Presses
universitaires
de
Provence
L’or au Moyen Âge
De "l'Esprit de
l'Or" : langage et
alchimie
James Dauphine
p. 112-120
Texte intégral
http://books.openedition.org/pup/2752 1/12
6/3/2017 L’or au Moyen Âge - De "l'Esprit de l'Or" : langage et alchimie - Presses universitaires de Provence
Texte intégral
1 Les études de Berthelot, comme plus récemment celles de
Thorndike, Holmyard, Jung, Crisciani, Hutin, Halleux,
Gorceix et Secret, ont donné à l'alchimie une nouvelle
actualité, une nouvelle modernité. Les travaux critiques
contemporains, ponctuels ou exhaustifs, discutables ou
pertinents, soulignent le rôle exceptionnel de la pensée
alchimique dans l'histoire des sciences et rappellent
l'abondante production des Adeptes du grand art.
2 Au sein du corpus alchimique, de sa formation antique,
puis de sa réception et transformation par l'époque
médiévale, l'or occupe une place prépondérante parce qu'il
est doté de pouvoirs singuliers tant dans l'ordre de la quête
hermétique que dans celui du langage et de l'allégorie. Ainsi
considéré, le noble métal, « le thrésor, des thrésors » selon
Dame Nature1 , conduit à une interrogation sur les jeux et
miroirs du verbe qui sous-tendent le mystère d'opérations
volontairement dissimulées au profane. « L'Esprit de l'Or »
serait une expression exemplaire facilitant la
compréhension du fonctionnement d'un langage
scientifique et poétique indubitablement lié à une vision du
monde comme à un psychisme2 . Même si, comme le
constatait déjà l'alchimiste arabe Geber, au V III è siècle,
« les traces de la science que donne l'intelligence de ces
mots ont disparu et les initiés n'existent plus »3 , il est
légitime de réfléchir à la signification que « l'Esprit de
l'Or » a pu revêtir au Moyen Age.
I
3 Dans les manuels du haut Moyen Age consacrés à la
préparation de la pierre philosophale, l'esprit est une
notion de base. Zosime de Panopolis distinguait en effet les
esprits qui se rapportaient à chaque métal. A la suite de ce
dernier et de la Summa Perfectionis de Geber qui traitait
notamment de la sublimation des esprits4 , Petrus Bonus de
Ferrare, Bernard Le Trévisan et Arnauld de Villanova se
sont plu à détailler naissance et fonction de tout esprit, que
Dom Pernéty, suivant en cela la tradition, définissait
-II-
10 A la suite de Michel Butor qui concluait son article
« L'Alchimie et son langage » par ces lignes : « Le lecteur,
qui veut comprendre l'emploi d'un seul mot dans un
passage précis, ne peut y parvenir qu'en reconstituant peu à
peu une architecture mentale ancienne. Il oblige ainsi au
réveil des régions de conscience obscurcies »1 3 , il est utile
de réfléchir à ce que peut signifier « l'Esprit de l'Or » dans
« l'architecture mentale » médiévale.
11 Pour maints alchimistes la réversibilité de toute expérience,
s'inscrivait de façon évidente dans la formule étudiée :
« Esprit de l'Or » s'interprétait aussi comme « Or en
Esprit ». Le titre célèbre du traité du XIII ème siècle, écrit
par un clerc et qui fut longtemps attribué à Saint Thomas
d'Aquin Aurora Consurgens ou Hora Aurea comme les
nombreux titres doubles faisant mention d'une
« Fontaine », d'une « Clef », d'une « Rose », traduit
clairement cette loi du discours alchimique qui de Zosime
de Panopolis à Fulcanelli n'a cessé de justifier créations et
inventions verbales. Même Jean Perreal pourtant peu
réceptif aux subtiles distinctions touchant à l'or, s'est laissé
entraîner à évoquer l'or vermeil :
« Et si diz que cest or vermeil
Est le vrai pere du soleil,
De la pierre et de l'elixir,
Dont tant de thresor peult issir : Car il eschauffe, incere et
fixe,
Digere et taint par artifice,
Sans nulle diminution,
Ne quelconque corruption
De celuy or, qui est le père
Dont le filz grandement prospère ».1 4
L'auteur de « La Fontaine des Amoureux de Science »
12 beaucoup plus sensible lui à la systématisation du Grand
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12 beaucoup plus sensible lui à la systématisation du Grand
Œuvre, s'est attardé à l'évocation des qualités du noble
métal, par opposition à celles des autres1 5 . Enfin, G. de
Machaut dans « La Fonteinne amoureuse » a peut être
rappelé par le détail du « serpent d'or »1 6 qui orne la
fontaine, le dragon ou serpent qu'on identifiait alors au
soleil, voire au Mercure des Sages, ce qui par glissements de
sens désignait le Mercure des Hermétiques, « l'Esprit de
l'Or » !
13 Les conséquences de tels changements sémantiques, nés de
la réversibilité, de l'analogie et de l'invention, mettent en
valeur la qualité polysémique du langage alchimique. Par
systématisation analogique et dans les limites d'une
organisation du savoir dont Restoro d'Arezzo et Dante, pour
ne citer qu'eux, ont rendu compte, « l'Esprit de l'Or » est
esprit de compréhension étendu à toutes les activités de
l'art ou de la vie. Puisque dans le macrocosme l'or est
identifié au Soleil, à Phoebus, le plomb, métal le plus vil, est
lui dénommé aurum leprosum. De même dans la hiérarchie
médiévale repertoriant les connaissances, l'or, sommet de la
gamme des métaux peut avoir invariablement comme
substituts le lion, l'aigle, le roi, le levain ou le Christ.
14 De telles correspondances, si fréquentes dans
« l'archéologie mentale » du Moyen Age étaient aussi un
moyen de jouer avec le lecteur, de le dérouter, de l'induire
en erreur. Seul, l'adepte volontaire et acharné Nicolas
Flamel le rappelait, parvenait à pénétrer « l'Esprit de l'Or »,
c'est-à-dire « l'esprit des mots » conduisant à la
compréhension des fables ou allégories. C'est pour cette
raison que toute entreprise de lexicologie alchimique,
indispensable pour l'interprétation des textes, est
compliquée par de nombreuses difficultés portant sur le
mot lui-même, sa signification, son emploi.
-III-
15 Les traités dont l'objet est la description des voies du Grand
Oeuvre, ont donné une place de choix aux transpositions
allégoriques de « l'Or en Esprit ». Pour Zosime, Villanova
17
plein gré ».
17 R. Halleux interprétant ce texte, y décelait un procédé
encore utilisé en métallurgie. Ajoutons que les deux
résurrectionsdu Roi (Or) correspondent aux deux phases de
la sublimation (distillation et fixation) « où il faut passer
pour parvenir à la transmutation des corps ».1 8
18 Quant au parallèle entre le levain qui fait lever la pâte et la
poudre de projection, voire le grain qui transmue tout en
or, déjà présent au Xème siècle dans la Tabula Chemica de
Mohammed-Ibn-Oumail, il engendre à la suite d'une erreur
de traduction1 9 , le développement conventionnel, mais
extraordinaire, de la mer se métamorphosant en or, comme
en témoigne ce passage de « La Fontaine des Amoureux de
Science » :
« Car si toute la mer estoit
De métal, tel qu'on le vouldroit,
Cuyure, Argent vif, Plomb ou Estain,
Et tu en misses ung seul grain
Dessus, quand seroit eschauffée,
Il en soudroit une fumée
Qui mentoit merveilleux arroy ;
Et après se tiendroit tout coy ;
Et puis quand serait appaisée
La fumée, et tout accoisée,
La Mer trouverait plus fin or,
Que nul roy ayt en son thresor ».2 0
Notes
1. J. Perreal : « Les Remonstrances ou la complainte de Nature à
l'alchymiste errant », vers 684-685.
2. C. J. Jung : Mysterium conjunctionis, Paris, Albin Michel, 1980, pp.
222 -223.
3. M. Berthelot : La chimie au Moyen Age, Paris, Imp. Nat., 1893, p. 57.
4. Geber (=Djabir) : La Somme de la Perfection, Paris, G. Trédaniel,
1976, 2t., t. l,pp. 140- 141.
5. A. J. Dom Pernéty : Dictionnaire Mytho-Hermétique Paris, Denoël,
1972, p. 121 ; on se reportera aussi avec profit à G. Testi .Dizionario di
Alchimia, Rome, 1950 et à P. Crosland : Historical Studies in the
language of Chemistry, Londres, 1962.
6. B. Valentin : Traité Chymico-Philosophique des choses naturelles et
surnaturelles des métaux et des minéraux, chapitre VI.
7. Geber : op. cit., p. 121 ; C. Crisciani : «The Conception of Alchemy as
Auteur
James Dauphine
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