Pomeau René. Jean Santeuil et le temps retrouvé. In: Littératures 5, février 1957. pp. 59-66;
doi : https://doi.org/10.3406/litts.1957.953
https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1957_num_5_1_953
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Or, quel bilan ? Hier, rentrant à Paris par le train, il a aperçu une
rangée d'arbres éclairés par le soleil jusqu'à mi-hauteur. Il a essayé
de les décrire. Peine perdue. Il a voulu raconter son voyage à Venise.
Echec encore. C'est son impuissance qui le ramène « du côté de
Guermantes ». Il achèvera au moins de « perdre son temps » dans des
occupations agréables.
Soudain une voiture s'engage sous le porche. Le conducteur crie.
Notre personnage recule, buté, se rattrape sur le pavé voisin, et reste
là, boitant sur les blocs inégaux. Alors un miracle se produit. Devant
l'écrivain qui avait frappé « à toutes les portes qui ne donnent sur
rien », une porte s'ouvre sur un monde des Mille et une nuits :
« Tout mon découragement s'évanouit devant la même félicité qu'à
diverses époques de ma vie m'avaient donnée la vue d'arbres que
j'avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour
de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d'une
trempée dans une infusion, tant d'autres sensations dont j'ai
parlé et que les dernières uvres de Vinteuil m'avaient paru
Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude
sur l'avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés » (>)
mier récit s'étend sur quelque mille pages (4), et serait tenu pour
remarquablement original, si Proust n'avait pas écrit la Recherche,
dont Jean Santeuil n'est que l'esquisse ?
Où donc situer, dans la biographie intellectuelle de Proust, le
miracle créateur ? Entre Jean Santeuil et la Recherche ? Mais dans
Jean Santeuil le romancier est en possession de son esthétique.
L'illumination déjà l'a éclairé. Ou plutôt, nous dirons qu'il n'y eut
point d'illumination, mais une découverte progressive de ce que
contenait implicitement les Plaisirs et les jours. Envisageons
suivante : Proust d'abord se mit à écrire, et en écrivant se
révéla à lui-même.
(4) Mille pages : un peu moins, en réalité, car l'édition parue en 1952 adjoint
au manuscrit de Jean Santeuil des brouillons appartenant visiblement à d'autres
projets de Marcel Proust.
LITTÉRATURES V 63
René Pomeau.