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Avec les Kellys sur le parvis du Parlement, deux


activistes et anciennes femmes de chambre de United
Le travail en sous-traitance: les femmes de
Voices of the World (UNW), mouvement syndical
chambre interpellent Bruxelles basé à Londres, qui défend les travailleuses les plus
PAR MATHILDE GOANEC
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019 précaires, souvent des migrantes venus d’Amérique
latine. Déboulent aussi deux jeunes syndicalistes
Des femmes de chambre espagnoles, les «Kellys»,
françaises de la CNT-SO (confédération nationale du
soutenues par des activistes françaises et anglaises,
travail-solidarité ouvrière), soutien actif des femmes
sont allées toquer à la Commission européenne pour
de ménage à Marseille, où les grèves dans le secteur
dénoncer les dérives de la sous-traitance, auxquelles
se sont multipliées ces quatre dernières années. La
les responsables politiques nationaux refusent de
dernière, dans un hôtel quatre étoiles marseillais, a
s’attaquer de front. Elles tentent de se fédérer entre
duré 167 jours cette année.
pays de l’Union européenne.
Installées dans une salle de réunion mise à disposition
par le parti Podemos, les représentantes des trois pays
font connaissance, et travaillent sur leur intervention
devant les eurodéputés, en fin de journée. Susana
Benavides, ancienne femme de chambre et désormais
salariée de UNW à Londres, est en pleine discussion,
Les «Kellys» au Parlement européen © MG en espagnol, avec les Kellys de Benidorm, Barcelone,
« ¡Organizate si no quieres que te organicen! », « Tenerife ou encore Fuerteventura. Ce qui fait sourire
Mobilise-toi si tu ne veux pas subir !». Elles ont à sa compagne de voyage, Claudia Turbet-Delof.
peine passé les portes et les contrôles réglementaires « Regardez-la, elle est comme un poisson dans l’eau !
du Parlement à Bruxelles que les Kellys enfilent Susana est une “top organizer”, elle n’a jamais peur
le T-shirt vert à slogan qui constitue désormais de rien ! »
leur marque de fabrique. Les « Kellys » (du jeu
de mots «las que limpian », celles qui nettoient)
sont des femmes de ménage qui bataillent pour la
reconnaissance de leur travail depuis 2014, en Espagne
et plus particulièrement à Barcelone, sous forme de
syndicat ou d’association. Mardi 5 novembre 2019,
ces femmes de chambre ont décidé de toquer à la porte
de la Commission européenne, fatiguées de l’inertie
législative qui règne à Madrid.
Les militantes espagnoles ne sont pas venues les mains
vides à Bruxelles. Dans leurs cahiers, un projet de
directive pour interdire la sous-traitance en Europe,
lorsqu’il s’agit du cœur de l’activité économique
d’un secteur. « Sans chambre propre et nettoyée, pas Susana Benavides et les Kellys, au Parlement européen. © MG

d’hôtel ! », clament les Kellys. En Espagne, dans Susana Benavides a en effet des choses à raconter :
l’hôtellerie, la grande majorité de leurs collègues sont âgée de 43 ans, elle travaillait comme femme de
employées pour des sociétés sous-traitantes, et dans ménage chez Topshop, grosse enseigne anglaise de
des conditions de travail de plus en plus dégradées. prêt-à-porter, employée par une compagnie sous-
traitante. Elle y gagnait un peu moins de 7 livres

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de l’heure, soit mois de 8 euros. Son histoire est toutes trois de consulter un texte de l’Organisation
classique : « J’ai commencé à mobiliser mes collègues internationale du travail qui évoque le « danger » de
du magasin, pour réclamer un salaire décent, le la sous-traitance et les restrictions qui existent déjà
paiement des arrêts maladies, les mêmes droits que dans certains pays. « Génial, ça pourrait nous servir »,
les salariés embauchés directement par Topshop, s’exclame Lara Schäfer.
mais j’ai été licenciée pour ça, au motif que je Fin de journée, la tension monte un peu dans la
“contaminais” mes collègues avec ces idées. » Susana salle surchauffée. Il s’agit désormais de rejoindre une
Benavides a contesté sa mise à la porte, obtenu douzaine d’eurodéputés, espagnols, français, grecs,
réparation et 75 000 livres en compensation en juillet réunis à l’initiative d’Idoia Villanueva, du parti
2019 devant les tribunaux britanniques. espagnol Podemos. Vania Araba, porte-parole des
Son histoire est une illustration parfaite des Kellys, se lance au micro : « Ce texte, c’est pour
conséquences de la sous-traitance sur les droits des éviter de faire de nos vies un effondrement. Ces
salariés, d’un bout à l’autre du continent. « Nous entreprises nous volent, et elles le font à visage
n’avons pas la même convention, le même salaire, les découvert. Pour elles, nous sommes des poupées que
mêmes droits collectifs que nos collègues embauchés l’on jette lorsqu’elles sont cassées. »Yolanda Garcia
directement par les hôtels où nous travaillons, sans renchérit :« On ne sous-traite pas le chauffeur de bus ?
parler de droits syndicaux », confirme Yolanda Pourquoi sous-traite-t-on la femme de chambre ? Ces
Garcia, Kelly « historique » de Benidorm, dans le sud- entreprises ne rapportent rien à la société, elles ne font
est de l’Espagne. que s’enrichir en se plaçant en intermédiaires entre
À l’autre bout de la pièce, Lara Schäfer et Anna notre salaire et notre travail. »
Davodeau, salariés du syndicat CNT-SO à Marseille. « Toutes nos luttes sont victorieuses sur le terrain.
Les deux jeunes femmes écoutent attentivement Députés, prenez la main ! », exhorte à son tour
Eulalia Garcia Sanz, l’avocate des Kellys, décrire les Claudia Turbet-Delof, alors que la CNT fait la
déboires juridiques du mouvement en Espagne, malgré longue liste des dysfonctionnements en France : le
une décision historique du tribunal des Canaries, qui paiement à la chambre, le temps fragmenté imposé,
reconnaît formellement les risques pour la santé l’absence de prime de panier, de formation, un taux
liés au travail des femmes de chambre. « C’est horaire le plus bas de la grille de salaire… En
une très belle victoire, mais il n’y a aucune solution France, devant les nombreuses mobilisations, à Paris
proposée derrière, s’inquiète Eulalia Garcia Sanz. et Marseille notamment, des femmes de ménage,
Nous avons aussi déposé un projet de loi au Parlement Marlène Schiappa avait assuré en juin 2019 de son
mais il dort dans un tiroir. À la place, on nous engagement pour améliorer les conditions de travail
propose de “légaliser la fraude” en légiférant dans des salariées de la propreté, dans leur grande
les entreprises sous-traitantes, sans jamais se poser majorité des femmes précaires, monoparentales,
la question de notre réintégration chez le donneur souvent étrangères.
d’ordre ! » Depuis, malgré une réunion avec les représentants
Anna Davodeau intervient : « C’est ça qui provoque patronaux et syndicaux, la secrétaire d’État à l'égalité
des scissions dans le collectif de travail ! En France, homme-femme n’a pas promis grand-chose, à part
les femmes de ménage sont rattachées à la convention peut-être une révision de la « clause de mobilité »
collective du nettoyage, quand le réceptionniste, le dans la sous-traitance, l'un des points noirs du
serveur ou le cuisinier du même établissement vont système français. « Je ne vois pas comment elle peut
relever de celle de l’hôtellerie, plus avantageuse. dire qu’elle se soucie des femmes précaires alors
Difficile de mobiliser les collègues sur leur sort… »
« Terrible », acquiesce Eulalia Garcia Sanz. Et

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qu’elle participe à un gouvernement dont les lois les qui intègrent les services de nettoyage à leurs équipes.
impactent constamment de manière négative », se « C’est déjà en place, on attend simplement la mise en
désole Lara Schäfer. œuvre », notent avec amertume les Kellys.
« Pour nous, la politique ou le syndicalisme
n’est pas un hobby »
« Ce texte, c’est pour interdire ces pratiques en
Europe, pouvez-vous nous dire si c’est possible ? »,
interroge encore Vania Araba. Face à elles, les
députés, la plupart issus de groupes minoritaires au
Parlement, ne peuvent qu’assurer de leur soutien…
formel, la Commission européenne étant la seule à Yolanda Garcia et Vania Araba, deux des Kellys face aux
pouvoir présenter ce type de texte au vote. eurodéputés, le mardi 5 novembre à Bruxelles. © M.G

Certains ont par ailleurs du mal à concilier leur double Même le parti Podemos, à l’origine de cette rencontre
casquette, nationale et européenne, comme la députée et plutôt proche du mouvement en Espagne, en est
socialiste espagnole Lina Gálvez. « Je vous assure réduit à prendre des chemins de traverse sur les
que le gouvernement socialiste est très sensible à questions sociales en Europe. La Commission, en
cette question, notamment sur la reconnaissance des pleine recomposition après les élections européennes,
maladies professionnelles des femmes de chambre », n’a aucune intention de rouvrir le dossier de la
souligne la députée, avant de se faire reprendre un sous-traitance, déjà examiné sous haute tension à
peu sèchement par l’une des porte-parole des Kellys. l’occasion de la directive sur le détachement des
« À Valence, selon un rapport, 67 % des femmes de travailleurs adoptée en 2014 et révisée en 2018. « Du
chambre ont des problèmes de santé, à cause de leur coup, nous appuyons plutôt la mise en œuvre d’une
travail, et il ne se passe rien ! Sur la Costa Blanca, directive ancienne sur l’amélioration de la santé et
quand une femme de ménage se plaint à l’inspection de la sécurité des travailleurs, adoptée mais jamais
du travail, il faut attendre un an au minimum pour vraiment appliquée », explique Idoia Villanueva.
avoir une visite… Et les socialistes au pouvoir ont « Sur ces sujets, nous avons surtout un pouvoir
achevé de démanteler l’inspection du travail. » d’interpellation, concède Leïla Chaibi, eurodéputée
Sa collègue socialiste Alicia Homs, élue européenne de La France insoumise. Nous pouvons aussi utiliser
venue de Catalogne, n’est pas mieux traitée quand elle d’autres fenêtres de tir, par le biais d’amendements
propose la mise en place d’un « label » des hôtels sur des textes, comme celui à venir sur le droit des
travailleurs des plateformes. » L’eurodéputé Marc
Botenga, du Parti du travail belge, met lui aussi en
garde les femmes de chambre présentes à Bruxelles :
« Cette proposition que vous nous faites, on va la
défendre et la porter en Europe, et chez nous en
Belgique, mais il faudra un fort soutien populaire. »
Toutes les femmes formant cette délégation sont des
militantes de terrain. Les Kellys se sont rencontrées
sur Facebook, initialement en dehors de toute
structure syndicale, et se sont fait connaître par
des actions spectaculaires combinées à une sorte
de guérilla juridique, des initiatives à l’image du
mouvement social espagnol, revitalisé depuis 2011 et

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le mouvement des Indignés. « On ne travaille pas Bruxelles ont achevé leur visite bruxelloise par une
depuis des bureaux pour des gens des bureaux », rencontre avec quatre fonctionnaires de la direction
se moque Yolanda Garcia. En France, la CNT-SO, générale de l’emploi de la Commission européenne.
malgré l’échec de la dernière grève contre la société Ces derniers ont expliqué que leurs problèmes
Elior Services à Marseille, est un syndicat de lutte, pourraient se résoudre grâce à la directive, adoptée en
très peu friand des salons de négociation, une stratégie juillet 2019, sur la transparence et la prévisibilité
plutôt payante dans le secteur du nettoyage. des conditions de travail, notamment pour les salariés
les plus précaires, dit « non standards ». Pour la
Commission, le plus gros problème, c’est que ces
règles ne sont pas suffisamment claires. La direction
de l’emploi a également promis de constituer un
groupe de travail sur la directive présentée par les
femmes de chambre.
Une réponse très en deçà des attentes de la petite
délégation. « Leur posture était surtout de se
Claudia Turbet-Delof, ancienne femme de chambre, devenue
activiste au sein du syndicat United Voices of the World. © MG décharger du problème de la sous-traitance en nous
Enfin, le syndicat United Voices of the World, né conseillant de voir avec nos pays et nos inspections
en 2014 seulement, s’est illustré par une série de du travail comment faire respecter les conventions
batailles très rudes mais toutes gagnantes contre des collectives et le code du travail, relate Anna Davodeau.
institutions comme la London School of Economics, le On nous a dit aussi que la législation européenne
Daily Mail, Chanel ou encore la Bank of America. Le était la plus avancée du monde en termes de droit du
principe étant de syndiquer le plus possible tout en bas travail. Sauf que nous savons que la législation n’est
de l’échelle sociale, à savoir les travailleurs pauvres, le pas respectée. Bref, on se mord la queue. »
plus souvent d’origine étrangère, éventuellement sans Pas de quoi désespérer femmes de chambre et
papiers. « Moi-même, il y a dix ans, j’étais femme activistes, de Londres, Marseille ou Barcelone. L’idée
de chambre, et quand j’ai réclamé mon salaire, mon d’une plateforme internationale, pour mettre fin à la
employeur m’a demandé de coucher avec lui, rappelle sous-traitance, a émergé, avec un possible renfort des
Claudia Turbet-Delof, devenue depuis thérapiste et Allemands et des Belges. Une rencontre pourrait avoir
activiste à UNW. Je n’ai pas oublié combien on peut lieu à Londres sur ce thème en janvier prochain. « Si
être vulnérable. Notre mouvement est composé de gens on fait ce genre de voyage, c’est que nous y croyons, et
comme moi, investis à 200 %. Pour nous, la politique si on ne gagne pas demain, on gagnera après-demain,
ou le syndicalisme n’est pas un hobby. » explique Claudia Turbet-Delof. Les Kellys sont des
La foi en la capacité de l’Union européenne à faire guerrières et nous, nous sommes de très mauvaises
bouger les choses est donc toute relative. Mercredi perdantes. »
6 novembre 2019, les femmes de chambre venues à

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