Ordo ab chao
Liberté-Egalité-Fraternité
Toujours au 5ème degré, les funérailles grandioses d’Hiram peuvent êtres perçues
comme une façon de rendre une dernière fois hommage à celui-ci, mais le faste
et la pompe qui animent le cérémonial sonnent aussi le tocsin d'un passé révolu.
Le caractère emphatique du vivant, qui tente ici de se sauver lui même, est de
sauvegarder le vestige d'un traumatisme qui n'en est plus un, car un nouveau
maître est né. Soit, les assassins courent toujours, mais c'est à travers leur acte,
leur absence et leur errements supposés que va se construire le soutènement des
3 degrés suivants, et permettre à un nouveau maître, Johaben, de se soustraire de
la tutelle d’Hiram, pour former au 6ème degré une nouvelle triade, avec Salomon
et Hiram de Tyr.
Dés le 6ème degré, Johaben, par curiosité, pénètre par effraction au sein de la
doublette groupe Salomon-Hiram de Tyr, afin de s'y fondre. Mais on ne s'intègre
pas dans un nouveau milieu sans s'aligner sur ce qui en définit les fondements:
Johaben sera condamné, puis relaxé: on peut voir dans cet acte de Salomon une
forme d’indulgence, en accord avec cette sagesse qui caractérisera un temps son
règne, mais on peut aussi voir dans ce revirement une façon d'être testé afin
d'être mieux accepté.
Cette relaxe de Johaben peut également être interprétée par le fait que son acte,
d’abord jugé décalé, va ensuite être digéré,et donc légitimé par le système en
place, participant à la construction d’une justice qui est constante quant au but
recherché, mais évolutive dans ce qui la compose.
Au huitième degré, il est dit: « j'ai été jugé digne... » : la souveraineté
fraîchement acquise, par l'Intendant des Bâtiments, de chef des Ordres
Architecturaux semble rendre inutile chez celui-ci le besoin de justice, dans ce
qu'elle a de partagée: ce qui existait précédemment, au septième degré, au
travers de concepts dynamiques, comme la concorde, l'équilibre ou l' équité
cesse d'être mis en avant, et s'y substituent, au huitième degré , les concepts de
souveraine sagesse, d'exactitude, car ce qui est exact est achevé, des sept
marches accomplies, donc globalement concepts de finitude et d'aboutissement.
La justice semble ainsi s'effacer quand la souveraineté s'impose.
Pourtant la souveraineté n'est pas qu'indépendance, elle est surtout la capacité à
faire avec ce que l’on est, et seule une entité véritablement constituée est apte à
percevoir ses propres limites, fussent-elles intérieures: Johaben avoue d'ailleurs
à ce stade à Salomon (8ème degré) qu'« un mur d'airain lui masque encore
partiellement les ornements du temple ».
Ce mur d’airain est l’expression d’un deuil que le récipiendaire ne peut pas faire
complètement, à cause de l’incertitude qui subsiste depuis le troisième degré sur
le devenir de ces mauvais compagnons qui sont finalement à l’origine de
l'existence de Johaben.
Au 9ème degré, Johaben se fait justice, par son acte précipité. La justice
apparaît habituellement comme l'acte réfléchi d'un appareil chargé de cette
tâche, mais ici l'acte ne s'effectue pas dans les règles de l'art : c’est justement
grâce à quoi l'acte de Johaben est fondateur : cet acte se fait dans une urgence
qui n’est pas celle de l’immaturité, mais qui est celle d’une nécessaire rupture
avec une évolution qui durait depuis le 3éme degré. La désobéissance de
Johaben entérinera donc son élection.
Cette façon radicale d'administrer la justice est validée par Salomon, qui
renoncera une nouvelle fois à punir Johaben, abondant ainsi dans son sens : il y
a donc encore ici consommation de la « faute », c'est à dire admission,
incorporation de celle-ci par la méthode de la punition annulée: cela permet de
renforcer encore la légitimité de Johaben : l’erreur est devenue une force ,qui ne
vient pas seulement ici corriger sa faute, mais plutôt compléter la vision qu’il
doit avoir de la situation : il est donc possible d’interpréter de façon tout à fait
opposée l’acte commis par Johaben.
Dans la légende du 10ème degré, le temps de voyage des élus, de recherche des
meurtriers, de leur acheminement devant Salomon, de leur séquestration dans la
tour d'Achizar, puis la durée et les horaires du processus de torture sont
numériquement déterminés : on peut y voir l'empreinte de la raison et de la
méthode. Le châtiment va être consommé dans ce qu’il a d’utile et nécessaire:
c'est la justice de droit, pleinement assumée et pleinement réalisée.
On pourrait voir ici la torture exercée sur les 2 compagnons comme un acte
barbare et décalé, mais pris sur le sens symbolique qui est celui du déroulé de la
légende, on a au contraire l’image d’une sanction maîtrisée, d’une purge cadrée,
y compris dans la façon apparemment un peu glauque d’ouvrir les entrailles des
condamnés, mais qui signe au contraire un acte assumé et dont la méthode est
exposée au grand jour.
Le 11ème degré représente une finalité dans sa formulation : êtes-vous Sublime
Chevalier Elu ? R : Mon nom vous le prouve : l’effet semble donc justifier la
cause, une boucle est bouclée. Exécution, récompense, accomplissement,
satisfaction sont des mots qui jalonnent ce degré et qui reflètent un certain
aboutissement. Cela dit, cet aboutissement est tempéré par le terme de
sublime :cet adjectif est très ambivalent : il faut s’arrêter sur le sens premier que
lui accorde l’ancien Littré : sublime, en anatomie, s’oppose à profond : il
qualifie par ex les muscles superficiels, par rapport aux muscles profonds :cette
acception de « au dessus de », de superficiel, peut avoir aussi bien une
connotation flatteuse, comme dans son sens actuel, qu’une connotation
nettement moins favorable, au sens de moins profond, de secondaire, comme le
confirmerait l’étymologie sub-lime, en deçà du seuil, de la limite. Cette
ambivalence laisse sous entendre que,tout sublime qu’il est, le récipiendaire
n’est sans doute pas encore au bout de ses peines.