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mai/juin 2005
� � � � � � � � LE NOUVEAU FÉODALISME AGRICOLE
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LE NOUVEAU FÉODALISME AGRICOLE De plus, il ne s’agit que de la


partie visible de la tige de canola.
PERCY SCHMEISER ET LES AUTRES VICTIMES DE LA VOLONTÉ DE La privatisation des semences ne
L’INDUSTRIE AGRICOLE DE TOUT POSSÉDER. représente qu’une partie de la con-
solidation en marche d’un pouvoir
Robert Schubert
économique sur tous les secteurs
de l’agriculture. Les grandes cor-
Comme des milliers d’autres dans le sud de l’Allemagne du sud à la fin du 19ème porations agro-industrielles et de
siècle, Karl et Anna Schmeiser cultivaient sans relâche, jour après jour et saison vente au détail ont maintenant un
après saison, le vaste domaine d’un baron pour pouvoir conserver un toit au-des- pied dans toutes les phases du cycle
sus de leur tête et gagner de quoi manger, au prix de ce travail harassant. Le baron agricole : ils possèdent les semences
possédait la terre ainsi que les animaux de trait, l’équipement et la majeure partie et leurs brevets, ils contrôlent les
des récoltes – comme à peu près tous les barons depuis le Moyen Age. Comme installations de transformation,
des milliers d’autres également, Karl et Anna rêvaient d’une vie meilleure et ils dominent le secteur de la vente
en 1890 ils ont rassemblé leurs derniers pfennigs et ont quitté l’Allemagne défi- et ils se sont même mis à financer
nitivement, s’embarquant pour les Etats-Unis. Cherchant des terres bon marché Percy Schmeiser
les activités des agriculteurs. C’est
et l’indépendance, ils sont finalement partis vers le nord pour gagner les prairies Illustration : Janet Hamlin comme si les barons étaient reve-
de l’Ouest du Canada, s’installant en Saskatchewan en 1904. nus d’entre les morts ramenant
Un siècle plus tard, la terre n’est plus bon marché. L’indépendance que Karl avec eux le vieux système féodal. Les corporations qui contrôlent les élevages
et Anna ont trouvée est elle aussi menacée, comme l’ont découvert leur petit-fils avicoles et porcins ont déjà réduit de nombreux éleveurs au travail sous contrat
Percy Schmeiser et sa femme Louise en 1998. Cette année là, la Monsanto Corpo- et les cultivateurs comme Percy Schmeiser semblent condamnés au même sort.
ration les a poursuivis en justice après que l’on eut découvert des gènes résistants
aux herbicides appartenant à la société dans leurs semences de canola. BREVETER LES BÉNÉFICES
Cette affaire a fait les gros titres des journaux du monde entier et a semé
l’inquiétude chez de nombreux agriculteurs. Bien que les Schmeiser finalement Durant ces 10 000 ans d’histoire et jusqu’à récemment, l’agriculture était plus
n’aient pas dû de payer de dédommagements à Monsanto, le tribunal les a recon- un mode de vie qu’une industrie. Les fermiers étaient les producteurs de graines
nus coupables de contrefaçon de brevet. Le fait qu’une multinationale poursuive et les gardiens des cultures d’une société. Mais au début des années 1900, les
de petits agriculteurs inquiète beaucoup de gens et montre l’étendue du résultat gouvernements américains et canadiens ont commencé à promouvoir le déve-
d’une transformation de plusieurs décennies : la disparition progressive de la prati- loppement de grandes industries agricoles orientées vers l’exportation et basées
que agricole du développement et de la conservation des graines. « Ni moi ni mes sur seulement quelques espèces de plantes et d’animaux d’élevage. Pour maximi-
parents ou grands-parents n’aurions pu imaginer que les agriculteurs perdraient ser l’uniformité et le rendement, la production de semences a été transférée de
le contrôle de leurs semences » a déclaré Schmeiser. l’exploitation agricole à des centres de recherche publics centralisés, tel que les
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Universités américaines Land Grant. Le développement de variétés est devenu mondial restructuré ». Cette transition ne pouvait être pleinement achevée que
une activité marchande. par la marchandisation des semences, « l’utilisation de moyens biologiques tels que
Les avancées scientifiques des années 1970 et 80 ont annoncé une nouvelle le génie génétique, et des moyens sociaux tels que les brevets, pour empêcher les
ère pour l’agriculture. Pour stimuler un commerce stagnant, Monsanto et pratiques de conservation des graines et s’assurer un monopole sur les semences ».
d’autres sociétés agrochimiques se sont lancées dans le génie génétique et se sont Cette stratégie a été un vrai succès pour Monsanto, qui contrôle peut-être déjà,
transformées en industries biotechnologiques. Elles ont racheté les sociétés qui selon Neil Harl, professeur de droit et d’économie agricole retraité de l’Université
produisaient des semences traditionnelles et ont incorporé leurs gènes résistants d’État de l’Iowa, jusqu’à 90 % du plasma germinatifs des cultures (le matériel
aux herbicides à ces semences nouvellement acquises. Bien que les semences héréditaire, c’est-à-dire les gènes) aux Etats-Unis. (Monsanto affirme que les
traditionnelles meilleur marché soient devenues dans le même temps plus rares, cultivateurs ont le choix et que des centaines de milliers d’entre eux utilisent les
l’industrie a eu besoin pour maximiser son profit que les fermiers rachètent de technologies de la société pour différentes cultures et s’en trouvent pleinement
nouvelles graines chaque année au lieu de les conserver d’une année sur l’autre. satisfaits.)
Cet arrangement était nouveau. Par le passé, les institutions qui créaient de Les contrats sont également utilisés avec des variétés de semences non brevetées.
nouvelles variétés de graines en Amérique du Nord voyaient leur propriété intel- Paul Beingessner, agriculteur et écrivain de la Saskatchewan, prend pour exemple
lectuelle protégée par le Plant Variety Protection Act, la Loi de protection des deux nouvelles variétés publiques de blé non brevetées. L’institution publique qui
variétés de plantes, aux Etats-Unis ou son équivalent au Canada, le Plant Bree- a développé la semence, qui est protégée par la Loi sur la protection des obten-
der’s Rights Act, la loi sur la protection des obtentions végétales. Ces institutions tions végétales, a accordé une licence à une société privée, Quality Assured Seed,
accordaient une licence à des entreprises pour vendre les semences aux agriculteurs pour la produire et la vendre aux agriculteurs. Cependant, les agriculteurs qui
et percevaient une redevance. Les agriculteurs avaient le droit de conserver les veulent cultiver ce blé, doivent renoncer par contrat à conserver les générations
générations successives de graines pour replanter sur leurs exploitations. C’était successives de graines, et sont donc obligés à racheter les semences chaque année.
de toute évidence un système plus juste, mais difficilement rentable pour une Ils doivent également livrer leurs récoltes à Pioneer ou Cargill.
multinationale de l’industrie biotechnologique occupée à racheter les entreprises Avec l’augmentation de la rentabilité des semences ces 15 dernières années,
de semence. principalement du fait des brevets et des contrats, les financements et les incita-
Les brevets ont changé cette relation. Associés à des contrats garantissant la tions pour que les institutions publiques développent de nouvelles variétés sont
propriété industrielle, ils ont fourni un moyen légal de contrôle des semences, en déclin. Les agriculteurs conservent également moins de semences. Par exemple,
nécessaire à l’augmentation des bénéfices. L’U.S. Patent and Trademark Office, selon le professeur Lawrence Busch de l’Université de l’État du Michigan, avec
l’Office américain des brevets et des marques, a commencé à délivrer des brevets l’introduction du soja génétiquement modifié, le taux de conservation des semen-
pour les organismes génétiquement modifiés dans les années1980, et plus tard ces de soja aux États-Unis est passé de 31 % en 1991 à 10 % une décennie plus
pour les semences – il en a attribué plus de 2000 (à la fois pour des variétés géné- tard (en termes de surface totale semée avec des graines conservées). Ce dernier
tiquement modifiées et conventionnelles) depuis 1985. Le but de Monsanto et des estime que ce changement a rapporté 374 millions de dollars de bénéfices supplé-
autres sociétés est, selon Devlin Kuyek, chercheur pour l’ONG Genetic Resources mentaires à l’industrie. Les rapides calculs de Percy Schmeiser le poussent à croire
Action International, « l’appropriation et le contrôle des semences pour construire que tout cela est plutôt profitable pour Monsanto. L’Exhibit A est la semence
de nouveaux marchés et garantir leur position dans un système agroalimentaire de canola « Roundup Ready » de Monsanto, une variété modifiée génétiquement
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pour supporter le glyphosate, le principe actif du Roundup, l’herbicide développé décision à 5 contre 4, la cour a jugé que les Schmeiser ne devaient à Monsanto
par la marque. En 1998 (l’année où la firme a attaqué Schmeiser en justice), aucune part de leurs bénéfices dans la mesure ou ils n’avaient pas tiré profit de
Monsanto vendait les droits d’utilisation de ses technologies 30 dollars canadiens l’invention brevetée : « Leurs bénéfices étaient précisément ce qu’ils auraient du
(environ 24 dollars U.S.) par hectare, les graines 50 dollars canadiens par hectare être s’ils avaient planté une variété de canola ordinaire… Ils n’ont pas tiré non
et le Roundup environ 18 dollars canadiens par hectare. En comparaison, un plus d’avantages agricoles de la résistance de la canola aux herbicides, puisqu’on
cultivateur faisant pousser une variété conventionnelle devait payer environ 30 n’a découvert aucune trace de Roundup dans leurs récoltes. Les bénéfices de
dollars canadiens par hectare (11C$ pour les graines et entre 18 et 20C$ pour l’appelant ne proviennent que des qualités du produit ne pouvant pas être attri-
les produits chimiques). Le coût total était encore moins élevé pour Schmeiser buées à l’invention. » Chose surprenante, dans la mesure où Schmeiser a perdu,
(10C$) dans la mesure où il conservait les semences qu’ils avaient développé avec la Cour suprême a également jugé qu’il n’avait pas à payer les frais de justice de
Louise au fil des années. En 2003, selon Devlin Kuyec, Monsanto arrivait en Monsanto. (Il n’a eu à payer que ses propres frais, qui s’élevaient tout de même
troisième position des ventes de pesticides (presque 3,1 milliards de dollars US) à 400 000 dollars.)
et en seconde position des ventes de semences (1,6 milliards de dollars US). Le professeur de droit agricole Roger McEowen, le successeur de Niel Hart
à l’Université de l’Iowa, pense que cette décision permettra dans le futur de
MONSANTO CONTRE SCHMEISER défendre les agriculteurs en se basant sur la « contrefaçon involontaire », ce qui
pourrait entraver les possibilités de Monsanto de tirer encore plus de revenus
Les enjeux sont élevés, ce qui explique pourquoi l’industrie n’y est pas allée de de sa technologie. La firme remet en question cette interprétation. Selon Trish
main morte. Jordan, la porte-parole de Monsanto Canada, il suffit de lire le paragraphe 2 de la
Pour protéger ses gènes Roundup Ready dans le soja, le maïs, le coton et le décision pour comprendre que les juges n’ont pas pris en compte une contrefaçon
canola, Monsanto a enquêté chez des milliers d’agriculteurs pour d’éventuelles accidentelle ou involontaire : « En arrivant à cette conclusion, nous insistons bien
contrefaçons de brevets ou ruptures de contrats. Selon le Center for Food Safety, sur le fait qu’il ne s’agit pas ici de la découverte de plantes brevetées poussées
une ONG de Washington D.C., la firme a poursuivi 90 agriculteurs dans 25 par le vent dans les champs cultivés ou sur les terres des agriculteurs. » D’après
États et gagné plus de 15 millions de dollars en procès. Monsanto a poursuivi les Jordan le point le plus important de la décision des juges est qu’ils entérinent la
Schmeiser en justice après avoir détecté le gène dans leur récolte de canola. Après validité du brevet.
avoir perdu au procès et en appel, Schmeiser qui a toujours clamé son innocence, Si McEowen reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un cas de contrefaçon involontaire,
a fait appel devant la Cour Suprême du Canada. En mai dernier, la Cour a jugé il affirme qu’en d’autres circonstances l’issue du procès aurait probablement
qu’il était coupable de contrefaçon de brevet puisque le gène était présent dans été différente. Percy Schmeiser a appris que les plants de canola isolés poussant
les semences de son champ de canola. dans les fossés ou autour des poteaux électriques dans sa propriété contenaient
La décision a réaffirmé que si les gènes et les cellules sont brevetables selon les les gènes appartenant à Monsanto quand il a constaté qu’ils ne mourraient pas
lois canadiennes, les graines, les plantes et les autres formes de vie ne le sont pas. suite à une pulvérisation de Roundup. Cependant, il a quand même conservé et
Cependant le gène et les cellules font partie de la semence et de la plante – ce qui replanté les semences sans en informer Monsanto. En bref, il a « utilisé » l’inven-
peut laisser penser que Monsanto essaye d’étendre la portée du brevet. (L’avocat tion sans permission, et donc pas de façon « involontaire ». Mais qu’en aurait-il
de Schmeiser, Terry Zakreski a utilisé cet argument sans succès.) Mais par une été s’il n’avait pas été conscient de la présence des gènes dans sa récolte (ou s’il
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avait immédiatement prévenu Monsanto), et que la firme l’avait poursuivi dans intrants… Pas étonnant qu’ils n’arri-
ces conditions ? vent pas à s’en sortir. »
Selon McEowen, une partie de la réponse se trouve dans le paragraphe men- L’endettement chasse de nombreux
tionné par Jordan : « Les juges ont fait observer que si l’affaire avait été un cas agriculteurs des plaines de l’Ouest
de contrefaçon involontaire, l’issue aurait bien pu être différente, et cela a été canadien. Schmeiser divise les agri-
confirmé par des déclarations ultérieures des juges. A la lumière de cette affaire, culteurs en trois catégories. Un tiers,
le brevet de Monsanto pourrait ne pas être aussi solide qu’ils le croient. » Cet dont il fait partie, n’a pas de dettes en
argument est renforcé par un cas aux Etats-Unis dans lequel un juge de Cour ce qui concerne les terres et l’outillage.
d’appel fédérale a utilisé l’hypothèse d’un maïs breveté pour décrire la facilité avec Un autre tiers a des dettes mais dans
laquelle un organisme auto-reproducteur pouvait mener à des cas de contrefa- une mesure encore gérable. Le dernier
çon de brevet. Etant donné ces deux cas, McEowen pense que Monsanto devra tiers doit de l’argent pour les terres,
finalement reculer à moins de pouvoir fournir des preuves solides de contrefaçon l’outillage et d’autres choses encore.
intentionnelle. Certains agriculteurs ne voulant pas prendre le risque d’aller au Ce sont eux qui perdent leurs fermes.
tribunal, ils signeront le contrat d’utilisation des technologies de Monsanto. Les Avec moins d’agriculteurs, la base de
autres devront garder le détail des achats de semences et des pratiques de cultu- connaissances se réduit, remplacée par
res et de récolte pour pouvoir prouver le cas échéant qu’ils n’ont pas détourné les intérêts marchands qui conseillent
le brevet. l’achat de toujours plus de nouvelles
technologies et d’intrants coûteux.
MODES DE RÉSILIATION Ils aident les producteurs de cultu-
res commerciales à produire toujours
La consolidation de l’agro-industrie en ce qui concerne les graines, les produits plus, ce qui fait encore baisser davan-
chimiques et le conditionnement des viandes, se fait sous l’effet des transfor- Illustration :Christopher Van Es tage le prix de vente.
mations de la structure économique depuis la Deuxième Guerre mondiale qui La situation est la même aux Etats-Unis. Depuis la fin des années 1980, selon
portent la marque de la libéralisation des marchés mondiaux. Mais permettre à le Centre d’Analyse des Politiques Agricoles de l’Université du Tennessee, « la
la consolidation de progresser sans entraves laisse finalement un choix réduit aux politique officielle du gouvernement a été de permettre, voire d’encourager, une
agriculteurs en ce qui concerne leurs intrants (comme les graines) et aux acheteurs chute libre des prix des produits agricoles tout en promouvant simultanément
pour ce qui est de leurs récoltes ou de leur bétail. Moins il y a d’acheteurs, plus des mesures commerciales libérales rapides pour ouvrir de nouveaux marchés
ces derniers sont libres de fixer les prix (une situation appelée monopsone) – et il aux produits américains ». Les prix obtenus par les agriculteurs pour un certain
est évidemment dans leur intérêt de fixer des prix bas. Cela a pour résultat l’en- nombre de cultures commerciales ont chuté de 40 % depuis 1945, permettant
dettement des agriculteurs : des revenus trop bas en comparaison des dépenses. parfois « à l’industrie agroalimentaire et aux éleveurs industriels d’obtenir les
Schmeiser déclarait : « Les agriculteurs obtenaient plus pour un boisseau de blé en intrants agricoles à un prix inférieur à leur coût de production, consolidant leur
1978 que maintenant, et personne ne veut parler de l’augmentation du coût des contrôle sur toute la chaîne de production et de distribution ». Le gouvernement
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utilise l’argent des contribuables pour Hendrickson et William Heffernan de l’Université du Wisconsin, presque deux
que les producteurs arrivent au moins tiers de l’industrie de conditionnement du porc appartiennent à quatre sociétés.
à un équilibre, ce qui a pour effet McEowen affirme que les agriculteurs pourraient voir les débouchés envisageables
de subventionner la baisse des prix pour leur maïs, leur soja ou leur blé, limités à des élévateurs à grain exploités par
agricoles. Mais il subventionne en Archer Daniels Midland (ADM) ou Cargill, les deux sociétés céréalières les plus
réalité également la hausse des prix importantes aux Etats-Unis. (ADM est également le plus grand préparateur de
des intrants, telles que les semences soja aux Etats-Unis.)
brevetées issues de la biotechnologie Les contraintes imposées par les contrats concernent également de plus en plus
sus-mentionnées. le financement des agriculteurs. Selon Neil Harl, les sociétés, moins nombreuses
Du fait des déficits budgétaires mais plus importantes, encore présentes dans le secteur agroalimentaire, peuvent
élevés, le gouvernement subit des offrir de plus en plus, par le biais de filiales et de partenariats, de meilleures condi-
pressions pour réduire les aides aux tions aux agriculteurs que les banques locales pour le financement de toutes leurs
agriculteurs. Selon les médias, l’admi- opérations. « Il est clair que sur le long terme, le capital sera de plus en plus fourni
nistration Bush a proposé de réduire avec les intrants sur lesquels le fournisseur aura une position de monopole,» affirme
le budget de l’agriculture de 5 %, ce Harl. « La tendance va dans le sens d’un contrôle par l’intégrateur d’un produit
qui inclut une baisse d’approximati- breveté dont l’agriculteur a besoin, généralement des semences, et qu’il va lui ven-
vement 30 % des subventions qu’un dre couplé à d’autres produits. Le pouvoir de la firme qui possède les semences est
agriculteur peut toucher. Cepen- plus important maintenant que ces dernières peuvent être brevetées. »
dant, la volonté de l’agro-industrie Monsanto, Pioneer, Cargill et les autres compagnies proposant de telles offres
de maintenir les prix des céréales et groupées acceptent généralement de vendre leurs produits ou services séparément
du bétail le plus bas possible n’est à la demande d’un agriculteur. S’ils refusaient de le faire, leurs contrats seraient
pas près de diminuer, pas plus que considérés comme des contrats de dépendance, ce qui est illégal aux Etats-Unis.
Illustration :Christopher Van Es
leur influence sur les politiciens, relève Cependant les fermiers font l’objet de nombreuses pressions pour accepter ces
Roger McEowen. Avec moins de soutien de la part du gouvernement, de nom- offres groupées. Les autres agriculteurs, les vendeurs de graines et d’autres four-
breux agriculteurs se trouveront dans l’obligation, s’ils veulent survivre écono- nitures, les vendeurs d’outillage et d’autres produits encore peuvent leurs affirmer
miquement, d’accepter les contrats de l’industrie (une tendance déjà bien établie qu’un contrat est la meilleure solution – en bref, la pression des pairs. Certains
dans les industries porcines et avicoles américaines et canadiennes). agriculteurs connaissant de gros problèmes financiers ne peuvent pas acheter tout
Les contrats ne sont pas mauvais par essence, mais les problèmes apparais- ce dont ils ont besoin, ils optent donc pour des contrats de production ou de
sent quand une consolidation trop importante empêche toute négociation, commercialisation qui présentent moins de risques et garantissent un retour sur
ce qui entraîne souvent des arrangements à sens unique favorisant les sociétés investissement (cela dépend bien entendu des termes du contrat). D’autres encore
les plus puissantes. Une telle consolidation est en bonne voie dans le domaine ne veulent simplement pas s’occuper de la commercialisation et considèrent les
agricole. Aux Etats-Unis par exemple, selon des données rassemblées par Mary contrats comme un moyen de l’éviter.
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Harl insiste : les agriculteurs doivent lire ces contrats, y compris ce qui est « Cela nous a coûté 400 000 dollars pour nous défendre d’une accusation sans
écrit en petits caractères. Certains ne le font pas. Percy Schmeiser a rencontré fondement de Monsanto. Donc, la prochaine fois qu’une ferme sera à vendre,
récemment un agriculteur échaudé qui avait signé un contrat avec une société nous ne serons peut-être pas aussi compétitifs. Le résultat final est la destruction
pour qu’elle lui fournisse la majorité de ses semences et la totalité de l’engrais, du tissu social de l’Amérique rurale. Tout cela parce que les multinationales
des produits chimiques et du carburant. Une fois sa récolte achevée, il en livra détiennent des brevets sur le vivant. »
suffisamment à l’aspirateur à grains de la société pour rembourser ce qu’il lui avait
emprunté, pensant vendre le reste à d’autres acheteurs offrant un meilleur prix. LES FUSIONS NE SONT PAS UN JEU
Mais son contrat l’obligeait à vendre toute sa récolte à la société à son prix. Selon
lui, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un agriculteur perdant, par contrat, Roger McEowen recommande certains remèdes aux problèmes de l’agriculture.
le droit de commercialiser ses récoltes comme il l’entend ou, comme cela arrive Premièrement, le retour à une politique de gestion de l’offre, encourageant à ne
de plus en plus, perdant le droit de cultiver sa terre comme il le veut. produire que ce dont le marché à besoin. Cela éliminerait les surplus coûteux
Pour les agriculteurs, l’étau se resserre et l’éventail de choix se rétrécit. Les qui font baisser les prix obtenus par les agriculteurs et qui gâchent les ressources
cultures biotechnologiques, par exemple, sont sous de nombreux aspects une naturelles au lieu de les préserver pour les générations futures. Remplacer l’aide
mauvaise affaire – les cultivateurs ne peuvent pas conserver les graines, ils risquent au revenu (subventions) par un contrôle des prix. Pendant longtemps partie inté-
des poursuites à cause de gènes brevetés entraînés par le vent, les mauvaises her- grante de la politique agricole américaine avant sa suppression par la Farm Bill
bes développent des résistances aux herbicides et d’importants marchés peuvent de 1996, le soutien des prix fonctionnait presque comme un salaire minimum,
refuser d’acheter de la nourriture contenant des OGM. Alors pourquoi tant de établissant des prix de vente minimum pour les récoltes. Les acheteurs étaient
cultivateurs choisissent-ils d’en planter ? contraints par la loi de payer au moins cette somme. De plus, avant les fusions
Pour rester compétitifs. Les sociétés céréalières veulent acheter le soja, le maïs rampantes, le plus grand nombre d’acheteurs sur le marché faisait souvent aug-
et le blé le moins cher possible – et dans un monde dominé par le libre échange, menter les prix, les agriculteurs pouvaient donc faire des bénéfices.
elles peuvent tout aussi facilement acheter au Brésil ou en Chine qu’aux Etats-Unis Selon Devlin Kuyek, les 10 entreprises biotechniques les plus importantes
ou au Canada. Les agriculteurs répondent en essayant d’augmenter le volume de contrôlent environ un tiers du marché mondial des semences ; quatre sociétés
leur production, cultivant le plus possible pour compenser des prix trop bas. Et contrôlent 86 % du marché des semences de maïs et 49 % du marché des semences
le soja Roundup Ready est plus facile à cultiver, ce qui permet aux agriculteurs de soja. C’est pour cela que Neil Harl pense qu’il est également crucial d’appliquer
d’exploiter une plus grande surface avec le même personnel et le même équipe- les lois anti-trusts : « Nous assistons à une concentration verticale du côté des four-
ment, affirme Troy Roush, fermier dans l’Indiana. nisseurs et à une concentration verticale du côté des acheteurs, ce qui représente
« Le problème est qu’il n’y a pas une surface infinie de terres disponibles, alors un vrai problème. Est-ce que ce pays veut que ses producteurs deviennent des
cela force les agriculteurs à se battre entre eux pour louer ou acheter plus de serfs ou veut-il qu’ils soient des entrepreneurs indépendants ? S’il fait ce dernier
terre » ajoute Roush. « Ceux qui constituaient auparavant une communauté unie, choix, nous devons alors aller vers plus de concurrence… Pour cela il nous faut
dynamique, et qui fonctionnait parfaitement, en sont réduits à se chamailler pour une politique anti-trust efficace. »
un bout de terre. » Quand l’un des voisins de Roush a appelé Monsanto pour Certaines mesures correctives ou préventives sont nécessaires au niveau mon-
l’accuser de conserver illégalement des graines, la firme l’a poursuivi en justice. dial, dans la mesure où le contrôle de plus en plus étendu de l’industrie des
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semences et le déclin associé de la conservation des semences ne sont pas des


phénomènes limités au Canada ou aux Etats-Unis. Le marché mondial des semen-
ces représente 23 milliards de dollars, affirme Hope Shand de ETC Group, une
ONG canadienne. Il est principalement concentré sur l’Europe et l’Amérique du
Nord et les perspectives d’expansion y sont limitées. Mais dans les pays du Sud,
où l’on retrouve la majorité des 1,4 milliards de personnes qui dépendent de la
conservation des graines, le marché pourrait représenter 20 milliards de dollars
supplémentaires, voire plus. Il n’est pas étonnant que le géant de la semence
Syngenta ait demandé un brevet multi-génomes dans 115 pays. Il lui donnerait
un monopole sur les séquences de floraison de quelques 40 plantes.
Sous la pression d’ETC et d’autres, Syngenta a récemment retiré sa demande.
Mais faire respecter des brevets dans de nombreux, et différents, pays en voie de
développement avec des lois en pleine évolution pourrait de toute manière s’avérer
difficile. La stratégie la plus simple pourrait être le contrôle biologique, par exem-
ple avec le Terminator. Cette modification génétique rend les graines de deuxième
génération stériles. Les agriculteurs peuvent planter des semences Terminator et
récolter leurs cultures, mais s’ils conservent et plantent les semences de deuxième
génération, rien ne poussera. Cela rendrait les contrats et les brevets inutiles ; les
fermiers n’auraient simplement plus d’autres choix que de racheter les graines
chaque année. (Depuis 1998, les Nations Unies ont mis en place un moratoire
mondial sur de telles technologies. Le Canada a essayé, sans succès, de faire lever
ce moratoire à une conférence de l’ONU à Bangkok en février dernier.)
Percy Schmeiser craint pour le futur de l’agriculture nord-américaine et mon-
diale. « Les agriculteurs font faillite car ils ne peuvent pas s’en sortir face à des mar-
chés manipulés par les sociétés transnationales. Ces dernières deviennent comme
les barons et les seigneurs, ce à quoi mes grands-parents avaient cru échapper. »

Robert Schubert est le rédacteur en chef de CropChoice, un nouveau service en


ligne proposant des informations alternatives et des réflexions sur les semences
et les cultures génétiquement modifiées, les tendances et les pratiques de l’agro-
industrie, les énergies alternatives et l’agriculture durable.

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