorée, à savoir que Law se considérait lui-même, dans les derniers
temps, comme sujet anglais.
Après une série de longues chicanes et de déplaisantes manœuvres, le cardinal
Fleury fit enfin décider par le Conseil du 12 mars 1735 que le Roi avait clairement
marqué sa volonté de naturaliser John Law en lui confiant l'une des premières
charges de l'État. Cette décisioh ne bénéficia qu'aux enfants de Guillaume qui tou-
chèrent fort tard un héritage réduit à des sommes insignifiantes. Par contre, les
enfants de Law et de Catherine n'avaient droit à rien, en raison de leur bâtardise,
et cela, d'après le mémoire émanant des enfants de Guillaume, dans leur revendi-
cation des biens de leur oncle. « Le suppliant apprend par la propre requête des
tuteurs que le sieur Jean Law a laissé en mourant un fils et une fille, mais que tous
deux par le vice de leur naissance ont été exclus de la succession » (Requête Dufor-
tault).
1. Ch. de Coynart a relevé diverses inexactitudes commises par Saint-Simon dans
ses relations d'un procès où Tencin tenait un rôle peu brillant. Notamment le mémo-
rialiste a désigné comme étant l'avocat de Tencin celui de son adversaire. De
Coynart énonce des distinctions subtiles entre « la confidence et la simonie » (cf.
Coynart, Les Guérin de Tencin, p. 197 et sq.).
2. Ch. de Coynart, op. cit., p. 236 et sq.
312 Le système et son ambiguïté
Fresnaye, elle ne l'était sans doute pas de sa ruine. Elle créa, pen-
dant la grande période du Système, un bureau d'agiotage qu'un
certain Chabert, bourgeois de Paris, exploitait rue Quincampoix
pour le compte d'Alexandrine et de ses associés, parmi lesquels
on note son cousin abbé, son ancien amant Destouches, son frère
président, et un autre parlementaire, le célèbre président
Hénault 1 .
A l'époque que nous évoquons, M m e de Tencin passait pour être
la maîtresse de Dubois, et bien qu'un biographe sensible à sa
séduction posthume ait relevé l'absence de preuves matérielles
quant à la nature exacte de leurs relations, à tout le moins peut-on
considérer qu'il y avait, comme disent les juristes, possession
d'état. Curieuse image, en vérité, que cette chanoinesse aventurière
vivant entre deux hommes, son frère et son amant, l'un et l'autre
promis à la pourpre cardinalice!
Il est certain que le choix de Tencin comme instructeur de Law
fut l'œuvre de l'aJjbé Dubois. Ce fait suffit à démontrer que les rap-
ports entre les deux hommes étaient excellents; ils ne se détério-
rèrent que dans la toute dernière période.
L'abjuration eut lieu le 17 septembre à Melun, en l'église des
Récollets : cette paroisse ayant évidemment été choisie parce
qu'elle était -située dans le diocèse de Sens et parce qu'il avait paru
préférable de procéder avec discrétion. Cependant, soit que le curé
de Saint-Roch ait émis des doutes sur la validité d'une cérémonie
célébrée sans le concours de son ministère, soit pour toute autre
raison, Law dut ensuite venir communier dans cette église et y
rompit le pain bénit en présence cette fois d'une foule de curieux.
Le même jour, qui serait, selon le Journal de la Régence2, le
10 novembre, il donna un grand repas suivi d'un bal. J.P. Wood
place cependant cet épisode au jour de Noël. Law aurait été nommé
chanoine honoraire dans la chambre du duc de Noailles et il aurait
donné 500 000 livres « pour achever la construction de l'édifice 3 ».
On disait aussi qu'il avait fait cadeau à l'abbé de Tencin de
200 000 livres en actions 4 . Enfin, pour être complet, nous men-
tionnerons que, selon le Journal de la Régence, c'est seulement
1. Le capital était de 3 356 000 livres, et Mme de Tencin avait apporté la somme
coquette de 691 000 livres. Fondée le 28 novembre 1719, la société fut dissoute le
28 février 1720, fort à propos et liquidée avec bénéfices (cf. Coynart, op.
cit., p. 184 et sq.).
2. T. I, p. 465. Selon cette chronique il s'agirait bien de l'abjuration et non
d'une communion.
3. Wood, op. cit., p. 69.
4. Buvat, op. cit., t. II, p. 10 et. 74.
La puissance et la gloire 313
onze heures du soir, à minuit, à une, deux, trois, quatre, cinq et six heures du matin.
Il tenait les sceaux à ces différentes heures. Mais qui que ce soit qui fût mandé,
si le sommeil venait, il se couchait pour une ou deux heures » (Thellusson, Notes
sur les Mémoires de la Régence, t. III, p. 8).
1. « ... Law, quoique froid et sage, sentit broncher sa modestie (...) Il visa au
grand (...) et plus que lui, l'abbé Dubois, pour lui, et M. le duc d'Orléans » (Saint-
Simon, op. cit., t. VI, p. 425).
2. On ne voit pas en quoi la dysharmonie qui existait entre Law et d'Argenson
avait pu influer sur les déceptions subies, tant avec l'attaque de la Banque qu'avec
la baisse des cours.
316 Le système et son ambiguïté
1. Buvat, op. cit., t. II, p. 73. En même temps celle de contrôleur général fut
attribuée à M. Fleuriau d'Armenonville.
La puissance et la gloire 317
XXV
1. « Comme la Banque établie dans la rue de Richelieu est fort loin de la rue Quin-
campoix, ceux qui y négociaient, aimaient quelquefois mieux donner le 5 à 6 % de
plus, et n'avoir pas la peine d'aller plus loin. » L'argument de la distance nous
paraît naïf. Nous pensons plutôt à une prime de clandestinité.
2. D'une façon générale, il est difficile d'exploiter les informations sporadiques
données par Buvat sur les marchés des titres, car cet auteur peu compétent confond
les actions et les souscriptions et sans doute le comptant et la prime. Comme nous
disposons d'un document sérieux avec les tables de Giraudeau, nous n'entrerons
pas dans le détail. Nous avons constaté que, compte tenu de notre interprétation,
les indications se recoupent à de faibles écarts près. Ce sont les indications de
Buvat pour le 5 janvier qui ont conduit l'excellent historien Levasseur à une évalua-
tion gravement erronée, à partir de laquelle il a adopté la fable des cours verti-
gineux (cf. supra, p. 234).
3. Œuvres complètes, t. III, p. 270.
Stratégie tâtonnante, inflation atypique 321
Quoi qu'il en soit, c'est à la fois pour déjouer les manœuvres des
vendeurs étrangers et pour faire apparaître clairement sa déter-
mination de « bloquer » les cours que Law inventa un nouveau type
de titres, appelés les primes (ou parfois les « polices ») de la Compa-
gnie des Indes.
« Je leur ai dit (aux particuliers) que j'arrêterai le prix à 1 800
(9 500) 1 et pour les convaincre que c'était mon intention, je pro-
posai à la Compagnie de recevoir 1 000 livres en prime pour s'obli-
ger à fournir les actions à 10 000. »
Dès le 9 janvier, Pulteney rend compte succinctement à Craggs de
cette nouvelle « émission » : « La Compagnie a apposé aujourd'hui
une affiche déclarant que, moyennant une prime de 10 %, on vendra
des actions à n'importe quel moment pendant six mois à 1 100
(sic). Avant (cette annonce) plusieurs marchés privés ont eu lieu
récemment pour finir en mars à 1 200 et 1 400 (sic). » Il faut lire
bien évidemment 1 1 0 0 0 , 12 000, 14 000 2 .
Si étrange que cela nous paraisse aujourd'hui, les primes s'en-
levèrent comme des petits pains. « On y court avec une si grande
affluence, écrit le président Dugas, qu'on est, à chaque instant, dans
la crainte d'y voir arriver la scène tragique du Pont du Rhône »
(12 janvier). Et de fait, le drame n'est pas loin! « On courait le
risque de la vie en allant à la Banque et un homme de considéra-
tion y eut l'autre jour un œil emporté hors de la tête » (14 janvier) 3 .
Law précise dans son mémoire que les commis ne parvenaient pas
à écrire toutes les primes et qu'on fut obligé de les imprimer. Il y
en eut pour 300 000, soit une recette de 300 millions acquis à la
Compagnie, et, si elles avaient été levées, il y en aurait eu pour
trois milliards!
On se demande ce qui pouvait inciter les actionnaires à croire
que la souscription de ces primes était une bonne affaire. Lord
Islay en donne l'explication ingénue : le gouvernement ne peut
manquer de comprendre qu'il est de son intérêt de faire que per-
1. Le 19 janvier, nouvelle lettre, cette fois plus explicite. L'auteur rectifie l'erreur
qu'il a commise en parlant de 11 0 0 0 avec une prime de 10 %, ce qui ferait 12 100.
« tl s'agit bien de 1 100 (réédition curieuse de l'erreur initiale puisqu'il s'agit cer-
tainement de 11 000). » Si l'on reçoit la cinquième partie de la valeur originale de
chaque action par voie de prime, il s'agit donc bien de 20 % de 5 0 0 0 livres — valeur
originale des actions... nouvelles, donc de 1 0 0 0 livres qui font d'ailleurs très exac-
tement la différence entre 11 0 0 0 et 10 000. Mais pourquoi diable ces Anglais, qui
sont réputés experts en chiffres, n'écrivent-ils pas plus clairement?
2. En réincorporant le nominal initial. S.P. 78-166, n° 110.
3. Op. cit., p. 144. Sans doute l'accident aurait-il paru moins grave s'il s'était
agi d'un homme sans considération...
322 Le système et son ambiguïté
sonne n'ait perdu en acceptant ses offres, il se débrouillera pour
que tout le monde soit content 1 !
Le comble de l'absurde c'est que les acheteurs de primes, pour
se procurer les fonds nécessaires, vendaient des actions, et fai-
saient ainsi baisser les cours d'un titre dont ils jouaient la hausse!
« Chacun veut avoir de ces primes et pour avoir de l'argent, chacun
veut vendre ses actions », explique le président Dugas, qui pense,
non sans logique, que tel était le dessein de Law. « On est persuadé
que, quand les primes seront remplies et que la Banque sera fermée
à cet égard, les actions reprendront leurs cours et augmenteront
considérablement. »
Ainsi l'on vit, dans le même temps, monter les primes (à 60 %
selon Dugas et jusqu'à 100 % selon Pulteney) et baisser les
actions (de 1900 à 1750 selon Lord Islay 2 ). Cependant dès le 14 jan-
vier : « Ces polices sont tombées, écrit le président Dugas, et on
m'a dit aujourd'hui qu'elles perdaient au lieu de gagner, et la
Banque, qui en faisait la renchérie, en est maintenant prodigue 3 . »
Il est cependant difficile de comprendre comment les primes elles-
mêmes... avaient fait prime alors que la Banque en imprimait jus-
qu'à 300 000... ou plutôt ce n'est pas difficile si l'on suppose que
Law jouait une fois de plus à la bonne fée et qu'il avait profité de
cette combinaison pour enrichir encore son petit clan.
Naturellement, personne ne leva les primes et Law, comme le
remarque Pulteney, était parfaitement en droit de garder les
300 millions, mais ce n'était pas dans son style et cela aurait sans
doute par trop desservi sa propagande; ainsi liquida-t-il l'affaire
par la suite en remettant en contrepartie des primes déchues des
dixièmes d'actions. « Je n'ai pas en vue de faire profiter la Compa-
jnie par les pertes du public mais de faire profiter le public par
Se succès des opérations de la Compagnie. »
Par la suite, Law décida de se débarrasser — le plus simplement
du monde — des problèmes que lui posait l'agiotage sur les primes :
il suffisait de supprimer ce genre de spéculations, qu'il avait
été le premier à pratiquer. Ainsi fut-il décidé par un arrêt du
11 février, qu'il fallut d'ailleurs compléter par un second arrêt du
20 février, destiné à éviter les fraudes par antidate : il fut alors
1. « Je suis d'opinion qu'il fera en sorte qu'il en soit ainsi » (Lord Islay à
M m e Howard, Paris, 16 janvier 1720). Cette lettre se réfère à une visite à Paris de
Lord Bellaven, qui était le gentilhomme de la chambre du prince de Galles (Suf-
folk Letters, p. 45-47, cité par Wood., op. cit., p. 78).
2. Cf. ci-après, p. 340.
3. En fait elles ne perdaient pas. Les tableaux de Ciraudeau portent une
première cotation de prime le 12 à 52 % de bénéfice, et n'indiquent rien jusqu'au
16 janvier où elle descend à 6 %, pour se fixer à 2 ou 3 %.
Stratégie tâtonnante, inflation atypique 323
Les confiscations
Politique monétaire
1. La Compagnie fit valoir ce droit sans mollesse : « MM. du Bureau des traites
font fouiller jusque dans les poches des Anglais et autres qui débarquent ici venant
d'Angleterre et leur ôtent le dixième des guinées ou autres espèces étrangères qu'ils
apportent en France» (Molé à Le Blanc, Calais, 16 février 1720, Arch. Guerre,
A 2584).
2. Levasseur, op. cit., p. 205.
3. Buvat, op. cit., t. II, p. 12.
4. « On a subitement révoqué cette permission de cinq semaines afin que ceux
qui n'étaient pas du secret et ne feraient pas assez promptement sortir leurs espèces
du royaume, en le révoquant d'un coup, on pût arrêter au passage et confisquer leur
réserve » (cité par E. Levasseur, Revue d'histoire économique et sociale, 1908,
p. 337).
5. Ms. Douai, p. 321.
328 Le système et son ambiguïté
En fait, l'arrêt fut révoqué avant d'être largement connu : il
semble en effet que l'on ne s'était pas pressé de le faire diffuser
mais il faut bien reconnaître que de tels retards étaient fréquents
Nous en venons ainsi à l'arrêt du 28 janvier dont l'objet exprès
est d'obvier au « resserrement » des espèces. A cet effet, il ordonne
des diminutions sur toutes les monnaies antérieures à celles pres-
crites par l'arrêt de décembre 1718. Le louis de 25 passe à
34 livres et l'écu de 10 à 5 1. 13 s. 6 d. 2 .
Cette disposition comportait une « combine » : un sursis de trois
jours qui permettait, jusqu'au l.er février, de rapporter les pièces
aux Monnaies à l'ancien cours, ou de les remettre à la Banque
contre des billets à 36 livres plutôt que de se retrouver le 2 février
avec des louis à 34.
Le même arrêt « ordonne que les billets de banque auront cours
dans toute l'étendue du royaume ». La portée de cette disposition
est très limitée. Le cours forcé résultait, d'ores et déjà, de l'arrêt
du 21 décembre qui interdisait les paiements en espèces au-delà
de 300 livres et de 10 livres. Cependant, si cette mesure était appli-
cable immédiatement à Paris, elle ne l'était qu'au 1 e r mars et au
1 e r avril, respectivement dans les villes pourvues d'un hôtel des
Monnaies et dans les autres villes et lieux. Les chicaniers pou-
vaient donc soutenir — s'ils se trouvaient hors de Paris 3 — qu'on
ne pouvait les forcer à recevoir des billets en paiement avant ces
échéances. L'arrêt du 28 janvier ordonne le cours forcé immédiat
et met donc un terme à toute discussion selon les lieux et les dates 4 .
1. « J'ai cru devoir prendre sur moi de faire publier cet arrêt et d'en envoyer des
exemplaires dans toutes les autres villes et lieux de mon département, pour faire
cesser ce trouble dans le commerce quoique j e ne l'eusse point encore reçu de votre
p a r t » (Lettre de Bernage, intendant du Languedoc, 30 janvier 1720, G' 324).
2. Louis de 20 42 1 10 s
- - 30 28 1 6 s 8 d
- 36 1/4 23 1 9 s
Écu de 8 7 1 1s8d
- - 9 6 1 6s
3. Un arrêt du 2 février déclare bonnes et valables des offres faites, en billets de
banque, par une dame Le Ragois de Bretonvilliers. veuve de Malon de Bercy, à
M m e Laisné, veuve de M. de Pomereu, en s'appuyant directement sur les arrêts du
1 e r et du 21 décembre, sans aucune allusion à l'arrêt du 28 janvier (Arch. nat..
E 2016, P 238-241).
4. Ce moyen a été soulevé dans un litige entre deux marchands de Rouen, Nico-
las Le Duc et Burlande, au sujet d'une lettre de change payable le 1 er février et il
a été rejeté par un arrêt du Conseil du 26 avril 1720. « Dans l'intervalle de cette
lettre, l'arrêt du 28 janvier a été publié et ordonne que nonobstant ce qui est porté
par celui du 21 décembre, etc., les billets de banque auront cours dans toutes les
villes du royaume du jour delà publication de cet arrêt. »
Stratégie tâtonnante, inflation atypique 329
1. E 2016, P 208-209.
330 Le système et son ambiguïté
1. Précision confirmée par le tarif (G 7 1472), qui indique également que ces
mesures étaient applicables le 20 février, ce qui ne figure pas dans le texte.
2. Notre méthode d'exposition nous a conduit à évoquer ci-dessus la prohibition
des matières précieuses (cf. p. 324).
3. Dès le 19 janvier, Pulteney écrivait : « J'ai appris que l'on avait débattu en
Conseil (une décision) selon laquelle nul ne pourrait détenir dans sa maison des
monnaies (d'espèces) au-dessus d'un montant à déterminer, sous peine d'être envoyé
aux galères, meus il fut décidé que la peine serait seulement la confiscation des
espèces. Un arrêt sera publié prochainement à ce sujet. »
4. 28 janvier 1720. Correspondance de la marquise de Balleroy, op. cit., t. II.
p. 109.
5. Une scène analogue nous sera présentée (mais à tort) par certains chroni-
queurs comme ayant eu lieu lors de l'émeute de la rue Vivienne: peut-être y a-t-il
Stratégie tâtonnante, inflation atypique 331
Le 29 janvier
a u'il n'y a que perte. Une défiance mal fondée de la banque fait ce
ésordre 2 . »
Selon les comptes de Dutot pour les 20 premiers jours de janvier,
le change baisse, sur Amsterdam, de 45,75 à 42,50, et sur
Conséquences internes
1. Il semble avoir subi une baisse un peu plus forte au cours des trois premières
semaines de février, mais Dutot ne s'explique pas clairement là-dessus.
2. Bien entendu, ce terme n'est pas employé à l'époque.
Stratégie tâtonnante, inflation atypique 337
]. Étude de Guy Thuillier sur le Nivernais. Ces indications données pour le Niver-
nais sont confirmées par des sondages émanant d'autres régions. A Perpignan,
« c ' e s t le 16 janvier 1720, note M. Rosset, que figure pour la première fois la
mention de paiement de " tant de livres en espèces " , alors que jusqu'à cette date,
il n'était précisé que " tant de livres ". A partir de mars 1720, on trouve des paie-
ments en billets avec indication des numéros de ceux-ci ».
A Albi, « nous avons trouvé, indique M. Greslé-Bounhiol, entre le 27 mars et le
27 juillet, des mentions marginales donnant çà et là l'indication des numéros des
billets de banque reçus en paiement des droits de contrôle... Dans le registre anté-
rieur au 23 mars figurent en marge des mentions relatives à la publication des
variations de la valeur des espèces ».
340 Le système et son ambiguïté
ACTIONS SOUSCRIPTIONS
Dates
Prix Prix Prix Prix
d'achat de vente d'achat de vente
Nous ne devons pas nous attendre à une forte hausse des prix, du moins
sous la forme d'un phénomène généralisé. En effet, si l'on considère les
espèces, on en manque. Et si l'on considère les billets, ils ne sont acceptés
que dans certaines transactions : opérations immobilières, objets pré-
cieux, apurement de dettes, etc.
En ce qui concerne les produits de consommation courante, la hausse
est un phénomène parisien, explicable en partie par des circonstances
variées, par l'afflux d'habitants occasionnels, les bénéfices de la rue Quin-
campoix, une certaine hausse des revenus. En province, nous verrons
que la hausse des prix apparaît, un peu plus tard, avec l'augmentation
des espèces, et non pas avec les émissions de billets.
Le Parlement se saisit du problème des prix le 16 janvier, lui consacra
plusieurs audiences consécutives et reprit son enquête le 7 février. Il fit
comparaître devant lui les officiers du palais et les prévôts des marchands.
Les notes relatives à ces séances sont empreintes de modération. On
impute les hausses constatées à l'état des rivières et à la sécheresse, etc.
mais la politique monétaire n'est pas mise en cause. Les officiers justi-
fièrent les mesures qu'ils avaient prises et celles qu'ils comptaient prendre
et la Cour leur discerna un satisfecit1.
Buvat signale les augmentations de certains produits, la voie de bois
(mais la difficulté de l'approvisionnement s'explique par le gel des canaux),
la hausse des chandelles (imputée à la sécheresse : les bestiaux ne sont
pas assez gras). La botte de poireaux se vend depuis trois mois 100 sols
au lieu de 12 ou 15 sols les années précédentes. Le 12 février, on bloque
le prix des voitures de louage à 30 sols par heure : les prix augmentent
en raison de la cherté de l'avoine et du foin 2 .
pas perdre de temps, afin de faire cesser cette affreuse dépense-là. » Correspon-
dance de la marquise de Balleroy, op. cit., t. II, p. 105. La même lettre signale la
pénurie de domestiques.
1. Buvat, op. cit., t. II, p. 25.
XXVIII
L'ASSEMBLÉE DU 22 FÉVRIER
Le Trésor du Roi
1. 28 février.
2. La personne dont parle J. Vercour, un banquier du nom de Dornier, a acheté
apparemment dans le jour précédant l'assemblée huit actions à 919 et 400 qui est
la prime de quatre paiements (c'est la méthode comptable employée par Stair),
soit 4 595 + 2 000 = 6 595. Étant donné que ces titres doivent encore 3 0 0 0 , le
coût total est donc 9 595 : or l'acheteur espère encore gagner par rapport à ce
taux.
3. Cela ne signifie pas nécessairement une action concertée, mais la coïncidence
démontre une tension assez générale.
350 Le système et son ambiguïté
ceux qui venaient demander les paiements des récépissés du direc-
teur que de ceux qui voulaient être également payés de leurs billets
de banque, qu'ils remplirent toutes les cours de la Monnaie et
forcèrent les portes d'un des bureaux dans lequel était la femme du
directeur avec un commis qui payait les récépissés; ceux qui vou-
laient être payés des billets de banque firent du bruit, prétendant
être payés sinon qu'ils allaient se payer eux-mêmes et poussèrent
la femme du directeur jusque contre la cheminée. » Le directeur
demanda des soldats, un commandant vint avec deux hommes,
mais dut en faire chercher quatre autres en renfort, « avec lesquels
on fit retirer le monde; on entendit dans la mêlée une voix qui dit
que si on ne payait pas dans quinze jours on verrait beau jeu ».
La Monnaie disposait en fait de cent marcs de louis d'or apportés
par les particuliers, sur récépissés, mais le directeur avait reçu
l'ordre de les envoyer à Paris.
« On paiera demain, conclut de Gasville, ce qui aura été monnayé
aujourd'hui, mais on mettra des gardes aux entrées de la Mon-
naie »
Les indications de Stair, quant à la nouvelle course sur la Banque,
sont corroborées par Dutot qui en donne les chiffres (pour Paris) :
les sorties d'argent pour les journées des 23, 26, 27, 28 et
29 février s'éleverent, au total, à 9 000 200 livres (la ventilation
par journée n'est pas indiquée).
1. Le louis de 20 au marc 45 1
30 30
36 1/4 24.12
Écu de 8 7 110
9 6 113.40
Pièce de 30 deniers 10 s
sols marqués 2 sols
sol de billon 1 sol 1.4
E 2016, P 424 non reproduit par Du Hautchamp.
2. 29 février : « L'arrêt a produit un effet merveilleux sur la place et a rétabli
d'un coup la confiance qui commençait à s'altérer. Les billets de banque qui per-
daient 4 ou 5% sont venus dans le moment au pair et il ne faut pas douter que les
caisses ne soient bientôt remplies. » L'intendant se félicite aussi de la suppression
des 5 %. Le 2 mars, il donne de nouvelles précisions sur le rétablissement des
affaires : il a fait acquitter « en espèces au nouveau cours les billets qui regardaient
les troupes, le9 manufactures, les ouvrages publics, les salpêtriers et ceux des mar-
chands pour leur procurer de quoi payer 20 000 ouvriers qui vivent au jour la jour-
née ». On peut sans doute apercevoir quelque naïveté chez Legendre quand il s'émer-
veille de voir monter au pair des billets qu'il échange lui-même contre des écus
augmentés à 6 livres, mais la constatation suivante mérite d'être soulignée : « La
banque a plus gagné par les billets qu'elle a distribués que perdu sur ceux qu'elle
a acquittés en espèces. » Il mentionne cependant aussi qu'il avait dû prendre
des mesures (on ignore lesquelles) en présence de la manœuvre « de dix ou douze
particuliers [qui] avaient enlevé tout l'argent de la banque pour discréditer les
billets » afin de les racheter ensuite à perte « et être en état de donner par là la loi
aux commerçants ». Las! Il fallut vite déchanter. Dès le lendemain 3 mars
Legendre faisait connaître le renversement de la conjoncture. Un peu plus tard, il
explique que, d'après son enquête, tout le mal avait été causé par certaines lettres
352 Le système et son ambiguïté
Quant à la proscription, elle fait l'objet d'un arrêt du 27 février
qui interdit à toute personne, de quelque état ou condition qu'elle
puisse être, « même aucune communauté ecclésiastique » de garder
plus de 500 livres en espèces, à peine de confiscation et amende.
C'est une escalade par rapport aux mesures de fin décembre.
Celles-ci ne comportaient qu'interdiction de faire des paiements
au-dessus de 500 livres (somme ramenée par l'Assemblée générale
à 100 livres). Mais cette fois il s'agit de la détention elle-même.
L'interdiction s'étend à toutes les matières d'or et d'argent. Les
agents de la Compagnie auront le droit de visite et, disposition
redoutable autant que scandaleuse, la confiscation sera ordonnée
en entier au profit des dénonciateurs.
L'arrêt reprend en outre la décision de l'Assemblée générale,
selon laquelle aucun paiement ne pourra être fait autrement qu'en
billets pour toute somme supérieure à 100 livres, cette fois sous
peine d'amende.
« Vous pouvez croire, commente Stair, que cet arrêt augmenta
la terreur et la consternation du public, d'autant plus que l'arrêt
rendu en conséquence de l'Assemblée générale... flattait le public
qu'on allait suivre des mesures plus douces et plus modérées. Mais
il paraît que M. Law qui a été très mécontent de la modération de
cet arrêt a su profiter " du cours " qu'on faisait sur la banque
pour faire reprendre avec le public les moyens d'autorité que le
duc d'Orléans avait paru disposé d'abandonner 1 . »
L'historiographe de Law, tout en regrettant le caractère peu
libéral de cette décision (« la liberté y était très offensée et elle
n'avait jusqu'à ce jour reçu aucune atteinte aussi sensible »), lui
donne la double excuse de la nécessité et de l'efficacité. <r Les paie-
ments étaient cessés et il ne restait que cette ressource pour les
soutenir 2. » Cette constatation correspond en effet aux indications
de Dutot sur les retraits et à la situation décrite pour la province
par un certain nombre d'intendants, situation qui se prolongea
jusque dans les premiers jours de mars 3 .
des vins, du blé, de l'avoine aimaient mieux les garder que de recevoir du papier. »
Plus tard,le même chroniqueur signale des décotes de 18, 26 et 28 livres pour 100
sur les billets (Journal de la Régence, t. II, p. 35 et 36), mais on ne peut lui
faire entière confiance. Dutot, tout en soulignant la nécessité, s'affirme très cri-
tique : « Le crédit ennemi de toute contrainte... reçoit par cet arrêt contraire à ses
principes une atteinte irréparable. Cet arrêt appelle la force et l'autorité au secours
de l'art qui avait si bien réussi et cet appel annonce l'impuissance où l'on était de
payer les billets » (ms. Douai, p. 354).
1. Poulletier, intendant de Lyon, le 21 février 1720 : « Cette perte ne subsistera
vraisemblablement que jusqu'à la fin du présent mois » (Arch. nat. G7 24, n° 62).
2. Ce chiffre, supérieur à celui de Buvat (18), nous est fourni par une lettre ulté-
rieure qui énonce : « Nous courons risque de voir revenir le temps que les billets de
banque perdaient, comme vous savez, Monsieur, vingt à vingt-cinq pour cent »
(Meliand, intendant des Flandres, 27 avril, G7 266-268).
3. Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 363.
4. Dutot, op. cit., t. I, p. 84.
354 Le système et son ambiguïté
5 MARS
Augmentation (substantielle).
Retour à la garantie des titres.
Les augmentations
impôts qui ne comportaient pas les 4 sols par livre (taille, capita-
tion, etc.).
Cette formidable augmentation des espèces était de nature à
apaiser les craintes des particuliers et à abolir leurs réticences,
telles que les décrivait l'intendant de Tours. Mais elle va prendre
surtout un relief singulier avec la décision qui va suivre le 11 mars
et dont l'objet est d'abolir, par une série de dévaluations succes-
sives et rapides, le métal que l'on vient précisément de réévaluer.
1. « L'État perdrait plus de quatre fois plus de valeurs en perdant l'action qu'en
perdant le billet et (...) le bien de l'État demandait que l'on donnât la préférence
à l'action, ce qui prouve que cette opération qui a été regardée comme une folie
inexcusable, paraît tout autre à ceux qui en examinent l'objet et les motifs. Ainsi,
soit par ce motif équitable, soit par le désir extrême que l'auteur du Système avait
de rétablir promptement les affaires de l'État par l'extinction totale des dettes, soit
enfin si on le veut par tendresse et par reconnaissance pour les actionnaires qui par
la confiance qu'ils avaient eue en ses opérations avaient opéré tous ses succès, il
se détermina à conserver l'action et à sacrifier le billet et ce fut pour en soutenir
le prix qu'il les fit vendre et acheter à bureau ouvert sur le pied de 9 000 livres
chacune » (ms. Douai, p. 373-374).
Le cap des tempêtes 357
LA DECLARATION DU 11 MARS
1. « Vous pouvez compter, écrit-il le 28 janvier, que cela, joint au bureau que l'on
établit, va faire remonter les billets de la Banque et, par une liaison nécessaire, les
soumissions » (Correspondance, op. cit., t. II, p. 109).
2. Œuvres complètes, t. III, p. 225.
358 Le système et son ambiguïté
L'idée essentielle demeure la distinction entre l'or et l'argent,
que nous avons déjà mentionnée dès le début du pré-Système. Il
ne s'agit pas seulement de la stratégie qui s'efforce à diviser les
adversaires ou de la méthode qui consiste à sérier les difficultés.
Law va plus loin et voit plus loin et sans doute, dans son dernier
schéma, s'est-il inspiré des leçons de l'expérience récente.
Désormais c'est l'or seulement qui doit faire l'objet d'une élimi-
nation totale en tant que monnaie. En dehors de son préjugé hos-
tile à l'encontre du fabuleux métal, Law dispose d'arguments
raisonnables pour justifier sa position. L'or est cher, il faut l'ache-
ter à l'étranger, ce qui est préjudiciable à la balance des comptes.
Sa démonétisation 1 sera accomplie en trois temps par trois
diminutions successives. La première d'un huitième et pour Paris
seulement. La seconde, pour la France entière à des tarifs variés
selon les catégories de pièces et à 900 livres le marc à l'hôtel des
Monnaies. Dès le 1 e r mai, aucune espèce d'or n'aura plus cours.
On le recevra encore aux Monnaies pour 750 livres le marc;
mais seulement jusqu'au 1 e r juin. A partir de cette dernière date,
la fonction monétaire de l'or sera donc abolie.
Pour ce qui concerné l'argent, la déclaration consacre un sys-
tème analogue de monnaie fondante, mais sur un temps plus long,
avec des diminutions plus espacées — du 1 e r avril au 1 e r décembre
— et qui ne vont pas jusqu'au niveau zéro.
A la fin du parcours une certaine sorte de monnaie d'argent doit
demeurer en usage; il s'agit des petites pièces, le sixième d'écu et
la livre d'argent — l'une et l'autre étant abaissées à 10 sols — et
le douzième d'écu à 5 sols.
Law s'était accommodé de l'idée de conserver la monnaie d'ar-
gent qui pouvait être utilisée dans les paiements courants où il
était difficile de lui substituer la monnaie de papier qui aurait
d'ailleurs exi^é la fabrication de coupures d'une livre et d'une
demi-livre. C'était d'autre part une manière de rassurer beaucoup
de personnes surtout parmi les petites gens qui auraient subi un
véritable traumatisme psychique si elles avaient dû s'arracher à
l'habitude de posséder quelques pièces de métal.
Deux mesures confirment cette orientation vers un mono-
métallisme de complément. D'une part, le tableau des diminutions
fixe les correspondances des valeurs entre l'or et l'argent d'une
façon qui avantage le métal blanc 2 . Ainsi les usagers seraient
incités à se détacher de l'or et surtout Law se réservait la possibi-
lité de se procurer aisément de l'argent dans les pays étrangers
1. Désignés seulement comme « les autres espèces qui seront par nous inces-
samment ordonnées ».
Le cap des tempêtes 361
Les changes
Les allégations de Dutot trouvent leur origine dans les indications que
Law a lui-même données dans son Mémoire justificatif. Law n'a jamais
rejeté en bloc la paternité de l'arrêt du 5 mars; mais il a désavoué une
formule contenue dans le paragraphe IX de ce texte, exactement un
attendu conçu dans les termes suivants :
« Attendu que le billet de banque est une monnaie qui n'est sujette à
aucune variation. »
Il laisse entendre, sans trop de précision, que cette proposition inci-
dente aurait été introduite soit contre son gré soit à son insu, et qu'en
tout cas il en a été donné par la suite une interprétation qu'il n'aurait
jamais acceptée.
« Il y a des personnes qui disent... que par l'arrêt du 5 mars 1720 qui
fixa le prix des actions, le roi déclara les billets une monnaie invariable
et par cette qualité préférable aux espèces d'or et d'argent. Je ferai voir
(...) que l'article mentionné dans l'arrêt du 5 mars n'est pas de M. Law,
étant entièrement opposé à ses principes et insoutenable dans son
exécution. »
Et plus loin : « ...à l'égard de l'article qui promettait que les billets de
banque seraient invariables, je dis qu'il n était point de M. Law 1 .»
Ce texte fut en effet invoqué au cours des discussions relatives à l'arrêt
du 21 mai et on en tira argument pour contraindre Law à retirer cette
décision qui, en effet, enfreignait la règle (supposée) de l'invariabilité de
la valeur du billet. D'où son mécontentement et ses protestations. Il laisse
également entendre, toujours sans trop de clarté, que s'il avait porté
attention à ce texte, ou s'il avait pu deviner le parti que l'on en tirerait
contre lui par la suite, il aurait préféré renoncer à ouvrir le bureau de
conversion. Il pouvait en effet s'arranger autrement :
« Jusqu'à l'arrêt du 5 mars, lisons-nous encore (...) M. Law n'était
pas garant du prix des actions. En soutenant le crédit de la Banque et
en donnant aux actions les dividendes (...) il conservait son crédit et son
Système. Il avait obtenu son premier objet qui était l'arrangement des
affaires du Roi... [ici il récapitule les résultats]. Le prix des actions aurait
avait été soumis au Régent deux mois à l'avance. Il y a d'ailleurs tout lieu
de penser que Law, qui avait pris le 22 février le risque de « décrocher »
l'action, n'aurait pas pris le risque de la « raccrocher » s'il n'avait pas
eu dans l'esprit quelque combinaison pour lui permettre de sortir de
l'impasse.
Le pamphlet de 1721
Interlude
La campagne du « Mercure »
De l'étatisme au bellicisme
1. Cette lettre est datée du jour même de la déclaration royale annonçant la démo-
nétisation de l'or (mais la lettre n'y fait point allusion). Il nous est difficile de savoir
quel fut le succès de cette propagande, qui était une expérience nouvelle. Selon Du
Hautchamp, la première lettre aurait été bien accueillie et la seconde fort mal :
cependant les résultats concrets sont en sens inverse de cette indication : mauvais
en février, favorables en mars. Ils n'ont probablement qu'un faible rapport avec
les écrits du Mercure.
Interlude 367
La crise de Gibraltar
1. Attribué à Arthur Meyer, directeur du Gaulois, qui, au cours d'un duel, avait
pris par la main l'épée de son adversaire.
2. Stair, 22 février 1720, The Stair Annals, t. II, p. 146.
368 Le système et son ambiguïté
qui n'en était pas à une astuce près, ait lui-même déformé la posi-
tion de Law et gonflé son rôle pour en faire un épouvantail à
l'usage des Anglais et les pousser à la transaction. Nous avons en
tout cas la certitude que Dubois avait pris parti pour Law et contre
Stair dans l'arbitrage que lui avait demandé Stanhope.
Dans une lettre du 24 février, Dubois indique d'ailleurs à son
agent de Londres que Law est « fort irrité contre la cour de
Londres ». Il pense que l'une des principales sources de l'animosité
de Law est la présence de Stair à Paris. « Il serait très utile de les
séparer, il serait capital de calmer M. Law »
La sagesse de Stanhope.
La grande remontée
Du 11 mars aux premiers jours d'avril
1. Le 14 mars, selon Buvat, la Compagnie des Indes manda les supérieurs et pro-
cureurs des communautés religieuses afin de leur faire déclarer leurs espèces, « à
quoi les jacobins de la rue St-Dominique et les religieux de la Charité du faubourg
Saint-Germain se crurent obligés de satisfaire ». La brièveté de cette énumération
donne à penser. Des commissaires perquisitionnèrent chez les curés et saisirent des
louis que ceux-ci déclarèrent avoir gardés pour les aumônes; on leur répliqua qu'ils
n'avaient qu'à les distribuer avec plus de diligence. On n'épargna pas les couvents,
« à quoi moines et curés ne s'attendaient nullement ». On signale également des
confiscations d'ouvrages d'or chez Langlois, orfèvre, chez Gavot, joaillier (sur
protection de la princesse de Modène ils furent dispensés de l'amende). Un parti-
culier de la rue Saint-Jacques ayant eu l'imprudence de se vanter qu'il avait pour
soixante mille livres d'espèces d'or et d'argent, fut dénoncé mais peu de jours après,
le délateur se trouva assassiné. Selon Du Hautchamp on procéda à des confisca-
tions chez le sieur Pasquier, lieutenant particulier au Châtelet (500 000 livres).
Selon Buvat, chez un notaire, Dupuis (on y trouva 1 200 livres!), chez un direc-
teur de la Compagnie, Adine (800 louis d'or), chez un Italien, André, ancien chef de
gobelet, etc. (Buvat, op. cit., t. II, p. 51).
Nous avons pu consulter l'arrêt de confiscation de Adine, qui précise « que sa qua-
lité de directeur de la Compagnie rend sa conduite encore plus blâmable », ainsi que
celui d'un « sieur May, qui fut pris en dehors de son domicile : on trouva deux sacs
d'argent dans ses culottes, attachés à une ceinture de cuir ». Nous n'avons trouvé
aucune décision relative à une communauté ou à une personne d'Église.
2. L'intendant d'Argenson eut ainsi à statuer sur le cas d'un homme à cheval,
porteur d'une valise, contenant 2 0 0 0 livres sous forme de 200 écus d'argent, et qui
avait été arrêté à la porte de Cambrai. C'était un commerçant de Beauvais, Motte,
apparemment pourvu de références; il prétendait que son dessein était de remettre
ces espèces à la Monnaie de Lille, bien qu'il n'eût pas pris le plus court chemin pour
s'y rendre; et il excipait de l'article I e r de la déclaration du 11 mars, qui prévoit en
effet que les espèces ne pouvaient être saisies ni confisquées en chemin. D'Argen-
La grande remontée 375
Un succès indiscutable...
1. G1 324.
2. G7 324.
3. G7 482.
4. Le brouillon de la réponse (en date du 10 avril) donne tort aux échevins, qui
avaient décidé de faire fournir 4 livres à chaque famille au prix ancien de 4 sols :
« Ils auraient mieux fait de permettre aux fermiers de leur boucherie de porter
le prix de la viande jusqu'à 6 sols la livre, en laissant la liberté à chaque famille d'en
prendre la quantité dont elle aurait besoin. » Préférence donnée à la vérité des prix
sur le rationnement : c'est dans laligne de pensée du « bon Law » (G7 2 4 , n ° 2 6 3 ) .
5. G 7 385-389.
6. G 7 76-78.
La grande remontée 383
1. Précisons qu'il ne pouvait s'agir de billets à remettre contre des rachats d'ac-
tion, car ces opérations ne se traitaient qu'à Paris.
2. Nous notons d'autre part, à la fin du chapitre xxxi, que les changes s'étaient
stabilisés à la fin du mois de mars.' Dutot, utilisant son mode compliqué d'éva-
luation, fait apparaître une importante résorption des « désavantages » qui après
avoir atteint le creux de - 1 5 , 7 8 et de - 1 2 , 6 2 entre le 6 et le 20, se fixerait à -3,66
(Pays-Bas) et à -5,89 (Angleterre) entre le 20 et le 31 mars (ms. Douai, p. 400,
440).
386 Le système et son ambiguïté
afin d'éviter la confusion, on fit afficher que cette conversion se
ferait par ordre de numéros en 20 jours, suivant la décision que
l'on en publia alors; le Bureau de l'achat fut d'abord le seul fré-
quenté, on s'y portait avec affluence. Tout le monde achetait et
personne ne se présentait pour vendre. Cette fureur dura quelques
jours. Le public passa tout d'un coup du bureau où il achetait des
actions à celui où il vendait les siennes, qu'il apporta avec si grand
empressement que le Roi de son propre mouvement, par 1 arrêt
de son conseil du 26 de ce mois, ordonna qu'il serait fait pour
300 millions de billets de banque. »
Et Dutot d'ajouter ce commentaire sentencieux, bien dans sa
manière :
« Cette augmentation des billets qui part de la propre volonté du
Roi est contraire aux articles 2 de la délibération de l'Assemblée
générale du 22 février dernier et de l'arrêt du Conseil du 24 du
même mois. C'est une preuve que Sa Majesté avait changé de senti-
ment sur l'exécution de cette délibération et de cet arrêt 1 . »
Sans doute, une partie de cette émission pouvait être compensée
par les rentrées d'espèces que nous avons signalées, mais celles-ci
ne dépassaient pas une centaine de millions; et voici que le 5 avril,
il fallait procéder à une nouvelle émission (irrégulière) pour
396 000 000, le tout en billets de 10 000! Il est hors de doute que,
pour leur majeure partie, ces nouveaux billets sont destinés à
ravaler les actions, et qu'ainsi ils vont nécessairement dévaloriser
cette monnaie fiduciaire que, par l'autre branche de sa politique,
Law parvient à revaloriser.
Décidément, le train fou avance en même temps que le train sage.
On peut même dire qu'il marche plus vite.
] . Ms. Douai p. 389-390. L'arrêt du 26. mentionné par le texte, est sans doute
l'un des arrêts rendus «sous la cheminée», selon l'expression employée dans la
délibération du 21 janvier 1721.
XXIX
Le printemps écarlate
LE CRIME DU COMTE DE HORN
L'AFFAIRE DE HORN6
La mort de la rue
Le second souffle
La rafle de l'argent
1. « M. Law a dit l'autre j o u r que s' ; l devait jamais faire une nouvelle chambre
de Justice, ce serait pour punir avec la plus extrême sévérité ceux qui font venir,
portent ou utilisent des (produits manufacturés) autres que ceux de ce pays. » « Il
faut empêcher les industriels français de venir jusque chez nous. Il y a actuellement
de grandes quantités de produits qui sont expédiés (vers l'Angleterre) » (10 mai).
Il est plaisant de voir que les Anglais craignaient d'être ruinés par Law, alors
que les historiens français ont cru dur comme fer que c'étaient les Anglais qui,
depuis Londres, torpillaient le Système!
2. Cf. ci-après, p. 405.
3. Registre du greffier Delisle.
402 Le système et son ambiguïté
1. Buvat indique que l'affaire, venue en mars, aurait été remise à une autre fois,
sur les objections de Bourbon et de Conti (Buvat, op. cit., t. II p. 63). Ce bruit est
également mentionné, le 6 mars, par le greffier Delisle. Pulteney écrit à Craggs, le
11 avril : « La délégation du Parlement a été, dit-on, très mal reçue; cela pourrait
hâter un projet que M. Law semble avoir très à cœur : de supprimer le Parlement
entièrement, en remboursant tous les emplois y afférents. »
2. Buvat, op. cit., t. II, p. 47.
3. Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 38 et sq.
404 Le système et son ambiguïté
à se distinguer par leur empressement à contribuer aux charges
de l'État, plutôt que par des immunités et des exceptions . »
Le projet exposé dans la lettre de Pulteney diffère d'ailleurs des
deux formules qui avaient été élaborées par Law dans ses mémoires
successifs, le premier concluant à une taxe sur les maisons, l'autre
à un « denier » sur la valeur en capital des biens-fonds. Mais Law
ne s'était « accroché » à aucun de ces deux systèmes, et le nou-
veau qui est plus simple procède bien de la même inspiration
générale.
« J'ai entendu dire, écrit Pulteney, que la taxe foncière a été
agréée, elle doit être d'un dixième de tous les revenus (rentes)
de toutes les terres du royaume, sans distinction en faveur de la
noblesse, du clergé ou tout autre... ni même (en faveur) de pro-
vinces qui n'étaient pas encore assujetties à l'impôt, comme la
Bretagne, et qui donnaient à la place les dons gratuits. On dit
que les revenus de toutes les terres de France sont évalués par
une estimation modérée à 1 200 millions par an, mais la taxe
foncière n'a jamais produit en proportion d'un revenu si consi-
dérable. En dehors des exemptions... il y a de grands abus commis
par les collecteurs de ces taxes. Selon un compte rendu présenté
par Desmarets, Contrôleur général, au Régent peu après la mort
du Roi, il apparaît que la taille, c'est-à-dire " la taxe foncière
incluant la capitation " (sic : l'auteur veut parler du total de ces
impôts) n'a pas produit au cours des années 1709-1710 plus
de 14 000 000 alors que selon le taux actuel (envisagé) de 1/10
du total des revenus évalués à 1 200 millions, cela représenterait
120 000 000 au moins. Cette taxe fait partie des fonds attribues
à la Compagnie des Indes. »
On ne peut refuser de rendre ici un hommage à la force de pensée,
à l'étendue et à la cohérence des vues, à l'audace des projets qui
apparaissent dans ce schéma général. Le zèle réformateur de Law,
déclenché par des préoccupations d'ordre économique, le condui-
sait à préconiser des changements dont les conséquences eussent
été considérables pour la société politique, pour les mœurs, pour
la culture. Ainsi projetait-il de favoriser l'établissement des étran-
gers en France et d'établir la liberté de conscience. « Le droit
d'aubaine sera aboli, et la liberté de conscience sera accordée
à tous sans excepter les juifs », écrit Pulteney. Mais cette infor-
mation est donnée dans une lettre du 21 mai : le jour fatal
est venu.
Il faut d'ailleurs noter ici que Law a arrêté toute une série de
mesures particulières pour consolider sa politique.
Ainsi, le 19 mars, avait-il pris le soin d'interdire l'importation en
France (soit par des étrangers, soit par des Français) de matières
d'or et d'argent en provenance de l'extérieur. Cette décision pro-
voque la raillerie de Pâris-Duverney sans cependant le sur-
prendre : « Quelque bizarre, quelque pernicieuse, que paraisse
une telle défense, écrit-il, il était naturel et conséquent qu'elle par-
tît d'une main qui avait répudié ces deux métaux 3 . »
Mais Dutot donne une explication peu réfutable : « pour éviter
que nos voisins achetassent nos billets en argent faible, dans la vue
de retirer de l'argent fort, pour y gagner 4 ».
Le 28 mars, Law rendait cours aux billets de 10 livres, si absur-
dement supprimés le 2 3 février, en donnant d'ailleurs de ce revire-
ment, on ne sait trop pourquoi, un motif sans consistance 5 .
impôts. « La plus grande partie des sujets et particulièrement ceux qui par leur
peu de fortune méritent le plus de faveurs, se trouveraient privés de l'avantage que
Sa Majesté accorde aux billets de banque sur l'espèce dans le paiement des droits
de ses fermes et impositions. » On se propose donc tout simplement de faire gagner
quelques livres à des contribuables assujettis pour des sommes inférieures à
100 livres.
1. Buvat, op. cit., t. II, p. 72.
2. Rachat d'une pension viagère par François Manfré, bourgeois de la ville de
Langres, et Jeanne Gourmery sa femme, contre Artus et sa femme, bourgeois de la
même ville.
3. Mais présentée par un commerçant français.
Il s'agit d'une lettre de change tirée par un commerçant d'Amsterdam, Robert
Neel Junior, sur Nicolas Michel Le Duc, marchand de Rouen, présentée par
Bulande, lui-même marchand à Rouen. « Le sieur Bulande, par un mépris des ordres
de S.M., fait malicieusement protester la lettre dans le dessein apparent de profi-
ter du bon change qui était alors, et a persisté à vouloir le paiement en espèces. »
Il fut obligé d'accepter les offres et condamné à payer 1 500 livres de dommages
intérêts, sans préjudice de poursuites éventuelles pour sa désobéissance (Arrêt du
26 avril. Arch. de la Monnaie).
4. Mais aussi par l'emploi des espèces apiès forte augmentation de leur valeur
nominale.
Le second souffle 409
1. G7 83.
2. Dans cette correspondance, M. d'Angervilliers accuse réception de l'arrêt du
28 mars... portant rétablissement du cours des billets de 10 livres, ce qui prouve
que la correspondance n'allait pas toujours très vite. D'ailleurs l'intendant préfère
ne pas le publier tant que les billets ne seront pas arrivés (G 7 83).
Une lettre du 9 mai, émanant d'un certain Ham&n de Strasbourg, signale une pra-
tique assez curieuse. Les collecteurs et receveurs particuliers des impositions qui
se lèvent dans chaque bailliage d'Alsace « vendent jusqu'à 3, 4 et 5 % de profit
les deniers de leurs caisses aux porteurs de billets de banque et ils profitent encore
de 10 % sur ces billets en les remettant aux receveurs des finances, comme s'ils les
avaient reçus en paiement des impositions ». « Vu — rien à faire », daté du 15 mai
(G7 1470).
3. C'est ici que se trouve la précision citée par nous au chapitre précédent, de la
décote précédemment subie de 20 à 25 %.
4. Arch. nat., 12 mai 1720, G7 1470.
412 Le système et son ambiguïté
Le 18 mai, M. Méliand reprend la plume pour signaler que les
billets de banque commencent à perdre jusqu'à 8 %, ce qui confirme
le renseignement précédent.
En sens inverse des informations en provenance de Lille et de
Strasbourg, d'assez nombreuses correspondances émanant de
diverses autres provinces réclament des billets. Ainsi les intendants
d'Auvergne, de Bretagne, de Champagne 1 se plaignent de ce que
beaucoup de personnes ne peuvent parvenir à se procurer des
billets, notamment en raison de l'arrêt du 20 avril 2 , et nous verrons
par la correspondance de Law que cette critique était assez géné-
rale.
Pour l'ensemble des provinces, nous observons que les envois de
billets continuent jusqu'au 18 mai, par quantités importantes :
— du 1 er au 6 avril 13 800 000
— du 6 au 13 avril 24 900 000
— du 15 au 20 avril 35 000 000
— du 20 au 27 avril 30 032 000
Pour cette dernière semaine, il est à remarquer que l'envoi à
destination de Lille se limite à la somme insignifiante de 10 000,
ce qui recoupe les indications selon lesquelles les espèces ne ren-
traient pas au mois d'avril dans cette généralité. Du 29 avril au
2 mai, le chiffre descend à 15 000 000, mais un certain nombre
de généralités, dont Lille et cette fois Strasbourg, ne reçoivent
rien (même observation). Du 4 au 11 mai, le chiffre est relative-
ment faible : 10 millions, et les envois se limitent à sept destina-
tions (toujours rien pour Lille, ni pour Strasbourg). Mais entre
le 13 et le 18 mai inclusivement, nous retrouvons 25 destinations,
comprenant cette fois Lille (1 970 000) et Strasbourg (1 010 000),
et chiffrant au total 30 000 000 3 . Il est par là même établi que
l'échéance de la diminution du 30 avril avait dû se traduire par
des apports assez importants, et les provinces se re-fournissaient
avec un décalage normal, comparable à celui d'avril qui avait
atteint le montant le plus élevé pour les dates correspondantes
15-20 (35 000 000).
Au total, Law avait donc expédié, depuis le 1 er avril, 158 732 000
de billets, chiffre qui paraît faible eu égard à l'inflation clandestine
de la même période, mais fort important cependant quant aux
1. G7 24.
414 Le système et son ambiguïté
dant, alors que la grande objection au Système a toujours été la
réticence des troupes (et des rentiers)!
On conçoit bien que Law se soucie d'éviter que le Roi, ayant
réabsorbé l'argent, encoure une perte du fait des diminutions. Et
cependant, peut-on oublier cjue cette désescalade des diminutions
n'a pas d'autre objet que d'inciter les particuliers à apporter les
espèces et à se rallier à la monnaie de papier?
Nous découvrons, dans cette occurrence, toute l'euphorie que
Law éprouve de son succès et aussi ce trait de sa psychologie qui
le pousse toujours (hier pour les actions, aujourd'hui pour les
billets) à récompenser les personnes qui lui ont fait confiance : il
est juste et convenable que le cours avantageux de ces billets pro-
fite aujourd'hui à ceux qui en ont, pour l'exactitude avec laquelle
ils se sont conformés aux arrêts du Conseil et que les autres
achètent ces mêmes billets « tout ce qu'ils peuvent valoir dans le
commerce ». D'un côté les élus, de l'autre les réprouvés.
Nous citerons enfin un dernier document, qui nous paraît des
plus curieux, et qui, sans doute, est le plus surprenant, car il ne
s'accorde guère à l'opinion qu'on se fait couramment, aussi bien
en ce qui concerne 1' « autoritarisme » de Law que quant à la situa-
tion tenue généralement pour critique. Il s'agit cette fois de la
boucherie. Tout le monde tient pour acquis qu'en mai 1720, on
manque de viande... parce qu'on manque d'argent, et que les bou-
chers refusent des billets que Law veut à tout prix les obliger à
recevoir. Or la réalité est différente.
Une note du 2 5 mai 1 porte aux intendants des régions d'em-
bouche des instructions superbes :
« Plusieurs marchands qui font le commerce des bestiaux ayant
fait entendre aux bouchers de Paris qu'ils cesseraient d'amener
des bestiaux aux marchés de Sceaux et de Poissy si on ne leur
assurait d'en être payés en argent, l'intention de S.A.R. est que
vous fassiez venir devant vous ceux d'entre ces marchands de
bestiaux qui se trouveront le plus à portée des lieux de votre rési-
dence pour leur dire que le prix de leurs bestiaux leur sera payé
dans ces marchés en espèces d'argent ou en billets de banque à
leur choix, y ayant des caisses établies à cet effet 2 . »
L'argent ne manque pas. Dieu merci! Et par conséquent la
viande ne manquera pas.
Telle est donc la situation bivalente du Système à la veille de la
1. Cette date est postérieure de quelques jours au grand coup du 21, mais il n'y
a aucune raison de supposer que la position prise dans cette affaire soit motivée par
la mise en œuvre de cette nouvelle expérience.
2. Brouillon signé d'initiales (Arch. nat., G7 24, n° 489).
Le second souffle 415
]. G7 108-111.
416 Le système et son ambiguïté
Là encore, nous voyons que Law se montre à la fois minutieux...
et négligent dans la gestion concrète.
Quant au marché international, les cours des changes demeurent
remarquablement stables pendant le mois d'avril et les trois pre-
mières semaines de mai. Le « désavantage » calculé par Dutot
s'est même rétréci jusqu'à — 1,93 et — 1,81 c'est-à-dire que le
change se tient presque au niveau de parité où il devrait être.
Les cours effectifs étaient montés pendant le courant du mois
d'avril de 31,50 à 33,25 (Amsterdam) et de 18 à 19,25 (Londres).
Pendant les 23 premiers jours de mai il « roule de 34 à 33,50 sur
Amsterdam et revient à 34 », et sur Londres, il « roule » de 19 3/8
à 19.
Selon le Traité chronologique des Monnaies, la Banque devait
faire face, dans les premiers jours de juin, à des échéances inter-
nationales de près de 40 000 000 : mais sa situation lui permettait
de les honorer, ce qu'elle fit en effet malgré les graves événements
survenus entre-temps.
Law n'était donc pas pris à la gorge. On peut dès lors se deman-
der pourquoi il s'engagea dans une tentative aussi risquée que celle
ui prit la forme de l'arrêt du 21 mai. Audace du joueur? Certitude
3 e son infaillibilité? Crainte que le Régent ne découvrît qu'il avait
outrepassé ses autorisations (déjà irrégulières) de fabrique de
billets? Syndrome d'impasse, désir de sortir d'une situation dont
il ne voyait pas l'issue?
Selon les criminologistes modernes, les délinquants financiers
souvent ne se sentent pas à leur aise dans l'illégalité et cèdent à
l'impulsion de commettre une imprudence qui les fera prendre.
En vérité, aucune interprétation romantique ne s'impose. L'arrêt
du 21 mai représentait sans doute un gros risque à prendre, mais
ce n'était pas une improvisation; Law avait préparé ce plan de
longue date et il en avait, précise-t-il, communiqué le projet au
Régent deux mois à l'avance. Il était habile de sa part de profiter,
pour ce coup d'audace, d'une période favorable. Sans doute a-t-il
sous-estimé les forces hostiles qu'il allait déchaîner, et il a surtout
surestimé sa propre capacité de faire face aux clameurs et de tenir
ferme. C'était un homme qui éprouvait le besoin, pour se sentir au
mieux de sa forme, d'être soutenu, applaudi, aimé.
1. C'est dès cette première période et avant le texte que nous évoquerons ci-après,
que se place l'enlèvement du rôtisseur Quoniam, que plusieurs auteurs attribuent aux
bandouliers en en donnant les récits les plus rocambolesques. Balleroy signale
l'affaire dès le 27 octobre 1717 : « Il n'y a point de nouvelles que celle d'un rôtis-
seur appelé M. Quoniam. Le pauvre homme avait pour son malheur épousé une très
jolie femme : quelqu'un en grand crédit en est devenu amoureux; on ne sait pas qui
c'est; mais le fait est que, le mari étant un obstacle au commerce qu'on voulait
avoir avec sa femme, on a engagé sa femme à proposer au mari de prendre un
carrosse un jour de fête pour aller voir leur enfant qui était en nourrice à deux lieues
de Paris, et qu'à moitié chemin il s'est trouvé des gens qui ont enlevé le mari et ont
laissé la femme revenir à Paris. Elle a voulu continuer son commerce : mais tous les
voisins l'ont poursuivie par toutes les pierres, boue et toute sorte d'ordures dont ils
ont rempli la boutique, tout le monde étant persuadé qu'elle a part à l'enlèvement de
son mari, qui est, dit-on, un bon homme et des mieux apparentés dans la rôtisse-
rie » (Correspondance, op. cit., t. I, p. 217). Selon le Journal de Narbonne,
418 Le système et son ambiguïté
Une première ordonnance de novembre 1718 prescrit l'arresta-
tion et le recensement des vagabonds et gens sans aveu. Les sujets
« en bon état physique » seront envoyés aux colonies. De nouveaux
textes interviennent en 1719 pour renforcer ou étendre le premier.
C'est une cohue assez bicarrée que l'on rassemble ainsi dans les
« chaînes » : « gueux ordinaires et séditieux », voleurs de profes-
sion, scélérats débauchés et même des « sodomistes ». Une partie
du public accueille avec faveur cette réglementation et tente d'en
tirer profit pour résoudre des épreuves domestiques. Les familles
honorables trouvent là un bon moyen de se délivrer du souci que
leur causent leurs « moutons 'noirs ». D'innombrables placets,
émanant de tous les milieux sociaux, parviennent au lieutenant
général de police qui annote les dossiers; « un fort mauvais sujet! »
« Un vrai sujet pour la Louisiane. » « Tout sujet taré, conclut Mar-
cel Giraud, est désormais jugé digne du Mississippi '. »
La Louisiane acquit dé ce fait une mauvaise réputation dans le
monde entier et la garda longtemps.
On observe une grande variété dans ces affaires, beaucoup
d'arbitraire dans leur règlement et çà et là des manœuvres sor-
dides inspirées par le lucre. A tout prendre il ne partait pas grand
monde et par suite de toutes sortes d'accidents il en arrivait moins
encore 2 .
C'est surtout la déportation des femmes qui parle aux esprits
romanesques à travers les récits de l'abbé Prévost. Il n'y eut cepen-
dant, pour la même annéel719, que 134 émules de Manon (dont 4
d'ailleurs portaient ce surnom, plus une dame Lescaut) mais c'est
moins qu'on ne le penserait d'après les notations de Buvat. C'était
tains. Le Mississippi n'est pour lui qu'un exutoire. Il est peu pro-
bable qu'il ait cherché, par son zèle, à nuire délibérément à Law
mais nous savons qu'il n'était pas dans son intention de lui
complaire. En février 1720, il renforça son dispositif en créant de
nouveaux cadres de police, des inspecteurs généraux et un person-
nel de lieutenants et de brigadiers, munis d'instructions draco-
niennes. On ordonnait un recensement complet, indiquant les occu-
pations de chacun et dénombrant les mendiants. « Si parmi ces
mendiants, il s'en trouve quelques-uns qui soient encore en état de
travailler, on les y obligera. » Les brigadiers devaient eux-mêmes
interroger les mendiants qu'ils rencontraient, « les obliger à
retourner à leur lieu de naissance pour s'y mettre au travail s'ils
sont en état de le faire. Sinon ils seront arrêtés pour être envoyés
à la Louisiane ou à d'autres colonies de la Nouvelle France en
Amérique afin qu'il n'y ait plus de vagabonds ni de fainéants de
profession ».
Il saute aux yeux que Law ne peut avoir aucune part dans ce
code impitoyable; on aperçoit clairement que dans la pensée de
l'auteur, ne sont destinés au Mississippi que les individus indési-
rables en France, c'est-à-dire, comme il s'agit par hypothèse
d'hommes valides, les tire-au-flanc incorrigibles, les réfractaires
sociaux : belles recrues en vérité! Tout cela sent à une lieue l'esprit
inquisiteur et perquisiteur de Radhamante, dont nous savons
d'autre part qu'il devenait de plus en plus fielleux et excentrique,
maniaque surmené et désaxé, acharné en pleine nuit à raffiner la
besogne policière où il se voyait désormais confiné, trouvant sans
doute quelque amère revanche à faire sentir plus durement son
autorité dans les domaines qui en dépendaient encore et à l'égard
des personnes qui n'étaient pas en état de s'y soustraire. Dessaisi
de ses fonctions de finances, incertain de garder les sceaux, peu
risé des parlementaires, il lui reste de régenter avec dureté et
E izarrerie le petit monde de la flicaille et de la racaille.
C'est ainsi qu'il en vint à son coup d'éclat, la création d'une force
de police particulière, qui, sous la dénomination, nullement offi-
cielle, de bandouliers du Mississippi, acquit par ses exactions une
fâcheuse célébrité. Law a affirmé par la suite qu'il n'avait rien à
voir avec cette affaire et même qu'elle avait été ourdie pour lui
nuire car elle ne pouvait manquer d'exciter contre lui la haine du
peuple. Law est certainement véridique; nous savons que s'il lui
arrive d'être réticent, il n'est jamais menteur. Ses déclarations
plaident d'ailleurs en sa faveur par leur imprécision elle-même. Il
ne fait aucune allusion précise à l'activité particulière de cette
compagnie d'archers et c'est très probablement parce qu'il en
ignorait l'existence. Il n'a pas examiné le détail, il a su, en gros,
422 Le système et son ambiguïté
que des abus étaient commis dans l'exécution des règlements
concernant le vagabondage. -
Et cette semi-ignorance n'est pas surprenante. Car d'Argenson,
soit parce qu'il cherchait vraiment, par cette manœuvre, à porter
préjudice au Contrôleur général, soit, plus vraisemblablement,
afin d'éviter des discussions et des objections, a procédé, dans cette
affaire, d'une manière fort oblique. Il existe, en effet, une première
ordonnance, laquelle porte une date précise, celle du 10 mars;
cette ordonnance rappelle les règles en vigueur sur le vagabon-
dage et la déportation et ne fait pas mention d'une nouvelle police,
de sorte que si l'on en prenait connaissance, l'attention ne pouvait
se porter sur ce point particulier. Il existe d'autre part une
seconde ordonnance datée elle du 3 mai (trompettée le 4) et dans
laquelle on trouve cette fois une allusion à ce corps spécial, en des
termes qui laissent entendre que sa constitution avait suivi la pre-
mière ordonnance. « Sa Majesté étant informée que les archers
qui ont été commis pour l'exécution de ladite ordonnance (du
10 mars) pourraient abuser de leur autorité, et que même sous ce
prétexte plusieurs particuliers attroupés tumultuairement ont
troublé lesdits archers dans l'exécution des ordres de Sa Majesté,
à quoi étant nécessaire de pourvoir et d'empêcher l'un et l'autre
désordre 1 », etc.
C'est entre ces deux dates que se placent les exactions des
archers et les troubles populaires qui s'ensuivirent. Buvat évoque
d'ailleurs ces incidents à propos de la nouvelle ordonnance, qui
était destinée à en prévenir le renouvellement.
« (Les archers) avaient déjà enlevé, précise-t-il, plusieurs per-
sonnes des deux sexes qui n'étaient pas de leur compétence (sic) et
entre autres le fils du sieur Capet, riche marchand épicier, demeu-
rant rue et proche de Saint-Honoré, la demoiselle Boule, fille d'un
lieutenant du guet 2 . »
« On assurait, note plus loin le chroniqueur, qu'en moins de huit
jours ils avaient enlevé plus de cinq mille personnes (sic) des deux
sexes : vagabonds, gens sans aveu, libertins et libertines et autres
qui n'avaient jamais fait profession de mendier, comme artisans et
manœuvres, et même une centaine de filles nouvellement venues à
Paris pour se mettre en condition chez des bourgeois, qui cou-
chaient le soir à l'hôpital des Filles de Sainte-Catherine de la rue
Saint-Denis3!... »
Ces méfaits furent évoqués au Parlement dès le 29 avril.
XXXII
Le sacrifice de Pygmalion
1. Law fit aussitôt diffuser une courte brochure de propagande intitulée : Lettre
au sujet de l'arrêt du Conseil d'État du 21 mai 1720 (A.E., France, 1242, 502 —
dans l'intitulé la date est libellée de telle manière qu'on ne sait si on doit lire 21
ou 22) dans laquelle les arguments de l'exposé des motifs sont repris de façon plus
diluée et plus claire. Il s'attache à démontrer que les créanciers de l'État, à travers
les vicissitudes de leur sort, n'auront, en fin de compte, rien perdu de leur capital
et qu'ils doubleront leur revenu, à savoir qu'ils recevront en fait 4 % au lieu de 2 %.
Il s'efforce d'apaiser la crainte que le public peut concevoir quant à de nouvelles
variations : « M. le Régent, en portant le marc d'argent à 80 livres, avait semblé
manquer à la parole qu'il avait donnée de ne pas affaiblir la monnaie au-dessus
432 Le système et son ambiguïté
Dans ses écrits ultérieurs, Law a revendiqué la paternité de
l'arrêt du 21 mai et a repris sa démonstration, à vrai dire fort
convaincante. Qui donc pouvait se plaindre?
Les porteurs d'actions? L'action primait non seulement sur
l'espèce mais sur les billets. Les porteurs de billets? Les billets
primaient sur l'espèce. Les porteurs d'espèces? Il n'y avait rien de
changé à leur égard. Plusieurs années après, il ne parvient pas à
comprendre qu'une formule qui était avantageuse pour tout le
monde ait réussi à faire l'unanimité contre elle 1 .
Ce qui est surprenant, à vrai dire, ce n'est pas que Law soit l'in-
venteur de ce plan, c'est que tant de personnes aient pu en douter.
Par son audace, par son excentricité et en même temps son irréfu-
tabilité, le texte est bien révélateur de sa manière et de sa meil-
leure manière.
On fit cependant courir le bruit que c'était une affaire montée
par d'Argenson, afin justement de perdre Law. Saint-Simon donne
cette indication sans prendre la peine d'expliquer comment d'Ar-
genson aurait pu imposer en matière de finances une mesure
contraire aux vues du Contrôleur général, qui avait toute la
confiance du Régent. Selon le témoignage de Buvat, cette rumeur
s'était répandue dans Paris. La même version est développée par
Du Hautchamp, qui met en cause, de surcroît, comme membre de
la cabale contre le Système, la prieure de l'Abbaye de Traisnel qui
était l'égérie du garde des Sceaux 2 . Les légendes ont la vie dure.
L'excellent historien Levasseur évoque lui-même comme une simple
hypothèse, il est vrai, les « insidieux conseils 3 » de d'Argenson à
Law.
A défaut de mieux, on a même adressé à d'Argenson le reproche
de n'avoir pas dissuadé Law de son entreprise, puisque celui-ci
l'avait mis dans la confidence. Trahison par acquiescement4. Il
n'est pas douteux que les amis de Law aient tenté de détourner de
sa tête les nuages de l'impopularité. Si cependant l'absurde ragot
incriminant d'Argenson fut si aisément accueilli, c'est que Law
bénéficiait, et même auprès des personnes qui n'étaient pas favo-
rables au Système, d'une sorte de hero's worship. On le croyait
infaillible. Il était condamné à réussir comme les héros des feuille-
tons de série qui n'ont pas le droit de changer de personnage.
On n'aimait pas associer son nom à un texte qui évoquait irré-
sistiblement, soit qu'il fût maintenu, soit qu'il fût retiré, les images
de l'erreur et de l'échec. S'il était maintenu, il prouvait que 1 on
s'était trompé auparavant. S'il était retiré, cela prouvait que
l'on s'était trompé en l'adoptant.
Non seulement la conception de l'arrêt était de Law et de lui
seul, mais il en rédigea la minute de sa main 1 et il en avait lui-
même habilement « minuté » l'exécution. Le 21 mai tombait un
mardi, le premier mardi suivant le dimanche de la Pentecôte. Or,
toute la semaine qui suit la Pentecôte est un temps de vacances
pour le Parlement (cette tradition, due, semble-t-il, à la période
habituelle de tonte de moutons, s'est perpétuée jusqu'à notre époque
dans le calendrier judiciaire). Law se trouvait donc pour quelques
jours débarrassé du Parlement dont il pouvait craindre l'explo-
sion. Un certain nombre de personnes de qualité avaient pris l'habi-
tude de s'absenter vers ces mêmes dates et le conseil de régence
lui-même suspendait ses réunions2. C'est ainsi que n'étaient
présents à Paris ni le duc de Bourbon, ni le prince de Conti, ni
le duc d'Antin. Saint-Simon tient à souligner- que le Régent l'avait,
par avance, mis au courant de ce projet, mais il n'est pas incapable
d'avoir inventé après coup cette circonstance flatteuse pour son
amour-propre. Il aurait donné un avis négatif ainsi que le duc
d'Estrées et une autre personne qui se trouvait avec lui 3 (il est
difficile de croire que le Régent ait parlé en quelque sorte à la
cantonade d'une affaire où le secret était essentiel).
Tous les récits indiquent que la nouvelle de l'arrêt produisit un
effet catastrophique, et il semble, à les lire, que l'on pouvait
s'attendre à une sorte de révolution. Cependant, qu'en sait-on
exactement puisque ceux qui en parlent n'étaient point là? « Le
vacarme fut général et fut épouvantable », note Saint-Simon.
« Les écrits séditieux et les mémoires raisonnés et raisonnables
pleuvaient de tous côtés, et la consternation était générale 4 . »
1. Voir ci-dessus, p. 429, n. 3.
2. Saint-Simon, op. cit., t. VI, p. 595.
3. Ibid.
4. Nous n'avons pas trouvé trace d'écrits hostiles et il est peu probable que les
adversaires aient eu le temps de les faire imprimer et diffuser avant la révocation.
434 Le système et son ambiguïté
Mais il se trouvait lui-même à La Ferté. Il indique d'autre part que
« le duc d'Orléans travaillait avec Law » et on l'avait vu « le
samedi 25 dans sa petite loge à l'Opéra où il parut fort tran-
quille ». Cela ne sent pas la panique!
Voyons cependant ce que disent les personnes qui notent les
événements au jour le jour, les Anglais et les chroniqueurs. Stair
prend lui-même la plume dans cette grande circonstance et il
écrit à Craggs le 22 mai : « Je vous envoie un arrêt qui a paru
aujourd'hui, sûrement le plus extraordinaire qui a jamais paru
dans aucun pays... Par cette opération les intéressés perdent envi-
ron trois ou quatre mille millions et les sujets du roi notre maître
perdent encore 2 à 3 000 000 de livres sterling. La ville de Paris
paraît comme une ville prise d'assaut, tellement tout le monde est
consterné »
Le 24, Pulteney à Craggs : « C'est la dernière chose que j'aurais
attendue, je pensais que tout ce qu'il y avait de bon dans le schéma
de M. Law dépendait entièrement du crédit de sa banque et des
billets de banque, qui, dans de si nombreux arrêts, et dans le der-
nier discours du Régent à la Compagnie avaient été déclarés inva-
riables. »
Sur quoi, obnubilé par sa marotte, le diplomate attribue la nou-
velle mesure à l'intention qu'il prête à Law de contrarier les
intérêts anglais. « Le coup va tomber très lourdement sur nos
compatriotes, et il semble qu'il ait été principalement conçu pour
leur ruine. »
Naturellement Pulteney ne fait pas ici allusion aux faibles capi-
taux que les Anglais avaient pu détenir dans le Mississipi (nous
en avons vu les chiffres dans la lettre de Stair) mais au change :
« Ce que nous avions pu gagner il y a trois mois par les changes
sera perdu par la réduction. » Il n'ajoute pas un mot sur la
« consternation » ni sur l'émotion populaire.
Quant à notre cher Buvat, il ne nous donne que des nouvelles très
succinctes : « Le 22, le public murmura beaucoup de ce que les
bureaux de la Banque s'étaient trouvés fermés dans la matinée, ce
qui s'apaisa parce que l'après-dînée on y paya la valeur des billets
suivant l'arrêt de réduction publié le jour précédent 2 . »
Cette information laconique est digne d'être méditée. Elle montre
que le public se résignait à la réduction des billets, à condition que
la banque fût ouverte.
« Le 25 au matin, note encore le chroniqueur, il y eut un grand
marquis puis duc d'Antin, que nous voyons s'avancer sur la scène
du Palais-Royal, sur la scène de l'histoire, dans un rôle auquel il
ne semblait pas disposé et qu'il ne tiendra qu'une fois.
Le duc d'Antin était le fils de M m e de Montespan et aussi, le cas
était unique, de M. de Montespan. Pour lui la légitimité est une
tare, comme pour d'autres la bâtardise. Il est le mal-né parce qu'il
procède de justes noces. Il est l'importun parce qu'il n'est pas
l'usurpateur. Ce point d'infortune dans une naissance qui le liait à
la plus haute fortune, la crainte d'être par sa seule présence un
sujet d'offense pour un roi, la conscience d'être pour sa mère un
sujet d'embarras et de remords, contribuèrent sans doute à orien-
ter son caractère vers l'effacement et la ruse. Lorsque M m e de
Montespan mourut, « le deuil épouvantable qu'il affecta », note
Saint-Simon, « n'était que pour dissimuler l'aise et le soulage-
ment qu'il en ressentait ». On lui connaissait deux carrières suc-
cessives, celle des armes, où il avait acquis la réputation d'un
lâche, et la surintendance des bâtiments de France où il a laissé le
souvenir d'un pillard. Sa vocation était celle du parfait courtisan :
c'est à son sujet que le Régent en a donné la définition : « Sans
humeur, sans honneur 1 .» Sainte-Beuve trouve dans un de ses
ouvrages à prétention philosophique « l'image d'une âme presque
ingénue à force d'abandon et de simplicité dans l'esprit de servi-
tude ».
Deux traits lui donnent quelque ressemblance avec Law. Il était
« beau comme le jour 2 » et joueur comme les cartes. Il s'était atta-
ché de bonne heure à la fortune du financier et il ne semble pas que
ce fût de façon désintéressée. Bien qu'il ait déclaré plus tard ne
posséder que 262 actions de la Compagnie, il passait pour avoir
réalisé des bénéfices importants et il est certain qu'il menait une
vie de magnificence. On lui attribua à un certain moment l'ambi-
tion de se faire désigner comme directeur de la banque 3 et il
accepta par la suite, mais n'occupa que pour un temps assez court
un des postes de directeur de la Compagnie. Dans ses Mémoires,
qui donnent l'impression générale de la platitude d'esprit avec çà
et là quelques notes saillantes (il semble que dans ses autres écrits
1. Lemontey qui avait, lui, consulté les Mémoires et s'en inspire çà et là, se
contente de dire : (Law) « eut donc le chagrin de voir son arrêt révoqué sur la pro-
position du duc d'Antin » (op. cit., t. I, p. 331).
2. Pour lui faire part de la délibération du Parlement.
440 Le système et son ambiguïté
n'était rien à personne puisque cinq cents francs d'argent fort
faisaient le même effet que mille francs d'argent faible, que
l'argent ne devait se regarder que par le poids et que le public
aurait la même quantité de denrées pour un écu qu'il en avait
présentement pour deux, et beaucoup d'autres qui bien examinées
reviennent toutes à ce même principe.
« M. le duc arriva et je pris la parole pour lui faire entendre que
son arrêt avait deux parties que je traiterais séparément, mais
qu'en général son raisonnement était bon pour les négociants qui
ne font aucun usage de leur bien que le négoce, mais que le public
ne pouvait en être satisfait ni persuadé que ce fût la même chose
d'avoir dans son portefeuille des billets valant mille francs ou
cinq cents francs, ces billets venant d'être reçus sur le pied de mille
livres pour remboursement de biens patrimoniaux; le détail des
autres raisons serait trop long, je lui dis que le public était au
désespoir au point que je croyais qu'il n'y avait point de temps à
perdre pour y remédier.
« Je pris ensuite les deux parties de son arrêt; le premier, qui
regarde les actions, je lui dis que je ne faisais pas un cas égal de
celui-là, quoiqu'il y eût présentement un nombre infini d'actions
achetées très chèrement et jusqu'à 2 mille et que le montant
général de l'action allât à 6 milliards, on pouvait plus hardi-
ment tomber sur cette partie qui est regardée par une sorte de
public de mauvais œil comme gens qui avaient fait des fortunes
immenses, qu'ainsi on pouvait toucher aux actions avec cependant
une sorte de ménagement qui ne fit point de tort en gros à la
compagnie.
« Mais que pour le billet de banque c'était une chose sacrée, à
laquelle je ne comprenais pas qu'il eût voulu toucher, qu'il ne
m'avait jamais paru avoir que deux principes : la foi publique et
le bien public, que c'était les liens qui nous avaient unis ensemble
et qu'il les attaquait tous deux par son édit.
« Je lui remis devant les yeux la façon dont le roi avait parlé
authentiquement du billet de banque disant que c'était la mon-
naie de prédilection sur laquelle il n'y aurait jamais de chan-
gement malgré les variations de l'or et de l'argent2, monnaie
qu'il recevrait toujours par préférence dans tous les bureaux
de recettes, et qu'il accordait même une grande faveur et une
remise considérable à ceux qui paieraient le subside en cette
monnaie.
1. Cette précision confirme bien que les titres n'avaient jamais dépassé
10 000 livres.
2. Souligné par nous.
Le sacrifice de Pygmalion 441
1. Pulteney, 4 juin, S.P. 78-166, n° 230; il indique cette décision comme acquise
depuis deux jours. Informations concordantes chez Barbier.
2. Pulteney, 2 juin, S.P. 78-166, n° 229.
Un grand chien noir avec un collier rouge 447
Le 2... nous vîmes ce jour-là une chose assez rare : un ministre dépos-
sédé depuis plusieurs jours, auquel on avait donné le major des gardes
suisses pour garde, rentrer le dimanche au conseil, y proposer un arrange-
ment général et être approuvé de toute l'assemblée. La chose vaut bien la
peine d'être rendue tout au long.
Les ennemis de M. Law ayant fait tout ce qui dépendait d'eux pour le
faire périr en le faisant mettre à la Bastille et n'ayant pu réussir, ses amis
firent voir à M. le Régent jusques à quel point on abusait de sa bonté et
l'état où l'on mettait le Royaume par simple animosité, ce qui lui fit
ouvrir les yeux et connaissant mieux qu'un autre que le seul homme
capable de le retirer du labyrinthe où il était, était M. Law, il résolut de
s'en servir plus que jamais dans les parties où il excellait, après toutefois
que les commissaires auraient vu clair à son compte.
Ce qui ne tarda pas, M. Des Forts, premier commissaire, ayant assuré
qu'il n'y avait rien de pareil, et qu'il était incompréhensible qu'un compte
de tant de milliards fût dans un si bel ordre et le tout rendu par borde-
reaux.
De son côté M. Law loin de se laisser abattre ni par la disgrâce ni par
tous les bruits qu'on semait partout contre lui travaillait nuit et jour pour
remédier au mal pressant.
Il composa en deux fois vingt-quatre heures l'arrangement que nous
allons voir, il le fit communiquer au Régent qui le goûta fort et le soir du
dimanche 2 de juin il le rechargea du soin de la Cie des Indes (qui
comprend dans le fait toutes les finances), lui ôta son major, le vit, lui fit
beaucoup d'honnêteté et lui ordonna de se trouver le lendemain à un
conseil qu'il indiquerait pour cela, pour mettre la forme à son arrange-
ment et le rendre public.
Le lendemain matin le Régent témoigna une grande joie des expédients
qu'on avait trouvés, ordonna à quelques conseillers de la Régence de se
trouver à quatre heures chez lui et parla fort obligeamment de M. Law.
Un grand chien noir avec un collier rouge 453
On peut juger par là de la douleur de ses ennemis qui l'avaient cru cent
pieds sous terre et qui en triomphaient avec bien de la hauteur.
succinctes tant sur les deniers des rentes que sur plusieurs autres articles.
Le Régent fut très content d'eux et les députés du Parlement de Son
Altesse Royale de manière qu'aux dispositions où je vois M. le Régent
et M. Law, il y a tout lieu d'espérer que les affaires importantes repren-
dront la forme ordinaire et que le Parlement et la cour rentreront dans une
correspondance ensemble, qui pourra ramener la confiance du public.
Je souhaite pour M. le Régent que ce soit sans déroger à la majesté royale
et à tout ce qu'il a fait, car ce milieu est trop difficile à garder.
CYCLE DE LA BANQUEROUTE
XXXIV
pas fait grand mal parce qu'on les billets qui portaient à faux; qu'il est
avait enfermés dans la Banque; mais vrai qu'il avait eu connaissance de six
qu'après l'arrêt du 21 mai dernier cents millions mais qu'il avait fait les
lorsqu'on donna des Commissaires à autres six cents millions sans sa partici-
la Banque, il se trouva pour autres six pation qui n'avaient point été émis dans
cents millions de billets de Banque que le public et qui étaient en réserve dans
Law avait fait faire et répandus dans le sa banque.
public, à son insu de lui Régent, et
sans y être autorisé par aucun arrêt,
pour quoi M. Law méritait d'être pendu;
mais que lui Régent l'ayant su, il l'avait
tiré d'embarras par un arrêt qu'il fit
expédier et antidater, qui ordonnait
la confection de cette quantité de bil-
lets » (op. cit., t. VI, p. 664-665).
1. Ms. Douai, p. 415-416.
L'énigme de la vérification interrompue 463
été faits sans qu'aucun avis en soit donné au public » (11 juin). Pulteney ne fait
pas allusion à l'émission de 438 0 0 0 0 0 0 pourtant signalée par lui-même... mais
qui avait été présentée comme destinée à l'échange. Stair est encore plus précis :
« Il y avait dans le public 2 160 et quelques millions dont il n'y avait que 1 200 mil-
lions d'autorisés » (12 juin).
2° Levasseur fait remarquer qu'aucun des arrêts de régularisation ne porte le
chiffre de 600 000 000. Mais en fait tous les arrêts ayant été faits après coup, on
ne peut tirer de ce fait aucune déduction précise.
3° Dutot ne fournit aucune explication sur les opérations d'escompte qui pour-
tant correspondaient à un certain mouvement non inflationniste de billets. Nous ne
disposons sur ce sujet d'aucune autre indication que celle, invérifiable, de Buvat,
citée ci-dessus.
Ces indications recoupent, nous le précisons, les chiffres qui figurent dans l'arrêt
du 10 octobre et dans le compte rendu du Conseil de Régence du 26 janvier.
Signalons en passant la présentation fantaisiste donnée de ce sujet par l'Histoire
des finances, qui indique le chiffre officiel de 2 696 000, mais ajoute qu'il n'au-
rait été délivré dans le public que 1 900 000 (ce passage n'émane certainement pas
de Law et n'a sans doute pas été révisé par lui) (Œuvres complètes, t. III, p. 282
et sq.).
1. Le duc d'Antin pense que le Régent, bien qu'il ne le laissât point apparaître,
avait, en réalité, retiré à Law au moins une partie de sa confiance. « Il faut dire la
vérité : depuis la cassation de l'arrêt du 21 mai, la confiance n'était que simulée et
ceux qui ont voulu prendre lapeinede le bien connaître s'en apercevaient aisément. »
Il est d'autre part certain qu'il avait consulté, précisément en mai, Pâris-
Duverney et qu'il lui avait même fait demander un mémoire. Law l'apprit et
parvint, en faisant intervenir le duc de Bourbon, à obtenir l'exil des quatre finan-
ciers. Law était donc toujours l'homme indispensable. Mais le fait lui-même souligne
que le Régent se préoccupait déjà de trouver, comme l'on dit aujourd'hui, des solu-
tions de rechange, peut-être même des serviteurs de rechange.
Dans le Discours destiné à ses enfants, Pâris (de la Montagne) précise que cette
consultation eut bien lieu fin mai (sans cependant la rattacher expressément à la
crise). Pâris-Duverney, frère du narrateur, se serait comporté avec prudence, crai-
gnant d'effrayer le Prince et de susciter la vindicte de Law. « M ' r le duc d'Orléans
L'énigme de la vérification interrompue 465
Enfin, nous devons nous méfier d'une certaine tendance à sché-
matiser et ne pas nous laisser impressionner par la lecture des
commentaires qui, après coup, soulignèrent que l'échec du Sys-
tème était acquis depuis le 21, ou depuis le 27 mai (et aussi bien
on peut dire depuis le 5 mars, et remonter encore avant...). En fait,
malgré les secousses de la crise, les choses ne paraissaient point
désespérées et peut-être ne l'étaient-elles pas. L'inflation, sans
doute, est considérable, mais non point vertigineuse. On avait prévu
un milliard, on est parvenu à deux, et même au-delà, mais pas tel-
lement au-delà, car le chiffre maximum réel n'a pas dépassé
2 milliards 400 millions et encore faut-il tenir compte d'un certain
montant de papier de commerce qui devait s'imputer sur ce chiffre;
d'autre part la Banque détient un nombre considérable d'ac-
tions qui ne seraient pas, en tout état de cause, sans quelque valeur.
Enfin l'État était habituellement endetté pour un chiffre de l'ordre
de deux milliards ou plus...
Ne confondons pas l'expérience de Law avec la chute du mark
après la Première Guerre mondiale, ni d'une façon générale avec
les grandes inflations de l'époque moderne. Jusqu'ici l'expérience
a été largement bénéfique, pour ses promoteurs. Le Régent a pu
faire et gagner la guerre d'Espagne, asseoir définitivement ses
droits et les mettre à l'abri de la concurrence, améliorer sa situa-
tion en gavant les princes et la noblesse, doter somptueusement sa
fille, augmenter son patrimoine personnel et constituer une coquette
1. Le rabbin Lôw, qui vivait à Prague au xvie siècle, avait créé un personnage
artificiel, un Golem, qui le servait. Cet être était en argile et le rabbin lui donnait
L'énigme de la vérification interrompue 467
marquée d'une façon totale et irréversible : c'est celui des relations
internationales, celui des changes. Et c'est probablement son inca-
pacité à obtenir le moindre succès dans ce secteur qui a conduit
Law à sa perte, ne serait-ce que par le poids porté sur la trésorerie
par des règlements extérieurs trop onéreux .
1. Cf. les cours d'ensemble dans les tables de Giraudeau, reprises en annexe.
La déflation tous azimuts 473
que les litiges relatifs à ces affaires seraient de la compétence des juges consuls et
en appel du Grand Conseil (Pulteney, 15 juillet, S.P. 78-166, n° 264).
1. Isambert, Recueil des lois, p. 185, n°" 216-218; Pulteney, 28 juin-6 juillet.
2. Moitié moitié pour les avoirs à l'étranger mais pour la joaillerie 1/4 seulement
pour le Roi et 3/4 pour les dénonciateurs.
476 Le système et son ambiguïté
dit aujourd'hui, rapatriées en France, ce qui aiderait à rétablir le
change 1 .
En n'importe quelle période, les deux grandes initiatives des
comptes courants et des actions nouvelles auraient heurté le
Parlement; il se trouva de surcroît qu'au moment même où
les Chambres en furent informées elles venaient de décider de
faire connaître officiellement au Régent leur inquiétude et leurs
doléances.
Nous devons maintenant revenir un peu en arrière et évoquer la
succession des épisodes fâcheux qui se déroulaient depuis le
« remaniement gouvernemental », intervenu au début de juin.
1. « Que pour faire diminuer le change on avait imaginé aussi après la défense
qui avait été faite de porter des pierreries d'en faire passer dans les États voisins
pour les rendre débiteurs de la France et procurer le retour des espèces d'or et
d'argent; que M. le duc de Bourbon et M. le duc d'Orléans auraient dit qu'ils
seraient empressés à en montrer l'exemple par l'envoi des leurs » (Registre du
greffier Delisle).
XXXVI
aussi, à ce qu'on comprend, pour des particuliers dans des occasions favorisées »
(Pulteney, 22 juin). Le Régent faisait distribuer 12 000 livres par semaine pour
l'ensemble des ambassadeurs (Pulteney, 9 juillet).
1. Barbier, op. cit., p. 47. Registre du greffier Delisle.
2. Chiffres donnés par Pulteney; ce serait une erreur de les généraliser.
3. Mathieu Marais, op. cit., t. I, p. 293.
4. Pulteney, 9 juillet.
5. Trudaine aurait demandé un sursis pendant les six semaines qui restaient à
courir sur son temps de prévôté et le Régent s'y serait refusé en disant : « Ces six
semaines me sont précieuses » (cf. Pulteney, 6 juillet, n° 253). Selon le correspon-
dant de M m e de Balleroy, « chacun fait divers raisonnements sur le sujet de la
disgrâce de ce magistrat mais peu touchent au but » (3 juillet, Correspondance...,
t. II, p. 177).
L'émeute de la rue Vivienne 479
1. « Cet arrêt est certainement trop sévère pour les personnes qui changent des
billets contre de l'argent de la Banque et que sans argent, elles ne peuvent pas
avoir de pain » (Pulteney, 6 juillet, S.P. 78-166, n° 254).
2. Selon Barbier, il s'agissait d'un ancien comédien du nom de Molini. Plus tard,
au cours de la séance du Parlement le 17 juillet, on mit en cause « un nommé Mar-
guerit homme de la Banque (qui) vend tous les jours des billets et de l'argent sur la
place publique » (Registre du greffier Delisle).
3. Le 9, selon Delisle.
4. Pulteney, 12 juillet, S.P. 78-166, n° 263.
5. Œuvres complètes, t. III, p. 383.
L'émeute de la rue Vivienne 481
1. Mentionnons pour mémoire les récits de Pichon qui voit des morts partout.
« Le 3 juin 1720, on emporta de la Banque plusieurs personnes qu'on tira comme
morts pour les saigner, on en emporta un tout à fait mort, le 4 juin, la foule fut
encore plus horrible, en emporta 6 ou 7 morts, étouffés, écrasés... » Après le
8 juillet : « Pendant 7 à 8 jours il n'y eut pas un seul jour qu'on emportât de la
Banque 7 à 8 personnes étouffées. » Ces récits outranciers ne sont confirmés par
aucune autre source et on ne peut les tenir pour vraisemblables (cf. Levasseur,
« Law et son système jugé par un contemporain », Revue historique, économique
et sociale, 1908, n° 4, p. 329).
2. Buvat, op. cit., t. II, p. 112.
482 Le système et son ambiguïté
portant le mort au Palais-Royal en précisant qu'il s'agissait i
d'une foule de quatre mille âmes. Mais alors que le récit de Buvat
tourne court, Mathieu Marais ménage un coup de théâtre : le mort
n'est pas mort. « Cet homme a donné signe de vie et a demandé
un confesseur... et le peuple... s'est dissipé de lui-même. » Mathieu
Marais pense que, par la résurrection du cocher, l'émeute a été
évitée de justesse : elle ne le sera pas le 17 juillet 2 .
Cocher mort ou cochçr vivant? regretté ou confessé? Il nous a
paru impossible de laisser cette énigme irrésolue.
Il y a une police à Paris en 1720, et nous avons trouvé dans les !
archives des commissariats le procès-verbal établi le 10 juillet j
(nous le reproduisons en fac-similé). Le mort est bien mort; il |
s'appelait Lacroix et était au service, non pas de M. de Rebours, j
mais d'un sieur Argou ou Argon, premier commis de la marine. ]
Le factionnaire, un caporal appelé Dutailly, soucieux sans doute ]
de se justifier pleinement, présente l'affaire comme une sorte de j
mutinerie. « Une populace mutinée », des « particuliers » qui i
« criaient qu'ils allaient piller la Banque »! i
Faut-il supposer que Mathieu Marais a inventé l'histoire du ;
moribond ranimé? Cela ne lui ressemble guère, et les précisions i
concordantes qui figurent-dans son récit et dans celui de Delisle j
nous paraissent fournir une explication. Un homme fut blessé à :
l'épaule. Cet homme n'est autre que Lacroix, que l'on porta en effet
chez le chirurgien Ferron et qui ne survécut pas. Mais un autre i
homme est tombé, c'était le cocher. Delisle et Marais supposent ;
qu'il y a eu plusieurs balles, mais Dutailly mentionne un seul coup
de feu. Le cocher s'est sans doute évanoui sous l'effet de la peur,
à moins qu'il n'ait été « étouffé » dans le mouvement de la foule.
C'est ce corps-là (et non l'autre) que les manifestants (d'abord
égaillés après le coup de feu) vinrent ramasser. D'où la résurrec-
tion.
L'émeute du 17 juillet
1. Il est exact que les « clients » commençaient de prendre rang très tôt. Barbier
venant sur les lieux le lendemain 18 juillet, à deux heures du matin, trouva « une
douzaine de personnes assises par terre à la porte du jardin, par un beau clair
de lune ». (Barbier, op. cit., p. 30.) Mais cela ne veut pas dire qu'il y en avait
quinze mille la veille à cinq heures.
2. « Dès trois heures du matin, la rue Vivienne se trouvait remplie de monde
d'un bout à l'autre [...] afin de pouvoir être des premiers à l'ouverture du jardin de
l'hôtel Mazarin et à l'ouverture de la barricade, quand il plaisait aux directeurs
de la Compagnie des Indes et aux commis de se trouver dans les bureaux de la
galerie pour faire le paiement qui ne commençait qu'à huit ou neuf heures du matin
jusqu'à midi ou une heure... » (Buvat, op. cit.', t. II, p. 106).
3. Les étoufFements auraient eu lieu avant cinq heures et on aurait commencé
de porter les corps au Palais-Royal à six heures.
4. Buvat, op. cit., t. II, p. 105.
5. Ibid.
484 Le système et son ambiguïté
avaient l'habitude de « se percher » sur la barricade et de sauter
à « corps perdu » dans la foule pour se faire place, et il semble
indiquer, mais de façon assez peu nette, que l'accident se serait
produit de cette manière-là 1 .
Voilà donc quinze ou seize « étouffés », et la foule, conformément
au précédent du 10 juillet, décida de porter au Palais-Royal
quelques corps, inanimés, qu'elle croit sans doute morts. Il n'est
plus ici question de 15 ou 16. Selon Buvat, il s'agit de quatre :
une femme et trois autres. Selon Barbier, on en porta d'abord
cinq le long de la rue Vivienne, « mais à six heures on en porta trois
à la porte au Palais-Royal ». Un peu plus loin, « une bande porta un j
corps mort au Louvre ». C'est la première fois que le mot de :
1. « Ce fut dans le moment que j'étais engagé dans l'enfilade que cinq ou six
ouvriers, perchés sur la barricade, se jetèrent en bas, et peu s'en fallut que je ne
fusse étouffé... Le même jour, 17, fut remarquable par le désordre qui y arriva. On
retira une femme et trois hommes étouffés de cette manière et on les porta ainsi
au-Palais-Royal. »
L'émeute de la rue Vivienne 485
1. Dans une lettre du 10 novembre 1720 (S.P. 78-166, n° 422), Pulteney fait
allusion à cette populace interlope : « Des désordres, dit-il, peuvent être attendus
d'un tel nombre de gens perdus, oisifs, désemparés. » « Les meurtres, le vol et
autres crimes ont été si fréquents ces derniers temps que les prisons ne suffisent
pas à contenir les criminels (délinquants) et que beaucoup ont été mis en liberté
parce qu'on n'avait pas les moyens de les entretenir. »
2. Bien qu'elle ait déjà interrompu ses paiements auparavant et qu'elle doive,
par la suite, les reprendre sous certaines formes, mais qui constituent des opéra-
dons d'achat plutôt que l'application de la convertibilité.
3. Nous n'avons pas trouvé de trace, en province, d' « émotion » comparable
à celle qui agita Paris. Cependant on note qu'à Caen, le 13 juillet, on avait fait venir
de Bayeux trente cavaliers « pour contenir la grande quantité de peuple qui va au
bureau de la banque » (Le Blanc à Guinet, 20 juillet. Arch. de la Guerre A1 2569,
199). De Bordeaux, le maréchal de Berwick avait fait savoir à Le Blanc qu'il avait
trouvé dans cette ville les esprits moins inquiets sur les billets de banque qu'il ne les
avait laissés à Paris (lettre de Le Blanc à Berwick, 16 juillet. A1 2569, 178).
L'émeute de la rue Vivienne 489
texte, à la vérité peu connu : il s'agit d'une ordonnance datée du
même jour qui proroge le paiement des billets de la Banque jusqu 'à
nouvel ordre... et défend de s'assembler 1 .
1. En voici les termes : « S.M. étant informée du désordre qui est arrivé à la
Banque à l'occasion du paiement des billets et voulant prendre mesure convenable
pour y remédier a jugé à propos de suspendre à la Banque jusqu'à nouvel ordre le
paiement des billets et fait toute expresse défense à toute personne de quelque état,
qualité et condition qu'elles soient de s'attrouper ni s'y assembler sous quelque
prétexte que ce puisse être sous peine de désobéissance et d'être punie comme
perturbateur du repos public suivant le régime des ordonnances » (Arch. nat.,
fonds O1 64 P 205).
XXXVII
1. A cette date ce chiffre de deux milliards deux cents millions a été dépassé — le
total des billets distribués ayant atteint son point maximum le 1 e r juillet, soit
2 423 747 000. Cependant il n'est pas certain que le Chancelier soit de mauvaise
foi, car ce chiffre de 2 200 0 0 0 0 0 0 est celui du 31 mai, et il est possible qu'on ne
l'ait pas informé de tout le mouvement ultérieur (infra, p. 515).
2. Princesse Palatine, Fragments de lettres originales, p. 285.
3. Selon le greffier Delisle, il n'y eut en effet que deux ou trois « opposants »
L'ouverture finit à Pontoise 493
La campagne de France
1 e r et 2 août pair
3 95
5 88
6 75
7 et 8 80
12 71
13-14 90
17 76
19-21 82
22-23 72
26 31
27-28-31 33
1. 10 % pour changer 1 000 livres en 100; 15 pour changer 100 en 10.
2. 'Appartenant au prince de Carignan, qui recevait 150000 livres par an de la
part « de la personne qui avait entrepris toute l'affaire » (Delisle).
3. Registre du greffier Delisle, 4 juillet.
502 Le système et son ambiguïté
billets avec 10 % d'escompte sur les coupures de 1 000, 5 % sur
celles de 100 et encore 5 % pour changer les 1 000 en 100 (celles
de 10 étant prises au pair)
Pulteney a raison dans un sens : il aurait été plus logique, de la
part de Law, de soutenir ses billets au pair. Cependant, en fait, le
cours des billets pouvait souvent difficilement être maintenu, même
après l'augmentation des espèces, tant qu'il en demeurait une forte
quantité dans le public. Law a commis une grave erreur en élabo-
rant le plan contenu dans le Mémoire sur le discrédit : il s'attend
lui-même à des progrès assez lents pour ce qui concerne les
« débouchements » (2 ou 3 mois, précise-t-il) et en même temps, il
irésente « l'augmentation comme un expédient aussi prompt que
fa situation l'exige ».
Ce décalage chronologique ne laissait pas de chance pour un
rétablissement durable de la parité.
Law a-t-il conçu le projet — irrationnel — de jouer encore sur
l'augmentation?
Pulteney tient pour certain qu'un arrêt prévoyant une nouvelle
élévation d'un tiers était passé au conseil et avait même été
imprimé, mais qu'il fut supprimé (12 août). Sans doute Law se
rendit-il compte à ce moment (mais peut-être l'avait-il déjà pres-
senti auparavant) qu'il ne parviendrait pas à remonter le cours des
billets, et qu'il fallait revoir la stratégie d'ensemble.
C'est dans la même période qu'il conçut d'ailleurs un débouché
complémentaire pour les billets, à savoir la création de 8 000 000
de rentes sur les tailles et impositions des provinces, au taux réduit
de 2 %, ce qui représentait un capital de 400 000 000.
Nous sommes quelque peu surpris de voir que l'on espérait la
réussite d'une émission à 2 %, alors qu'un emprunt identique à 2,5
n'était pas couvert, mais cette anomalie s'explique par les cir-
constances particulières de l'époque. Les rentes sur les pro-
vinces passaient pour être plus régulièrement servies; aussi
avaient-elles la faveur du public provincial : elles étaient d'ailleurs
réservées aux sujets de Sa Majesté 2. Cependant Law ne s'attacha
pas à obtenir un résultat très rapide, car cette décision prise, dans
le principe, antérieurement au texte du 15 août — qui la men-
tionne — ne fut appliquée qu'en septembre, après avoir été enre-
gistrée à Pontoise le 30 août seulement.
Ainsi Law évolue-t-il vers le turning point de la mi-août.
Réactions et incidents
avec 50 % de perte et se fit vertement tancer pour avoir émis cette supposition. Lettre
du 21 août, Arch. Guerre, A 1 2169.
1. 15 août, S.P. 78-166, n° 307.
2. 16 août, S.P. 78-166, n° 309. « Il y a lieu de croire qu'au moyen de nouveaux
arrangements de la compagnie des Indes, les ouvriers continueront leur travail. »
Cf. 17 août : « Les arrangements que S.A.R. a pris pour soutenir leur manufacture
et leur en assurer le débit avec le commerce. »
3. L'absence d'autres précisions conduit à penser qu'il n'y eut pas d'incidents
graves.
4. 17 août — au lieutenant de Douai : approuve « tous les mouvements que vous
vous êtes donnés pour contenir le peuple qui avait quelque disposition à se mutiner
à l'occasion de l'augmentation des espèces ».
17 août — Bordeaux, au lieutenant d'Aire : taxer les denrées — faire monter dix
dragons à chaque poste les jours de marché.
18 août — Angers : il s'agit de faire couper les billets de 1000 pour les régiments
de dragons de Saumur.
21 août — Oloron : « Vous devez rassurer les gens d'Oloron... je compte que vous
avez présentement reçu l'ordre pour le paiement de vos appointements que j'ai
fait augmenter jusqu'à 500 par mois. »
22 août — Montargis : « Les précautions que vous prenez pour empêcher les
désordres que les troupes pourraient faire. »
22 août — Perpignan : S.A.R. connaît parfaitement l'embarras où se trouve
le soldat pour s'entretenir de linge et de chaussures.
5. 17 août — au lieutenant général de Seissel : « Vous avez jugé à propos pour
La campagne de France 505
cette raison de l'avertir (le soldat) de la fourniture de pain que S.A.R. lui fait faire
gratis. » La lettre à Perpignan fait seulement allusion aux problèmes posés par
le linge et les chaussures.
1. La correspondance des intendants pour le mois d'août 1720 ne donne que
d'assez rares indications sur les hausses des prix ou les difficultés de ravitaillement
résultant de l'augmentation des espèces, mais il serait téméraire soit de géné-
raliser ces données, soit de conclure que les hausses étaient plus faibles dans les
provinces où elles ne sont pas signalées. En sus de l'Alsace que nous avons mention-
née, nous voyons qu'à Montauban, le prix des grains a doublé, et que celui des
autres denrées aurait triplé (Montauban, 22 août, G 7 400-404). A Bordeaux, le
7 août, on signale la raréfaction de l'approvisionnement en blé qui vient de l'Agen-
nais, du Quercy et de la généralité de Montauban. Personne ne veut vendre dans
la crainte d'une diminution des espèces. « Les boulangers ne cherchent pas à vendre,
et ils ne se pressent pas de cuire autant qu'ils devraient le faire. » L'intendant
signale aussi la pénurie des petites monnaies, et même des espèces de cuivre qui
sont cachées. Mais l'intendant fait face à la situation, avec succès, par une politique
non autoritaire. « Le seul expédient que j'ai pu trouver a été d'écrire partout que
bien loin d'empêcher la cherté des blés, il fallait aider à en faire augmenter le
prix, parce qu'il n'y avait que la cherté qui pût engager les particuliers à vendre
et qu'il valait mieux qu'il coûtât plus cher que de n'en point avoir. » Voilà donc un
précurseur des physiocrates : cherté foisonne. « Cet expédient a réussi... il n'en
manquait point dans les marchés, mais il était fort cher... à l'égard de la ville de
Bordeaux, je l'ai fait subsister d'industrie jusqu'à présent... les boulangers ont
actuellement chez eux pour dix ou douze jours de grain ou de farine... » (De Cour-
son, 28 août, G 1 147). A Montpellier, le 15 août, de Bernage signale que les mar-
chandises du cru se vendent bien, et même à un prix excessif. Les cocons sont
abondants et fort bien vendus, les marchands y ont porté des billets de banque et des
espèces. Comme d'habitude l'intendant de Montpellier réclame de petits billets de
banque qui se répandent successivement partout (G1 324).
Il serait donc tout à fait erroné de se représenter l'économie de la France dans
une situation catastrophique. Notons encore que les questions relatives aux
billets de banque, aux rentes, etc., ne jouent qu'un assez faible rôle dans les préoc-
cupations de la masse des Français, qui sont surtout intéressés par la valeur des
monnaies métalliques, instrument de la plupart des transactions de la vie quoti-
dienne et des prix des denrées, intimement liés au taux des espèces.
506 Le système et son ambiguïté
donné. Il faut renoncer à la guerre contre le fabuleux métal. Il
faut immoler le Golem. Il faut sacrifier la monnaie de papier, afin
de sauvegarder l'autre partie du Système, la Compagnie des Indes.
Ainsi pourra-t-on peut-être, plus tard, entreprendre autre chose
qui se rapprocherait du projet initial : la monnaie de compte.
L'arrêt du 15 août « concernant le cours des billets de banque »
— on admire l'euphémisme — récapitule les débouchés prévus en
faveur du papier, et mentionne même celui des rentes sur les pro-
vinces, non encore créées.
Le texte prescrit la démonétisation des billets : les gros
(10 000 et 1 000) cesseront d'avoir cours le 1 er octobre; les petits
bénéficient d'un sursis jusqu'au 1 er mai : après cette date, ils
seront soit retirés volontairement par la Compagnie des Indes,
soit acquittés en espèces.
Entre-temps, les porteurs de billets de 10 000 pourront se procu-
rer 1 000 livres en petites coupures à condition de placer les autres
9 000 dans l'un des emplois qui leur sont destinés.
Enfin, les billets qui ne seraient pas utilisés ne seront cependant
pas perdus, car ils seront automatiquement transformés en actions
rentières de la Compagnie à 2 %, dont de surcroît les dividendes
semestriels seront payés rétrospectivement à dater du 1 er juillet...
Tout cela donne un échéancier compliqué, qui traduit 1 embar-
ras... et la minutie.
1 er septembre : date limite pour les comptes à Paris,
15 septembre : date limite pour les comptes en province,
1 er octobre : démonétisation des grosses coupures,
date limite pour les souscriptions de la Compagnie,
1 e r novembre : date limite pour les rentes,
1 er mai : démonétisation des petites coupures.
Enfin l'article 9 prescrit le rétablissement immédiat des stipula-
tions de paiement en or et en argent.
La rédaction même de l'exposé donne l'impression que le texte
n'est pas venu tout d'une pièce. Elle décèle, soit l'hésitation de l'au-
teur, soit peut-être des contradictions d'influences. Ainsi, on croit
d'abord comprendre que les petits billets resteront indéfiniment en
valeur (ils sont « plus propres » à l'usage journalier et à la circula-
tion) et ce n'est qu'en lisant le détail des articles que l'on apprend
leur condamnation à terme. C'est par une incidente rattachée au
mot « circulation » que l'on est informé de la réhabilitation du
métal.
La perplexité de Law, à laquelle nous avons fait allusion, est
illustrée par le fait que — vers la date même du grand virage — il
avait tenté de persuader les banquiers et commerçants de l'oppor-
La campagne de France 507
le filet assez bas, plus bas que le billet. Mais il avait la certitude de
retenir les comptes pendant que les billets continueraient la dégrin-
golade.
Il disposait d'ailleurs d'un atout supplémentaire qu'il eut le tort
de ne pas mettre suffisamment en valeur. Le compte en banque
était assuré d'un débouché précis et exclusif qui était le paiement
des droits de douane. Non seulement il pouvait servir à payer les
droits à l'exportation ou à l'importation, mais on ne pouvait pas
les payer d'une autre façon. Les commerçants qui n avaient pas
de comptes seraient obligés d'en acquérir, ce qui entretiendrait
un marché perpétuel et assurerait le soutien, voire la hausse, de la
monnaie de comptes. En même temps, Law s'assurait ainsi d'un
moyen de peser sur les échanges et éventuellement de renchérir les
produits étrangers. Pulteney aperçut le danger : il pensait que les
Hollandais auraient pu se plaindre de cette procédure, comme
comportant une violation de leur traité de commerce avec la
France!
1. Nous retenons les chiffres fournis par Pâris et par Dutot : « Suivant le procès-
verbal de M. le Prévôt des marchands et échevins du 31 août 1720, la ville de Paris
porta 150 752 760 1. Les provinces y ont mis suivant l'état qui est en main du
directeur général du compte en banque pour 88 695 334 1.
« Total des billets portés aux comptes en banque : 239 4 4 8 0 9 4 1. » (Dutot, op.
cit., t. II, p. 201).
Il est probable que s'il avait attendu un peu plus, les comptes auraient continué
de croître car ils rencontraient un relatif succès, et, dans certaines provinces, ils
n'avaient été mis en route que peu de jours avant la date limite. Nous en avons un
exemple pour Nantes, grâce aux études de F. Abbad. En quatre jours, entre le 11 et
le 15 septembre, 3 682 0 0 0 livres avaient été portées à la Banque (F. Abbad,
La Crise de Law et Nantes, op. cit., p. 306).
2. Cf. infra, p. 574.
3. Pulteney à Craggs, 24 septembre, S.P. 78-166, n° 369. « Il les a traités de
fripons et d'avoir volé le public, qu'il donnerait de bons ordres, qu'il fera pendre
le premier qui manquera » (Correspondance de la marquise de Balleroy, op. cit.,
20 sept., t. II, p. 199).
La campagne de France 513
1. Le chiffre réel est plus élevé (voir ci-dessous). On ignore si la différence repré-
sente les billets brûlés ou des transformations de comptes en actions ou en récé-
pissés.
2. C'est le résultat du trafic que nous avons signalé.
3. A l'exception de quelques-unes, qui étaient dépréciées, mais qui devaient
cependant être rapportées pour recevoir une marque.
La campagne de France 517
1. Cf. sur le commerce maritime, Ferid Abbad, op. -cit., p. 312 et sq. L'auteur
fait apparaître les effets bienfaisants que procuraient la suppression de la Compa-
gnie de Guinée et la liberté de la traite, accordée le 16 janvier 1716.
D'autre part, il semble bien que, au moins dans certaines régions, le désendette-
ment ait pris son premier élan pendant le cours de l'année 1718.
522 Dans l'échec, la réussite
moitié petit . .
. , rL1, seiele oree avoine
seigle ble ° °
1716-1717 29,5 25,8 21,65 23,5 23,2
1718-1719 38,2 34,8 30,2 33,2 32,9
1719-1720 45,7 40,6 34,6 43 63,6
Ces chiffres se réfèrent au marché de Beauvais. Les prix moyens annuels en
Beauvaisis accusaient un mouvement analogue mais avec des écarts moindres
(op. cit., p. 427).
à Songeons à Chaumont-en-Vexin
froment froment blé mondé
1716-1717 3,85 9,5 6,9
1718-1719 4,48 13,37 10
1719-1720 4,89 15,75 12,25
Le double prix
1. Earl J. Hamilton.
2. André Lagarde, dans son étude sur Lectoure, nous semble commettre la même
erreur que Earl J. Hamilton : « Celle des billets de Law était encore assez impor-
tante à la veille du jour où ils furent retirés de la circulation... La livre de veau se
vendait 12 sous, prix maximum, au lieu de 8 à 10 les années précédentes. Les den-
rées qui avaient le plus augmenté atteignaient trois fois leur cours normal » (André
Lagarde, La vie quotidienne à Lectoure sous la Régence et la chute des billets de
Law, Société archéologique et historique du Gers, 1 er trimestre 1956, document
communiqué par M. Polge, directeur des services d'archives du Gers).
Nous ne pensons pas que la livre de veau ait été vendue 12 sous... en billets, aucun
billet n'étant d'ailleurs inférieur à 10 livres.
Le système et l'échec du système.. 529
LE SOUPER DE SAINT-AMAND
1. « Il a été soutenu du contraire qu'il n'a jamais été fait vente ni consenti à la
vente des deux poulains en question » (11 juillet 1720, Jurid. Cons. Nevers, Arch.
dép., année 1720).
2. Ainsi, la juridiction consulaire de Nevers, jugement rendu le 27 septembre
1720 :
« Le sieur Claude Pion, marchand de bois pour la provision de Paris... contre le
sieur Jean Baptiste Alasseur, marchand de bois à St-Pierre-le-Moûtier... Parties
ouïes, nous avons les offres faites par ledit sieur Pion de la somme de 4 980 livres en
4 billets de 1 000 livres chacun, 2 de 100 livres chacun, et 4 de 10 livres, et 8 livres
en monnaie ayant cours déclaré, déclarées pertinentes et sur ce qu'il a été déclaré
par ledit sieur Alasseur qu'il a passé son ordre des billets dudit sieur Pion, nous
ordonnons que les billets et acquits demeurent entre les mains dudit sieur Pion par
Le système et l'échec du système.. 535
forme de dépôt pour faire l'acquittement de ses billets à celui qui s'en trouvera por-
teur lorsqu'ils lui seront présentés » (27 septembre 1720).
De même, entre deux marchands voituriers :
« ...nous avons les offres faites par le sieur Gaudy déclarées pertinentes et sur ce
qu'il a été déclaré par ledit Fouquet qu'il a passé son ordre des billets dudit Gaudy,
nous ordonnons que les billets de banque offerts par lui Gaudy demeurent entre ses
mains aux risques, périls et fortune de ceux qui se trouveront porteurs desdits bil-
lets » (21 octobre 1720).
1. « Philibert Ninand, marchand boucher, contre le sieur Jean Baptiste Réveillé,
marchand, parties ouïes et sur ce qu'il a été soutenu par le sieur Ninand qu'il a vendu
au sieur Réveillé le suif en question la somme de 1 069 livres pour être payées en
argent comptant suivant l'arrêt du Conseil du 15 août dernier et que de la part du
sieur Réveillé il a été soutenu du contraire et qu'il ne s'est point engagé à payer la
somme totale en espèces » (le tribunal ordonne qu'ils feront la preuve).
2. « Le sieur Jean Trou, marchand en la ville de Cosne, contre le sieur Brouttier,
marchand... parties ouïes, nous avons le sieur Brouttier condamné et condamnons
même par corps à livrer incessamment au sieur Trou la quantité de 200 muids de
blé seigle conformément à l'ordre à lui donné par le sieur Trou le 7 juillet... dont
le paiement en sera fait par lui sieur Trou au sieur Brouttier, savoir la moitié ce
jour en billets de la banque de ceux par lui offerts et l'autre moitié restant en
espèces d'argent lors de l'entière livraison et ce conformément à l'arrêt du Conseil
du 5 septembre dernier, attendu que suivant ledit ordre dudit sieur Trou, le paie-
ment desdits blés ne doit être fait qu'à la livraison » (24 octobre). Ce partage en
deux est d'ailleurs conforme à une disposition de l'arrêt du 15 septembre.
XL
Gagnants et perdants :
la ville, la campagne et le couvent
1. Ainsi des chercheurs ont trouvé trace de billets de banque dans la succession
de paysans de Normandie. Un laboureur du nom de Fouquet possédait en 1721 une
somme de 1 180 livres en billets. Ce Fouquet semble avoir disposé d'une certaine
aisance puisqu'il avait 4 vaches, 11 veaux, 3 bœufs et 2 chevaux... Le même auteur
fait allusion d'une façon moins précise à la présence de billets de 100 livres chez
des laboureurs d'Auvers et de Sainteny (cf. Michel Caillard et Marcel Duval,
« A travers la Normandie des xvne et xvme siècles », Cahier des Annales de Norman-
die, 1963).
Gagnants et perdants : la ville, la campagne et le couvent 539
J
Gagnants et perdants : la ville, la campagne et le couvent 541
La Peste
1. Le mal aurait été apporté par « un vaisseau venu de Seyde en Syrie où cette
cruelle maladie faisait depuis plus d'un an un terrible ravage ». Le capitaine du
bâtiment fut arrêté pour avoir produit un faux passeport afin d'éviter la quaran-
taine (Buvat, op. cit., t. II, p. 122-123).
A défaut de la peste, le Système serait responsable de la famine : « Trois vais-
seaux sont venus de Barbarie à Marseille avec du blé mais ils partirent sans avoir
rien vendu parce qu'ils voulaient des espèces et n'acceptaient pas d'être payés en
papier. Cela a empêché d'autres navires de venir avec du blé » (Pulteney à Craggs,
28 août).
Cependant Buvat, qui présente le même récit, indique que si les Marseillais ont
perdu un approvisionnement de 300 0 0 0 livres de blé, amené par un bateau turc,
mais non débarqué, des Génois expédièrent peu après 2 0 0 0 0 0 livres de blé en
déclarant qu'ils ne voulaient être payés que quand Marseille serait revenue à un
meilleur état. Le duc d'Orléans envoya 1 800 0 0 0 livres en espèces. La description
du désastre conduit à penser qu'il n'était point de ceux que l'on conjure aisément
par des moyens financiers.
2. Sans véritable conviction d'ailleurs. Cf. Effets que la peste arrivée en Pro-
vence a pu avoir sur le crédit (Œuvres complètes, t. III, p. 171).
544 Dans l'échec, la réussite
1. On ne sait trop ce que Pulteney entend par tiers état. Si les paysans gagnent
davantage ils doivent être de meilleurs clients pour les commerçants, artisans et
praticiens. Peut-être l'auteur fait-il allusion à des bourgeois vivant plus ou moins
de leurs rentes.
Gagnants et perdants : la ville, la campagne et le couvent 545
Il arrive que ces saintes filles procèdent avec une certaine habi-
leté. Tel est le cas, semble-t-il, des religieuses du Verbe Incarné
d'Avignon. Le 9 août, elles s'adressent à un faiseur d'eau-de-vie
de Saint-Rémy pour faire changer gratis deux billets de 1 000 en
billets de 100 (plus faciles à écouler) ou en monnaie. Le 28, ces
couventines avisées traitent un arrangement minutieux (il est
vrai qu'elles négocient avec un bienfaiteur) « attendu la grande
augmentation des monnaies, l'écu blanc de coin nouveau, valant
à 12 1. Roy pièce et les autres monnaies en proportion, il serait
survenu de grandes difficultés aux extinctions de capitaux et
pour ce faire il fallait convenir avec les créanciers de la valeur des
monnaies ». Il s'agit d'un capital de 1 100 livres qui avait été
constitué en leur faveur afin de leur assurer une pension de
33 livres. Elles reçoivent 200 livres en monnaie du roi et leur pen-
sion est ramenée de 33 à 27 pour 900 livres, donc un peu plus
que le denier 50. Le 30 août, elles règlent une affaire litigieuse en
prenant des écus blancs « sur le pied et valeur de 6 livres au lieu
de 12, promettant de restituer tout ce qu'elles pourraient percevoir
en sus sur les écus 1 ».
A Angoulême, les Carmélites, sommées de recevoir 9 500 livres
en billets pour amortir une rente qui leur est due par l'acquéreur
d'une terre, font valoir au débiteur que cette rente forme une
grande partie de leurs revenus, parviennent à l'attendrir et l'af-
faire s'arrange par une « conversion » de 475 livres à 285, soit
environ 3 % 2.
Bien que les congrégations de femmes soient le plus souvent
citées, et nous en avons donné la raison, les Pères n'étaient pas
exonérés des embarras ni immunisés contre les négligences.
A Auxerre, le 20 octobre, les Cordeliers donnent procuration
au père gardien de se transporter à la ville de Paris pour y placer
en rentes de l'Hôtel de Ville une somme de 10 880 livres en billets
de banque, reçue en remboursement de rentes dues par fondation
et qu'ils avaient gardées jusque-là dans l'espoir de leur trouver un
emploi 3 .
Moins avisés, les Pénitents de Saint-Lô attendent le 27 novembre
1720 pour faire porter de toute urgence à Caen 8 000 livres en bil-
lets, pour les faire employer « en actions rentières ou dixièmes
d'action ». L'hôpital, le collège, le trésor de l'église Notre-Dame
de Saint-Lô s'associèrent à cette mesure, « vraisemblablement tar-
1. Ainsi des quittances pouvant s'appliquer à des gages et à des dots, aussi
bien qu'à des dettes anciennes, etc.
554 Dans l'échec, la réussite
Bolbec Rouen
1716 16 26
1717 11 29
1718 31 60
1719 33 70
1720 202 348
1721 7 20
La Bourgogne. P. de Saint-Jacob.
Informations diverses
NANTES.
Étude de Ferid Abbad : La Crise de Law à Nantes.
Sans produire des statistiques aussi précises, cette étude indique
LA ROCHELLE.
DEUX-SÈVRES.
1. L'auteur remarque qu'il n'est pas établi que les remboursements aient eu
lieu en billets. A la date considérée, cette question est moins importante qu'il ne
paraît le croire, car la décote était assez faible, et d'ailleurs variable.
2. « Planteurs de Saint-Domingue et Négociants rochelais au temps de Law »,
Revue d'histoire des colonies, 1954.
562 Dans l'échec, la réussite
MANCHE.
LE SONDAGE DE NEVEHS.
Le plan du 24 octobre
ils ont spéculé sur les titres, afin de réaliser des plus-values (ce qui
ne leur était nullement interdit) au lieu de les garder pieusement et
de manifester ainsi une confiance inébranlable dans le système. Ils
ont méconnu le dogme de Law, développé dans les lettres au Mer-
cure, d'après lequel les actions sont des biens semblables aux
immeubles; il est inconvenant de les vendre sauf nécessité due à
des circonstances exceptionnelles.
Ces actionnaires anciens sont donc contraints, par hypothèse,
de déposer des actions qu'ils n'ont plus, c'est-à-dire qu'ils seront
obligés de les racheter. On leur facilitera d'ailleurs les choses : on
leur en fournira au siège de la Compagnie au prix de 13 500 livres,
mais heureusement pour eux, payables en billets de banque.
L'exposé des motifs porte une condamnation vigoureuse des spé-
culateurs, des réaliseurs 1 : il s'agit « d'un grand nombre de parti- i
culiers qui ont retiré la plus grande partie de leurs fonds pour por-
ter ailleurs la fortune considérable qu'ils ont faite en réalisant » j
(nous sommes loin des étonnantes phrases que l'on trouve dans •
les textes du Mercure de France et où la spéculation est célébrée, j
surtout quand elle concourt à l'enrichissement de la noblesse). '
Ce sont ces mauvais actionnaires qui sont responsables de l'échec
du Système et des malheurs qui l'accompagnent. On pourrait sans
doute recourir à la « taxe », mais cette procédure (à laquelle nous
savons que Law a toujours été opposé) aurait comme inconvé-
nient d'alarmer les bons, « les actionnaires de bonne foi », ceux
qui ont gardé leurs titres, ceux pour lesquels Law a pris tant de
risques. On évitera donc la taxe et on la remplace en quelque sorte
par l'obligation de racheter et de déposer les titres. Quant à savoir
quels sont les mauvais et pour quelle quantité ils sont mauvais, c'est
le « rôle » qui en décide. On voit combien cette procédure prête à
l'arbitraire.
Non seulement le rédacteur fustige les flibustiers, mais il semble
prendre à son compte certaines critiques dirigées contre le Sys-
tème par ses adversaires impénitents. Il évoque le haut prix des
terres et des maisons — alors que Law s'en était félicité — et aussi
« l'interruption du travail des manufactures et la nécessité où se
trouve réduite une partie considérable des habitants des meil-
leures villes du royaume ». Que voilà un langage nouveau sous une
plume officielle.
Pâris-Duverney, par la suite, a cité triomphalement cette auto-
critique : « On sent bien que M. Law corrigeait en père » 2 et Dutot
a répliqué par une vigoureuse dénégation : « On reconnaît que cet
1. Tables de Giraudeau.
2. L'arrêt du 24 octobre énonce que le don gratuit de 20 000 000 pour les mon-
naies est payable à raison de 5 000 000 par mois, « à commencer au mois de
novembre prochain ». Quant au supplément prévu pour la Ferme générale, la pre-
mière échéance de 10 000 000 est bien précisée au 1 e r novembre : elle comprend
donc le terme échu d'octobre, le bail Pillavoine courant en effet de fin septembre à
fin septembre. Sutton, dans une lettre du 9 novembre à Stanhope, précise que les
deux premières échéances sont payables cumulativement à fin novembre. Law
n'était donc pas en retard à la date du 17... mais il devait payer au 30 novembre
deux fois 10 000 000 plus 5 000 000, soit 25 000 000.
580 Dans l'échec, la réussite
1. Correspondances de juillet et août 1720 citées par Bliard, op. cit., t. II, p. 317-
318.
2. Schaub à Dubois, 15 janvier 1721. Aff. étrangères, Angl., 335 f® 10, cité par
Bliard, op. cit., t. III, p. 119.
592 Dans l'échec, la réussite
rendit un, parce qu'il n'était pas d'une bonne eau. C'était le seul et
unique diamant, ce trésor que j'emportai en sortant de France »
Comme la princesse Palatine raconte que, de Bruxelles, Law
aurait adressé à M m e de Prie, pour la remercier du prêt de son
équipage, une bague de cent mille francs, on peut se demander
s'il s'agit du même diamant 2 et si Law avait eu l'idée subtile d'offrir
à cette personne peu délicate une pierre dépréciée... il est peu
vraisemblable cependant que, par la suite, il ait poussé l'imper-
tinence jusqu'à rappeler, à mots couverts, au duc de Bourbon
lui-même, ce geste à double sens. Si John Law avait eu de l'humour,
le Système aurait-il jamais existé?
1. « J'ai toujours haï le travail... une espérance de faire du bien à tout un peuple
et d'être utile à un Prince qui m'avait donné sa confiance, ces idées me flattaient et
me soutenaient dans un métier désagréable. Je suis revenu à moi » (Lettre au duc
de Bourbon, 25 décembre).
Cf. Conversation avec le sénateur Contarini, rapportée par Hyde, op. cit., p. 193.
2. Pâris la Montagne, Discours..., p. 135.
Une chance manquée, une liquidation réussie 597
1. « S'il vient vous voir, écoutez-le et ne faites pas difficulté à offrir tout ce qui 1
dépend de moi » (Lettre à Lafitau. 20 janvier 1720, citée par Bliard, op. cit., t. II, |
p. 327). I
2. « Je ne veux point de mal à M. Law... J'appréhende tout ce qui peut faire J
croire ou qu'il séjournerait dans ce pays de concert et par ordre de S.A.R. ou tout ce |
qui ferait dire qu'il y restera malgré elle » (Lettre à Destouches, 20 octobre 1721, j
citée par Bliard, op. cit., t. II, p. 328). \
3. Lettre et mémoire justificatif d'avril-mai 1723, Œuvres complètes, t. II, p. 174 ;
et sq.; Projet d'édit, ibid., p. 191 et sq.; Lettre au marquis de Lassay et nouveau
mémoire justificatif, ibid., p. 196 et sq.
4. Walpole, 10 avril 1723, cité par Bliard.
5. Date de la réception selon P. Harsin, Œuvres complètes, Introd., p. LXXII,
qui ne reproduit pas le texte, en raison de son absence d'intérêt économique.
Une chance manquée, une liquidation réussie 601
1. Si l'on devait en croire Barbier — mais cette information est isolée — il s'agis- 1
sait même d'une sorte de réédition du Système, qui faisait revivre les actions au I
cours fixe de 6 000 livres soit en rentes sur la ville, soit en billets de crédit, eux- |
mêmes payables en argent, avec une augmentation considérable des espèces... Le 1
mécanisme n'est pas très clairement décrit (Barbier, op. cit., t. I, p. 317). I
2. Pâris la Montagne continue ce récit de la façon la plus bizarre, que nous repro- I
duisons par scrupule : « Mais j'ai appris depuis ensuite que tout cela n'était qu'un j
jeu de la politique de ce prince pour attirer le sieur Law dans le royaume et pour se I
venger du mécontentement qu'il en avait reçu; que dans le fond nous n'avions pas |
perdu sa bonne grâce et qu'il nous aurait bientôt donné de nouvelles marques de j
son estime. » Pâris a sans doute cédé à quelque motif mystérieux en articulant ces j
absurdités qui contredisent la partie sérieuse de son récit (ms., p. 170 et sq.). !
Une chance manquée, une liquidation réussie 603
pour effet, non pas de porter dans l'histoire une série de consé-
quences accidentelles, mais bien de les éviter. Car l'accident histo-
rique eût été le recommencement du Système au moment où sa
liquidation marchait à grands pas et où tous les effets utiles que
l'histoire avait pu en attendre se trouvaient acquis.
Le 17 octobre 1722, dans une cage de fer de dix pieds sur huit,
construite spécialement à cet usage, on avait fait un gigantesque
autodafé de tous les titres, paperasses et comptes qui retraçaient
dans le menu l'histoire de cette grande folie... ou de cette grande
raison. C'est au cours de l'année 1723 que s'échelonnent les
premières mesures destinées à apurer le passif qui résultait du
visa et d'autres se succédèrent jusqu'en 1725.
Contrairement à ce que pensaient les contemporains, la liqui-
dation du Système — et notamment sa principale opération, le
visa — ne comporte ni la contradiction, ni la condamnation du
Système, mais constitue au contraire son prolongement normal :
on peut même dire qu'elle en est partie intégrante.
Une expérience exceptionnellement vigoureuse d'inflation
suppose une contrepartie de déflation. Law lui-même l'avait par-
faitement compris lorsqu'il avait fait promulguer l'arrêt du 21 mai.
Les frères Pâris ont tout simplement substitué à l'opération
(manquée) du 21 mai une procédure moins simple et moins brutale
qui conduisait à un résultat assez différent dans le détail, mais
analogue quant à l'effet.
Il faut maintenant dire que les opérations menées par les frères
Pâris constituent une réussite exceptionnelle et que Law n'aurait
pu souhaiter de meilleurs auxiliaires, s'il avait dû poursuivre son
œuvre dans cette ultime partie, que ces hommes qui en étaient les
adversaires fanatiques. Dans ce domaine l'habileté technique des
frères Pâris, introducteurs en France de la comptabilité en partie
double, et forts de l'expérience du premier visa 1716-1717, fit
merveille alors que dans la gestion d'ensemble de l'économie et
des finances, quand il leur advint de l'assurer, ils marquèrent
une tendance excessive en faveur de la déflation.
Les frères Pâris entreprirent le visa à la fin de janvier 1721
en utilisant de grands moyens (800 employés) et dans l'intention
de mener rondement les choses. Ils durent prendre plus de temps
que prévu car, en septembre suivant, il fut décidé que l'on pourrait
recourir aux extraits des actes notariés pour vérifier l'origine des
biens, ce qui conduisit à employer encore davantage de monde
(douze cents, voire quinze cents commis) et l'on ne put aboutir
606 Dans l'échec, la réussite
1. Ms. Douai, p. 233. Il est assez difficile de faire un compte exact de la dette.
Selon Marcel Marion, on peut évaluer la dette constituée à 1 200 000 000 — la
dette flottante à 596 000 000 (elle fut réduite à 250 par les opérations de Noailles),
à quoi il convient sans doute d'ajouter les anticipations : 137 000 000 et le capital
de créations d'offices : 542 000 000, sans tenir compte de l'arriéré : 185 000 000
(cf. Histoire financière de la France, t. I, p. 63).
608 Dans l'échec, la réussite
.it
Une chance manquée, une liquidation réussie 609
les lampions... Les femmes des Halles ont été voir le roi... Les
charbonniers en corps ont été au Louvre avec des cocardes à leurs
chapeaux et des tambours... — 6 août. Les joies ont augmenté...
Le soir il y a eu des feux et des illuminations dans tout Paris, plus
magnifiques les unes que les autres, chez les princes et ducs, tous
les seigneurs, avec des tonneaux de vin que l'on vidait pour les
passants... Jamais dans le jour il n'y a eu dans les rues le monde
qu'il y a eu par tout Paris jusqu'à trois heures du matin, avec des
folies étonnantes, c'étaient des bandes avec des palmes et un tam-
bour, d'autres avec des violons; enfin les gens âgés ne se sou-
viennent point d'avoir vu pareil dérangement et pareil tapage,
réjouissance dans Paris. »
« Qui aurait pu parcourir les différents quartiers de Paris aurait
eu un plaisir infini, car partout il y avait des beautés différentes. »
C'est le même Barbier qui nous donnera, quelques années plus
tard (1723), le fin mot de l'affaire... et de la fin à titre d'épitaphe
pour le Régent et pour le Système :
« Le duc d'Orléans n'a contre lui que le fameux système de 1720,
qui a renversé tout le royaume, c'est-à-dire ruiné bien des familles
particulières, car en général le royaume n 'a jamais été si riche ni
si florissant1... »
XL V
NAISSANCE DE L'OPINIATRETÉ
Ce n'est pas seulement chez les ouvriers que l'on observe une
résistance à la politique déflationniste, mais aussi chez les paysans
qui refusent de laisser baisser les prix agricoles à la production.
D'autres intendants présentent la même analyse et expriment
les mêmes préoccupations.
« La cause essentielle de la cherté des ouvriers, écrit par
exemple Fontanieu, de Grenoble, sont la cherté des denrées et
l'habitude de trop gagner depuis les années 1719 et 1720, habi-
tude dont ils ne peuvent se défaire et qui les rend insolents »
L'intendant de Bourges, Courteille, fait preuve de philosophie :
« Les exemples de sévérité, note-t-il, que j'ai pu faire sur les jour-
naliers, n'ont fait que les rendre plus rares et plus chers. »
Si les mesures de contrainte directe se montrent inefficaces, en
revanche un autre moyen de contenir la hausse des rémunérations
salariales pouvait être employé avec plus de succès et le fut. C'est,
en sens inverse.?de Law, la politique monétaire de diminution des
espèces qui, suivie systématiquement, avec cependant quelques
coups d'accordéon, aboutit à la stabilité de 1726, à un cours qui
était sans doute, dès lors, trop élevé. Par la suite, le maintien du
change fixe, s'il procura certainement quelques bons effets, consti-
tue sans doute l'une des causes de la stagnation, voire de la régres-
sion, de certains types de rémunérations et ainsi de la distorsion
tendancielle étudiée par E. Labrousse et dont on connaît les ver-
tigineuses conséquences politiques 2 . C'est un aspect de ce sujet
que nous pouvons seulement effleurer ici et sur lequel nous nous
réservons de revenir.
PROBLÈMES DE CLASSES
1. Law énonce d'ailleurs avec éclectisme les catégories qu'il entend favoriser :
« les gentilshommes et les paysans deviennent les banquiers » (Œuvres complètes,
op. cit., t. III, p. 166). « Le paysan et l'homme d'industrie font subsister l'État et
doivent par conséquent être ménagés » (ibid., p. 303). On trouve dans VHistoire des
Finances une énumération d'esprit plus « travailliste ». « Les laboureurs, les
ouvriers, le peuple, les marchands composent la partie la plus nombreuse et la plus
considérable; ce sont eux qui soutiennent l'État, la noblesse et les autres citoyens.
C'est de leur travail que sortent toutes les richesses » (ibid., p. 399).
618 Dans l'échec, la réussite
LA SPOLIATION REGULATRICE
1. Il faut noter aussi que dans cette confrontation l'offensive des agents « sérieux »
a bénéficié du concours des transfuges, c'est-à-dire des capitalistes à revenu fixe
qui se transforment en spéculateurs, tentant ainsi d'obtenir un avantage personnel
au détriment de l'intérêt collectif de la classe rentière. Mais ce concours ne peut |
être, par définition, que temporaire et le retrait des réaliseurs affaiblit la force des j
demandeurs d'inflation. ?
1720 : Année charnière 621
1. « Après 1720, c'est un peu partout la reprise et la mise en place d'une prospé-
rité de récupération qui tourne ensuite à l'essor » (Histoire de la France rurale,
p. 394).
« Le taux des grains reste stationnaire jusqu'en 1718... En 1719, la hausse s'ac-
centue et se stabilise. » Jamais les prix ne reviendront à leur niveau de 1715 à
1718 » (P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 216).
« Quant à la fin des famines, elle constitue dans d'assez vastes régions un fait
irréversible dès 1715-1720» (Histoire de la France rurale, p. 391).
« De 1720 à 1737 se produit une poussée démographique. Vers 1737 la France,
dans le cadre des frontières Vauban, a dû retrouver les 21 000 000 d'habitants
qu'elle avait dû compter peut-être vers 1625-1635 » (Histoire de la France rurale,
p. 365).
ÉPILOGUE
LA MORT A VENISE
LE DOSSIER WILSON
Nous avons tenté de résoudre cette énigme et nous n'y sommes parvenu
qu'imparfaitement. Si un certain discrédit s'attache aujourd'hui à l'histoire
événementielle et davantage encore à l'histoire anecdotique, cependant les
épisodes font partie de l'histoire aussi bien que les phénomènes profonds,
les uns et les autres sont inextricables dans la réalité de la vie et nous pen-
sons que les uns et les autres doivent être traités selon des procédures
sérieuses, voire scientifiques. Nous allons donc placer sous les yeux de nos
lecteurs l'ensemble des documents qui constituent le dossier, documents
dont plusieurs sont inédits et dont le plus important — le rapport du secré-
taire d'État — avait échappé jusqu'à ce jour aux recherches
1. M me Alice Hogdson m'a apporté un concours fort utile pour la recherche des
documents anglais utilisés dans cet ouvrage.
628 Annexes
Nous voyons ainsi apparaître, dans un document rédigé huit jours après
l'événement, la version selon laquelle la querelle des deux hommes était
due à une histoire de femmes, à la vérité fort anodine et échappant aux
modèles habituels. On comprend difficilement comment la propriétaire de la
maison pouvait sauvegarder son honneur et ses intérêts en provoquant
une si fâcheuse affaire et pourquoi Law s'y prêta si étourdiment.
Deux lettres émanant d'un certain Lapthorner, en date des 14 et
21 avril, font allusion à la même affaire, en répétant l'indication des reve-
nus du père de Wilson (200 livres) sans autre détail.
soit que les autres fils, Robert et James, qui le firent ériger, disposaient
eux-mêmes de quelque fortune. Quoi qu'il en soit de ce point précis, nous
verrons tout à l'heure qu'Edward Wilson appartenait à un clan puissant.
1. Le texte emploie constamment l'orthographe Lawe, mais Nichols qui l'a recopié
a rétabli l'orthographe Law.
630 Annexes
1. Cf. notamment : The Report of several cases argued and adjudged in the court
of King's Bench at Westminster, collected by Roger Comberbach Esq.
Late recorder of Chester and one of the justice of North Walle. Published by his
son Roger Comberbach of the inner Temple Esq. 1724.
632 Annexes
Il faut donc retenir que Law ne fit pas l'objet d'une nouvelle et définitive
condamnation, puisqu'une date avait été fixée, et qu'il ne risquait pas,
comme le pense Gray, d'être exécuté sous deux jours. Après cette condam-
nation, il lui serait encore resté la ressource d'un recours en grâce, car
contrairement à ce que pense M. Hyde, le roi pouvait exercer son droit de
grâce même après la procédure d'appel pour meurtre. Mais nous allons
voir justement dans quelles dispositions se trouvait le roi et quelles
étaient les implications politiques de cette affaire.
Ce document, qui ne semble pas avoir été connu des différents bio-
graphes de Law, a été établi à une date très postérieure à l'affaire, mais
il a pour objet d'apporter le témoignage de 1 auteur sur des faits qu'il a
connus à l'époque, en raison de ses fonctions. Ce rapport lui fut sans doute
demandé à l'époque où Law (qui avait déjà obtenu son pardon) se trouvait
placé dans le plein feu de l'actualité.
voir, purent seulement jurer que c'était quelqu'un comme lui. Voici
ce que dit le Roi : que des Ecossais pâtissent de leur bonne foi,
a-t-on jamais connu une chose semblable? et cela en se tournant
vers milord Selkk, qui — il faut lui rendre justice — m'appuyait alors
en faveur de M. Law, et vers deux ou trois autres personnes qui
se tenaient tout près et l'entendirent; la chose s'ébruita, mais,
quoique avec peine, je pus faire étouffer l'histoire... Le jour suivant,
revenant sur le même sujet, je déclarai au Roi que les Ecossais
n'oublieraient pas une pareille expression... Mais il me dit qu'il lui
était impossible de ne pas croire que M. Law voulait de l'argent, et
que s'il s'était querellé avec Wilson, qui, dit-il, était un lâche,
connu pour tel, c'était en vue de s'en faire donner (de l'argent).
Tout ce que je pus dire pour ôter de lui cette idée ne servit à rien.
Il se trouva que, à cette époque, le duc de Shrewsberry qui était
secrétaire et avait alors plus de pouvoir sur le Roi qu'homme qui
vive, m'avait fait confiance et m'avait employé dans une des circons-
tances les plus préoccupantes de sa vie. Je saisis l'occasion de l'en-
gager à sauver M. Law, ce qu'il me promit de tenter, mais en sem-
blant douter du succès; le Roi, dit-il, étant puissamment prévenu
contre lui, mais, ajouta-t-il, la première chose à faire c'est de
gagner du temps. En conséquence il le tiendrait hors du cabinet
pour une semaine et il me dit que je devrais trouver toutes les
preuves possibles qu'il ne s'agissait pas d'une affaire d'argent. Sur
quoi j'envoyais chercher à la Cité une personne qui avait rendu à
Law plus de services que quiconque. Je pense qu'il venait d'Écosse
mais je ne me rappelle pas son nom, ne l'ayant jamais vu depuis.
Il m'apporta à tous égards le genre d'explications que je lui deman-
dais, vraies ou fausses, je n'ai pas cherché à m'en enquérir. Mais
c'était ce qu'il me fallait. Je lui contai l'histoire de l'argent et
qu'il devait m'apporter des preuves que M. Law n'avait pas besoin
d'argent quand il s'était battu avec M. Wilson. Il me dit que la
chose était facile car il pourrait faire apparaître que M. Law, peu
avant, avait reçu 400 livres d'Écosse par billet, ce que les livres du
banquier pourraient montrer; eh bien, alors, lui dis-je, vous devez
engager le banquier (et ses livres) à aller avec moi chez le duc de
Shrewsberry; ce qu'il fit; et le banquier — je pense que ce n'était
>as M. Howles — affirma les faits au Duc et il offrit d'apporter ses
{ivres. J'avoue que le fait qu'il ne les ait pas apportés me fit suspec-
ter l'affaire, mais le duc fut satisfait, et deux jours après il me dit
qu'il avait satisfait le Roi, sur le fait qu'il n'y avait pas de question
d'argent dans la cause. Mais, dit-il encore, le Roi déclara qu'il ne
le pardonnera jamais sans le consentement des « amis »; il ajoute
qu il pensait que le Roi souhaitait qu'il puisse être sauvé, pourvu
que cela pût être fait d'une manière telle que le Roi n'y apparaisse
point, et moi pas davantage, me dit le Duc en parlant de lui-même.
Là donc je lui dis que rien n'était plus aisé que de donner un ordre
verbal aux gardiens de le laisser échapper comme cela avait été
fait dans beaucoup d'autres cas. Il objecta que le gardien étant res-
ponsable de Law raconterait tout; je répondis qu'il devrait prendre
634 Annexes
Le Secrétaire d'État termine son compte rendu sur une note fami-
lière. « Comment la vieille lady Ash, ma voisine à Twittenham, a
flairé cela, je l'ignore, mais quoique nous vivions en bon voisinage,
elle m'a toujours dit qu'elle avait un gros grief contre moi dans son
cœur (la famille Ash appartient au clan Wilson). »
« Le cas de M. Law est très douteux. Toutes les personnes sans préjugé
(indiffèrent) sont contre lui. Je n'ai jamais eu autant de reproches pour
aucune affaire depuis que je suis en Angleterre... Le lord chief Justice brûle
d'avoir sa vie, l'Archevêque m'a avoué qu'il avait lui-même pressé le Roi
de ne pas pardonner, car il s'agissait d'une chose odieuse... le Roi a fait
remarquer que personne n'avait été exécuté pour des duels depuis de
longues années; et que la loi devrait être d'abord remise en vigueur. (Law)
est à King's Bench, et c'est le billot s'il ne s'évade pas, ce qu il peut faire
aisément si l'on considère de quel genre de prison il s'agit. »
Environ deux ans après son arrivée (de Law) à Londres, un autre
Beau apparut, qui lui était fort inférieur, aussi bien pour les talents
que pour l'adresse, appelé Beau Wilson; ce gentleman avait été
enseigne dans les Flandres, mais soit que les tranchées fussent trop
froides pour sa constitution, soit qu'il n'aimât point le combat, il
renonça à sa commission et retourna à Londres, où, à la surprise
de toute la ville, il fit ses débuts de Beau; il prit une grande maison,
la meubla richement, eut une voiture à six chevaux, eut une abon-
dance de chevaux (en housses), un grand nombre de serviteurs;
personne ne recevait plus noblement et ne payait mieux. Il avait
du crédit auprès des banquiers les plus considérables de la Cité,
mais point de biens visibles, ne jouait pas si ce n'est pour des baga-
telles, et encore il perdait généralement.
Comme deux personnes d'un même commerce s'entendent rare-
ment, cette étoile éclatante suscita l'envie des autres Beaux. Des
manœuvres furent souvent conduites pour découvrir comment il
pouvait faire tout cela, mais ce fut en vain; on l'enivra, on lui envoya
des putains, on l'entraîna dans des parties de jeu, mais rien n'opéra.
A la fin M. Law, ayant eu une mauvaise passe aux dés, essaya
d'éprouver son courage; un enseigne des gardes, ami intime de
Wilson, fut associé au complot; Law devait faire une querelle d'hon-
neur (shame quarrel) avec Wilson; et comme (celui-ci) aurait natu-
rellement consulté l'autre (Whigtman) pour savoir ce qu'il devait
faire à ce sujet, l'enseigne (qui est devenu depuis un homme plus
important) devait lui conseiller d'arranger l'affaire avec de l'argent
(with a piece of money).
Cette amorce cependant ne prit pas parce que Wilson calcula que
s'il donnait de l'argent à Law pour éviter de se battre, chaque Beau
636 Annexes
X. Le roman à clef
Le récit de fiction auquel Gray fait allusion a été publié d'abord en 1708
en appendice d'un ouvrage intitulé : Mémoires de la cour d'Angleterre
sous le règne de Charles II par M m e de La Motte, comtesse d'Aulnoy.
Il constitue la lettre I dans la série : « The Lady'Packet broke open. »
Il a été également publié de façon identique en 1768 dans Court intrigue
in ce collection of original letters, from the Island of the New Atlantis.
L'auteur met en cause, sans la nommer autrement que My Lady, une
favorite du Roi Guillaume d'Angleterre, en fait Elisabeth de Villiers, per-
sonne que l'on tenait pour fort séduisante quoiqu'elle fût dépourvue de
beauté. Elisabeth aurait pris comme amant clandestin le beau Wilson
(désigné sous la lettre W) et l'aurait entretenu dans l'opulence. Wilson,
qui ne la rencontrait que dans l'obscurité, était censé ne pas connaître son
identité. Quand elle voulut se débarrasser de lui, il lui apprit qu'il l'avait
démasquée. Il constituait dès lors un danger pour elle, et elle aurait
appointé Law (désigné par son initiale), comme une sorte de tueur à gages.
Le dossier Wilson 637
1. « Des dépenses telles que seule une reine aurait pu les supporter » (op. cit.,
p. 534).
II
D'autre part, nous rencontrons dans les deux textes la même forme
d'ultimatum appuyé par une citation. Nous avons vu l'allusion à saint
Paul chez Olivier du Mont; dans l'Avis du 4 octobre, l'auteur évoque, en
lui donnant la même signification, la légende des Sibylles : « Ce mémoire
porte avec lui le remède, peut-être aura-t-il le même sort des autres, mais
en ce qui me concerne (passage précité) et je me retirerai ainsi que firent
les Sibylles. »
Nous inclinons à supposer que Law s'est trouvé réellement en relations
en 1701-1702 avec deux ou plusieurs participants, dont l'un au moins
était, comme lui, un faiseur de projets : celui qui signe Olivier du Mont.
Ainsi peut s'expliquer d'ailleurs la référence donnée par Law à plusieurs
témoins possibles de l'existence de son plan. Par la suite, les voies diver-
gèrent, mais Olivier du Mont pourrait être l'auteur de l'un des textes
regroupés dans la compilation de Chartres : en fait, le mémoire qui pro-
pose la création d'une Banque, selon une inspiration analogue à celle du
projet de Law — alors en cours d'examen — mais avec des modalités fort
différentes.
Naturellement, cette conclusion est purement... impressionniste mais,
peut-être, aurons-nous éveillé, chez quelques chasseurs d'énigmes, le désir
de découvrir quel pouvait être ce personnage que l'Histoire tenait sans
doute en réserve comme « doublure » de Law
TABLEAU DE COMPARAISON
1) Si un bien fonds qui vaut dix mil « Autoriser la commission à prêter des
écus par exemple était hypothéqué billets sur hypothèque en terres sans
pour les deux tiers seulement ou que le prêt excède la moitié ou les deux
pour moins que sa valeur. tiers de la valeur. »
Éd. P. Harsin, p. 107. Lettre du Œuvres complètes, op. cit., t. I,
Mont. p. 117.
Commentaire : Cette rencontre nous paraîtrait banale aujourd'hui.
Mais à l'époque l'idée d'une émission de monnaie gagée sur les terres est
relativement rare du moins en France 2 . De surcroît, le choix — raison-
nable — d'un plafond des deux tiers est un point précis de similitude. L'im-
portance de 1 affaire est surtout soulignée dans le premier mémoire : un
crédit hypothécaire, avec institution d'un cadastre et perception d'ua
droit spécial (cf. ci-après, point 5).
2) Les intérêts étant à 4 et 5 %, les « C'est une raison très forte pour
terres doivent augmenter de prix employer les terres aux usages de la
parce que ceux qui auront leurs monnaie et par là diminuer la demande
biens au comptant en trouvant un et la valeur des espèces d'or et d'argent
revenu aussi avantageux que le prêt et augmenter la valeur et la demande
de leur argent, les achèteront plus des terres. »
volontiers.
Deuxième mémoire, p. 121. Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 207-
208.
Commentaire : Les deux auteurs (?) pensent que leur système peut per-
mettre au Roi de payer, selon l'un en peu de temps, selon l'autre, en moins
de temps qu'elles n'ont été contractées, toutes les dettes du Roi, qui se
chiffrent à des sommes vertigineuses. C'est là une prétention que l'on peut
tenir pour extravagante et de surcroît pour rationnellement extravagante.
hypothèse et le sujet ne mérite pas d'être approfondi ici (P. Harsin, Crédit public,
p. 48, n. 31).
L'affaire Olivier du Mont 643
5) L'impôt du deux centième denier Pour abolir les autres abus qui se sont
Il est nécessaire pour la sûreté des introduits dans l'administration de nos
banques (sic) qu'il y eut en France finances, on nous a proposé de la simpli-
un registre de tous les contrats et fier et de la réduire à la seule imposition
autres dettes qui affectent terres, d'un tantième denier sur tous les biens
maisons ou autres biens réels, et fonds de notre royaume... Nous espé-
comme la plupart de ceux qui prêtent rons même que nous pourrons fixer cette
argent à intérêt n'ont rien payé au nouvelle et unique imposition au deux
roi par aucune taxe, leurs biens centième denier.
n'étant point connus, ce registre Projet d'édit, Œuvres complètes, t. III,
apporterait à Sa Majesté une somme p. 65-66.
considérable, le contrôle étant taxé
par le registre le deux centième de-
nier de capital.
Premier mémoire, op. cit., p. 112.
Commentaire : La correspondance des chiffres est frappante. Il s'agit
d'autre part d'une mesure considérable qui est un impôt sur le capital.
Cependant une différence doit être notée. La première version est celle
d'un impôt statistique, payable en une seule fois, assimilable à un droit
d'enregistrement ou de cadastre. La seconde est celle d'un impôt unique
et annuel assis sur le capital foncier.
1. Il nous faut cependant noter que ces conclusions identiques s'appuient sur
des mécanismes différents. Pour Olivier du Mont, le roi va, en peu de temps, amas-
ser tout l'argent du Royaume (et même des pays circonvoisins!) parce qu'il aura
donné des billets à la place. Il pourra le garder aussi longtemps qu'il lui plaira sans
qu'on y trouve à redire... et par conséquent, il pourra payer ses dettes avec cette res-
source (Harsin, Crédit public, p. 105). Il semble plutôt d'ailleurs qu'il les paierait
par une émission complémentaire de billets. Quoi qu'il en soit, il ne peut s'agir que
d'une escroquerie ou d'un abus de confiance.
La méthode, imaginée par Law dans son mémoire de 1707, se présente comme
moins scandaleuse, mais elle n'en paraît que plus chimérique. L'auteur pense en
effet que le roi percevra à son compte le revenu des terres qui auront été « consi-
gnées » pour faire de la monnaie et que c'est ce revenu qui lui permettra de payer
ses dettes! Notons cependant que Law s'exprime de façon beaucoup plus raison-
nable sur ce même sujet dans son Mémoire sur l'acquittement des dettes publiques
(Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 1 à 5).
644 Annexes
DE 1 7 1 1 - 1 7 1 2
En Angleterre, le billet Ce qui approche le plus
de banque et d'échiquier, à une nouvelle espèce de (au duc de Savoie)
les actions de la banque monnaie est la C le des « Il y a plusieurs sortes
et de la vieille et nou- Indes. Le fonds de cette de crédit en Angleterre :
velle C le des Indes courent C'" est partagé en actions les billets de la Banque,
le commerce. A négocier comme celui de la banque; les billets d'Échiquier, les
à la bourse d'Amsterdam on en négocie tous les taillies, les billets d'or-
les actions d'Angleterre... jours à la bourse. fèvres et banquiers parti-
sur le même pied qu'à Œuvres complètes, op. culiers, les actions de la
Londres. cit., t. I, p. 204-205. Banque, de la C ,e des
Harsin, Crédit public, Indes, etc. »
p. 1 0 8 . Œuvres complètes, op.
cit., t. I, p. 216.
III
Juillet 1 7 2 0
Du mercredy dix juillet mil sept cents vingt, dix heures du matin.
Nous, Jean-François Letrouy Deslandes, avocat en Parlement, commis-
saire au Chatelet de Paris ayant esté requis à l'Hostel de la Banque
Royalle où nous sommes entré dans une des salles d'icelle et où sont
comparus par devant nous Jean-Antoine Dutailly, caporal dans la compa-
gnye du Sr Duclost, fusillier du Roy, Jean Dupont dit St Jean, Bernard
Berdeau dit La Vallée, Guillaume Lefèvre dit Frinville, Jean Simon dit
Saint-Simon, et Edmon Hallagan et Louis Bonnelle, tous fusiliers de la
compagnye du Sr Duclost, demeurant tous à l'Hostel Royal des Invalides,
lesquels nous ont dit que pour l'execution des ordres du Roy et pour son
service, ils ont esté mis en faction devant une des portes de la Banque qui
est dans la rue Vivien, sur les huit à neuf heures du matin, pour laisser
entrer tous les cytoiens qui viennent ordinairement convertir leurs billets de
banque en argent ou coupper des billets, et empescher le desordre parmy
eux; avec des ordres de ne plus laisser entrer personne lorsque la cour
seroit pleine, et après qu'elle a esté pleine, ils ont refermé ladite porte où
ils sont restez en faction, et une demye heure après ou environ, une nom-
breuse populace attropée autour de ladite porte a voulu la forcer, et
jettoient pardessus les murs de ladite cour et pardessous ladite porte des
pierres en si grande quantité que les comparant ont esté obligez de se
coller contre la muraille et la porte; et quelques remontrances qu'ils ayent
faites à toute cette populace de ne les point forcer, elle n'a de rien servy,
et plus les comparans la prioit de se retirer, parce qu'ils ne pouvoient luy
ouvrir la porte, plus elle vouloit l'enfonser, et la plupart des gens de cette
populace jettoient de grosses pierres pour y parvenir et disoient : « Enfon-
sons la porte pour tuer ces B.-là », en parlant des comparants qui ont
1. Villedo.
Accidents survenus à la Banque 659
II
Du mercredy dix sept juillet mil sept cents vingt, huit heures du matin.
Nous, Jean-François Letrouyt Deslandes, avocat en Parlement, conseil-
ler du Roy, commissaire au Chatelet de Paris, sur l'avis qui nous a esté
donné qu'on avoit trouvé un cadavre sur le cours près la porte Montmartre,
et qu'on l'avoit apporté dans le cimetiere de St Joseph il y a environ une
heure, nous nous y sommes transporté à l'instant; où estant avons trouvé
un cadavre d'un particulier à nous inconnu ayant les cheveux bruns, vêtu
d'une veste caffé, d'une culotte de peau et de bas gris, ses souliers aux
pieds, étendu sur une pierre sur le dos, qui nous a paru estre un ouvrier.
Et pour connoitre de quelle maladie il est mort, si c'est par accident ou
par quelque coup d'épée ou de feu, nous avons mandé le Sr Germain,
maistre chirurgien rue Montmartre, qui ne s'est point trouvé, mais bien un
de ses garçons nommé Joseph La Comme, qui, estant arrivé, a visité ledit
cadavre en presence de Me Estienne Mesnil, prebstre docteur de Sorbonne,
vicaire de St Joseph, et de nous, et ne luy a trouvé aucun coup. Nous a dit
ledit La Comme qu'il croit avoir tombé et n'ayant peu se relever est mort
de mort subite. Et a este fouillé en nostre presence dans ses poches de
veste et de culotte; dans icelles ne s'y est trouvé qu'une petite rappe. Dont
et de dessus nous avons dressé le present procez ver bal pour servir et
valoir ce que de raison, et ont signé :
Letrouy Deslandes Mesnil La Comme
V
TABLEAU DE LA VALEUR
DES MONNAIES
1714-1721
TARIF NECESSAIRE,
P O U R T R O U V E R D A N S UN
moment les dattes des Edits , Déclarations du
Roy & Arrefts de fon Confeil, qui ont ordon-
né les Fabrications, Augmentations ou Dimi-
nutions fur les Efpeces d'Or , d'Argent , de
Billon & de Cuivre, à commencer au moi? de
Décembre ittp- o,ù il y eût une Refonte géné-
rale jufqu'à la fin de Novembre 1 7 1 1 .
t a dîmtnarfon qui par l'Arreft <lu j é . Sep-
tembre 1715. avoit été indiquée pour Dccerabre
fut partagé» far moitié ; Sçaroir, au 1 j. Octo-
bre * aud. premier Décembre 171). l'Arrtft
du 30. Septembre eut ton effet far le relia.
On zS.
v jfmJIJ'if.
Jrrtfl d I If. Au quinze Octobre les Louia pMif . lir. la. t
J Jinfi
" 1714.
" " Les Ecus pour 1. i . f . 4. i .
du Le premier Aiwil
4 , l'.mi 171 Le Loiiis d'Or de t f . au Marc réduit i j t. liv.
Le Loiiis d'0*de »o au Marc 4J. liv.
Le Loiiis d'Or de 30. au Marc 30. lir.
le Loiiis de }*. ma quart 1 4. lir. 10. $
L'Or réduit le .Mute, à tvo. lir.
Et le Marc d'Argent 1 60. lir.
Les Efpeces d'Or interdite* dan* le C o m m e r -
ce permit de les porter pendant leaaoii d'Avril
feulement à la Monnoye , le Marc à raifoa de 7jo. lir»
D
L ' E c u de l o . au M a r c f
Lei demi», quant ft dixièmes àpiap^M»
t'Ecu i» ti-rn Marc » li». i f . f.
L e t d é m i t , <tc. à proportion
L ' E c u de f . au Marc '7. li'- 'S-
L e » d e m i s , q u a r t s , Sec. à proportion
Au lé- Septembre.
O IL
Les Louis de i f . au Marc f4-
Les Loiiis de ao. au Marc 67. liv. to. f.
Les Loiiis de 30. ai} Marc • f. liv.
Lvi L..-,j 30. Un quart au Marc 37- liv. 4. f.
ARGENT.
L'Ecu de Dix au Marc -
L'Ecu de 8- au Mate 11. l i v . f , f.
L'Ecu de 9. au Marc 10. îiv.
Les Loiiis d'Argent 3- liv.
Les Livres d'Argent & fixiésnes d'Ecu liv. 10. r.
Les demis 15. fois.
Au premier O&obre.
O R.
Les Lgkis de i f . au Marc 4;. liv.
Les Louis de 10. au Marc 1. f.
Les Loiiis de 30. au Marc 37. 1. 10. f.
Ici Loiiis de 3®. un quart au Mars 31. lu.
, _
AtClMT.
Le» Irai it te. H Marc i * t ta f
le» Ecu de I. au Mare i » l t Ci A
Let Feu» de j . au Marc i ! 6 f Y d'
let Ledit d'Argent. ], "f ' '
Ici Livret d'Argent & ixiéoet d'Een ' j, (jj ' ç
Lu démit ii-C.'f'.é
Réformation generale fur Ici ( f f t c t s .
Le Loiiit réformé de » ; . ao Marc.
Î4- '>»•
Lei Ecui de io.au Marc eurent court pour r . |ir.
Les Loiiit d'Argent réforme» pour j, |jr.
Le Louis d'Or à
L'Ecu 1
Let Loiiit d'Argent 1
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-M
VI
Sans entrer dans les détails du change à cette date, il faut donner
quelques précisions ainsi que notre auteur le fait (p. 69 et sq.'). Pour
déterminer le pair réel de Vécu de change « qui est toujours de trois de nos
livres, contre des deniers de gros en Hollande et des deniers sterling en
Angleterre », il faut tenir compte des titres, des poids et des « valeurs
numéraires des monnoyes qui avaient cours dans ces trois États ». Ainsi,
vis-à-vis de la Hollande : « Les écus qui avaient cours en France étaient de
10 deniers 20 grains de fin, à la taille de 8 au marc et valaient 4 livres.
Les écus ou Reichsthallers de Hollande de 10 deniers 5 grains de fin à la
g
taille de 8 j g à notre marc valaient 96 deniers de gros argent de banque. »
Le pair de Vécu de change de France (soit 3 de nos livres) contre des
deniers de gros de Hollande, est en avril 1717 de 81 deniers de gros
argent de banque, « c'est-à-dire que celui qui donnait à Paris 3 des
livres, dont 4 valaient l'écu de 8 au marc, et qui recevait en Hollande
81 j-gg deniers de gros argent de banque, recevait exactement autant qu'il
donnait en poids et en titre; s'il recevait plus, il gagnait et s'il recevait
676 Annexes
Année 1717
80
avril-déc. 82 3/4 83 3/4 81 2,77 1 47 1/2 48 1/4 45 + 4,52
100
Année 1718
janvier 82 3/4 82 id. + 1,69 % 48 1/4 48 3/8 id. + 5,47 '
février
2-17 82 id. + 1,23% 48 1/4 id. + 2,45
33 1,07
18-26 78 78 1/4 82 - 5,26% 46 46 1/2 -
100
47 . . 33
1- 8 78 1/4 78 78 pair 46 46 1/2 46 + 4,30
100 100
8-31 78 1/2 76 id. - 3,14% 46 1/2 45 id. + 3,20
avril 74 a id. - 5,69% 43 3/4 id. — 1,33
6 42 3,70
mai 73 1/2 70 75 - 4,33% 43 1/4 40 -
100 100
43 n n 58
juin 50 3/4 58 3/4 59 - 11 % 31 3/4 33 1/4 i A 100 - 4,21
100
juillet 58 1/2 57 id. - 2,82% 33 32 3/4 id. - 2,60
août 56 3/4 57 id. - 4 , 2 9 % 32 1/2 id. — 3,21
septembre 56 1/4 54 + 4 , 1 6 % 32 1/2 30 1/2 + 6,55
octobre 56 1/4 55 3/8 id. + 3,35% 32 1/2 31 3/4 id. + 5,32
novembre 55 3/8 54 1/2 id. + 1,77% 31 3/4 31 1/4 id. + 3,27
décembre 54 52 3/4 53 3/4 40 + 10,02 1 31 30 1/8 30 3/4 27 i l + 11,11
100 100
PARIS SUR AMSTERDAM PARIS SUR LONDRES
Année 1719
62 47
janvier 53 52 3/4 48
100
+ 10,02 % 31 30 1/8 30 3/4 27
100
+ 11,03 '
février 53 1/4 52 1/2 id. 8,75 % 30 1/2 30 1/4 id. + 10,57 l,
mars 53 52 id. 7,97 % 30 1/4 30 1/8 29 3/4 id. + 9,31 !
avril 52 1/8 52 3/4 id. 7,81 % 29 3/4 29 1/2 29 3/4 id. 7,99 ï
mai 52 1/2 51 1/2 id. 6,95 % 29 3/4 id. 7,99 <•,
juin 52 52 1/2 id. 7,46% 29 3/4 30 id. 8,75 î
juillet 52 5/8 51 1/2 52 id. 8,47 % 30 29 1/2 id. 8,20 <
août 52 1/4 53 1/2 id. 8,73% 29 5/8 30 1/4 id. 8,97 <
septembre
1-15 53 1/4 25 1/2 id. + 8,67% 30 1/4 30 id. + 9,66%
94 10
16-30 52 51 1/2 47 + 7,22% 29 1/2 29 27 + 7,92%
100 100
octobre
1-15 51 3/4 51 1/4 id. 7,94 % 29 1/2 29 1/4 id. + 8,37 '
16-31 50 3/4 49 3/4 id. 4,81 % 29 28 1/2 id. + 6,11'
novembre
1-15 49 1/2 47 id. 1,29% 28 1/4 27 id. + 3,88 '
16-30 47 43 1/2 id. 5,61 % 27 24 1/2 id. - 4,97 1
décembre
76 30 4,14 %
1-20 43 1/4 42 1/2 44 4,47 ' 23 1/2 25 25
100 100
93
21-31 45 45 3/4 45 SS. 1,9 ' 25 25 3/4 25 2,13%
100 100
PARIS SUR AMSTERDAM PARIS SUR LONDRES
Année 1720
janvier
1-20 45 3/4 42 1/2 ^ 88 - 3,82% 25 1/4 23 25 - 6.96 %
îôô
4 5 100
21-31 42 40 4 2 ^ - 4,16% 23 1/4 22 24-^ - 6.42%
100 100
février
1-21 39 1/2 35 id. - 12,92 % 21 3/4 19 1/2 id. - 14.67 %
22-29 35 1/2 38 1/2 411 - 10,10% 20 1/2 22 - 8,63%
100 " 100
mars
1- 6 34 1/2 34 id. - 16,78% 21 3/4 19 1/2 id. - 9,17%
,, 47 19 - 12,63 %
7-19 34 25 1/2 35 - 15,78 % 19 1/2 14 3/4 20
ÏÔÔ 100
20-30 33 1/2 31 3/4 3 3 A2. - 3,66% 18 3/4 17 18 19 — - 5,89%
3 100 100
avril 31 1/2 32 1/2 33 1/4 id. - 3,67% 18 18 1/2 19 1/4 id. - 3,04%
mai
50
1-21 33 33 1/2 34 1A - 1,93% 19 3/8 19 1 9 i l
- 1.81 %
3 4 ÏÔÔ 100
22-31° 25 1/2 25 id. -26,8% 15 1/2 15 id. - 21,95 %
û. « L'arrêt du 21 mai, publié le 22, dérangea tellement le change et le commerce^ qu'il n'yjeut aucun cours pendant plusieurs jours. » Celui du
29, publié le 31, ne pouvait avoir d'influence le jour même de sa publication. Les chiffres donnés ici correspondent au cours du 31 mai.
PARIS SUR AMSTERDAM PARIS SUR LONDRES
juin
1-10 25 22 1/2 31 .22. - 24,6 % 15 1/2 12 3/4 17 JJL
1 ' 100 - 20,48 %
31100
septembre
1-16 13 1/4 11 3/4 i* 58 - 14,54 % 7 3/4 8 7 1/2 H 23
- 5,46 %
1 4 I Ô 0 100
16-30 8 1/4 7 1/4 1 2
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* Elles ont été ordonnées par l'article 32 de l'Édit du mois d'août 1717.
Chaque action était de 500 1., on les acquéroit en billets de l'État, desquels
l'intérêt estoit deub depuis le premier j o u r du mois de janvier de la même
année.
Le bénéfice se prenoit sur les 500 1., on ajoutoit au bénéfice la somme
payée.
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* Soumissions sur les 150 millions ordonnées par les trois arrêts suivants :
50 millions par arrest du 13 7bre 1719, on les acqueroit sur le pied de
1 000 1. %, ainsi les 500 1. du premier fonds revenoit à 5 000 1. que l'on
devoit payer en 10 payements égaux de mois en mois le premier comptant
— 50 millions par arrest du 28 de ce mois de 7bre — 50 millions par
arrest du 2 octobre 1719, aux conditions des arrêts des 13 et 26 7bre.
B ibliographie
ESSAI DE BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
A deux reprises déjà en 1928 1 , puis avec plus de détails en 1934 2 , nous
avons esquissé une bibliographie du sujet sans chercher à être exhaustif.
Mais depuis lors les travaux se sont multipliés et diversifiés au point
qu'une revue complète devient bien malaisée. Pourtant il nous a paru utile
de faire le point de la question et de préciser sur quel terrain de nouvelles
recherches apparaissent désirables ou bien encore quelles suggestions
pourraient être fructueuses dans l'interprétation du phénomène. L'angle
sous lequel a été envisagé le Système de Law a constamment changé depuis
deux siècles et demi et sa modernité a été mise en lumière au milieu de
notre siècle. On peut donc soutenir que son intérêt est inépuisable.
L'essai que nous en avons tenté fait la place très large à la documen-
tation contemporaine du Système dont les ressources ne sont pas encore
toutes mises à jour. D'autre part les expériences monétaires du xxe siècle
renouvellent l'interprétation théorique que l'on peut en donner. Les contro-
verses si ardentes jadis au sujet du problème de l'inflation tendent à s'apai-
ser pour prendre une direction scientifique nouvelle. A bien des égards le
financier écossais peut être considéré comme le foyer des analyses et des
appréciations auxquelles peuvent se livrer les historiens des doctrines éco-
nomiques.
C'est en fonction de ces considérations que nous nous permettons d'éla-
borer cet essai de bibliographie critique. Il nous serait agréable d'en
connaître les lacunes ou les erreurs et nous faisons appel à la collaboration
internationale pour en améliorer la présentation.
B I O G R A P H I E
inediti (Memorie délia reale Academia délia scienze di Torino, série II,
t. 64) où il révélait les statuts projetés pour la banque piémontaise.
Enfin, dès 1910, M. Fritz Karl Mann inaugurait ses importants travaux
sur les économistes français des xvne et xvme siècles, en publiant successi-
vement : Les Projets de retour en France de Law (Revue d'histoire des
doctrines économiques, 1910, p. 41-47); Justification du Système de
Law par son auteur (Revue d'histoire économique et sociale, 1913, p. 49-
103) ; Die Vorgeschichte des Finanzsystems von Law (Jahrbuchfiir Gesetz-
gebung, Verwaltung und Volkswirtschaft, 1913, n° 3, p. 81-145).
Nous-même, en 1927, apportions une Contribution à l'étude du Sys-
tème de Law en révélant deux mémoires de 1719 et 1723 (Annales de la î
Société scientifique de Bruxelles, série D, 1927, p. 33-71) et l'année
suivante, fournissions une Étude critique sur la bibliographie des œuvres
de Jean Law, avec une série de textes inédits (Publications de la Faculté
de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège, vol. 39, 1928). Enfin, j
après avoir évoqué en 1932 Le Problème des mémoires justificatifs de
Law à la Société d'histoire moderne (Bulletin de la Société, Ie série, t. 38,
p. 11-13), nous avons publié en 1934 en 3 volumes (Liège et Paris) les
Œuvres complètes de John Law. 1
Il nous faut à présent apporter une rectification importante à cette édi- j
tion. Le texte n° IX : Restablissement du commerce, septembre 1715 j
(t. II, p. 67-259) que nous avions, non sans réserve, attribué à Law doit J
être restitué à son véritable auteur. M. Edgar Faure a fortement exprimé j
son scepticisme à l'égard de la paternité de Law qui aurait été suggérée 1
par Montesquieu (ci-dessus p. 57-58) d'après le manuscrit 735 (aujour- j
d'hui détruit) de la Bibliothèque de Chartres (édition t. I, p. X X X I X - X L I I I ) |
nir ultérieurement sur l'œuvre exacte de ce dernier que l'on peut dater de
1698 ou de 1700. Il convient toutefois d'observer que les soixante-quinze
dernières pages du Mémoire publié, relatives à l'amortissement de la dette
publique, n'ont aucun équivalent dans les mémoires de Jean Le Pottier
de La Hestroye.
Donc la participation de Law à la production du texte en litige demeure
possible.
Pour être complet, nous signalerons encore qu'en 1951, M. Henry Ger-
main-Martin nous a signalé avoir fait l'acquisition à Tours d'un huitième
manuscrit de l'Histoire des finances (t. III, n° 39 de notre édition) de
202 folios et a émis l'hypothèse que le rédacteur de cette œuvre pourrait
être le conseiller René Pallu, très souvent cité par le marquis d'Argenson,
membre avec le duc de Saint-Simon et l'abbé de Saint-Pierre du fameux
club de l'Entresol de l'abbé Alary. Cette conjecture n'est pas invraisem-
blable et reste à vérifier.
LES CORRESPONDANCES,
MÉMOIRES OU CHRONIQUES CONTEMPORAINS
Tous les historiens du Système ont puisé dans les notations précieuses du
curieux bibliothécaire qui tint la plume au jour le jour jusqu'en 1726,
moment où il remit son oeuvre à l'abbé Bignon (Mémoire Journal de Jean
Buvat, éd. Omont, 1900, p. 81). L'édition est médiocre et comporte des
suppressions regrettables.
Sur la foi de son éditeur, E. de Barthélémy, on a attribué au même Buvat
une Gazette de la Régence, publiée d'après un manuscrit de La Haye, à
Paris en 1887. Or il ne s'agit ni d'une gazette ni d'une chronique, mais
d'un ensemble de lettres, sortes de nouvelles du jour pour une agence.
Les nombreuses bévues de l'éditeur, qui a d'ailleurs supprimé tout ce qui
concernait l'Angleterre, ne recommandent pas ce travail. !
en 1891, sont l'œuvre d'un faiseur et n'ont que très peu d'importance.
Il en est de même des Mémoires du président Henault (éd. Rousseau en
1911), des Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV, la Régence et le
règne de Louis XV de Duclos, secrétaire perpétuel de l'Académie française,
édités au xvme siècle (avec des notes de Voltaire) et réédités en 2 vol. en
1864; des Mémoires du baron de Pôllnitz (Londres, 1735), etc.
Quelques pages seraient à retenir des Mémoires de la minorité de
Louis XV de J.-B. Massillon, dont l'édition tardive est de 1792, si l'on
n'avait pas affaire à un faux de Soulavie. Quelques notions sporadiques
sont à relever dans les Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV,
édités en 1865 par Dussieux et Soulié.
Il n'y a rien à trouver dans les mémoires du duc de Richelieu, du maré-
chal de Berwick, du maréchal de Tessé, ni même dans les mémoires inédits
de Torcy. Quant aux Mémoires de Madame de Staal-Delaunay, unique-
ment préoccupée par les intrigues de cour, ils sont étrangers aux opéra-
tions financières.
Un intérêt particulier doit s'attacher aux Correspondances diploma-
tiques, surtout à celles d'Angleterre.
L'ambassade britannique à Paris est occupée par Lord John Stair dont
le rôle, précisé dans les British diplomatie instructions, série France,
vol. II, 1689-1721, publié par L. C. Wickham Legg (Londres, 1925), avait
été parfaitement mis en lumière par l'abbé Louis Wiesener (Lord Stair et
John Law à propos du Système : Séances et travaux de l'Académie des
sciences morales et politiques, t. 148, 1897, p. 929-974) et replacé dans
la perspective historique générale par le même auteur dans son grand
ouvrage Le Régent, l'abbé Dubois et les Anglais d'après des sources bri-
tanniques (3 vol., 1891-1899), quelque peu enrichi par le Père Bliard,
« hagiographe » de Dubois (Dubois, cardinal et Premier ministre, Paris,
1901-1902, t. II, chap. 10). Mais la correspondance de Stair et de son suc-
cesseur Robert Sutton était déjà bien connue par la publication de
S. Hardwicke, Miscellaneous States Paperfrom 1501 to 1726 (1778) dont
le tome II renferme le Journal de Stair et sa correspondance avec le secré-
taire d'État Craggs de 1717 à 1720. De plus, en 1875, John Murray
Graham's publia les Annals and correspondence of the Viscount and the
first and second Earls of Stair (au t. II). On aurait pu croire la question
épuisée. Mais M. Edgar Faure l'a complètement renouvelée en découvrant
au Public Record Office les nombreuses lettres envoyées par Stair, son
secrétaire Thomas Crawford et surtout Daniel Pulteney au secrétaire
d'État Stanhope qui explicitent le déroulement de toutes les opérations
financières du Système.
D'autre part, les rapports de Law avec les Jacobites, ignorés de
G. Du Boscq de Beaumont et M. Bernos dans leur monographie La Cour
des Stuart à Saint-Germain-en-Laye 1689-1718 (1912), sont clairement
établis par la publication Calendar of the Stuart Papers (1902-1923) de
Blackburne Daniell, t. III, IV et surtout VI et VII, et la thèse de M. Claude
Nordmann.
On voudrait pouvoir trouver des sources de cette qualité dans les autres
archives européennes, mais le dépouillement n'en a pas été fait. Du côté
espagnol, les publications ne manquent pas. L'ouvrage de Baudrillart sur
700 B ib liog raphie
1. « Observations sur MM. Jean Lass, Melon et Dutot, sur le commerce, le luxe.
Bibliographie 703
les monnaies et les impôts » (Œuvres complètes, éd. Garnier, t. XXXII, p. 359-370)
qui ne sont en rien différentes de la Lettre de M. Voltaire à M. Thiriot sur le livre
de M. Dutot. L'auteur n'y fait montre d'aucune originalité.
1. Il existe une Histoire de MM. Pâris, avec pour sous-titre « ouvrage dans lequel
on montre comment un Royaume peut passer dans l'espace de cinq années de l'état
le plus déplorable à l'état le plus florissant » (1776) par un certain M. de Luchet
qui s'est borné à résumer l'un des mémoires rédigés par le deuxième des quatre
frères.
2. Chose étrange, seul le plus jeune des frères Pâris et le moins intéressant a
eu les honneurs d'une biographie. M. Robert Dubois-Corneau a publié en 1917 un
gros in-4° sur Pâris de Monmartel (Jean) banquier de la Cour mais cet ouvrage
n'apporte rien d'inédit sur les principales opérations financières des quatre
frères.
3. 11 s'agit surtout du Discours de M. Pâris de La Montagne à ses enfants... de
1729 et du Mémoire du sieur Pâris de La Montagne pour Monseigneur seul sur la
conduite de ses frères... (1727 et 1740) que nous avons décrit dans notre édition de
Dutot.
704 B ib liog raphie
1. On peut citer encore des Mémoires sur les domaines, le commerce, droits d'en-
trées et de sorties du royaume, droits de péages, les grands chemins, la banque de
Law et le crédit public, 3 vol. in-4° en 1747 (au t. 1).
706 B ib liog raphie
INSTITUTIONS DE LA REGENCE
ET LEUR FONCTIONNEMENT
1. Dans le même esprit, Émile Paz et Louis Gratien (La Finance d'autrefois,
1892, p. 25-64); Oscar de Vallée (Les manieurs d'argent, chap. II à xm, 1857);
Vicomtesse Alix de Janzé (Les Finances d'autrefois, 1886), naturellement périmés.
2. Et en Provence, mais pour la période de 1687-1704 correspondant à l'inten-
dance de Lebret, par J. Marchand en 1889.
708 B ib liog raphie
L'abondance de la littérature au xxe siècle est telle qu'il nous faut modi-
fier notre plan et ranger la matière sous diverses rubriques, telles que les
travaux sur l'ensemble des problèmes soulevés, ceux qui sont relatifs au
problème monétaire, à celui de la banque et du crédit, au dirigisme, au
problème fiscal, au problème commercial et colonial, à l'agiotage, aux
effets immédiats et lointains du Système. Puis nous envisagerons la place
réservée à Law dans les histoires générales, histoires de France, histoire
de la Régence. Enfin nous passerons en revue les histoires des doctrines
économiques et particulièrement monétaires ou financières pour repérer
la place assignée à ses conceptions. Il va de soi que dans ce dernier
domaine surtout, on ne peut être exhaustif, sinon il faudrait citer la plu-
part des historiens ou des économistes. Nous nous bornerons à en retenir
les principaux à titre d'exemple. On voudra bien excuser le relatif arbi-
traire de notre choix.
à Hahn; Ch. von Reichenau, Die Kapital funktion der Kredits (Iéna,
1932); Mario di Gennaro, Giovanni Law e l'opere sua (Milan, 1 9 3 l ) , très
honorable résumé des écrits de Law et du recueil de Du Hautchamp; Paul
Harsin, Crédit public et Banque d'État en France du XVIe au XVIIIe siècle
(Paris, 1933), notamment p. 55-63.
History of the principal public banks... collected by J. C. Van Dillen
(La Haye, 1934) avec une bibliographie complète pour la France; Max
Wassermann et Frank Beach, Some neglected monetary theories of John
Law (The American economic Review, t. 24, 1934, p. 6 4 6 - 6 5 7 ) ; Jacobus
Greven, Die dynamische Geld-und Kreditlehre des Merkantilismus : eine
Studie zu John Law (Berlin, 1936), ouvrage très sérieux et approfondi; 1
Jozef Swidrowski, Poprzednicy Law à Zeodla jego doktryny monetarney 1
(extrait de Roczniki dziejow spolecznych ignospodarezych, t. VI, 1937, 1
p. 115-162), signale les sources anglaises de la doctrine de Law et annonce !
une thèse sur les théories monétaires. j
Par-delà la Seconde Guerre mondiale, l'intérêt ne cesse pas de se |
porter sur l'Écossais et nous en enregistrons bien des témoignages. Un j
article de Wilson dans le Quarterly Journal of économies (t. 62, 1948) j
souligne la filiation John Law and Keynes. Nous y faisons écho en 1952 •
dans le Bulletin de la Classe des Lettres et Sciences morales et politiques S
de l'Académie royale de Belgique (t. 38, 5 e série, p. 27-36), Keynes, Law
et Montesquieu et dans les Comptes rendus des travaux de la Société
d'économie politique de Belgique (n° 2 1 4 , 1952, p. 5-10), La Modernité
de John Law. Deux publications de caractère plus général soulignent l'en-
semble de la carrière de l'Écossais : H. Montgomery Hyde, The History of
an honest adventurer ( 1 9 4 8 , traduit en français sous le titre John Law, un
honnête aventurier par M. de Ginestel, Paris, 1949) et Henri Trintzius,
John Law et la naissance du dirigisme (Paris, 1950). Un chapitre de l'ou-
vrage de Lamberto Incarnati, Banca e moneta delle crociate alla rivo-
luzione francese (Rome, 1949), fait le parallèle entre banque d'Angleterre
et banque de Law (p. 153-180). Un article de Ch. Rist, Vieilles idées deve-
nues neuves sur la monnaie (Revue d'économie politique, t. 61, 1951,
p. 7 1 7 - 7 3 5 ; et déjà Travaux et Mémoires de l Academie des sciences
morales et politiques, 1950, p. 1 9 1 - 2 0 4 ) affirme, avec Mac Leod, le retour
aux idées au financier écossais. De même K. Sulzer, Zum Finanzsystem
John Laws (Schweizerische Zeitung fiir Volkswirtschaft und Staatswirt-
schaft, Berne, 8 8 , 1952).
Il faut mettre hors de pair la dissertation doctorale de M. Roland
Standte, élève du professeur Saitzew : John Law : ein Betrag zur Geld-
und Kredittheorie der Merkantilisten und Wirtschaftpolitik des Regence
(Winterthur, 1953), excellente à tous égards malgré sa sobriété (112 p.).
L'ouvrage de P. Jannaccone exploite le thème Moneta e lavoro (Turin,
1954), M. Salvatore Magri, utilisant les meilleurs textes traduits en italien
reconstitue La Strana vita del banchiere Law (Milan, 1956) et M. Amedeo
Gambino évoque John Law, banker and economist (Banca nazionale del
lavoro quarterly review, n° 38, septembre 1946, p. 3-13).
Dans sa thèse de Lyon de 1958, J. Sibert développe un Essai sur quelques
problèmes économiques et monétaires dej. LawàJ. M. Keynes et M. Michel
A. Sallon, se fondant sur les textes mêmes de l'Écossais, explique L'Échec
Bibliographie 713
SPÉCULATION ET AGIOTAGE
On peut dire qu'au xixe siècle c'est à peu près tout ce que l'on avait
retenu de l'histoire du Système.
Témoins G. Bigot, Les Grandes Catastrophes financières : études histo-
riques et comparatives (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et
arts de la Sarthe, 2 e série, t. XXI, 1883, p. 17-78); J. Rambaud, Les
Banqueroutes financières de l'Ancien Régime de 1700 à 1789 (1890).
H. Baudrillart, Histoire du luxe privé et public, 2 e éd. 1 8 8 1 , t . IV, p. 256-
271.
Dans le même esprit, J. Shield Nicholson dans son Treatise on money
and monetary problems (1888, 3 e éd., 1901) reproduit Ch. Mackoy's,
Extraordinary popular delusions. A valuable essay on John Law of Lau-
riston (publié à New York en 1854) et, en 1905, dans son Trattato sulla
moneta e saggi su questioni monetarie, Giovanni Law di Lauriston e la
pire grando follia speculativa che si ricordi.
Alfred Weymann, traitant en 1910 Die merkantilise Wâhrungspolitik
Herzog Leopoldvon Lothringen mit... Law, avait l'année antérieure publié
Die herzoglich-lothringische Handelskompagnie 1720-1725. Ein Beitrag
714 B ib liog raphie
C'est M. Karl Fritz Mann qui, ici encore, a attiré l'attention sur la
conception politique du Système. Il a clairement précisé Die politische
Ideengehalt von John Laws Finanzsystem (Jahrbiicher fur Nationalôko-
nomie und Statistik, 3. Folge, 1919, p. 97-122).
Dans sa thèse de 1930, à Cologne, M. Fritz Pappenheim a développé ce
716 B ib liog raphie
Bien que certains auteurs aient au cours des xvme et xixe siècles traité du
problème colonial à propos du Système de Law, il faut attendre le
xx e siècle pour trouver des études spécifiques à ce sujet.
L'excellent travail de H. Weber (La Compagnie française des Indes,
thèse, Paris, 1904), les publications de Paul Masson (Histoire des éta-
blissements français et du commerce en Afrique barbaresque de 1560 à
1793, 1903, Histoire du commercefrançais dans le Levant au XVIIIe siècle,
1911) et les premières études sur la Louisiane (Henri Gravier, La Coloni-
sation de la Louisiane à l'époque de Law, 1904 ; M. Dubois, La Louisiane
à l'époque de Law, 1904 ; Pierre Heinrich, La Louisiane sous la Compagnie
des Inaes 1717-1731, Paris, 1907), inaugurent un mouvement qui ne se
relâchera plus. En 1908, Paul Kaeppelin et François Martin publient la
Compagnie des Indes orientales : Études sur l'histoire du commerce et des
établissements français dans l'Inde sous Louis XIV, 1664-1719, dont les
pages 6 0 2 à 6 4 4 concernent l'époque 1 7 1 4 - 1 7 2 0 ; Paul Cultru, en 1910,
donne son Histoire du Sénégal au XV siècle à 1850, dont les pages 167 à
183 traitent la période 1715 à 1723; A. Girard s'attache à La Réorgani-
sation de la Compagnie des Indes 1719-1723 (Revue d'histoire moderne,
t. XI, 1 9 0 8 - 1 9 0 9 , p. 5 - 3 4 , 177-197).
Parallèlement William Robert Scott fait paraître un magistral travail
(The constitution and finance of English, Scottish and Irish joint stock
Companies to 1720 en 3 volumes, 1 9 1 0 - 1 9 1 1 , Cambridge, dont le t. III,
surtout p. 2 9 8 - 3 0 1 , intéresse notre sujet).
Une dissertation doctorale de Zurich, en 1913, due à O. Strub, envisage
l'ensemble du problème Law's handel- und Kolonialpolitik (228 p.).
En 1916 paraît à New York l'important travail de N.M. Miller Survey,
The commerce of Louisiane during the French regime 1699-1763, entière-
ment fondé sur des sources d'archives principalement du ministère des
Bibliographie 717
Bibliographie 721
Paul Harsin.
Première partie
L ' H O M M E ET LA DOCTRINE
Deuxième partie
LA BANQUE ET LA GUERRE
Troisième partie
La dualité du Système
XVIII. Le plan sage ( 2 7 - 3 1 août 1 7 1 9 ) 219
XIX. Le plan fou ( 1 3 septembre 1 7 1 9 et la suite) 229
Cycle de la Banqueroute
X X X I V . L'énigme de la vérification interrompue 457
X X X V . La déflation tous azimuts 468
X X X V I . L'émeute de la rue Vivienne 477
X X X V I I . L'ouverture finit à Pontoise 490
X X X V I I I . La campagne de France 497
Quatrième partie
ANNEXES