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Google, Facebook, Uber: la fin du laisser-
faire
PAR GÉRALDINE DELACROIX
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 16 SEPTEMBRE 2019
Les bureaux de Google à New York. © Reuters.
La Californie veut que les chauffeurs Uber deviennent
des salariés ; 50 États lancent une enquête contre
Google ; Facebook croule sous les procédures : le vent
a tourné et les États-Unis se tournent à leur tour vers la
régulation.
Facebook, Google, Uber : ces entreprises avaient
été placées sur un piédestal. Mais le constat de
Roger McNamee, investisseur de la première heure de
Facebook, est aujourd'hui amer. « C’était une erreur,
explique l'auteur du livre Facebook, la catastrophe
annoncée (Zucked, en VO), qui vient de sortir en
français. Nous avons laissé le secteur nous imposer
ses propres règles. C’était également une erreur.
Nous lui avons fait confiance en pensant que ni les
utilisateurs ni la démocratie n’en souffriraient. C’était
une erreur monumentale, que nous n’avons pas encore
corrigée. »
Publié début 2019 aux États-Unis, l’ouvrage a ajouté
une nouvelle pierre dans le jardin d’un secteur jusque-
là en roue libre. Puis le vent a fini par tourner, jusqu’à
mettre fin à la lune de miel entre les responsables
politiques (républicains et démocrates confondus) et
judiciaires, et leurs champions technologiques.
Lundi 9 septembre, 50 procureurs généraux des États-
Unis sur 52 (48 États plus Washington et Porto Rico,
mais pas la Californie ni l’Alabama) ont officiellement
annoncé l’ouverture d’une enquête sur les pratiques
de Google. Et pour bien marquer les esprits, une
douzaine d’entre eux ont tenu une conférence de
presse devant les marches de la plus haute juridiction
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du pays, la Cour suprême, à Washington. Leurs
investigations visent à déterminer si le géant du
web mine la concurrence, s’enrichit au détriment des
consommateurs et menace la croissance même de
l’Internet.
Le procureur général du Texas, Ken Paxton, qui dirige
l’enquête, a accusé Google de « dominer tous les
aspects de la publicité sur Internet et de la recherche ».
« Une alternative à Google ? Votre recherche n’a
donné aucun résultat », a-t-il détaillé dans un point
de vue publié sous ce titre par le Wall Street Journal.
Vous pensez que Google est un moteur de recherche ?
Oubliez cette idée et considérez plutôt que c’est une
« compagnie publicitaire » : Google tire plus de 90
% de son chiffre d’affaires de la publicité, rappelle le
procureur.
L’entreprise détient deux des sites les plus visités
au monde : le moteur de recherche Google et la
plateforme de vidéos YouTube, incontournables pour
qui veut faire de la publicité en ligne. Mais elle détient
aussi la régie publicitaire qui vend les espaces sur ces
sites, et ailleurs sur le web. Quand une entreprise est
dans une telle situation de domination, « il incombe
aux autorités de la concurrence de veiller à ce que les
intérêts des consommateurs soient protégés », estime
le procureur.
Le procureur général du Texas Ken Paxton, lors de la conférence
de presse tenue lundi 9 septembre à Washington. © @TXAG
Google a-t-il agi de façon à tuer la concurrence et
abusé de sa position dominante ? C’est ce que
l’enquête va tenter de montrer. Et c’est une
nouvelle manifestation de l’état d’esprit qui règne
désormais dans le débat public : la concurrence
ne sert pas qu’à faire baisser les prix pour les
consommateurs, et c’est d’autant plus vrai quand
on utilise des services apparemment gratuits. La
concurrence stimule l’innovation et donc l’économie
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dans son ensemble : la nouvelle doxa découvre que
ni Google ni Facebook, pas plus qu'Amazon, n’ont de
concurrents.
Pour Jeff Landry, procureur républicain de Louisiane,
Google représente « une menace absolument
existentielle à notre marché virtuel ». Ashley Moody,
son homologue républicaine de Floride, a insisté sur la
collecte des données personnelles : « Google surveille
notre comportement en ligne et saisit des données
sur chacun d'entre nous pendant que nous naviguons
sur Internet, dit-elle. Cette enquête se concentrera
d'abord sur la capture de cette information et sur la
question de savoir si Google s'est implanté à tous les
niveaux du marché [publicitaire] pour monopoliser
cette industrie. »
La procureure de l’Arkansas Leslie Rutledge a tenté
de frapper les esprits en expliquant vouloir trouver
en ligne « le meilleur conseil, par les meilleurs
médecins », plutôt que celui « qui pourra dépenser le
plus en publicité ».
Avant même l’annonce de cette enquête, Google a
affirmé être dans les meilleures dispositions : « Nous
avons répondu à de nombreuses questions sur ces
points depuis de nombreuses années, aux États-Unis
comme à l'étranger, sur de nombreux aspects de notre
activité, ce qui n'est donc pas nouveau pour nous
», a écrit Kent Walker, vice-président des affaires
internationales de Google, dans un communiqué
diffusé vendredi 6 septembre. « Le Département de la
justice nous a demandé de fournir des informations
[…], et nous nous attendons à ce que les procureurs
généraux des États posent des questions similaires.
Nous avons toujours travaillé de façon constructive
avec les organismes de réglementation et nous
continuerons de le faire. »
Selon le décompte du New York Times, Google,
qui vient d’être condamné aux États-Unis à payer
une amende de 170 millions de dollars pour n’avoir
pas respecté (sur YouTube) les règles concernant
les contenus à destination des enfants, est sous le
coup de trois autres enquêtes visant ses pratiques
potentiellement anticoncurrentielles, en plus de celles
des 50 procureurs.
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La justice fédérale s’est mise en mouvement au cœur
de l’été, avec une enquête du Département de la
justice. Mais les procureurs des États ne lui font qu’une
confiance modérée. Pour Keith Ellison, procureur
démocrate du Minnesota, « c’est aux procureurs
des États » de réguler, en particulier quand « le
gouvernement fédéral n’est pas nécessairement un
partenaire de confiance ». « Les procureurs généraux
des États sont des gens indépendants, et ils peuvent
être très tenaces », souligne Karl Racine, le procureur
démocrate de Washington : « Je suis donc très confiant
que ce groupe bipartite sera guidé par les faits et qu'il
ne sera influencé par aucune conclusion, qui pourrait
ne pas être à la hauteur », visant lui aussi l’enquête
fédérale.
Google a obtenu jeudi de la justice française un
accord qui lui coûtera près d’un milliard d’euros : 500
millions d’euros d’amende dans le cadre d’un « plaider
coupable » à la française qui permet au groupe
d’échapper à un éventuel procès pour fraude fiscale
aggravée, auxquels s’ajoutent 465 millions négociés
avec Bercy pour clore les procédures fiscales.
Un accord dont s’est félicité Gérald Darmanin,
ministre des comptes publics : « Cet accord solde
tous les contentieux avec Google, c'est une somme
très proche de ce que nous demandions à l'origine.
» Pas vraiment : le fisc réclamait initialement 1,6
milliard d’euros, selon une source proche de Bercy
citée par Reuters. Au niveau européen, Google a
déjà été sanctionné trois fois pour non-respect de
la concurrence, la dernière début 2019. Au total, le
montant des trois amendes dépasse 8 milliards d’euros.
Facebook, qui a été condamné en juillet à une amende
de 5 milliards de dollars à la suite de l’affaire
Cambridge Analytica, n’en a pas non plus fini avec
la justice des États-Unis : huit enquêtes sont en
cours. Dernière en date, celle lancée sur ses pratiques
(anti)concurrentielles par un groupe de procureurs
généraux, emmenés par Letitia James, procureure
démocrate de New York. « Nous utiliserons tous les
outils d’enquête à notre disposition pour déterminer si
les actions de Facebook peuvent avoir mis en danger
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les données des consommateurs, réduit la qualité des
choix des consommateurs ou augmenté le prix de la
publicité », a déclaré la procureure.
Le Libra, moyen de paiement que Facebook souhaite
lancer en 2020, n’est pas de nature à restaurer la
confiance avec les gouvernements et les banques
centrales. « Je veux le dire avec beaucoup de clarté :
dans ces conditions, nous ne pouvons pas autoriser
le développement du Libra », a affirmé hier le
ministre français de l’économie, lors d’une conférence
de l’OCDE consacrée aux cryptomonnaies. « La
souveraineté monétaire des États est en jeu. […] Toute
défaillance dans le fonctionnement de cette monnaie,
dans la gestion de ses réserves, pourrait créer des
désordres financiers considérables », a-t-il estimé. Au
contraire, « ce sont leurs politiques monétaires [des
banques centrales – ndlr] qui auront une influence sur
le Libra […], et pas l’inverse », plaide Bertrand Perez,
directeur général de l’association Libra, interrogé par
Les Échos.
Chauffeurs Uber en grève à San Francisco (États-Unis), le 8 mai
2019, à la veille de l'entrée en Bourse de la compagnie. © Reuters
Retour en Californie, où ce sont les plateformes de
chauffeurs et livreurs, modèle Uber, qui viennent
d’essuyer un important revers. Les législateurs ont
adopté cette semaine une nouvelle loi, applicable
au 1er janvier 2019, de protection des travailleurs
soi-disant indépendants. Soumis au bon vouloir des
plateformes mais corvéables à merci – et à la merci
d’algorithmes opaques –, les travailleurs californiens
s’étaient comme les Européens mis en grève à
plusieurs reprises.
La nouvelle loi établit à l'aide de trois critères issus
d’une récente jurisprudence de la Cour suprême de
Californie ce qu’est un travailleur indépendant : le
travailleur est-il libre de gérer son activité ou sous
contrôle ? Cette activité est-elle le cœur de métier de
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son donneur d’ordres, ou annexe ? De même, cette
activité est-elle annexe ou essentielle au travailleur ?
Autrement dit, si le travailleur n’est pas autonome, si
son activité est centrale pour l’entreprise, et pour lui,
il devra être salarié.
L’adoption du texte est un énorme échec pour
Uber et consorts, dont les promesses de hausses
de rémunération n’ont pas eu le succès escompté.
Pour autant, la loi ne transformera pas à elle seule
les conditions de travail : encore faut-il qu’elle soit
appliquée, ce que Uber n’a pas du tout l’intention
de faire... L’entreprise a osé affirmer que la mise en
relation des conducteurs et de leurs clients n’est pas au
cœur de son business. En l’état, les chauffeurs devront
aller plaider leur cause devant les tribunaux.
Le candidat à l'investiture démocrate Bernie Sanders
s’est félicité que la Californie se soit élevée contre
un monde dans lequel « une toute petite poignée
d'Américains deviennent extraordinairement riches en
payant à leurs travailleurs des salaires de misère
», selon son porte-parole Mike Casca. Le texte a
également reçu le soutien de Kamala Harris, sénatrice
de Californie, et celui d’Elizabeth Warren, qui fait de
la régulation de « la tech » un pan essentiel de son
programme. La loi pourrait faire école dans d’autres
États, notamment à New York.
Enfin, toujours en Californie, l’entrée en vigueur
prévue le 1er janvier prochain d’une loi de
protection des données personnelles suscite elle aussi
l’inquiétude du monde de « la tech ». En particulier,
les entreprises redoutent d’avoir affaire à deux
législations dans le pays, voire plus si d’autres États
se mettaient eux aussi à vouloir réguler la collecte des
données personnelles. C’est pourquoi elles réclament
au législateur d’agir urgemment pour produire un texte
s’appliquant partout, et rendant caduque la législation
californienne.
Les patrons de 51 entreprises, dont Amazon, ont donc
écrit au Sénat pour demander une loi fédérale sur
la protection des données personnelles. Il est peu
probable, pour des raisons politiques, que républicains
et démocrates s’accordent avant la fin de l’année
sur une telle législation. Mais l’épisode montre les
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deux camps désormais opposés. Les consommateurs,
disent-ils, ne comprendraient pas que les règles
changent en fonction de « l'État dans lequel ils
résident, [de] l'État dans lequel ils accèdent à Internet
et [de] l'État dans lequel l'entreprise fournit ces
ressources ou services ». Et il y a pire, selon
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Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa,
Société des Amis de Mediapart.
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eux : un « paysage réglementaire […] de plus
en plus fragmenté et complexe » menacerait leur
compétitivité.
Tout le contraire de ce que cherchent désormais à
démontrer les différentes enquêtes de la justice, pour
lesquelles il faut mettre des freins à des entreprises
qui ont fini par apparaître pour ce qu’elles sont : des
monopoles.
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