À toutes ces activités productives il convient d’ajouter que les Assemblées générale et
annuelles de la Société ont donné lieu à des retrouvailles conviviales, à des visites
touristiques, à un buffet et à des représentations théâtrales d'œuvres de Mirbeau. Une
vingtaine d’entre elles ont eu lieu à Angers, et les autres à l’ Arsenal, à Trélazé, à Saumur, à
Rémalard et à Triel-sur-Seine.
Le résultat est à la hauteur des efforts fournis pendant un quart de siècle et dépasse
largement mes espérances initiales. Non seulement Octave Mirbeau est de nouveau publié et
lu par un nombre croissant de personnes dans toutes sortes de pays, et souvent sans bourse
délier, ce qui en renforce l’accès, mais il est maintenant internationalement reconnu comme
un écrivain de première importance, qui a joué un rôle considérable dans l’histoire littéraire,
bien sûr, mais aussi dans celle des beaux-arts et dans l’histoire politique et sociale. Alors que,
comme Zola dans les années 1960, il était peu ou prou ignoré ou snobé à l’université, il y a
fait son entrée et les études universitaires, mémoires et thèses, se multiplient, en France et à
l’étranger, y compris en Uruguay, en Tunisie, en Algérie, au Maroc, au Cameroun, et même en
Chine...
Tous les objectifs que je m’étais fixés en créant la Société Mirbeau et en la finançant
largement (à hauteur de quelque 20 000 €) ont donc été plus qu’atteints. Dans ces conditions,
quand j’ai dû, pour raisons personnelles, passer le relais à la présidence de la SOM, afin de
me décharger un peu d’un ensemble de tâches écrasant, je pouvais être rassuré : l’essentiel
était acquis et tout l’énorme travail réalisé en 25 ans, qui avait permis de changer totalement
le regard porté sur Mirbeau, n’était plus à faire. Je pouvais donc ralentir un peu le rythme de
travail en toute sérénité.
Mais ce calme était en réalité celui qui précède la tempête. Cette tempête a éclaté au
cours de la longue phase de transition qui a suivi l’AG de Triel du 5 mai 2018 et au cours de
laquelle j’ai dû préparer mon successeur à assumer des responsabilités totalement nouvelles
pour lui, tout en continuant à me charger d’une grande partie de mes tâches antérieures,
notamment la réalisation et la diffusion du n° 26 des "Cahiers Mirbeau".
À la suite de la grave crise qui a secoué la Société Octave Mirbeau au cours des
derniers mois, j’ai fini par prendre la décision de quitter le Titanic avant le naufrage
programmé, ce qui n’a pas manqué de susciter consternation et colère parmi les mirbeauphiles
du monde entier, qui auraient bien aimé poursuivre, avec moi, une gratifiante aventure
commencée un quart de siècle plus tôt.
* * *
Pour pouvoir vivre, une association a bien évidemment besoin d’administrateurs qui se
coltinent tout le boulot, d’adhérents qui s’intéressent aux objectifs de l’association, et, aussi,
naturellement, de ressources. Or, désormais, la Société Mirbeau n’a plus d’administrateurs
prêts à assumer leurs responsabilités, n’aura presque plus d’adhérents après le départ massif
de la majorité des mirbeauphiles, n’aura plus de ressources propres (puisque c’est Garnier qui
commercialisera les futurs "Cahiers"… s’ils voient le jour !) et n’aura plus guère de
subventions, après la perte de celles du CNL et de la ville d’Angers. Autrement dit, la Société
Mirbeau ne survivra pas, ou ce qu’il en restera ne sera, au mieux, qu’une coquille vide. Alors
que la coédition avec le Petit Pavé aurait assuré son avenir…
J’en arrive maintenant au cœur de la crise et à l’enjeu du débat : l’avenir des "Cahiers
Octave Mirbeau" (COM). Vu les difficultés rencontrées par mon successeur, la SOM a été
confrontée au choix suivant, pour assurer la publication de nouveaux "Cahiers" qu’elle ne
semblait plus en mesure de produire toute seule :
- Ou bien s’en remettre aux Classiques Garnier, entreprise purement commerciale qui,
on le sait, produit chaque année des centaines de volumes à bas coût et tente de maximiser ses
profits en les vendant à un prix très élevé et en imposant aux bibliothèques, traitées (traites !)
comme des vaches à lait, un prix encore plus prohibitif. Peu leur importe, à ces commerçants,
que presque personne ne lise ces volumes dépourvus de toute illustration et dotés d’une
couverture uniforme : c’est le nombre de publications qui compense le petit nombre
d’exemplaires vendus pour chacune d’elles. L’exemple le plus édifiant de ces pratiques est
fourni par "Les Paradoxes d’Octave Mirbeau", petit volume de 235 pages sorti début janvier
2019 (avec un an de retard, soit dit en passant) et vendu 42 € (le n° 26 des "Cahiers Mirbeau",
370 pages superbement illustrées, est vendu 26 €). Les articles sont téléchargeables
séparément moyennant 6, 8 ou 10 €, et le téléchargement complet est facturé… 110 € !
Entre les deux, il n’y avait évidemment pas photo ! D’un côté, pas de ressources pour
la SOM, Garnier prenant tout et ne donnant rien en échange ; pas d’illustrations ; un nombre
de pages drastiquement réduit ; et l’impossibilité de continuer à fournir les "Cahiers" aux
bibliothèques désargentées, ce qui a permis à quantité d’étudiants de les lire, en France et à
l'étranger. De l’autre, la possibilité de préserver les "Cahiers" dans leur format, leur attrait
(avec quantité d’illustrations en couleurs), leur totale indépendance et leur précieuse liberté de
ton. Pour ma part, j’avais annoncé que j’étais prêt à poursuivre mon travail de rédacteur en
chef, en partenariat avec le Petit Pavé.
Ce qui m’amène à un autre constat : de même qu’il y a deux types bien différents
d’éditeurs, de même on peut envisager deux types de publications pour des sociétés littéraires
telles que la SOM :
- D’un côté, une publication qui se veut exclusivement universitaire et qui, s’adressant
à un public très restreint, peut se permettre de ne pas être accessible au plus grand nombre et,
à l’occasion, de recourir à un langage quelque peu hermétique pour le commun des mortels.
Cela n’a jamais été notre objectif, cela va sans dire.
- De l’autre, une publication qui, tout en développant une approche universitaire
diverse et reposant sur des bases solides, tente également de toucher un public moins élitiste
et lui propose des volumes attrayants et accessibles, en un langage qui ne soit pas aseptisé.
Les "COM" appartiennent clairement à cette catégorie et ont permis de toucher de la sorte un
plus grand nombre de lecteurs, et ce d’autant plus que les articles ont été régulièrement mis en
ligne, et accessibles gratuitement, deux ans après leur parution. La publication de documents,
inédits ou oubliés, présentés simplement, les témoignages divers de mirbeauphiles très
différents par leurs approches (écrivains, artistes, comédiens, metteurs en scène, traducteurs,
adaptateurs, etc.), les nouvelles des activités de notre société et des associations sœurs,
l'importante partie bibliographique, des notules mirbelliennes apportant des informations
nouvelles sur l’écrivain et son époque, et là-dessus beaucoup d’illustrations, cela donne des
volumes qui sont exigeants et d’un excellent niveau académique, que personne ne conteste, et
en même temps (comme dirait notre potentat) attrayants et relativement accessibles. De tels
"Cahiers" permettent de compléter le travail éditorial qui a mis à la portée de tous, et
gratuitement, la totalité de l’œuvre de Mirbeau.
Tel est en effet l’objectif de toute association d’amis d’écrivains : permettre au plus
grand nombre de découvrir et de lire l’écrivain en question. À cet égard, les Classiques
Garnier ne servent strictement à rien. Avec les mirbeauphiles honnêtes et sincères, et avec la
collaboration du Petit Pavé, il va être heureusement possible de poursuivre l’aventure des
"Cahiers Mirbeau" « tels qu’en eux-mêmes enfin… »
Pierre MICHEL
Fondateur et président honoraire de la Société Octave Mirbeau (1993-2018).