ans l’article précédent [J 2 760] auquel le lecteur est invité à se reporter, ont
D été exposés :
— le principe de la méthode ;
— un certain nombre de définitions qui s’y rattachent ;
— une classification des systèmes d’extraction ;
— les principales contraintes imposées par l’exploitation industrielle de cette
technique.
Le présent document est centré sur la description des phénomènes physico-
chimiques qu’il convient de connaître et de maîtriser pour réaliser des sépara-
tions optimales par extraction liquide-liquide. En effet, bien que l'extraction
liquide-liquide puisse apparaître de prime abord comme une technique relative-
ment simple, les séparations qu'elle permet de réaliser, notamment à l'échelle
industrielle, sont en réalité le résultat de la conjonction d'un grand nombre de
phénomènes physico-chimiques. Le but de cette partie n'est pas de faire une
description détaillée de l'ensemble de ces phénomènes, mais de sensibiliser le
lecteur à leur existence et de montrer comment il est possible d'en tirer profit
pour optimiser un procédé industriel.
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Voir aussi les articles [P 1 425] du traité Analyse et Caractérisation et [J 6 630] et [J 2 780]
du traité Génie des procédés.
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ML n ⇔ ML n avec K D ( ML n ) = C ML ⁄ C ML n (5) H OH HO
n
O N OH N
où le surlignage se rapporte aux espèces en phase organique, CX
représente la concentration de chaque espèce X considérée et où C C
KD(HL), KD(MLn), Ka, Kd et β n sont les constantes d’équilibre expri-
mées en termes de concentrations. Pour certaines familles d’extrac-
tants telles que les β -dicétones (LIX® 54-100) ou les hydroxyoximes
(ACORGA® P50, LIX® 63, LIX® 860, etc.), on observe en plus des
équilibres précédents des réactions d’isomérisation. C9H19 C9H19
■ Ainsi, pour les β -dicétones (et plus généralement pour toutes les
Isomère (E, anti) Isomère (Z, syn)
cétones), on a un équilibre de tautomérisation caractérisé par la
constante K T = [forme énolique]/[forme carbonylée] (figure 1).
Dans les diluants organiques de faible constante diélectrique, les Figure 2 – Isomères (E, anti) et (Z, syn)
β -dicétones sont présentes majoritairement sous leur forme énoli- de la 2-hydroxy-5-nonylbenzophénone oxime
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Bien évidemment, les constantes K ex (m) et K ex (d) intègrent les Exemple : Par exemple, la valeur de la constante d’extraction du
constantes des équilibres (1) à (5) que l’écriture des équations (6) et cuivre(II) par la 2-hydroxy-5-nonylbenzophénone oxime est multipliée
(7) ne fait plus apparaître : par un facteur de l’ordre de 70 lorsqu'on passe du toluène à l'heptane
[73, 75, 76]. Plus surprenant, les valeurs des constantes d’extraction du
[ K D ( ML n ) ] ( K a) n β n scandium(III), du thulium(III) et de l’europium(III) par la 1,1-di-n-hexyl-3-
K ex( m ) = -------------------------------------------------------
- (9) diphénoxythiophosphorylthiourée sont divisées par un facteur voisin de
[ K D ( HL ) ] n
10 lorsqu’on passe du n-hexane au n-décane [77].
[ K D ( ML n ) ] ( K a) n β n ■ Influence de la longueur des chaînes alkyle
K ex( d ) = -------------------------------------------------------
n
- (10)
--- Pour ce qui est de l’influence de la longueur des chaînes alkyle, on
2
[ K D ( HL ) ] n ( K d) admet de façon intuitive que la solubilité d'un extractant en phase
aqueuse diminue et que son rapport de partage en faveur d'un
diluant organique augmente quand le nombre d'atomes de carbone
1.3.2.1.2 Influence de divers facteurs augmente. Outre l’application de la théorie des solutions régulières
sur les équations chimiques de Hildebrand et de ses variantes (voir paragraphe précédent) ou
encore de la thermodynamique de l’ordre mobile [78] à [80], diver-
Un examen rapide des équations (9) et (10) suggère que les
ses corrélations statistiques centrées sur des couples eau/diluant
valeurs des constantes Kex (m) et Kex (d) sont d'autant plus élevées,
particuliers (par exemple eau/1-octanol) permettent de prévoir la
et donc que l’extraction des cations Mn+ est d’autant plus efficace, valeur du rapport de partage d'un composé en fonction de sa struc-
que : ture chimique [81, 82]. Dans le cas d’une famille d'extractants mono-
i) la constante de formation βn du complexe MLn est grande. La mères acides HL répondant à la formule Cq H2q+1AH où AH désigne
première démarche pour mettre au point une méthode de sépara- la partie hydrophile de la molécule et Cq H2q+1 sa chaîne alkyle,
tion fortement sélective est de rechercher une configuration chimi- l'approche de Rekker permet d'estimer que le passage de la molé-
que, c’est-à-dire un groupement fonctionnel, conduisant à des cule Cq H2q+1AH à la molécule Cq+1H2q+3AH (accroissement de la
valeurs élevées de βn en faveur du cation Mn+ que l’on souhaite iso- longueur de la chaîne alkyle d'un groupement —CH2—) entraîne une
ler d’un mélange complexe et au contraire à des valeurs de (β ’)q augmentation de la valeur du logarithme décimal du rapport de par-
aussi voisines de zéro que possible vis-à-vis de l’ensemble des tage de 0,519 pour le système eau/octanol et 0,612 pour le système
autres cations (M’)q+ présents dans le système [70]. Le choix d’une eau/hydrocarbures aliphatiques [81]. En réalité, la valeur de l'incré-
telle configuration chimique et de son environnement peut être ment ∆ lg KD associé à l’adjonction d'un groupement —CH2— sup-
aujourd’hui grandement facilité par l’emploi des techniques de plémentaire diminue sensiblement lorsque q atteint des valeurs
modélisation moléculaire [27] à [31]. élevées (> 8), probablement en raison du repliement des chaînes
alkyle [83]. Comme le nombre d’atomes de carbone q des chaînes
ii) la valeur de Ka est grande, c’est-à-dire que la molécule HL alkyle et leur degré de ramification jouent à la fois sur KD (HL) et
est acide. Pour un type de molécule donné (par exemple acides KD (MLn), on peut penser que ces deux paramètres ont globalement
dialkyl phosphoriques (RO)(R'O)P(=O)OH, dialkyl phosphoniques une influence réduite sur l’efficacité de l'extraction des cations
R(R'O)P(=O)OH, dialkyl phosphiniques RR'P(=O)OH, etc.), la valeur métalliques (c'est-à-dire sur Kex), dès lors que q est assez grand.
de la constante de dissociation acide peut être modifiée en jouant Enfin, signalons que la longueur des chaînes alkyle semble aussi
sur la nature des substituants R et R'. Ainsi, l’acide bis(octylphényl) jouer très légèrement sur la valeur de la constante de dimérisation
phosphorique (DOPPA) est nettement plus acide que l’acide bis(2- Kd [84].
éthylhexyl) phosphorique (HDEHP) [71]. Il existe un certain nombre
de corrélations telles que les relations de Hammett et de Taft per- En fait, les grandeurs qui figurent dans les équations (9) et (10)
mettant de prévoir la valeur de Ka au sein d’une famille de compo- dépendent elles-mêmes de nombreuses interactions inter et intra-
sés homologues donnée [72]. moléculaires et sont peu ou prou corrélées, et c’est précisément ce
qui rend difficile le développement d’outils permettant de prévoir
iii) la valeur de KD(MLn) est grande et celle de KD(HL) est petite. En quantitativement les propriétés thermodynamiques des systèmes
fait ces deux constantes ne sont pas intrinsèquement indépendan- d’extraction à partir d’une base restreinte de données [85].
tes et les deux conditions précédentes sont contradictoires. Remar-
quons que d’un point de vue pratique, on a intérêt à avoir une valeur
de KD(HL) aussi élevée que possible pour éviter les pertes de réactif 1.3.2.2 Identification des espèces extraites
par solubilité en phase aqueuse. Pour un type de molécule donné,
on peut modifier la valeur de KD(HL) en jouant à la fois sur la nature L’identification des espèces extraites constitue une étape impor-
du diluant organique et la longueur des chaînes alkyle de HL : tante de la modélisation des systèmes d'extraction avec interactions
chimiques. Plusieurs méthodes peuvent être mises en œuvre dans
■ Influence de la nature du diluant ce but. Les plus utilisées sont la Méthode de Job (encore appelée
En ce qui concerne l’influence de la nature du diluant organique, méthode des variations continues) [10, 86], la Méthode de l'analyse
son incidence peut jouer jusqu’à un facteur de l’ordre de 10 sur la des pentes (slope analysis technique) fondée sur une exploitation
valeur de KD(HL). Par exemple, le rapport de partage KD(HL) de la graphique des données de partage [25, p. 144] ; [75, 87], les Métho-
2-hydroxy-5-nonylbenzophénone oxime (LIX 65N) vaut 7,1 x 104 des d'analyse numériques des résultats de partage [11, 16, 88] et,
dans le système eau/toluène et seulement 9,1 x 103 dans le sys- enfin, les méthodes d’identification directe des espèces extraites par
tème eau/n-heptane, à 25 °C [73]. Un tel effet de la nature du des techniques physiques (spectroscopies variées, cryoscopie, etc.)
diluant peut être modélisé à l’aide de la théorie des solutions régu- [23].
lières de Hildebrand ou de modèles dérivés [6, p. 22] ; [25, p. 228] ; Il faut noter ici que, pour un système donné, le choix des condi-
[52] ; [54, vol. 6, p. 139 à 187] ; [74]. Pour ce qui est de la nature du tions expérimentales d’étude et celui de la méthode d’investigation
diluant sur la valeur des constantes d'extraction Kex (m) et Kex (d), ne sont pas toujours indifférents quant aux conclusions relatives à la
il faut noter que la variation de KD(HL) doit être pondérée par la nature des espèces extraites. De fait, lorsqu’un cation métallique
variation concomitante de la constante KD(MLn) (rapport de par- Mn+ peut être extrait en phase organique par formation de plusieurs
tage du complexe extrait) et, le cas échéant, de la constante Kd espèces, les conditions expérimentales choisies (par exemple un
(constante de dimérisation de HL). Globalement, la nature du large excès d'extractant par rapport au métal, comme c’est généra-
diluant peut avoir une influence significative sur l’efficacité de lement le cas quand on procède par la méthode de l'analyse des
l’extraction de cations métalliques et, par voie de conséquence, sur pentes) peut favoriser la formation de l’un ou l’autre des complexes.
la sélectivité de leur séparation, et cela même au sein d’une famille De même, une analyse numérique des résultats peut être faussée
homologue de diluants [73] [75] à [77]. par une mauvaise prise en compte des écarts à l'idéalité (§ 1.3.2.3).
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Exemple : Le cas de l’extraction du zinc(II) par l’acide bis(2-éthyl- La notion de coefficient d'activité a été introduite afin de quantifier
hexyl)phosphorique (noté ici HL) qui a été choisi comme système de l’effet de milieu et d’utiliser dans le cas des solutions réelles le
référence pour tester et comparer l’efficacité des équipements en même formalisme que pour les solutions infiniment diluées (ou
extraction liquide-liquide est représentatif de cette situation. Ainsi, idéales). Le coefficient d’activité d'un constituant i est un coefficient
Kunzmann et al. [16] ont attribué l'extraction du zinc à la formation de de proportionnalité entre l’activité ai de i et sa concentration en solu-
ZnL2(HL)2, Zn2L4(HL)2, Zn4L8(HL)2 et Zn8L16(HL)2, tandis que, la même tion. Selon l’échelle choisie pour exprimer les concentrations, on a :
année, Bart et al. [89] l’expliquaient par la formation du complexe mi
ZnL2(HL)2, avant de pencher, un peu plus tard, pour la formation quasi — à l’échelle molale : a i = γ i -------θ- avec m θ = 1 mol.kg–1,
exclusive de ZnL2(HL) [90]. m
Ci
1.3.2.3 Notion de coefficient d’activité — à l’échelle molaire : a i = y i ------θ avec C θ = 1 mol.L–1,
et principaux modèles permettant leur calcul C
pour des électrolytes en solutions aqueuses
— à l’échelle fraction molaire : a i = f i x i
Les solutions aqueuses que l’on rencontre dans les procédés
hydrométallurgiques sont presque toujours des solutions à plu- où mi, Ci et xi désignent respectivement les concentrations molale et
sieurs constituants. De plus, ces constituants sont à des concentra- molaire et la fraction molaire du constituant i. γ i , yi et fi sont appe-
tions telles que la solution ne peut plus être considérée comme lés respectivement coefficients d’activité molal, molaire et rationnel
« infiniment diluée ». Dès lors, les activités thermodynamiques de du constituant i. Pour les solutés, on utilise le plus souvent les échel-
ces constituants ne peuvent plus être assimilées aux concentrations. les molaire et molale et on choisit comme état standard l’état d’une
Cela signifie que, pour un composé i s’engageant dans une réaction solution infiniment diluée où les coefficients d’activité γ i et yi
donnée, le déroulement de la réaction ne dépend pas uniquement valent 1.
de la concentration de ce composé, mais aussi des interactions qu’il Outre les mesures directes d’activité et leur exploitation [91, 92],
partage avec son milieu environnant. On dit souvent qu’à « l’effet de de nombreux modèles physico-chimiques ont été développés pour
masse » se surimpose un « effet de milieu ». Dans certains cas, exprimer les coefficients d'activité en fonction de paramètres carac-
l’effet de milieu peut être extrêmement important et influencer for- téristiques du milieu. Schématiquement, on peut distinguer les deux
tement la distribution d'un soluté (on parle de phénomène de relar- types d’approches présentées ci-dessous.
gage).
a) Modèles fondés sur une description des interactions en solu-
Exemple : Par exemple, l’extraction du cuivre(II) par l’ACORGA® tion
CLX50 (une pyridine disubstituée) et celle du zinc(II) par l’ACORGA®
ZNX50 (un bibenzimidazole substitué) en milieu chlorure sont forte- Différents modèles visent à reconstruire des coefficients d’activité
ment exaltées par l’adjonction de sels « indifférents » en phase en prenant en compte un certain nombre d’interactions au sein des
aqueuse (figure 3) [11, 12]. solutions aqueuses considérées. Les modèles les plus sollicités
actuellement sont ceux de Pitzer [93], de Bromley [94], de Meissner
[95], les modèles fondés sur la composition locale tels que les
modèles NRTL, UNIQUAC et UNIFAC [96, 97], le modèle MSA
(modèle d'approximation sphérique) [98] et enfin les modèles dits
Zinc extrait (%) d’« Equation d'état » [99]. Parmi tous ces modèles, celui de Pitzer est
80 encore le plus fiable, et donc le plus utilisé. De plus, c’est celui pour
lequel on dispose aujourd’hui du plus grand nombre de valeurs de
paramètres de modélisation, couvrant ainsi une gamme variée
d’électrolytes. Certains des modèles évoqués ci-dessus ont été utili-
60 sés pour décrire les propriétés de la partie aqueuse de divers systè-
mes d'extraction [88, 90] [100] à [105]. Pour ce qui est du
(1)
comportement de la partie organique de ces systèmes, on notera
que les traitements de Hildebrand-Scott ou Scatchard-Hildebrand
40 [88, 90, 100, 101, 105] ainsi que la théorie de la mécanique statisti-
que [106] ont été parfois utilisés.
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dépend que de l’activité d'eau dans le système. Cela se traduit L’adsorption de molécules amphiphiles à une interface liquide-
mathématiquement par la relation suivante [7, 8, 107] : liquide provoque entre autres un abaissement plus ou moins impor-
tant de la tension interfaciale, notée γ et exprimée en mN.m–1 (sys-
γ i = γ i* exp [ h i* ( 1 Ð a H2 O) ] (12) tème SI) ou en dyne.cm–1 (système CGS). Nous rappelons que pour
augmenter l’aire a d'une interface d’une valeur (∆a) int, il faut fournir
où γ i* représente le coefficient d’activité de l’espèce i dans la même au minimum une quantité d’énergie égale à W min = γ (∆a) int. Cette
phase organique (c’est-à-dire même diluant et même concentration quantité d’énergie est donc d’autant plus faible que la valeur de la
de i ), mais en équilibre avec de l’eau pure (c’est-à-dire a H2 O = 1 ) et tension interfaciale est elle-même faible. Cela signifie que l’adsorp-
h i* rend compte de l’hydratation de l’espèce i pour une activité
tion de molécules amphiphiles rend plus facile la dispersion d’une
d’eau égale à 1 ( a H2 O = 1 ). Les relations (11) et (12) suggèrent que
l’on peut rendre compte globalement des effets de milieu à l’aide phase dans l'autre.
des trois paramètres suivants :
Exemple : À titre d'exemple, la variation de la tension interfaciale à
— l’activité d’eau a H2 O ; l’interface HCl 1 M/n-décane est représentée sur la figure 4, dans le
— la concentration totale σ des espèces ioniques et moléculaires cas de l’acide dinonylnaphtalène sulfonique (HDNNS), à 25 °C.
en phase aqueuse ;
— la composition de la phase organique.
C. Poitrenaud et al. [7, 8, 108] ont beaucoup contribué au dévelop-
pement et à l’utilisation de la théorie des solutions simples et ont
montré sa validité et son intérêt en s'appuyant sur de nombreux sys-
tèmes d’extraction. Une telle approche a été récemment mise en 60
Voir aussi [J 1 029] dans le traité Génie des procédés. Région I : le HDNNS est trop dilué pour pouvoir s’adsorber
(Γ HDNNS = 0).
Les molécules d’extractants utilisées dans le domaine de l’hydro-
Région II : le HDNNS s’adsorbe et finit par saturer l’interface
métallurgie possèdent typiquement une tête hydrophile et une par-
tie hydrophobe. Une telle structure confère à ces molécules des (Γ HDNNS augmente jusqu’à une valeur constante).
propriétés amphiphiles et par suite une tendance plus ou moins Région III : l’interface est saturée (la courbe γ = f (lg C ) est assimilable
marquée à s’adsorber aux interfaces liquide-liquide. Nous précisons à une portion de droite), mais l’augmentation de la
que l’on appelle ici « interface » la surface mathématique au niveau concentration du HDNNS en solution est encore favorable
de laquelle les propriétés physico-chimiques du système biphasé à une expansion de l’interface (c’est-à-dire qu’il faut fournir
présentent la plus forte discontinuité. Cette notion d’interface rame- un travail de plus en plus faible pour accroître l’aire de
née à une surface d’épaisseur nulle est utile sur le plan du forma- l’interface, d’où une diminution de γ bien que
lisme, mais il est clair que les variations des propriétés physico- Γ
chimiques se produisent en réalité dans une zone de faible épais- HDNNS = Cte).
Région IV : l’augmentation de la concentration en HDNNS conduit à la
seur (jusqu’à quelques nanomètres) s’étendant de part et d’autre de
la surface mathématique définie ci-dessus. En tout état de cause, la
zone interfaciale doit être considérée comme une région ayant un
niveau élevé d'organisation, y compris pour les molécules d’eau s’y Figure 4 – Effet de la concentration totale en HDNNS sur la tension
trouvant [111]. interfaciale à l’interface n-décane/HCl 0,1 M à 25 °C [13]
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Les mesures de tension interfaciale permettent de remonter aux les conditions de concentration dans lesquelles on les utilise habi-
concentrations interfaciales et par suite à la composition chimique tuellement en hydrométallurgie.A vrai dire, les situations réelles
et, en partie, à la structure de l’interface. Les méthodes le plus com- sont plus complexes, notamment en raison de la présence souvent
munément utilisées pour mesurer la tension interfaciales sont la fréquente de modificateurs. Ainsi, l’isodécanol ou le nonylphénol,
méthode de l’anneau de Du Noüy, la méthode de la plaque de couramment utilisés comme modificateurs de phase, ont une affi-
Wilhelmy, la méthode du volume (ou du poids) de la goutte, la nité relativement marquée pour les interfaces liquide-liquide. Cette
méthode de la goutte pendante et la méthode de la goutte tournante propriété, ainsi que leur tendance à former des associations avec les
[19, p. 147] ; [112, p. 42] ; [113] à [118]. Pour ce qui est des systèmes extractants au sein des phases organiques, font que de tels modifi-
liquide-liquide rencontrés en hydrométallurgie, l’exploitation des cateurs sont peu ou prou capables d’exclure les molécules d’extrac-
mesures de tension interfaciale s’appuie généralement sur l’équa- tant des interfaces liquide-liquide [13, 122, 123, 124] et par suite
tion de Gibbs donnée ci-dessous [13] [19, p. 149] ; [119] ; [120, p. d’avoir un effet négatif sur la cinétique d’extraction des cations
66] ; [121, 122] : métalliques [125].
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Tableau 1 – Propriétés de quelques réactifs d’extraction (extractants et modificateurs) à diverses interfaces liquide-liquide
C sat = concentration minimale du soluté en solution conduisant à la saturation de l’interface
Γ ∞ = concentration interfaciale du soluté à saturation
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2.2 Acquisition des données cinétiques — Le transfert de masses ne fait pas intervenir de réactions chimi-
ques ou, lorsqu’il y a réactions chimiques, ces dernières sont extrê-
mement rapides, de sorte que c’est uniquement la diffusion qui
Un grand nombre de méthodes ont été imaginées pour mesurer limite : on est alors en régime de diffusion pure.
les vitesses et les coefficients cinétiques de transfert d’un soluté — Inversement, quand les réactions chimiques sont suffisam-
entre deux phases [3, p. 180 à 190] ; [25, p. 157 à 207] ; [52, 133, 136]. ment lentes, la diffusion n’intervient plus et on dit que le système est
Parmi celles-ci, on peut distinguer deux grandes catégories, à savoir en régime cinétique pur (il serait plus correct de parler de régime
les méthodes dans lesquelles la turbulence et la dispersion des pha- chimique pur).
ses sont faibles et où l’on cherche à opérer avec une aire d’interface — Enfin, on peut se trouver face à une situation plus complexe
liquide-liquide constante ou, tout au moins, dont la variation est dans laquelle les vitesses de diffusion et celles des réactions chimi-
bien contrôlée et les méthodes caractérisées à la fois par une forte ques sont du même ordre : c’est le régime mixte.
turbulence et une forte dispersion des phases, mais pour lesquelles Comme la distinction précédente repose sur la comparaison des
il n’y a pas de contrôle de l’aire interfaciale ou un contrôle très valeurs relatives des vitesses des réactions chimiques et des vites-
approximatif. ses de diffusion et que ces dernières sont étroitement liées aux
■ Dans la catégorie des méthodes à aire d'interface contrôlée, on caractéristiques de l’extracteur utilisé, la nature du régime observé
peut citer principalement : dépend le plus souvent de la méthode d’étude employée.
— les méthodes mettant en jeu des appareils à aire interfaciale Sur le plan expérimental, l’identification du type de régime et, le
constante, telles que la cellule de Lewis et ses variantes [137], la cel- cas échéant, la localisation des étapes chimiques limitantes s’effec-
lule à flux laminaire [138], la cellule de diffusion rotative [139] ou tuent en examinant l’influence de la vitesse d’agitation, du volume
encore la cellule rotative stabilisée [140] dans lesquelles l'échange des phases et de l’aire de l’interface sur le flux de matière transférée.
est réalisé à travers une interface plane, immobile ou en rotation En général, une extraction se produisant en régime diffusionnel ou
dans son plan ; mixte est caractérisée par le fait que le flux de matière J (exprimé en
— la méthode dite de la goutte unique [133, 141, 142] qui consiste mol.m–2.s–1) augmente lorsqu’on augmente la vitesse d’agitation
à former des gouttes isolées de phase aqueuse ou de phase organi- des phases. Cela résulte d’une diminution de l’épaisseur des films
que à l’une des extrémités d’une colonne remplie de l’autre phase et de diffusion (figure 5). L’absence de variation en fonction de la
à mesurer le transfert de masses entre ces gouttes et l’autre phase vitesse d’agitation est souvent interprétée comme un critère indi-
qui est immobile, durant leur libre parcours descendant ou ascen- quant une limitation de nature chimique. De plus, pour une réaction
dant. En pratique, on cherche à s’affranchir des effets d’extrémités chimique limitante se produisant à l’interface ou localisée dans un
qui correspondent au transfert de masses se produisant durant la film adjacent à l’interface, on doit s’attendre à observer un flux de
formation des gouttes et après leur coalescence, juste avant qu’elles matière J indépendant de l’aire de l’interface et indépendant du
ne soient collectées, en opérant avec plusieurs colonnes de hau- volume des phases (ce qui signifie que la quantité de matière trans-
teurs différentes mais pour lesquelles les effets d’extrémités sont férée par unité de temps dQ/dt = aJ est proportionnelle à l’aire a de
identiques ; l’interface, mais est indépendante du volume des phases). Les critè-
— la méthode de la goutte croissante qui est la variante extrême res précédents n’ont pas une valeur absolue, dans la mesure où un
de la méthode précédente, puisque cette fois-ci on privilégie autant régime purement diffusionnel peut très bien simuler dans certaines
que faire se peut le transfert de masses durant la formation des conditions le comportement d’un régime cinétique et vice versa
gouttes [143]. [135]. Il faut donc être très prudent lorsqu’on interprète des données
cinétiques et ne pas hésiter à faire varier les paramètres expérimen-
■ En ce qui concerne les méthodes à forte dispersion, on recense taux (concentrations des réactifs, vitesse d’agitation, etc.) dans la
essentiellement les méthodes d’échange fondées sur l’emploi d’un gamme la plus étendue possible, mais aussi à s’appuyer sur des cri-
réacteur agité (ampoules à décanter au laboratoire et réservoirs à tères complémentaires. Par exemple, il est souvent utile de détermi-
agitation mécanique à l’atelier pilote) ou d’une turbine et les métho- ner l’énergie d’activation Ea du processus de transfert. Une valeur
des utilisant des contacteurs à temps de séjour très courts ajusta-
bles (quelques secondes) et à forte turbulence des liquides tels que élevée de Ea (> 40 kJ.mol–1) plaide en faveur d’une limitation de
les contacteurs centrifuges AKUFVE [61] ou à friction [144] dont une nature chimique, tandis qu’une valeur faible de l’énergie d’activa-
caractéristique intéressante est leur possibilité de simulation du tion (Ea < 20 kJ.mol–1) suggère fortement l’existence d’un régime
fonctionnement d’un extracteur en régime discontinu ou continu à diffusionnel, voire d’un régime mixte. Par ailleurs, outre la forme
contre-courant, à partir de solutions industrielles. Le principal obsta- mathématique de la loi cinétique, il peut être fort utile d’examiner de
cle à une exploitation rigoureuse des données cinétiques obtenues façon critique la valeur des coefficients cinétiques. En effet, dans
avec ce type de dispositifs est lié au fait que la valeur de l’aire inter- certaines conditions, l’hypothèse d’un régime diffusionnel et celle
faciale n’est généralement pas connue. En réalité, celle-ci peut être d’un régime cinétique peuvent conduire à des formes mathémati-
estimée dans certains cas en mesurant la concentration d’un soluté ques analogues pour la loi cinétique, mais certainement pas aux
tensioactif en solution, en présence et l’absence d’agitation. En effet, mêmes valeurs des coefficients qui figurent dans cette loi et qui ont
l’agitation crée de l’aire interfaciale, le soluté s’adsorbe et sa con- des significations totalement différentes selon le type de régime
centration en solution diminue [145]. Une telle diminution de con- considéré. Comme pour l’énergie d'activation, la comparaison des
centration permet de connaître la quantité de soluté adsorbé et, valeurs des coefficients cinétiques avec des ordres de grandeurs
moyennant la connaissance du comportement interfacial de ce der- publiés dans la littérature pour des processus du même type peut
nier et notamment de la valeur de sa concentration interfaciale à permettre de se prononcer en faveur de l'un ou l'autre des régimes
saturation Γ ∞ (§ 1.4), on arrive à remonter à la valeur de l’aire inter- envisagés.
faciale [145].
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lois cinétiques dans des cas concrets, le lecteur est invité à consulter
divers ouvrages et articles spécialisés [25, 52, 133, 134]. Contribution (%)
Dans les premières études portant sur l’extraction liquide-liquide
100
des cations métalliques par formation de complexes, les extractants (1)
utilisés étaient souvent des réactifs d’analyses ou des réactifs pro-
ches de ceux utilisés en analyse, c’est-à-dire des composés relative-
ment hydrophiles. Il ne faut donc pas s’étonner que les auteurs 75
arrivaient le plus souvent à la conclusion que l’étape limitante du
processus de transfert était de nature chimique et localisée au sein
de la phase aqueuse. 50
Exemple : Ainsi, dans le cas de l'extraction du zinc(II) par la dithi-
zone et la 2,2'-diméthyldithizone (notées HDz) selon la réaction globale
(13), 20
où l’indice « ad » se rapporte à des espèces adsorbées à l’interface ■ D’autres auteurs retiennent le caractère interfacial des réac-
et l’indice « int » à des espèces en solution, mais se trouvant au voi- tions d’extraction, mais prennent également en compte les phé-
sinage immédiat de l’interface. De façon générale, on est donc nomènes de transport. Ainsi, toujours pour l’extraction du
amené à distinguer cinq types de concentrations : la concentration cuivre(II) par la 2-hydroxy-5-nonylbenzophénone oxime (LIX® 65N),
des espèces dans le sein de la phase organique, la concentration des Lee et al. [150] penchent pour un mécanisme voisin de celui pro-
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Cu 2+ + HL ad ⇔ CuL+ad + H + k 1, k Ð 1 (20)
2.4 Accélération des transferts de masses
+
CuL ad + H 2 L 2 ⇔ CuL 2 + H + + HL ad k 2 , k Ð2 (21) en système liquide-liquide
où k1, k–1, k2 et k–2 représentent les constantes cinétiques aller et
retour. Les temps de montée à l’équilibre des systèmes liquide-liquide
peuvent varier de quelques fractions de seconde (cas des systèmes
J Cu 2+ = k Cu 2+ ( C Cu 2+ Ð C Cu 2+, int ) (22) acide nitrique-tributylphosphate) à plusieurs dizaines de minutes,
voire à plusieurs heures (cas de l’extraction du gallium(III) par le
J CuL 2 = Ð k CuL 2( C CuL Ð C CuL 2 , int ) (23) KELEX® 100 simplement dissous dans un diluant inerte). Ainsi, il est
2
parfois nécessaire de rechercher un moyen d’accélérer les transferts
de masses pour les rendre économiquement acceptables. Dans le
où C Cu 2+ , C Cu 2+, int , C CuL et C CuL 2 , int ont la signification donnée cas relativement fréquent où la cinétique du transfert de masse est
2
limitée par celle des séquences réactionnelles, plusieurs stratégies
sur la figure 7 et où k Cu 2+ et k CuL 2 désignent les coefficients volu-
peuvent être mises en œuvre [151]. Tout d’abord, dans la mesure où
miques de transfert exprimés en m.s–1. une famille d’extractants a été sélectionnée, c’est-à-dire que l’on a
retenu un groupement fonctionnel capable de réagir sélectivement
En fait, en exploitant des données expérimentales obtenues à
avec l’espèce à extraire, il convient de s’assurer que la partie hydro-
l’aide d’une cellule de Lewis modifiée et en discutant les valeurs des
phobe qui est associée à ce groupement fonctionnel confère les
coefficients volumiques de transfert, Lee et al. [150] arrivent à la
meilleures propriétés possibles à l’ensemble de la molécule
conclusion que l'extraction du cuivre(II) par LIX® 65N est globale-
d’extractant. Notamment, les groupements hydrophobes qui impo-
ment contrôlée par les séquences réactionnelles (20) et (21) et par le
sent la balance hydrophile/lipophile doivent rendre les molécules
transport des ions Cu2+ en phase aqueuse (équation (22)). Finale-
d’extractant suffisamment peu solubles en phase aqueuse, mais ne
ment, la loi cinétique qui rend compte de l'ensemble des résultats
pas entraver leur accessibilité à l’interface qui est le lieu privilégié de
expérimentaux, aussi bien à l’extraction qu’à la désextraction est
leur rencontre avec les ions métalliques à extraire, ni engendrer des
donnée par la relation (24) :
gênes stériques pouvant inhiber la formation des complexes avec
ces derniers.
k 1 k 2 C H L Γ HL C Cu 2+ Ð k Ð1 k Ð2 C CuL ( C H + ) 2 Γ HL
2 2 2
J Cu = k Cu 2+ ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
- (24) Exemple : Par exemple, dans le cas de l’extraction du palladium(II)
k 1 k 2 C H L Γ HL + k Cu 2+ k 2 C H L + k Cu 2+ k Ð1 C H + par les sulfures de dialkyle en milieu acide chlorhydrique, on montre
2 2 2 2
que l’emploi d’un réactif fortement dissymétrique tel que le sulfure de
On observera avec intérêt que l’équation (24) permet de retrouver n-dodécyle et de méthyle (n—C12H25—S—CH3) conduit à des extrac-
une équation proche de l’équation (19) pour la réaction aller tions nettement plus rapides que l’utilisation d’un réactif symétrique tel
lorsqu’on considère, comme Szymanowski et al., que le régime est que le sulfure de di-n-hexyle ((n—C6H13)—S—(n—C6H13)) [151].
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Si, après avoir optimisé la molécule d’extractant, le transfert de 2.4.2 Utilisation d’un solvant d’extraction
masse est encore lent pour des raisons chimiques, on peut chercher ayant la structure d’une microémulsion
à produire un phénomène catalytique par ajout d’additifs variés,
soit (de préférence) en phase organique, soit en phase aqueuse.
Enfin, si la recherche d’un système catalytique s’avère infructueuse,
on peut s’orienter vers l’utilisation de phases organiques ayant la C’est le cas de l’extraction du gallium(III) par le KELEX® 100 en
structure d’une microémulsion, en vue de développer de l’aire milieu alcalin.
interfaciale. Ces deux derniers aspects de la question sont présentés Actuellement, le gallium est essentiellement un sous-produit du
succinctement ci-dessous. procédé Bayer de production de l’aluminium. Plus précisément, le
gallium se trouve sous forme de gallium(III) à une concentration de
0,1 à 0,3 g.L–1 dans une solution dite « solution Bayer » contenant
3,5 M d’hydroxyde de sodium et 1,5 M d'aluminate de sodium.
2.4.1 Catalyse des réactions d’extraction Rhône Poulenc a mis au point un procédé permettant de récupérer
ce gallium, sans altérer la solution d’aluminate de sodium [20]. Ce
procédé est fondé sur l’extraction liquide-liquide du gallium(III) par
Un additif est fréquemment utilisé pour améliorer la cinétique le KELEX® 100 (noté HL) selon la réaction suivante :
des réactions d’extraction des cations métalliques [19, p. 243] ; [52,
p. 857] ; [152]. Le cas le plus connu est l’addition de faibles quanti- Ð
tés de LIX® 63 (une α-hydroxyoxime aliphatique) au LIX® 65N (une Ga ( OH ) 4 + 3 HL ⇔ GaL 3 + OH Ð + 3 H 2 O
β-hydroxyoxime aromatique), ce qui augmente fortement la vitesse
d’extraction du cuivre. Généralement, les additifs peuvent être Bien que très satisfaisante d’un point de vue thermodynamique,
considérés comme des catalyseurs, en ce sens qu’ils n’entrent pas l’extraction par une phase organique kérosène-alcool lourd (octanol,
dans la formule du complexe final extrait. De façon simplifiée, la décanol, etc.)-KELEX® 100 est très lente (il faut plusieurs heures
catalyse de transfert de phase peut résulter : pour atteindre l’équilibre). Par contre, l’addition d’acides carboxyli-
— d’une solubilité de l’additif en phase aqueuse plus grande que ques à longues chaînes RCOOH (typiquement acide VERSATIC® 10)
celle de l’extractant principal ; rend l’extraction du gallium rapide (équilibre atteint en quelques
— d’une plus grande activité interfaciale de l’additif ; minutes) et donc exploitable industriellement. Un tel effet provient
— d’une interaction entre l’additif et l’extractant ; du fait que les acides carboxyliques qui existent en réalité sous la
— d’un phénomène de catalyse micellaire dans le cas où l’additif forme de leurs sels de sodium permettent à la phase organique
est très tensioactif. d’acquérir la structure d’une microémulsion [153, 154].
O X
X X
O O
O Microgouttelette
O X X X de phase aqueuse X X
2
MLn M O (eau dispersée)
O O O
X OX Eau
X
X X
O X O M
1 Phase microémulsion O M
X O O
M X X OX O X
O Huile X
X M X O X O
X O O
X O X Interface
O X O X O X X O
microscopique
Interface microscopique où
1 2 sont adsorbées entre autres
Phase aqueuse
continue (excès d’eau) des molécules d’extractant
M capables de réagir
avec les ions du métal M
L'extraction du métal M par la voie (2) (voie microémulsion) est beaucoup plus rapide que par la voie (1) (voie interfaciale classique) car, d'une part, il y a
un échange rapide, notamment en ce qui concerne les ions du métal M, entre la phase aqueuse continue (solution d'alimentation) et les cœurs aqueux des
microgouttelettes d'eau constitutives de la phase microémulsion (eau dispersée) et, d'autre part, l'ensemble des coquilles de ces microgouttelettes d'eau
constitue une interface eau/huile supplémentaire au niveau de laquelle les ions du métal M réagissent aussi avec les molécules d'extractant.
Le point clé est que cette dernière interface a une aire gigantesque (typiquement 102 à 103 fois supérieure à celle de l'interface macroscopique relative à
une émulsion conventionnelle) : aire totale de l'interface microscopique >> aire de l'interface macroscopique
Figure 8 – Représentation schématique d’une phase microémulsion eau dans huile en présence d’un excès d’eau
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Les microémulsions sont des mélanges complexes d’espèces système correctement formulé, l’utilisation de phases organiques
hydrophiles et hydrophobes. Leur composition typique est : hydro- ayant la structure d’une microémulsion n’impose aucune condition
carbure + eau + tensioactif + alcool. Dans certains domaines de particulière sur le plan de la mise en œuvre, si ce n’est le lavage de
concentrations, on obtient une phase unique en mélangeant les ces phases avant désextraction. Un tel lavage est recommandé pour
quatre constituants précédents. Cette phase est limpide et stable (au éliminer les métaux simplement dissous dans l’eau de la microémul-
sens thermodynamique). Elle se forme sans apport d’énergie et, en sion (par exemple Al) et par conséquent présents en phase organi-
particulier, sans agitation. Le mot « microémulsion » est donc, de ce que sans être complexés par l’extractant (en l’absence de lavage,
point de vue, mal choisi pour les qualifier. A l’échelle microscopi- cette présence parasite diminuerait d’autant la sélectivité de la sépa-
que, une microémulsion est constituée de microgouttelettes d’eau ration).
dans l’hydrocarbure (ou inversement) de 4 à 100 nm environ de dia- Dans le cas particulier du gallium et du KELEX® 100, il est à
mètre, avec des molécules de tensioactif, d’alcool et le cas échéant remarquer que la désextraction s’effectue en milieu acide et qu’une
d’extractant à l’interface (ici respectivement les ions carboxylate telle réaction est rapide (équilibre atteint en quelques minutes). Le
RCOO–, les molécules d’alcool lourd R’OH et les molécules de passage en milieu acide fait que l’on retrouve la forme moléculaire
KELEX® 100, HL ou leur forme dissociée L–). Cette phase peut être RCOOH des acides carboxyliques. Comme cette dernière est beau-
en équilibre avec un excès d’hydrocarbure (système biphasé appelé coup moins tensioactive que les ions carboxylate RCOO–, elle se
« Windsor I »), un excès d’eau (système biphasé appelé retire de la coquille des microgouttelettes qui se trouvent ainsi dés-
« Windsor II ») (figure 8) ou à la fois avec un excès d’eau et d’hydro- tabilisées et se rompent, ce qui casse la structure microémulsion.
carbure (système triphasé appelé « Windsor III »). En pratique, seuls Finalement, les réactifs présents dans la coquille des microgoutte-
les systèmes constitués d’une phase microémulsion eau dans huile lettes (acide carboxylique, alcool lourd et KELEX® 100) se disper-
et d’un excès d'eau (Windsor II) ont un réel intérêt en extraction par sent dans le sein de la phase organique qui redevient une solution
solvant. organique classique et le reste tant que l’on se trouve en milieu
La caractéristique d’une structure microémulsion est d’offrir une acide, c’est-à-dire durant toute l’étape de désextraction (le fait de
aire interfaciale microscopique gigantesque (typiquement 105 m2.L–1) casser la structure microémulsion ne rend ni plus facile ni plus diffi-
et une vitesse d’échange élevée entre la phase continue (phase d’ali- cile la désextraction du gallium(III)). Par contre, lorsque la phase
mentation classique) et la phase aqueuse dispersée (phase aqueuse organique est épuisée en gallium et qu’on la remet en contact avec
se trouvant dans le cœur des microgouttelettes) [néanmoins, malgré la liqueur Bayer pour un nouveau cycle d’extraction, les ions car-
un tel échange, ces deux phases aqueuses n’ont pas exactement la boxylate RCOO– réapparaissent et la structure microémulsion se
même composition] [154]. De plus, certains auteurs pensent que les reforme spontanément. Ainsi, dans le procédé Rhône Poulenc
molécules d’extractant présentes dans la coquille des microgouttelet- d’extraction du gallium(III) contenu dans la liqueur Bayer, on forme
tes possèdent une pré-orientation et un excès de concentration favo- et on casse la structure microémulsion de la phase organique res-
rables à leur réaction avec les ions métalliques se trouvant dans le pectivement à chaque cycle d’extraction et de désextraction.
cœur aqueux des microgouttelettes en question. L’ensemble de ces L’utilisation de phases organiques ayant la structure d'une micro-
caractéristiques font que le transfert des cations métalliques selon la émulsion peut donc être considérée comme un moyen relativement
voie (2) (voie microémulsion) est souvent beaucoup plus rapide que simple et efficace pour accélérer des réactions d’extraction qui sont
par la voie (1) (voie interfaciale classique) (figure 8). Dans le cas d’un initialement très lentes et ainsi permettre leur exploitation.
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P
O
U
Extraction liquide-liquide R
E
par Gérard COTE
N
Ingénieur de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles
de Paris (ESPCI)
Docteur d’État ès sciences physiques
Directeur de recherche au CNRS
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