1971 Archipel Voyageurs Français Dans L'archipel Insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe Siècles
1971 Archipel Voyageurs Français Dans L'archipel Insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe Siècles
Lombard Denys. Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles. In: Archipel, volume 1, 1971. pp.
141-168;
doi : https://doi.org/10.3406/arch.1971.929
https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1971_num_1_1_929
Abstract
3)The importance of sources in Dutch and English has often caused people to forget that there also
exist important accounts written by French travellers, useful to the historians of the Archipelago. Denys
Lombard here passes in review the most important of these Voyages, giving for each the
bibliographical references. He evokes the figures of the great precursors, the brothers Parmentier, and
Vincent Leblanc (XVIth century), then the expeditions of Admiral Beaulieu, the accounts of Tavernier
and Gervaise (XVII th century). The XVIII th. century sees the passage notably of Poivre, then
Sonnerat, as well as the translation of several important works (Vies des gouverneurs généraux des
Indes orientales, by Dubois, La Haye, 1763). The beginning of the XIXth century is marked, of course,
by the passage of Daendels, but also by the arrival of several French officers out of work following the
end of the Napoleonic wars and later employed in the Army of the Indies. The uniting of the
Netherlands to Belgium (1815-1830) also provoked a series of publications in French on the
Archipelago. The account of the young Count of Beauvoir who passed through Java in 1866, know
numerous re-editions, and marked a certain increased awareness of Indonesia in French
consciousness. The opening of the Suez canal (1869) "brought together" the Indies and multiplied the
voyages (X. Brau de Saint-Pol Lias). In 1878 the Universal Exposition in Paris contained a section on
the "Iles de la Sonde", and the following year a small team of orientalists lead by Count Meyners
d'Estrey started the Annales d'Extrême-Orient which gave a considerable attention to the "Malay
world". Towards the end of the century, one witnesses a certain regression in knowledge : the Annales
cease appearing after eight years, the "juridical" studies (comparison of colonial systems) appear and
exoticism is awakened with the coming of the first "tourists".
141
Le rôle joué par les Hollandais et, à un moindre titre, par les Britanniques
dans l'histoire moderne de l'Archipel insulindien a fait que l'immense
majorité des sources étrangères dont nous disposons pour étudier cette histoire
se trouvent aujourd'hui rédigées en néerlandais ou en anglais. On en vient
naturellement à considérer comme quantité négligeable les documents
rédigés en une autre langue. Nous voudrions attirer ici l'attention sur quelques
récits de voyageurs français, non pas inédits ou inconnus, mais souvent oubliés
et qui mériteraient néanmoins d'être mieux exploités. Une des raisons de ce
relatif "oubli" est que la plupart d'entie ces récits n'ont jamais fait l'objet
d'une réédition, faute peut-être d'une société savante, qui telle la Hakluyt
Society de Londres ou la Linschoten Vereeniging de La Haye (*), eût
entrepris en France de les mettre à la disposition d'un plus large public. En ce qui
concerne certains de ces Voyages, ceux du XVIIème s. notamment, les
quelques rares exemplaires qui sont parvenus jusqu'à nous, ont depuis longtemps
rejoint les rayons des bibliothèques spécialisées, lorsque ce n'est pas la
réserve de ces bibliothèques, et seul le bibliophile aux aguets peut avoir la
chance de les voir parfois paraître dans quelque catalogue de Brill ou de Nabrink.
Nous évoquerons ici ceux qui nous paraissent les plus intéressants, ce qui
nous conduira, chemin faisant, à préciser quelques étapes dans la longue
histoire des relations entre la France et l'Archipel (2).
*) Fondée vers 1840, la Hakluyt Society (du nom du géographe Richard Hakluyt, -1533
1616, qui publia en 1589 les Principales navigations et principaux voyages de la Nation
anglaise) a réédité un grand nombre de Voyages anglais et quelques Voyages étrangers,
avec traductions anglaises. Conçue sur le même modèle, la Linschoten Vereeniging
(ou "Société Linschoten", du nom du grand pionnier J.H. van Linschoten,
1563-1611, auteur d'un précieux Itinerario, ou "Itinéraire" à travers l'Océan
indien) a été fondée en 1908 et avait réédité LX volumes en 1957 (tous récits
de voyageurs néerlandais).
*) On trouvera un exposé succinct de ces relations dans l'article intitulé Franschen in
den Maleischen Archipel (de), "Les Français dans l'Archipel malais", paru dans
i'Encyclopaedie van Nederlandsch-Indiê, 1917, t.I, p. 723.
142
8) Les Voyages Jameux du Sieur Vincent Leblanc marseillois qu'il a faits .... aux quatre
parties du monde, rédigez sur ses Mémoires, tirez de la bibliothèque de Mr de
Peiresc, par P. Bergeron, A Paris, chez Gervais Clousier, au Palais, sur les degrez
de la Saincte Chappelle, MDCXLIX, avec privilège du Roy.
144
•; Voir O. Collet, L'île de Java sous la domination française, Bruxelles, 1910, Livre I, chap
I. et T. Barassin, Compagnies de navigation et expéditions françaises dans l'Océan indien
au Xi/Ilème s., in Océan indien et Méiiterranée (6ème colloque intern. d'Hist. marit.)
SEVPEN, 1964, pp. 373-389.
10) Les Mémoires de Beaulieu se trouvent au tome II des Relations de divers voyages
curieux Paris, 2 vol., 1664-1666.
146
C'est ici le lieu d'évoquer une figure peu banale de ce premier XVIIème
s., celle de l'aventurier français Pierre Berthelot; d'origine normande, il était
devenu pilote et cartographe au service du Portugal, puis après avoir
bourlingué sur toutes les mers des Indes, était entré dans l'ordre des Carmes
déchaux, sous le nom de Père Denis de la Nativité. Cette tardive conversion ne
le détourna point du siècle et lorsque, en 1638, les Portugais de Goa
pensèrent à envoyer une ambassade à Atjéh afin de rétablir des relations plus
cordiales avec le Sultanat, le vice-roi Dom Pedro de Silva demanda au Père Denis
de se joindre à l'expédition. Lorsque la petite flotte arriva en vue de 1' "île des
exilés" (c'est-à-dire l'île de Sabang), elle fut reçue à coups de canon par des
vaisseaux hollandais, qui tâchèrent de lui interdire l'accès de la baie d'Atjéh.
Après un furieux combat, au cours duquel l'ambassadeur Soza de Castro fut
u) Nous en avons fait abondamment usage dans notre Sultanat a" Atjeh au temps d'Is-
kandar Muda, 1607-1636, Publ. de l'EFEO, vol. LXI, Paris, 1967.
147
12) Notamment un Voyage d'Orient, par le R.P. Philippe de la Très Sainte Trinité (Lyon,
Juilleron, 1652). Consulter surtout la biographie du P. Denis par Ch. Bréard,
Histoire de Pierre Berthelol, Paris, 1889.
l8) Voir notamment: Collet, op. cit., p. 81 sqq.
14) Les six Voyages de Jean Baptiste Tavernier, Ecuyer Baron d'Aubonne, en Turquie, en Perse
et aux Indes, pendant l'espace de quarante ans <& par toutes les routes que Von peut tenir,
3 vol. Paris, 1679.
148
Turc, mais dont plusieurs chapitres (tome II, livre 3, chap. XXI à XXIX, et
tome III, livre 5, intitulé: "Histoire de la conduite des Hollandais en Asie")
concernent particulièrement l'Insulinde. Tavernier fut à Batavia et à Banten
(qu'il orthographie "Bantam", selon l'habitude de l'époque) en 1648-49; son
frère cadet l'y avait précédé dès 1638 et avait appris parfaitement le malais;
il avait su si bien gagner les bonnes grâces du "Général Vandime" (le
Gouverneur Van Diemen) qu'il en avait obtenu l'autorisation d'acquérir un gros
vaisseau de 14 canons et de se livrer au commerce, au Siam, au Tonkin et
jusqu'à Makasar.
H.T. Damsté, dans un article intitulé Een Franschman over Celebes in 1688, "Ecrit
d'un Français sur Celebes en 1688", in Koloniaal Tijdscbrift, 7, 1918, pp. 1383-
1398.
150
19) Voyage d' Innigo de Biervillas, portugais, à la côte de Malabar, Goa, Batavia et autres lieux
des Indes Orientales, Paris, 1736.
20) Cf. Morls, Journal de bord du Bailli de Suffren dans l'Inde 1781-1784, Paris, 1888.
al) Voir son célèbre Voyage autour du monde par la frégate du Roi "la Boudeuse" et la flûte
"l'Etoile", 1766-1769, 2 vol., 1771-1772.
Sï) C'est pour y apprendre que Louis XVI a été exécuté ; d'Auribeau fait hisser le
drapeau blanc en dépit de l'opposition des officiers républicains ; sur ces
événements et les troubles qui s'ensuivirent, voir La Billardière, Relation du voyage à la
recherche de La Pirouse fait par ordre de Assemblée constituante, Paris, an VII,
152
iZ) Une première biographie de Pierre Poivre a été rédigée par Dupont de Nemours
et éditée en tête des "Oeuvres complettes", parues à Paris, chez Fuchs, en 1797. Ce
nom d' "Oeuvres complettes" ne doit pas faire illusion; il subsiste en fait un ttès
grand nombre d'inédits.
2*) Ce texte resté longtemps inédit, a été récemment publié par Louis Mallei et: Un
manuscrit inédit de Pierre Poivre; les mémoires d""un voyageur, texte reconstitué et annoté,
Publ. de l'EFEO, vol. LXV, Paris, 1968. Sur Poivre, on peut également consulter:
Madeleine Ly-Tio-Fane, Pierre Poivre et l'expansion française dans r Indo-Pacifique,
in BF.FEO, tome LUI, 2, Paris 1967, pp. 453-511, avec XIV planches.
153
les "lumières" se passionnaient pour "les Indes" et cet intérêt était à l'origine
de plusieurs ouvrages d'envergure. Dès le début du siècle, René Auguste de
Renneville, un "réformé" réfugié en Hollande puis en Angleterre, publiait
un Recueil des voyages qui ont servi à rétablissement et aux progrés de la
Compagnie des Indes Orientales (Amsterdam, 1702-1705, 5 vol. in 12). En 1706,
paiaissait à Amsterdam une traduction française du traité d'Argensola
intitulé: Histoire de la conquête des Moluques par les Espagnols, par les Portugais
et par les Hollandais, source importante pour l'histoire des Moluques aux
XVIème et XVIIème s. Signalons aussi que le Grand Dictionnaire
géographique, historique et critique de Bruzen de la Martinière comporte un excellent
article "Batavia" (éd. de 1748, 1. 1, p. 106), dont la matière a été puisée dans
des sources hollandaises.
En 1763, J.P.J. Dubois, secrétaire de l'ambassadeur de Pologne en
Hollande, publiait une importante compilation destinée au public francophone :
Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales avec Vabrégé de l'histoire
des établissements hollandais (La Haye, in 4°); la matière y est présentée
chronologiquement, selon les "règnes" successifs; on y trouve plusieurs cartes et
plans et, à la fin, une traduction des Réflexions du Gouverneur van Imhoff.
Citons encore les travaux cartographiques de Danville (sa carte de l'Archipel
de 1752 aura les éloges de Bougainville) et surtout la célèbre Histoire
philosophique et politique de l'Abbé de Raynal (1 ère éd. La Haye, 1774), dont le
livre second (tome, I, p. 141-258) consacré aux "Etablissemens, guerres,
politique et commerce des Hollandais dans les Indes Orientales", fit sans doute
plus que tout autre ouvrage pour informer le grand public sur ces
questions.
Cet intérêt se maintient jusqu'à l'extrême fin du siècle. En 1796 ("An
IV"), parait à Paris une traduction des Voyages du botaniste suédois C.P.
Thunberg, "au Japon, par le Cap et les Isles de la Sonde", avec des
commentaires dus aux citoyens L. Langlés et J.B. Lamarck. L'ouvrage comporte un
gros chapitre sur Java que Langlés avait enrichi de compléments, empruntés
aux premières publications de la "Société Batave" (fondée en 1778) ainsi que
de lexiques malais et javanais. En 1798 ("An 6 ème"), H.J. Jansen publiait,
à Paris également, la traduction qu'il avait faite du Voyage de J.S. Stavori-
nus, chef d'escadre de la République batave, "à Batavia, à Bantam et au
Bengale, en 1768, 69, 70 et 71"; dans sa préface, il envisageait déjà le moment
où, la paix étant revenue en Europe, il serait possible de s'intéresser à nouveau
à ces lointaines contrées: "A cette heureuse époque, les vues se porteront
sans doute vers les grandes spéculations commerciales dans les deux Indes,
les seules qui soient propres à ramener promptement l'abondance et la pros-
155
Le rêve, successivement caressé par Caron, par Martin, puis par Poivre,
de voir la France s'installer de façon durable en lnsulinde, faillit devenir
réalité lorsque les guerres "de la Révolution et de l'Empire" eurent remis en
question, en Asie comme en Europe, l'équilibre incertain qui s'y était jusqu'
alors maintenu. Ce n'est pas le lieu de reprendre ici dans le détail l'histoire
des quelque quinze années qui vont de l'expiration du privilège de la
Compagnie des Indes Orientales (1799) à la rétrocession de la colonie à la couronne
des Pays-Bas (traité de Vienne, 1815), ni celle des "activités françaises" dans
l'Archipel à cette époque. On trouvera dans la monographie de O. Collet,
Ulle de Java sous la domination française (Bruxelles, 1910, 558 p.), grande
abondance de détails sur la personne et le "règne" du célèbre Daendels, né
en Gueldre mais acquis aux "idées françaises" et nommé Gouverneur général
par Louis Bonaparte, lorsque celui-ci eut été promu Roi de Hollande. Parvenu
à Java au début de 1808, il y prit toute une série de mesures pour défendre
l'île contre le blocus anglais et n'hésita pas à faire hisser le drapeau français
lorsque la nouvelle lui fut parvenue du rattachement des Pays-Bas à l'Empire
(février 1811) (»).
Durant les quelques années que dura cet "intermède", un grand nombre
de Français fut amené à passer par Java, ingénieurs, officiers, marins ou
soldats, venus pour défendre l'île contre les Anglais. L'un d'entre eux, le
capitaine du génie Charles François Tombe nous a laissé un intéressant Voyage
aux Indes Orientales pendant les années 1802-1806 (Paris, Bertrand, 1811, 2
vol. avec atlas); naufragé en 1805 dans le détroit de Bali, il nous décrit
notamment le pénible voyage qu'il dut accomplir par terre "de Bagnouwangui
à Gressec", à un moment où la fameuse route de Daendels n'était pas encore
construite. Le tome II comporte (pp. 241 à 348) un "Abrégé des principes de
la langue malaise", suivi d'un petit vocabulaire. A signaler encore le Journal
des opérations militaires qui ont eu lieu à Java jusqu'au jour où la colonie
capitula, rédigé par le brigadier général Jauffret (26), ainsi que le Précis de la
campagne de Java en 1811 , rédigé en français par Bernard, duc de Saxe Weimar
Einsenbach (La Haye, 1834).
28) Signalons ici la récente thèse de J. Eymeret, Herman Willem Daendels général
napoléonien gouverneur à Java, Paris, 1968, exempl. dactyl.
*•) Publié dans la Repue militaire indonéerlandaise, 1879, p. 502.
156
Horace Vernet en Algérie (27). Il n'est pas jusqu'à Victor Hugo qui passe
pour avoir alors traduit quelques pantun (28).
Mais un fait surtout va multiplier pendant plusieurs décennies les
départs de Français pour l'Insulinde. La guerre qui pendant vingt cinq années
a fait rage en Europe, cesse, juste au moment ou le gouvernement de Batavia
*7j Sur Radén Saleh, voit notamment la petite étude de Dr. Soekanto, Dua Raden
Sa/eh, dua nasionalis dalam àbad ke-19, Djakarta, 1951. Dans son Voyage autour du
monde, dont nous reparlerons un peu plus loin le Comte de Beauvoir raconte ainsi
l'entrevue qu'il eut à Batavia, le 13 décembre 1866, avec le grand peintre, revenu à
Java: "Nos petits poneys galopeurs nous firent de nouveau parcourir les longues
avenues qui mènent aux glacis de la citadelle, et nous descendîmes au chalet
historié et enluminé du peintre Raden-Saleh, qui a passé nombre d'années dans les cours
de l'Europe, courant d'aventure en aventure. N'est-ce point pour lui qu'une miss
anglaise s'est empoisonnée? N'est-ce point lui qui a servi de type à Eugène Sue dans
les Mystères de Paris ? Il est l'original architecte de sa demeute qu'il a peinte en rose
tendre; elle est ombragée de tamariniers et de flamboyants et donne sur les enclos
du jardin botanique où gambadent les panthères noires et les tigres royaux : ce sont
les modèles qui lui servent pour ses tableaux, dans lesquels il excelle à rendre les
brillants effets de la nature des tropiques .11 parle un peu français et très bien
allemand: "Ah 1 nous disait-il dans cette dernière langue, je ne rêve plus qu"à
l'Europe; car là on est si ébloui qu'on n'a pas temps de penser à la mort ! "Singulier
contraste que celui d'entendre cet homme de couleur, en veste verte et en tuban rouge,
armé d'un kriss et d'une palette, parler dans la langue de Goethe de l'art français,
des beautés anglaises, des souvenirs curieux de sa vie européenne "
2a) Dans un ouvrage dont nous reparlerons p. 159, Quinze ans de iéjour à Java (Tours,
1863), on trouve, aux pp. 144-5, le passage que voici: "Voici la traduction presque
littérale que M. Victor Hugo a faite d'un pantou (sic) malais fort connu, et auquel
on ne saurait refuser de la grâce et un certain mouvement poétique:
Les papillons voltigent vers la mer,
Qui du corail baigne la longue chaîne.
Depuis longtemps mon coeur sent de la peine,
Depuis longtemps j'ai le coeur bien amer
Les papillons voltigent vers la mer,
î Et vers Bandan un vautour tend ses ailes;
Depuis longtemps, belle parmi les belles,
Plus d'un jeune homme à mon regard fut cher.
Et vers Bandan un vautour tend ses ailes;
Ses plumes, là, tombent sur Patani
Plus d'un jeune homme à mon coeur fut uni.
Mais tout le cède à mes amours nouvelles. ..."
Dans le recueil de Pantun Melaju, publié par Balai Pustaka, on trouve, p. 104, no.
552, le texte malais d'un pantun dont une variante aurait pu servir de modèle au
troisième des quatrains reproduits ci-dessus:
Bu rung nuri terbang ke Padang
bulunja djatuh ke Patani.
Banjak muda sudah kupandang,
tiada sama mudaku ini.
Après V. Hugo, Leconte de Lisle, Baudelaire, R. Ghil s'essayèrent tour à tour à
composer des "pantoun" (ou des "pantou m" 1).
158
contraignant à l'exil
"chômeurs" gagnentbonlesnombre
Pays-Bas
de etfamilles
se laissent
compromises;
séduire, lorsqu'ils
beaucoupsontdeassez
ces
jeunes, par les promesses des recruteurs : "Là, continua mon interlocuteur —
c'est un exilé français qui nous rapporte la conversation — s'ouvre pour vous
une carrière brillante; vous pouvez comme militaire, y obtenir un avancement
rapide, et en même temps prendre part à des spéculations commerciales qui
vous conduiront à la fortune; car dans nos colonies, l'état militaire n'est pas
incompatible avec ces sortes d'opérations "
L'armée des Indes néerlandaises était au fond une sorte de "légion
étrangère" et nombreux les Européens de tous grades qui cherchèrent à s'y
engager, tout au long du XIXème s. On sait qu'en 1876, Arthur Rimbaud y prit
du service et fut envoyé à Java; il déserta moins d'un mois après son arrivée
à Batavia (29) et parvint à regagner l'Europe dans des conditions encore assez
mal connues; il ne nous a laissé aucun récit de cette aventure, mais certains
autres engagés n'ont pas observé le même silence (30).
Un légitimiste dans l'Armée des Indes
Un certain J.J.E. Roy a recueilli et publié les souvenirs de l'un d'entre
eux, "ancien officier de la garde royale de Charles X", chassé par la Révolu-
29; Sur cette "aventure" de l'auteur du Bateau ivre, voir L.C. Damais, A. Rimbaud
à Java in Bul. Soc. Et. Indoch., XLII, no. 4, 1967, pp. 339-349.
8o) Nous sommes loins de connaître les noms et les aventures de tous les officiers
français engagés dans l'armée des Indes et il n'est pas impossible que certains de
leurs récits dorment encore inédits dans quelque bibliothèque privée. Certains
d'ailleurs, plus aventureux encore, n'avaient pas hésité à prendre du service auprès
des souverains "malais" indépendants; à preuve ce colonel Delorme, qui avait
construit les fortifications de la ville de Boné, à Celebes sud, et dont le Général
Baron Lahure (aide de camp du roi Leopold et belge de naissance) nous conte
brièvement l'histoire dans son récit intitulé Utle de Celebes, (Bruxelles, Rotterdam, 1880
p. 110): "Depuis la restitution des colonies à la Hollande (1815), cette souveraine
(la reine de Boné) n'avait pas cessé un seul instant de se tenir en communication
avec les émissaires britanniques. Elle avait reçu des armes, de l'artillerie et des
munitions nombreuses par cette voie; un colonel français exilé, M. Delorme, avait
même fortifié à l'européenne la ville de Boni, ainsi que son port de Badjoua
(Badjo-é), avec une perfection si grande que les Boughinais considéraient leurs
positions militaires comme capables de défier indéfiniment les moyen? d'attaque
et les ressources dont peut disposer un corps expéditionnaire dans ces régions
lointaines . . Une fois ces travaux importants terminés, elle (la reine) avait trouvé
tout naturel de se débarrasser de l'infortuné colonel par des moyens sommaires;
elle donna une fête nautique en son honneur; la pirogue qu'il montait était
conduite par quatre habiles nageurs qui coulèrent l'embarcation et se sauvèrent
à la côte tandis que Delorme perdait la vie dans les flots .. .." (Nous devons
cette intéressante référence à Christian Pelras).
159
tion de 1830 et resté anonyme; le texte s'intitule Quinze ans de séjour à Java et
dans les principales îles de la Sonde (Tours, Marne, 1863). Engagé comme
capitaine, le jeune homme arrive à Batavia, avec son régiment. La ville n'a guère
que 60 000 habitants et se remet comme elle peut de la chute démographique
provoquée par la terrible épidémie de choléra de 1822. Après quelques mois
passés dans la capitale des Indes, dont il nous décrit avec admiration les
quartiers alors nouveaux de Weltevreden et de Meester Cornelis, il est
envoyé en garnison à Java centrale, où l'"ordre" vient d'être rétabli. A
Surakarta, il est l'hôte d'un certain Tsmaêl Kayam, "lourah de la garde
du sousounan", qui le reçoit "avec une hospitalité des plus affectueuses",
tout heureux de voir un Français, c'est-à-dire un compatriote du "grand
Napoléon". "Est-ce que vous avez été un guerrier de ce grand conquérant ?"
lui demande avec intérêt le lurah. "Non, lui répond notre légitimiste, j'étais
trop jeune alors". Et d'ajouter à notre seule intention: "Je ne jugeai pas à
propos de lui expliquer les autres motifs qui m'auraient empêché, même quand
j'aurais eu l'âge, de servir sous Napoléon. .."
Il utilise les loisirs assez nombreux que lui laisse son métier militaire,
pour se mettre à l'étude du malais et du javanais et au bout de deux à trois
ans de séjour, est à même "non seulement de converser avec les indigènes de
Java et les autres Malais, mais de lire et de comprendre les ouvrages écrits en
djawi et en kawi". Dans son chapitre VII, il nous fait un exposé assez exact
sur les littératures malaise et javanaise, en y joignant un résumé du sjair Bi-
dasari. Il visite aussi les principaux sites archéologiques de Java, y compris
le fameux temple du Sukuh (sur le flanc du Mont Lawu) qu'il nous décrit
en ces termes: "Une des constructions principales consiste en une pyramide
tronquée qui s'élève sur le sommet de trois terrasses superposées les unes au
dessus des autres. Près de la pyramide sont des sculptures, deux obélisques
et des tougou ou bornes et des piliers en partie renversés .... On distingue
parmi ces ruines une statue humaine d'une taille gigantesque ayant des bras
ailés comme les chauves souris (très vraisemblablement une allusion à une
des effigies de Garuda) Toutes ces sculptures qui semblent appartenir
à une autre époque que celle de Boro-Bodo (Borobudur), de Malang ou de
Brambanan (Prambanan), sont exécutées avec moins d'art, moins travaillées . .
Par un reste de leurs anciennes superstitions quand les naturels du pays
veulent se préserver de quelque malheur, ils ont coutume de faire du feu et de
brûler des parfums dans ce temple". On pourrait citer parallèlement de
bonnes descriptions concernant les "compositions dramatiques des Javans", leurs
danses masquées et leurs "scènes ombrées".
Après ce séjour à Java central, l'officier revient à Batavia et part avec
160
son régiment "contre les pirates de la côte de Billiton". Après quoi il sillonne
l'Archipel en tous sens, se rendant à Palembang, à "Benkoulen", à "Sambass"
(et dans la petite colonie chinoise de "Matrado"), à Pontianak, puis à
Celebes, à Amboine et pour finir, à Bali, lorsque, en 1844, les Hollandais
interviennent sur la côte nord de l'île, contre le "radjah de Bliling".
8l) Nous avons consulté l'édition de 1878, qui est la douzième (Paris, chez Pion).
"La rade de Bantan" — Voyage du P. Tachard, 1689 (Cf. p. 150)
Voyage du Comte de Beauvoir, 1866
(Cf. p. 161)
82) Probablement quelques uns des fameux tambours de bronze d'époque proio-
historique qui ornent aujourd'hui la salle de préhistoire!
83) II s'agit bien tûr du site de Batu tulis cù se trouve encore aujourd'hui une des plus
anciennes inscriptions en soundanais. Beauvoir ajoute les détails que voici: ,,Une
déesse est censée avoir tracé des caractères hiéroglyphiques sur une pierre plate
placée verticalement ; l'empreinte de ses pieds est restée gravée dans le roc puis la
terre s'entr'ouvrant (la crevasse existe) l'aurait avalée comme une pilule . ..",
162
•*) Parmi les autres récits de voyageurs français datant de cette époque, citons encore
celui du peintre de Molins, Voyage à Java, 1858-1861, paru dans le Tour du Monde,
1864, II, pp. 231-289.
w) Cf. James W. Gould, Americans in Sumatra, La Haye, Nijhoff, 1961.
*•) Deux ans dans
Lenthiolle, Relation
le pays d'un
des épices,
voyage Paris
aux Iles
,1880,
de la323
Sonde,
p.; Rotterdam,
Leclercq, Un1876,
séjour104
dans
p.;l'île
Pina,
de
Java, Paris, 1898.
163
89) Annales de l'Extrême-Orient, 1, 1879, p. 38; sur cette revue, voir page suivante.
165
de Boro-Boudur à Java, ... des spécimens des journaux publiés aux Indes
... la collection de livres en langues orientales et épreuve typographique
des caractères utilisés pour ces publications de M.E.-J. Brill, éditeur de
Leyde". A signaler encore une collection d'échantillons géologiques,
notamment des minerais d'étain en provenance de l'île de "Billiton".
Lors de l'Exposition universelle de 1889, le gouvernement
indonéerlandais fit mieux encore et envoya à Paris une troupe de danseuses javanaises.
On sait que Debussy assista au spectacle et qu'il s'intéressa vivement aux
rythmes du gameian i40).
Nul doute que ce "trophée" et ces danses, observés et admirés par des
foules entières, jouèrent un rôle déterminant dans la lente élaboration de
l'image collective qui, au niveau des mentalités populaires, correspondit
longtemps — et dans une certaine mesure, corespond encore bien — au concept
de "Monde malais".
40; Cf. G.J. Resink, Debussy en de Mustek van de Mangkunegaran, in BKI, 125, II, 1969,
pp. 267-268.
166
D'un tout autre "esprit" — et d'un esprit combien moins fécond ! — les
études de "science coloniale" qui se multiplient vers la fin du siècle, après
la création en 1893 d'un Institut Colonial International (fondé par Léon Say).
La méthode, toute juridique, consiste à dégager les "systèmes" et à les
"comparer". En 1900, J. Chailley-Bert publie son célèbre traité: Java et ses
habitants (Paris, Colin, 375 p.) et s'explique nettement dans sa préface des motifs
qui l'ont poussé à entreprendre cette recherche: "Cette étude sur Java et
41) L'intérêt des Français pour la Nouvelle-Guinée semble avoir été alors tout
particulier, car Meyners d'Estrey compila à partir de sources hollandaises une
monographie qu'il publia à part sous le titre de La Papouasie ou Nouvelle- Guinée
Occidentale Paris, CAallamel, 1881. Meyners d'Estrey publia également en 1891 une
"traduction libre", intitulée A. travers Bornéo, aventures de quatre déserteurs de Parmée
indonéerlandaise par le Colonel M.T.H. Perelaer (Paris, Hachette).
*a) Autre preuve de la très bonne connaissance que l'on pouvait avoir alors de
l'Archipel en France : l'excellent chapitre sur l'Insulinde compilé par Elisée Reclus au
tome XIV de sa fameuse Géographie Universelle (Paris, 1889).
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8) Louis-Charles Damais avait établi, vers I960, une bibliographie des études
concernant l'Indonésie rédigées en français, et l'avait un temps destinée à l'ouvrage
collectif édité par Soedjatmoko, Indonesian Historiograùhy; cf. Madjalah Ilmu% Sastra
Indonesia, 1968,p-135-86.
A) Le XIXème s. a déjà vu paraître un certain nombre de romans fantaisistes qui
prennent pour cadre une Insulinde de pacotille. Nul doute que ces romans ont largement
contribué à déformer l'esprit des honnêtes gens ; certains voyageurs arrivent même,
sur place avec une idée complètement fausse dont ils ont beaucoup de mal à se
départir. Mieux valait l'ignorance des siècles piécédents ! Ecoutons par exemple ce
que nous dit Leclercq, au début de son Séjour à Java (189S) : "Henri Conscience, ce
grand conteur (écrivain flamand, né en 1812), a écrit un livre dont le titre, Batavia,
me fascinait dans mon enfance, à cet âge où les noms d'outre-mer éveillent dans
l'imagination une idée de prodigieux éloignement. Batavia, la Babylone des
tropiques ( 1) me semblait à une si infranchissable distance que je croyais ne pouvoir
jamais en fouler le sol et en respirer l'air parfumé. Lorsque je songeais aux belles
nuits étoilées de Batavia je murmurais ce vers de Louis Tieck, le doux poète
allemand : Petites étoiles d'or, vous êtes si loin 1"
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APPENDICE
A NOS LECTEURS