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Je vécus il y a quelques temps un événement tout à fait troublant.

Alors que je me
trouvais, semblait-il, dans les meilleures dispositions pour détendre mon corps et apaiser
mon esprit, je fis l'expérience d'une émotion aussi violente que soudaine. Je m'étais rendu,
sous les conseils de mon psychiatre, le docteur Jung, à un temple du centre-ville. On y
enseignait la méditation, et cela aurait pu, selon lui, me permettre de trouver un moyen
d'apaiser mes démons et de guérir des terribles migraines qui me harcelaient sans
relâche. J'avoue que si je n'avais pas eu une confiance aveugle en mon médecin, je ne
serais jamais allé dans ce genre d'endroit de mon propre chef. Je cultive depuis toujours
une aversion pour le religieux, doublée d'une méfiance, bien naturelle vous en
conviendrez, pour toutes sortes de farfelus ésotériques.

Me voilà, hésitant un long instant au pied d'un immeuble rustique, avant de me décider à
gravir les quelques marches qui montent vers la porte d'un simple appartement transformé
en Dojo. Je suis accueilli par un moine au crâne rasé, sobrement vêtu d'un kimono noir :
encore un qui se prend pour un sage de la montagne ! Il m'invite à me déchausser et à le
rejoindre dans une pièce aux murs immaculés, séparée par un long bambou couché au
sol d'une autre salle dans laquelle réside un autel austère. Il m'explique qu'à partir d'une
longue tradition de transmission remontant au Bouddha Shakyamuni, le moine indien
Boddhidharma importa la pratique de la méditation en Chine au Vème siècle de notre ère.
Puis, au XIIIème siècle, elle arrive au Japon, introduit par Eihei Dögen. Taisen Deshimaru
vient en France en 1967 et y apporte la pratique du zen, comme le lui a demandé son
maître Kodo Sawaki à la fin de sa vie. Encore ces histoires folkloriques, sensées rassurer
l'impétrant sur la légitimité d'une pratique sans doute sectaire.

Avant la séance formelle, il m'est donné une brève instruction. Zazen, étymologiquement –
méditation assise - correspond à la posture d'éveil pratiquée dans le bouddhisme zen.
L'immobilité et la rectitude du corps, la profondeur de la respiration et la vacuité de l'esprit
en sont les clés. La première phase est désignée par une simple injonction : « seulement
s'asseoir » ! Ce doux euphémisme commence déjà à me faire entrevoir la difficulté qui
s'annonce. Moi qui ne sait pas rester en place, que le silence exaspère, qui suis raide
comme la justice, comment pourrais-je trouver cela simple !

La salle se remplit en silence de pratiquants, tous plus bizarres les uns que les autres. Le
moment est venu. Le moine bat le rappel en frappant une planche de bois à intervalles de
plus en plus courts, ce qui me fait penser au bruit d'une balle qui rebondit sur le sol de
plus en plus vite avant de s'immobiliser. Nous nous installons sur le rebord du coussin
traditionnel, le zafu, chacun face au mur. Alors que l'agacement commence à m'envahir, je
tente de récapituler toutes les directives données par mon instructeur : la base d'assise
sur le sol est un triangle solide et stable formé par l'appui des genoux au sol et du fessier,
consistant à sentir son corps comme enraciné dans la terre. La colonne vertébrale
maintient solidement le tronc, et l'alignement de la tête constitue un plan de rectitude vers
le ciel. Les jambes sont croisées, coup du pied posé sur la cuisse opposée. Je bascule le
bassin vers l'avant pour pouvoir pousser l'expiration plus profondément. J'étire la colonne
vertébrale vers le haut, en rentrant le menton et en tendant la nuque, afin que le nez soit à
l'aplomb du nombril. Les épaules doivent trouver une symétrie détendue, le thorax est
souple sans être bombé. Il faut avoir l'impression de pousser le sol avec les genoux et le
ciel avec la tête. Enfin les yeux sont mi-clos sans rien fixer, le regard posé sur le sol. La
langue fait pression sur le palais et les mains sont apposées l'une sur l'autre à hauteur des
hanches, la main gauche sur la main droite, les pouces reliés par leurs extrémités, dans
un tonus juste, en formant avec les index un bel ovale, le tranchant des mains étant
appuyé sur le bas-ventre. J'ai beau m'appliquer, je sens bien que quelque chose ne va
pas, j'ai froid et commence à suer à grosses gouttes. Ma respiration s'emballe, sans trop
savoir pourquoi, mon cœur bat la chamade.

Trois coups de cloche résonnent dans le silence feutré, que je suis bien malgré moi
contraint de respecter. Je n'avais jamais remarqué combien un tel son peut prendre de
temps pour s'éteindre, comme il se répand en volutes harmoniques pour remplir tout
l'espace d'ondulations changeantes. Une forte odeur d'encens me pique un peu les yeux.
Qu'est-ce que je fais là ? Ce damné psy est encore plus fou que le pire de ses patients ! À
chaque expiration j'ai l'impression de suffoquer. Je commence à trembler, ma bouche est
sèche et pâteuse. Je me sens pris au piège comme un animal sauvage.

Le moine, de sa voix nasillarde, nous explique imperturbable, que « l'esprit suit la posture
et la respiration, il doit être sans agitation des pensées, sans bruit de fond ou verbalisation
superflue ». Mais alors, de quel terrifiant chaos deviens-je la proie ! Alors que je suis
immobilisé sur ce coussin, je me retrouve comme le témoin impuissant d'une avalanche
de pensées, d'images, de sensations, de souvenirs et d'anticipations : ce que je devrais
faire, ce que j'aurais dû faire, et cette douleur dans le genou, et que vont-ils me faire ? Je
ne me rendais pas compte que je pensais à peu près tout le temps. Et c'est proprement
insupportable ! Un flux ininterrompu de douleurs, de traumatismes et d'inquiétudes, qui
m'entraînent dans un puits de souffrance sans fond. Je n'en peux plus.

Sans que j'aie le temps d'en prendre conscience, mon corps se dresse d'un seul coup sur
ce maudit coussin, renversant l'autel, l'encens, le bol. Et je vois comme sur un écran mes
mains serrer le cou du moine, qui déjà suffoque. Les autres se ruent sur moi, ma force est
surhumaine, je ne sens rien. Il en faut quatre pour me maîtriser et me jeter dans la rue.
Tout cela semble n'avoir duré qu'une poignée de secondes.

Je me retrouve en chaussettes sur le bitume, exsangue, livide, tremblant. Un peu hébété


quand même, ébahi de ce déferlement de violence. Ce n'était pas moi, j'étais comme en
dehors de moi-même. Soupe au lait, disait maman.
J'appellerai lundi pour m'excuser.

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