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Madame Hélène Ahrweiler

La région de Philadelphie, au XIVe siècle (1290-1390), dernier


bastion de l'hellénisme en Asie Mineure
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 127e année, N. 1, 1983. pp. 175-
197.

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Ahrweiler Hélène. La région de Philadelphie, au XIVe siècle (1290-1390), dernier bastion de l'hellénisme en Asie Mineure. In:
Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 127e année, N. 1, 1983. pp. 175-197.

doi : 10.3406/crai.1983.14034

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1983_num_127_1_14034
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 175

COMMUNICATION

LA RÉGION DE PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE (1290-1390)


DERNIER BASTION DE L'HELLÉNISME EN ASIE MINEURE,
PAR Mme HÉLÈNE AHRWEILER

Le 25 juillet 1261, les armées byzantines conduites par Alexis


Stratègopoulos pénétrèrent dans la ville de Constantinople tenue
depuis 1204 par les Latins. Elles profitèrent de la complicité des
populations grecques de la ville et de l'absence de la flotte véni
tienne occupée à d'autres tâches dans le Pont-Euxin.
Tandis que le dernier empereur latin, Baudoin II, réussit
à s'enfuir sur un bateau italien à Négroponte, l'empereur byzantin
Michel VIII Paléologue, qui séjournait à Météorion en Asie Mineure,
alerté par sa sœur, se hâta de gagner la ville impériale, « le berceau
de l'Empire, le Paradis, la Ville du Tout-Puissant, le joyau de la
terre, délivrée enfin de l'affront qu'elle a subi par les chiens enragés
c'est-à-dire les Latins ri1. Dans la liesse populaire que provoqua cette
nouvelle, une voix discordante s'éleva : « Que dorénavant personne
n'espère rien de bon, puisque les Romains (c'est-à-dire les Byzantins)
occupent de nouveau la Ville2 ». Voilà ce que déclara publiquement
Sénachérim, dit le Méchant, premier secrétaire de la chancellerie
impériale de Nicée. Ces paroles consternantes, qui se révélèrent
prophétiques, résumaient l'opinion d'une bonne partie de la popul
ation byzantine de l'Asie Mineure : la prise de Constantinople
signifierait la reconquête de la partie européenne de l'Empire, et
la réalisation de ce projet national exigerait, une fois de plus, un
effort particulier de la partie asiatique de l'Empire. Libérer le reste
des territoires byzantins fut la priorité fixée par Michel VIII dès sa
rentrée dans Constantinople : « La chute de la Ville », déclara-t-il
dans le chrysobulle adressé au peuple de Byzance, « a été suivie
par la perte de notre territoire ; de la même façon, sa reconquête
annonce la reprise du reste de l'Empire »3. Ce projet grandiose plaça
Michel VIII face aux puissances de l'Occident qui n'avaient pas
renoncé à leur droit au trône de Constantinople. Pour déjouer les
ambitions des Latins dont les intérêts étaient pris en charge par
l'entreprenant Charles d'Anjou, Michel VIII n'hésita pas à contracter

1. Cf. surtout, Michel Choniate, éd. S. Lampros, Ta sôzoména Akominalou,


Athènes, 1879, t. II, p. 149-150, 276-277, 353-356.
2. Pachymère, éd. Bonn, t. I, p. 149.
3. Ibid., t. I, p. 153-157.
176 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

des alliances multiples, certaines contre nature, ni même à heurter


le sentiment populaire en souscrivant en 1274 (Concile de Lyon)
à l'union des Églises, mesure sans lendemain, mais qui divisa pro
fondément le monde byzantin.
Quoi qu'il en soit, la réalisation de la politique occidentale de
Michel VIII impliquait pour les populations asiatiques des sacri
fices considérables en hommes et en argent. Elle suscita à la longue
l'hostilité générale, et malgré ses succès — faut-il rappeler que
Michel VIII, dans son autobiographie, se vante d'avoir été le véri
table instigateur des Vêpres siciliennes4 ? — elle provoqua l'affa
iblissement des moyens de défense de la frontière orientale de
l'Empire. Avant la fin du xme siècle, l'Asie Mineure byzantine fut
envahie par les Turcomans que l'arrivée des Mongols, suivie de
l'abolition de l'État seldjoukide (destitution d'Izzedin Kaikavus II
en 1259), avait jetés sur les routes de l'ouest. L'autorité byzantine
fut bannie des régions qui avaient été le berceau de son histoire5.
Dès 1300, à l'aube du xive siècle, étaient constitués les émirats
turcomans (fig. 1) qui se partagèrent l'Asie Mineure byzantine :
les Germian en Phrygie, les Ottomans en Bythinie, les Karachi-
Yaxi en Mysie-Troade, les Sarouchans en Lydie, les Aydin en
Ionie, les Menteche en Carie-Lycie6. Seule resta indépendante pen
dant plus d'un siècle la petite enclave formée par la ville de Phila
delphie et sa région7.

4. Michel Paléologue, « De vita sua », éd. H. Grégoire, dans Bgzantion, t. 29/


30, 1959/1960, p. 457 sq.
5. Sur la situation en Asie Mineure byzantine à la fin du xme siècle, cf. mes
travaux, Byzance et la Mer, Paris, 1966, p. 369 sq., L'histoire et la géographie
de la région de Smyrne entre les deux conquêtes turques (1081-1317) particulièr
ement au XIIIe siècle, dans Travaux et Mémoires, t. I, 1965, p. 1-204, et L'idéo
logiepolitique de l'Empire byzantin, Paris, 1975, p. 107 sq. ; pour l'Asie Mineure
turque à la même époque, cf. Cl. Cahen, The Preottoman Turkey, Londres, 1970,
et en dernier lieu, R. P. Lindner, Nomads and Ottomans in Médiéval Anatolia,
Bloomington, 1983.
6. Sur les émirats turcs, cf. P. Wittek, Das Fiïrstentum Mentesche, Stud. z.
Gesch. West-Kleinasiens im XIII. -XV. Jh., dans Istanbuler Mitteilungen,
Heft 2, 1934 ; du même, The Rise of the Ottoman Empire, Londres, 1938 ; et
surtout l'ouvrage fondamental de P. Lemerle, L'émirat d! Aydin, Byzance et
l'Occident, Paris, 1957 ; très utile pour la situation des Grecs face aux Turcs,
l'ouvrage de Sp. Vryonis, The Décline of Médiéval Hellenism in Asia Minor and
the Process of Islamization from the Eleventh through the Fifteenth Century,
Berkeley, Los Angeles, Londres, 1971 ; notons une source capitale pour l'histoire
de tous les émirats turcomans et leurs rapports avec les Mongols, Sihabeddin,
Masalik al-absar fi mamalik al amsar (Voyages des yeux dans les royaumes
des différentes contrées), tr. E. Quatremère, Notices et extraits des ms. de la
Bibl. du Roi, Paris, 1838, t. XIII, chap. v : Asie Mineure, p. 334-381.
7. Sur Philadelphie, cf. le travail fondamental de P. Schreiner, Zur Geschichte
Philadelpheias im 14. Jh. (1293-1390), dans Orient. Chr. Per., t. 35, 1969, p. 373-
431 ; et M. Couroupou, Le siège de Philadelphie par Umur Pacha, dans H. Ahr-
weiler, Geographica Byzantina, Paris, 1981, p. 67 sq. avec une note de E. Zacha-
riadou, ibid., p. 78-80.
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 177

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PHILADELPHIA
Fio. 1380
1. — Les émirats
d'après deS. l'Asie
Vryonis.
Mineure occidentale
178 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Bastion de l'hellénisme, îlot grec au milieu de la mer turcomane,


repoussant pendant plus d'un siècle les multiples assauts des
vagues turques sans bénéficier, de quelque côté que ce fût, d'une
sollicitude particulière, Philadelphie constitue un cas exceptionnel,
rebelle à toute étude normative. Elle déroute l'historien qui ne peut
que constater les faits sans leur apporter d'explication convaincante.
Aussi m'efforcerai-je de formuler quelques hypothèses en me fondant
à la fois sur une nouvelle documentation (textes hagiographiques
publiés récemment, correspondances inédites ou inconnues) et sur
une interprétation nouvelle des témoignages épigraphiques et
diplomatiques étayée par les données chronologiques et proso-
pographiques tirées de cette documentation8.
Pour mieux comprendre le cas de Philadelphie, il faut situer
l'histoire de la ville dans le cadre micrasiatique du xive siècle, mais
surtout dans le contexte byzantin en général et même dans le
contexte international. Son histoire peut être éclairée d'une nou
velle lumière si l'on tient compte du fait, plus fréquent à cette
époque qu'auparavant, que les impératifs de la politique intérieure
commandaient les orientations de la politique extérieure de l'Empire.
Ainsi, nous trouvons les intérêts particuliers de tel ou tel groupe
social byzantin à l'origine de telle ou telle alliance étrangère. Ce jeu
compliqué, pratiqué par les membres d'une société sans cesse
secouée par des querelles idéologiques — qui prenaient un aspect
religieux — et par des différends dynastiques — qui se présentaient
sous la forme de conflits politiques et même socio-économiques — ,
finit par introduire des étrangers dans les affaires de l'État. Ces
derniers malgré une collaboration occasionnelle avec l'Empereur
ou ses représentants, poursuivaient leurs buts propres, souvent
opposés à ceux des Byzantins. La diplomatie byzantine, toujours
sophistiquée et plus que jamais active, tentait de servir une poli
tique de plus en plus « sinueuse » et en apparence incohérente,
mais qui poursuivait un seul objectif : assurer, malgré les moyens
modestes dont disposait l'Empire, la sauvegarde du territoire
national, menacé par de multiples adversaires extérieurs et convoité
par des usurpateurs et des dissidents de l'intérieur.

8. Consulter surtout St. Kourousès, Manuel Gabalas (en grec), Athènes,


1972 (résumé succinct en français, p. 398-399) ; G. Fatouros, Die Briefe des
Michael Gabras, deux volumes, Vienne, 1973 ; D. Reinsch, Die Briefe des
Matthaios von Ephesos, Berlin, 1974 ; The Correspondence of Athanasius
Patriarch of CpL, éd. Alice-Mary Maffry Talbot, Dumbarton Oaks, 1975 ;
St. Kourousès, Le patriarche œcuménique Jean XIII Glykys et son œuvre (en
grec) Athènes, 1975 ; A. Karpozilos, Seventeen Letters of Gregorios Akindynos,
dans Orien. Chr. Analecta, t. 204, 1977, p. 65-117 ; D. Gonès, L'œuvre du
Patriarche Calliste Ier (en grec), Athènes, 1980; D. Tsamès, L'œuvre de Josef
Kalothétos (en grec), Thessalonique, 1980.
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 179

En effet, on compte par dizaines les mouvements de sédition


pour raison dynastique ou religieuse, voire dogmatique, qui ont
conduit à de véritables guerres civiles. Les passions qu'ils provo
quèrent déchirèrent définitivement la société byzantine et dimi
nuèrent fortement sa résistance face au danger extérieur9. Les
orateurs de l'époque, chacun selon la sensibilité de son camp, cher
chèrent dans cette situation, peut-être avec raison, la cause des
malheurs qui frappaient alors l'Empire10.
Quoi qu'il en soit, la réussite de la politique byzantine passait
par la capacité de la diplomatie impériale à neutraliser les ennemis
de l'Empire aux moindres frais, donc en les dressant les uns contre
les autres et en les favorisant à tour de rôle. Lamartine a écrit,
pour les premiers siècles de Byzance il est vrai, que l'Empire
d'Orient a survécu parce qu'il a pu dresser les Barbares contre des
Barbares11. Essayons de voir si, toute proportion gardée, les
Philadelphiens n'ont pas appliqué cette règle toute byzantine face
à leurs partenaires nationaux et étrangers dans leur lutte pour la
survie de leur région. Car, tout au long du xive siècle, la ville de
Philadelphie commanda la région alentour, restée comme elle
indépendante. Nos sources citent la forteresse de Saint-Nicolas qui
dépendait sûrement de Philadelphie. Les forteresses de Fournoi,
de Koula et de Kolida, ainsi que l'endroit nommé Aulax sont voisins
de la ville12 ; ils sont cités en relation avec elle mais nous ne pouvons
pas affirmer qu'ils appartenaient à la « principauté chrétienne-
byzantine de Philadelphie ». Par contre, il est probable que les lieux
cités à la fin du xme siècle dans le testament de Maximos, fondateur
du couvent de Skoteiné (est-ce le même que Boreiné ?) se trouvèrent
sous la dépendance de Philadelphie tant que celle-ci fut byzantine13.
Nous ne pouvons rien affirmer de tel pour les évêchés suffragants
de la métropole de Philadelphie (la vie chrétienne continuait au
ralenti sous la domination turque), ni bien entendu pour les métro
poles dont Philadelphie reçut l'administration (kaVepidosin) :
Smyrne (1347), Ancienne-Phocée (1354), Sardes (unie à perpétuité

9. Cf. en dernier lieu, K. Kyrrès, Bgzance au XIVe siècle (en grec), Nicosie,
1982 (avec bibliographie antérieure).
10. Cf. H. G. Beck, Kirche und Theol. Literatur im Byz. Reich, Munich, 1959,
p. 663-798, Vom Zusammenbruch des Reiches bis zum Ausbmch des Palamismus :
sur les auteurs ecclésiastiques de l'époque.
11. Lamartine, Histoire de la Turquie, Librairie du Constitutionnel, Paris,
1854, t. I, p. 354.
12. Cf. Pachymère, éd. Bonn, t. II, p. 426-428, 433-436 ; J. Darrouzès, Le
Registre synodal du patriarcat byzantin au XIVe siècle, Paris, 1971, p. 270, 271,
273, 376, 385.
13. S. Eustratiadès, Le couvent de Koteinè (corr. en Skoteiné = la sombre)
(en grec), dans Hellenika, t. 3, 1930, p. 328 sq. ; nouvelle étude par P. Nasturel,
dans Byzantina Sorbonensia (sous presse).
180 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

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42 h—

Fio. 2. — Carte de l'Asie Mineure occidentale


d'après S. Vryonis.
Fig. 3. — Philadelphie et ses environs d'après E. Curtiu
182 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

à Philadelphie en 1369), Synada et Hiérapolis (1385)14. De la même


manière, nous ne pouvons pas certifier, sans pour autant l'exclure,
que l'existence d'une éphoreia (surveillance) de la part des métrop
olites de Philadelphie sur des biens patriarcaux et sur des couvents
(par exemple Koula, Kolida et le monastère de Saint-David) signi
fiait l'extension de la zone libre de Philadelphie jusqu'à ces parages.
Ce fut sans doute le cas pour les monastères de Boreiné et de Kéra-
meiôtou qui se trouvaient à proximité de la ville et sûrement sous
sa dépendance15.
En tout état de cause, la situation géographique de la région de
Philadelphie, devenue une sorte « d'État-tampon » entre les émirats
turcomans de l'Asie Mineure occidentale, favorisa le jeu d'équilibre
pratiqué par les Philadelphiens à l'égard des chefs turcs, mais aussi
des Latins et même des autorités byzantines soucieuses de se rap
procher des Turcs ou qui cherchaient à éviter leurs méfaits. De
véritables partis, les uns prônant une politique philolatine, les
autres une politique proturque ou philomongole (les Mongols res
taient, au moins nominalement, les souverains des chefs turcomans)
se formèrent à Philadelphie sous l'impulsion des diverses tendances
constantinopolitaines, voire indépendamment de Constantinople,
dont la présence à Philadelphie se réduisit avec le temps aux seuls
liens ecclésiastiques. Il serait d'ailleurs très instructif d'étudier
le rôle des hommes d'Église et des institutions ecclésiastiques dans
le maintien de l'indépendance de Philadelphie et dans l'administra
tion de la ville. Dans ce domaine, on les voit disputer aux militaires
la place qui revenait normalement à ces derniers. Le différend qui
opposa le métropolite Théolepte, sauveur des villes de la région face
aux Turcs, et le général Tagaris, illustre parfaitement cet état d'esprit
néfaste pour la cause qu'ils défendaient tous deux16.
Contentons-nous de signaler que la situation militaire de la région
de Philadelphie depuis l'époque de Nicée (xme siècle) et ensuite
— un stratopédarque de Philadelphie est mentionné dès 1235 et
elle fut sans interruption la base la plus importante du comman-

14. Cf. J. Darrouzès, op. cit., sub verbo Philadelphie ; et F. Miklosich-


I. Mûller, Acta Patriarchatus Constantinopolitani, t. I, p. 256, 334-335, 509-510,
t. II, p. 45-47, 87, 96-97, 209 (dorénavant, M.M.). Cf. carte, flg. 2 et 3.
15. Sur Boreinè, cf. M. Couroupou, op. cit., p. 73 ; P. Schreiner, Philadelpheia
(ci-dessus, note 7), p. 389 sur Hagios Nikolaos (kastron) et son chartophylax,
et p. 412 sq. sur la métropole de Philadelphie et sa région.
16. Sur Tagaris, cf. D. Nicol, Philadelphia and the Tagaris Family, dans Neo-
hellenika, t. I, 1970, p. 9-17 ; sur Théolepte, abondante littérature (notamment,
V. Laurent, La direction spirituelle à Byzance, dans Rev. d. Et. Byz., t. 14, 1956,
p. 48-86, et du même, Les crises religieuses à Byzance, Le schisme antiarséniate
du métropolite de Philadelphie Théolepte, ibid., t. 18, 1960, p. 45-54 ; en général,
H. G. Beck, op. cit., p. 693-694 ; sur les dates de son épiscopat et de sa mort,
cf. S. Kourousès, Gabalas, p. 316 sq., 333-344 : où les détails du différend entre
Tagaris et Théolepte sont donnés.
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 183

dément de l'Asie Mineure occidentale17 — , et la place tenue dans les


affaires politiques, spirituelles et idéologiques par les ecclésiastiques
et autres lettrés de la ville — ils participèrent aux mouvements
arséniates, palamites, latinophiles notamment18 — assurèrent aux
Philadelphiens des marges d'action considérables et des moyens
de pression importants ; ils s'en servirent pour consolider l'ind
épendance de leur ville. Le courage et la détermination des habitants
firent le reste. Mais quand on connaît le nombre des attaques et
des sièges subis par la ville (plus de cinq en un demi-siècle), le
nombre des victimes et l'étendue des destructions (les correspon
dances fournissent sur ce point des renseignements précieux), on
a tendance à croire que, plus que toute autre raison, ce fut la volonté
exemplaire des habitants de vivre « en liberté fidèles en Christ »,
leur foi inébranlable dans la justesse de leur cause, qui firent non
le reste mais l'essentiel. Voilà pourquoi l'Église (sans doute la métro
polesous la conduite de Macaire Chrysoképhalos) canonisa les
victimes des guerres contre les Infidèles, considérées comme des
martyrs pour la Foi19. La ville, placée sous la protection de la Sainte
Vierge et de l'archange Michel, fixa au 7 mars le jour de la commém
oration des victimes tombées en 1348 face aux armées d'Umur
Aydin-oglu. Plusieurs de ces victimes portaient les noms de grandes
familles byzantines (Phokas, Chrysobergès, Pépanos, Tzaman-
touros, Malakès, Kaloudès...)20 : preuve encore une fois de la place
éminente tenue par les habitants de Philadelphie dans les affaires
publiques non seulement de leur ville mais aussi de l'Empire en
général. On trouve en effet des lettrés originaires de Philadelphie
à Constantinople, bien entendu, mais également à de hauts postes
ecclésiastiques dans des diocèses importants, à Thessalonique, à
Éphèse, ou à des postes éminents dans les ambassades21. Fait carac
téristique, les marchands philadelphiens rencontrés sur les routes

17. H. Ahrweiler, Smyrne (ci-dessus, note 5) p. 123 sq., 141-142.


18. A titre d'exemple, cf. I. Sevcenko, La vie intellectuelle et politique à
Byzance sous les premiers Paléologues, Études sur la polémique entre Théodore
Métochite et Nicéphore Choumnos, Bruxelles, 1962, p. 226-227 ; et surtout: la
liste des destinataires des épistoliers de l'époque (ci-dessus, note 8) dont une
partie importante sont encore inédits, telle la correspondance d'Oinaiôtès,
signalée comme correspondance d'un Anonyme par E. Rein, Die florentiner
Briefsammlung, dans Ann. Ac. Se. Fennicae, ser. B, XIV, 2, Helsinki, 1915.
19. M. Couroupou, op. cit., p. 73.
20. Ibid., p. 73, 77.
21. Consulter les indices des éditions récentes (cf. ci-dessus, notes 8, 18) et
en général les épistoliers de l'époque, dont l'édition est signalée dans N. Tôma-
dakès, Epistolographie byzantine (en grec), Athènes, 1969/1970, p. 161-190;
pour les ambassades, voir F. Dôlger, Regesten d. Kaizer-urkunden, t. IV (Munich-
Berlin 1960) et t. V, 1965 (les actes de la période considérée) et pour les ecclé
siastiques, voir V. Laurent, Les regestes des actes du patriarcat, Paris, 1971, et
J. Darrouzès, Le registre synodal (ci-dessus, note 12).
184 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

de Thessalonique ou dans les auberges de Selymbria (Propontide)


sont présentés comme de fins lettrés, trait étonnant pour des mar
chands, ou comme des gens rompus aux affaires juridiques22.
Bref, tout montre que Philadelphie, menacée, détruite, épuisée
par les impositions — elle fut sûrement soumise en 1342 au vers
ement dit birimion du turc verim (= tribut)23 — continuait à être
une ville vivante, défiant le mauvais sort. Ce mauvais sort s'achar
nait sur Philadelphie depuis le siège de la ville en 1303/1304 par les
armées des Aydin-oglu, « les gabelles de Sesa et de Tin » nous dit
Muntaner24. Elle avait alors été libérée, au prix de sacrifices indes
criptibles pour les Philadelphiens, par les Catalans de Roger de Flor,
qui devait revendiquer « le royaume d'Anatolie » au nom de l'empe
reurAndronic face à l'héritier légitime du trône, l'empereur
Michel IX25. L'aventure catalane, qui finit par coûter plus cher à
l'Empire que le danger turc, s'était nouée devant les murs de Phi
ladelphie en 1304. Elle montra aux Philadelphiens que l'autodéfense
était l'unique voie de salut. Cette politique d'autodéfense fut menée
par le métropolite « sauveur des villes », Théolepte, qui saisit
l'occasion pour devenir le véritable gouverneur de la ville et de sa
région (faut-il noter qu'une inscription le montre construisant des
baptistères ou des fontaines ?)26 ; il donna ainsi l'exemple de ce que
permet la détermination quand elle sert la cause commune. Mais
voyons les faits et le contexte historique.
Devant le progrès turc, déclenché par la poussée mongole, qui
atteignit son paroxysme dans le dernier quart du xme siècle, les
Byzantins dépêchèrent des armées dont les succès furent inégaux :
les expéditions de Jean Paléologue en 1269, d' Andronic Paléologue
en 1278 (c'est alors que le futur empereur reconstruisit la ville de
Tralles à laquelle il donna son nom) ; en 1293-1295, l'expédition
d'Alexis Philanthrôpènos aux résultats exceptionnels, malheureu
sement compromis par la révolte et l'arrestation de Philanthrô
pènos ; tout de suite après, sans doute, le commandement de Léon
Bardalès à Smyrne-Éphèse27 ; en 1302/1303 l'expédition de
22. Sur le commerce de Philadelphie avec Thessalonique, cf. l'édition par
S. Lindstam, dans Byz. Zeit., t. 25, 1925, p. 47-50, d'un fragment d'acte du
tribunal sur le différend qui opposa le philadelphien Georges Zacharias à Manuel
Chôlos de Smyrne, protégé vénitien ; sur les marchands de Philadelphie séjour
nantà Selymbria, voir une lettre inédite de Georges Oinaiôtès (édition sous
presse dans Byzantina Sorbonensia).
23. M.M., I, p. 228, et le commentaire de E. Zachariadou, note à la suite
de M. Couroupou, op. cit., p. 79.
24. Ed. Nicolau d'Olwer, p. 58 et 59.
25. Cf. G. Schlumberger, Expédition des « Almogavares » ou routiers catalans
en Orient, Paris, 1902, p. 67 sq.
26. H. Grégoire, Les inscriptions chrétiennes de l'Asie Mineure, Paris, 1922,
p. 125-126, n° 343 bis.
27. Maximi monachi Planudis Epistulae, éd. M. Treu, Breslau, 1890, p. 10-13.
V-,
Fig. 4. — Philadelphia called by the Turks Allah Sher, the
186 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Michel IX et de ses Alains, et enfin en 1303/1304 la campagne,


par trop fameuse, de Roger de Flor devenu grand-duc de l'Empire.
La malheureuse expédition catalane et, plus encore, l'épuisement
de l'Empire qui utilisait des armées mercenaires, firent que depuis
cette date aucune armée byzantine importante n'opéra plus en Asie
Mineure occidentale. Seule exception peut-être, le corps composé
de Bulgaro- Serbes, dépêché par Constantinople en Anatolie vers
1306/1307 : on le voit opérer dans la région de Pègai, dans la Pro-
pontide, mais rien ne prouve qu'il atteignit notre région28.
Ainsi, après le départ des Catalans, les Turcs consolidèrent leurs
positions en Lycie et en Carie, occupées bien avant la fin du siècle
par les Menteche, et progressèrent en Lydie et en Ionie, grâce aux
efforts conjoints de Germian, de loin l'émirat le plus important,
et d'Aydin, d'abord dépendant de Germian, puis par la suite agis
sant pour son propre compte. C'est au même moment qu'il faut
placer l'avancée de Sarouchan dans la vallée del'Hermos, deKarachi-
Yaxi dans celle du Skamandros (et même du Kaïkos), et des Otto
mans dans la région située entre les vallées du Saggarios et du
Ryndakos. Constatons que les villes de la vallée du Méandre (Lao-
dicée, Nyssa, Tralles, Mélanoudion, Didymes, les Dyo Bounoi des
Byzantins et même Milet) furent prises par les Turcs dans les
années 1280-1290 ; les succès, par ailleurs éphémères, d'Alexis
Philanthrôpènos ne semblent pas avoir concerné cette région.
Philanthrôpènos, comme tous les commandants en chef des corps
expéditionnaires byzantins, opérait depuis Philadelphie-Smyrne-
Éphèse. L'avancée définitive des Turcs dans la vallée du Caystros
se situa tout de suite après le départ des Catalans, à la fin de 1304 ;
au même moment eut lieu la prise ou la reprise des villes occupées
par les Catalans au nom des Byzantins. Et c'est dans les années 1305-
1310 que nous devons placer l'occupation par les Turcs de l'ensemble
du territoire de l'Asie Mineure occidentale égéenne et de toutes ses
villes, avec comme seule exception notre Philadelphie.
Un nouvel examen des sources, à la lumière des découvertes
récentes, nous conduit donc à proposer pour l'avance turque les
dates suivantes, qui diffèrent sensiblement de celles admises jusqu'à
présent. Tripolis fut reprise par les Turcs à la fin de 1304 ou au
début de 1305 ; elle devint la base d'opération de Germian. Plus
au nord, la même année, furent prises les villes-forteresses de Sca-
mandre, Assos et Keghréai. Dans les années 1305-1308 tombèrent
les villes de Magnésie, Sardes, Nymphaion et Pyrgion. Smyrne et
Philadelphie furent assiégées en 1309/1310. Smyrne tomba entre les

28. P. Lemerle, op. cit., p. 14-18.


PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 187

mains des Turcs à cette date (fin 1310)29, et c'est là une information
capitale fournie par le recoupement de nos correspondances, tandis
que Philadelphie réussit à se libérer moyennant le versement d'un
tribut30. Ainsi, la période 1305-1310 marqua le sommet de l'assaut
turc dans notre région et mit en scène tous les acteurs de l'histoire
de l'Asie Mineure, acteurs qui devaient agir presque jusqu'à la fin
du siècle.
Constatons avec Pachymère que l'assaut turc se déclencha dès la
mort de l'ilkhanid mongol Ghazan, dont l'action vis-à-vis des popul
ations micrasiatiques est jugée favorable aux Grecs31, et dont la
politique micrasiatique, inspirée sans doute par son vézir-historien,
le fameux Rashid-al-Din, tendait à assurer aux Mongols l'adminis
tration directe du pays. On a vu une preuve de cette politique dans
le fait que Ghazan frappa monnaie en Asie Mineure32 ; Pachymère
mentionne élogieusement le fait et précise qu'il s'agissait d'une
pièce — le kazaneion — d'or pur33. Notons que la mort du Mongol
causa surtout des ennuis aux Philadelphiens34. Deux explications
peuvent être avancées : soit que les Philadelphiens avaient réussi
à obtenir la protection des Mongols (ceci me semble particulièrement
plausible ; l'activité déployée par les Philadelphiens pour défendre
leur ville les conduisit, nous le verrons, à contracter d'autres
alliances contre nature), soit que les Germian, qui menaçaient
la ville constamment, avaient été contraints par les Mongols à
respecter leur politique. Disons plus simplement que les deux expli
cations proposées n'en font qu'une en réalité : les Philadelphiens
avaient connu un répit grâce aux Mongols. Pachymère précise par
ailleurs que Ghazan avait obtenu du successeur qu'il avait lui-même
désigné avant sa mort, que celui-ci respecterait en tout sa poli
tique, du moins pendant les trois ans suivant son décès35. Ceci semble
s'être réalisé, en tout cas en ce qui concerne Philadelphie, qui ne fut
pas inquiétée avant 1309 (Ghazan mourut en 1305). On aurait
même tendance à placer la prise des grandes villes de la région

29. Les renseignements de Gabalas (S. Kourousès, op. cit.) sont convain
cants : ibid., p. 312-315 avec édition de la lettre de Gabalas n° 4.
30. Il est évident que l'attaque de 1310/1311 que nous révèle la correspon
dance de Gabalas (S. Kourousès, op. cit., p. 315) est celle pendant laquelle Théo-
lèpte a joué un rôle capital pour la défense de Philadelphie, mais aussi pour les
négociations avec les assaillants : ibid., p. 72 (et lettres de Gabras n08 52 et 62
cf. éd. G. Fatouros). Il est hors de doute que l'éloge funèbre de Choumnos pour
Théolepte (éd. Boissonade, Anecdota Graeca, V, p. 229 sq.) se rapporte aux évé
nements de 1310/1311 ; Théolepte est mort avant le siège de 1322-1324 pour que
le discours de Choumnos puisse s'y référer.
31. Pachymère, éd. Bonn, II, p. 456 sq.
32. Cl. Cahen, The Preottoman Turkey, Londres, 1968, p. 307.
33. Pachymère, éd. Bonn, p. 458.
34. Ibid., éd. Bonn, II, p. 456.
35. Ibid., t. II, p. 459.
188 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

(Sardes, Magnésie, Nymphaion, voire Pyrgion) au plus tôt en 1308


(plus précisément à la fin de 1308)36. Ceci, non seulement en raison
du respect de la volonté de Ghazan par son successeur, mais surtout
à cause d'un document parmi les plus importants de notre dossier,
qui est sûrement daté de 1307/1308, et qui fait état de l'encercl
ement des villes d'Asie Mineure par les Turcs depuis quatre ans. Les
habitants de ces forteresses (kastrès tes Anatolès) avaient dépêché
des émissaires auprès de l'empereur de Constantinople pour lui
demander son aide ; devant l'insuccès de leur démarche, ils s'adres
sèrent alors au prétendant au trône de Constantinople, Charles de
Valois37.
L'étude prosopographique de la série de lettres envoyées par des
Grecs à Charles de Valois et à sa femme, Catherine de Courtenay,
nous permet de montrer indiscutablement qu'un parti pro-franc
avait été constitué par des Philadelphiens. En effet, grâce à la
correspondance de Gabalas et de Gabras, nous connaissons bien
pour la période 1310-1325 Jean Monomaque, auteur de la lettre
à Catherine de Courtenay. De même, Constantin Libidaris Doukas
qui, dans sa lettre à Charles de Valois, se dit commandant d'un
contingent militaire dans la région d'Anatolie, est sans doute le
même que Libadarios, duc (doukas) de Néokastra et Sardes lors
de la révolte de Philanthrôpènos. Ajoutons pour la « petite histoire »
que les identifications que nous proposons de personnages des
lettres aux Valois avec des personnages de la région, nous obligeront
à reprendre le dossier de la révolte de Philanthrôpènos, dont l'arres
tation priva les Byzantins d'une chance considérable de succès
dans leurs opérations contre les Turcs. A ce propos, il est intéressant
de noter que quand Alexis Philanthrôpènos, devenu aveugle (l'ave
uglement du coupable punissait le crime de lèse-majesté dont Phi
lanthrôpènos fut accusé), fut appelé en 1324 par l'empereur
Andronic II au secours de Philadelphie à nouveau assiégée par les
Turcs (Germian et Aydin)38, il avait à son service Jean Monomaque
en personne, qui était chargé de lui lire les missives qu'il recevait39.
C'est le même Jean Monomaque qui avait fondé avec Libidaris et le

36. Sur Sardes, cf. C. Foss, Byzantine and Turkish Sardis, Harvard, 1976,
p. 76 sq. (le problème de la conquête par les Turcomans n'est pas posé) ; sur
Pyrgion, cf. P. Lemerle, op. cit., p. 21 sq.
37. Hélène Constantinidi-Bibicou, Documents concernant l'histoire byz. déposés
aux Archives nationales de France, dans Mélanges Octave et Melpo Merlier,
Athènes, 1951, p. 1-14 (l'auteur n'a pas consulté l'édition de Miklosich-Mûller,
Acta et Diplomata Graeca, t. III, p. 242 sq.).
38. Sur le siège de 1322/1324 connu par la notice d'un manuscrit de la Vati-
cane et par Grégoras, cf. en dernier lieu, P. Schreiner, Philadelpheia, p. 388 sq.
(avec édition de la notice), et S. Kourousès, Gabalas, p. 206 sq.
39. Sur Jean Monomaque, cf. surtout les correspondances de Gabalas (S. Kour
ousès, op. cit., sub verbo) et de Gabras (G. Fatouros, t. II, p. 47).
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 189

hiéromoine Sôphronios le parti pro-valoisien. Selon leurs propres


dires ces hommes considéraient l'empereur byzantin comme « ill
égitime » (paraphysin) et n'hésitaient pas à inviter les armées des
Valois en Anatolie, pour protéger la région contre les Turcs, et surtout
à Constantinople même. Nombreux, disaient-ils, étaient leurs
amis originaires comme eux de l'Asie Mineure, qui étaient prêts
à accueillir dans la Ville les Francs40. Ainsi Monomaque se retrouva
homme de confiance de Philanthrôpènos qui avait été arrêté et
aveuglé par Libadarios. Entre-temps (notamment après le siège
de Philadelphie en 1310), alors qu'il jouissait de la protection du
prôtonotaire de la métropole de Philadelphie Manuel Gabalas (le
futur Matthieu d'Éphèse), Monomaque s'était établi à Constant
inople. Il y compléta son instruction (sa lettre à Catherine de
Courtenay comporte beaucoup de fautes) comme le précise Gabalas
dans une lettre à Gabras, et surtout il entra dans l'entourage de
Nicéphore Choumnos qui l'introduisit sans doute auprès de Philan
thrôpènos, prisonnier à Constantinople jusqu'en 1323/132441.
Disons simplement que les correspondances des Philadelphiens
avec les Valois non seulement nous révèlent les visées de Charles de
Valois sur l'héritage constantinopolitain, visées restées sans lende
main, mais surtout témoignent du désarroi qui régnait parmi les
populations micrasiatiques en 1304-1308. Les Grecs déçus par leurs
propres autorités constantinopolitaines se tournèrent vers des
alliances « contre nature » : à l'alliance conclue sans doute avec
les Mongols, il faut ajouter celle avec les Valoisiens, proche de la
trahison. La mort de Catherine de Courtenay, héritière du trône de
Byzance par sa mère Béatrice, fille de Charles d'Anjou, affaiblit
les prétentions de Charles de Valois, tandis que son homme de
confiance, Thibaud de Chepoy, avait trouvé une occupation lucra
tiveà la tête de la compagnie catalane qui opérait alors en Thrace,
en Macédoine et en Grèce continentale. Retenons seulement la date
de 1307/1308 qui marqua un tournant dans la situation des Grecs
d'Asie Mineure. Ils se trouvaient sous la menace turcomane et,
après avoir cherché sans succès de l'aide de tous côtés, ils réali
sèrent qu'ils étaient abandonnés de tous. L'exode, commencée sur
tout à partir de 1304/1305 — une chronique brève situe à cette
date « le dépeuplement de l'Orient grec » (exôkisen è Anatole)** —
prit alors de l'ampleur. C'est en 1307 que plusieurs chroniques

40.. Hélène Constantinidi-Bibicou, loc. cit., p. 9.


41. S. Kourousès, op. cit., p. 155, 311.
42. P. Schreiner, Die Byzantinischen Kleinchroniken, Vienne,. 1975, t. I,
p. 195.
1983 13
190 COMPTES RENDUS DE l' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

populaires situent l'apparition des Turcs dans le monde et même


en Europe43. Cette dernière information est loin d'être erronée.
Grâce à la volumineuse correspondance de Manuel Gabalas, ori
ginaire de Philadelphie, et aux très riches recueils de lettres récem
ment publiés ou encore inédits d'autres personnages de l'époque
(notamment de Gabras et d'Oinaiôtès dont les correspondances
nous permettent des recoupements avec les informations tirées des
lettres échangées entre Gabalas et ses correspondants), nous pouvons
à présent suivre l'activité déployée par les Philadelphiens pour
sauver leur ville de l'attaque turque (1309/1310)44 ; plus intéressant
encore, nous pouvons décrire le climat qui régnait dans la ville
assiégée. Il est en effet certain que l'oraison funèbre de Théolepte
écrite (en 1322) par Nicéphore Choumnos, ne peut pas se référer au
siège de Philadelphie en 1304, comme on l'admettait jusqu'à pré
sent. Ce document ne mentionne pas les Catalans, et surtout le siège
de la ville y est volontairement levé par le chef des assaillants ;
rappelons que le chef du siège de 1304 fut gravement blessé à Aulax
et que ses armées furent mises en déroute par les Catalans45. Il s'agit
sans aucun doute de la fin du siège de 1309/1310 qui intervint à
la suite d'une ambassade auprès du chef turc, conduite par le métrop
olite lui-même. Le Turc, plein de respect pour le prélat, nous dit
le panégyriste46, leva le siège après s'être assuré du versement
d'un tribut. C'est certainement grâce au versement de ce tribut
que les Turcs de Germian purent construire un medrese dans leur
capitale Kutahya, comme nous l'apprend une inscription turque
datée de 1313/1314, année de l'achèvement de la construction47.
Nous ne pouvons retenir l'hypothèse d'une attaque en 1313/1314,
hypothèse fondée sur cette seule inscription et inconnue par ailleurs.
L'inscription de Kutahya nous indique ce que la correspondance
de Gabalas nous confirme plusieurs fois : les Philadelphiens se
virent obligés de verser en 1309/1310 un lourd tribut pour libérer
leur ville. Ce tribut servit entre autres à la construction du medrese
commémorée par l'inscription.
Nous connaissons par ailleurs avec précision la fin de ce siège :

43. Ibid., I, p. 458.


44. S. Kourousès, op. cit., p. 312 sq., en relation avec les lettres de Gabras,
ibid. adressées à Théolepte, p. 72-74, et à Gabalas, ibid., p. 75. Renseignements
complétés par la correspondance Gabras (G. Fatouros, sub verbo Gabalas,
Theoleptos).
45. Pachymère, éd. Bonn, II, p. 426-427.
46. Renseignements fournis par le discours de N. Choumnos pour Théolepte,
éd. Boissonade, Anecdota Graeca, V, p. 234.
47. Himmet Akin, Aydin Ogullari Tarihi hakkinda bir Arastirma, Istanbul,
1946, p. 40, mention de la construction d'un médressé à Kutahia avec l'argent
versé par les Philadelphiens ; M. C. Varlik, Germiyan ogullari tarihi 1300-1429,
Ankara, 1974, p. 39.
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 191

elle intervint après l'automne 1310, peut-être en 1311, au moment


où Gabalas retourna de Constantinople à Philadelphie. Il fut fait
prisonnier à Smyrne, qui venait de tomber entre les mains des
Turcs48. Gabalas, envoyé à Constantinople un an auparavant par
le métropolite Théolepte, afin d'obtenir l'aide de l'empereur contre
les Turcs, revenait manifestement sans avoir rien obtenu. Il suivit
la route habituelle, c'est-à-dire via Smyrne, mais il trouva une
situation radicalement changée. Il est évident que la nouvelle de la
prise de Smyrne n'était pas parvenue à Constantinople quand
Gabalas avait quitté la capitale. Nous savons par une notice due à
Makarios Chrysoképhalos que le voyage Constantinople-Philadel-
phie durait à cette époque plus d'un mois49. Nous pouvons donc
placer la prise de Smyrne en septembre 1310. L'événement n'a
rencontré aucun écho dans les sources contemporaines ; il est vrai
que les deux écrivains particulièrement attentifs au sort de l'Asie
Mineure occidentale, Pachymère et Planoudès, étaient morts peu
de temps auparavant.
Remarquons toutefois que c'est exactement en septembre 1310
que fut levé le schisme arséniate qui avait pendant plus d'un demi-
siècle profondément divisé les populations de l'Asie Mineure. Cette
mesure pouvait apaiser les passions ; elle était faite pour plaire aux
populations micrasiatiques attachées à la figure du patriarche
Arsénios qui, on le sait, s'était opposé à l'usurpateur Michel VIII
Paléologue au nom des intérêts de l'empereur légitime Jean IV,
un enfant de huit ans aveuglé par Michel VIII. Arsénios avait
finalement été destitué par le Paléologue, et était ainsi devenu le
symbole de la résistance micrasiatique face à la maison régnante.
Des révoltes populaires (par exemple le soulèvement des paysans
de Bythinie à Trikkokia) furent imputés à Arsénios50 ; des conflits
socio-économiques et même politiques s'exprimèrent par et dans le
schisme arséniate. Comme nous le dit le moine Méthodios « nombreux
furent ceux qui ignorèrent le véritable objet de leur querelle » pen
dant le conflit arséniate51. La remarque est importante : elle prouve
que sous les étiquettes arséniate et antiarséniate se dissimulaient
des oppositions autres qu'ecclésiastiques. L'arsénisme cristallisa
au début toutes les réactions hostiles à la politique de Michel VIII,
c'est-à-dire à la politique occidentale, à l'union des Églises et sur
tout à l'abandon de l'Asie Mineure aux Turcs. Lever le schisme (donc
cesser de poursuivre les pro-arséniates) en 1310 seulement, alors
que les Turcs avaient anéanti pratiquement toute résistance grecque,

48. S. Kourousès, op. cit., p. 310-315.


49. P. Schreiner, Chroniken, I, p. 615.
50. Testament d'Arsenios, dans Migne, PatroL Gr., t. 140, col. 956.
51. Ibid., t. 140, col. 785.
192 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ne pouvait en rien produire les résultats escomptés52. Peut-être des


militaires continuaient-ils à être encore fidèles aux thèses arséniates ;
nous savons qu'en 1298/1299 Théolepte, fervent antiarséniate était
en conflit avec le stratège Jean Tarchaneiôtès, connu comme arsé-
niate. Il n'est pas exclu que le conflit qui opposa peu avant 1309
Tagaris, autre important militaire servant à Philadelphie, au
prélat ait également eu des racines arséniates ; notons d'ailleurs
que Tagaris était lié par alliance à Tarchaneiôtès et même à
Monomaque53.
Quoi qu'il en soit, les passions étaient alors loin d'être éteintes,
malgré les malheurs qui frappaient la ville. Théolepte refusa d'obéir
à l'Église de Constantinople, se heurta à la détermination de son
prôtonotaire Gabalas, représentant probable à Philadelphie du parti
constantinopolitain (ceci expliquerait pourquoi Théolepte l'avait
dépêché à Constantinople en 1309 pour demander des renforts),
et se brouilla avec le commandant Tagaris, qu'il accusa d'être de
connivence avec les Turcs de la région. Il visait ainsi les Sarouchan :
Tagaris se lia, il est vrai, avec la famille de l'émir, fiançant sa fille
à ce dernier (mais cela après la mort de Théolepte), quand il passa
ouvertement du côté des Turcs. Sans doute se vengeait-il de son
remplacement par Alexis Philanthrôpênos lors du siège de Phila
delphie par les Turcs de Germian et de Aydin en 1323/1324. Ce
siège, connu par la notice vaticane54, est plusieurs fois mentionné
dans la correspondance de Gabalas. Gabalas et Grégoras, comment
ant le rôle de Philanthrôpênos lors de ce siège, précisent que le
picerne (c'est-à-dire Philanthrôpênos) réussit à délivrer la ville sans
combat ; grâce à ses dons de négociateur, note Gabalas, grâce à ses
amitiés dans les rangs turcs, précise Grégoras55. Ajoutons qu'une
chronique seldjoukide en langue persane nous suggère une interven
tion de Timurtas dans la région à la même date56. Tout cela nous fait
conclure qu'en 1324 la paix était sûrement revenue dans la région,
et que les Philadelphiens versaient à nouveau un tribut57. Ce fut le
cas pratiquement après toutes les levées des sièges de la ville ; la

52. Sur l'arsénisme et son rôle en Asie Mineure, cf. mon travail sur L'expé
rience nicéenne, dans Dumbarton Oaks Papers, t. 29, 1975, p. 34 sq. ; pour les
sources, cf. V. Laurent, Les grandes crises religieuses à Byzance. La fin du schisme
arséniate, dans BSH Ac. Roum., t. 26, 1945, p. 225-313.
53. D. Nicol, Tagaris (ci-dessus, note 16).
54. Édition P. Schreiner, Philadelpheia, p. 389-390.
55. S. Kourousès, op. cit., sub verbo Alexis Philanthrôpènos (en grec) et Gré
goras, éd. Bonn, p. 361-362.
56. Renseignement fourni par Irène Beldiceanu : qu'elle trouve ici mes
remerciements.
57. D. Reinsch, Die Briefe d. Malthaios, n° 12, p. 99 sq., commentaire, S. Kour
ousès, op. cit., p. 203-205 : « la ville contribue aux versements à cause des bar
bares voisins ».
PHILADELPHIE AU XIVe SIECLE 193

Geste d'Uniur le précise pour 1355 (siège connu par le Destan)58,


et un document ecclésiastique le confirme, puisqu'il mentionne
en 1342 le birimion (tribut) grevant les Philadelphiens59.
D'autre part, le cas de Tagaris nous oblige à noter qu'il faut
ajouter d'autres partis à ceux que nous avons déjà cités comme
jouant un rôle dans la vie de Philadelphie. Aux impériaux-constan-
tinopolitains (représentés par Gabalas et Philanthrôpènos), aux
Valoisiens (actifs pendant un court moment, et représentés par
Libadarios et Jean Monomaque, bien que ce dernier ait vite rallié
le camp des Constantinopolitains), au parti local représenté parThéo-
lepte et son neveu (accusé de tous les crimes par les autres, sans
doute jaloux de la gestion des biens de la ville que lui confia son
oncle)60 et au parti pro-mongol qui ne cessa d'avoir des adeptes
(peut-être Philanthrôpènos lui-même), nous devons ajouter le parti
philoturc. Son représentant serait bien entendu Tagaris, rejoint par
d'autres Philadelphiens. Remarquons que lors du siège de Phila
delphie par Umur en 1348, il se trouva des Philadelphiens pour
livrer une partie de la citadelle61. A toutes ces tendances qui, mieux
que toute autre chose, montrent la situation de confusion que
connaissait la ville depuis le début du siècle, et ce sans pouvoir
compter sur une aide extérieure permanente, nous devons aussi
ajouter le groupe pro-latin, qui se manifesta en 1352 par une ambass
adeauprès du pape Clément VI à Rome. L'ambassade était
conduite par « Emmanuel Magula, referendarius ecclesie Filadelfie »
et par le « nobilis vir Emmanuel Theodorucanus, miles Filadelfie ».
Ils demandèrent l'envoi de secours à la ville, sans doute à nouveau
menacée, et obtinrent d'Innocent VI, successeur de Clément VI,
la réponse suivante : il leur fallait avant tout « éviter les supplices
éternels », et pour cela les Philadelphiens devaient renoncer au
schisme, autant dire à l'orthodoxie62. La simplicité étonnante de
cette réponse est révélatrice du climat qui régnait entre Grecs et
Latins, alors même que tous deux combattaient les ennemis de la
foi, les Turcs. Un document du patriarche, adressé en 1342 au métrop
olite de Philadelphie, prouverait, s'il en était besoin, que l'esprit
n'était pas meilleur dans l'autre camp : le patriarche y ordonnait
au métropolite récalcitrant de céder à un Génois les privilèges que
« l'Église et l'Empire à la fois » (Basileia kai Ekklèsia) lui avaient

58. P. Lemerle, op. cit., p. 106 sq.


59. M.M., I, p. 228.
60. Cf. J. Gouillard, La correspondance du Pseudo-Jean Chilas (identifié
depuis par Kourousès, op. cit., p. 122-123, avec Gabalas), dans BSH Ac. Roum.,
t. 25, 1944, p. 31 sq. ; H. Grégoire, op. cit., p. 125, n° 343 bis.
61. M. Couroupou, op. cit., p. 71 sq.
62. E. Déprez, Innocent VI, 1352-1362, Lettres closes, patentes et curiales,
Paris, s.d., n° 38, p. 22-25 ; aussi, P. Schreiner, Philadelpheia, p. 401-402.
194 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

concédés. La vertu de cet homme, qui pratiquait le commerce, était


simplement d'avoir renié la foi de ses compatriotes, le catholicisme ;
et le risque encouru, si l'on n'exécutait pas les décisions constan-
tinopolitaines, était de voir ce brave homme retourner à la confession
de ses parents63. Avouons que rien ne peut mieux nous renseigner
que ces textes hors du commun, sur la passion qui aveuglait les âmes
et les esprits de ceux qui étaient pourtant chargés de veiller sur les
destinées de la chrétienté.
Mais revenons à Philadelphie. Ce fut peut-être grâce aux multiples
ouvertures pratiquées par la ville que celle-ci vécut et prospéra.
Elle frappa une monnaie qui, comme en témoigna Pegolotti, était de
bon aloi64 ; elle fournissait des articles de qualité, notamment des
étoffes (les examita blattia) et était réputée pour ses tanneries ;
bref, elle commerçait avec l'Orient et l'Occident65. Les Philadelphiens
utilisaient pour cela la route traversant le Sarouchan, avec qui les
relations ne furent jamais troublées (Anne de Savoie utilisa just
ement un Philadelphien, en la personne du fils de Tagaris, pour
conclure des accords avec cet émirat)66. L'Église de Philadelphie,
déjà érigée en 1299/1300 à un rang supérieur à celui de Thessalo-
nique67, reçut des évêchés, des biens patriarcaux et même des métro
poles afin de les administrer « car elle était aimée de Dieu et pour
cela restée libre, sans avoir plié devant les nations w68. Philadelphie
se fit vite une place comme les émirats turcs, dans le monde micrasia-
tique du xive siècle ; mais ses rapports avec la capitale, excepté
les relations ecclésiastiques, semblent s'être distendus avec le temps.
Toutefois, on peut imaginer que les Philadelphiens jouèrent un rôle
dans les querelles entre les deux Andronic (ainsi Tagaris qui semble
partisan d' Andronic le Jeune dès 1321, et Philanthrôpènos, sûrement
partisan d'Andronic II)69, que d'autres prirent parti dans le différend
entre Anne de Savoie et Cantacuzène ; le métropolite Macaire joua
un rôle important dans le conflit palamite, comme le montre une
lettre inédite d'Akindynos70. Diverses querelles secouèrent donc la
capitale au xive siècle, et des Philadelphiens, installés ou non à
Constantinople, s'y intéressèrent. Seulement, tous ces mouvements
se déroulèrent dans un monde clos, et le peuple de Philadelphie

63. M.M., I, p. 227-228.


64. F. Balducci Pegolotti, La pratica délia mercatura, éd. A. Evans, Cambr.
Mass., 1936, p. 289 : Perperi di Filadelfe a carati 12.
65. Cf. P. Schreiner, Philadelpheia, p. 411-412 et surtout, S. Kourousès,
op. cit., les cadeaux que les Philadelphiens envoient à leurs amis.
66. P. Lemerle, op. cit., p. 221-222.
67. V. Laurent, Regestes, n° 1576 (en 1299/1300).
68. M.M., I, p. 510 (acte adressé au métropolite de Philadelphia Aaron dont
l'existence passa jusqu'à présent inaperçue).
69. Sur ce point, cf. K. Kyrrès, op. cit., p. 17, 18, 66, 67, 110.
70. Mot. Gr., 155, f. 65 r°.
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 195

resta sûrement étranger à toutes ces discussions. Il se préoccupait


du sort de sa ville, qui sembla trouver une certaine stabilité après
1348, c'est-à-dire après la mort d'Umur et après l'affaiblissement
de l'émirat de Germian.
Ainsi pourrait-on dire que, pendant la seconde moitié du
xive siècle, Philadelphie connut une période de calme et même de
prospérité, parmi les émirats turcs de la région, tel un « émirat »
grec orthodoxe ; ce qualificatif imagé vise à souligner l'indépen
dance de fait, dont jouissait la ville face aux autorités constantino-
politaines, et sa présence politique et économique dans les affaires
de l'Asie Mineure de l'époque. Philadelphie a pu survivre contre
toute attente parce qu'elle a su exploiter la confusion qui régnait
à Constantinople, les dissensions internes du monde chrétien et
surtout parce qu'elle a su se faire une place de choix au milieu du
monde turcoman de l'Asie Mineure égéenne, qui, pendant la seconde
moitié du xive siècle, pratiqua plus volontiers le commerce que la
guerre, contrairement aux Ottomans dont la politique, pendant
toute cette période, reste animée par l'esprit de conquête, par les
aspirations des « Ghazi »71. En effet grâce à la neutralité bien
veillante des émirs de Sarouchan, Philadelphie a pu conserver son
accès à la mer Egée, condition indispensable pour commercer avec
Byzance, avec l'Occident et même avec les peuples de la mer Noire.
Le contrôle par les Byzantins de l'île de Lesbos (il est effectif en 1336,
sous le commandement d'Alexis Philanthrôpènos qui assure aussi,
nous semble-t-il, le commandement de Philadelphie)72, escale quasi
obligée de l'itinéraire qui menait à Thessalonique et à Constant
inople, offrit à Philadelphie l'occasion d'affermir son commerce
avec l'Occident et de jouer sans doute le rôle d'intermédiaire entre
les Turcs de l'intérieur de l' Anatolie et les Italiens : c'est ainsi qu'il
faut expliquer l'intérêt de Pegolotti pour l'hyperpre de Philadelphie,
et la présence des marchands génois dans la ville. Rappelons à ce
propos la place des ressortissants de Gênes dans les îles de l'Asie
Mineure, notamment à Chios et à Mitylène73.
Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que c'est grâce aux richesses
fournies par le commerce international que la ville a pu acheter
la paix (le versement quasi continuel du birimion en témoigne)
et assurer le bien-être de ses habitants, dont la seule attache avec

71. P. Wittek, The Rise of the Ottoman Empire, Londres, 1938, p. 33 sq.
Sur les Ottomans, cf. en dernier lieu, Irène Beldiceanu, Recherches sur les actes
des règnes des sultans Osman, Orkhan et Murad I, Munich, 1967 et surtout,
E. Werner, Die Geburt einer Grossmacht. Die Osmanen (1300-1481)3 Berlin, 1978.
72. Voir sur ce point les renseignements des sources réunis par S. Kourousès,
Gabalas, p. 212 sq. ; le problème mérite d'être examiné d'une manière approf
ondie.
73. M. Balard, La Romanie Génoise, Rome, 1978, t. II, p. 69 sq.
196 COMPTES RENDUS DE i/ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

leurs frères du reste de l'Empire, fut la foi orthodoxe. On comprend


pourquoi la voix byzantine se fait entendre à Philadelphie par
l'intermédiaire du patriarche même pour des affaires (telle l'exemp
tion des impôts militaires) qui sont du ressort de l'État, en l'occur
rencede l'empereur74. Concluons en disant qu'avant tout, Phila
delphie, pendant la seconde moitié du xive siècle, fut « un émirat
orthodoxe » ; elle subit le sort de ses voisins, des autres émirats
turcs, dont l'histoire est à tout point de vue comparable à la sienne.
On peut dire que la seconde moitié du xive siècle est pour toute
l'Asie Mineure égéenne et pour Philadelphie une période sans engage
ments militaires importants ; aucune puissance présente dans la
région n'étant en mesure d'imposer durablement sa volonté, une
sorte de modus vivendi pacifique s'instaure75 ; Philadelphie, grâce
à sa position n'en tira que des avantages. Nous sommes à un moment
où les Ottomans ne sont pas encore forts (ils viennent de franchir
l'Hellespont) et les Germian ne le sont plus, tandis que les Aydin-
oglu sous Hizir s'adonnent surtout au commerce, tout comme les
Latins de la région ; l'Occident en général était maintenant pré
occupé par le sort des chrétiens de l'Europe, les croisades euro
péennes ayant relégué au second plan celles d'Asie, dont la dernière
en date fut la croisade contre Umur.
Ainsi comme tous les émirats de la région, Philadelphie se plia
à la « pax ottomanica » instaurée dans l'ensemble de l'Asie occi
dentale. Philadelphie fut balayée par les forces ottomanes que le
sultan Bayezid Ier conduisit dans la région dès son avènement. Les
armées ottomanes donnèrent l'assaut à la ville grecque, qu'elles
assiégèrent pour la première fois en 1390 sous la conduite, sort
étrange, des empereurs byzantins Jean VII et Manuel II, vassaux
du sultan arbitre de leurs querelles. En effet Jean V, le vieil emper
eurqui poursuivait à Constantinople son semblant de règne, comme
le dit Ostrogorsky, au moment où son fils et son petit-fils prenaient
d'assaut la ville de Philadelphie, avait signé 1' « impia colligatio »
qui mettait les empereurs byzantins au service du sultan Mourat Ier
et qui faisait de Byzance un des piliers de l'alliance antilatine76.

74. M.M., I, p. 227-228.


75. Sur ces questions et en attendant son livre sur les émirats, cf. les travaux
d'Elizabeth Zachariadou, A propos des relations turco-chypriotes au Moyen Âge,
dans Del. Hist. Ethn. Hét., t. 17, 1963/1964, p. 246 sq. ; Éléments historiques
dans un miracle de Saint Phanourios (en grec), dans Arch. Pontou, t. 26, 1964,
p. 310 sq. ; Contribution à l'histoire du Sud-Est de la mer Egée (en grec), dans
Symmeikta, t. I, 1966, p. 184-231. Cf. aussi, A. Luttrell, Gregory XI and the
Turcs, 1370-1378, dans Orient. Chr. Per., t. 46, 1980, p. 391-417 : important
sur le rôle des Hospitaliers dans les affaires de l'époque notamment la prépara
tion des croisades.
76. G. Ostrogorsky, Byzance, état tributaire de l'Empire turc, dans Zur byzan-
tinischen Geschichte, Darmstadt, 1973, p. 235 sq.
PHILADELPHIE AU XIVe SIÈCLE 197

Malgré les efforts éperdus de Cydonès et d'autres pro-occidentaux


pour sauver la ville de Kallipolis que les Byzantins s'apprêtaient
à céder aux Turcs (ils rappelaient à cet effet le succès de la croisade
contre les Aydin-oglu de Smyrne)77, Jean V signa l'alliance avec
les Turcs en 1374. Juste retour des choses, Jean V mourut quelques
mois après la prise de Philadelphie, quand le sultan turc l'obligea
à détruire sa forteresse de Chryseia qu'il avait construite pour
renforcer les défenses de Constantinople78.
Ainsi finit l'histoire de la dernière ville chrétienne indépendante
d'Asie Mineure, du dernier bastion de l'hellénisme. Les étrangers
en 1389 encore considéraient Philadelphie comme byzantine et
comme appartenant à l'empereur de Constantinople79, ce que lui-
même, apparemment avait oublié, quand il suivit allègrement le
host du sultan jusqu'au fond de l'Asie Mineure, en scellant en 1390
devant les portes de Philadelphie, l'alliance infâme80.

MM. Paul Lemerle, Claude Cahen, Robert-Henri Bautier et


Paul-Marie Duval interviennent après cette communication.

77. Migne, Pair. Gr., t. 154, col. 981.


78. P. Schreiner, Chroniken, I, p. 69 et II, p. 345.
79. Ainsi dans le Songe du Vieil Pèlerin de Philippe de Mézières (éd.
G. W. Coopland, Cambridge, 1969, t. I, p. 234) on lit : « II n'est demoure a cestui
pouvre empereur (de Cpl.) que ceste cite de Constantinoble et la cite de Galy-
poly que le conte de Savoye prist par bataille sur les Thurcs et la rendit a cestui
empereur, et une autre cite qui a nom Philadelphe avec pou de Chasteaux et
toute en servage des Thurcs » ; le songe est achevé en 1389. Il est important de
noter que toutes les sources occidentales trouvent l'occasion de souligner le
fait que Philadelphie reste libre au milieu des Turcs : citons à titre d'exemple,
Marino Sanudo, apud K. Hopf, Chroniques gréco-romaines, p. 146 : « che ora
tutte sono perse (turques) eccetto Filadelphia che il signor Iddio mantiene ad
onor del nome suo » ; et encore, Anonymi descriptio Europae Orientalis, éd.
O. Gôrka, Gracovie, 1910, p. 4 sq.
80. Sur la prise de la ville de Philadelphie par les Ottomans dont la date
nous est exactement connue par une chronique brève (éd. B. de Montfaucon,
Biblioth. Coisl., Paris, 1715, p. 181), cf. P. Schreiner, Philadelpheia, p. 404 sq. ;
c'est par une autre chronique brève, P. Schreiner, Chroniken, t. I, p. 113, que nous
apprenons l'arrivée à Philadelphie de Timur qui après la bataille d'Ankara
poursuit sa marche vers l'ouest de l'Asie Mineure : il avait auparavant fait pri
sonnier le vainqueur des Philadelphiens, Bayazit Ier. Cf. fig. 4 : gravure de
Philadelphie turque (Ala-Shehir), manière romantique du xixe siècle.

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