Introduction
La croissance économique peut être définie comme l’évolution à moyen et long
terme du produit total et surtout du produit par tête dans une économie donnée.
C’est un concept étroit et exclusivement quantitatif, auquel on préfère parfois le
concept beaucoup plus étendu de développement qui prend en compte les aspects
qualitatifs (humains, culturels, environnementaux,etc.) que l’approche quantita-
tive néglige par nature.
La croissance économique n’est pas un fait naturel ; c’est au contraire un évè-
nement historique exceptionnel, dont le début est récent : le dix-huitème siècle
pour la Grande-Bretagne ; le dix-neuvième pour quelques autres pays occiden-
taux : la France, l’Allemagne, les États-Unis, l’Italie ; le vingtième siècle pous
beaucoup d’autres, mais pas tous.
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LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE 2
1 La révolution industrielle
Un ensemble d’évolutions structurelles, dont certaines se sont produites sur
une durée de plusieurs siècles, permettent de rendre compte de la révolution indus-
trielle. Certaines d’entre elles ont un rôle causal ou déclencheur alors que d’autres
constituent simplement un environnement favorable.
Vu le grand nombre de ces mutations, il est peut-être futile de chercher à iden-
tifier une cause unique de la révolution industrielle.
On regroupe ici ces différents éléments dans les rubriques suivantes : éléments
moraux, institutionnels, techniques, économiques.
Une multiplicité de facteurs explicatifs Il est facile de concevoir que ces dif-
férentes causalités se renforcent mutuellement. Le progrès technique est possible
grâce à l’essor de la propriété ; l’épargne est rendue plus attractive par les pers-
LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE 7
pectives de profit créées par l’innovation, mais aussi par l’évolution de la morale
qui admet l’enrichissement, etc.
À la suite de la première révolution industrielle, qu’on associe facilement à la
machine à vapeur puis au chemin de fer, on verra la croissance due à l’électricité,
celle de l’automobile, celle des "nouvelles technologies" : le facteur innovation
est bien primordial.
Yr = F (K, L)
où Yr est le revenu national réel (en volume), K est le stock total de capital et
L la main d’œuvre (population active). Cette fonction a les mêmes propriétés
que celles qu’on a définies pour les fonctions des firmes ; en particulier elle peut
connaître divers types de rendements : décroissants, constants ou croissants ; le
capital et le travail peuvent être complémentaires ou substituables, etc.
constants) ; l’augmentation du revenu par tête, quant à elle, n’est possible que si
la productivité des facteurs est croissante, ce qui implique des rendements crois-
sants. Cependant, on a pu montrer que l’équilibre macroéconomique nécessite
une fonction de production à rendements constants : c’est la "loi de l’épuisement
du produit" : les revenus sont égaux à la production (c’est-à-dire qu’il peuvent
l’acheter, mais ne pourraient pas acheter plus) s’il y a des rendements constants.
Il apparaît donc nécessaire d’introduire un facteur particulier pour expliquer la
croissance du produit par tête, tout en conservant des rendements constants. C’est
ce que permet la formulation due à Solow, dans laquelle la fonction de production
a la forme suivante :
Yr = AF (K, L)
La variable A désigne un facteur de glissement technologique, qui résume l’in-
fluence du changement technologique, explication de l’évolution de la produc-
tivité ; elle est appelée productivité globale des facteurs. À chaque fois que le
progrès technique se manifeste, le facteur A subit une augmentation.
Soit une variation du revenu national, ∆Yr ; elle peut se décomposer de la
manière suivante :
∆F ∆F
∆Yr = ∆AF (K, L) + A ∆K + A ∆L
∆K ∆L
Yr ∆Yr ∆Yr
∆Yr = ∆A + ∆K + ∆L
A ∆K ∆L
Yr
∆Yr = ∆A + P mK ∆K + P mL ∆L
A
Yr
On passe de la première à la seconde ligne en remplaçant F () par , et de la
A
seconde à la troisième en notant P mK et P mL les productivités marginales du
capital et du travail. À l’équilibre, ces productivités marginales sont égales au
rémunérations des facteurs (c’est-à-dire aux prix réels du capital et du travail), r
et w ; on a donc :
∆A
∆Yr = Yr + r∆K + w∆L
A
En divisant cette expression par Yr , on obtient le taux de croissance de l’économie
g:
∆Yr ∆A Yr r∆K K w∆L L
= + +
Yr A Yr Yr K Yr L
∆A ∆K rK ∆L wL
g = + +
A K Yr L Yr
g = Ȧ + χK̇ + λL̇
LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE 9
Yr = AK α L1−α
une explication peu convaincante, car ses effets n’auraient pas dû se pro-
longer dans les années 80, quand le prix réel du pétrole a repris un cours
"normal".
Le rôle des services est un meilleur candidat : la transition d’une production es-
sentiellement industrielle à une production de plus en plus axée sur les ser-
vices, secteur dans lequel le taux de progrès technique est moins rapide, peut
constituer une bonne explication de l’évolution du rythme de progrès tech-
nique global ; la productivité de l’industrie a d’ailleurs continué à croître
plus rapidement que dans le reste de l’économie.
La baisse des dépenses de recherche-développement qu’on a constatée à la fin
des années 70 constitue certainement un autre élément d’explication.
le caractère exceptionnel du rythme de progrès des trente glorieuses peut lui
aussi expliquer, comme un retour à une situation plus normale, le tassement
des années qui ont suivi ; les années 1945-73 sont des années de reconstruc-
tion et de rattrapage provoquées par le choc de la seconde guerre mondiale ;
cette théorie n’explique cependant pas le retour à une croissance très forte
de la productivité globale dans les années 90.
Les nouvelles technologies (informatique et communication) sont parfois para-
doxalement désignées comme responsables du ralentissement ; leur adop-
tion aurait ralenti la croissance, mais pour mieux l’accélérer par la suite.
Chez Romer, la productivité globale des facteurs A est appelée "stock d’idées"
et la fonction de production est formulée ainsi :
Yr = K α (ALY )1−α
Cette fonction a des rendements constants si on ne considère que les facteurs tradi-
tionnels, mais en incluant l’évolution du stock d’idées, les rendements deviennent
croissants4 .
La production d’idées dépend du nombre de personnes LA travaillant à la
recherche-développement :
∆A = κLA
κ est le taux de découverte de nouvelles idées - pas nécessairement une constante
- et la population active est divisée entre ceux qui produisent des biens et services
LY et ceux qui produisent des idées LA : L = LY + LA .
La théorie de la croissance endogène a alors comme tâche essentielle de com-
prendre les déterminants de κ
– Dépend-il du stock déjà accumulé de connaissances, et dans quel sens ? Une
hypothèse plausible est que plus les connaissances se sont accumulées, plus
il est facile d’en élaborer de nouvelles, mais l’hypothèse inverse se justifie
elle aussi, parce que les découvertes les plus faciles sont faites en premier.
– Une autre variable à considérer est le nombre de chercheurs ; si plusieurs
chercheurs ou groupes de chercheurs sont en concurrence en vue d’une
même découverte, cette concurrence pourra accélérer le taux de décou-
vertes.
À partir d’hypothèses concernant ces points on peut donc élaborer de très nom-
breux modèles de croissance endogène. Une caractéristique interessante de ces
modèles (d’une majorité d’entre eux en tous cas) est qu’ils montrent que, contrai-
rement à la croissance éxogène, la croissance endogène peut être aidée ou ac-
célérée par des politiques économiques adaptées, comme des subventions à la
recherche-développement (Romer démontre par exemple que le marché ne four-
nit pas des incitations suffisantes pour que le volume de recherche-développement
soit optimal).
– En effet, si chaque découverte supplémentaire rend plus facile les décou-
vertes suivantes, alors que chaque découvreur n’évalue la rentabilité de son
travail qu’en fonction des conséquences immédiates de son invention, il y a
une externalité positive ; cela signifie que les chercheurs doivent être incités
à produire plus d’inventions qu’ils ne font normalement. Il faut créer plus
d’incitations que ne le fait le marché, d’où le besoin de subventions.
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Augmentons K et LY de x%, le produit sera multiplié par un facteur 1 + x, c’est-à-dire une
augmentation proportionnelle ou des rendements constants ; mais augmentons K, LY et A de x%,
le produit sera multiplié par un facteur (1 + x)(1 + x)1−α , ce qui est plus que proportionnel,
impliquant des rendements croissants.
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C’est ce que fait par exemple la Commission Européenne en distribuant des aides de
recherche-développement cherche à promouvoir la coopération des équipes.