Certaines de ces branches sont obligatoires, d'autres recommandées. Ibn Taymiyya écrit :
"Celui qui a délaissé (les actions obligatoires) n'aura pas apporté la foi complète
obligatoire" (Kitâb ul-îmân, p. 35). "La racine de la foi est ce qui se trouve dans le cœur.
Mais les actions apparentes sont inhérentes (lâzima) à cette foi" (p. 174). "La foi augmente
par les bonnes actions, diminue à cause des mauvaises" (p. 283). Par rapport à ce que à quoi
elles se rapportent, ces branches sont de deux types : celles qui concernent la spiritualité et
celles qui relèvent des actes visibles…
2.2.1) La spiritualité (les traits présents dans le cœur) (al-ihsân) :Le terme "foi" a parfois
aussi été employé dans le sens de "spiritualité", des "qualités morales et spirituelles", de tout
ce qui relève du "cœur". C'est dans ce sens que le Prophète (sur lui la paix) a employé le mot
"foi" lorsqu'il a dit : "La pureté est la moitié de la foi" (Muslim) (voir Hujjatullâh il-bâligha,
1/467). Le Prophète a encore dit qu'au moment de commettre certains actes interdits (kabâ'ïr),
l'homme n'avait pas la foi (rapporté par al-Bukhârî et Muslim) ; le Compagnon Ibn Abbâs
expliqua que ceci voulait dire que cet homme "n'avait pas en lui, au moment de commettre cet
acte, la lumière de la foi" (cité par al-Bukhârî, kitâb ul-hudûd). C'est bien dans ce sens que le
Compagnon Mu'âdh avait dit à son élève : "Asseyons-nous afin d'avoir la foi (nu'min) un
instant" (rapporté par Ibn Abî Shayba, cité par al-Bukhârî). Mu'âdh ne voulait assurément pas
inviter son élève à se mettre à croire pendant un instant, puisque croire est requis toujours et
partout ; il voulait l'inviter à se mettre à revivifier cette foi en pensant plus profondément à
Dieu pendant un instant. Un des sens du mot "foi" ("al-îmân") est donc "la proximité
spirituelle". Cet aspect que recouvre le terme "foi" a été exprimé dans certains Hadîths par le
terme plus particulier de "perfection dans l'adoration" : "al-ihsân" : il s'agit d' "adorer Dieu
comme si tu le voyais, car si tu ne le vois pas, Lui te voit" (al-Bukhârî et Muslim). Ibn
Taymiyya écrit quant à lui : "Il est erroné de penser que la foi n'est que croyance et
connaissance, avec lesquelles il n'y aurait ni action ni état ni mouvement, ni intention, ni
amour ni crainte révérentielle. Les actions du cœur – que les soufis appellent "états",
"stations", etc. – font partie de la foi : - une partie de ces actions du cœur a été rendue
obligatoire (fardh) par Dieu et Son Messager ; - une autre partie de ces actions du cœur est
recommandée (mustahabb) par Dieu, sans obligation. Chaque musulman et musulmane
doivent acquérir au moins la première partie pour être du nombre des Pieux, les Gens de la
Droite (al-ab'râr, as'hâb ul-yamîn). Quant à ceux qui acquièrent à la fois la première et la
deuxième partie, ils feront partie des Rapprochés Devanciers (al-muqarrabûn as-sâbiqûn)"
(Kitâb ul-îmân, p. 168).
Question :
Quelle est la différence entre "islâm" et "îmân" ? Tout "muslim" est-il aussi "mu'min" ou
certains ne le sont-ils pas ?
-
Réponse :
En fait il faut, pour répondre à cette question, distinguer plusieurs cas de figure quant à
l'utilisation de ces termes...
A) Lorsque les deux termes sont employés en coordination, alors ce que chacun d'eux
indique est totalement distinct de ce que l'autre indique (humâ mutabâyinân) :
C'est ainsi que, dans le Hadîthu Jibrîl, le Prophète a défini le islâm comme "le fait que tu
témoignes qu'il n'est pas de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est le Messager de
Dieu, que tu accomplisses la prière, que tu donnes la zakât, que tu jeûnes pendant le
ramadan, et que tu accomplisses le pèlerinage à la Maison si tu peux t'y rendre", alors qu'il y
a défini le îmân comme : "le fait que tu croies en Dieu, en Ses anges, en Ses Livres, en Ses
Envoyés, en le Jour dernier, et que tu croies en le destin, que le bien et le mal viennent de
Dieu".
Le fait est que le sens littéral de "îmân" est "le fait de croire" (at-tasdîq), tandis que celui de
"islâm" est "le fait de se conformer extérieurement" (al-istislâm wa-l-inqiyâd uz-zâhir) (cf.
Shar'h Muslim, an-Nawawî, 1/145, 148), et ces deux sens réapparaissent quand les deux
termes sont employés en coordination, l'un à côté de l'autre : ce que chacun désigne est alors
différent de ce que l'autre désigne. "Imân" renvoie alors aux croyances, qui sont intérieures et
expriment ce en quoi on croit, et "islâm" aux actions, qui sont extérieures et constituent
l'expression de sa soumission.
Ceci entraîne que tout "mu'min" est aussi "muslim", mais que tout "muslim" n'est pas
forcément "mu'min" (baynahumâ 'umûm wa khussûs mutlaqan) ; nous allons le voir en B.a,
ci-dessous...
-
B) Lorsque l'un ou l'autre de ces termes est employé seul :
Il y a alors deux cas : B.a et B.b…
B.a) Soit le terme est employé avec la nuance de son sens littéral : dans ce cas, ce que
désigne le terme "islâm" est distinct de ce que désigne le terme "îmân" (humâ mutabâyinân)
(comme en A, ci-dessus), de sorte que tout "mu'min" soit aussi "muslim", mais que tout
"muslim" ne soit pas forcément "mu'min" (baynahumâ 'umûm wa khussûs mutlaqan).
En effet, parfois, même employés seuls (donc hors cas A), les termes "islâm" et "îmân"
gardent ainsi une trace de leur sens littéral : la "îmân" est ce qui se trouve dans le cœur, tandis
que "islâm" fait référence à l'extérieur uniquement. Etant donné qu'on ne peut témoigner, à
propos d'un homme, que de ce qu'il dit et fait apparemment, et non de ce qui se trouve dans
son cœur, on peut donc témoigner que quelqu'un est "muslim", mais non du fait qu'il est
"mu'min". Le terme "mu'min" désigne donc celui qui croit parfaitement en son cœur. Mais le
terme "muslim", lui, n'est plus considéré que dans sa littéralité – celui qui, dans le regard des
hommes, est entré en islam – et non plus son sens complet – celui qui est véritablement en
islam, corps et cœur (sens que l'on va voir plus bas en B.b).
C'est une fois cette nuance assimilée que l'on pourra comprendre le propos suivant : le
Prophète privilégiait certaines personnes dans le partage de certaines recettes [d'après une
interprétation, il s'agissait du khums, et il y a la possibilité de partager celui-ci en fonction de
la maslaha] ; Sa'd ibn Abî Waqqâs, qui était présent, ne comprit pas que le Prophète donnait
en réalité à ceux qui étaient encore faibles dans leur foi, afin de gagner davantage leur cœur,
et crut que tous les musulmans y avaient droit ; ayant remarqué que le Prophète n'avait rien
donné à Ju'ayl, un musulman des premiers temps, il lui demanda pourquoi il ne lui donnait
rien, argumentant : "Je pense bien qu'il est mu'min". Le Prophète lui dit : "Ne dis pas
"mu'min", mais plutôt : "muslim"". Le même propos se répéta plusieurs fois entre Sa'd et le
Prophète. Puis ce dernier lui dit : "Sa'd, je donne à des personnes alors que ce sont d'autres
qui me sont plus chères, de crainte que les premières tombent dans la géhenne" (Fat'h ul-bârî
1/109). Ce qui nous intéresse ici est ce propos du Prophète : "Ne dis pas "mu'min", mais
plutôt : "muslim"" : on note que Sa'd n'avait pas utilisé les deux termes "mu'min" et "muslim"
côte à côte (comme dans le hadîth que nous avons vu en A, plus haut) : il n'avait employé que
le mot "mu'min" ; malgré tout le Prophète lui dit de ne pas utiliser le terme "mu'min" mais de
lui préférer le terme "muslim". Le premier est donc général, le second plus particulier : toute
personne véritablement "mu'min" est aussi qualifée de "muslim", tandis que certains
"muslims" ne sont pas qualifiés de "mu'mins", puisque soit ils ne croient pas du tout dans leur
cœur, soit leur foi n'est pas complète dans leur cœur (nous allons le voir ci-après).
Un verset du Coran dit : "Des bédouins ont dit : "Nous avons îmân". Dis(-leur) : "Vous n'avez
pas la îmân, mais dites (plutôt) : "Nous sommes en islâm". La îmân n'a pas encore pénétré
dans vos cœurs."" (Coran 49/14). Ici encore, les bédouins avaient employé le terme "îmân"
seul, et on n'est donc pas dans le cas A. Alors, que signifient ces versets qui disent à ces
bédouins qu'ils n'ont pas la îmân mais sont seulement en islâm : veulent-ils dire qu'ils sont des
Hypocrites, dont la conversion à l'islam n'est qu'apparente, ou signifient-ils autre chose ?
– Pour al-Bukhârî, ces bédouins étaient des Hypocrites, musulmans de l'extérieur seulement
et dont le coeur était dépourvu de foi (cf. Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-îmân, bâb n° 19) : le
verset leur a donc demandé de dire simplement : "Nous sommes en islâm". En effet, les
Hypocrites – considérés en tant que tels – sont nommés "muslims", mais ne sont pas
"mu'min" (cependant nous ne pouvons affirmer, à propos d'un musulman précis, que son cœur
est totalement dépourvu de la "îmân" tant qu'il n'exprime pas ceci par une parole ou par un
geste non équivoque). Ibn Taymiyya écrit : "Les ulémas sont d'accord à dire que le nom
"muslim" extérieur est attribué aux Hypocrites, car ils se sont soumis extérieurement et ont
effectué ce qu'ils ont effectué d'actions extérieures : prière, aumône, pèlerinage, effort ; cela
comme le Prophète leur appliquait les règles de l'islam extérieur. (Les ulémas) sont d'accord
à dire que celui (d'entre les Hypocrites) qui n'a rien de la "îmân" avec lui, il est comme l'a dit
Dieu le Très Haut : "Les Hypocrites seront dans le degré le plus bas du Feu"" (Majmû' ul-
fatâwâ 7/350). "(...) Même les Hypocrites qui cachent leur nifâq, les musulmans accompliront
sur eux la prière funéraire et ils recevront le bain funéraire (musulman) ; les règles
extérieures de l'islam auront cours sur eux, comme c'était le cas des Hypocrites à l'époque du
Messager de Dieu, sur lui soit la prière et la paix. Même s'(il est vrai que) celui qui connaît
d'une personne qu'elle est Hypocrite, il ne lui est permis d'accomplir la prière funéraire sur
elle, comme il a été interdit au Prophète d'accomplir la prière funéraire sur celui dont il
connaissait l'hypocrisie. Quant à celui dont on a des doutes quant à son état [réel], il est
permis d'accomplir la prière funéraire sur lui du moment qu'il est apparemment en islam,
comme le Prophète l'a accomplie sur celui à propos de qui cela ne lui avait pas été interdit et
dont il ne connaissait pas l'hypocrisie (...). Mais la prière funéraire accomplie par le
Prophète et les mu'min sur un Hypocrite ne servira à rien à celui-ci (...)" (Majmû' ul-fatâwâ
24/287-288).
– Pour Ibn Kathîr, par contre, les bédouins dont il est question dans le verset suscité
(49/14) "n'étaient pas des Hypocrites". Dès lors, puisqu'un autre verset dit des Hypocrites
qu'ils "... ont dit avec leur bouche : "Nous avons apporté foi", alors que leur cœur n'a pas
apporté foi..." (Coran 5/41), ces bédouins avaient réellement apporté foi. Mais ce que ce
verset 49/14 dit est que ces bédouins possédaient uniquement le minimum de foi dans leur
cœur et que la foi ne s'y était pas encore suffisamment développée et profondément enracinée
(cf. Tafsîr Ibn Kathîr). C'est cela dont il est question ici : "Vous n'avez pas la îmân" signifie :
"Vous n'avez pas encore la îmân complète", comme l'a d'ailleurs dit explicitement la suite du
verset : "La îmân n'a pas encore pénétré dans vos cœurs". On voit que, d'après cette
interprétation, le terme "îmân", employé de façon inconditionnelle (mutlaqan), désigne "la
îmân complète". Il s'agit d'un degré, et ces bédouins ne l'avaient pas encore atteint.
Ibn Taymiyya écrit ainsi de la posture de l'orthodoxie sunnite à propos du croyant qui fait des
péchés qu'elle "ne retire pas de façon inconditionnelle le nom [îmân] et ne l'attribuent pas de
façon inconditionnelle ; (mais) nous disons : "Il est mu'min à la foi incomplète" ou "mu'min
faisant des péchés" ou "mu'min par sa îmân, fâssiq par sa kabîra"" (Majmû' ul-fatâwâ 7/673).
Il en est de même du terme "mu'min" : An-Nawawî écrit : "L'approbation ("tasdîq") constitue
[avec la proclamation de l'adhésion – "iqrâr"] le premier degré de la foi ; ceci implique pour
la personne qu'elle est entrée dans la foi, mais non pas qu'elle en ait nécessairement réalisé
tous les degrés ; tant qu'on est à ce stade on n'est pas appelé "mu'min" de façon
inconditionnelle" (Shar'h Muslim, 1/147), car cela désigne : "le mu'min parfait".
Ceci concerne les termes "îmân" et "mu'min". Par contre, on peut employer seuls les noms
"islâm" et "muslim" sans qu'ils désignent "le islâm complet" et le "muslim parfait" (car il faut
savoir que si, comme nous venons de le voir, le nom "islâm" désigne parfois "la conversion et
la pratique extérieures" seulement, il désigne aussi, d'autres fois, "le islâm complet" et
englobe alors également la foi et la pratique intérieure : nous allons le voir immédiatement, en
B.b.).
B.b) soit chacun de ces deux termes est employé pour désigner son sens complet : dans ce
cas, chacun de ces deux termes, "islâm" et "îmân", désigne la même chose que ce que l'autre
désigne (humâ mutassâwiyân).
Un verset coranique dit ainsi : "Ils te font la faveur qu'ils sont entrés en islâm. Dis : "Ne faites
pas la faveur sur moi de votre islâm ; mais plutôt Dieu vous fait la faveur de vous avoir guidé
vers la îmân, si vous êtes véridiques"" (49/17). Un autre verset dit : "Nous avons fait sortir les
mu'minûn qui s'y trouvaient. Nous n'y trouvâmes alors rien qu'une maisonnée de muslimûn"
(51/35). (Voir entre autres Al-Muhallâ, mas'ala n° 75.)
Un autre verset encore dit : "Le "dîn" auprès de Dieu est l'islam" (Coran 3/151). Quand il est
dit que l'adhésion à l'islam sera la cause du salut dans l'au-delà, il ne s'agit sûrement pas d'un
islam prononcé du bout des lèvres sans que ne l'accompagne aucune foi dans le cœur ; il
s'agit, tout au contraire, de l'islam complet – c'est-à-dire de corps et de cœur – ; dès lors, cela
revient à la même chose que "îmân".
-
C) Parfois encore, les termes "îmân" et "islâm" sont à appréhender dans un sens figuré :
Le terme "îmân" peut ainsi désigner : "la forte empreinte de la foi", ou : "de nombreux
musulmans".
Ainsi, une interprétation du Hadîth "Le "îmân" se réfugiera à Médine" (al-Bukhârî 1777,
Muslim 147) est qu'il y est question de l'époque où surviendront de grandes difficultés.
– Il est possible que le terme "îmân" désigne ici "l'empreinte de la îmân" : c'est-à-dire qu'en
ces temps-là, dans les pays musulmans aussi la foi aura une très faible empreinte, et elle
n'aura d'empreinte conséquente qu'à Médine.
– D'après 'Alî al-qârî, le terme "îmân" signifie ici : "les gens de la îmân" (cf. Mirqât ul-
mafâtîh 1/234).
Quelle que soit l'interprétation reconnue, il est à noter en passant que le lieu ici concerné
pourrait être non pas seulement Médine mais aussi ses environs, c'est-à-dire la Mecque ainsi
que la région où se situent ces deux cités ; ceci correspondrait alors à l'autre hadîth où on lit :
"Le "dîn" se réfugiera au Hedjaz" (at-Tirmidhî 2630) (cf. Mirqât ul-mafâtîh 1/234, 246).
(Cliquez ici.)
Pareillement, le terme "islâm" peut signifier parfois : "l'ensemble des musulmans".
C'est avec ce sens qu'il se comprend dans cette parole de Sa'd ibn Abî Waqqâs : "J'ai été
pendant sept jours le tiers de l'islâm" (al-Bukhârî 3521) ; il voulait dire : "le tiers des
musulmans alors existant", c'est-à-dire que, selon sa connaissance, ou en tant que parmi les
hommes majeurs et libres, il était l'une des trois seules personnes à avoir alors embrassé
l'islam.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
Les "Mâni'u-z-zakât" de l'époque de Abû Bakr : qu'ont-ils
réellement refusé de faire ?
Par Anas • 8 déc, 2008 • Catégorie: G- Nécessités de la foi
Un message reçu :
Comment as-tu pu écrire que si quelqu'un ne fait pas les actions obligatoires mais ne renie pas
la foi, il reste musulman ? Crains Allah ! Sache qu'à l'unanimité, tant qu'une personne ne fait
pas la prière et ne s'acquitte pas de la zakât, elle n'est pas musulmane, même si elle ne renie
pas les articles de la foi. C'est bien pourquoi Abû Bakr avait combattu les "mâni'u-z-zakât",
avec l'approbation unanime des Compagnons.
-
Réponse :
Non, ce que vous dites ne fait pas l'unanimité, ce n'est qu'un avis. Un autre avis existe, nous
allons le voir. Et c'est celui-ci auquel j'adhère.
Les musulmans qui négligeaient de payer la zakât sans renier en croyance le caractère
obligatoire de celle-ci, Abû Bakr (que Dieu l'agrée) ne les a pas combattus parce que,
négligeant cela, ils seraient devenus kâfirs, mais parce qu'ils s'étaient organisés en une forme
de rébellion (tâ'ïfa mumtani'a) (cliquez ici et ici) ; nous allons y revenir.
-
En fait après le décès du Prophète (sur lui la paix), pendant la période des quatre
premiers califes, il y eut quatre types de groupes entrés en rébellion :
1) Il y eut les gens qui, à l'époque du califat de Abû Bakr (que Dieu l'agrée), crurent en
Mussaylima ou en al-Aswad al-'Ansî comme étant un prophète de Dieu :
Eux furent kâfirs (et ceux d'entre eux qui étaient musulmans devinrent apostats).
2) Il y eut les quelques Compagnons (que Dieu les agrée) qui, à la tête d'un groupe,
firent face à 'Ali (que Dieu l'agrée) à Jamal et à Siffîn :
A l'unanimité eux n'étaient ni kâfirs ni dhâll ; ils furent bughât bi bagh'yin mujarrad ; leur
bagh'y reposait sur une erreur d'interprétation (khata' ijtihâdî) de leur part. Cliquez ici et ici
pour en savoir plus.
3) Il y eut les Kharijites de l'époque du califat de 'Alî :
D'après l'avis de certains muhaddithûn, ils furent kâfirs ; mais d'après l'avis de la plupart des
ulémas (surtout les fuqahâ'), ils ne furent pas kâfirs mais dhâll (déviants). Cliquez ici pour en
savoir plus.
4) Enfin il y eut les "mâni'u-z-zakât" de l'époque du califat de Abû Bakr :
C'est ce qui nous intéresse ici par rapport à votre question...
-
Y répondre demande que l'on aborde plusieurs points :
Point 1) En fait que désignent ces termes "mâni'u-z-zakât" de l'époque de Abû Bakr ?
Cela désigne-t-il :
4.a) ceux qui renièrent que la zakât soit obligatoire et exprimèrent leur croyance selon
laquelle elle n'est pas (ou plus) obligatoire ?
4.b) ceux qui avaient toujours comme croyance que la zakât est obligatoire sur qui réunit un
certain nombre de conditions, mais décidèrent, de façon organisée (ils formaient un groupe
constituée autour de cette idée, une tâ'ïfa mumtani'a), de ne plus s'en acquitter bien qu'elle fût
obligatoire sur eux ?
4.c) ceux qui savaient que la zakât est obligatoire sur qui réunit un certain nombre de
conditions, et s'en acquittaient toujours, mais refusèrent de la remettre à l'autorité califale et
décidèrent de la faire parvenir eux-mêmes aux pauvres ?
Ibn Taymiyya écrit que Abû Bakr n'eut pas à faire face à des gens se trouvant dans le cas 4.c
(MS 2/332). (Si des musulmans se trouvaient dans ce cas 4.c, ils seraient, d'après Abû Hanîfa
et Ahmad ibn Hanbal, des bughât "bi bagh'yin mujarrad", et l'autorité ne pourrait pas les
combattre : MS 2/335.)
Abû Bakr eut à faire face :
– soit à des gens qui exprimèrent que leur croyance est que la zakât n'est pas obligatoire (ou
n'est pas obligatoire sur eux), ou n'est plus obligatoire (en général, ou bien sur eux
particulièrement) après le décès du Prophète [cas 4.a] ;
– soit à des gens qui avaient toujours comme croyance que la zakât est obligatoire sur qui
réunit un certain nombre de conditions, mais qui décidèrent de ne plus s'en acquitter bien
qu'elle fût obligatoire sur eux [cas 4.b].
Ibn Hajar écrit : "Wa-l-murâd bi-l-farq : man aqarra bi-s-salât wa ankara-z-zakât jâhidan,
aw mâni'an ma'a-l-i'tirâf" (Fat'h ul-bârî 12/347). D'après al-Bukhârî, ces gens refusaient le
iltizâm (au niveau des croyances même), concernant la zakât [soit le cas 4.a] : il a écrit : "(...)
man abâ qabûl al-farâ'ïdh, wa mâ nussibû ila-r-ridda" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb istitâbat il-
murtaddîn, bâb n° 3).
Point 2) Ceux qui étaient dans le cas 4.a ont adopté une croyance de kufr :
Ceux qui se trouvaient dans le cas 4.a à l'époque de Abû Bakr avaient adopté une croyance de
kufr ; cependant, comme l'écrit an-Nawawî, ils étaient ignorants, et ils ne furent donc pas
considérés kafir bi-l-'ayn tant que iqâmat ul-hujja n'eut pas lieu (d'après Shar'h Muslim
1/205). Cliquez ici pour en savoir plus.
Point 3) Et ceux qui étaient dans le cas 4.b, ont-ils eux aussi fait acte de kufr ?
On lit dans certains récits que tous ceux qui refusaient de payer la zakât étaient devenus
kâfirs : ceux qui étaient dans le cas 4.b firent-ils donc eux aussi acte de kufr par le simple fait
d'avoir négligé de s'acquitter de la zakât, même sans en renier le caractère obligatoire ?
C'est ce que vous, auteur de la question, vous semblez penser : ceux qui reconnaissent que la
zakât est chose obligatoire mais en actes ne s'en acquittent pas (par négligence, ou par avarice,
par exemple) ne sont pas musulmans.
Or cette position ne fait pas l'unanimité.
En effet, Ibn Taymiyya a relaté que :
A) il est quelques ulémas – A.b – qui pensent effectivement que le simple fait de ne pas
s'acquitter de la zakât sans en renier le caractère obligatoire mais par négligence de ses
devoirs est un acte qui fait sortir de l'islam et tomber dans le kufr akbar, exactement comme,
selon ces ulémas, le simple fait d'avoir négligé d'accomplir une prière obligatoire sans excuse
mais par paresse, sans en renier le caractère obligatoire, est un acte qui fait sortir de l'islam et
tomber dans le kufr akbar ; (plus encore, quelques-uns de ces ulémas – A.c – sont d'avis que
c'est la règle à propos de tout pilier parmi les quatre actes-piliers de l'islam, et cela s'applique
donc également au jeûne du ramadan et au pèlerinage à la Mecque : même sans en avoir renié
le caractère obligatoire, le seul fait d'avoir négligé d'accomplir un de ces piliers sans excuse
valable et alors qu'on en avait les capacités fait sortir de l'islam et tomber dans le kufr akbar)
(il est par contre d'autres ulémas – A.a – qui sont d'avis que si le fait de ne pas accomplir la
prière par paresse est un acte qui fait sortir de l'islam, le fait de ne pas payer la zakât tant
qu'on n'en renie pas le caractère obligatoire ne fait, lui, pas sortir de l'islam) (cf. MF 7/609-
610) ;
B) Ibn Taymiyya relate cependant que l'avis les plus connu chez de nombreux ulémas
hanafites, malikites et shafi'ites, et qui est aussi un avis hanbalite, est que le simple fait de ne
pas s'acquitter de la zakât n'est pas un acte de kufr akbar (cf. MF 7/610). Ceci est comparable
au fait que, d'après la plupart des ulémas, le fait de ne pas accomplir la prière obligatoire sans
en renier le caractère obligatoire n'est pas un acte de kufr akbar. Cet avis ce fonde sur le
hadîth suivant : "Celui qui témoigne qu'il n'y a de divinité que Dieu et que Muhammad est
le messager de Dieu, Dieu a interdit sur lui le Feu" (rapporté par Muslim, n° 29). Ceci est la
preuve qu'il est bien musulman, puisqu'aucune personne morte kâfir ne sera admise au
Paradis. Dans ce hadîth, il s'agit bien entendu de l'interdiction pour lui d'aller dans le Feu
éternel, puisque d'autres hadîths menacent d'un séjour dans le Feu celui qui aura commis tel et
tel péchés graves.
Dès lors, les gens se trouvant dans le cas 4.b à l'époque de Abû Bakr ne furent pas
kâfirs ; c'est par extension que l'on a utilisé à leur sujet aussi le terme "kafara". Ibn
Hajar écrit ainsi : "Wa ammâ man atlaqa fî awwal il-qissa al-kufra li yashmal as-sinfayn, fa
huwa fî haqqi man jahada : haqîqa ; wa fî haqq il-âkharîn : majâz, taghlîban" (Fat'h ul-
bârî 12/347).
Point 4) Pourquoi Abû Bakr a-t-il combattu les gens qui étaient dans ce cas 4.b ?
A propos de l'homme qui refuse de payer la zakât, an-Nawawî a écrit que celle-ci "sera prise
de ses biens sans son accord ; il n'y a pas de divergence à ce sujet. Mais est-ce que dans ce
cas il sera acquitté de son devoir en son for intérieur [= vis-à-vis de Dieu], il y a deux avis
sur le sujet entre nos ulémas [= les shafi'ites]" (Shar'h Muslim 1/200). En fait, dans un cas
pareil, l'autorité a d'abord recours au dialogue avec cet homme ; si ce dernier ne veut rien
entendre et persiste dans son refus de s'acquitter de l'impôt, l'autorité se saisira du montant de
celui-ci de ses biens, comme nous venons de le voir avec an-Nawawî (c'est aussi ce que Ibn
Qudâma a écrit : Al-Mughnî 3/380) ; et c'est au cas où cet homme s'oppose par la force à cette
saisie et est donc prêt à se battre que l'autorité emploiera la force contre lui.
Cependant, Abû Bakr eut à faire face non à un homme mais à tout un groupe constitué (tâ'ïfa)
et qui disposait d'une certaine puissance, ce qui faisait que l'autorité n'avait pas de qud'ra sur
lui (on dit qu'il dispose d'une "mana'a" : Radd ul-muhtar 6/412, Shar'h Muslim 18/6), groupe
rassemblé autour de ce refus de paiement de la zakât... Et, dans les faits, on peut imaginer les
cas de figure suivants :
a) le fait que le groupe fasse savoir à l'autorité qu'il refuse de payer la zakât ;
suite aux pourparlers engagés par l'autorité, deux cas se présentent :
b.a) le groupe revient à la raison et met fin à son refus ;
b.b) le groupe persiste dans son refus :
– b.b.a) soit il se contente de refuser cela, sans pour autant combattre, ni s'apprêter à le faire,
ni même disposer de forces armées ;
– b.b.b) soit il dispose de forces de combat mais ne prend pas l'initiative de débuter les
hostilités ;
– b.b.c) soit il s'apprête à combattre (yantassibu li-l-qitâl) ;
c) soit le groupe attaque le premier l'autorité ou bien les cités qui sont sous contrôle de
l'autorité, en vue d'étendre sa perception des choses.
La règle concernant le cas c est claire : l'autorité n'a d'autre choix que celui de se défendre.
Qu'est-ce que Abû Bakr fit :
– est-ce qu'il n'y eut que le dialogue – cas de figure a –, puis, à cause de l'échec de celui-ci et
de persistance dans le refus – c'est-à-dire dès que le palier b.b fut atteint (voire même b.b.a) –,
il combattit ce groupe ?
– ou bien les combattit-il parce qu'il s'agissait-il de gens se trouvant dans le cas b.b.b ?
– ou bien est-ce qu'ils se trouvèrent dans le cas de figure b.b.c, c'est-à-dire qu'il y eut des
indices sûrs montrant que le groupe était en train de se préparer au combat (intassaba li-l-
qitâl bi-l-fi'l) ?
Pour Ibn Taymiyya, Abû Bakr a combattu le premier ceux qui refusaient de payer la zakât
(MF 35/57). C'est-à-dire que, dès lors qu'ils étaient organisés en groupe constitué autour du
refus de payer la zakât, Abû Bakr les a combattus. Ceci revient donc à dire qu'Abû Bakr les a
combattus parce qu'ils sont entrés dans le palier b.b (apparemment il parle de b.b.a même ;
mais peut-être qu'un groupe n'est considéré comme "lahum mana'ah" / "min ahl ish-shawka"
que s'il dispose de forces armées, ce qui signifie que l'avis d'Ibn Taymiyya est que Abû Bakr
les a combattus parce qu'ils relevaient du palier b.b.b ; ce point reste, en ce qui me concerne, à
approfondir.
Ce que Ibn Hajar a pour sa part écrit à propos de la raison ayant poussé Abû Bakr à
combattre ceux qui refusaient de payer la zakât peut être compris comme désignant le cas de
figure b.b.c : il a écrit : "Wa innamâ qâtalahum us-Siddîqu wa lam ya'dhur'hum bi-l-jahl li
annahum nassabu-l-qitâl ; fa jahhaza ilayhim man da'âhum ila-r-rujû' ; fa lammâ
assarrû, qâtalahum" (Fat'h ul-bârî 12/347).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).