Ce sont donc des intérêts gigantesques qui sont en jeu. Les intérêts
en question, c'est-à-dire les sociétés criminelles qui fabriquent et
commercialisent ces drogues, ne vivent pas dans une bulle. Il suffit
d'ouvrir le journal pour comprendre que les liens qu'elles
entretiennent avec des milieux comme ceux du show-biz, du cinéma
ou de la mode sont très étroits, ce qui est bien utile, parce que cela
permet d'impressionner les âmes tendres au moment où elles
commencent à consommer. Souvenez-vous de "l'attitude chic" et de
la polémique, qui a duré pendant plusieurs années, sur les
mannequins de mode héroïnomanes et sur "l'heroin chic look".
Vous avez là une chose qui dépasse de très loin les goûts et la
consommation d'individus privés. C'est l'une des ressources
criminelles les plus importantes de la planète et on a trop souvent
tendance à l'oublier.
Voilà ce qu'on peut dire à l'heure actuelle sur ce danger. Il n'est pas
question d'interdire à des jeunes gens de s'amuser, mais, au prix de
servir involontairement de faire-valoir dans une immense opération
de marketing pour des stupéfiants, il y a une nuance qui ne vous
aura sans doute pas échappé.
Une fois que l'on a pris les impôts et prélevé toutes les taxes, je ne
sais pas si les immenses seigneurs ou les grands patrons des grands
groupes multinationaux du monde (on pense à certains d'entre eux
qui sont particulièrement flamboyants) peuvent prétendre obtenir
7 millions de francs nets par an pour faire ce qu'ils veulent.
Il faut savoir que, les premières fois, les grossistes ne vous font pas
crédit, c'est-à-dire qu'il faut payer cash et avoir le capital de départ.
Voilà donc comment on le crée.
Là aussi, dans les pays souches (les calculs sont encore de l'ONU),
c'est-à-dire ceux dans lesquels on cultive la coca et le pavot, il reste
1 % du total du prix de détail. Cela veut dire qu'en gros, c'est ce
que cela coûte et que le reste est du pur bénéfice. Vous comprenez
que des gens qui ont pu accumuler, pendant des années, des
millions de dollars, une fois qu'ils ont payé tous les "ripoux" et
corrompus sur la chaîne de trafic, une fois qu'ils ont corrompu les
gouvernements, les douaniers, etc., réussissent à garder 70 % du
million de dollars de départ. Ils sont donc capables de diminuer les
prix et de mettre sur le marché des produits plus attractifs que ceux
du gouvernement.
Par ailleurs, ils ont beaucoup plus d'argent que tout le monde.
Souvenez-vous que, juste avant la guerre totale qui a opposé le
cartel de Medelin au gouvernement colombien, dans les années 85,
les gens du cartel de Medelin, avant de se lancer dans une
campagne terroriste au cours de laquelle ils ont fait sauter des
avions ou posé des voitures piégées pour essayer de décourager le
gouvernement colombien de les embêter, ils ont essayé de se
concilier ce gouvernement. C'est ainsi qu'ils ont fait une réunion
avec des émissaires du gouvernement colombien au Panama en
disant : "Si vous le souhaitez, nous pouvons racheter la dette
publique de la Colombie et vous nous fichez la paix !" Cela
représentait 5 milliards de dollars qu'ils pouvaient mettre sur la
table instantanément et il ne s'agissait que d'un cartel alors que
deux ou trois, à l'époque, fonctionnaient en Colombie !
Ce dont les sociologues en chambre n'ont pas idée, c'est que, dans
la vraie vie, les choses ne se passent pas comme dans leurs calculs
théoriques. Dans la vraie vie, par exemple, si, alors que vous êtes
charcutier, décidant que votre charcuterie ne marche pas bien, vous
accrochez dans la devanture, entre les pâtés et les saucissons, des
imperméables ou des bagues en or, deux jours plus tard, vous avez
l'inspecteur de la répression des fraudes qui vous cite tel article du
code de commerce, qui vous met une contravention et qui vous dit :
"Si vous recommencez, on ferme votre boutique". On ne peut pas
faire cela dans la vraie vie.
Par conséquent, les garçons qui vont se lancer dans ce trafic vont se
multiplier, se marcher sur les pieds et, à un moment donné, certains
seront au bord de ce qu'on peut appeler une faillite dans une société
légitime. Que peut-on faire quand on est dans cette situation ?
Retourner à l'usine visser des boulons quand on a eu 7 millions de
francs par an ? Evidemment non ! Peut-on passer à d'autres
activités criminelles dans le trafic de la drogue ? S'ils commencent à
se lancer dans l'héroïne à plus grande échelle que le petit deal de
base, ils vont voir arriver des Nigérians ou des Turcs, c'est-à-dire
des tueurs sans merci qui vont leur dire : "Si tu recommences, tu es
mort". Ils se feront donc éliminer parce que, dans ce monde, la
peine de mort existe toujours.