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En vous souhaitant une très bonne lecture,


Tàri & Lenwë
Au nom de la Liberté

Une étude de ce texte est disponible


dans le Guide de l'enseignant, Étonnants Classiques, 2000-2001.
Ce guide peut être obtenu gratuitement, dans la limite
des stocks disponibles, auprès des éditions Flammarion.
Service Enseignants
26, rue Racine, 75278 Paris Cedex 06
Timbres-poste de 12 francs à joindre à la demande.

© Flammarion, Paris, 2000


ISBN : 2-08-072106-2
ISSN: 1269-8822
Paul Éluard

Paul Éluard (avec le brassard) et sa femme Nush devant la librairie


«Les Cahiers d'Art» lors de la libération de Paris
AU N O M DE LA LIBERTÉ PAUL ELUARD

PAUL ÉLUARD (1895-1952). Infirmier


pendant la Première Guerre mondiale, il publie Liberté
ses premiers poèmes en hommage aux «poilus»
avant de participer aux mouvements
poétiques d'avant-garde (dada, surréalisme)
Sur mes cahiers d'écolier
dans les années 20, aux côtés d'André Breton.
Il évolue vers une poésie liant le pouvoir
Sur mon pupitre et les arbres
libérateur de l'amour et un idéal de fraternité Sur le sable sur la neige
humaniste. J'écris ton nom
Sous l'Occupation, il vit à Paris, où il publie
d'abord légalement des recueils de poésie Sur toutes les pages lues
à tirage restreint. Ses activités clandestines Sur toutes les pages blanches
commencent en 1942 : il se rapproche
Pierre sang papier ou cendre
du Parti communiste (d'où il avait été exclu
avant-guerre) et organise le Comité national
J'écris ton nom
des Écrivains de zone occupée. À partir de 1943,
il publie sous le couvert de divers pseudonymes Sur les images dorées
(comme Jean Du Haut) dans des revues clandestines. Sur les armes des guerriers
30 Il coordonne et présente l'anthologie Sur la couronne des rois 31
L'Honneur des poètes (1943). Contraint J'écris ton nom
à la clandestinité totale à partir d'octobre 1943,
il se cache en Lozère, puis à Paris jusqu'à
Sur la jungle et le désert
la libération de la capitale.
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
Liberté J'écris ton nom
Paul Éluard a d'abord fait paraître
son poème sous le titre «Une seule pensée», Sur les merveilles des nuits
avant de l'intégrer, en avril 1942, Sur le pain blanc des journées
au recueil Poésie etVérité, Sur les saisons fiancées
publié semi-clandestinement. J'écris ton nom
Le poème fait l'ouverture du recueil
et s'intitule désormais «Liberté». Sous ce titre,
il connaîtra un destin hors du commun,
Sur tous mes chiffons d'azur
puisqu'il sera parachuté par la RAF (Royal Air Sur l'étang soleil moisi
Force, l'aviation anglaise) dans des containers Sur le lac lune vivante
destinés à la Résistance intérieure. J'écris ton nom
PAUL ELUARD
AU N O M DE LA LIBERTE

Sur le tremplin de ma porte


Sur les champs sur l'horizon
Sur les objets familiers
Sur les ailes des oiseaux
Sur le flot du feu béni
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur le front de mes amis
Sur la mer sur les bateaux
Sur chaque main qui se tend
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur la mousse des nuages
Sur les lèvres attentives
Sur les sueurs de l'orage
Bien au-dessus du silence
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur les formes scintillantes
Sur mes phares écroulés
Sur les cloches des couleurs
Sur les murs de mon ennui
Sur la vérité physique J'écris ton nom
J'écris ton nom 33
32
Sur l'absence sans désir
Sur les sentiers éveillés
Sur la solitude nue
Sur les routes déployées
Sur les marches de la mort
Sur les places qui débordent J'écris ton nom
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur la lampe qui s'allume
Sur le risque disparu
Sur la lampe qui s'éteint
Sur l'espoir sans souvenir
Sur mes maisons réunies
J'écris ton nom
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Sur le fruit coupé en deux
Je recommence ma vie
Du miroir et de ma chambre
Je suis né pour te connaître
Sur mon lit coquille vide Pour te nommer
J'écris ton nom
Liberté.
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
AU N O M DE LA LIBERTE

Couvre-feu

Que voulez-vous la porte était gardée


Que voulez-vous nous étions enfermés
Que voulez-vous la rue était barrée
Que voulez-vous la ville était matée1
Que voulez-vous elle était affamée
Que voulez-vous nous étions désarmés
Que voulez-vous la nuit était tombée
Que voulez-vous nous nous sommes aimés.

Couvre-feu
En avril 1942, Éluard publie son recueil Poésie etVérité.
34 Il emprunte son titre à Goethe, un écrivain allemand 35
du XVIII 6 siècle. Le poète ajoute au volume
trois poèmes qui avaient été préalablement
édités par la revue Fontaine de Max-Pol Fouchet
à Alger; il s'agit de «Patience»,
«Dimanche après-midi» et «Couvre-feu».
Or, ces trois poèmes vont être interdits
par la censure.
Dès juin 1940, en effet, les Allemands ont imposé
le couvre-feu en zone occupée : «La population doit
se tenir dans ses demeures entre
10 heures du soir et 5 heures du matin.
Les postes [de garde] allemands ont reçu l'ordre
d'arrêter toute personne rencontrée
sur la voie publique entre les heures ci-dessus.»
L'année suivante, le couvre-feu est avancé
à 21 heures, puis à 20 heures, voire 18 heures
dans les villes où des sabotages et des attentats
sont perpétrés par les Résistants. 1. Matée : domptée, soumise, parfois par la violence.
AU N O M DE LA LIBERTÉ

Quelques pistes de lecture


«J'écris ton nom : Liberté»
• Aragon, « Les Croisés », Le Crève-cœur, 1941.
Louis Aragon
• René Char, « La Liberté », Seuls demeurent, 1938-1944.
• Pierre Emmanuel, La liberté guide nos pas, 1945.
• Robert Desnos, «Ce cœur qui haïssait la guerre» :
voir p. 47.

Paris, ville occupée, ville aimée


• Éluard, «Courage» (écrit en 1942), Les Armes de la
douleur, 1944.
• Cassou,Sonnet xxv,«Paris,ses monuments de sang
drapés, son ciel... », 33 Sonnets composés au secret

36

Aragon à l'époque de la guerre d'Espagne


AU N O M DE LA LIBERTÉ

Louis ARAGON ( 1897-1982). leune combattant


en 1918, il crée après la guerre avec André Breton La Rose et le Réséda
le mouvement surréaliste, mais s'en éloigne
dans les années 30 pour prôner A Gabriel Péri et d'Estienne d'Orves
une poésie et un roman engagés, comme à Guy Môquet et Gilbert Dru2
au service de l'idéal communiste.
Après la défaite de 1940, il s'installe en zone libre
Celui qui croyait au ciel
et publie légalement de la « poésie de contrebande »
où le refus de l'Occupation affleure constamment.
Celui qui n'y croyait pas
Il prône alors le retour au poème rimé. Tous deux adoraient la belle
En contact avec le Parti communiste clandestin Prisonnière des soldats
depuis 1941, il devient lui-même clandestin en 1943 Lequel montait à l'échelle
(après l'invasion de la zone sud) et se cache Et lequel guettait en bas
dansja Drôme. Celui qui croyait au ciel
Organisateur du Comité national des Écrivains Celui qui n'y croyait pas
de zone sud, il publie clandestinement plusieurs
Qu'importe comment s'appelle
recueils de poèmes sous divers pseudonymes
(Jacques Destaing, François la Colère...)T
Cette clarté sur leur pas
38 39

1. Réséda : plante à fleurs blanches ou jaunes qui ruissellent en


grappe.
2. Gabriel Péri : député communiste, il fut fusillé comme otage le
La Rose et le Réséda 15 décembre 1941 au Mont-Valérien, en même temps que
Dernier poème qu'Aragon signa de son nom 53 juifs internés au camp de Drancy.
avant de rentrer dans la clandestinité, Honoré d'Estienne d'Orves : officier de marine et fervent catho1
«La Rose et le Réséda» parut en mars 1943 lique, il avait rallié la France Libre dès juillet 1940 et créé sur le
territoire français un réseau de renseignements. Trahi, il fut
dans la revue Le Mot d'ordre. Ce n'est que
arrêté et fusillé au Mont-Valérien le 29 août 1941, avec d'autres
lorsque le poème fut publié dans le recueil
membres de son réseau.
La Diane française, en décembre 1944,
Guy Môquet : 17 ans, fils d'un député communiste, il fit partie des
qu'Aragon y fit figurer le nom des quatre dédicataires, martyrs de Chateaubriant, fusillés comme otages le 22 octobre
deux communistes (Gabriel Péri et Guy Môquet) 1941.
et deux catholiques (Honoré d'Estiennes d'Orves Gilbert Dru : jeune militant catholique engagé dans la Résistance
et Gilbert Dru), tous exécutés lyonnaise, il fut arrêté en juillet 1944 et exécuté en représailles
par les Allemands pendant la guerre. à un attentat.
\U N O M DE LA LIBERTÉ
LOUIS ARAGON
1
Que l'un fût de la chapelle
Celui qui n'y croyait pas
Et l'autre s'y dérobât
Un rebelle est un rebelle
Celui qui croyait au ciel
Nos sanglots font un seul glas1
Celui qui n'y croyait pas
Et quand vient l'aube cruelle
Tous les deux étaient fidèles
Passent de vie à trépas 2
Des lèvres du cœur des bras
Celui qui croyait au ciel
Et tous les deux disaient qu'elle
Celui qui n'y croyait pas
Vive et qui vivra verra
Répétant le nom de celle
Celui qui croyait au ciel
Qu'aucun des deux ne trompa
Celui qui n'y croyait pas
Et leur sang rouge ruisselle
Quand les blés sont sous la grêle
Même couleur même éclat
Fou qui fait le délicat
Celui qui croyait au ciel
Fou qui songe à ses querelles
Celui qui n'y croyait pas
Au cœur du commun combat
Il coule il coule et se mêle
Celui qui croyait au ciel
À la terre qu'il aima
Celui qui n'y croyait pas
Pour qu'à la saison nouvelle
Du haut de la citadelle2
Mûrisse un raisin muscat 41
La sentinelle tira Celui qui croyait au ciel
Par deux fois et l'un chancelle Celui qui n'y croyait pas
L'autre tombe qui mourra L'un court et l'autre a des ailes
Celui qui croyait au ciel De Bretagne ou du Jura
Celui qui n'y croyait pas Et framboise ou mirabelle
Ils sont en prison Lequel Le grillon rechantera
A le plus triste grabat3 Dites flûte ou violoncelle
Lequel plus que l'autre gèle Le double amour qui brûla
Lequel préfèrent les rats L'alouette et l'hirondelle
Celui qui croyait au ciel La rose et le réséda

1. La chapelle : lieu de culte. Ici, «être de la chapelle» signifie


être croyant (cf. le distique qui sert de refrain). À noter, la
connotation médiévale du mot.
1. Glas : tintement d'une cloche d'église pour annoncer l'ago-
2. Citadelle : forteresse qui commandait une ville.
nie, la mort ou les obsèques d'une personne.
3. Grabat : lit misérable.
2. Trépas : (vx ou litt.) mort.
\U N O M DE LA LIBERTE

Quelques pistes de lecture


L'inspiration médiévale
• Aragon, «C». et «Chanson de récréance», Les Yeux
Robert Desnos
d'Elsa, 1942.
• Aragon, Brocéliande, i 942,
• Pour mieux comprendre les choix poétiques d'Aragon,
on pourra lire sa préface aux Yeux d'Elsa : «Arma
virumque cano».

42
ROBERT DESNOS
AU N O M DE LA LIBERTÉ

ROBERT DESNOS (1900-1945). D'abord séduit


Couplets de la rue Saint-Martin
par les expérimentations surréalistes (écriture
automatique, transcription de rêves), Robert Desnos Je n'aime plus la rue Saint-Martin1
s'en éloigne dans les années 30 pour retourner
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
à des formes plus populaires à travers la création
radiophonique et l'écriture de chansons.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin,
Pendant l'Occupation, il vit à Paris, journaliste Je n'aime rien, pas même le vin.
à Aujourd'hui. En 1942, il entre dans le réseau
de résistance Agir, à qui il transmet les informations
Je n'aime plus la rue Saint-Martin
sur l'Allemagne parvenues à son journal, Depuis qu'André Platard l'a quittée
que contrôle l'Occupant. Il contribue aussi C'est mon ami, c'est mon copain2.
à la confection de faux papiers pour des Résistants Nous partagions la chambre et le pain.
et des Juifs. Parallèlement, il renoue avec l'activité Je n'aime plus la rue Saint-Martin.
poétique, à travers des recueils publiés légalement :
Fortunes (1942), État de ve/7/e (1943). En février 1944, C'est mon ami, c'est mon copain.
son réseau est victime d'une trahison. Arrêté, Il a disparu un matin,
il est déporté en Allemagne, puis en Tchécoslovaquie,
Ils l'ont emmené, on ne sait plus rien.
au camp deTerezin. Il y meurt d'épuisement 45
44 le 8 juin 1945, quelques jours après la libération du camp.
On ne l'a plus revu dans la rue Saint-Martin.

Pas la peine d'implorer les saints,


Saints Merri, Jacques, Gervais et Martin3,
Couplets de la rue Saint-Martin
Le 28 avril 1943, Robert Desnos publie
Pas même Valérien4 qui se cache sur la colline.
État de veille, écrit «pour quelques amis». Le temps passe, on ne sait rien.
Grou-Radenez, son imprimeur, sera arrêté André Platard a quitté la rue Saint-Martin.
quelque temps après pour faits de résistance
et ne reviendra pas de déportation. 1. Rue Saint-Martin : rue du quartier des Halles à Paris, cher aux
Quelques poèmes du recueil sont datés de 1942, Surréalistes (cf. «Tournesol» dans Clair de terre d'André Breton).
dont les «Couplets de la rue Saint-Martin», 2. Copain : forme populaire de compagnon, étymologiquement :
écrits peu après l'arrestation d'André Platard, qui partage son pain avec (cum/panis).
ami de Desnos. 3. Saints Merri, Jacques, Gervais et Martin : paroisses et églises du
La rue Saint-Martin, lieu confraternel, même quartier.
4. Valérien : situé sur une colline (le mont Valérien) dominant
était aussi une rue qui réveillait l'enfance :
Suresnes, le Mont-Valérien, ancien lieu d'ermitage au XVe siècle,
les parents de Desnos y avaient emménagé
fut transformé en fort militaire au XIXe siècle; de 1941 à 1944,
au numéro 11 en 1902,
plus d'un millier de Français y furent fusillés par les Allemands.
quand le poète avait deux ans.
AU N O M DE LA LIBERTE
ROBERT DESNOS

Quelques pistes de lecture


Paris, ville occupée, ville aimée.
Ce cœur qui haïssait la guerre...
• Desnos, « La Prophétie», Contrée, 1944.
• Desnos, «LeVeilleur du Pont-au-Change»,paru sous la Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour
signature de Valentin Gallois dans L'Honneur des poètes en le combat et la bataille !
mai 1944. Ce cœur qui ne battait qu'au rythme des marées,
à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la
nuit,
Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines
un sang brûlant de salpêtre1 et de haine
Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que
les oreilles en sifflent
Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se
répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d'une cloche appelant à l'émeute
et au combat.
46
Ecoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par 47
les échos.
Mais non, c'est le bruit d'autres cœurs, de mil-
lions d'autres cœurs battant comme le mien à tra-
vers la France.
Ils battent au même rythme pour la même
besogne tous ces cœurs,
Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cer-
velles un même mot d'ordre :
Ce cœur qui haïssait la guerre...
Robert Desnos a publié pendant la guerre
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
sous des pseudonymes plusieurs poèmes
dans des revues clandestines. Ainsi en fut-il de
«Ce cœur qui haïssait la guerre...», qu'il signa
1. Salpêtre : (étymologie : « sel de pierre » en latin médiéval) pou-
du nom de Pierre Andier, et qui parut
dre blanche, mélange naturel de nitrates, qui se forme sur les
le 14 juillet 1943 dans L'Honneur des poètes,
vieux murs humides. Peut aussi signifier «poudre de guerre»,
aux Éditions de Minuit clandestines. car les nitrates servaient à fabriquer poudres et explosifs.
AU N O M DE LA LIBERTÉ

Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au


rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi a réveiller les Jean Cassou
vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans
l'ombre à la besogne que l'aube proche leur impo-
sera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient
pour la liberté au rythme même des saisons et des
marées, du jour et de la nuit.

48

Jean Cassou en 1938


U NOM DE LA LIBERTE JEAN CASSOU

Jean Cassou (1897-1986). Conservateur de musée,


écrivain et critique d'art, Jean Cassou a pris parti VI
en 1936 pour la République espagnole agressée par
les dictatures. Dès juillet 1940, il entre en résistance, A mes camarades de prison.
d'abord à Paris (groupe du Musée de l'Homme),
puis à Toulouse où il est arrêté en décembre 1941 Bruits lointains de la vie, divinités secrètes,
par la police de Vichy pour son appartenance
trompe d'auto, cris des enfants à la sortie,
au réseau Bertaux. Il est incarcéré à la prison
militaire de Furgole. Libéré en juin 1943, il reprend
carillon du salut1 à la veille des fêtes,
aussitôt son action clandestine. À la Libération, voiture aveugle se perdant à l'infini,
il est désigné pour être le futur commissaire
régional de la République de la région de Toulouse. rumeurs cachées aux plis des épaisseurs muettes,
Il est grièvement blessé pendant la nuit même quels génies2 autres que l'infortune et la nuit,
de la libération de Toulouse. auraient su me conduire à l'abîme où vous êtes?
Fait Compagnon de la Libération par le général
Et je touche à tâtons vos visages amis.
de Gaulle, il dirige après la guerre le musée
national d'Art moderne.
Pour mériter l'accueil d'aussi profonds mystères
je me suis dépouillé de toute ma lumière : 51
la lumière aussitôt se cueille dans vos voix.

Laissez-moi maintenant repasser la poterne 3


et remonter, portant ces reflets noirs en moi,
fleurs d'un ciel inversé, astres de ma caverne.

Sonnet VI
Dans une préface à ses sonnets, rédigée en 1962,
Jean Cassou expliqua comment,
arrêté le 13 décembre 1941 avec des membres
de son réseau, il fut mis au secret à la prison 1. Carillon du salut : sonnerie des cloches qui indique, lors des
militaire de Furgole, à Toulouse. vigiles (veilles) des fêtes liturgiques, le salut au Saint Sacrement
C'est dans sa cellule qu'il apprit par cœur les poèmes (ostie consacrée). D'où le carillon d'une église proche.
qu'il composa de mémoire, une fois la nuit venue, 2. Génies : êtres mythiques, esprits bons ou mauvais qui influent
«au secret», sans crayon ni papier, sur la destinée des hommes.
avec le seul secours d'une âme aux aguets. 3. Poterne : porte dérobée dans la muraille d'enceinte d'un châ-
Ce seront les 33 Sonnets composés au secret. teau ou de fortifications.
AU N O M DE LA LIBERTÉ

Quelques pistes de lecture


• La poésie comme viatique
La poésie fut souvent le seul viatique réservé aux poètes Eugène Guillevic
prisonniers pour lutter contre la mort, la solitude et le
désespoir. Voici quelques auteurs qui trouvèrent dans les
mots l'évasion impossible : Charles d'Orléans, François
Villon,Théophile de Viau, Clément Marot, André Chénier,
Paul Verlaine, Guillaume Apollinaire.
• Écrire en prison
• La prison peut être la dernière épreuve et le lieu des
paroles ultimes pour les Résistant arrêtés. On lira le
témoignage que rédigea Boris Vildé dans la prison de
la Santé, puis dans celle de Fresnes, durant les années
1941 -1942. avant d'être exécuté le 23 février 1942 au
Mont-Valérien : journal et lettres de prison, 1941-1942,
Éditions Allia, 1997.
52
AU N O M DE LA LIBERTÉ EUGENE GUILLEVIC

EUGÈNE GUILLEVIC (1907-1997). Breton,


fils de gendarme, Eugène Guillevic
entre dans la fonction publique en 1926.
En 1935, il est nommé à Paris au ministère
des Finances. La montée des dictatures change
Bretagne
profondément ce catholique pratiquant,
qui se rapproche du communisme. Il y a beaucoup de vaisselle,
C'est sous l'Occupation qu'il publie légalement Des morceaux blancs sur le bois cassé,
son premier recueil de poèmes, Terraqué1.
rassemblant des textes qui remontent, pour certains, Des morceaux de bol, des morceaux d'assiette
aux années 30. Et quelques dents de mon enfant
Poésie dense, de peu de mots, elle transmet
Sur un morceau de bol blanc.
à travers l'évocation de la Bretagne une vision
du réel faite d'affrontement continuel avec la matière.
Bientôt, Guillevic adhère au Parti communiste
Mon mari aussi a fini,
clandestin où il fait de la résistance civile Vers la prairie, les bras levés,
(faux papiers, transports de documents). Il est parti, il a fini1.
À partir de 1943, d'autres poèmes de lui paraissent
54 clandestinement. Ils seront recueillis après guerre, Il y a tant de morceaux blancs, 55
en 1947, dans son second recueil, intitulé Exécutoire2. De la vaisselle, de la cervelle
Et quelques dents de mon enfant.
Bretagne
Le poème «Bretagne» appartient à Il y a beaucoup de bols blancs,
l'avant-dernière section du recueil Exécutoire, Des yeux, des poings, des hurlements,
intitulée «Fractures».
Délibérément méfiant à l'égard Beaucoup de rire et tant de sang
de tout lyrisme et de tout pathos, Guillevic Qui ont quitté les innocents.
convoque ici un langage dépouillé pour un face
à face avec la réalité quotidienne de la guerre
et la souffrance des humbles.

1. Terraqué: (vx, litt.) composé de terre et d'eau en parlant de


la planète Terre (le globe terraqué).
2. Exécutoire: (terme juridique) qui donne pouvoir d'appliquer
les effets d'une loi ou d'un jugement. 1. // a fini : euphémisme pour signifier la mort.
AU N O M DE LA LIBERTÉ

En complément de lecture
• Lire la dernière section d'Exécutoire : «Les Charniers». Joseph Kessel
Maurice Druon

56

Maurice Druon et Joseph Kessel en 1953


AU N O M DE LA LIBERTE
JOSEPH KESSEL - MAURICE DRUON

Joseph KESSEL (1898-1979). Écrivain et grand reporter


d'origine russe, Kessel s'engage dans l'aviation pendant
la guerre de 14-18, participant à plusieurs missions
Les Partisans1
dangereuses. Lors de la guerre d'Espagne, en 1936,
il combat aux côtés des Républicains. Dès 1941, Ami, entends-tu
il entre dans la Résistance et passe clandestinement Le vol noir des corbeaux
en Angleterre. Il effectue alors des missions spéciales Sur nos plaines ?
dans l'aviation. C'est à Londres, pendant l'année 1943,
Ami, entends-tu
que Kessel écrit L'Armée des ombres, roman aux franges
Les cris sourds du pays
du témoignage, de la chronique et du document, qui veut
Qu'on enchaîne?
rester fidèle à l'esprit de la Résistance. La guerre terminée,
Kessel reprendra la route des voyages et des reportages, Ohé Partisans
et poursuivra sa carrière d'écrivain. Ouvriers et Paysans
Maurice DRUON (né en 1918). Sorti aspirant de l'école
C'est l'alarme !
de cavalerie de Saumur en 1940, il prend part à la bataille Ce soir l'ennemi
de la Loire. Ayant participé à la Résistance en France, Connaîtra le prix du sang
il rejoint, en 1942, les Forces Françaises Libres à Londres Et les larmes
où avec son oncle,Joseph Kessel.il participe aux émissions
58
«Honneur et Patrie» de la BBC. Après guerre, il se consacre Montez de la mine 59
à la littérature sans cesser de s'intéresser à la politique. Descendez des collines
Membre de l'Académie française, il est ministre des Affaires Camarades,
culturelles en 1973-1974.
Sortez de la paille
Le Chant des Partisans Les fusils, la mitraille
À Londres, Kessel et Druon entendent, en mai 1943, Les grenades !
une jeune russe.Anna Marly, chanter sa marche des Partisans
sur une mélodie qui les touche. Conservant la musique,
Ohé les tueurs
ils composent un texte, inspiré des paroles originales
À la balle ou au couteau
et de la vie des maquis sur le sol français.
Tuez vite !
Introduit secrètement en France par d'Astier de la Vigerie1, Ohé saboteur
le Chant des Partisans va devenir l'un des hymnes tragiques Attention à ton fardeau
de la Résistance : il sera publié clandestinement en France Dynamite !
dans Les Cahiers de Libération (septembre 1943), puis
parachuté par la Royal Air Force sur les territoires occupés.

1. Partisans : combattants n'appartenant pas à une armée régu-


1. Emmanuel d'Astier de la Vigerie (1900-1969) : officier de marine, lière. Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux
fondateur en zone Sud du mouvement de Résistance Libération. groupes de Résistants ont pris le nom de Partisans.
AU N O M DE LA LIBERTÉ JOSEPH KESSEL - MAURICE DRUON

C'est nous qui brisons Quelques pistes de lecture


Les barreaux des prisons
• La chanson engagée
Pour nos frères !
• Aristide Briant ( 1851 -1925), La Chanson des Canuts.
La haine à nos trousses • Jean-Baptiste Clément ( 1863-1903), Le Temps des cerises.
Et la faim qui nous pousse • D'Astier de la Vigerie, La Complainte des Partisans (aussi
La misère... célèbre en son temps que le Chant des Partisans).
• Le Chant des Marais, créé par des détenus allemands du
Il y a des pays camp de Börgermoor, puis adopté en 1945 par les survi-
Où les gens au creux du lit vants des camps et les familles des disparus.
Font des rêves • Barbara, poème de Prévert, mis en musique par J. Kosma.
• Nuit et Brouillard (1963), de Jean Ferrat, qui évoque la
Ici, nous, vois-tu, déportation.
Nous on marche et nous on tue
Nous on crève
Ici, chacun sait
Ce qu'il veut, ce qu'il fait
60 Quand il passe... 61

Ami, si tu tombes
Un ami sort de l'ombre
À ta place,
Demain, du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes
Sifflez compagnons...
Dans la nuit la liberté
Nous écoute...
Marianne Cohn
AU N O M DE LA LIBERTÉ
MARIANNE COHN

Marianne C O H N (1922-1944), Fille de Juifs


allemands fuyant le IIIe Reich, elle se réfugie avec
ses parents en Espagne d'où la guerre civile Je trahirai demain
la contraint à s'exiler de nouveau à Paris.
Prise dans la nasse des lois antisémites de 1940 Je trahirai demain pas aujourd'hui.
elle trouve un refuge précaire dans une maison Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles,
pour enfants juifs à Moissac (Tarn-et-Garonne). Je ne trahirai pas.
Engagée dans l'organisation clandestine
du Mouvement de la Jeunesse Sioniste (MJS)
sous le pseudonyme de Colin, elle se charge
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
de faire passer clandestinement des enfants juifs
Moi je sais.
vers la Suisse. Le 31 mai 1944, elle prend la responsabilité Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
d'un convoi, mais est arrêtée avec les 28 enfants dont 1 Vous avez aux pieds des chaussures
elle a la charge à 200 mètres de la frontière, Avec des clous.
à Annemasse (Haute-Savoie). Malgré l'offre du maire
d'organiser son évasion, elle refuse d'abandonner Je trahirai demain, pas aujourd'hui,
les enfants. Emmenée dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944
Demain.
par la Gestapo, elle est assassinée à quelques kilomètres
64 de là, à Ville-la-Grande. On retrouvera son corps
Il me faut la nuit pour me résoudre,
après la Libération. Un jardin commémoratif est dédié Il ne me faut pas moins d'une nuit 65

à Marianne Cohn au mémorial de Yad Va Chem, Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
à Jérusalem.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain
À la fin de la guerre, un des enfants internés
Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
à la prison Pax àAnnemasse remet à la responsable La lime est sous le carreau,
du MJS un poème qui aurait été écrit par Marianne Cohn La lime n'est pas pour le barreau,
lors d'un premier séjour en prison, en novembre 1943. La lime n'est pas pour le bourreau,
Nul ne peut certifier que ces quelques vers soient La lime est pour mon poignet.
bien de la main de la jeune résistante, mais ils sont
indissolublement liés au destin de celle qui fut arrêtée,
Aujourd'hui je n'ai rien à dire,
incarcérée dans les locaux de la Gestapo à Annemasse,
Je trahirai demain.
puis assassinée dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944.
AU N O M DE LA LIBERTÉ

Quelques pistes
L'engagement au féminin
Marianne Cohn appartient à un long cortège de jeunes René Char
femmes qui s'engagèrent au péril de leur vie.
• On pourra ainsi lire le témoignage de Denise Hoistein,
jeune rouennaise de 17 ans qui fut déportée avec les petits
enfants juifs dont eile avait la charge : Je ne vous oublierai
jamais,mes enfants d'Auschwitz.... Éditions n° 1,1995.
• Voir également le destin de Sophie Scholl, jeune alle-
mande engagée dans le combat contre le nazisme en
Allemagne dans son réseau «La rose blanche».

66

René Char à Céreste (Basses-Alpes) en 1943 à l'époque où il


était dans le maquis.
AU N O M DE LA LIBERTÉ RENÉ CHAR

René C H A R (1907-1988). Né à l'Isle-sur-Sorgue,


dans le Vaucluse, René Char participe un temps
Feuillets d'Hypnos (extraits)
au mouvement surréaliste, qu'Éluard lui a fait
connaître. En 1934, il reprend son indépendance
pour poursuivre sa voie personnelle de poète,
21
tout en manifestant sa solidarité avec les Républicains Amer avenir, amer avenir, bal parmi les rosiers...
espagnols (cf. Placard pour un chemin des écoliers,
dédié en 1937 «aux enfants d'Espagne»). 22
Après la défaite de juin 1940, il continue à écrire mais AUX PRUDENTS : il neige sur le maquis et c'est
se refuse à publier ses poèmes. Fin 1942, il devient contre nous chasse perpétuelle. Vous dont la mai-
membre de l'Armée secrète des mouvements son ne pleure pas, chez qui l'avarice écrase l'amour,
de Résistance, qui se constitue en zone Sud. Début 1943, dans la succession des journées chaudes, votre feu
il passe au maquis et commence un journal (les futurs
«Feuillets d'Hypnos»). En septembre I943.il est nommé
n'est qu'un garde-malade. Trop tard. Votre cancer a
chef départemental de la SAP (Section Atterrissage parlé. Le pays natal1 n'a plus de pouvoirs.
Parachutage) des Basses-Alpes, chargée de réceptionner
et stocker les armes parachutées à la Résistance. 45
En juillet 1944, Char part clandestinement pour Alger Je rêve d'un pays festonné2, bienveillant, irrité sou-
préparer le débarquement de Provence. H revient dain par les travaux des sages en même temps qu'ému 69
68 en France fin août, puis rejoint l'armée régulière. par le zèle de quelques dieux, aux abords des femmes.
Ses textes écrits pendant la guerre paraissent d'abord
séparément («Seuls demeurent» en 1945, «Feuillets d'Hypnos» 72
en 1946) avant d'être recueillis dans Fureur et Mystère en 1948.
Agir en primitif et prévoir en stratège.
Feuillets d'Hypnos (extraits)
83
Les 237 textes qui composent le recueil des «Feuillets
d'Hypnos» forment une sorte de journal poétique Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
consigné dans un carnet lors des années 1943-1944.
Char ne s'en sépara jamais au maquis;
94
il le cacha lors de son départ à Alger en juillet 1944, Ce matin, comme j'examinais un tout petit serpent
mais le brûla à son retour, en ayant eu soin qui se glissait entre deux pierres : «L'orvet du deuil»
de recopier la partie «Journal» et quelques notes. s'est écrié Félix. La disparition de Lefèvre, tué la
Ces éclats de vers, bribes volées à la nuit, récit de vie sont
semaine passée, affleure superstitieusement en image.
l'œuvre du double nocturne du poète : Hypnos.
Dans la mythologie grecque, Hypnos est fils d'Érèbe
(les Ténèbres des Enfers) et de Nyx (la Nuit), jumeau 1. Pays natal : expression chère au poète et qui fait référence
deThanatos (la Mort). Hypnos, dieu du sommeil,
non à la France mais à l'état de grâce, de bonheur subtil évoqué
entre autres dans le poème « Qu'il vive ! » (Les Matinaux).
est le veilleur qui attend l'aube, et symbolise celui qui
2. Festonné : orné, décoré, pavoisé.
attendit lui aussi la lumière dans la nuit de la guerre.
AU N O M DE LA LIBERTÉ
RENE CHAR

114 armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, der-


Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement. rière les rideaux jaunis, les allées et venues ner-
veuses des occupants. Pas un des miens n'était
128
présent au village. Cette pensée me rassura. À quel-
Le boulanger n'avait pas encore dégrafé les
ques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes1
rideaux de fer de sa boutique que déjà le village1
et resteraient tapis. Des coups me parvenaient,
était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l'impos-
ponctués d'injures. Les S.S. avaient surpris un jeune
sibilité de bouger. Deux compagnies de S.S.2 et un
maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur
détachement de miliciens3 le tenaient sous la gueule
le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait
de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers4. Alors
hurlante sur le corps tuméfié : «Où est-il? Conduis-
commença l'épreuve.
nous», suivie de silence. Et coups de pied et coups
Les habitants furent jetés hors des maisons et
de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s'empara
sommés de se rassembler sur la place centrale. Les
de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communi-
clés sur les portes. Un vieux, dur d'oreille, qui ne
quaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient
tenait pas compte assez vite de l'ordre, vit les quatre
sa puissance contenue. Je calculais que le malheu-
murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous
reux se tairait encore cinq minutes, puis, fatale-
70 l'effet d'une bombe. Depuis quatre heures j'étais 7I
ment, il parlerait. J'eus honte de souhaiter sa mort
éveillé. Marcelle5 était venue à mon volet me chu-
avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de
choter l'alerte. J'avais reconnu immédiatement
chaque rue la marée des femmes, des enfants, des
l'inutilité d'essayer de franchir le cordon de sur-
vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, sui-
veillance et de gagner la campagne. Je changeai
vant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruis-
rapidement de logis. La maison inhabitée où je me
selant littéralement sur les S.S., les paralysant «en
réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance
toute bonne foi». Le maçon fut laissé pour mort.
Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers
1. Le village : il s'agit de Céreste, village du Lubéron envahi par la foule et porta ses pas plus loin. Avec une pru-
les nazis et la milice, le 29 juin 1943, à 5 heures du matin. Char dence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons
y vivait sous une fausse identité.
2. S.S. : Schutzstaffel, troupe d'élite du régime nazi chargée entre regardaient dans ma direction, passaient comme un
autres d'actions de représailles. jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moi-
3. Miliciens : civils ayant rallié la Milice, organisation paramili-
taire créée en 1943 par Darnand, partisan de la collaboration
active avec l'Allemagne. La Milice fut utilisée par le régime de 1. Mes consignes : Char voulait à tout prix éviter le drame des
Vichy pour combattre la Résistance. représailles aux habitants de Céreste, et il ne voulait donc pas
4. Mortiers : canons destinés à faire des tirs courbes. que le village se compromît pour sauver un résistant (cf. le frag-
5. Marcelle : Marcelle Sidoine, une amie de Char. ment 138 des «Feuillets d'Hypnos»).
AU N O M DE LA LIBERTÉ RENÉ CHAR

tié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à


Pour aller plus loin
ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne
• René Char, alias capitaine Alexandre, avait établi son PC
devait se rompre.
(poste de commandement) dans une maison qui dominait
J'ai aimé farouchement mes semblables cette le vallon de Céreste. Pierre Zingerman, adjoint de Char
journée-là, bien au-delà du sacrifice. pendant les années 1943-1944, décrit son bureau1 : «Sur
un buffet, une pierre du pays.au centre, un poêle [...]; au
148 mur, il y avait une reproduction en couleurs du Prisonnier
«Le voilà! » Il est deux heures du matin. L'avion de Georges de la Tour-.»
a vu nos signaux et réduit son altitude. La brise ne À partir d'une reproduction du tableau, on pourra se
gênera pas la descente en parachute du visiteur que demander pourquoi Char tenait tant à cette œuvre, puis
se reporter au fragment 178 des «Feuillets d'Hypnos».
nous attendons. La lune est d'étain vif et de sauge1.
«L'école des poètes du tympan» chuchote Léon qui • René Char avait aussi épingle sur un autre mur de la pièce
a toujours le mot de la situation. un poème d'Etienne Jodelle (1532-1573) recopié de sa
main. Comment comprenez-vous ce choix?
169 Comme un qui s'est perdu dans la forêt profonde
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Loin de chemin, d'orée et d'adresse, et de gens.
Comme un qui en la mer grosse d'horribles vents
soleil. 73
72 Se voit presque engloutir des grands vagues de l'onde,

231 Comme un qui erre aux champs lorsque la nuit au monde


Peu de jours avant son supplice, Roger Chaudon2 Ravit toute clarté, j'avais perdu longtemps
me disait : «Sur cette terre, on est un peu dessus, Voie, route et lumière, et presque avec le sens
Perdu longtemps l'objet où plus mon heur se fonde
beaucoup dessous. L'ordre des époques ne peut être
inversé. C'est, au fond, ce qui me tranquillise, malgré Mais quand on voit - ayant ces maux fini leur tour -

la joie de vivre qui me secoue comme un tonnerre... » Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour
Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.

237 Moi donc qui ai tout tel en votre absence été.


Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la J'oublie, en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente et nuit, longue, orageuse et noire \
Beauté. Toute la place est pour la Beauté.

1. D'étain vif et de sauge : allusion à une couleur gris argenté. 1. Cité in René Char, Dans l'atelier du poète, Gallimard, «Quarto»,
2. Roger Chaudon : chef du secteur d'Oraison, il fut capturé par 1992.
la Gestapo alors qu'il dirigeait un transport d'armes. Il fut sou- 2. Le Prisonnier de Georges de la Tour (1593-1652) est égale-
mis à la torture. Son silence fit de lui un martyr : ses tortion- ment baptisé Job raillé par sa femme.
naires l'enterrèrent vivant. 3. Etienne Jodelle, L'Amour obscur.
Les textes reproduits dans ce recueil
le sont avec l'aimable autorisation des éditeurs suivants :

Louis Aragon
P. 39 : «La rose et le Réséda», La Diane française, 1944.
© Éditions Gallimard
P. 78 : «Strophes pour se souvenir», Le Roman inachevé, 1956.
© Éditions Gallimard
Jean Cassou
P. 51 : «Bruits lointains de la vie... », 33 Sonnets composés au
secret, 1944.
© Éditions Gallimard
René Char
P. 69 : «Feuillets d'Hypnos», Fureur et Mystère, 1948.
© Éditions Gallimard
Robert Desnos
P. 45 : «Couplets de la rue Saint-Martin», État de veille, 1943.
© Éditions Gallimard
P. 47 : « Ce cœur qui haïssait la guerre... », L'Honneur des poètes,
1943.
© Éditions Gallimard
Maurice Druon -Joseph Kessel
P. 59 : Le Chant des Partisans, 1943.
© Éditions Raoul Breton
Paul Éluard
P. 31 : «Liberté», Poésie et Vérité, 1942.
© Éditions de Minuit
P. 35 : «Couvre-feu», Poésie et Vérité, 1942.
© Éditions de Minuit
Eugène Guillevic
P. 55 : «Bretagne», Exécutoire, 1947.
© Éditions Gallimard
Benjamin Péret
P. 83 : Le Deshonneur des poètes, 1945.
© José Corti
Jorge Semprun
P. 80 : L'Écriture ou la Vie, 1994.
© Éditions Gallimard
La poésie et la vie 21 février 1944, Fresnes1
Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien aimée. Dans
I. La lettre et le poème
quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé
• Missak Manouchian, lettre à Mélinée. cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans
Missak Manouchian est né en 1906 en Arménie, où sa famille ma vie. Je n'y crois pas, mais pourtant, je sais bien que je ne te ver-
est décimée lors des massacres commis par les Turcs contre rai plus jamais. Que puisse t'écrire, tout est confus en moi et bien
les Arméniens en 1915-1916. Réfugié en France en 1925, il claire en même temps. Je m'étais engagé dans l'armée de la
gagne d'abord sa vie comme tourneur chez Citroën. Rapi- Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la vic-
dement, il devient l'animateur de revues de la communauté toire et de but. Bonheur ! à ceux qui vont nous survivre et goutter
arménienne, puis du journal du groupe arménien de la MOI la douceur de la liberté et de la Paix de demain. J'en suis sûre que
(Main d'Œuvre Immigrée), organisation rattachée au Parti le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront
communiste. Il publie aussi des poèmes dans sa langue natale. honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir je pro-
Sous l'Occupation, il est nommé responsable politique de la clame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et
section arménienne clandestine de la MOI. En 1943, il s'engage contre qui que ce soit. Chacun aura ce qu'il méritera comme cha-
personnellement dans la lutte armée, prenant le commande- timent et comme récompense. Le peuple Allemand et tous les
ment des Francs-Tireurs et Partisans de la MOI en région pari- autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui
sienne. Pendant quatre mois, d'août à novembre, ses équipes ne durera plus longtemps. Bonheur! à tous! -j'ai un regret pro-
effectuent des dizaines de sabotages et d'attentats contre l'oc- fond de ne t'avoir pas rendu heureuse. J'aurais bien voulu avoir
cupant. Traqué, son groupe est finalement démantelé en un enfant de toi comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de
novembre. Il est traduit avec vingt-deux de ses compagnons te marier après la guerre sans faute et avoir un enfant pour mon
devant un tribunal allemand à Paris, en février 1944. C'est l'oc- honneur et pour accomplir ma dernière volonté. Marie-toi avec
casion pour l'occupant et le régime de Vichy de lancer une quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes
vaste opération de propagande par voie de tracts, d'affiches mes affaires je lègue à toi et à ta sœur et pour mes neveux. Après
(«l'affiche rouge»), de brochures et de reportages filmés : ils la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en
espèrent qu'en présentant la Résistance sous les traits de ces tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'Armée
quelques étrangers, communistes, juifs pour la plupart, la française de la Libération. Avec l'aide de mes amis, qui voudront
population française s'en détournera. Condamné à mort, bien m'honorer tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui
Manouchian est fusillé au Mont-Valérien avec ses camarades le valent d'être lus. tu apportera mes souvenirs si possibles, à mes
21 février 1944. Avant de mourir, il écrit à sa femme1. parents en Arménie. Je mourrais avec mes 23 camarades toute à
l'heure avec courage et sérénité d'un homme qui a la conscience
bien tranquille, car personnellement je n'ai fais mal à personne et
si je l'ai fais, je l'ai fais sans haine. Aujourd'hui il y a du soleil, c'est
en regardant au soleil et à la belle nature que j'ai tant aimé que je
dirai Adieu ! à la vie et à vous tous ma bien chère femme et mes

1. La lettre de Manouchian est reproduite ici dans son orthographe et


1. Fresnes : prison de la banlieue parisienne (Val-de-Marne), entièrement
sa syntaxe fautives originales.
contrôlée par les Allemands. De nombreux Résistants y furent incarcérés.
bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal où Nul ne semblait vous voir Français de préférence
qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
racheter sa peau et ceux qui nous ont vendu. Je tembrasse bien Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaisse de Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami Et les mornes matins en étaient différents
Ton camarade Ton mari Manouchian Michel.
Tout avait la couleur uniforme du givre
P.-S. : J'ai quinze mille francs dans la valise de la Rue de À la fin février pour vos derniers moments
Plaisance. Si tu peus les prendre rends mes dettes et donne le Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
reste à Armène. M.M. Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

• Louis Aragon, «Strophes pour se souvenir». Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Pour célébrer le dixième anniversaire de la Libération, Aragon Adieu la vie Adieu la lumière et le vent
compose, sur commande, ces «Strophes pour se souvenir» Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
qu'il fait paraître dans son recueil de poésie Le Roman inachevé, Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
en 1956. Dans ce texte, où l'alexandrin héroïque se mêle aux Quand tout sera fini plus tard en Erivan1
accents de la laisse1 assonancée de l'épopée, Aragon veut
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
magnifier le mythe collectif des Résistants communistes. Pour
Que la nature est belle et que le cour me fend
ce faire, il choisit des étrangers «aux noms difficiles», et les
La justice viendra sur nos pas triomphants
dernières paroles d'un condamné à son épouse, celles de
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Manouchian à Mélinée. Les italiques parlent alors une langue
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
qui dépasse le poème de circonstance et de commande.
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vous n'avez réclamé ni la gloire ni les larmes Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant leur temps
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants2 Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vous vous étiez servi simplement de vos armes Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes • En i 962, Léo Ferré a mis en musique le poème d'Aragon dans
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants une chanson intitulée L'Affiche rouge.
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

1. Laisse : couplet d'une chanson de geste


2. Ni l'orgue ni la prière aux agonisants : allusion à des obsèques reli-
gieuses. 1. Erivan (ou Erevan) : capitale de l'Arménie.
C'est là, un soir mémorable que Darriet et moi, tirant à tour
Il. La poésie contre la barbarie
de rôle des bouffées délicieuse d'un même mégot, avons décou-
Jorge Semprun, L'Écriture ou la Vie. vert un goût commun pour la musique de jazz et la poésie. Un
Jorge Semprun est né en 1923 à Madrid. En 1937, il est peu plus tard, alors qu'on commençait à entendre au loin les
contraint de quitter l'Espagne franquiste avec ses parents et premiers coups de sifflet annonçant le couvre-feu, Miller est
termine ses études à Paris. Engagé très tôt dans la Résistance, venu se joindre à nous. Nous échangions des poèmes à ce
il est arrêté, puis déporté à Buchenwald1. Il retrace l'expé- moment-là : Darriet venait de me réciter du Baudelaire, je lui
rience du maquis et de l'univers concentrationnaire dans son lisais LaFileuse1 de Paul Valéry. Miller nous a traités de chauvins
premier roman Le Grand Voyage, paru en 1963. En 1994, il en riant. Il a commencé, lui, à nous réciter des vers de Heine,
revient sur cette expérience de la déportation dans un texte en allemand. Ensemble, alors, à la grande joie de Darriet qui
autobiographique,LÉcriture ou laVie. rythmait notre récitation par des mouvements des mains,
Arrivé à Buchenwald en janvier 1944, Semprun noue des liens comme un chef d'orchestre, nous avons déclamé, Serge Miller
d'amitié avec d'autres détenus français, déportés comme lui et moi, le lied de la Lorelei2.
lors des transferts massifs qui vidèrent les geôles françaises et Ich weiss nicht, was soll es bedeuten
le camp de Compiègne à la fin de l'année 1943. Yves Darriet et Dass ich so traurig bin...3
Serge Miller font partie de ces amis d'infortune : avec Semprun, La fin du poème, nous l'avons hurlée, dans le bruit assour-
ils partagent l'horreur quotidienne mais aussi des instants dissant des dizaines de paires de galoches de bois s'éloignant au
d'éternité volés à la barbarie et à la mort. La poésie devient galop pour regagner les baraquements, juste à la dernière
1 alors pour eux la seule parole capable de rappeler la dignité de minute avant le couvre-feu effectif.
s l'homme dans un décor d'apocalypse.
Und das hat mit ihrem Singen
Dans la foule hagarde du block 62, corvéable à merci, déso- Die Lorelei getan...4
rientée par le choc avec la réalité surprenante de la vie à Nous aussi ensuite, nous nous étions mis à courir pour regagner
Buchenwald, aux codes inexplicables mais absoluments contrai- le block 62, dans une sorte d'excitation, d'indicible allégresse.
gnants, nous n'avions pu nous reconnaître, découvrir les points
communs qui nous rattachaient au même univers culturel et Le camp de Buchenwald est libéré le I I avril 1945 par la
moral. C'est dans les latrines collectives, dans l'ambiance délé- 3e armée américaine. En attendant d'être rapatrié, Jorge
tère où se mélangeaient les puanteurs des urines, des déféca- Semprun vit encore dans le camp, lieu fantomatique où, en dépit
tions, des sueurs malsaines et de l'acre tabac de machorka2, que de la libération, on meurt encore du typhus et de la dysenterie.
nous nous sommes retrouvés, à cause et autour d'un même Seul sur la place de l'Appel, il déclame un poème de René Char
mégot partagé, d'une même impression de dérision, d'une pour affirmer la vie contre le sacrifice des innocents.
identique curiosité combattive et fraternelle pour l'avenir
d'une survie improbable. 1. LaFileuse : premier poème du recueil Album de vers anciens.
Plutôt d'une mort à partager. 2. La Loreleï : sirène légendaire qui envoûtait les bateliers du Rhin, elle
a donné son nom à un célèbre poème de Heine, qui inspira à son tour
Apollinaire. Sous la domination nazie, ce poème était déclaré d'auteur
inconnu, car on ne voulait guère révéler l'identité de Heine, grand
1.Buchenwald : Camp de concentration allemand situé près de Weimar, poète allemand (1797-1856), d'origine juive.
créé en 1937 pour l'internement d'opposants au régime nazi. 3. «Je ne sais pourquoi mon cœur est si triste »
2. Machorka (ou mahorca) : tabac de rebut qui se présente sous forme 4. «Et c'est la Lorelei, avec son chant fatal/Qui aura fait tout le mal. »
de filaments ligneux.
Sur la plate-forme de la tour de contrôle, un soldat améri-
cain est acoudé à la balustrade. Peut-être écoute-t-il la musique
La poésie engagée en question
de l'accordéon russe, comme moi. Au sommet de la tour, un
drapeau noir flotte en berne, depuis le jour de la libération. Benjamin Péret, Le Déshonneur des poètes ( 1945).
Depuis la mort de Franklin D. Roosevelt.
Né en 1899, Benjamin Péret rencontre André Breton à Paris
Elle est venue par cette ligne blanche... en 1920. Devenu un des fondateurs du surréalisme, il restera
Je murmure le début d'un poème qui se nomme La Liberté1. toute sa vie fidèle aux conceptions esthétiques du mouve-
ment dans ses poèmes faits d'un jaillissement continuel
Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien d'images. Il suivra aussi Breton dans son attitude politique, qui
signifier l'issue de l'aube que le bougeoir du crépuscule... allie le désir d'une révolution sociale et le refus de toute sou-
mission de l'art à des fins politiques.
Sans l'avoir prémédité, ma voix s'élève, se renforce, s'enfle,
pendant que je poursuis ma récitation. Ce refus est une des causes de son rejet du communisme sta-
linien, dans les années 30, et de son rapprochement avec le
Elle passa les grèves machinales ; elle passa les cimes éventrées. trotskisme. En 1936, il participe à la guerre d'Espagne dans les
Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du rangs républicains. Après la défaite, il reprend son métier de
mensonge, l'alcool du bourreau... correcteur à Paris. Mais, signalé comme militant révolution-
naire, il rejoint la zone sud. En octobre 1941, il s'exile au
Je crie désormais à pleins poumons, seul sur la place d'appel,
Mexique où il mène une existence précaire jusqu'à la fin de la
la fin du poème de René Char. guerre.
Le soldat américain a pris des jumelles et me regarde. C'est à Mexico qu'il publie en 1945 Le Déshonneur des poètes.
C'est le 12 avril que j'avais lu pour la première fois le poème Ce pamphlet est une réaction à L'Honneur des poètes, recueil
La Liberté. Ça tombait bien, c'était le lendemain de la libération de poèmes engagés publiés contre l'occupant nazi, auquel ont
de Buchenwald. notamment contribué Aragon et Éluard, les anciens compa-
gnons surréalistes, trahissant ainsi leur ancien idéal.
Il ne s'agit pas pour Péret de défendre « l'art pour l'art » et de
• Le livre de Geneviève Anthonioz De Gaulle, La Traversée de la refuser que les poètes s'engagent dans la cité. Dans les
nuit (Seuil, 1998), est le témoignage d'une résistante déportée à années 20 en effet, les surréalistes faisaient l'éloge de la
Ravensbruck et qui elle aussi, trouva dans la poésie un rempart à Révolution russe de 1917 et fustigeaient ouvertement les
la barbarie. valeurs traditionnelles (patriotisme, religion), au nom des-
• Deux anthologies ont été consacrées à la poésie des camps : quelles les combattants de la Première Guerre mondiale
André Verdet, Anthologie des poèmes de Buchenwald, Éditions s'étaient entretués.
Tirésias. Mais la poésie surréaliste doit tendre, au-delà de la révolution
Henri Ponzol, Ces voix toujours présentes, Presses Universitaires de sociale, vers une « libération totale de l'esprit humain », par
Reims. ses moyens propres, qui incluent notamment le rejet des
conventions littéraires passées.
L'Honneur des poètes suscite donc l'indignation de Péret à
double titre : d'une part, il considère que ces poètes commu-
nistes et chrétiens, sous prétexte de souder la population
1. René Char, Fureur et Mystère, Gallimard, 1948.
contre l'occupant, réhabilitent patriotisme et religion ; d'autre
part, il constate que leur éloge des valeurs traditionnelles cette brochure. Tant que les fantômes malveillants de la religion
s'accompagne d'un retour à des formes poétiques du passé, et de la patrie heurteront l'aire sociale et intellectuelle sous
en contradiction avec la liberté formelle qui est, pour lui, la quelque déguisements qu'ils empruntent, aucune liberté ne
condition même de l'expression poétique. sera concevable : leur expulsion préalable est une des conditions
capitales de l'avènement de la liberté. Tout « poème » qui exalte
Je ne veux pour exemple de ce qui précède qu'une petite une « liberté » volontairement indéfinie quand elle n'est pas
brochure parue récemment à Rio de Janeiro : L'Honneur des décorée d'attributs religieux ou nationalistes, cesse d'abord
poètes, qui comporte un choix de poèmes publiés clandestine- d'être un poème et par suite constitue un obstacle à la libération
ment à Paris pendant l'occupation nazie. Pas un de ces totale de l'homme, car il le trompe en lui montrant une
« poèmes » ne dépasse le niveau lyrique de la publicité pharma- « liberté » qui dissimule de nouvelles chaînes. Par contre, de tout
ceutique et ce n'est pas un hasard si leurs auteurs ont cru devoir, poème authentique s'échappe un souffle de liberté entière et
en leur immense majorité, revenir à la rime et à l'alexandrin agissante, même si cette liberté n'est pas évoquée sous son
classiques. La forme et le contenu gardent nécessairement entre aspect politique et social, et, par là, contribue à la libération
eux un rapport des plus étroits et, dans ces « vers », réagissent effective de l'homme.
l'un sur l'autre dans une course éperdue à la pire réaction1. Il est
en effet significatif que la plupart de ces textes associent étroite-
ment le christianisme et le nationalisme comme s'ils voulaient
démontrer que dogme religieux et dogme nationaliste ont une
1 commune origine et une fonction sociale identique. Le titre
même de la brochure, L'Honneur des poètes, considéré en regard
de son contenu, prend un sens étranger à toute poésie. En défi-
nitive, l'honneur de ces « poètes » consiste à cesser d'être des
poètes pour devenir des agents de publicité.

Il y aurait encore beaucoup à dire de la liberté si souvent évo-


quée dans ces pages. D'abord, de quelle liberté s'agit-il ? De la
liberté pour un petit nombre de pressurer l'ensemble de la
population ou de la liberté pour cette population de mettre à la
raison ce petit nombre de privilégiés ? De la liberté pour les
croyants d'imposer leur Dieu et leur morale à la société tout
entière et de la liberté pour cette société de rejeter Dieu, sa phi-
losophie et sa morale ? La liberté est comme un «appel d'air»
disait André Breton, et, pour remplir son rôle, cet appel d'air
doit d'abord emporter tous les miasmes2 du passé qui infestent

1. Réaction : réaction doit être pris ici dans son sens politique, c'est-à-
dire qui s'oppose au progrès social issu des principes révolutionnaires.
2. Miasmes : mauvaises odeurs.
Poésie anonyme, poésie
du passé, poésie engagée
La parole déguisée : poésie ludique, Nouvel Alphabet Français
poésie de contrebande
En 1940, les premiers Résistants étaient isolés, sans moyens et La Nation ABC
sans appui. Refuser la défaite, c'était d'abord ranimer l'espoir La Gloire FAC
de quelques-uns, tandis que la population française était effon- Les places fortes OQP
drée après un désastre militaire sans précédent. Ainsi sont nés Les provinces CD
les premiers tracts clandestins, manuscrits ou dactylographiés, Le Peuple EBT
accompagnés de la consigne : «Prière de faire circuler». Les lois LUD
Recopiés ou reproduits, suivant le principe de la chaîne, ils ont La justice FMR
parfois traversé toute la France. C'est le cas des deux poésies Le prix des denrées LV
reproduites ici. Un résistant franc-comtois, Jean-François Le Ruine HEV
Mugnier-Pollet témoigne du succès du Nouvel Alphabet Français La Honte VQ
chez les jeunes collégiens de Dole, Montbéliard et Pontarlier : Mais l'Espoir RST
«"L'espoir RST" est un leitmotiv, un véritable mot de passe des
| pensionnaires de Franche-Comté, fréquemment entendu par
le surveillant que j'étais alors1.»

Les jeux poétiques auxquels se livrèrent ces poètes de l'ombre ne Collaboration


sont pas sans rappeler les pratiques d'une génération de poètes
que l'histoire littéraire a rassemblés sous le noms de Grands
Rhétoriqueurs. Ces auteurs (Jean Meschinot, Jean Molinet, Jean Aimons et admirons le chancelier Hitler
Lemaire, etc.) dont les œuvres furent publiées entre 1470 et 1520 L'Éternelle ANGLETERRE est indigne de vivre
étaient des «manœuvriers du verbe» (Zumthor) qui hissèrent la Maudissons, écrasons le peuple d'Outre-Mer
formalisation poétique à un niveau rarement atteint, au risque par- Le NAZI, sur la terre sera seul à survivre
fois de l'hermétisme et de la gratuité. Poètes de cour, ils nourris- Soyons le seul soutien du fûhrer allemand
saient leurs écrits des événements politiques et militaires du De ces navigateurs tuons la race maudite
moment mais aussi de leurs questionnements philosophiques. À eux seuls appartient ce juste châtiment
Plusieurs siècles plus tard, des auteurs anonymes vont retrouver La Palme des vainqueurs répond au vrai mérite.
les astuces et les jeux des Grands Rhétoriqueurs (voir la «Ballade
à double lecture» et l'«Oraison qui se peult dire par hunt ou
seize vers, tant en rétrogradant que autrement» de Meschinot ou
encore le «Rondeau à lescture multiple» de Molinet, in Paul
Zumthor, Anthologie des Grands Rhétoriqueurs, 10/18,1978).

1. In François Marcot, Les Voix de la Résistance, Éditions Cêtre, 1989, p 43.


Patrimoine poétique et imitation
Nous avons évoqué dans la présentation comment tout un • «Les Conquérants», poème anonyme de la Résistance
patrimoine poétique avait été remis au goût du jour durant les (début 1941, Jura)
années noires de l'Occupation. Souvent.il s'agissait de revenir
aux sources d'une culture commune ou de redécouvrir un
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
héritage oublié qui retrouvait son actualité en temps de
Fatigués des ersatzl qui nourrissent à peine
guerre. Parfois, certains ont voulu reprendre à leur compte
De Brème et de Hambourg2, rouliers et capitaines
des oeuvres connues pour les détourner de leur vocation pre-
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
mière : travestis, investis d'une charge satirique, ces textes
exprimaient alors le refus de l'Occupant.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
C'est ce qu'illustrent les deux poèmes anonymes suivants.
Dont Londres et Paris gardaient leurs caves pleines
L'imitation du sonnet de Heredia délivre un message d'espoir
Et de brusqes défis vibraient dans leurs antennes
empreint d'une certaine solennité mais le procédé du pas-
Quand le Fûhrer parlait au monde occidental
tiche permet de considérer avec distance ce qui n'est encore
que l'utopie de la Libération. Celle de la Ballade des Dames du
Chaque soir, espérant des lendemains épiques.
temps jadis se joue des subtilités de la poésie savante de Villon
Les rives de la Manche et les ports atlantiques
pour mieux dénoncer sur un mode trivial les dures réalités
Enchantaient leur sommeil d'un mirage doré
des restrictions causées par l'Occupation.

Jusqu'au jour où, brisés dans leur noire envolée


Ils virent s'éployer dans un ciel ignoré
•José Maria de Heredia, «Les Conquérants» (Les Trophées, Signe du Jugement, la bannière étoilée3.
1893)
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;
1. Ersatz : produits alimentaires, souvent de piètre qualité, qui en rem-
Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles, placent d'autres, de qualité supérieure, devenu rare; ici, à cause des res-
Ils regardaient monter en un ciel ignoré trictions de la guerre, (l'orge grillé remplaçant le café par exemple).
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. 2. Brème, Hambourg : ports allemands.
3. La bannière étoilée : le drapeau américain.
• François Villon, «Ballade des Dames du temps jadis» • «Ballade des Dames du temps jadis», poème anonyme1
(LeTestament, 1461). (début 1941, Jura)

Dites-moi où, n'*en quel pays * et Dites-moi où, dans quel pays
Est Flora la belle Romaine Sont allés nos chapons du Maine
Archipiades* ne Thaïs '* Alcibiade Nos vaches grasses, nos brebis
qui fut sa cousine germaine ; Et nos moutons de haute laine ?
Écho, parlant quand bruit on mène Frappés de disette soudaine
Dessus* rivière ou sur étang, * sur Nous restons là, claquant des dents;
Qui beauté ot* trop plus qu'humaine? * eut Plus rien à mettre en nos bedaines.
Mais où sont les neiges d'antan? Mais où sont les neiges d'antan?

Où est la très sage* Héloïs, * savante Où s'en va le cuir de nos bœufs?


Pour qui fut châtré et puis moine Ce n'est point nous qui portons les bottes.
Pierre Esbaillart* à Saint-Denis ? * Abélard Où vont notre beurre et nos œufs?
Pour son amour ot cette essoine* * eut cette épreuve Nous n'en voyons cageot ni motte.
Semblablement, où est la roine Semblablement où vont nos crottes
Qui commanda que Buridan Du chocolat au nouvel an?
Fut jeté en un sac en Seine? J'en ai vu emporter des hottes.
Mais où sont les neiges d'antan? Mais où sont les neiges d'antan?

La roine* Blanche comme un lis * reine La crème, blanche comme un lis,


Qui chantoit à voix de seraine*, * sirène La lard rose à la brune couenne,
Berthe au plat pied, Bietrix, Aliz, Nos bons fromages de pays,
Haramburgis qui tint le Maine, Les patates de nos domaines,
Et Jeanne, la bonne Lorraine Et les lapins de nos garennes
Qu'Anglois brûlèrent à Rouen ; Qui sont occis par l'occupant
Où sont-ils*, où, Vierge Souvraine? * elles Où vont-ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d'antan? Mais où sont les neiges d'antan !

Prince, n'enquerrez de semaine Prince, n'enquerrez de semaine


Où elles sont, ne de cet an, Où tout s'en va, ni de cet an ;
Qu'à ce refrain ne vous remaine * : * Vous ne sauriez Tout part chez notre sœur germaine
Mais où sont les neiges d'antan? demander ni cette Mais où sont les neiges d'antan?
semaine ni cette
année où elles sont,
que je ne vous ramène
à ce refrain

1. Présenté sur les ondes de la BBC, le 3 mars 1942.


Glossaire des figures de style 2. Les figures de substitution
La poésie de la Résistance est une poésie engagée qui prête ses La métonymie Deux réalités sont liées Paris* a froid, Paris a faim.
pouvoirs pour mieux témoigner, pour convaincre et décider, par un rapport de proxi- (Éluard, «Courage»,
mité (contenant/ Au rendez-vous allemand.)
pour emporter l'adhésion de ses lecteurs. C'est pourquoi contenu, effet/cause,
images fortes et figures de style expressives abondent dans ses origine/objet.). Permet
de donner de la densité * Paris désigne ici les habitants
vers : elles sont autant de moyens pour dénoncer l'inacceptable à l'énoncé. de Paris.
mais aussi pour susciter 'émotion et pour raviver l'espoir. La synecdoque Deux réalités sont liées Mais à l'heure du couvre-feu,
par une relation d'in- des doigts errants/avaient
I. Les images clusion ou de contiguïté écrit sous vos photos MORTS
(la partie pour le tout, POUR LA FRANCE.
Noms des figures Définitions Exemples la matière pour l'ob- (Aragon, « Strophes pour
jet...). Donne une vision se souvenir», Le Roman
La Procédé de style qui Une voix, comme un tam- fragmentée, impression- inachevé.
comparaison consiste à établir un bour, voilée / Parvient pour- niste de la réalité.
rapport de ressem- tant distinctement jusqu 'à
blance (élément nous. (Desnos, «La Voix», 3. Les figures d'opposition
commun) entre Contrée.)
deux réalités. Dans L'antithèse Mise en relief de deux La vie et la mort, l'ombre et la
la comparaison, les expressions en les lumière.
deux termes (élément opposant. Or du fond de la nuit, nous
comparé et élément témoignons encore/De la
comparant) sont mis splendeur du jour et de tous
en relation par un outil ses présents.
grammatical (outil Desnos, «Demain», État de
de comparaison). veille.
La métaphore Image qui consiste Tu as envié comme nous L'oxymore Rapprochement de La guerre : «une boucherie
à identifier deux termes les clochards épiques deux mots dont le sens héroïque».
par le biais d'une de Leclerc *. est apparemment (Voltaire, Candide)
comparaison dont on (Discours d'André Malraux inconciliable (cas parti-
culier de l'antithèse.)
a supprimé le lien pour l'entrée des cendres de
grammatical. Jean Moulin au Panthéon.) Le chiasme Disposition symétrique Le matin est neuf, neuf est le
(a-b-b-a) d'éléments soir.
* Les soldats de la 2e DB. constitutifs de deux (Desnos, « Demain », État de
L'allégorie Idée générale ou Le temps, vieillard souf- groupes d'antithèses. veille.)
abstraite mise en scène frant de multiples entorses/
sous une représentation Peut gémir. 4. Les figures d'amplification et d'atténuation
concrète ou une (Desnos, «Demain», État de L'hyperbole Exagération dans Je suis morte de fatigue.
métaphore animée. veille.) les termes que l'on
L'allégorie est souvent Dans nos ténèbres, il n'y a pas emploie pour insister
indiquée par la de place pour la Beauté. Toute sur une idée.
majuscule. la place est pour la Beauté. La gradation Coordination ou juxta- Voici l'or, viens, pille et vole,
(Char, «Feuillets position de plusieurs Petit, petit.
d'Hypnos»,fr.237.) termes de force crois- (Hugo, Les Châtiments)
sante ou décroissante.
La Procédé qui consiste à L'Europe sous sa loi guerrière
personnification attribuer un comporte- se débattit. La litote Dire peu pour suggérer Je n'étais pas mécontent de :
beaucoup (souvent em- j'étais très satisfait.
ment humain à une idée, (Victor Hugo, ployée dans une phrase
un objet ou un animal. Les Châtiments.) a forme négative).
L'euphémisme Type particulier de péri- Il est parti, il a fini.
phrase visant à atténuer (Guillevic, «Bretagne»,
l'expression d'une réa- Exécutoire.)
lité brutale ou blessante.

5. Les procédés d'insistance


Le parallélisme Syntaxe semblable de Un grand soleil d'hiver éclaire
deux énoncés (rythme la colline/Que la Nature est
la phrase, souligne belle et que le cœur me fend.
l'antithèse) (Aragon, « S t r o p h e s p o u r se
souvenir», Le Roman inachevé)
/
Répétition Répétition d'un même Vingt et trois qui donnaient
et anaphore mot dans une phrase ou leur cœur avant le temps
au début de chaque Vingt et trois étrangers et nos
phrase. frères pourtant
Vingt et trois amoureux de
vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la
France en s'abattant.
(Aragon, « S t r o p h e s p o u r se
souvenir», Le Roman inachevé)

Énumération Série plus ou moins Ily a beaucoup de bols blancs


et accumulation longue de termes appar- Des yeux, des poing, des
tenant à une même hurlements...
catégorie grammaticale (Guillevic, « B r e t a g n e » ,
(effet de profusion Exécutoire.)
ou d'anarchie).
6. Autres figures
La périphrase Évoquer un mot par une La ville-lumière : Paris
expression synonyme.
L'ellipse Effet d'intensité créé Rien qu 'un mot, la porte cède,
par le sous-entendu, par S'ouvre et tu sors, rien qu'un
l'omission de termes mot*.
qui peuvent cependant (Aragon, «Ballade de celui
se deviner. qui chanta dans les sup-
plices », La Diane française. )
* Allusion à Gabriel Péri torturé
mais qui ne parla pas.
La paronomase Rapprochement de deux Solitaire, solidaire.
mots dont le son est pro- Aux armes citoyens,
che mais le sens différent. aux larmes citoyens.
L'apostrophe Procédé oratoire qui Frères, ayons du courage...
consiste à interpeller le (Éluard, «Courage»,
destinataire du discours. Au rendez-vous allemand.)
0 ma France, 0 ma délaissée.
(Aragon «C», Les Yeux
d'Eisa.)

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