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En Chine, Xi Jinping célèbre son pouvoir
impérial
PAR FRANÇOIS BOUGON
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 1 OCTOBRE 2019
La parade à Pékin mardi 1er octobre pour les 70 ans de la
République populaire de Chine. © REUTERS/Thomas Peter
Pékin fête mardi 1er octobre les soixante-dix ans de la
République populaire de Chine. Nombre de promesses
des débuts ont été reniées et le régime a désormais
tous les atours d’un empire avec une politique
coloniale à l’intérieur de ses frontières, réprimant les
minorités musulmanes au Xinjiang, et néocoloniale à
l’extérieur.
En 1917, Lénine avait dansé dans la neige. Le
dirigeant bolchevik était fou de joie que le pouvoir
révolutionnaire ait tenu un jour de plus que la
Commune de Paris – qui, elle, avait duré un peu plus
de deux mois. Oui, les révoltés pouvaient tenir, la
malédiction était rompue…
Si le numéro un chinois Xi Jinping n’est sûrement
pas le genre d’homme à se laisser aller à de tels
élans, il pourrait pourtant se le permettre. Mardi
1er octobre, depuis le balcon de la porte de la
paix éternelle (Tiananmen) – là même où Mao
Zedong avait proclamé en 1949 la fondation de la
République populaire de Chine – il a présidé le défilé
immanquablement grandiose du 70e anniversaire
du régime où ont été montrées les dernières
nouveautés de l’Armée populaire de libération,
missiles et autres joyeusetés. Avant une parade civile
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mise en scène par le réalisateur Zhang Yimou,
qui avait déjà œuvré en 2008 pour la cérémonie
d’inauguration des Jeux olympiques de Pékin.
La parade à Pékin mardi 1er octobre pour les 70 ans de la
République populaire de Chine. © REUTERS/Thomas Peter
Le Parti communiste chinois (PCC), colonne
vertébrale du régime et formation politique toujours
officiellement guidée par le marxisme-léninisme,
gouverne la puissance asiatique depuis 1949, même
s’il s’est adapté au capitalisme après la mort de Mao
en 1976 (le fameux « socialisme à caractéristiques
chinoises » de Deng Xiaoping).
Il a survécu au Grand Bond en avant (entre 1959
et 1961) et à la Révolution culturelle (1966-1976),
un mouvement d’industrialisation forcée marquée
par une famine et une quasi-guerre civile qui se
sont soldés par des millions de victimes, puis aux
manifestations démocratiques de juin 1989 en les
réprimant dans le sang. Le « grand frère » soviétique,
lui, a échoué. Aujourd’hui, les communistes chinois
caressent l’espoir de tenir plus longtemps que les
révolutionnaires russes et leurs 74 ans de règne
(1917-1991).
La longévité du PCC, fondé en 1921 à Shanghai, ne
peut que satisfaire les ambitions de Xi Jinping. Depuis
son arrivée à la tête de l’État chinois fin 2012, ce
derniern’a cessé de le remettre au centre de tout : de
l’armée, des entreprises, des médias, de la société
civile... À ses yeux, seul le Parti peut mener à bien sans
faillir le renouveau de la Chine.
Faut-il y voir un rapport de cause à effet ? Fils d’un
révolutionnaire de la première heure et compagnon
d’armes de Mao, Xi fait partie de ceux qui ont été
traumatisés par l’effondrement soudain de l’Union
soviétique en 1991 – il était jeune cadre de province
à l’époque.
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De cette chute spectaculaire, il a tiré deux leçons :
primo, les puissances occidentales, en particulier
les États-Unis, n’accepteront jamais l’émergence
de son pays et feront tout pour l’empêcher (la
guerre commerciale initiée par Donald Trump ne
vient que confirmer ses convictions) ; deuzio,
le Parti communiste ne doit pas s’engager dans
la voie qu’avait suivie Mikhaïl Gorbatchev, qui
voulait combiner développement économique et
démocratisation politique. Oui pour le premier, non
pour la seconde.
En janvier 2013, quelques mois après son « élection »
à la tête du PCC, Xi Jinping s’adresse aux nouveaux
membres et suppléants du Comité central. Il leur fait
la leçon : « Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle
effondrée ? Pourquoi le Parti communiste de l’Union
soviétique a-t-il perdu le pouvoir ? » Parce que,
explique-t-il, la lutte idéologique était intense, « parce
que l’histoire de l’URSS et du PCUS ont été totalement
niées, que Lénine a été rejeté, tout comme Staline, que
le nihilisme historique a fait son œuvre ».
Et de poursuivre : « La confusion idéologique était
partout [...]. L’armée n’était pas sous la direction
du parti. Finalement, le Parti communiste de l’Union
soviétique, qui était pourtant un grand parti, s’est
dispersé comme une volée de moineaux. L’Union
soviétique, qui était pourtant un grand pays socialiste,
s’est effondrée. C’est la leçon que nous devons retenir
des erreurs du passé ! »
Xi Jinping ne cesse, depuis, d’évoquer la « Longue
marche », cette fuite vers le nord dans les années
1930 des communistes cherchant à s’échapper aux
armées nationalistes de Chang Kai-chek. C’est devenu
la métaphore des temps présents : l’endurance des
premiers communistes doit montrer l’exemple aux
cadres d’aujourd’hui. Car le danger est partout,
morigène le numéro 1.
Cette nouvelle « Longue marche » doit les mobiliser
et, dans cette course héroïque, ils doivent se
montrer intraitables envers les « forces hostiles »,
qu’elles soient intérieures – ceux qui luttent pour
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l’établissement de contre-pouvoirs, qu’ils soient
avocats, journalistes ou professeurs d’université – ou
extérieures – l’Occident, les valeurs universelles...
Pas question donc de mollir. Dans son discours
de janvier 2013, il jugeait qu’en Union soviétique
personne n’avait « eu le cran d’être un homme, de se
lever et de résister ».
Dans le réarmement idéologique prôné par Xi Jinping
pour « résister », l’unité nationale joue un rôle
central. L’une des premières missions du Parti est d’en
assurer la pérennité. En cela, Xi se situe ainsi dans la
droite ligne du tournant de 1989. Après la répression
sanglante de Tiananmen, le parti, qui avait perdu le
soutien d’une grande partie de la population et avait
purgé sa faction réformatrice, s’est bâti une nouvelle
légitimité en maniant deux outils : le développement
économique et le nationalisme.
Si le premier va de soi, et s’inscrit dans une intention
durable, le second est beaucoup plus inattendu. En
flattant les élans patriotiques, le PCC tourne le dos
à son héritage, celui du mouvement politique et
culturel du 4 mai 1919, qui cherchait à effacer les
effets négatifs de l’ancienne Chine, de l’empire, du
confucianisme d’État, bref à se débarrasser des «
vieilleries », comme le disait Mao, parmi lesquelles
comptait le nationalisme, pour aller vers la modernité
et l’amour entre les peuples.
Aujourd’hui, l’heure est à la captation : le régime
marxiste-léniniste se présente comme l’héritier
des prétendus « 5 000 ans d’histoire chinoise
ininterrompue ». Dans les discours, la République
populaire de Chine n’est plus née sur les décombres de
l’Empire, elle en est la prolongation naturelle.
En novembre 2017, pour recevoir Donald Trump,
lors de sa première visite officielle, Xi Jinping a
réquisitionné la Cité interdite, le palais impérial
sous les dynasties Ming et Qing. Pendant la visite,
le dirigeant chinois a expliqué que son peuple
rassemblait les « descendants du dragon », en ajoutant
doctement : « Nous sommes le peuple d’origine,
cheveux noirs, peau jaune, héritage ininterrompu.
» Un discours qui a dû faire frémir Mao, non loin de
là, dans son mausolée de la place Tiananmen.
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Cette réappropriation de l’héritage impérial signe la
deuxième défaite de Taïwan, la République de Chine,
représentée par les nationalistes défaits en 1949 qui
s’étaient réfugiés sur l’île. La Chine communiste a
d’abord vaincu sur la scène diplomatique sa rivale
en 1971, lorsque le siège de la Chine à l’ONU
lui fut octroyé. Puis, ces trente dernières années, la
République populaire de Chine a parachevé la victoire
en captant cet héritage de la Chine traditionnelle, qu’a
porté le régime nationaliste jusqu’à la démocratisation
à la fin des années 1980.
« Être Ouïghour est devenu un crime »
Le fantasme d’une civilisation millénaire porte en lui
l’obsession de l’unité nationale. À moins que ce ne
soit le contraire. Toujours est-il que le nationalisme
han – du nom de l’ethnie majoritaire en Chine qui
regroupe près de 90 % de la population – qui se déploie
laisse peu de place aux minorités, hormis une présence
folklorique dans les assemblées et les médias.
Là où, il y a soixante-dix ans, Mao souhaitait
initialement faire émerger une nouvelle Chine,
désireuse même de laisser les peuples qui la
composaient de décider de leur sort en choisissant
éventuellement l’autodétermination – avant de se
raviser –, on trouve désormais un pouvoir centralisé
qui a tous les traits d’un empire avec une politique
coloniale à l’intérieur de ses frontières sur ses
« marches », au Tibet et au Xinjiang, et néocoloniale
par bien des aspects à l’extérieur, que ce soit en Asie
du Sud-Est, en Afrique ou en Amérique latine.
« Aujourd’hui on peut presque parler de pratiques qui
rappellent fortement les pratiques d’État coloniales,
à l’image de ce que faisait la France en Algérie
sous couvert de “pacification” », estime Valérie
Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour
la recherche stratégique (FRS).
Il est pourtant impossible aux Chinois de se
représenter dans la position du colonisateur. Nourris
d’un discours nationaliste basé sur le rappel permanent
des crimes des puissances coloniales occidentales,
ils ne peuvent concevoir que leur politique puisse
s’analyser sous cet angle.
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Dans son nouveau livre Le Léopard de Kubilai Khan,
sous-titré Une histoire mondiale de la Chine (Payot),
le sinologue canadien Timothy Brook s’attaque à ce
sujet sensible. Certes, souligne-t-il, par rapport aux
autres membres permanents du Conseil de sécurité
de l’ONU, « la Chine n’est pas devenue un méga-
État en conquérant les autres, mais plutôt en se
faisant conquérir par d’autres. Les familles chinoises
régnantes des Ming, la République et la République
populaire ont choisi de perpétuer ce que les familles
régnantes mongoles et mandchoues des Grands États
Yuan et Qing avaient créé ».
S’il existe une continuité, c’est aussi de ce côté-là,
moins glorieux, qu’il faut regarder. Mais en tout cas,
il convient d’en finir avec l’idée d’une Chine, empire
du Milieu, pacifique, qui n’aurait jamais eu de volonté
expansionniste à l’intérieur ou à l’extérieur de ses
frontières.
Aujourd’hui baptisées régions autonomes, les contrées
des minorités (mongoles, tibétaines et ouïghoures)
n’ont d’autonomie que le nom. Au Tibet ou au
Xinjiang, le développement économique a été réalisé
au détriment des populations locales et au profit de «
colons » han. Au Xinjiang, les han ne représentaient
que 6 % de la population en 1949, contre 38 % en
2011. Les Ouïghours du Xinjiang, l’ethnie musulmane
turcophone, subissent une répression impitoyable au
nom de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme.
Plus d’un million de musulmans, selon les Nations
unies, soit plus de 10 % de la population ouïghoure
mais aussi kazakhe, ont été placés dans des camps dits
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de « rééducation » entre 2017 et 2018, sans que cela ne populaire de Chine, dans laquelle, s’adressant à
soulève une vague de condamnations internationales, son pays à la deuxième personne du singulier, la
y compris parmi les pays musulmans. signataire mêle ses souvenirs d’enfance – elle aussi
est née en octobre – et ses réflexions d’adulte sur
la réécriture de l’histoire par le PC et la répression
des minorités : « En l’espace de quelques années, tu
as transformé une région entière en “prison à ciel
ouvert” et être ouïghour est devenu un crime. Tu as
eu à une certaine époque une politique ethnique plus
inclusive, mais comme tu es devenue de plus en plus
L’extérieur d'un « camp de rééducation » à Dabancheng (région puissante et désireuse d’exercer le pouvoir, il y a
autonome du Xinjiang) photographié en septembre 2018. © Reuters
eu progressivement une seule manière politiquement
Le seul à avoir osé fut la Turquie. En février correcte d’être chinois. »
dernier, le porte-parole du ministère turc des affaires
Ce nationalisme han, nourri par un discours de
étrangères, Hami Aksoy, estimait que les camps de
revanche sur les cent ans d’humiliation coloniale
détention et la politique d’assimilation des Ouïghours
imposée par les traités inégaux et les guerres de
étaient une « grande honte pour l’humanité ».
l’opium, explique également l’hostilité croissante
« Ce n’est plus un secret pour personne que plus
à la fois à Taïwan mais aussi à Hong Kong.
d’un million de Turcs Ouïghours faisant l’objet
Toute manifestation d’autonomie par rapport à un
d’arrestations arbitraires sont soumis à la torture et à
discours normatif sur la Grande Chine est qualifiée
un lavage de cerveau politique », déclarait-il.
d’« indépendantisme » par Pékin.
La Chine fut prompte à réagir, menaçant Ankara
Pour qualifier cette puissance de la Chine dans le
de représailles économiques. Depuis, la Turquie
nouvel ordre mondial, Timothy Brook, le sinologue
est rentrée dans le rang. Lors d’une rencontre
canadien, propose un nouveau terme, celui de « néo-
à Paris consacrée à la crise à Hong Kong et
hégémonie ». Le PCC remet en cause « les principes
organisée par le think tank ECFR (Conseil européen
westphaliens d’égalité et de non-ingérence (qui)
des relations internationales), le sinologue français
sont préjudiciables à la prospérité économique ».
François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut
« La seconde idée, poursuit-il, est que la population
Montaigne, a évoqué le Xinjiang, beaucoup moins
mondiale aura tout à gagner à se doter de dirigeants
médiatisé, parlant d’un « cas documenté d’une
qui s’inclinent devant les intérêts nationaux de la
gravité extraordinaire, proche d’un crime contre
Chine. »
l’humanité ».
En France, l’ancien premier ministre Jean-Pierre
Les intellectuels han, qui ont lucidement analysé cette
Raffarin est l’un de ces vassaux : dans une interview
politique, se comptent sur les doigts d’une main. Ainsi
diffusée par la chaîne en français de la télévision
le dissident Wang Lixiong, qui s’est intéressé au
chinoise, CGTN, il se dit ravi d’avoir été décoré de la
Tibet et au Xinjiang. « J’ai toujours été surpris par
médaille de l’amitié par Pékin et vante « l’humanisme
cette façon qu’a le gouvernement de prendre ses désirs
à la chinoise construit depuis des millénaires » ! En
pour des réalités, comme s’il pouvait fondre les 56
bon historien, Timothy Brook voit dans ces concepts
nationalités de Chine dans le concept artificiel de
diplomatiques chinois de « coopération amicale »,
“nation chinoise”, et rendre identiques leurs façons
« bénéfice mutuel » et « prospérité partagée » des
de percevoir le monde extérieur », écrivait-il, en 2007.
rappels sinistres des slogans « sous lesquels le Japon
Récemment, le site ChinaFile publiait un texte a noyé la Chine et le reste de l’Asie quand il est parti
d’une scientifique chinoise vivant aux États-Unis. en guerre à la fin des années 1930 ».
C’est une lettre pour l’anniversaire de la République

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Dans un texte publié sur le site Project
Syndicate, Minxin Pei, professeur au Claremont
McKenna College (États-Unis) estime que la stratégie
nationaliste de Xi Jinping ne pourra pas « sauver le
régime de parti unique en Chine » : « Bien que le
nationalisme puisse renforcer le soutien au PCC à
court terme, son énergie finira par se dissiper, en
particulier si le parti ne parvient pas à améliorer
continuellement le niveau de vie. Et un régime
dépendant de la coercition et de la violence a un coût
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élevé en termes d’activité économique en berne, de
résistance populaire croissante, d’augmentation des
coûts de sécurité et d’isolement international. »
Prudent, il ne donne cependant pas de date. Nombre
d’experts se sont déjà trompés à vouloir prédire la
chute du régime communiste chinois. Xi Jinping,
secrétaire général du PCC et président désormais sans
limitation de mandat, prépare déjà 2021, l’année du
centenaire du parti à Shanghai – le lieu où s’étaient
réunis les premiers membres est un musée placé au
cœur d’un centre commercial où pullulent les marques
de luxe. Parfaite métaphore de la Chine d’aujourd’hui.
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