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Mélanges de l'École française de

Rome. Antiquité

Sur le mode d'exécution en cas de parricide et en cas de perduellio


Dominique Briquel

Résumé
Dominique Briquel, Sur le mode d'exécution en cas de parricide et en cas de perduellio, p. 87-107.

Dans les formes les plus anciennes du droit romain, le parricide et la perduellio semblent avoir occupé des positions
complémentaires (crime contre un individu privé/crime contre l'Etat; existence de personnels spécialisés, quaestores parricidii et
Ilviri perduellionis). Les formes d'exécution très archaïques qui sont prévues dans leur cas (peine du culleus et suspension à
Yarbor infelix) paraissent elles aussi complémentaires et prolonger une répartition entre mise à mort par noyade et mise à mort
par suspension d'origine indo-européenne.

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Briquel Dominique. Sur le mode d'exécution en cas de parricide et en cas de perduellio. In: Mélanges de l'École française de
Rome. Antiquité, tome 92, n°1. 1980. pp. 87-107;

doi : https://doi.org/10.3406/mefr.1980.1229

https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1980_num_92_1_1229

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DOMINIQUE BRIQUEL

SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE


ET EN CAS DE PERDUELLIO

C'est un trait bien connu de la législation romaine, souvent cité dans les
textes1 et dont on retrouve la trace jusqu'à l'époque de Plaute2, que l'exécution
du parricide donnait lieu à une procédure tout à fait particulière, bien faite
pour frapper les esprits3 : celui qui s'était rendu coupable d'un tel crime
devait subir la peine du culleus, c'est-à-dire qu'après avoir chaussé des soleae
de bois et avoir eu la tête recouverte d'une cagoule4, il se voyait cousu dans
un sac de cuir, dans lequel étaient introduits divers animaux5, et ainsi jeté
dans un fleuve ou dans la mer.

1 Se reporter en particulier à Cic, Rose. Am., 25, 70; 26, 72; Inv., 2,50; ad Her., 1,12
23; Liv., epit., 68; Sen. Rh., Contr., V, 4, 8; Sen., Clem., I, 15, 16, 23; Ir., 1, 16; Quint., VII,
8, 6; XVII, 1,9; Deci, 11,14; Suet., Oct., 33; Ner., 45 (texte peu sûr); Juv., VIII, 212-4; XIII,
155-6; Paul., Sent., V, 24; Inst. Just, IV, 18, 6; Isid., Or., V, 27, 36.
2 Cf. PL, Epidic, 349-51 : quia ego tuom patrem faciam parenticidam . peratum
..

ductarent, ego follitum ductitabo.


3 Les textes de Cicéron sont les plus explicites; Rose. Am., 25,70 : parricidas . . . insui
voluerunt in culleum vivos atque ita in flumen dejici; et surtout Inv., 2,50 : quidam
judicatus est parentem occidisse et . . ligneae soleae in pedes inditae sunt; os autem
.

absolutwn est folliculo et praeligatum; deinde in carcerem deductus, ut ibi esset tantisper
dum culleus in quem conjectus in profluentem defferetur, comparetur; analogue, ad Her.,
1,12,23.
4 Cf. Cic, I.e.; le détail de la cagoule se retrouve dans Festus, 174 L, 5. v. nuptias : ob
quam causam legem quoque . . . jubere caput ejus obnubere, qui parentem necavisset, quod
est obvolvere.
5 Le texte des Institutiones parle d'un coq, d'un chien, d'un singe, d'un serpent
{insutus culeo cum cane et gallo gallinaceo et vipera et simia et inter ejus ferales augustias
comprehensus . . . vel in mare vel in amnem projiciatus); Isidore, d'un coq, d'un singe, d'un
serpent (culleum est parricidicale vasculum ab occulendo, id est claudendo; est autem uter
ex cono factus quo parricidae cum simia et gallo et serpente inclusi in mare praecipitantur);
Juvénal, en VIII, 212-4, d'un singe et d'un serpent (cujus supplicio non debuit una parari /
simia nec serpens ullus nec culleus unus) mais en XIV, 155-6, le serpent est omis (et
deducendum cono bovis in mare cum quo clauditur / adversis innoxia simia fatis); les
serpents sont mentionnés en outre chez Quintilien, XVII, 9 (culleo, serpentibus expianda

MEFRA - 92 - 1980 - 1, p. 87-107.


88 DOMINIQUE BRIQUEL

A l'époque à laquelle renvoient nos témoignages, les anciens étaient sans


doute déjà surtout sensibles au caractère exemplaire d'un châtiment aussi
terrible. Cicéron, défendant Roscius Amerinus accusé d'avoir tué son père,
insiste sur le côté dissuasif qui aurait poussé les anciens Romains à prévoir un
tel type de mise à mort6 :
qui cum intellegerent nihil esse tarn sanctum, quod non aliquando violaret
audacia, supplicium in parricidas excogitaverunt ut, quos natura ipsa
retinere in officio non potuisset, ii magnitudine poenae a maleficio submo-
verentur.
Mais c'est assurément là une vue bien moderne des choses, pour une
pénalité dont tous les commentateurs s'accordent à reconnaître l'aspect très
archaïque, et dont déjà les anciens faisaient remonter l'origine à Numa
Pompilius, voire à Romulus lui même7. Dans le cas du supplice du culleus
infligé au parricide reste particulièrement sensible la valeur primitive de
l'exécution du coupable, telle que l'ont soulignée entre autre L. Gernet pour
le monde classique, K. von Amira pour le monde germanique8 : la
communauté cherche à se préserver de la souillure du crime, du danger représenté par la
présence en son sein d'un criminel, en séparant le meurtrier de ses
compatriotes, en l'isolant par une série de mesures de ségrégation destinées, selon la
formule de L. Gernet, à le faire passer dans le domaine mythique de la mort9.
Ainsi la cagoule qui coupe le parricide de la lumière du jour que voient ses
compatriotes, de l'air qu'ils respirent - en attendant le sac où il sera enfermé
-, les chaussures qui l'empêchent de toucher le sol qu'ils foulent sont autant
de moyens de le séparer de la communauté. De même la présence d'animaux,

feritas), Sénèque le Rhéteur (imaginabar mihi culleum, serpentis, profundum), Sénèque,


Clem., 1,15 (non culleum, non serpentes decrevit). Dans Plut., Grac, 20, il n'est pas sûr que
le supplice de Caius Billius prenne la forme du châtiment du parricide (il est question
de serpents dans un sac; mais l'immersion n'est pas mentionnée - alors qu'elle l'est,
comme outrage infligé post mortem, à propos des Gracques et de leurs partisans tués en
même temps qu'eux, cf. pour Caius, Plut., 17,4; Veil. Pat., 2,6,7; pour Tiberius, Plut., 20, 4;
App., BC, 1,16).
6 Cf. Rose. Am., 25, 70; aussi 26,76 : cui maleficio tarn insigne supplicium est constitu-
tum.
7 Voir P. Festus, 247 L, Plut., Rom., 22,4 (textes qui il est vrai parlent de la
législation contre le parricide mais ne précisent pas la peine).
8 Se reporter à L. Gernet, R Ph, LXIII, 1937, p. 13-29 (sur le cas du parricide); REG,
XXXVII, 1924, p. 261-93, AC, V, 1936, p. 325-39, respectivement Anthropologie de la Grèce
antique, Paris, 1976, p. 288-302, p. 303-29; sur le monde germanique, K. v. Amira,
Abhandl der Bayer. Akad. der Wiss., Hist. Philolog. Philosoph. Kl., 1922, XXXI, 3, p. 198-
235.
9 Cf. art. cité R Ph, p. 29, n. 2. Voir aussi l'analyse de J. Bayet, MEFR, 52, 1935,
p. 65-8.
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET «PERDUELUO» 89

souvent à caractère chtonien ou infernal net (comme le serpent ou le chien),


est un signe de ce que, dès avant sa mort effective, le parricide est voué aux
puissances infernales. Dans ces conditions on a pu fort légitimement
rapprocher le mode d'exécution du parricide de la procuration des prodiges : par le
crime qu'il a commis cet assassin représente un monstrum, qu'il s'agit de
mettre en dehors du corps des citoyens, au même titre que par exemple les
androgynes, pour lesquels on a précisément recours à une technique qui
rappelle le cas du parricide : comme ce dernier, l'hermaphrodite meurt noyé,
jeté à la mer10.
Cette signification cathartique pour la communauté de la punition était au
reste encore sentie à l'époque classique : le parricide apparaissait encore
comme un être monstrueux, dont le contact risquait de souiller et de
contaminer ses concitoyens. C'est ainsi que Cicéron rend compte dans sa plaidoirie
pour Roscius du traitement final réservé au corps du coupable, dangereux
pour la mer et même pour les bêtes sauvages11 :
noluerunt feris corpus objicere, ne bestiis quoque quae tantum scelus
attigissent immanioribus uteremur; non sic nudos in flumen dejicere ne,
cum delati essent in mare, ipsum pollerent quo cetera quae violata sunt
expiari putantur.
Mais il importe de préciser que la souillure que vise ici Cicéron, celle,
particulièrement évidente, que constitue un crime contre un membre de sa
propre famille, cette expianda feritas dont parle Quintilien, ne représente
qu'une partie de la valeur originelle du parricidium. Ce n'était pas au départ
seulement ce cas patent de monstruosité que constitue le meurtre d'un père
ou d'un autre parent qui était qualifié de parricide, mais le meurtre de
n'importe quel membre du corps social - soit le meurtre de tout homme,
pourvu qu'il fût libre. Le parricidium était, pourrait-on dire, la forme courante
du crime de sang. En effet, à l'époque de Cicéron comme vraisemblablement
déjà à celle de Plaute12, l'emploi du terme correspondait au meurtre d'un
proche13: il est à penser que le mot était compris comme étant formé sur

10 Voir J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine1, Paris,


1969, p. 43, 129; sur le traitement des androgynes, voir aussi R. Bloch, Les prodiges dans
l'antiquité classique, Paris, 1963, p. 73; exemples dans Julius Obsequens, 22 : androgynus
praecepto aruspicium in mare deportatus, 27,34,36 (in mare demersus), 47,48.
11 Cf. Rose. Am., 26,71.
12 Epidicus, suscitant ainsi l'étonnement de Stratippotès, emploie le terme créé par
lui pour la circonstance de parenticida, soit un mot qui suppose la conception du
parricidium comme meurtre d'une parens.
13 II faut tenir à part le cas des emplois métaphoriques du terme : un crime grave
peut être qualifié de parricide, et ainsi présenté comme une monstruosité indigne d'un
être humain. Cicéron, dans la législation idéale du de legibus, applique l'antique formule
90 DOMINIQUE BRIQUEL

pater14, et concernant donc le meurtre d'un père ou, par extension, de


membres de la famille. C'est là l'état qui est sanctionné par la législation de la
fin de la république : en 70, la lex Pompeia de parricidiis s'applique au cas de
crimes contre les parents par le sang, par alliance, ou de cette parenté
juridique que représente le patronat15. Cependant ce n'est pas la valeur
ancienne du terme, les spécialistes d'antiquitates en étaient encore conscients;
Festus rappelle que, dans cette forme très ancienne de législation que la
tradition attribuait à Numa, était parricide non le seul meurtrier d'un parent,
mais celui de tout homme libre16 :
parricida quaestores appellabantur, qui solebant creari causa rerum capita-
Hum quaerendarum. Nam parricida non utique is, qui parentem occidisset,
dicebatur, sed qualemcwnque hominem indemnatum. Ita fuisse indicai les
Nwnae Pompili régis his composita verbis : «si quis hominem liberwn dolo
sciens morti duit paricidas esto».
Et cette portée générale du terme apparaît également dans un passage de
Plutarque qui, pour sa part, attribue à Romulus l'institution de la législation
concernant le parricide17. Donc, aux temps archaïques auxquels renvoie la loi
de Numa citée par Festus18 - dans laquelle il n'y a aucune raison de voir une
falsification tardive19 - le terme de parricide avait une très large extension et

paricidas esto au voleur d'objets sacrés (2,22) : c'est que ce genre de délit, s'attaquant aux
dieux eux-mêmes, est à ses yeux aussi grave qu'un parricide au sens restreint. De même
on voit fréquemment le traître à la patrie qualifié de parricide (Cic, Phil., 2,17; 4,5; Off.,
3,83; Sail., Cat., 50,25; 52,31); ici joue en outre le rapprochement pater/patria. Egalement,
le terme de parricidium est appliqué à l'assassinat de César, père de la patrie (Suet.,
Caes., 30).
14 Les gloses expliquent le terme par le grec πατροκτόνος, comme qui patrem occidit
sive matricida (ou rarement par par : qui homines occidit paris natura). Voir A. Ernout,
A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine*, Paris, 1959, s.v. pàr(r)icîda(s).
15 Cf. Dig., 48,9 : si quis patrem, matrem, avum, aviam, fratrem, sororem, patruelem,
matruelem, patruum, avunculum, amitam, consobrinum, consobrinam, uxorem, virum,
generum, socrum, vitricum, privignum, privignam, patronum, patronam occident . . .
16 Cf. Fest., 277 L.
17 La formulation de Plutarque en Rom., 22,4, confirme la valeur primitivement très
étendue du terme : πασαν άνδροφονύχν πατροκτονίαν προσειπεΐν, ώς τούτου μεν οντος
έναγοϋς, εκείνου δ αδυνάτου.
18 Sur la question des lois de Numa, bonne mise au point de S. Tondo, SDHI,
XXXVII 1971, p. 1-73.
19 Rappelons que J. Carcopino, MEFR, 54, 1937, p. 344-76, voyait dans les leges
regiae un faux d'orientation pythagoricienne, dû à Grannius Flaccus. La législation sur le
parricide signifierait que tout meurtre, quelle qu'en soit la victime, serait aussi grave
que le meurtre d'un parens (p. 374-6). Mais voir l'étude de W. Kunkel, Untersuchungen
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET « PERDUELLIO» 91

ne se limitait pas au cas du crime commis dans le cadre du groupe familial.


Quelle que soit - problème tellement controversé et toujours sans solution -
l'étymologie du mot20, il faut partir du fait qu'il s'applique, dans la perspective
du plus vieux droit romain, à tout meurtre commis à l'encontre d'un
citoyen21.
Le fait que la notion de parricide ait connu une restriction sensible au
cours de l'histoire induit à penser qu'il en a été de même pour le type de
châtiment qui lui est lié et qui remonte assurément, dans son principe, à une
antiquité très reculée22. Certes aucun témoignage sur la peine du culleus ne
nous assure que c'ait été là le châtiment appliqué aux parricides au sens large
du terme23; mais il est naturel de supposer que ce type de peine, dont le

zur Entwicklung des römischen Kriminalverfahrens in vorsullanischer Zeit, Munich, 1962,


p. 39 sq.; une telle théorie est incompatible avec l'existence de l'institution des quaesto-
res parricida, dont les fonctions ne peuvent avoir été limitées à un cas aussi particulier
que celui du meurtre du pater.
20 Citons pour mémoire les explications par* parsi + cidas, le premier terme étant
rapproché de skr. purusa, homme, le second de caedere (J. Wackernagel, Gnomon, 1930,
p. 449 sq.); par (au sens d'équivalent) + cidas (toujours rapproché de caedere), (de
Visscher, Etudes de droit romain, 1931, p. 437 sq.); per (comme dans perduellio) + cidas
(C. Lécrivain, Dictionnaire des Antiquités, Daremberg-Saglio, IV, 1905, p. 337); pater (au
sens de patricien) + cidas (H. Lévy-Briihl, Quelques problèmes de très ancien droit romain,
Paris, 1934, p. 76 sq., RBPh, 1941, p. 219-41); parix (signifiant sac, rapproché de lat. pera,
grec πήσα) + datos, au sens de donné (condamné) au sac (P. Meylan, L'étymologie du mot
paricidas à travers la formule «paricidas esto» de la loi romaine, Lausanne, 1928);
E. Leifer, RE, XVIII, 1949, c. 1477-9, suggère une origine étrusque. L'étymologie la plus
souvent proposée reste celle de Fröhde (Bezzenbergers Beiträge, VIII, p. 167) et
Brunnenmeister (Das Tödtungverbrechen im altrömischen Recht, Leipzig, 1877), reprise par M.
Leroy (Latomus, VI, 1947, p. 17-9) rapprochant le premier élément du grec πηός, parent. Le
problème est compliqué par la présence conjointe de formes avec [r] et avec [rr] - la
première étant parfois expliquée par l'absence de redoublement graphique - et il reste
insoluble. Comme le conseillait déjà L. Gernet (R Ph, LXIII, 1937, p. 13-29, où est posé
un rapprochement sémantique avec le grec αύθέντς) mieux vaut partir de l'emploi
reconnu au terme dans la «loi de Numa» comme dans l'institution des quaestores
parricida poux en définir la valeur plutôt que de spéculations étymologiques forcément
fragiles.
21 Nous emploierons ici le terme de citoyen comme équivalent de celui d'homme
libre sans nous dissumuler qu'à l'origine tout homo liber n'était peut-être pas civis (voir
A. Magdelain, REL, XLIX, 1971, p. 103-127).
22 Cf. L. Gernet, art. cité, p. 28-9 : «étant celle du parricide au sens moderne, (cette
peine) a dû être celle du parricidium au sens primitif».
23 Pose problème le mode d'exécution utilisé par Tarquin le Superbe et les chefs
latins à l'encontre de Turnus Herdonius (Iiv., 1,52,9 : dejectus ad caput aquae Ferentinae,
crate super injecta, saxisque congestis, merg(itur)) : il périt noyé, comme le parricide -
quoique selon des modalités différentes. Or Tarquin parlant du prétendu crime de
92 DOMINIQUE BRIQUEL

caractère archaïque est évident24, a suivi l'évolution du concept et a vu aussi


son application se restreindre25. Dans ces conditions, l'on voit que le phéno-

Turnus (il aurait projeté de tuer le roi et les chefs latins) emploie le terme parricidium
(pro manifesto parricidio merita poena adfec(itj). Aurait-on là la trace d'une accusation de
parricide au sens ancien (Turnus aurait voulu tuer des hommes avec qui il n'avait pas
de lien de parenté) suivie d'une forme primitive de noyade liée à ce type de crime? Il
paraît cependant difficile de se fonder sur un terme qui peut être employé ici en raison
de sa valeur affective (comme p. ex. dans Sail., Cat., 52,31) et ne pas correspondre à une
définition juridique précise. D'autre part l'anecdote, destinée à souligner la fausseté et la
cruauté du tyran, a des chances de ne pas être très ancienne (une anecdote parallèle est
racontée dans le cas de son fils Sextus, DH, IV, 57; chez Denys la mise en forme de
l'épisode, en IV, 45-8, est très différente, et ni la noyade, ni la référence à un «parricide»
n'apparaissent), même si l'origine du supplice infligé à Turnus ne se laisse pas
déterminer (R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy, Oxford, 1965, p. 203, pense à une origine
carthaginoise, d'après le Poenulus de Plaute, 1025-6, mais une mise à mort par noyade
n'est pas attestée à Carthage; G. Baillet, Tite Live, 1, édition «les Belles Lettres», Paris,
1971, p. 83, n. 1, le rapprochait de celui évoqué en Suet., Aug., 67,3, mais les modalités
sont sensiblement différentes. Faut-il penser, puisque Turnus est présenté comme un
révolutionnaire, novantem res, qu'aurait joué ici le souvenir des Gracques et de leurs
compagnons jetés post mortem dans le Tibre?). E. Pais, Storia di Roma, 1, p. 353 sq.,
envisageait un héros, lié à la source Férentine, mais rien n'autorise à en admettre
l'existence, et on pourrait s'étonner de ce que le personnage noyé en ces lieux n'ait pas
laissé son nom à la source (cf. cas de Tiberis, Serv., ad Verg., Aen., VIII, 72; le cas d'Enée
noyé dans le Numicius est évidemment plus complexe et pose le problème de l'identité
du destinataire primitif de l'hérôon de Lavinium).
24 Cela ne signifie pas que tous les détails du châtiment soient également anciens
(dans ce sens C. Lécrivain, art. cité; L Gernet, art. cité, p. 28, n. 2). On voit difficilement
comment la prescription concernant le singe pourrait remonter à une époque très
ancienne! En fait il est probable que l'on a tendu à multiplier les précautions destinées à
écarter tout risque de souillure. Il convient d'autre part de tenir compte du fait que
l'exécution échappait probablement à l'origine à la responsabilité directe de l'état, et
était laissée aux parents de la victime : on se reportera à l'étude de W. Kunkel, o.e.,
spec, p. 97-130 (également bonne mise au point dans R. M. Ogilvie, o.e., p. 184-5). Le
rôle des quaestores parricida se limitait à la constatation de la culpabilité du meurtrier :
c'était au groupe des agnati de la victime que revenait la poursuite du coupable et c'était
à lui qu'il était remis pour exécution, selon une procédure dont on a encore des traces
pour l'époque de la seconde guerre punique (Liv., 23,14, avec commentaire de Kunkel,
p. 104 sq.). Dans ces conditions il est à penser que les modalités de la mise à mort, au
moins au niveau des détails annexes, aient été encore fluctuants, laissant une grande
part à l'initiative individuelle.
*·5 II est question de la peine du culleus sous le règne de Tarquin le Superbe à
propos de M. Atilius, condamné par le roi à la peine du sac pour avoir divulgué le
secret des livres sacrés (DH, IV, 62; Val. Max., 1,1,13). Mais l'anecdote constitue une sorte
d'étiologie pour la peine infligée aux parricides, auxquels on aurait infligé par la suite ce
type de châtiment, en partant de l'idée qu'un crime contre les parents est aussi grave
qu'un crime contre les dieux (pari vindicta parentum ac deorum violatio expianda). Cette
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET «PERDUELLIO» 93

mène inquiétant auquel le traitement infligé au parricide par la peine du sac


aurait pour fonction de remédier n'est pas seulement l'anomalie abominable
que constitue le meurtre de parents, mais plus généralement tout sang versé.
Tout criminel est un parricide, tout criminel représente pour la cité une
souillure, un danger, qu'il importe de faire disparaître au plus vite.

Les remarques que nous avons faites jusqu'ici ont souvent été présentées,
et l'on peut considérer maintenant comme acquis que le supplice du parricide
est à comprendre originairement comme une expulsion, entourée du
maximum de précautions, par la communauté de l'individu qui a répandu le sang,
et donc représente un danger pour le corps social tout entier. Mais nous ne
croyons pas cependant que ces considérations, à elles seules, suffisent à
rendre entièrement compte du mode d'exécution utilisé.
Au fond ce qui est vrai à propos du parricide l'est à propos de tout
coupable. Tout coupable en effet, par sa faute, a bouleversé l'ordre normal du
monde, a créé un déséquilibre risquant de provoquer la colère divine et de
rompre la pax deorum nécessaire à la communauté. En ce sens il représente
toujours un monstrum et l'on pourrait concevoir qu'on lui applique
systématiquement la peine que nous voyons mise en œuvre à propos du parricide. Or
force est de constater que la peine de mort par noyade dans le culleus ne
concerne qu'une catégorie de criminels, même si vraisemblablement ils ne se
réduisaient pas à l'origine aux seuls meurtriers de parents. Dès l'époque la
plus reculée, nous nous trouvons en présence d'une grande diversité de
formes de mise à mort26, dont beaucoup ne présentent pas les caractères que
nous avons reconnus dans le cas que nous étudions. Le mode d'exécution le
plus courant semble être la décapitation par la hache, confiée aux licteurs et

légende, fondée sur une conception analogue à celle qui fait assimiler chez Cicéron, leg.,
2, 2, le voleur d'objets sacrés au parricide, ne peut rien nous apprendre sur l'histoire
ancienne de la peine.
26 Sur cette question, nous renvoyons aux notices de C. Lécrivain, Dictionnaire des
antiquités, Daremberg-Saglio, IV, 1909, p. 1568-70; K. Latte, RE, Suppl. VII, 1940, c. 1614
sq.; D. Medicus, Kleine Pauly, V, 1975, p. 879 sq.. Nous ne tenons pas compte ici des
formes de mise à mort qui se développent plus tardivement, comme la livraison aux
bêtes ou aux jeux de gladiateurs (Liv., epit., 51; Val. Max., 2, 7,13) ou la crucifixion, en
principe réservée aux non citoyens, et qui n'est attestée qu'à partir de 217 (liv., XXII,
33,2, à propos d'une conjuration d'esclaves; le supplice étant bien attesté à Carthage, on
a pu penser à une origine punique; déjà Pastoret, Histoire de la législation, X, Paris, 1857,
p. 142-6; encore M. Hengel, Crucifixion, Londres-Philadelphie, 1977, p. 23, mais réserves
de F. Parente, RFIC, CVII, 1979, p. 372).
94 DOMINIQUE BRIQUEL

liée à la symbolique des faisceaux, signe de Y Imperium du roi puis des


magistrats suprêmes : c'est le supplice que Brutus inflige à ses fils27. Mais il
faut également tenir compte de la précipitation de la roche tarpéienne, qui est
souvent une mise à mort immédiate, pratiquée par les magistrats,
spécialement par les tribuns de la plèbe28, mais qui est aussi le châtiment
expressément prévu dans la loi des XII tables en cas de faux témoignage29. Est attestée
une peine de pendaison dans deux cas : pour crime de perduellio, et pour vol
nocturne de récolte, cas où le coupable est voué à Cérès30. Et la loi des XII
tables prévoit la crémation de l'incendiaire31. On voit que l'éventail des formes
d'exécution de la Rome ancienne est très large, et qu'on ne peut ramener
systématiquement les genres d'élimination du coupable à un simple souci de
préserver la cité de son contact. D'autres considérations se font jour: en
particulier apparaît fréquemment un rapport direct entre la faute commise et
son châtiment. Le type d'exécution répond souvent à la loi du talion32 : le
supplicié subit un traitement qui exprime un lien direct avec la manière dont
il a fauté. Le principe est net dans le cas de l'incendiaire, qui est brûlé, ou du
voleur de récolte, qui est voué à Cérès, ou du porteur de faux témoignage qui
est expulsé de la colline où trône Jupiter, dieu du serment, accompagné à
partir du IIIe s. de Fides33. Or ici ce type de rapport entre crime et punition
n'apparaît pas: il n'y a pas d'homologie claire entre le meurtre dont s'est
rendu coupable le parricide et la façon dont il meurt. Alors qu'il a versé le
sang, sa mise à mort n'est pas sanglante; alors qu'il a accompli son forfait de
sa main, le châtiment se fait de la manière qui engage le moins ceux qui y
procèdent (et qui primitivement devaient être les parents de la victime) : il
meurt noyé dans son sac, du fait de l'eau et non par la main d'un bourreau.
Il est certain que ces traits du châtiment du parricide sont liés en grande
partie à l'horreur religieuse du sang, et au désir de ne pas souiller la
communauté d'un crime supplémentaire, fût-ce pour punir un meurtrier34.
Ainsi donc les précautions, l'aspect non sanglant de la mise à mort du

27 Cf. Liv., 11,5; sur l'origine étrusque des faisceaux, J. Heurgon, La vie quotidienne
chez les Étrusques, Paris, 1963, p. 60-3.
28 Cf. Liv., XXIV, 20,6; XXV, 7, 17; epit., 59, 6, 29; Dio, 44, 50; Αρ., B.C., 33; DH, VII,
53; X, 11; Veil. Pat., 2,24; etc.
29 Cf. XII tab., 8, 13.
30 Voir plus loin pour la perduellio; pour le vol de récolte, XII tab., 5,8,9, PL,
XIX, 6.
31 Cf. XII tab., 8, 10; Dig., 47,9,9.
32 Le principe est posé dans la loi des XII tables, 8,2 : si membrum rupsit, ni cum eo
pacit, talio esto.
33 Voir dans ce sens W. Kunkel, o.e., p. 42 sq..
34 Voir dans ce sens J. Bayet, o.e., p. 143.
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET « PERDUELLIO » 95

parricide résulteraient de ce que l'on a affaire non à un quelconque coupable,


mais à un être monstrueux, rendu tel par le sang qu'il a versé. Quand on le
punit, il importe de ne pas se comporter de même, et la mort se faisant par
noyade, du fait des eaux du fleuve ou de la mer, personne en peut être tenu
pour directement responsable; on assiste, suivant la juste expression d'A. Piga-
niol à propos de la précipitation de la roche tarpéienne où se manifeste un
souci analogue, à un accident concerté35, où la responsabilité des exécutants
est réduite au minimum.
Mais ces constatations, pour fondées qu'elles soient, ne nous paraissent
pas là encore suffisantes pour cerner l'originalité du châtiment du parricide.
Déjà, même si elle se retrouve dans d'autres cas, la volonté de ne pas verser le
sang n'est pas systématique. Il existe des modes d'exécution sanglants; c'est le
cas de la décapitation par la hache. C'est le cas aussi, comme nous aurons à le
préciser, dans la punition du coupable de perduellio. On doit donc noter que
dans le cas du parricidium se manifeste une volonté d'éviter le sang qui n'est
pas un élément nécessairement inhérent aux types de mise à mort légale.
Certes on peut objecter que le parricide représente un cas à part. Par le
sang qu'il a lui même versé le meurtrier rend justement inadéquat un
châtiment du même ordre : à qui a versé le sang il faut, pour écarter
définitivement tout danger, une punition non sanglante, suivant la remarque
de J. Bayet36. Mais, une fois de plus, on peut objecter que la règle n'est pas
universelle. Ainsi le coupable de perduellio peut lui aussi être un criminel, un
être souillé de sang humain : c'est le cas, que nous aurons à examiner,
d'Horace accusé de perduellio pour avoir assassiné sa sœur. Et pourtant dans
son cas le mode d'exécution prévu répand le sang37. Il faut donc que d'autres

35 Cf. Essai sur les origines de Rome, Paris, 1916, p. 149-50; l'auteur met bien en
relief les précautions que prend la communauté pour ne pas se souiller du sang du
condamné : la mise à mort se fait sans effusion de sang (ou du moins pas du fait de ceux
qui y procèdent), on a recours à des personnages comme les tribuns de la plèbe,
protégés par leur sacro-sainteté; de plus, la peine a un caractère d'ordalie : si le
condamné survit, il est absout.
36 Cf. o.e., p. 143.
37 Une différence saute aux yeux entre le cas du parricide et celui de la perduellio
(ou également dans le cas des décapitations par le licteur, effectuées sur l'ordre d'un
magistrat). Dans le premier cas, la punition, qui est non sanglante, était (au moins dans
le contexte archaïque bien mis en lumière par W. Kunkel) d'ordre privé. Dans les autres
cas en revanche, le châtiment est assuré par le licteur et met directement en jeu les
cadres du pouvoir politique. Nous verrons effectivement que l'opposition essentielle
entre parricidium et perduellio semble tenir à l'aspect privé de l'un, public de l'autre - et
que cela paraît justifier le recours à une exécution par noyade dans le premier cas, par
suspension dans le second.
96 DOMINIQUE BRIQUEL

considérations entrent en ligne de compte : ce n'est pas en soi le fait de s'être


souillé du sang d'un homme libre qui justifie le recours au type de mise à
mort particulier au parricide. Il doit exister, dans le cas du parricidium, un
aspect spécifique qui justifie le recours à un mode de châtiment non sanglant,
par noyade.

Pour mieux cerner le problème, il nous semble utile de nous tourner vers
un autre type de crime, et un autre type d'exécution, celle prévue en cas de
perduellio. Pourquoi faire intervenir ici, à côté du parricidium, une autre
notion, celle de perduellio? Pour indu qu'il apparaisse au premier abord, ce
recours au cas du crime de haute trahison contre la res publica n'en est pas
moins justifiable par une très réelle complémentarité que l'on a notée entre
les deux catégories de fautes38. Au parricidium, crime d'ordre privé, assassinat
d'un simple citoyen, s'oppose la perduellio, crime d'ordre public, contre
l'autorité de la res publica. Chacun de ces deux crimes, et eux seuls, a justifié
la création de catégories de personnels juridiques spécialisés39, les quaestores
parricida et les Hviri perduellionis. Assurément le rôle des uns et des autres
présente des divergences sensibles : les quaestores parricida ont une fonction
limitée à la reconnaissance de la culpabilité du meurtrier, poursuivi et accusé
par les agnati de la victime et ensuite livré à eux pour exécution, alors que les
Hviri perduellionis ont à charge la poursuite, l'accusation comme l'exécution
de la sentence. Mais cette distinction ne fait que prolonger celle existant entre
les deux types de faute : l'une est d'ordre strictement privée, alors que dans
l'autre l'État est engagé, en tant que victime, et par là, comme il est normal
dans le contexte archaïque que nous considérons, en tant que responsable de
la poursuite et de la punition du coupable. C'est toujours cette opposition qui
fait que dans le cas du parricidium le châtiment devait être laissé aux soins de

38 Voir les justes remarques de R. M. Ogilvie, o.e., p. 114 sq., chez qui on trouvera
une bonne bibliographie pour la question de la perduellio. Ajouter en dernier lieu
A. Magdelain, Historia, XXII, 1973, p. 405-421 (qui nie l'existence des Hviri perduellionis
et voit à l'origine de ce type d'accusation une hostilité contre la plèbe, non contre la res
publica - mais un tel scepticisme nous paraît difficilement compatible avec l'extrême
archaïsme de la forme du supplice, qui par ailleurs est très différent de la précipitation,
mode d'exécution habituel des tribuns).
39 Ces personnels juridiques spécialisés sont très différents des magistrats
proprement dits, aux compétences non limitatives. Sur le développement plus tardif des Illviri
capitales, W. Kunkel, o.e., p. 42 sq., auquel nous renvoyons pour une présentation
détaillée de la question.
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET «PERDUELLIO» 97

privati, les parents de la victime, tandis que dans l'autre il y avait recours à ces
fonctionnaires publics que sont les licteurs.
Nous pouvons constater que, de la même manière que le parricide, la
perduellio appelle un châtiment spécifique40. Tite Live a conservé le formulaire
de la lex horrendi carminis fixant la procédure et la pénalité appliquée dans ce
cas : c'est en effet de perduellio que se voit accusé Horace, meurtrier de sa
sœur, qui s'est, ce faisant, substitué à la justice officielle en exécutant de sa
propre autorité une personne qui s'était rendue coupable de proditio, mais qui
n'avait pas été préalablement condamnée par les organes de la cité41. Le texte
de l'historien42, qui est en partie confirmé par le témoignage de Cicéron dans
le pro Rabido**, précise :
lex horrendi carminis erat : «duumviri perduellioném judicent; si a duum-
viris provocant provocatione certato; si vincent, caput obnubito; infelici
arbori reste suspendito; verberato vel intra pomerium, vel extra pome-
rium»44.
Ici encore un châtiment spécifique est envisagé, et il diffère entièrement
de celui prévu en cas de parricide, même si l'on y décèle des précautions
analogues visant à séparer le coupable de la société45 : en cas de perduellio il
n'est question ni de sac, ni de noyade.

40 Ce ne sont bien sûr pas les seuls délits qui correspondent à un châtiment
spécifique (p. ex. crémation appliquée à l'incendiaire; suspension du voleur de récolte;
précipitation de la roche tarpéienne du porteur de faux témoignage). Mais ces délits ne
sont pas d'une importance et d'une généralité telles que la communauté ait éprouvé le
besoin de créer un personnel spécialement chargé de leur cas.
41 Sur le sens de cette accusation portée à l'encontre du héros, voir R. M. Ogilvie,
o.e., p. 114-5, avec références et discussion.
42 Le texte de la loi, en 1,26,6, est à compléter par la formule prononcée par les
Hviri en 1,26,7 : «Publi Horati, tibi perduellioném judico; i, lictor, colliga manus».
43 Dans le pro Rabido (où le client de Cicéron est accusé de perduellio, suivant une
procédure archaïque, tombée en désuétude, mais que l'on avait ressuscitée pour la
circonstance), l'orateur cite comme formulaire (en 13) : «Lictor, conliga manus, caput
obnubito, arbori infelici suspendito ».
44 II n'y a aucune raison de voir dans cette loi une falsification tardive (W. Kunkel,
o.e., p. 22 n. 50, 43 n. 102). Pour la ressusciter dans le cas de Rabirius, il fallait bien
qu'elle existât et fût, à cette époque, admise comme authentique et ancienne. Tout ce
que l'on peut dire est qu'elle suppose préalablement le droit de provocano ad populum.
Mais même la distinction vel intra pomerium, vel extra pomerium n'est pas un indice de
caractère récent (comme le pensait K. Latte, RE, Suppl. VII, 1940, c. 1614, qui y voyait
la preuve que le droit de punition des magistrats était déjà limité à l'intérieur de l'Urbs) :
cela peut correspondre à une distinction du type domi militiaeque (R. M. Ogilvie,
p. 116).
45 Le coupable a la tête voilée en cas de perduellio comme en cas de parricidium. En
cas de perduellio la mise en dehors de la communauté et le passage dans le domaine de

MEFRA 1980, 1.
98 DOMINIQUE BRIQUEL

A vrai dire la forme de mise à mort spécifiée par ce texte est malaisée à
cerner et l'on s'aperçoit d'ailleurs que les contemporains de Cicéron, lorsqu'on
eut été tirer de l'oubli cette législation archaïque pour accuser Rabirius,
étaient aussi perplexes que les savants modernes46. Certes, d'après le texte de
la plaidoirie de Cicéron, l'on voit que pour eux le coupable de perduellio
devait être attaché au poteau et battu de verges, probablement jusqu'à ce que
mort s'ensuive47. Mais cela n'implique pas que cette interprétation soit la
bonne, et la traduction proposée par A. Boulanger48 « enveloppe - lui la tête et
attache - le à l'arbre stérile» (identifié en note avec le poteau du supplice) ne
représente que l'une des hypothèses que l'on peut formuler pour comprendre
les modalités du supplice et sans doute pas la meilleure, même si elle peut se
prévaloir de l'interprétation des Romains du Ier s.. L'idée d'un condamné
debout, simplement attaché au poteau (ou encore à un arbre véritable) fait en
effet difficulté compte tenu que le verbe employé est suspendere et non
alligare. Ce verbe suppose une fixation par le haut et une absence de support
en bas; il paraît incompatible avec l'idée d'une position stable sur le sol, telle
celle du patient debout recevant les verges. Une traduction par «attacher» est
ici inexacte, et il faut au moins préciser «attacher en l'air»49.
Mais le problème n'est pas résolu pour autant. Car on peut envisager soit
une pendaison au sens propre (aboutissant à la mort par strangulation) ou
une suspension (aboutissant à une mort lente). La première solution est celle
qu'avait adoptée Niebuhr, et qui a été reprise par K. Latte et W. Kunkel50.

la mort sont renforcés par la suspension à une arbor infelix (arbre voué aux puissances
infernales) : on retrouve là un élément analogue au rôle du sac et des animaux dans le
cas du parricide.
46 L'anachronisme de la loi est l'un des arguments dont Cicéron peut appuyer la
défense de son client; cf. 13 : Quae verba, Quintes, jam pridem in hac republica non solum
tenebris vetustatis, verum edam luce libertatis oppressa sunt. Les stipulations en sont
contraires aux termes de la lex Porcia qui depuis 195 interdisait de battre de verges un
citoyen, cf. 12 : Porcia lex virgas ab omnium civium Romanorum corpore amovit; hic
misericors flagellos retulit.
47 En II l'orateur emploie le terme de crux {qui crucem ad civium supplicium defigi et
constitui jubés) mais cele n'implique nullement une crucifixion au sens propre. Comme
l'a compris A. Boulanger, édition «les Belles Lettres», Paris, 1932, p. 13, on doit penser à
un condamné attaché au poteau et battu de verges (malgré J. L. Voisin, Latomus,
XXXVIII, 1979, p. 441).
48 Cf. o.e., p. 142.
49 Des auteurs comme G. Baillet, édition «Les Belles Lettres», Tite Live, Paris, 1971, ad
/oc, R. M. Ogilvie, o.e., p. 116, ont justement pensé à une suspension. Rappelons que le
problème se pose dans les mêmes termes pour le voleur de moisson dans la loi des XII
tables, 8,9 (suspensum Cereri necari).
50 Voir respectivement Römische Geschichte, Berlin, 1811, 1, p. 365; RE, Suppl. VII,
c. 1614-8; Untersuchungen, p. 42 sq. (à propos de l'incendiaire). Dans ce sens encore
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET « PERDUELLIO» 99

Elle est assurément conforme à l'emploi le plus courant du verbe suspendere :


fréquemment, ce terme s'applique à une mort par pendaison51. Et l'objection
formulée par R. M. Ogilvie52, qu'il s'agit d'un mode d'exécution inconnu à
Rome, ne tient pas : on a précisément affaire à une loi archaïque, dont le sens
ancien avait pu être oublié dans la mesure où il ne correspondait plus à une
pratique réelle. Mais plus sérieuse en revanche est la difficulté représentée
par l'ordre des formules suspendito/verberato. Dans cette hypothèse, la mort
survenant par strangulation et rapidement, il faut nécessairement que la
flagellation précède la pendaison. La peine des verges serait alors, comme on
le voit fréquemment dans le cas d'exécutions par décapitation, une peine
préalable à la mise à mort53. Mais il faut alors noter que l'ordre chronologique
verberare/ necare est constamment respecté54. Il est évident que l'on a affaire à
une expression technique, dont l'ordre des termes ne peut être bouleversé55.
Assurément, il en va de même pour notre loi. Il paraît impossible d'admettre
dans ce cas que le formulaire suive l'ordre du déroulement des opérations
dans la partie initiale et ne le respecte plus dans sa dernière partie. Autrement
dit, la mort ne peut survenir qu'au terme du processus, sous les coups, et non
du fait de la pendaison elle-même. On ne peut guère, dans ces conditions,
penser à une pendaison par le cou, la mort survenant alors rapidement, par
strangulation.
Faut-il alors recourir à l'autre hypothèse proposée, celle, avancée par
Mommsen56, d'une crucifixion? Sous sa forme stricte, elle est aussi irrecevable
que la précédente57 : la crucifixion est un supplice récent, peut-être emprunté

J. L. Voisin, /. c. (admettant une pendaison dans le cas d'Horace, une crucifixion dans
celui de Rabirius).
51 Cf. p. ex. PL, Poen., 1,2,8,184: capias restim ac te suspendas; Pers., 5,2,34: nisi me
sospendo, occidi; Rud., 5,2,59; Trin., 2,4,134 (se suspendere); Cic, de Or., 2,78 : uxorem suam
suspendisse de ficu; Verr., 3,57: suspendiere) hominem in oleastro; Quint., 6,3,88 : se
suspendere e ficu; Gell., 15,10,2 : virgines quae corporibus suspensis demortuae forent.
52 Cf. A Commentary on Livy, p. 114.
53 C'est ce qu'admet K. Latte, art. cité.
54 Cf. p. ex. Liv., 1 1,5 : virgis caedunt securique feriunt; X, 9, 45 : virgis caedi securique
caedi; XXIV, 41,2 : verberandus necandusque; XXVIII, 29,11 : virgis caesi ac securi perçus-
si; Val. Max., IV,I,I : ne qui magistratus civem verberare aut necare vellet adversus
provocationem.
55 II n'y a aucune raison de penser à une adjonction postérieure, rectifiant comme
une sorte d'article additionnel un point de détail relativement à la loi; et il n'y a pas lieu
de considérer avec K. Latte, c. 1614, ce dernier point comme témoignant d'un état plus
récent.
56 Dans Römische. Strafrecht, Leipzig, 1889, p. 918; l'hypothèse est reprise par
P. Huvelin, Etudes sur le furtum, Paris, 1915, 1, p. 61 sq.; L. Gerne t, Anthropologie de la
Grèce antique, p. 292, n. 15.
57 Voir critique par R. M. Ogilvie, p. 116.
100 DOMINIQUE BRIQUEL

à Carthage, et qui n'est attesté qu'à partir â^ 21758. D'autre part elle a un
caractère infamant, ne s'appliquant en principe qu'à des esclaves ou à des
étrangers, qui rend peu pensable qu'elle ait pu, dans le passé, être appliquée à
des citoyens, fussent-ils des traîtres (ou des voleurs de récolte) - à moins de
supposer, hypothèse toute gratuite, que soit intervenue à un moment donné
une réforme épargnant une telle peine aux citoyens. En outre la spécification
ici d'une arbor infelix s'applique plus naturellement à un véritable arbre, qu'à
un instrument de supplice en bois59, potence faite d'une de ces espèces
d'arbres vouées aux dieux infernaux60.
Mais ce mode d'exécution, où la mort survient lentement, par étouffement
progressif et par épuisement, et qui n'exclut pas la possibilité d'une fustigation
concomitante, se rapproche néanmoins de ce qui est prévu par notre loi. On
pourra donc envisager dans le cas de la perduellio une sorte de forme
primitive de ce supplice, ne faisant pas intervenir une croix au sens technique
que ce terme a acquis, ni non plus un poteau de torture, mais un arbre
véritable, auquel le condamné aurait été suspendu par des cordes, tandis que
lui aurait été infligée la peine des verges. C'est une forme de châtiment qui a
effectivement été pratiquée dans l'antiquité. On peut citer des exemples grecs
assez clairs (pour des exécutions ou des sacrifices)61. Que ce type de punition
ait existé à Rome est pour le moins possible; ce n'est pas contraire dans notre
cas à l'emploi du verbe suspendere : on peut citer un exemple de basse époque
où le terme désigne, non pas une mise à mort par pendaison, mais une
suspension destinée à permettre la fustigation du condamné - c'est chez
Ammien Marcellin le supplice infligé au meneur séditieux Petrus Valvoneres62.
Aussi verrions-nous volontiers, avec R. M. Ogilvie, dans un châtiment de cet

58 Voir supra, n. 27 '.


59 P. ex. dans ce sens la traduction proposée par G. Baillet - on le suspendra par
une corde au poteau d'infamie et (il mourra) sous les verges - ou la note de A.
Boulanger, p. 142, n. 1, où l'arbre stérile, consacré aux dieux infernaux, est identifié au poteau
de supplice, mais ici comme dans le cas du voleur de récolte il vaut mieux penser à
l'origine à un arbre véritable.
60 La définition des arbores infelices apparaît en PL, N. H., XVI, 108 : quae neque
seruntur umquam, neque fructum ferunt et Macr., III, 20,3: (citant Tarquitius Priscus) :
arbores quae inferum deorum avertentiumque in tutela sunt.
61 Voir A. Kéramopoullos, Ό άποτυμπανισμός, Athènes, 1923, p. 66 sq.; pour des
sacrifices où un animal est attaché à un arbre et ainsi suspendu en l'air, monnaies
d'Ilion (V. Fritz, ArchJahrb, XVIII, 1903, p. 58 sq.; fig. Dictionnaire des antiquités, Darem-
berg-Saglio, TV, p. 368); pour des supplices, cas de Mélanthios suspendu en haut d'une
colonne dans l'Odyssée, XXIII, 173 sq., et chez Sophocle traitement infligé par Ajax à un
bélier, attaché à une colonne et flagellé, en qui il croit voir Ulysse, Aj., 106 sq.. Voir
également L. Gernet, Anthropologie de la Grèce antique, p. 293.
62 Cf. XV, 7,4 : post terga manibus vinctis suspendi praecepit. Quo viso sublimi .
..

exaratis lateribus ... Ici le supplice n'est pas destiné à faire périr le patient, qui est
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET « PERDUELLIO » 101

ordre, poursuivi jusqu'à ce que mort s'ensuive, le type de peine prévu par la
loi : le condamné pour perduellio aurait été suspendu à un arbor infelix et
aurait alors reçu les verges, jusqu'à ce que, les effets s'additionnant, il pérît,
attaché à son arbre, le corps ensanglanté par les coups reçus63.

Ainsi notre étude nous a mis en présence de deux formes de crimes ayant
leur châtiment spécifique. Dans un cas, celui du parricidium, le condamné,
recouvert d'une cagoule et enfermé dans un sac, périssait par noyade. Dans
l'autre, celui de la perduellio, après avoir subi, comme dans le cas précédent,
un traitement destiné à l'isoler, dès avant sa mort, de ses compatriotes pour
lesquels il représente un danger64, il mourait sans doute suspendu à un arbre
et frappé de verges. Il n'est pas besoin d'insister sur les aspects très
archaïques de ces châtiments; en particulier, dans les deux cas, le luxe de
précautions contre le danger pour la cité que représente le coupable s'inscrit dans
une conception encore toute religieuse de la faute et de la punition : le
châtiment a davantage pour fonction de préserver la communauté de la
souillure que de punir une faute conformément à un code moral.
Dans ces conditions, que peut-on penser des formes de mise à mort
auquel il est recouru? On ne saurait certes négliger que, dans un tel contexte,
la manière dont advient la mort du coupable est d'une importance extrême, et
il n'est pas indifférent que tel délit appelle telle punition. Les études de
A. Piganiol et de L. Gernet, sont exemplaires à ce sujet65, et montrent que le

ensuite libéré et expulsé. Mais il est évident que ce type de traitement pouvait être
poursuivi jusqu'à la mort. On a un exemple différent de mort sous les coups dans le cas
du supplice de la furca, réservé à l'époque classique aux esclaves mais considéré à
l'époque de Néron comme le type de châtiment caractéristique des premiers temps de
Rome (Suet., Ner., 49 : more majorum . . . nudi hominis cervicem inserì furcae, corpus
virgis ad necem caedi).
63 C'est aussi de cette manière que J. André a compris ce supplice {Hommages à
J. Bayet, Bruxelles, 1964, p. 44): «Yarbor (infelix)est (à l'origine) un arbre auquel le
coupable est suspendu par une corde pour être fustigé jusqu'à la mort». Dans le même
sens, F. Parente, RFIC, CVII, 1979, p. 372-3.
64 Rappelons que comme le parricide le condamné pour perduellio a le visage voilé.
Il est suspendu en l'air et ne touche pas la terre - ce qui correspond au fait que le
parricide est lui aussi isolé du sol où s'élève la cité (sandales de bois; projection dans un
fleuve ou dans la mer). Et l'on choisit un arbre voué aux dieux infernaux - moyen de le
faire passer, dès avant son trépas effectif, dans le domaine des morts, qui rappelle le
souci analogue exprimé par la présence de certains animaux dans le culleus.
65 Voir respectivement Essai sur les origines de Rome, p. 149-50; Anthropologie de la
Grèce antique, p. 288-302, 303-29.
102 DOMINIQUE BRIQUEL

choix d'une peine comme la précipitation de la roche tarpéienne ou Γάτοτυμ-


πανι,σμός a une signification précise, et s'explique par un souci religieux à
l'égard du coupable comme de la communauté. Or nous avons noté entre
parricide et perduellio une certaine complémentarité, qui peut se retrouver
dans le fait que chacune appelle un type de mise à mort spécifique, soit, en
schématisant, dans un cas la noyade et dans l'autre la suspension à un arbre.
Cette opposition des deux peines serait-elle significative, corrélative à la
distinction des deux fautes?

Ces faits romains nous semblent de nature à s'éclairer si l'on observe


l'existence d'une distribution analogue de formes de mise à mort dans
d'autres secteurs du monde indo-européen. Le trait est patent dans le monde
germanique. Étudiant la saga de Hadingus, G. Dumézil, dans un article intitulé
«le noyé et le pendu», a montré qu'existait une opposition significative entre
la mort attribuée à Hundingus, qui périt noyé dans un tonneau, et celle, qui en
est la conséquence, de Hadingus, qui se pend66. Il ne s'agit pas seulement en
l'occurence de récits légendaires et de types de morts héroïques : reprenant la
question, D. J. Ward a retrouvé la même complémentarité entre mort par
noyade et mort par pendaison dans les pratiques pénales des anciens
Germains67. Le meilleur exemple en est fourni par la phrase de la Germanie de
Tacite où cet auteur présente les deux manières d'exécuter les condamnés en
usage chez les Germains de son époque68 :
proditores et transfugas arboribus suspendant, ignavos et inbellis et
corpore infamis caeno ac palude, injecta super crate, mergunt.
On voit que, tout comme les Romains, les Germains auraient connu la
suspension aux arbres et la noyade comme modes différenciés d'exécution des
criminels69. Mais en Germanie, ce qui n'était pas le cas pour Rome, la

66 Cf. Du mythe au roman, Paris, 1970, p. 127-46.


67 Voir Myth and Law among the Indo-europeans, Los Angeles, 1970, p. 123-42.
68 Cf. Tac, Germ., 12, 1, Pour d'autres exemples de noyade, antiques et médiévaux,
voir D. J. Ward, art. cité, p. 126-131; mais nulle part la complémentarité des deux
formes de mise à mort n'apparaît aussi clairement. Le type de noyade rappelle celui
infligé à Turnus Herdonius (Iiv., 1,52).
69 II faut cependant noter la différence concernant la pendaison. Chez les Germains,
on a affaire à une pendaison par le cou, aboutissant à une mort par strangulation (cas
d'Hadingus, d'O3inn lui-même), non d'une suspension du genre de celle que nous avons
rencontrée à Rome (et que nous allons retrouver dans le domaine celtique, cf. P. M. Du-
val, EtCelt, VIII, 1958-9, p. 43, n° 2).
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET « PERDUELLIO » 103

signification d'un tel processus apparaît encore clairement. G. Dumézil a bien


mis en valeur le fait que Hadingus est un héros lié au dieu souverain Oëîinn,
tandis que Hundingus a des liens avec la troisième fonction, est un héros
vanique. Plus nettement encore, Octinn est le dieu des pendus, doit certains de
ses surnoms à cet aspect et se serait même pendu lui même. Inversement la
mort par l'eau apparaît liée à des divinités de troisième fonction : D. J. Ward
rappelle la mise à mort par noyade des esclaves qui avaient baigné le char de
la déesse Nerthus70, en qui il est clair qu'il convient de reconnaître une
contrepartie féminine du dieu scandinave Njorcîr. Ainsi l'on pourrait qualifier
la mort par pendaison de mort d'Ocîinn, mort de première fonction, et la mort
par noyade comme mort vanique, mort de troisième fonction.
A ces faits germaniques, on peut ajouter, comme l'ont montré G. Dumézil
et D. J. Ward, des faits celtiques71. Nous sommes il est vrai ici dans un
domaine qui n'est plus celui des morts de héros, ni des mises à mort pénales,
mais des sacrifices humains72. Cependant le principe est clairement toujours
le même : au dieu souverain (ici Esus) correspond la pendaison, au dieu de la
troisième fonction (ici vraisemblablement Teutatès, dieu de la teuta, de la
communauté humaine organisée, équivalant au Romain Quirinus73), la noyade.
Les scholies à Lucain de Berne spécifient en effet (avec des interpretationes
latinae peu sûres, et d'ailleurs variables, dont nous n'avons pas à tenir compte
ici)74 :
Hesus Mars sis placatur: homo in arbore suspenditur usque donee per
cruorem membra digesserit75 .

70 Cf. Tac, Germ., 40.


71 Voir respectivement o.e., p. 143, n. 3; art. cité, p. 134-42.
72 Nous n'avons pas à prendre parti sur la théorie qui voudrait que les exécutions
de criminels aient été à l'origine des formes de sacrifices humains (p. ex. K. von Amira,
Die germanischen Todesstrafen, Munich, 1922). Chez les Gaulois au moins les deux
notions se recouvrent facilement; César, B. G, 6, 16, note que les victimes offertes dans
les sacrifices humains étaient presque toujours des criminels et que c'était là le genre
d'offrande le plus agréable aux dieux.
73 Nous persistons à préférer ce type d'interprétation pour Teutatès, même s'il a été
attiré dans le domaine de la deuxième fonction (tout comme Quirinus à Rome
d'ailleurs), au point de susciter des interpretationes romanae par Mars (opinion
dif érente de P. M. Duval, EtCelt, VIII, 1958-9, p. 41-58; Les dieux de la Gaule2, Paris, 1976,
p. 29-31).
74 Voir sur ce texte difficile (schol. ad Luc, 1,44) le^ études de P. M. Duval, Et Celt,
VIII, 1958-9, p. 41-58; J. De Vries, La religion des Celtes, Paris, 1975, p. 54-6, 106-8, 230.
75 Voir sur la question J. De Vries, o.e., p. 106-8, avec interprétation dans ce sens de
la scène du pilier des nautae Parisiaci où l'on voit Esus tailler un arbre. Une explication
différente du supplice (E. Thévenot, Hommages à W. Deonna, Bruxelles, 1957, p. 442-9)
a été critiquée par P. M. Duval, art. cité. On remarquera que cette forme de mise à mort
n'exclut pas l'effusion de sang (à la différence de la noyade).
104 DOMINIQUE BRIQUEL

Tentâtes Mercurius sic apud Gallos placatur : in plenum semicupium homo


in caput demittitur ut ibi suffocetur76.
De ces faits celtiques et germaniques, il semble donc découler que la
pendaison et la noyade seraient deux types de mort aux valeurs clairement
définies et différenciées. Selon le schéma de la tripartition fonctionnelle
indo-européenne la première serait en relation avec le domaine du dieu
souverain, la seconde avec celui, vaste et peu unifié, de la troisième fonction.
Sur le plan pénal, on voit d'après l'exemple germanique comment
fonctionnerait cette répartition. Les délits qui concernent la souveraineté, soit les
crimes de haute trahison, sont punis par le type de mort odinique, par la
pendaison. En revanche sont noyés ceux qui se rendent coupables de crimes
sexuels, ou qui font montre de défauts tels que la lâcheté, incompatibles avec
les qualités requises du guerrier, et plus généralement en Germanie dans le
monde d'Ocîinn77 - mais qui au contraire peuvent passer pour caractéristiques
des représentants de la classe inférieure : dans l'un comme dans l'autre cas, on
est dans le domaine de la troisième fonction.
Ces considération sont-elles transposables dans le cas qui nous intéresse,
celui de Rome? Peut-on dire que le délit de perduellio concerne la première
fonction et celui de parriddium la troisième? Le premier cas ne pose guère
problème. Il est clair que le traître bafoue la souveraineté de l'État; et Horace
lui même empiète indûment sur le domaine du pouvoir juridique, en
procédant à une exécution non légale. La faute concerne alors nettement le
domaine de Jupiter78.
Mais qu'en est- il avec le parricide? Ici les choses sont assurément moins
nettes. Le parricide n'a rien d'un crime économique ou sexuel, ni même, au
niveau ancien, ne concerne le cadre familial. Il apparaît plutôt, pourrait-on
dire, comme un crime du domaine privé, celui que commet un civis contre un

76 Sur le sacrifice humain par noyade (ou par suffocation dans un récipient rempli
de liquide) J. De Vries, o.e., p. 54-6 (se fondant en particulier sur la représentation du
chaudron de Gundestrup et sur des traits de légendes irlandaises). Pour certains faits
irlandais confirmant la liaison de la noyade et de valeurs de troisième fonction
(sacrifices pour écarter des épidémies), D. J. Ward, art. cité, p. 130.
77 II est difficile de considérer que dans la phrase de Tacite le premier membre
ignavos et imbelles ne fait que préciser corpore infames (D. J. Ward, p. 127, suivant
N. Beckman, ANF, -LU, 1936, p. 78-81); il s'agit de deux catégories distinctes, répondant
aux deux premières, proditores et transfugas.
78 Cela ne signifie pas pour autant que le crime de perduellio épuise le domaine de
la pénalité de première fonction. D'autres délits existent, avec d'autres châtiments. Ainsi
le faux témoin est précipité de la roche tarpéienne : il est ainsi expulsé de la colline où
siège Jupiter, assisté de Fides, dieu du serment et de la loyauté.
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET « PERDUELLIO» 105

autre civis. L'opposition entre parricidium et perduellio est plutôt entre res
privata et res publica, domaine privé et domaine public. Mais une telle
définition du parricide, soit finalement comme meurtre entre Quintes, n'est-
elle pas justement conforme à la figure du dieu que Rome s'est donné comme
représentant attitré de la troisième fonction, Quirinus? Quirinus est avant tout
le dieu des Quirites, le dieu des citoyens, qui régit les rapports entre eux des
membres de la communauté79. On peut sans doute s'étonner de voir ainsi
prédominer à Rome des aspects qui laissent en retrait des côtés aussi
importants de la troisième fonction que la fécondité, la santé, le bien-être
économique. Mais force est de constater que dans le panthéon romain et le système
conceptuel qui l'organise s'est produite une évolution particulière qui a eu
finalement pour résultat de faire prédominer au sein du monde varié de la
troisième fonction des aspects qui correspondraient plutôt à ceux portés, aux
Indes, par une divinité de première fonction, l'auxiliaire de la souveraineté
Aryaman, préposé aux relations entre eux des membres du groupe aryam.
Dans un tel contexte il est naturel qu'un châtiment de l'ordre de la troisième
fonction connaisse un développement du même genre : il paraît donc
admissible qu'un mode d'exécution qui, en Germanie, s'applique à des crimes d'ordre
sexuel, ou à l'absence des qualités propres des fonctions supérieures,
s'applique à Rome à ce qui est le domaine propre du troisième dieu de la triade -
soit la sauvegarde des bons rapports des Quirites ente eux81.

Ainsi la considération de faits germaniques et celtiques nous amènerait à


penser que les Romains, comme les Germains et les Celtes, ont hérité de leur

79 A Rome le dieu titulaire de la troisième fonction n'est pas une divinité agraire
(même s'il apparaît lié à certaines fêtes agricoles) : son nom, même si l'étymologie n'en
est pas absolument claire (l'explication par* co-viri n'est qu'une hypothèse), est
inséparable de celui des Quirites et sans doute lié à celui des curies. On ne saurait en tous cas
le réduire à n'être qu'un dieu de type dema (cf. A. Brelich, Tre variazioni romane sul
tema delle origini, Rome, 1956, p. 113-25, qui y voit une personnification de l'épeautre).
80 Voir G. Dumézil, Les dieux souverains des Indo-européens, Paris, 1977, p. 178-82.
81 Cette évolution propre à Rome de la représentation du dieu titulaire de la
troisième fonction fait que, si la faute de parricidium correspond bien au domaine de
Quirinus, elle ne correspond que mal à d'autres aspects de cette troisième fonction, et
ne comprend pas par exemple les délits sexuels ou économiques. Aussi n'est-il pas
étonnant de constater l'existence de systèmes de pénalités indépendants, pour des
fautes qui étaient bien du domaine de la troisième fonction (p. ex. punition du voleur de
récolte, qui ne fait pas intervenir la noyade, mais au contraire un châtiment analogue à
celui prévu pour la perduellio, mais expressément rapporté cette fois à Cérès).
106 DOMINIQUE BRIQUEL

lointain passé indo-européen l'usage de deux types de mise à mort, adaptés à


la punition de crimes définis par les première et troisième fonctions
indoeuropéennes82. En quelque sorte la forme même de ces supplices en
expliquerait la valeur. Le coupable par rapport au domaine du dieu souverain, qui est
représenté comme une divinité ouranienne, établie dans le ciel, est voué à une
mort (présentant éventuellement un caractère sanglant) survenant alors qu'il
est soulevé dans l'air au dessus de la terre des hommes à laquelle il
n'appartient plus du fait de sa faute et de la souillure qu'il a contractée; en outre le
mode d'exécution (que ce soit une pendaison véritable ou une suspension) fait
intervenir des liens - ces nœuds de la mort dont parle Homère à propos de
Mélanthios - et se rattache par là au riche symbolisme du souverain lieur,
dieu maître des liens. Le coupable de l'ordre de la troisième fonction est lui
aussi exclu de la terre des hommes, mais par un mouvement inverse, le
précipitant vers le bas (ce qui paraît conforme au caractère souvent chtonien
des divinités de ce groupe); d'autre part il est mis à mort par un processus de
noyade, excluant toute effusion de sang - ce qui semble normal pour un
domaine qui est lié à la notion de paix83.
Les Romains auraient continué à pratiquer ces formes de mise à mort, et
leur auraient donné une valeur prolongeant leur signification ancienne,
conformément à la manière dont avait évolué chez eux la vieille tripartition

82 Nous étudions ici le fonctionnement de ces formes de mise à mort dans des cas
de punitions de criminels. Mais ce n'est qu'un des aspects de leur valeur : on le voit
nettement dans le domaine germanique, où ces traitements peuvent avoir valeur
positive et fonctionner comme des sortes de processus d'héroïsation. Y aurait-il eu des
phénomènes analogues à Rome? Plusieurs fois des héros (Tiberis, Enée, Rhea Silvia
chez Ennius, ap. Porphyr., ad Hor., carm., 1,2,18, et Servius, ad Verg., Aen., 1, 273)
finissent leur vie terrestre dans les eaux d'un fleuve; et l'on peut parfois reconnaître un
aspect de troisième fonction chez ces personnages (Enée est associé aux Pénates de
Lavinium et semble avoir été considéré comme un Lare dans l'inscription de Tor
Tignosa; Rhea Silvia est définie par sa maternité et occupait les fonctions de Vestale,
gardienne du foyer de la cité). Mais il est difficile de faire plus que signaler le fait -
d'autant plus qu'en face de ces héros noyés on ne trouve pas, comme dans le monde
germanique, des héros pendus, qui seraient liés à la première fonction.
83 D. J. Ward, art. cité, p. 129-30, note que semble avoir fonctionné de manière
équivalente à la noyade une peine d'ensevelissement des condamnés vivants (au moins
au niveau des modes de supplice de l'Allemagne médiévale). A Rome également, on peut
signaler qu'un tel type de mise à mort apparaît parfois dans un contexte de troisième
fonction : que l'on songe au châtiment de la Vestale coupable. On trouve même des
exemples d'échanges entre peine de noyade et peine d'ensevelissement; ainsi la Vestale
Rhea Silvia est jetée à l'eau chez Ennius et dans une variante citée par Servius
(devenant alors l'épouse soit du dieu Tibre, soit de l'Anio); Turnus Herdonius est
enterré dans un fossé chez Denys (IV, 48) alors qu'il est noyé chez Tite Live (I, 52).
SUR LE MODE D'EXÉCUTION EN CAS DE PARRICIDE ET «PERDUELLIO» 107

fonctionnelle issue des temps indo-européens84. C'est ainsi qu'ils auraient


affecté la suspension à un arbre au crime de perduellio, la noyade au crime de
parricide - ajoutant d'ailleurs certains éléments originaux à la mise en œuvre
de ces châtiments (toutes les précautions que nous avons vues, visant à
renforcer la séparation entre la cité et le meurtrier). Mais Rome en l'occuren-
ce n'aurait fait que réinterpréter en fonction de ses cadres juridiques
renouvelés, avec des précautions religieuses supplémentaires, l'antique système
indoeuropéen de répartition des modes d'exécution.

École Normale Supérieure, Paris Dominique Briquel

84 De ce que le supplice du traître est du domaine de Jupiter et celui du parricide


du domaine de Quirinus, il ne s'ensuit pas que le condamné soit voué dans un cas à
Jupiter, dans l'autre à Quirinus. Il n'y a pas à Rome de consécration explicite à ces
divinités (à la différence du cas du voleur de moisson qui est voué expressément à
Cérès) et l'exécution n'a certainement pas, comme cela se produisait en Gaule, valeur de
sacrifice humain. Le coupable est assurément sacer, mis en dehors de la société des
hommes du fait de sa faute, et beaucoup de détails concourent à accentuer cette
séparation. Mais dans les châtiments que nous étudions la forme de mise à mort n'a pas
pour rôle de le vouer précisément au dieu qu'il a offensé. Nous sommes au niveau d'un
héritage, non d'une perception religieuse consciente. Aussi bien, si des dieux paraissent
concernés, sont-ce plutôt génériquement les di inferi auxquels est promis le coupable, et
auxquels renvoient clairement des détails comme la spécification de Yarbor infelix dans
le cas de la perduellio ou la présence d'animaux à valeur chtonienne ou infernale dans le
sac du parricide.

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