Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
ISSN 0007-4403
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2011-6-page-541.htm
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
LEÇONS DES 12, 19, 26 NOVEMBRE, 3, 10, Cet hédonisme restera toujours présent dans
17 DÉCEMBRE 1958, 7 JANVIER 1959 l’éthique des philosophes, malgré le paradoxe que
constitue toute prétendue convergence du plaisir et
Au centre de la psychanalyse, comme traitement du bien. Si on se réfère à Aristote, on voit qu’une
et comme théorie, nous trouvons le désir. C’est pareille convergence ne peut être effectivement
dans les mécanismes du désir que Freud a vu le réalisée qu’à l’intérieur d’une éthique du maître,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
ressort des symptômes, des inhibitions, de d’une εγχρατεια. Cette maîtrise s’exerce sur tout
l’angoisse ; et, sous le nom de libido, il a désigné ce qui est habitude ; elle est maniement et usage
l’énergie psychique du désir. Or cette libido, il est du moi. Aussi bien Aristote reconnaît-il que les
frappant de voir un auteur comme Fairbairn la désirs – επιθνμιαι – sont hors du champ de la
définir comme object-seeking, à la recherche de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
toute manifestation de langage à une diachronie
réglant la succession des éléments différentiels ; et
ceci implique une synchronie, soit l’existence Premier schéma : (schéma 1) il introduit la topo-
d’une certaine batterie signifiante. logie du rapport du sujet au signifiant, réduite à ce
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
seulement que l’enfant y reçoit le premier seing de A { d. Ceci montre la vraie place de la prétendue
sa relation avec l’autre. Ce seing participe de la omnipotence archaïque qu’on impute généralement
structure du langage, bien avant que le sujet puisse à la pensée d’un sujet dans les langes... En fait, il
parler, puisque cette structure naît avec le seul jeu s’agit de l’omnipotence de l’Autre liée au signe où
d’alternances couplées qui la préfigure tout elle est attendue.
entière : c’est le ooo... aa... interprété en Fort ! Da ! Et ce signe apparaît au lieu du message comme
où Freud – dans le jeu vocal de son petit-fils – eut pur signifiant S ( A ) dans une situation bien
l’illumination de la racine de la compulsion de distincte de l’effet du signifié s ( A ) qui se produit
répétition. au lieu du message de l’autre chaîne D S par la
C’est donc dans la mesure même où la signifi- boucle de la phrase articulée. Il y a entre ces deux
cation s’unifie dans la boucle du MC. CM (trait points une distance qui permet à la commutation
plein) que l’effet de discontinuité signifiante du signifiant d’approfondir son effet en métaphore.
rétroagit vers l’issue originelle du besoin (traits
Autrement dit, la barre posée par Saussure
rompus de ΔC). CM s’offre à l’opération impliquée
dans le rapport S où il symbolise la
dans le principe de la commutativité des signi-
s
fiants ; mais son effet métaphorique – substitution relation du signifiant au signifié, s’incarne ici entre
d’un signifiant à un autre avec ses conséquences
le discours de l’Autre comme place de l’incons-
quant à la production du signifié – s’inscrit mal sur
cient et le discours concrètement modulé par
ce premier schéma.
l’intention du sujet. Ce qui franchit cette barre
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
Deuxième schéma : (schéma 2) Il introduit comme effet symptomatique est de l’ordre de la
l’inconscient qui consiste essentiellement en ceci, métaphore : vecteur S ( A ), s ( A ).
qu’une demande peut persister dans le sujet, dans
On saisit, en outre, sur ce schéma, ce que
sa succession articulée, sans qu’une intention
comporte toute prévalence du discours de l’Autre
consciente la soutienne. Dès lors, l’inconscient fait
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
de l’autre en ce qui concerne ses demandes Ajoutons que le je auquel nous nous référons
originelles. n’est pas seulement la particule qui désigne, dans
le discours, le sujet comme porteur du message 3.
Nous inscrivons une seconde voie de retour à
partir de A, qui consolide l’effet de l’autre sur la Des formules comme « je dis et je le répète »
parole du sujet en tant qu’il est constitué par le trahissent l’apparentement profond du je, ici en
message s ( A ) qui lui en revient. (L’an dernier, question, avec le sujet de la parole. On peut aussi
nous avons analysé cette interférence des deux évoquer l’impératif du « lève toi et marche » pour
voies, en partant du mot d’esprit, pour, ensuite, mettre en évidence que le je peut être le plus
l’étendre à toutes les formations de l’inconscient : présent sous une forme occultée, puisque nulle
c’est là le circuit privilégié pour y saisir les effets part, sans doute, le locuteur ne s’affirme plus
de la métonymie). qu’au vocatif où seul, pourtant, est produit
l’allocutaire 4.
On notera – toujours à cet étage – que le circuit Cette année, nous allons tenter de situer la fonc-
imaginaire A m i ( a ) s ( A ) occulte, en le contra- tion du désir, et ceci sur le trajet où le je se constitue
riant, le segment initial de l’identification primaire. dans une réponse qui reste question ; en effet le
Aussi indiquons-nous celui-ci en traits rompus sur Ché vuoi ? de l’Autre désigne une réponse anti-
notre schéma ; le trait plein à partir du point i ( a ) cipée – une réponse avant la question – à un niveau
symbolise le fait de la subduction secondaire de où le sujet se trouve confronté, pourrait-on dire, à
cette identification par le moi idéal. C’est par cette l’érection de son propre vœu.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
voie que l’identification primaire s’élève à la fonc-
Il y a un point problématique où le sujet répond
tion d’idéal du moi.
à un appel de l’être et du vouloir, sous une forme
D’autre part, le trajet en traits rompus au delà de opaque, après qu’il n’ait pu dire ce qu’il souhaite
A de la ligne D S pleine jusque là, symbolise le ni ce qu’il veut : c’est le désir. Nous le situons en
un point d, homologue – quant à sa rétrogradation
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
un signal qui, déjà, constitue une certaine réponse, chose qui n’est nullement dérobé à la conscience
est communication et apporte un secours. On peut du sujet, c’est donc le phénomène de soustraction
penser, comme la clinique le montre, que le désir en lui-même (Unterdrückung) qui prend valeur
joue un rôle homologue. positive. Interpréter ne revient donc pas ici à resti-
tuer un désir prétendu inconscient qu’on ferait tenir
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
C’est une telle distance au manque qu’essaie de dans « selon son vœu ». En fait « selon son vœu »,
mesurer le fantasme. Organiser, dans sa fuite méto- isolé, ne veut rien dire. Ce qui est en cause, c’est
nymique, l’être qu’appelle le langage, telle est, à proprement parler une élision de signifiant : c’est
selon nous, l’essence du désir. elle qui produit un effet de signifié, ce que nous
C’est ici que le phallus prend fonction de signi- avons appelé un effet de métaphore.
fiant – et s’en trouve opéré d’autant dans sa fonc- Prenons maintenant l’exemple des « rêves
tion organique. Il est, dirons-nous, spécialement d’enfants », ces rêves qui donneraient un premier
affecté à la désignation des rapports du sujet au état du désir dans le rêve. Le rêve ne connaissant
signifiant, ou encore chargé de représenter la alors pas de déformation (Entstellung), le désir irait
métonymie du sujet dans l’être, c’est-à-dire là tout droit. Qu’on veuille bien se référer au rêve
d’incarner la réponse au Ché vuoi par quoi l’Autre célèbre de la petite Anna Freud (Freud, 1901/1950,
inconscient interpelle le sujet. Il en résulte que le ch. III, p. 100) en réaction contre « la police sani-
phallus apparaît toujours plus absent à la réalité taire de la maison ». On peut parler, à son propos,
du sujet, à mesure que cette réponse s’articule : de nudité du désir, mais il faut ajouter que le mode
castration chez l’homme, penis neid chez la de révélation est ici inséparable de la nudité elle-
femme, où l’analyse – Freud l’a souligné dans un même. Le rêve d’Anna est articulé à haute voix
de ses derniers écrits (1937/1938-1939, p. 37) – pendant le sommeil ; les images du rêve trouvent
trouve ensemble son terme et son manque de un affixe symbolique dans ces mots où nous voyons
terme. le signifiant se présenter à l’état floculé, dans une
séquence où le choix des nominations n’est pas
Qu’est-ce que le désir du rêve ? À tout le moins,
indifférent ; il représente, en effet, tout ce qui a été
il est double. D’abord, il est désir de dormir, de
interdit à la petite Anna, commun dénominateur qui
maintenir le sommeil. Il est, d’autre part, mais en
introduit une unité dans la diversité, en même
même temps – peut-être est-ce par l’intermédiaire
temps que la diversité désigne ici l’unité. En note,
de ce second désir que le premier s’accomplit – ce
Freud cite un proverbe apporté par Ferenczi : « le
en quoi le sujet du Wunsch se satisfait. Se satisfait
cochon rêve de glands, l’oie de maïs » : il y a ici
de quoi ? de l’être – avec toute l’ambiguïté que
unité élective de la satisfaction du besoin. Alors
comporte pareille formulation. En effet, le rêve
n’apporte qu’une satisfaction « verbale », le
Wunsch se contente ici d’apparences mais, d’un 5. « Formulations concernant les deux principes du
autre côté, c’est bien quelque chose de l’ordre de fonctionnement mental », article non traduit en français.
l’être qui est en jeu. G. W. VIII, p. 229-238. S.E. XII, p. 255. Le rêve figure
dans les éditions de la Traumdeutung postérieures à 1911.
Prenons un rêve que Freud rapporte dans les Trad. fr. Meyerson p. 318, d’abord en note, puis incor-
Formulierungen über die zwei Prinzipien des poré au texte.
546 bulletin de psychologie
que dans le rêve d’Anna – et c’est ce qui fait sa sujet idéal au réel, c’est, à l’inverse, le réel qui se
valeur exemplaire aux yeux de Freud – le signifiant trouve pris dans les « prépositions » (Vorstellung :
est présent ; le rêve se présente littéralement représentation, littéralement position-devant) du
comme un message : Anna Freud s’annonce, sujet qui ont une organisation signifiante.
produit sa séquence, on s’attend presque à ce
Revenons maintenant au rêve d’Anna. On voit qu’il
qu’elle achève en disant : terminé !
ne dit nullement la satisfaction pure et simple d’un
Il convient ici de distinguer entre la directive du besoin. Il nous introduit à cette autre scène (Andere
plaisir et celle du désir. On connaît l’usage que fait Schauplatz) qu’évoque Freud et dont il nous dit
Freud de la notion de Vorstellung (représentation) qu’elle n’est pas à chercher dans un lieu neurologique,
dans ses premiers schémas. Lorsque le processus mais dans la structure du signifiant lui-même. Dès que
primaire est seul en jeu il aboutit à l’hallucination le signifiant est donné, et que le sujet est défini comme
par un procès de régression topique. ce qui va entrer dans le signifiant, nous avons une
topologie dont il faut et il suffit que nous la conce-
Si l’issue vers la motilité ne se réalise pas, il y
vions comme constituée par deux chaînes superpo-
a régression et apparaît en P une satisfaction hallu-
sées. Au niveau du rêve d’Anna il est vrai qu’il y a
cinatoire qui est une Vorstellung. Ce qui est ici
ambiguïté, justifiant jusqu’à un certain point la diffé-
défini, c’est donc tout autre chose que le besoin qui
rence faite par Freud avec le rêve de l’adulte. Où
exige, lui, pour être satisfait, le processus secon-
inscrire ce que dit Anna ? sur la chaîne supérieure ou
daire. Où situer l’instinct à partir d’une telle
inférieure de notre schéma ? Nous avons noté que la
bipartition ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
première est en pointillé – ce qui met en évidence la
En effet, les recherches modernes sur l’instinct discontinuité du signifiant ; la seconde est continue :
montrent comment une structure – pas absolument elle se situe au niveau de la demande, et ce qui s’y
préformée, mais capable d’engendrer sa propre inscrit participe de l’unité de la phrase (les linguistes
chaîne – dessine, dans le réel, des chemins vers des ont parlé d’holophrase. C’est, par exemple, l’interjec-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
objets qui n’ont pas encore été éprouvés : ce que tion : du pain ! au secours ! Le besoin s’y exprime de
l’éthologie appelle le stade appétitif puis le méca- façon déformée mais monolithique). Quand la foule
nisme de déclenchement spécialisé (IRM, innate crie : du pain ! tout le poids du message porte sur
realising mechanism). l’émetteur ; le cri à lui seul suffit à le constituer, même
La conduite hallucinée liée au processus primaire s’il est à cent bouches, en un sujet unique. Ce n’est
se distingue radicalement d’une telle conduite déjà plus ce qui se passe dans le rêve d’Anna : le sujet
d’autoguidage. Métaphoriquement, on peut se n’y est pas constitué dans et par la phrase.
représenter la conception de Freud ainsi : une Il faut distinguer entre le procès de l’énoncé
lampe s’allume dans la machine quand la bille (ligne inférieure) et celui de l’énonciation (ligne
tombe dans le bon trou, à savoir celui où elle est supérieure). Ce sont là deux lignes, non deux fonc-
déjà tombée ; l’allumage de cette lampe donne droit tions, mais cette duplicité se retrouve dans toute
à une prime, et c’est cela le principe de plaisir. opération de langage. Il faut qu’un pas soit franchi,
Mais, pour que la prime soit honorée, il faut une pour que la distinction du je en tant que sujet de
certaine réserve de sous dans la machine, et c’est l’énoncé et du je en tant que sujet de l’énonciation
là qu’intervient le processus secondaire. En effet, soit faite ; elle ne l’est pas d’emblée. Que l’on
la lampe qui s’allume peut illuminer un objet déjà songe, par exemple, à cette étape dégagée par le
éprouvé, non en montrer le chemin. Cette recherche test de Binet : « j’ai trois frères, Paul, Ernest et
appartient au processus secondaire – qui, en ce moi ». Il faut un certain temps avant que l’enfant
sens, joue le rôle du comportement instinctuel, mais ne s’aperçoive qu’il y a dans une telle formule
s’en distingue en ceci qu’il constitue une mise à quelque chose qui ne va pas. Le sujet humain,
l’épreuve de la réalité de cette satisfaction déjà quand il opère avec le langage, se compte.
éprouvée. La lettre 52 à Fliess est particulièrement
Dans le rêve d’Anna, l’énonciation se présente
démonstrative : Freud y fait l’hypothèse d’une
comme un empilement, une succession de méta-
succession d’inscriptions (Niederschrift) qui
phores ; mais le je qui s’énonce, en se nommant au
constitue une véritable topologie des signifiants. Il
début de la séquence, n’est pas encore authentifié.
n’y a rien là qui ressemble à un comportement
instinctuel dirigeant l’organisme dans les voies de Dans le rêve de l’adulte, c’est un fait que le désir
la réussite. Bien plus, la réalité n’est « saisie » prend une forme plus compliquée et que l’interpré-
(begreifen) que par la voie d’une critique récur- tation en est plus difficile. La réponse de Freud est
rente des signifiants évoqués dans le processus ici sans ambiguïté : cela vient de la censure.
primaire, en les connotant d’indices de réalité qui L’enfant a affaire à l’interdit, a dit que non et tout
sont,eux-mêmes, des signifiants. Loin qu’il s’agisse le procès de l’éducation vise à le constituer de telle
de « prises de vrai » (Wahrnemung : perception, sorte que la vérité du désir devient, à elle seule,
littéralement prise de vrai) capables de conduire le une offense à l’autorité de la loi, et que la censure
bulletin de psychologie 547
va s’exercer aussi sur cette vérité. Ce qui est alors de sujet. Nous trouvons ici une trace de ce qui relie
visé, c’est le procès de l’énonciation. Seulement, essentiellement la négation à l’énonciation.
pour que la censure puisse s’exercer, il faut bien Ces remarques hâtives ne sont destinées qu’à
supposer quelque pré-connaisance du procès de montrer comment la négation, dans sa racine
l’énoncé. Il y a là un paradoxe qui a été souvent linguistique, est quelque chose qui émigre de
noté à propos de la censure, une contradiction l’énonciation vers l’énoncé. C’est un tel glissement
interne, qui est celle du non dit au niveau de l’énon- qu’impliquent les vues de Freud sur la Verneinung.
ciation (« celui qui dira telle chose aura affaire à Freud part de ce paradoxe qui comporte toute néga-
moi », moyen pour moi de dire cette chose). tion dans l’énoncé, puisqu’elle pose quelque chose
Pour surmonter ce paradoxe, il faut comprendre pour le poser en même temps comme non existant.
que le refoulement est lié à la nécessité d’un effa- Dans la constitution du sujet, la découverte que
cement du sujet dans le procès de l’énonciation. l’autre ne sait rien de ses pensées – découverte faite
Par quelles voies ceci est-il possible ? On peut se sur le fond qu’il les connait toutes puisqu’elle sont
représenter les choses ainsi : toute parole, en tant structuralement le discours de l’Autre – est une
que le sujet y est impliqué, est discours de l’Autre, acquisition décisive. C’est par cette voie que le
part de A. C’est ainsi que l’enfant ne doute pas sujet va développer l’exigence contradictoire du
d’abord qu’on ne connaisse ses pensées ; la pensée non-dit et trouver le chemin par où il a à effectuer
est de l’ordre du non dit, mais le non dit suppose ce non-dit dans son être ; devenir un sujet qui a la
une énonciation primordiale. Cette croyance dimension de l’inconscient. C’est là le pas que,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
subsiste aussi longtemps que les deux lignes ne sont dans la connaissance de l’homme, nous fait faire
pas maintenues à une certaine distance. Puis la psychanalyse par rapport à la tradition philoso-
l’enfant s’aperçoit que l’adulte ne sait pas ses phique, pour qui le sujet est essentiellement défini
pensées, et c’est là la voie du refoulement. À comme le corrélatif de l’objet de connaissance,
l’exemple de cet Autre, le sujet s’efface ; en lui sujet-ombre, doublure des objets – et on oublie le
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
Traumdeutung sur le désir indestructible qui douleur. Douleur de quoi ? qu’il était mort. Et de
modèle le présent à l’image du passé ; en fait, le l’autre côté, il ne savait pas. Quoi ? qu’il était mort.
désir serait devant le sujet, produisant toujours
rétroactivement les mêmes effets).
douleur il ne savait pas
*
* * qu’il était mort qu’il était mort
selon son vœu)
Où placer le désir ? entre ce point sur lequel nous
avons insisté en parlant de l’aliénation du sujet dans
l’appel du besoin, et cet au-delà où va s’introduire,
comme essentielle, ce que nous avons appelé la De ce selon son vœu, nous pouvons faire plus
dimension du non-dit. d’un usage. Nous pouvons désigner par là ce que
le sujet a expressément voulu tandis qu’il soignait
Revenons au rêve de l’apparition du père mort.
son père. Ou bien le désir infantile de la mort du
Nous pouvons l’inscrire ainsi sur notre schéma 4.
père (ce désir infantile dont Freud nous dit qu’il
est le capitaliste du rêve et trouve dans le désir
actuel son entrepreneur) ; mais, à ce niveau
œdipien, l’interdiction véhiculée par le père fournit
au sujet un appui, un alibi, une sorte de prétexte
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
moral à ne pas affirmer son désir. Et interpréter le
rêve à ce niveau ne permettrait-il pas au sujet de
s’identifier à l’agresseur, ce qui serait une forme
de défense ?
N’oublions pas que le sujet a vu mourir son père
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
imaginaire. Tout ce qui peut ici se définir comme manque et est contraint de tenir compte de ce
désir déterminable est en défaut par rapport à la désir ? C’est cela qui nous importe, comme condi-
béance qu’ouvre la mort du père, et qui est ce que tion de toute la problématique du désir.
le sujet entend ignorer ; le contenu du selon son Pour faire face à cette suspension du désir, le sujet
vœu – par exemple le désir agressif – apparaît alors a devant lui plus d’une astuce, portant essentielle-
comme protection. Le selon désigne la nécessité ment sur la manipulation de l’objet a. L’interposi-
qui défend au sujet d’échapper à cette concaténa- tion du signifiant rend impossible un rapport immé-
tion de l’existence, en tant qu’elle est déterminée diat à l’objet qui se trouve pris dans la dialectique
par la nature du signifiant. du sujet et du signifiant (qu’on se souvienne du petit
Aussi est-ce autour d’un selon, autour de l’élision Hans qui, à propos de chaque objet, se demande :
d’un pur et simple signifiant que le rêve gravite. a-t-il ou non un phallus ?) L’objet humain subit une
La Verdrängung n’est pas ici refoulement de sorte de volatilisation, par comparaison avec la
quelque chose qui se nie ou se comprenne, mais spécificité, au moins relative, de l’activité instinc-
élision d’une clausule, de ce qui signe l’accord ou tuelle. Ceci se vérifie dans le déplacement qui est le
la discordance entre l’énonciation et le signifiant. moyen, pour le sujet, de maintenir le fragile équi-
C’est pourquoi nous risquons toujours de donner à libre de son désir (alors que, pour l’animal, il s’agit
la question que pose selon son vœu quelque réponse seulement d’un déplacement d’objet en objet) : la
précipitée, qui négligerait cette donnée fondamen- satisfaction est empêchée en même temps qu’un
tale qui fait de l’objet de tout désir le support d’une objet de désir est conservé. En ce sens, la cassette
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
métonymie essentielle. de l’Avare prend une valeur emblématique : le désir
On aperçoit aussi la fonction de la castration pour subsiste dans une rétention de l’objet, qui ne donne
le désir humain. Le désir est aliéné dans un signe, pas d’autre jouissance que d’être support de désir,
une promesse, une anticipation qui comporte son gage, voire son otage. Par cette valorisation qui
comme telle une perte possible. Bien des expé- est aussi volatilisation, l’objet s’arrache au champ
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
et qui est la rivalité avec son père. En faisant revivre ce qui est de l’ordre du désir s’y formule dans le
celle-ci imaginairement, il trouve une mince passe- registre de la demande.
relle, grâce à quoi il n’est pas directement englouti. Dans sa relation à l’Autre, le sujet cherche à se
Son triomphe est de savoir alors que l’Autre ne sait faire reconnaître au delà de sa demande, en un point
pas. Mais, en fait, la mort du père est ressentie où son être tente de s’affirmer, au-delà de l’imagi-
comme la disparition d’un bouclier face au maître naire où lui-même se maintient d’une façon qui
absolu, la mort. participe des artifices de la défense. La place pour
Le sujet, en tant qu’il doit approcher l’objet le la réponse, à ce niveau, nous la désignons par S
plus élaboré (ce qu’on désigne fort mal par le () : l’Autre est ici marqué par le signifiant, aboli
concept d’oblativité), se trouve dans une sorte dans le discours.
d’impasse. Car il ne saurait atteindre cet objet qu’en L’analyse de On bat un enfant 7 éclaire cette sorte
risquant sa propre élision dans la nuit du trauma- de choix crucial à opérer entre la demande et le
tisme, ou en étant subsumé sous un certain signi- désir. Le premier temps du fantasme, c’est l’injure
fiant qui est le phallus. Dans toute assomption de narcissique, la déchéance totale : le sujet haï est
la position génitale, quelque chose se produit qui offert en victime au caprice paternel qui vise, en
a son incidence imaginaire : la castration. Si tout lui, l’au-delà de toute demande. Le deuxième temps
le dialogue entre Freud et Jones, autour de la phase – reconstruit, non rencontré par l’analyste – c’est
phallique, parait voué au malentendu, c’est que le le masochisme primordial, moment où le sujet va
phallus n’y est pas nettement conçu comme sous- chercher sa réalisation dans la dialectique signi-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
trait à la communauté imaginaire et isolé dans cette fiante. Quelque chose s’ouvre en lui, qui lui fait
fonction privilégiée qui en fait le signifiant du sujet. percevoir que c’est dans cette possibilité d’annula-
Nous distinguons deux plans. L’un immédiat, qui tion subjective que réside son être, que c’est en la
est celui de l’appel (du pain ! au secours !) : le sujet frôlant au plus près qu’il rejoint la dimension dans
est identique, pour un moment, à son besoin, c’est laquelle il subsiste comme être qui peut émettre un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
le nouveau quésitif de la demande (qu’on trouve vœu. Quelle est l’essence du fantasme masochiste ?
d’abord articulé dans le rapport de l’enfant à sa à la limite être traité comme une chose qui se
mère). L’autre est le niveau votif, où le sujet, tout marchande, se vend, être annulé jusque dans toute
au cours de sa vie, a à se retrouver, à travers tout espèce de possibilité votive de se saisir autonome.
ce qui a échappé à la forme de langage, au fur et Enfin, dans le troisième temps, ce qui bat, c’est On,
à mesure qu’elle se développait en transformant, un sujet neutralisé, et ce qui est battu, ce sont beau-
en rejetant ce qui, du besoin, tendait à s’exprimer. coup d’enfants. Aussi, nulle part, le sujet – auteur
C’est cette articulation au second degré qui est de fantasme – ne se situe sans équivoque.
cherchée dans l’analyse. Quand nous parlons de Dans le fantasme sadique, l’affect accentué porte
stades oral, anal, nous marquons que le sujet est sur l’image du partenaire, sur l’attente de celui qui
dans un certain rapport avec sa demande. Nous ne va être battu et ne sait pas comment il va l’être.
faisons pas simplement reconnaissance du carac- Mais le sujet dans son désir ne se situe pas plus
tère anal de la demande, nous confrontons le sujet facilement. Il est entre les deux – celui qui bat et
à la structure de sa demande. À ce niveau votif, le battu ; s’il y a donc quelque chose à quoi il soit
celui des souhaits inconscients, nous lui apprenons identique, c’est à l’instrument du sévice. C’est sous
à parler, à se reconnaître dans ce qui correspond au ce signifiant, ici tout à fait dévoilé dans sa nature
code à ce niveau. Mais nous ne lui donnons pas, de signifiant, qu’il peut s’abolir en tant qu’il se
pour autant, les réponses. Si nous soutenons l’inter- saisit dans son être essentiel, son désir.
prétation entièrement dans ce registre de la recon-
naissance des supports signifiants cachés dans sa
N.B. Les différents symboles utilisés trouvent
demande, nous risquons de produire l’effacement
leur explication dans les cours du commentaire des
de la fonction du sujet comme tel dans la révélation
schémas.
de ce vocabulaire inconscient. C’est bien ce qui se
passe dans une certaine analyse des résistances : à
le ramener sans cesse au niveau de la demande, on LEÇONS DES 14, 21, 28 JANVIER, 4, 11 FÉVRIER 1959
réduit son désir.
Nous allons maintenant aborder la question de
Jusqu’à un certain état du développement, le l’interprétation, et nous le ferons par la voie du
vocabulaire de la demande peut passer par des rela- rêve. Partons des remarques de Freud sur la
tions qui comportent un objet amovible (nourriture,
excrément). Mais le phallus n’est plus cet objet
amovible. Et, dans l’achèvement génital, la réali- 7. Freud, 1919/1933. Voir le commentaire qui en a été
sation du désir est ce qui ne peut pas se demander. donné par J. Lacan au cours du séminaire 1957-1958 dans
L’essence de la névrose – ou de tout ce qui apparaît notre compte rendu publié dans le Bulletin de
comme névrotique chez un sujet – est peut-être que psychologie.
bulletin de psychologie 551
signification du doute dans les récits de rêve (début une chaîne signifiante morcelée avec ses éléments
du chapitre VII de la Traumdeutung) : ce qui est interprétables. À la limite, chacun des éléments
dénoncé par le sujet à propos de son rêve – concer- d’une phrase peut-être décomposé et trouver sa
nant l’incertitude, l’ambiguïté, le degré de réalité place sur une nouvelle chaîne signifiante, qui
de celui-ci –, bref, tout ce qui est inscrit en marge croise celle où il était primitivement. Or, le
fait partie du texte du rêve, en énonce les pensées morcellement au niveau de l’énonciation, en tant
latentes. Freud fait, par exemple, du sentiment de qu’assomption d’un rêve, est de même nature que
doute qu’éprouve le sujet quand il rapporte son cette décomposition signifiante qui peut aller
rêve, un des éléments sans lesquels le rêve ne jusqu’à une sorte d’épellement. C’est plus exem-
saurait être interprété. plaire avec le rêve qu’avec n’importe quel autre
discours : il nous offre la possibilité de voir se
Qu’implique effectivement une telle règle de
décrocher, de la signification actuelle, ce qui est
conduite ? On peut d’abord se poser la question :
intéressé de signifiant dans l’énonciation ; nous
que faisons-nous quand nous communiquons un
avons alors accès à ce qui s’est passé d’essentiel
rêve, que ce soit dans ou hors l’analyse ? nous
pour le sujet autour de certains signifiants main-
faisons quelque chose qui n’est pas unique dans sa
tenus dans le refoulement.
classe, mais rentre dans les énoncés du discours
indirect, dans les énoncés qui concernent les énon- La doctrine, la pratique freudiennes l’ensei-
ciations d’autres sujets (on m’a raconté... un tel a gnent : le désir est lié au retour de ces signifiants.
attesté que...). Quand nous énonçons un de nos Ils n’apparaissent que dans la mesure où le sujet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
rêves, nous le dotons d’un point d’interrogation essaie de se reconquérir dans son originalité, d’être
particulier : quelque chose est sous ce rêve, dont au-delà de ce que la demande en lui a figé. Autre-
ce rêve est le signifiant. La formule du rêve est ment dit, ce qui s’articule dans les signifiants
donc celle de l’énigme. Il s’agit de l’énonciation refoulés qui font retour reste une demande : autre
d’un énoncé qui a lui-même un indice d’énoncia- chose est le désir – que nous devons restaurer dans
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
tion E (eE). Qu’on se réfère ici à l’attitude ambigüe le discours du sujet – qui est ce par quoi le sujet se
du petit enfant qui commence à vous raconter ses situe en fonction de cette demande, par la média-
rêves ; très souvent, on ne sait pas s’il les a vrai- tion du fantasme où il suspend son rapport à l’être.
ment rêvés ou s’il fabule comme si, dans sa confi- C’est – nous avons insisté sur ce point fonda-
dence, il jouait avec vous le jeu fascinant d’une mental – dans l’intervalle entre le langage pure-
question. ment et simplement quésitif, et la recherche du sujet
pour répondre à la question de ce qu’il veut, que
Autre remarque, qui complète la précédente : se situent le désir et son corrélatif, le fantasme. Ce
l’énoncé d’un rêve nous est donné comme un tout. fantasme, foncièrement énigmatique, demande à
On dit : j’ai fait un rêve et on le distingue franche- être interprété.
ment du rêve qui a suivi. Il y a là un effet rétroactif
du discours car, généralement, rien ne fait appa- Cette question de l’interprétation, nous allons
raître, dans le cours du rêve, un tel découpage. l’éclairer par un exemple. Il s’agit d’un rêve dont
Ella Sharpe (1937) a donné une analyse précise et
Nous placerons donc le rêve, en tant qu’énoncé très fine, en ne perdant pas de vue que le rêve joue
global, récit du sujet, sur la ligne inférieure du son rôle dans le dialogue analytique (il est fait
schéma. Il s’inscrit là, dans la forme habituelle du pour l’analyse, souvent pour l’analyste). En voici
langage, comme une chaîne signifiante fermée, par le texte 8. « J’ai rêvé que je faisais un voyage avec
rapport à quoi le sujet a à se situer ; aussi est-ce au ma femme autour du monde et nous arrivions en
moment où le sujet communiquera son rêve à autrui Tchécoslovaquie où toutes sortes de choses
qu’il manifestera ces différences d’accent (incerti- avaient lieu. Je rencontrais une femme sur une
tude, ambiguïté, etc.), qui signifient que le vécu du route qui, maintenant, me rappelle une route que
rêve est plus ou moins assumé. Ces différents je vous ai décrite dans les deux autres rêves
modes d’assomption renvoient à la ligne d’énon-
ciation, la ligne supérieure. Celle-ci, rappelons-le,
est morcelée, discontinue, elle représente l’articu- 8. L’analyse du rêve et de la séance où il est apporté
lation du discours directement en prise sur le signi- fait l’objet du chapitre V du petit livre d’Ella Sharpe écrit
fiant, alors que la ligne inférieure est celle de la à des fins d’enseignement : Dream analysis (Hogarth
press). Nous ne pouvons reproduire tout ce chapitre ici
rétroaction du code sur le message, rétroaction qui dont le texte entier serait pourtant nécessaire à la compré-
a pour effet de donner à chaque instant son sens à hension des observations critiques de J. Lacan. Sans
la phrase, la constituant comme un tout, une unité reprendre, dans leur détail et leur minutie, ces critiques,
d’ampleur variable. nous en indiquons l’orientation et cherchons à en dégager
les conclusions. Aussi bien le but de notre compte rendu
On sait que la règle de libre association a fina- n’est-il pas de reproduire dans chacun de leurs détours
lement sa raison d’être en ceci qu’elle met en les leçons de J. Lacan, mais d’en retrouver le fil
valeur ce qu’il y a d’inclus dans tout discours : conducteur.
552 bulletin de psychologie
récents au cours desquels j’avais un jeu sexuel Sur un point au moins – qui sous-tend toute
avec une femme en face d’une autre femme. C’est l’analyse d’Ella Sharpe – son interprétation paraît
ainsi que cela se passait dans ce rêve. Cette fois-ci, franchement théorique : dire que, pour l’incons-
ma femme était là pendant que l’événement sexuel cient du sujet, son pénis est associé à des fantasmes
se passait. La femme que je rencontrais était d’agression et assimilé à « a biting and boring
d’apparence très passionnée et ceci me rappelle thing » – cela est plus proche des vues de Melanie
une femme que j’ai vue hier au restaurant. Elle Klein que du matériel. D’une façon générale, rien
était brune et avait des lèvres très pleines, très ne permet de faire intervenir, de façon aussi précise
rouges, et d’un aspect passionné et il était évident et active que le soutient l’analyste, l’idée d’une
que si je lui avais donné le moindre encourage- intention agressive avec crainte de rétorsion. Cette
ment elle aurait répondu. Elle est probablement à idée gauchit l’interprétation des données
l’origine du rêve. Dans le rêve, la femme voulait recueillies.
avoir avec moi un rapport sexuel et elle prenait Par exemple : le patient 10 commence sa séance
l’initiative, ce qui, comme vous le savez, est une en remarquant une petite toux qu’il a depuis
chose qui m’aide beaucoup. Si la femme fait cela, quelque temps avant d’entrer dans le cabinet de
je suis très aidé. Dans le rêve la femme est effec- l’analyste ; il s’interroge sur sa raison d’être 11. Ella
tivement placée au-dessus de moi ; cela vient juste Sharpe souligne bien que cette petite toux a fonc-
de me venir à l’esprit. Elle avait évidemment tion de message mais néglige, selon nous, qu’il
l’intention de mettre mon pénis dans son corps. Je s’agit même d’une question au second degré sur
pouvais dire cela d’après les manœuvres qu’elle
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
l’événement, d’un message de message : nous
faisait. Je n’étais pas d’accord mais elle était si dirons – dans notre propre cadre de références –
désappointée que je pensais que je devais la que le sujet se demande quel est ce signifiant de
masturber. Cela sonne très mal de se servir de ce l’Autre en lui. Il commence par répondre : « c’est
verbe transitivement. On peut dire : je me mastur- le genre de choses que l’on ferait si l’on entrait
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
bais, c’est correct, mais c’est incorrect d’user du dans une pièce où des amants sont ensemble » ; la
verbe de façon transitive 9 ». petite toux sert de signal. Il évoque un souvenir à
Notons d’abord que la première indication ce propos. Ella Sharpe, dans le bilan qu’elle dresse
donnée par le sujet va dans le sens d’une rectifica- des idées concernant le sens de la toux, note :
tion de l’articulation signifiante. Et toute l’analyse pensées d’amants qui sont ensemble. En fait, ce
du rêve repose, selon nous, sur le rétablissement de n’est pas tout à fait ce que dit le patient ; il arrive
l’intransitivité d’un verbe. Mais Ella Sharpe oriente bien en tiers mais s’arrange pour que ce ne soit pas
son interprétation sur le thème d’un vœu d’omni- de façon trop gênante : il s’annonce. Les amants
potence du sujet, qu’il n’oserait affirmer par crainte sont ensemble tant que le tiers est dehors ; ils
d’une rétorsion agressive ; elle se situe délibéré- cessent de l’être quand le tiers est dedans.
ment dans le cadre d’une situation imaginaire Second élément relevé par Ella Sharpe en rapport
duelle. Le patient aurait réussi à éluder, après une avec la toux : rejet d’une fantaisie sexuelle concer-
analyse déjà longue, toute expression d’hostilité nant l’analyste 12. En fait, le sujet ne se place pas
envers un père mort alors qu’il avait trois ans, et dans une position de pure et simple négation ;
dont il ne sait rien, sinon qu’il est mort, comme s’il l’intervention de l’analyste entraîne toute une
ne voulait pas se souvenir qu’il avait vécu. séquence d’aveux. Plutôt que rejet, il y a admission
L’analyste croit trouver une confirmation d’une détournée de l’idée suivante : si vous êtes en train
interprétation ainsi orientée en plusieurs de ses de faire quelque chose qui vous amuse et que ça
effets (l’expression, longtemps attendue, d’un vœu ne vous plairait pas que ce soit vu, il est temps d’y
libidinal, une manifestation corporelle – énuré- mettre un terme.
tique – qui dénote que la situation infantile de riva-
lité avec le père a été touchée, une conduite fran-
chement agressive à l’égard d’un partenaire de
tennis qui se moque de lui, etc.). 10. Voir la brillante description que fait Ella Sharpe
Les éléments – tous très finement notés par Ella de sa présentation excessivement contrôlée, dans Dream
Sharpe – fondent-ils une pareille interprétation ? analysis, p. 129-130.
11. L’analyste, qui a vu dans cette toux très discrète
Ne pouvons-nous, en reprenant le relevé très précis une manifestation de l’inconscient, se garde de le faire
qui nous est rapporté, et avec tout l’avantage que remarquer à son patient.
donne notre position seconde, approcher la vérité 12. L’analyste demande : « Pourquoi tousser avant
de plus près ? Essayons. d’entrer ici ? » Réponse du patient : « C’est absurde parce
que naturellement je n’aurais pas été prié de monter dans
votre bureau s’il y avait quelqu’un ici et puis je ne pense
pas du tout à vous de cette façon. Il n’y a aucune raison
9. « One can say “I masturbated” and that is correct de tousser que je puisse voir ». Puis viennent les asso-
but it is wrong to use the word transitively ». ciations suivantes et le récit du rêve.
bulletin de psychologie 553
C’est ce que met en évidence le troisième rapporté à l’analyse (et à l’analyste) ? que, si le
élément, le fantasme que le patient rapporte ainsi : sujet était à la place de l’autre, il songerait d’abord
« J’étais dans une pièce où je n’aurais pas dû être à ne pas y être ou, plus exactement, à être pris pour
et je pensais que quelqu’un pourrait penser que j’y un autre que lui-même. Mais le souvenir nous fait
étais ; alors, pour éviter que quelqu’un n’entre et faire un pas de plus : le chien n’y apparaît pas
ne me découvre, j’aboierais comme un chien. Ceci comme un être fantasmatique mais réel, un compa-
déguiserait ma présence. Le quelqu’un dirait alors : gnon proche du sujet, assimilé à lui. Ici l’autre
« Oh ! c’est seulement un chien qu’il y a ici ». Ella – l’animal réel – montre au sujet quelque chose :
Sharpe résume : être là où il ne devrait pas être et se masturber ; mais le sujet disparaîtrait de honte
aboyer comme un chien pour dépister (« to put si un tiers entrait. Autrement dit, le sens de ce
people off the scent »). C’est là encore, à notre sens, souvenir pourrait s’expliciter ainsi : je regarde cet
infléchir les choses. D’une part un élément essen- autre que je suis (le chien) comme modèle, idéal
tiel est éludé : la référence à la subjectivité de du moi faisant ce que je ne fais pas, mais ceci sous
l’autre (« Je pense que quelqu’un peut penser ») ; réserve que l’Autre n’entre pas. L’écart entre
or cette référence est constante. D’autre part, s’il l’autre – qui ne parle pas, qu’on imagine – et
est vrai que le patient s’imagine être là où il ne l’Autre à qui on a à parler est ici manifeste. Les
devrait pas être, le sens du fantasme est de montrer choses rapportées à la situation analytique se ramè-
qu’il n’est pas là où il est ; et ceci va constituer, neraient alors à ceci : tant que je ne suis pas encore
nous le verrons, la structure même de toute affir- chez mon analyste, je peux l’imaginer me montrant
mation subjective de la part de ce patient. Il n’est à se masturber mais je tousse pour l’avertir de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
pas besoin de souligner ce que ce fantasme a, du reprendre une position normale dès que je suis là.
point de vue de la réalité, d’absurde (se mettre à Nous avons donc là une série associative qui
aboyer comme un chien dans une chambre ne paraît s’articule ainsi : la toux destinée à avertir un couple,
pas être la meilleure façon d’échapper à l’atten- qui pourrait être en train de s’aimer, qu’il est temps
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
tion...) : aussi bien ne sommes-nous pas là dans le de se séparer, l’aboiement (fantasme) par quoi le
compréhensible mais dans l’imaginaire. Ce qui sujet s’absente de là où il est, se signale comme
importe ici, c’est que le sujet – comme avec sa étant autre ; enfin, avec le souvenir du chien, la
toux – se fait autre, mais il ne se demande pas cette question : qu’est-ce qui serait arrivé si on les avait
fois quel est ce signifiant de l’Autre en lui ; il se surpris tous les deux ? C’est la structure qui est ici
protège à l’aide d’un signifiant : il se chasse du importante à mettre en relief. Car l’identification
domaine de la parole, il se fait animal ; il n’y a plus du sujet, en un sens, est partout : il est aussi bien
personne. Pour autant que je suis en présence de celui qui est dehors et qui s’annonce, que celui qui
l’autre, je ne suis personne. Voilà, littéralement, ce est dedans et se trouve pris dans la relation imagi-
que nous annonce le sujet dans son fantasme ; c’est naire du couple avec ce qu’elle comporte de
la Personne d’Ulysse face au Cyclope. commune fascination. Ou bien le couple reste
Venons-en au quatrième élément : un souvenir conjoint et le tiers ne doit pas être là ou bien le
qui surgit tout de suite après l’aveu du fantasme : tiers se montre et les autres se séparent.
« un chien se frottant contre ma jambe, se mastur- La question posée est alors la suivante : quel est
bant réellement lui-même. J’ai honte de vous le donc l’objet qui est là, à l’intérieur de la pièce, pour
dire parce que je ne l’ai pas arrêté. Je l’ai laissé que le sujet, qui est à l’extérieur, s’annonce par
faire et quelqu’un aurait pu entrer » (ici, toux). cette toux compulsive, d’une façon qui l’aliène et
Devons-nous nous contenter d’inscrire ce souvenir qu’il ne comprend pas ? Le sujet, avec la série asso-
dans la séquence des associations ? Cette ligne ciative que nous venons de rappeler, accomplit une
associative, rappelons-le, correspond au rectangle première boucle ; après quoi il fait une petite toux
en pointillé de l’étage supérieur du schéma : les – comme un signe de ponctuation – puis énonce
éléments signifiants rompus passent comme dans son rêve (rapporté plus haut). Nous allons voir
le discours normal (ligne transversale de l’étage maintenant que, dans le rêve, la relation du désir
inférieur) par les deux points repères du message au fantasme se manifeste avec une accentuation
et du code, mais, le message et le code sont, ici, opposée à celle que nous avons dégagée du
d’une tout autre nature 13. Le sujet, nous l’avons fantasme de l’aboiement (où le sujet s’annonce lui-
vu, pose, dès le début de la séance, la question du même comme autre, comme sujet barré, marqué du
signifiant de l’Autre S ( A ) qui est en lui ; c’est à signifiant).
partir de là qu’il rencontre la question de son désir
Que nous donnent les associations du rêve ?
et son fantasme. Que montre ce fantasme une fois
Après sa remarque sur l’usage transitif incorrect du
verbe to masturbate, le sujet poursuit : « Le rêve
reste très présent à mon esprit. Il n’y avait pas
13. Voir, dans le compte rendu des premières leçons, d’orgasme. Je me souviens que son vagin serrait
notre commentaire du troisième schéma. mon doigt. Je vois le devant de ses parties génitales,
554 bulletin de psychologie
la fin de la vulve. Quelque chose de grand, de d’engloutissement comme nous y invite Ella
projeté en avant qui pendait vers le bas comme un Sharpe ; nous avons dit qu’elle interprète le rêve
pli sur un chaperon. C’était comme un chaperon et comme une fantaisie masturbatoire de toute puis-
c’était de cela que la femme se servait dans ses sance d’un sujet qui redoute « l’énorme caverne
manœuvres pour obtenir mon pénis. Le vagin maternelle », où il projetterait ses propres
semblait serrer mon doigt tout autour. Le chaperon fantasmes agressifs. Nous ne pensons pas qu’il
semblait étrange » 14. Suit l’évocation d’une faille dissoudre l’élément prévalent d’un doigt mis
caverne à la campagne où le sujet allait, étant à la place du pénis et gainé, ganté – dans une série
enfant, avec sa mère : « Elle a un dessus qui fait de significations préformées. Il a sa valeur spéci-
saillie et ressemble tout à fait à une énorme fique que nous n’effacerons pas en invoquant cet
lèvre » 15. À ce propos une nouvelle association intérieur du ventre de la mère, dont on parle tant
surgit : « Il existe une plaisanterie sur les lèvres [au dans les fantasmes. Il a une valeur signifiante.
sens génital du terme] qui courent transversale- Encore une fois, le sujet nous en avertit par ses
ment et non longitudinalement mais je ne me associations mêmes, nous désignant la fonction du
souviens pas de la façon dont cette plaisanterie était fantasme en tant qu’il sert au sujet à accommoder
tournée ; il s’agissait d’une comparaison entre son désir.
l’écriture chinoise et la nôtre qui partent de diffé- Ella Sharpe fait état d’une appréhension qui a
rents côtés ou du haut vers le bas. Bien sûr les traversé, dans la suite de l’analyse, l’esprit du sujet.
lèvres sont côté contre côté tandis que les parois Il devait se rendre à une cérémonie à laquelle assis-
vaginales sont en avant et en arrière, c’est-à-dire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
teraient le Roi et la Reine ; il est hanté par l’idée
l’une longitudinale, l’autre transversale » 16. d’avoir une panne de voiture juste au moment de
Association très remarquable en ceci que le l’arrivée du couple royal et de bloquer leur
patient fait ici spontanément recours au symbole passage... L’analyste voit là, une fois encore, une
– à cet ordre éminemment symbolique qu’est l’écri- des manifestations de l’omnipotence du sujet, cette
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
ture chinoise – comme pour nous avertir que le omnipotence qu’il redouterait, et formule à ce
signifiant est en jeu dans les éléments imaginaires propos l’hypothèse de quelque scène primitive 17.
très frappants qu’il apporte. La pensée analytique Mais ce qui doit nous retenir, par référence aux
aurait tendance à se maintenir au niveau de ces autres associations, c’est dans l’arrêt du couple
éléments ; sur l’assimilation de la bouche et du parental (à rapprocher du parent composite, indivis,
vagin, sur tout ce qui peut évoquer la relation primi- décrit par Melanie Klein), le désir de séparer en
tive de dévoration, d’engloutissement par la mère, eux les principes mâle et femelle.
nous ne manquons pas de témoignages psycholo- Le désir est ici visé par une appréhension fonciè-
giques ou ethnologiques. Mais il y a, dans le rement masturbatoire qui ne sépare pas dans le sujet
discours du sujet, quelque chose de plus – qui offre les deux faces de la masculinité et de la féminité.
déjà une structure très précise et qu’il ne convient On en arrive au paradoxe suivant : pour autant qu’il
pas de résorber dans le thème général est impuissant, il est mâle (ceci ne va pas sans
compensation sur le plan de la puissance ambi-
tieuse) mais, pour autant qu’il est libéré, il se fémi-
14. « The dream is in my mind vividly. There was no nise. D’autres associations évoquent le souvenir du
orgasm. I remember her vagina gripped my finger. I see sujet attaché par des courroies dans sa voiture
the front of her genitals, the end of the vulva. Something
large and projecting hung downwards like a fold on a
hood. Hoodlike it was, and it was this that the woman 17. Nous ne donnons pas ici tout le matériel qui auto-
use of in manœuvring to get my penis. The vagina seemed rise, selon elle, l’analyste à axer son interprétation sur le
toclose round my finger. The hood seemed strange. » thème de la toute puissance. Ce qui nous frapperait plutôt
15. « It has an overhanging to which looks very much c’est le côté réduit, minimisé du sujet qui se fait bien
like a huge lip. » petit. L’analyste trouve, par exemple, une confirmation
16. « There is some joke about the labia running de l’omnipotence souhaitée et plus ou moins assumée par
crosswise and not longitudinally, but I don’t remember le sujet dans le caractère énorme du rêve. Au fait, c’est
how the joke was arranged, some comparison between le sujet qui nous dit qu’il a fait un rêve énorme, qu’il y
Chinese writing and our own, starting from different a eu tout un tour du monde, etc., mais, en fin de compte,
sides, or from bottom to top. Of course the labia are side la montagne accouche d’une souris. L’omnipotence est
by side and the vagina walls are back and front, that is toujours du côté de l’Autre, de la parole. C’est précisé-
one longitudinal and the other crosswise. » ment à l’endroit de la parole que le sujet est en difficulté ;
Le sujet fait ici très certainement allusion à l’un de ces c’est un avocat plein de talent qui a été pris de phobies
jokes qui appartiennent au patrimoine culturel anglais dès qu’il a commencé son activité professionnelle ; Ella
sous le nom de limeriks. En voici un exemple, qui n’est Sharpe note finement que son échec ne vient pas de ce
pas sans évoquer celui auquel se réfère le patient : qu’il n’ose travailler avec succès mais « il doit s’arrêter
« There was a young lady from China / Who mistook for de travailler parce qu’il ne serait que trop successfull » ;
her mouth her vagina / Her clitoris huge / She covered il s’arrête devant le risque immédiat de mise en relief de
with rouge / And lipsticked her labia minor. » ses possibilités.
bulletin de psychologie 555
d’enfant, ligoté dans son lit. Dans la mesure où il avec une enveloppe faite pour autre chose (une
est lié, il peut jouir de son fantasme et y participer capote de voiture), la légère modification que le
par cette activité déplacée qu’est l’urination sujet apporte à une citation qu’il fait du The book
compulsionnelle (fréquemment en rapport avec la of Common prayer 20 – l’ensemble du matériel met
proximité du coït parental). De sorte que le sujet toujours en évidence que le sujet tend à montrer
n’est jamais là où on l’attend. On pense ici – en lui qu’il n’est jamais là où on l’attend, là où on pour-
donnant une portée différente – au terme d’apha- rait s’en emparer, l’obtenir (to get).
nisis introduit par Jones 18. De sa présentation à son Il est bien évident que cette visée est en rapport
discours, en passant par la petite toux et le fantasme avec la castration 21. Mais nous ne sommes pas
connexe, tout chez ce sujet gravite autour du « faire autorisés à postuler une intention agressive primi-
disparaître » : il ne peut rien avancer que, par tivement retournée, comme le fait Ella Sharpe, qui
quelque côté, il n’en subtilise l’essentiel. localise le phallus dans une rivalité très précoce
Le rêve nous permet ici de préciser. L’image de avec le père. On serait presque tenté, devant une
cette sorte de fourreau, de gaine, employée dans interprétation ainsi orientée, de poser la question
l’articulation signifiante du rêve, est assez étrange qui peut paraître exorbitante : où est l’élément de
pour qu’on ne soit pas conduit (comme le fait un contre-transfert ?
peu hâtivement Ella Sharpe, en utilisant des Tout de suite après avoir parlé du père mort – de
données, certes fournies par l’expérience, mais dont ce père qu’elle parvient à grand peine à réveiller
la fonction doit toujours être strictement repérée dans la mémoire de son patient – l’analyste
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
par rapport au sujet) à interpréter l’organe génital remarque qu’elle connaît une difficulté analogue à
féminin, ici prolabé, comme le phallus de la mère son égard : « il n’a pas de pensées à mon propos ».
et, de là, (crainte de la rétorsion) le phallus du sujet Elle compare alors l’analyse à une partie d’échecs
comme organe de destruction. Le fantasme fait de qui tirerait en longueur, jusqu’à ce que l’analyste
la gaine féminine retournée le signifiant phallique. cesse d’incarner le père vengeur qui s’emploie à le
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
En fait, le sujet ne met pas le pénis dans le fourreau, coincer ne lui laissant d’autre issue que la mort. À
mais le doigt ; il réinvagine ce qui est là dévaginé, première lecture, cette comparaison, d’ailleurs clas-
tout se passe comme si se produisait là presque un sique, avec le jeu d’échecs séduit : on peut tenir
geste d’escamoteur. D’autant que, beaucoup plus chacune des pièces du jeu comme un élément signi-
que d’un acte de copulation, il s’agit d’exhibition fiant, spécifié par son mouvement ; la partie
(devant un tiers) 19. Assurément, c’est le sujet lui- progresse avec la réduction du nombre de ces signi-
même qui est escamoté ; et ce qui est en jeu – le fiants. Pourquoi ne pas définir le progrès d’une
rêve le désigne – c’est le phallus. analyse ainsi : ne laisser en jeu qu’un nombre de
« To get my penis », rapporte le sujet, obtenir le signifiants assez petit pour que la position du sujet
pénis, mais l’imputation du partenaire ne signifie puisse y être définie ? Mais Ella Sharpe ne mécon-
pas qu’à la question : où est le pénis ? le sujet naît-elle pas ici sa propre intention, qui est de
puisse donner une réponse univoque. En fait, le to coincer, répondant d’ailleurs en ceci à une diffi-
get my penis est quelque chose qui se dérobe, non culté de son patient qui ne parvient pas, nous dit-on,
simplement par la volonté du sujet mais en vertu à coincer – c’est-à-dire entraîner dans un angle
de quelque accident structural qui donne son style d’où il ne pourrait répliquer – son adversaire dans
à toute la suite des associations : l’évocation de un autre jeu, le tennis ?
cette femme qui imite si parfaitement les hommes,
celle du personnage qui lui propose, avec un rare
bagout, de faire une enveloppe pour son sac de golf
20. Le sujet cite : « Whe have left undone those things
we ought to have done ». (Nous avons laissé non-faites
ces choses que nous devions faire) ; le texte de la prière
18. On sait que Jones a cru rencontrer chez ses se poursuit ainsi : « et nous avons fait ces choses que
patients, à l’approche du complexe de castration, la peur nous ne devions pas faire ». Ceci, le sujet ne le cite pas,
de l’aphanisis, de la disparition du désir. La castration il n’éprouve nullement le besoin de s’en confesser. C’est
symboliserait cette disparition. Pour nous, les choses se de ne pas faire les choses qu’il s’agit pour lui, non de les
présentent à l’inverse : c’est parce qu’il y a le jeu de faire (par crainte de trop bien réussir). En revanche il
signifiants impliqués dans la castration que la crainte de ajoute au texte : « and there is no good thing in us ». Ce
la disparition possible du désir peut naître. Dans notre « good thing », ce bon objet, est bien ce qui est ici en
perspective, cette crainte, qu’on rencontre effectivement question.
chez les névrosés, doit être mise en rapport avec une 21. Voir sa compulsion infantile à couper les lanières
insuffisante formation du complexe de castration, voire de cuir des sandales de sa sœur. Il est d’ailleurs difficile
avec sa partielle forclusion. de décider s’il s’agit là (comme dans le cas des coupeurs
19. On pense à ce tour dit du sac à l’œuf dans lequel de tresses) d’une rétorsion – application de la castration
le prestidigitateur fait apparaître l’œuf au moment où on à un autre sujet – ou d’une sorte de dévaluation, de
ne l’attend pas et le montre disparu quand on croirait le domestication de la castration : après tout, ce n’est pas si
voir. dangereux que ça !
556 bulletin de psychologie
Ella Sharpe se garde, à juste titre, de laisser théorie kleinienne constitue un exemple frappant à
paraître tout ce qu’il peut y avoir d’agressif dans cet égard. On sait que, pour Melanie Klein, le
le jeu analytique ; elle souligne que la prétention phallus, très précocement dans l’expérience de
du sujet à vouloir être aidé signifie un vœu l’enfant – fille ou garçon –, apparaît comme le
contraire : rester à l’abri (comme il était, enfant, substitut du sein maternel. L’enfant convoiterait les
plus ou moins ligoté dans son lit) avec sa capote bons et mauvais objets à l’intérieur du corps de sa
(hood) de voiture sur lui. Mais elle méconnaît, en mère. Mais pourquoi ce privilège accordé à l’objet
cette occasion, le rapport du sujet au signifiant phallus ? nous le comprenons mal. C’est toujours
phallique. le contenu imaginaire qui est promu dans les saisis-
Nous dirons, pour rester dans la métaphore des sants comptes rendus kleiniens, mais le rapport du
échecs, que le sujet ne veut pas perdre sa dame. symbole et de l’image y reste mal éclairci. Qu’y
Ce qu’Ella Sharpe vise, avec l’idée de toute puis- voyons-nous ? L’expérience du rapport à la mère
sance, et qui est le phallus que le sujet entend est entièrement centrée sur l’appréhension de
préserver à tout prix, il faut qu’il le maintienne hors l’unité ou de la totalité. Tout le progrès de l’enfant
du jeu parce que, dans le jeu, il pourrait le perdre est décrit comme allant du morcellement à l’unité,
– ce qui dans le rêve est représenté par le person- par la médiation du corps maternel, qui représente
nage tiers (qui semble n’être qu’un témoin) qu’est à la fois l’ensemble de tous les objets morcelés
sa femme 22. Le sujet se refuse à faire le sacrifice dans une sorte, non de chaos, mais de désordre
de sa dame – avec ce que cela implique dans sa primitif, et la première forme d’une identification
idéale, d’une expérience de l’unité.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
relation à l’analyste qui est une femme. Par sa toux
discrète, il avertit son analyste, si par hasard elle En fait, il y a là, dans ce rapport de l’enfant au
avait, comme il est montré dans le rêve, retourné, corps de la mère, non deux mais quatre termes. En
si l’on ose dire, son sac, de le rentrer avant que lui effet, ce rapport sert de cadre à la relation spécu-
n’entre : à voir qu’il n’y a qu’un sac, il a tout à laire de l’enfant à son propre corps (ce que nous
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
perdre. Aussi s’expliquerait toute la prudence dont avons décrit sous le nom de stade du miroir).
le sujet fait preuve : il se maintiendrait serré, ligoté D’autre part cette relation est, elle-même, dépen-
(dans sa voiture d’enfant ou autre part) pour que dante d’une autre, plus large et plus obscure, entre
puisse être ailleurs le signifiant phallus, où il voit les tendances primitives, issues de l’appel des
l’image d’une toute puissance rêvée. besoins, et le corps maternel en tant qu’objet de
Les effets sur le comportement du sujet de l’identification primitive. C’est au sein de ce
l’interprétation d’Ella Sharpe ne confirment-ils pas premier rapport à quatre termes
notre hypothèse ? Que fait le patient après qu’elle
lui ait souligné l’apparition chez lui d’un vœu libi- i (a) a
{
dinal ? Il mouille son lit et il prend à la gorge un S I
de ses partenaires de tennis, qui se moque de son
jeu, pour lui faire passer le goût de la moquerie... que vont se faire les premières adéquations du sujet
Il est difficile de voir dans de telles réactions les à sa propre identité : il constitue le lieu des anoma-
preuves d’une interprétation adéquate ; mais elles lies psychotiques ou parapsychotiques.
sont significatives. En effet, dans cette urination Dans son rapport à l’objet primitif – le sein
compulsionnelle, il n’y a pas mise en action géni- maternel – le sujet prend conscience de soi comme
tale du pénis mais de l’organe réel (voir énurésie privé 23 ; il fait l’expérience d’un semblable qui
infantile) ; d’autre part, coincer son partenaire à la usurpe sa place. Faut-il, dès ce niveau, postuler une
gorge ne revient pas à le coincer dans le jeu : l’autre appréhension, par le sujet, de l’ordre symbolique ?
comme lieu des conventions du jeu, lieu de la loi, le sujet pourrait concevoir l’objet, le sein maternel,
est absolument manqué. non seulement comme étant là ou non (d’où frus-
Notre réflexion sur ce rêve peut nous être une tration et une sorte d’auto-destruction passion-
occasion de préciser ce que nous entendons par le nelle), mais comme inscrit dans un rapport avec
caractère signifiant du phallus – sans quoi on ne quelque chose d’autre qui pourrait lui être avanta-
peut donner sa véritable position à sa fonction. La geusement substitué. C’est ce second parti que
prend apparemment Melanie Klein, en marquant la
prévalence du phallus. Mais elle n’en voit pas le S { a. Et c’est comme sujet barré qu’il est possible
rapport avec l’activité métaphorique de substitution de lui donner pour signifiant le phallus.
signifiante, ressort de tout progrès symbolique : Ce phallus, il l’est et il ne l’est pas. Cet intervalle
c’est pour autant que l’objet est substituable à la – être et ne pas l’être – la langue permet de l’aper-
totalité (visée) du corps de la mère, et pour autant cevoir dans une formule où glisse le verbe être : il
que l’image de l’autre est substituable au sujet que n’est pas sans l’avoir. C’est autour de cette
nous entrons dans l’activité symbolique, qui fait de assomption subjective entre l’être et l’avoir que
l’être humain un sujet parlant, ce qui définit tout joue la réalité de la castration. En effet, le phallus
son rapport ultérieur à l’objet : le rapport foncière- a une fonction d’équivalence dans le rapport à
ment angoissé (puisque le sujet s’y avère, à la l’objet : c’est en proportion d’un certain renonce-
limite, anéanti) du désir. ment au phallus que le sujet entre en possession de
Pour nous, le phallus a un rapport avec l’être du la pluralité des objets qui caractérise le monde
sujet, ici défini non comme sujet de la connais- humain. Dans une formule analogue, on pourrait
sance, support noétique de tous les objets, mais dire que la femme est sans l’avoir (ce qui se traduit
comme sujet parlant assumant son identité. Quel psychologiquement par le penis neid). C’est ce dont
est donc ce rapport ? en un sens toute notre le patient d’Ella Sharpe ne consent pas à s’aperce-
réflexion sur le désir et son interprétation vise à le voir : il « met à l’abri » le signifiant phallus (dans
définir. En effet, c’est le sujet du désir, soit le sujet le rêve, c’est la femme). Sans doute y a-t-il plus
profondément mis en question dans son rapport à névrosant que la peur de perdre le phallus, c’est ne
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
l’objet, que nous définissons comme sujet barré pas vouloir que l’Autre soit châtré.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.92.24.155 - 13/07/2019 02h01. © Groupe d'études de psychologie
RÉFÉRENCES
FREUD (Sigmund).– Die Traumdeutung [1901], trad. genèse des perversions sexuelles, Revue française de
fr., La science des rêves, Paris, Presses universitaires de psychanalyse, 6, 3-4, 1933, p. 219-297.
France, 1950. FREUD (Sigmund).– Die endliche und die unendliche
FREUD (Sigmund).– Formulierungen über die zwei analyse [1937], trad. fr. dans Revue française de psycha-
Prinzipien des psychischen Geschehens [1911], Gesam- nalyse, 1938-1939, no 1, p. 3-38.
melte Werke, vol. VIII, p. 230-238, Standard édition SHARPE (Ella).– Dream Analysis, Londres, Hogarth
vol. XII, p. 218-226. Press, 1937.
FREUD (Sigmund).– Ein Kind wird geschlagen [1919],
trad. fr., On bat un enfant. Contribution à l’étude de la