,
Collection «Recherches Asiatiques », dirigée par Alain Forest
Solange THIERRY, Le Cambodge des contes, 1986.
Jacques POUCHEPADASS,Planteurs et paysans dans l'Inde coloniale, 1986.
Yoshiharu TSUBOI, L'Empire vietnamien face à la Chine et à la France,
1847-1885, 1987.
Stein TONNESSON, 1946: déclenchement de la guerre d'Indochine, 1987.
Paul NESTEROFF,Le développement économique dans le nord-est de l'Inde:
le cas du Nagaland, 1987.
NGO KIM CHUNG, NGUYÊN Duc NGHINH, Propriété privée et propriété col-
lective dans l'ancien Viêt-Nam (traduit et annoté par G. Boudarel, Lydie
Prin et Vu Can), 1987.
Alain FOREST et Yoshiharu TSUBOï (eds), Catholicisme et sociétés asiatiques,
1988.
Brigitte STEINMANN, Les marches tibétaines du Népal. État, chefferie et
société traditionnels à travers le récit d'un notable népalais, 1988.
Jean-Louis MARGOLIN, Singapour 1959-1987. Genèse d'un nouveau pays
industriel, 1989.
Ghislaine LOYRÉ, A la recherche de l'Islam philippin, 1989.
GuilhemFABRE, Genèse du pouvoir et de l'opposition en Chine, le printemps
de:::Yan'an : 1942.
Gérard HEUZÉ, Inde, la grève du siècle, 1989.
Alain FOREST, Eiichi KATO, Léon VANDERMEERSCH(eds), Bouddhismes et
.
sociétés asiatiques, 1990.
Rémi TEISSIER DU CROS, Les Coréens, frères séparés, 1990.
TRINH Van Thao, Vietnam, du confucianisme au communisme, 1991.
L'IMAGINAIRE ET LA SYMBOLIQUE
DANS
LA CHINE ANCIENNE
Éditions L'Harmattan
57, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
@ L'Harmattan, 1991
ISBN: 2-7384-0976-8
« L'esprit du Val ne meurt jamais»
TAO
7
PRÉFACE
Kristofer SCHIPPER
10
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
12
ce commentaire est restrictif puisqu'il ignore l'aspect dynamique de ces
« souffles». Cela montre qu'il n'existe pas forcément de mot occi-
dental rendant certains concepts fondamentaux utilisés journellement
par les Chinois. Et s'il n'yen a pas, c'est que le concept exprimé par
le mot chinois n'y a pas d'équivalent.
Nul besoin d'insister sur le fait qu'une analyse qui se voudrait glo-
bale et théorique de l'imaginaire chinois, indissolublement liée à cette
terminologie et au système de références qu'elle exprime, paraît alors
vouée à l'échec. Il vaut donc mieux ne pas aborder d'emblée le niveau
de l'analyse et des « idées générales» mais plutôt se replacer dans celui
des manifestations concrètes de l'imagination. Le présent travail, volon-
tairement limité, n'a pas d'autres ambitions. L'examen de collections
de manifestations concrètes, plus ou moins ordonnées, pourra éven-
tuellement permettre de pousser un peu plus avant l'analyse sans pour
autant introduire des biais trop prononcés ou des généralisations trop
hâtives. Mais une telle analyse exigera que parallèlement à la collecte
des faits on présente, d'une manière volontairement schématique, cer-
tains aspects des systèmes de références chinois, comme les systémati-
ques ou les diagrammes par exemple. Cet « environnement» des faits
n'étant là que pour éclairer les faits eux-mêmes, sera présenté sans ten-
tative pour résumer l'évolution du système de références, ni recher-
cher ses origines et dans une terminologie qui n'a rien à voir avec la
terminologie chinoise traditionnelle. En bref, la pensée philosophique
chinoise n'est pas notre préoccupation, même si on doit essayer d'en
présenter, plus ou moins exactement, quelques grandes lignes.
Les domaines sélectionnés dans le présent travail sont, nous l'avons
dit, ceux où règne l'imagination, autrement dit où on néglige totale-
ment l'innovation technique. Non que cette dernière soit inintéressante,
mais, sauf pour les artisanats d'art (y compris la céramique, le bronze
et les textiles), on n'en connaît que les résultats finaux, observés au
cours des deux ou trois derniers siècles. D'autre part, les domaines
de la science et de la technologie sont couverts par la synthèse dirigée
par M.Needham.
Après divers essais, seuls deux domaines ont été retenus: celui de
la symbolique dans l'iconographie et celui du sacré sans lequel on ne
peut expliquer la symbolique iconographique. Et encore a-t-on restreint
considérablement leur champ. Par exemple, dans le domaine de la
symbolique on a presque totalement ignoré la symbolique sexuelle,
pourtant très importante en Chine. Mais ce domaine a été sérieuse-
ment couvert par le « Dictionnaire des symboles chinois» de M. W.
Eberhardt, disponible en français. On y reviendra. De plus, la symbo-
lique étant un domaine très vaste, on n'en a traité ici que l'aspect le
plus accessible au non sinologue, celui qui passe par l'image.
Les deux domaines abordés ont l'intérêt de mettre en évidence l'évo-
lution qui semble s'être produite dans 1'« idée généralement admise»
que l'on s'en faisait (mais on ne peut aller trop loin dans cette voie)
13
et d'être à la limite de la pensée savante et de cette même « idée géné-
ralement reçue». La symbolique est toujours largement acceptée au
sein d'un groupe culturel et la perception du sacré est toujours en toile
de fond aussi bien chez les croyants que chez les incroyants rattachés
à cette culture.
Soulignons pour n'y pas revenir que ce travail ne prétend nulle-
ment à l'originalité. Il reste une compilation de matériaux tous con-
nus des spécialistes et déjà exposés dans une langue occidentale. Sa
seule raison d'être est de tenter une remise à jour à partir d'éléments
souvent dispersés dans des publications pas toujours facilement acces-
sibles. Il ne vise qu'à être un outil destiné à des non-spécialistes s'inté-
ressant à l'imaginaire chinois traditionnel et plus généralement au passé
chinois.
Cela posé, essayons de voir quelles idées moins parcellaires suggè-
rent les faits rassemblés dans l'étude proprement dite.
14
LA SYMBOLIQUE
16
le lien entre signifiant et signifié s'impose d'une manière quasi auto-
matique à celui à qui l'on montre le symbole. Les symboles qui sont
étudiés ici relèvent de la croyance généralement admise et non de ceux
qui ne touchent qu'un nombre restreint d'initiés. Par exemple, on n'a
pas évoqué la symbolique des sociétés secrètes, toujours nombreuses
en Chine, symbolique qui relevait de légendes et mythes quasi initiati-
ques.
Le rôle fondamental recherché par la création de symboles est de
fournir des images de remplacement, facilement exprimables ou repré-
sentables et suggérant un ensemble complexe difficilement manipula-
ble : les symboles mathématiques en sont de parfaits exemples. Dans
la vie courante, ils relèvent fréquemment de la partie, signifiant, pour
le tout, le signifié. La symbolique des idéogrammes chinois en four-
nit de remarquables exemples: deux pictogrammes « arbre» associés
signifient forêt, lin.
Mais ce mécanisme élémentaire est enrichi par un contexte cultu-
rel et c'est là qu'il devient pour nous intéressant. Les liens signifiant-
signifié prennent toutes sortes de chemins qui sont représentatifs de
cett.~ culture. La tentative pour élucider ces chemins n'est pas simple
et a ses limites.
17
Parfois, le signifiant prend une forme particulière qui permet d'aller
un peu plus loin. La représentation symbolique peut être un substitut
héraldique, ou emblématique, ou un attribut. Le dragon est un ani-
mal héraldique de l'empereur et longtemps sa figuration suggéra un
objet destiné au pouvoir central et à son entourage. Le svastika, pro-
bablement connu en Chine dès l'Antiquité, n'est devenu un symbole
important qu'après l'introduction du bouddhisme car il est un des attri-
buts iconographiques du Bouddha. Il est donc important de noter les
manifestations anciennes du symbole et, si possible, de situer dans le
temps son apparition. Mais c'est rarement possible et cela peut tou-
jours être remis en cause.
Même lorsqu'on le peut, cela ne fournit pas pour autant l'explica-
tion du lien. On sait que le tigre blanc est le symbole de l'orient céleste
ouest depuis environ vingt-cinq siècles. Mais cela ne nous renseigne
ni sur le lien tigre et ouest, ni sur celui de blanc et ouest. Tout ce
que l'on peut dire c'est qu'en - 433 déjà l'image stylisée d'un tigre
associée à la représentation d'une voûte céleste était corrélée avec
l'ouest, dans l'esprit aussi bien de l'artisan qui laqua le coffre que
de SQ,nutilisateur. Cette corrélation faisait donc déjà partie du système
de côrrespondances culturel collectif.
De même, deux plantes, parmi d'autres, sont des démonifuges, et
cela depuis des temps immémoriaux: le saule et l'armoise. Le saule
est lié au renouveau printanier: ses bourgeons sont parmi les premiers
à le manifester. A ce titre, on sait qu'il était, encore après l'époque
Han, lié aux fêtes de renouvellement de l'année, lorsque l'on expul-
sait l'année vieillie et ses influences nocives pour accueillir les forces
rajeunies et bénéfiques de l'an neuf (fête du Nu er d'où est sorti le
Nouvel An chinois). Mais sa symbolique était alors déjà très ancienne
et surtout présente dans les fêtes populaires et paysannes. On ignore
tout sur l'origine des vertus de l'armoise, plante pourtant si impor-
tante que sa feuille figure parmi les « Huit précieux », collection symbo-
lique très connue, les Papao. On sait que l'armoise figurait dans la
Haute Antiquité parmi les plantes sacrificielles, et c'est bien tout.
On pourrait en dire autant du pêcher, pourtant la plante démoni-
fuge par excellence.
En bref, on peut dans des cas déterminés mettre en évidence un
lien entre légende ou usage rituel et sens symbolique, mais on ne peut
pour autant prétendre avoir résolu la genèse de ce lien car la liaison
est parfaitement biunivoque.
La légende est surtout corrélée aux symboles par le biais des attri-
buts.
18
Mais dans le domaine religieux chinois, il faut distinguer le pan-
théon bouddhiste et le panthéon chinois, qualifié à tort ou à raison
de taoïste (il s'agit d'un panthéon populaire récupéré et réinterprété
par le taoïsme religieux). Le panthéon bouddhiste a été importé tota-
lement constitué et structuré avec un stock légendaire symbolique impor-
tant.Le monde des légendes a été (on en trouvera de nombreux exem-
ples dans le paragraphe consacré à ce panthéon) fortement sinisé et
parfois même totalement remplacé. Par contre, le monde des symbo-
les, représenté par des attributs, est resté peu touché par la sinisation.
Il faut donc assez souvent se référer à l'original indien pour en com-
prendre le sens. Mais, si l'on ignore cette légende, ils peuvent être bien
difficiles à comprendre. Qui irait soupçonner que la coiffure bouclée
de certains Bouddhas (ils devraient avoir la tête rasée des moines boud-
dhistes) représente des escargots? De plus, ce ne sont pas seulement
des légendes et les symboles correspondants qui ont été importés mais
de véritables lexiques iconographiques (on en connaît d'époque T'ang).
Et ces lexiques, très contraignants, ont toujours été respectés, ce qui
permettait au croyant de reconnaître, sans doute possible, la divinité
de son choix. Cette nécessité de reconnaisance était d'autant plus forte
quê la pratique de la méditation et la recherche de l'extase utilisaient
aussi beaucoup ces images comme support de méditation. Le lexique
iconographique était nécessaire non pas seulement au commun des fidè-
les mais à ceux qui visaient à la perfection.
Ce code iconographique ne laissait rien dans l'ombre, ni les gestes
ou mudra, ni les attitudes, ni les vêtements, ni les couleurs, etc.
Le panthéon chinois se présentait bien différemment. Non qu'il
manquât de mythes et de légendes, mais ceux-ci n'étaient pas structu-
rés et n'étaient pas centraux du point de vue des croyances. Ce qui
importait c'était la fonction. Il se pourrait même que mythes et légendes
n'aient été introduits que par commodité. Une tradition voulait, par
exemple, que le mythe cosmogonique de P'an Kou n'ait été vulgarisé
en Chine (on ignore son origine, mais peut-être venait-il des « con-
fins minoritaires» et en cours de sinisation à l'époque Han) que par
un ascète taoïste qui trouvait trop difficile pour le commun des fidè-
les la version cosmogonique taoïste. De fait, les divinités chinoises,
qui durent avoir dans l'Antiquité des formes fantastiques souvent ter-
rifiantes, semblent avoir été profondément remaniées au cours de la
synthèse du début de l'Empire. Elles furent plus ou moins toutes évhé-
mérisées, reçurent une vie légendaire ou une légende dorée (avec
d'innombrables variantes) et finalement prirent l'aspect de hauts fonc-
tionnaires. Le Seigneur d'en Haut devient l'Auguste de Jade, la Si wang
Mou perdit ses crocs, et ses oiseaux nourriciers devinrent ses messa-
gers. Il exista bien des lexiques iconographiques, mais ceux-ci, bien
que respectés, n'ont pas une particulière importance. Une divinité chi-
noise est dans la plupart des cas un mandarin civil ou militaire et l'on
a beaucoup de chance si un attribut permet de se passer de la titula-
ture pour arriver à une identification.
19
Curieusement, ce sont les divinités restées les plus à l'écart du culte
taoïste officiel, et les moins évhémérisées, qui ont gardé le plus d'attri-
buts significatifs. Le Dieu du tonnerre reste porteur d'une batterie de
tambours et d'un maillet, le Maître de la pluie porte une jatte ou un
bol (plus récemment un arrosoir), le Dieu des sauterelles garde son
aspect fantastique et sa gourde, la Protectrice des vers à soie sa peau
de cheval (qui peut lui servir de masque), et la Dame des maladies
oculaires enfantines son œil (soit en cyclope, soit sur un plateau). Il
y a tout lieu de penser qu'il s'agit de vestiges archaïques, comme d'ail-
leurs l'ornement de tête de la Si-wang Mou. Mais ces divinités fossi-
les n'ont que des légendes très sommaires. Peut-être en avaient-elles
qui ont disparu du souvenir de leurs fidèles, qui voyaient dans ces divi-
nités l'incarnation d'une fonction et non les représentants d'un pan-
théon structuré.
Il se pourrait également que, dans les pratiques archaïques dont
ils sont issus, on ne représentait que le symbole en lieu et place de
la divinité. Les études sur les premières églises taoïstes (celle des Maî-
tres Célestes notamment) montrent bien que l'aire sacrée, bien anté-
rieure:: au temple, contenait surtout, ou exclusivement, des symboles
renvoyant à une exégèse savante et non des « idoles ».
On doit noter également que, bien que largement imités du boud-
dhisme, les lexiques iconographiques taoïstes n'attachent aucune impor-
tance symbolique aux gestes et aux attitudes. Ces gestes et attitudes
existaient et ils étaient des gestes rituels obligatoires utilisés dans la
pratique religieuse, mais ils restaient dans ce domaine magique non
lié à l'iconographie: il n'y a pas de danseur cosmique taoïste et P'an
Kou se contente de tenir un marteau et un burin.
Par contre, les personnages du folklore historique ont plus fréquem-
ment des attributs les identifiant. Fouhi, le premier démiurge est fré-
quemment représenté en empereur portant le diagramme du T'ai Ki.
Mais sur les bas-reliefs Han, outre qu'il est montré en monstre poly-
morphe (corps de serpent), il tient un compas de charpentier, et un
porteur de T'ai Ki peut fort bien être quelqu'un d'autre. Chavannes,
dans ses Missions archéologiques, met bien en évidence ce changement
profond qui survint au temps des premières dynasties impériales. Donc,
ici encore, la présence d'un attribut n'est bien souvent qu'un indice.
En pratique, lorsqu'une divinité ou un personnage du folklore est
identifiable par un attribut, on doit toujours se demander s'il s'agit
d'une divinité archaïque mal évhémérisée ou d'une divinité bouddhiste
totalement sinisée. Des exemples comme les roues de feu et le..torque
de Natch'a et la tour pagode de son père Li Portetour sont fréquents.
En bref, la symbolique chinoise ancienne des attributs a beaucoup souf-
fert de l'usure du temps et évolué.
Par contre, les attributs décernés, disons après l'époque Han, ont
été beaucoup mieux respectés, et cela qu'il s'agisse d'attributs légen-
daires ou de contes vaguement historiques. Les «Huit immortels
20
cachés », symbole des Huit Immortels sont parfaitement fixés, bien
que parfois très ambigus. Ho Sien Kou portait autrefois, dit-on, une
louche, tout le monde désormais la reconnaît à son ombelle de grai-
nes de lotus. Tchang Kouolao est porteur d'un tube en bambou qui
continue d'intriguer. Mais personne ne doute qu'un lettré accompa-
gné d'oies ne soit le génial calligraphe Wang Hi-tche, et un lettré un
peu débraillé en train de contempler la lune a toutes chances d'être
Li T'aipo... surtout s'il a la coupe en main.
Il n'en reste pas moins que le domaine des attributs est vaste dans
la symbolique chinoise et qu'il valait la peine de confronter dans la
mesure du possible attributs et légendes tout en soulignant les limites
de ce rapprochement.
Toutefois, ce rapprochement n'est pas toujours possible et l'on peut
citer un cas où, semble-t-il, le mythe a totalement disparu alors que
l'attribut a subsisté. Ce cas est celui du cerf. Cet animal est étroite-
ment corrélé avec la longévité ou l'immortalité. Aucune légende ne
l'explique. Aucun rébus non plus, car alors le cerf Lou devrait être
lié à la richesse Lou, et il l'est parfois mais secondairement. Or, il
semblerait, d'après des études récentes, que le pictogramme archaïque
poûr longévité soit très proche de représentations très stylisées du cerf
attestées dans des cultures paléo-sibériennes (de Mongolie notamment).
Et, dans ces cultures, le cerf était lié dès le néolithique, et peut-être
avant, au culte de la Grande Déesse de la vie et de la mort. Si cela
est confirmé, on voit que le processus conduisant à la symbolique peut
s'appuyer sur des croyances n'ayant laissé aucune trace dans la mytho-
10gie .
22
un soin maniaque que sont .codifiés les symboles de cette hiérarchie
à la fois complexe et très riche (insignes d'investitures, insignes de fonc-
tion, insignes de rang social, etc.). On peut parler d'attributs sociaux.
L'évolution de la société, notamment la montée en puissance de
la classe des riches marchands, n'a pas fait disparaître ces attributs
sociaux bien que, semble-t-il, de nombreux interdits aient dû être assou-
plis. Un riche marchand pouvait à la fin de l'Empire, se faire cons-
truire une maison où les consoles du toit n'étaient plus limitées par
son rang théorique dans la société. Par contre, il faut ~ouligner
l'extraordinaire vitalité d'insignes, pluri-millénaires dans un pays dont
l'histoire a été plutôt agitée: il se pourrait que la masse même de la
Chine l'ait préservée depuis l'époque Han d'une totale remise en cause
de ses coutumes. Après cette époque ily eut apports et fusions mais
non disparitions totales et réapparitions. En bref, la Chine n'a rien
connu d'équivalent aux mutations engendrées par l'effondrement du
monde romain sous le choc des invasions ou par les bouleversements
de la Renaissance.
.Sauf pour certains des plus anciens (comme les sceptres) la symbo-
lique de ces insignes reste lisible à travers des textes comme les rituels.
On éprouve quelques difficultés à interpréter certains des douze insi-
gnes impériaux, déjà cités comme antiques dans le Livre des Rites,
car deux ou trois restent très énigmatiques. De même, les Huit Pré-
cieux n'ont pas livré tous leurs secrets (le losange par exemple). Mais
c'est plutôt la permanence de certains symboles qui doit être souli-
gnée. Que les insignes des hauts grades de la hiérarchie aient toujours
été des blasons animaliers à l'époque mandchoue (des oiseaux pour
les civils et des bêtes féroces pour les militaires) reste étonnant. D'autant
plus que cette coutume remonterait, si l'on en croit la tradition, à la
plus Haute Antiquité. Si on ne la croit pas, il faut admettre qu'elle
existait au moins au premier millénaire avant notre ère, à l'époque
Tcheou. Reste que la symbolique aviaire des hauts fonctionnaires civils
est moins limpide que nos feuilles de chêne, d'olivier ou de laurier.
A côté de ces attributs codifiés, on trouve les objets symboliques
d'une profession et, en premier lieu, ceux de la classe des lettrés. Cette
classe ayant fourni pendant deux millénaires, ou plus, l'encadrement
et la classe dirigeante de la Chine, donc la classe riche, on ne saurait
s'en étonner. L'accès à cette classe était l'ambition suprême. Les objets
fabriqués pour son usage ou ses loisirs se devaient<d'être les plus par-
faits et les plus artistiques donc ceux qui survécurent le mieux. D'autre
part, la possession de ces objets était manifestement honorifique donc
recherchée par les membres d'autres cl'J.sses sociales. Les cadeaux, qui
sont toujours l'expression d'un vœu, se devaient de faire allusion à elle.
Nous n'avons pas traité des enseignes qui donnaient lieu à un réper-
toire complexe mais qui a plus ou moins disparu. Par contre, on a
essayé de mentionner les objets religieux.
23
Il est important de noter que les symboles constitués par des attri-
buts sont fréquemment regroupés en collections telles que les huit tré-
sors bouddhistes, les huit précieux, les huit immortels cachés ou les
sept apparitions, plus un ensemble flou, celui des Cent antiques, qui
contient tout ce que l'on veut. Ces collections qui ont des origines
variées engendrent des motifs associés mais traités avec une relative
Iiberté .
24
est yang) et de l'hiver avec le nord n'est pas plus évident. Quoi qu'il
en soit la symbolique animalière est généralement plus complexe que
la symbolique florale. Faisons un vœu pour que le dieu de la chance
des archéologues leur suggère quelque chose.
Enfin, certaines images évocatrices peuvent être aussi abstraites que
ce qu'elles symbolisent. L'exemple évident en est le T'ai Ki qui ren-
voie à toute une conception du monde. Dans ce cas extrême les deux
termes du cheminement sont abstraits.
Dans une autre série d'images de substitution, l'évocation est d'un
tout autre ordre, elle relève des sons. C'est un genre tout particulière-
ment apprécié des Chinois: celui des rébus. La langue chinoise s'y
prête admirablement car, étant monosyllabique, les homophones y sont
nombreux. La tentation a donc de tout temps dû être très grande de
substituer une image concrète pour exprimer un concept abstrait. La
formation des caractères de la langue écrite montre que cette tendance
était très ancienne et très utilisée. L'exemple fourni par le mot «paix »,
ngan (an) exprimé par une femme sous un toit est cité par tous les
manuels élémentaires. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un rébus mais
d'u;.ne simple image évocatrice. Mais. la partie phonétique du caractère
montre l'usage du rébus homophone. Toutefois, en matière de langue
écrite, seuls les. spécialistes des graphies les plus anciennes (celles sur
os divinatoires) sont à même de décider s'il y a bien soit image évo-
catrice, soit homophonie, soit simple évolution des graphies (qui a tou-
jours été dans le sens de la simplification) voire erreur graphique pas-
sée dans l'usage. Et les éthymologistes anciens (dont ceux du ChOllO
wen - Shuowen -) semblent avoir été un peu vite en besogne. Et
certaines de leurs conclusions aventurées ont été suivies pendant des
millénaires.
Quoi qu'il en soit le rébus devait paraître aux Chinois un mode
d'expression beaucoup plus courant que dans d'autres groupes cultu-
rels. Et ils ont très largement utilisé ce mode de création de symbo-
les. Voulant représenter le Bonheur, Fou, quoi de plus simple que de
représenter une chauve-souris, Fou, d'autant plus que les deux carac-
tères ne diffèrent que par leur radical (la partie « phonétique» est la
même).
Toutefois, il se pourrait que l'homophonie ne soit pas suffisante
pour justifier la généralisation d'un rébus, autrement dit de le faire
passer dans l'usage courant :un simple coup d'œil sur les homopho-
nes dans un dictionnaire montre que le choix était ouvert. Le méca-
nisme de la sélection n'apparaît pas clairement. S'agit-il de parentés
graphiques? Pas forcément. S'agit-il de liens plus subtils et qui nous
échappent? Seuls des Chinois pourraient nous renseigner là-dessus. Il
se pourrait également que des problèmes esthétiques aient joué: le bon
rébus, très souvent utilisé sur un objet cadeau, devait permettre une
iconographie plaisante et de bon augure. Le très grand nombre de fleurs
servant d'images de substitution pour des rébus suggère que cette rai-
25