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Guillaume , l’essor des villes Face à ces questions, plusieurs ap- spécifiques et ses faibles coûts de pro-
Duteurtre est africaines a induit une trans- proches sont défendues par les acteurs duction. Enfin, pour les partisans du
chercheur au formation profonde du modèle du développement et les experts. Se- libéralisme, l’approvisionnement des
Cirad. Il était en alimentaire. Comme dans les autres lon la vision moderniste, la réponse à consommateurs urbains, au pouvoir
poste à l’Institut pays en développement, le secteur de la demande urbaine ne peut se faire d’achat limité, passe par un recours
sénégalais de l’élevage a été particulièrement touché qu’à travers une transformation ra- croissant aux importations de produits
recherches par ces recompositions : les viandes et dicale des systèmes de production et de base bon marché (viande congelée,
agricoles (Isra) à les produits laitiers sont en effet parmi des filières, sur le modèle de la révo- poudre de lait), quitte à ce que les pays
Dakar, de à les produits alimentaires dont la con- lution de l’élevage. Pour d’autres, au augmentent leur dépendance vis-à-vis
septembre . sommation augmente le plus rapide- contraire, l’élevage extensif est sus- du marché international.
Depuis, il travaille ment avec le niveau de vie. Le déve- ceptible de répondre à des « signaux
au Rural loppement urbain a ainsi induit une de marchés », et d’améliorer sa con- Les trois facettes du développement
Development demande nouvelle en produits laitiers tribution à l’approvisionnement des des marchés animaux en Afrique de
Center (Rudec) à et carnés. Les commerces des grandes villes, tout en valorisant ses ressources l’Ouest. Au-delà de ces débats, il sem-
Hanoi (Vietnam). villes présentent aujourd’hui une mul-
titude de nouveaux produits comme les
sachets de poudre de lait, les yaourts,
les laits fermentés, les fromages, ou les
découpes de volaille, générant d’im-
portants débouchés pour l’élevage et
l’industrie agro-alimentaire. Dans la
restauration hors foyer, ces mutations
s’illustrent par l’essor des bars laitiers,
des dibiteries, des restaurants ou des
cantines.
12 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Évolution du secteur de l’élevage ouest africain LeForum
dossier
Grain de sel 13
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14 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Évolution du secteur de l’élevage ouest africain LeForum
dossier
L de produits
animaux représentent des
importations agroalimentaires des
Ces produits sont parmi les premiers
dont la consommation est réduite en
cas de difficulté économique au sein
duits animaux représentent un tiers des
protéines consommées dans le monde et
apportent des nutriments indispensables
pays de la Cedeao. Selon les don- des ménages. Longtemps, l’importa- (acides aminés essentiels, minéraux, vita-
nées commerciales de la FAO, les tion a été considérée comme moins mine A). Le petit élevage est fondamental
importations de produits laitiers et coûteuse que la production locale. La pour la sécurité alimentaire des familles
œufs sont passées de millions de crise des prix alimentaires a cependant paysannes (autoconsommation, revenus
dollars par an sur la période - montré la vulnérabilité induite par ce permettant l’achat de céréales) et son ali-
à millions de dollars sur la choix et les problèmes posés par l’ins- mentation permet de valoriser les restes
période -. Les importations tabilité des prix mondiaux. Or, cette ménagers et résidus de récolte. Enfin, ¹⁄
de viandes ont été multipliées par instabilité est appelée à croître avec des terres mondiales sont trop pauvres
sur la même période en passant de la libéralisation des politiques laitiè- pour des productions végétales mais leur
millions à plus de millions de res dans les grands pays et ensembles exploitation par l’élevage permet la survie
dollars. La viande bovine et les vo- régionaux producteurs et le recul des de populations démunies.
lailles représentent l’essentiel de ces mesures de régulation de ces marchés « L’élevage de ruminants serait la princi-
importations. qui jouent un rôle leader sur les prix pale source d’émissions de gaz à effet de
mondiaux. serre ». L’élevage se situe en troisième po-
Les choix en matière de modèle de sition après l’industrie et les transports,
laitiers est renchéri par la taxation des production sont tout aussi difficiles à avec une production de de ces gaz,
importations. Dans le même temps, les faire. Faut-il privilégier le renforcement essentiellement dans les élevages inten-
organisations de professionnels laitiers des systèmes de collecte de lait en zone sifs des pays développés et émergents. Par
militent et font pression pour mettre rurale, ou encourager le développement ailleurs, l’élevage permet de réduire l’uti-
en place un niveau de taxation suffi- des exploitations laitières intensives lisation d’engrais chimiques et constitue,
sant pour protéger les investissements en zones périurbaines ? pour les plus pauvres, une alternative du-
dans la filière locale et la rémunéra- rable à une mécanisation motorisée con-
tion des producteurs. Dans le cadre Une histoire de l’élevage et du marché sommatrice d’énergies fossiles.
de la négociation de l’APE, la région a qui reste à écrire. Finalement, l’his- « L’élevage de ruminants serait responsable
placé le lait dans les produits sensibles toire de l’élevage en Afrique de l’Ouest de surpâturage ». La concentration des
non libéralisés dans les échanges avec reste encore à écrire. Les phénomènes animaux dans les lieux de regroupement
l’Union européenne. Mais le débat reste de développement des marchés urbains peut générer localement un surpâturage,
entier sur la classification finale de ces sont relativement récents. Et la plupart mais l’élevage mobile constitue le mode
produits dans le nouveau Tec Cedeao des ajustements politiques sont encore de gestion le plus durable de parcours à
en cours de négociation. en négociation. La capacité de l’élevage faible capacité de charge. La transhumance
On touche ici la question des priori- africain à participer aux échanges mar- est même bénéfique pour les écosystèmes
tés politiques, qui constituent le troi- chands dépendra en grande partie de variés qu’elle fertilise et dont elle dissémine
sième point de débat. Dans le cadre des la faculté des acteurs et des décideurs les graines ; elle permet des transferts sai-
stratégies nationales de réduction de la à s’accorder sur des objectifs de déve- sonniers de charge.
pauvreté, les gouvernements d’Afrique loppement communs, sur des modè- « L’élevage pastoral sahélien serait un éle-
de l’Ouest et les partenaires au dévelop- les de développement respectueux des vage de contemplation ou à l’inverse un
pement ont affiché des priorités d’in- réalités locales. Les gouvernements en mode de capitalisation au bénéfice d’une
tervention et de régulation en faveur place devront rechercher une meilleure minorité ». Le cheptel sahélien constitue
des populations les plus vulnérables. cohérence entre politiques commercia- certes une forme de capitalisation, mais
Or, les arbitrages en matière commer- les et politiques sectorielles afin qu’elles la majeure partie du cheptel fait vivre les
ciale sont souvent difficiles : doit-on se complètent, plutôt que de s’oppo- populations pastorales. Il répond largement
ouvrir les marchés pour favoriser l’ap- ser. L’avenir de l’élevage en Afrique de à la demande locale et sous-régionale en
provisionnement des consommateurs l’Ouest dépendra aussi de la capacité viande, de manière compétitive.
urbains les plus pauvres en produits de la région à faire jouer les avantages
de base ? Ou bien faut-il protéger les comparatifs entre les zones et à exploi- Dr Ludovic Larbodiere et Isabelle Tourette-AVSF____
filières domestiques pour offrir des op- ter les complémentarités entre bassins
portunités de croissance aux secteurs de production et bassins de consom-
agricoles et agro-industriels locaux ? mation transnationaux. En Afrique de de processus globaux indéniables, sem-
Dans le cas du lait, et plus largement l’Ouest, les discours sur la révolution blent finalement bien loin des réalités
des produits animaux, qui influencent de l’élevage, bien que rendant compte de terrain. §
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nº 46-47 — mars – août 2009