http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=TDM&ID_NUMPUBLIE=TDM_001&ID_ARTICLE=TDM_001_0162
Les médias sont-ils sexués ?. Éléments pour une gender history des médias
français
par Patrick EVENO
2003/1 - N ° 1
ISSN 1764-2507 | ISBN 2-84736-037-9 | pages 162 à 173
Patrick Eveno*
Il ne s’agit pas de refaire ici une encore peu avancées, mais surtout
énième étude de l’image de « la parce que nous avons ici affaire à un
femme » dans les médias, ou de tenir phénomène d’une très grande com-
un discours sur la nécessaire féminisa- plexité, qui met en jeu à la fois la fa-
tion du journalisme et des noms de brication des médias et leur réception
métier,ou encore sur l’exploitation du par le public.Un certain nombre de re-
corps des femmes par la publicité, sur marques peuvent apparaître poin-
l’aliénation des femmes par les médias, tillistes, mais elles visent à éclairer la
sur les inégalités de traitement média- problématique générale de l’exposé
tique entre les femmes et les hommes, qui,plus simplement,tourne autour de
parce que tous ces sujets, qui méritent deux questions centrales,ici envisagées
d’amples développements, font l’ob- sous l’angle de l’identité sexuelle : qui
jet de recherches,qui doivent être pro- fait les médias ? pour qui sont faits les
longées1. En revanche, il s’agit de ré- médias ?
fléchir sur l’identité sexuelle des mé-
dias et sur les pistes qui pourraient
Les hommes font les médias
éclairer de futurs chercheuses et cher-
cheurs. L’idée de départ de cette ré- Un premier constat s’impose : dès
flexion provient d’une constatation : l’origine de la presse et depuis trois
dans la vie quotidienne réelle, les siècles, ce sont des hommes qui ont
femmes et les hommes ne lisent pas les conçu, dirigé et rédigé les médias et
journaux, ne regardent pas la télévi- l’information.Ainsi, en consultant les
sion, n’écoutent pas la radio de la index de quelques ouvrages de réfé-
même manière2. rence sur les médias,j’ai noté que Marc
Si cet article pose plus de questions Martin dans Médias et journalistes de la
qu’il n’apporte de réponses,c’est parce République ne citait que 35 femmes sur
que les recherches en la matière sont 880 noms (4%), tandis que Christian
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DOSSIER : INTERDITS - TABOUS - TRANSGRESSIONS - CENSURES
nalistes français étaient des femmes,en lisée grand public est majoritairement
1975 20% et en 1987, 30%5. En 1999, féminine (à 52%) alors que la presse
l’étude de l’Institut français de presse6 quotidienne régionale est encore très
recense 32 000 titulaires de la carte de masculine (à 74%). En revanche, la
presse, dont 12 500 femmes (39%). En presse quotidienne nationale se situe
soixante-dix ans, la proportion des dans la moyenne avec 39% de femmes
femmes a été multipliée par vingt ; en et 61% d’hommes. Les spécialisations
trente ans elle a été multipliée par deux journalistiques sont également discri-
et demi et durant les douze dernières minantes : les femmes sont plus nom-
années, elle s’est accrue d’un tiers. La breuses dans les secrétariats de rédac-
cause est entendue : aux alentours de tion (1 600 femmes contre 1 100
2010, les femmes seront majoritaires hommes, soit 59% de femmes), elles
dans la profession journalistique. sont assez bien représentées dans la ca-
La féminisation récente de la profes- tégorie rédacteur reporter (6 100
sion, qui n’est pas encore achevée, en- contre 7 600, soit 45%) ; en revanche
traîne un déséquilibre important entre elles sont beaucoup moins nombreuses
les journalistes femmes et leurs homo- comme grands reporters (25%), jour-
logues masculins :les femmes étant plus nalistes reporters d’images (16%) et re-
jeunes que les hommes (57% des porters photographes (11%).
femmes ont moins de 40 ans contre Enfin, les femmes sont moins an-
45% des hommes),elles sont plus nom- ciennes que les hommes dans le mé-
breuses à être pigistes (22% contre tier : 75% ont moins de quinze ans
17%), alors que les cadres ne représen- d’ancienneté, contre 60% des
tent que 24% de l’effectif des femmes hommes, 6% ont plus de 25 ans d’an-
journalistes contre 37% pour les cienneté contre 15% des hommes. En
hommes. L’écart est encore plus sen- conséquence, les femmes sont moins
sible en haut de la hiérarchie (l’effectif bien rémunérées que les hommes : le
des femmes compte 5,3% de rédacteurs revenu médian est de 15 000 francs
en chef,contre 9,2% pour les hommes; par mois pour les femmes contre
0,6% des femmes sont directrices 18 250 francs pour les hommes. 46%
contre 2,1% des hommes qui sont di- des femmes gagnent moins de
recteurs de journaux). Mais la montée 15 000 francs bruts par mois contre
en puissance des femmes s’affirme : 34% pour les hommes. 5% gagnent
3,6% de l’effectif des femmes est chef plus de 30 000 francs par mois contre
de rubrique contre 2,4% des hommes. 12% pour les hommes.Et pourtant,les
La répartition par médias est éclai- femmes sont plus diplômées que les
rante : les femmes sont relativement hommes ; toutefois, la presse prend ra-
plus nombreuses dans la presse (42%) rement en compte le diplôme alors
que dans la radio (33%), la télévision qu’elle donne une prime à l’ancien-
et les agences (30%). La presse spécia- neté et que les classifications sont éta-
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blies en fonction des places occupées qu’aux années 1960 ; les ouvriers du
dans l’organigramme de l’entreprise. livre comme les journalistes sont prin-
Une dernière constatation laisse pré- cipalement des hommes.En revanche,
sager un avenir plus équilibré : depuis la documentation, les secrétariats, les
les années 1980, les femmes sont plus services administratifs et commerciaux
nombreuses que les hommes dans les de la presse ont été très tôt fortement
écoles de journalistes;actuellement,on féminisés, comme dans toutes les so-
atteint,selon les écoles,entre 55 et 65% ciétés de service à emploi tertiaire ma-
de femmes par promotion. joritaire. Mais ces catégories, long-
Un exemple plus précis, celui du temps peu prestigieuses et encore mal
journal Le Monde que je connais bien7, organisées,ne sont pas structurantes au
confirme cette analyse :en 1944,la ré- niveau identitaire.
daction du quotidien ne compte au- En dehors de la presse féminine et
cune femme. Les premières recrues de certaines catégories de la presse spé-
sont embauchées à la fin des années cialisée, les femmes sont demeurées
1940, principalement pour couvrir la pendant longtemps évincées du
mode et la culture,mais Elvire de Bris- monde de la presse.Pourtant,elles n’en
sac est rédactrice au service étranger. ont jamais été totalement exclues ;
En 1969, on compte 11% de rédac- ainsi, l’Annuaire de la presse française
trices et 22% en 1978. Jacqueline Pia- pour l’année 1899 recense 936 pseu-
tier est la première responsable du donymes de journalistes, parmi les-
Monde des livres en 1967, tandis que quels nous trouvons 68 femmes, soit
Yvonne Baby devient la première chef 7,3% de l’effectif. Enfin, quelques
de service en 1972. En 1993, il y a 79 femmes journalistes devenues célèbres
femmes sur 237 rédacteurs (33%). En sont arrivées à percer dans le monde
2001, sur 321 rédacteurs, on recense médiatique :Delphine Gay épouse Gi-
129 femmes (40% de l’effectif total), rardin,sous le pseudonyme deVicomte
mais seulement trois chefs de séquence de Launay, Séverine, Marguerite Du-
sur neuf sont des femmes. Enfin, la di- rand (directrice du quotidien féministe
rection de la rédaction et la rédaction La Fronde),et quelques autres9 ;mais ce
en chef centrale sont à 100% mascu- ne sont que des exceptions qui confir-
lines. ment la règle. Plus proches de nous,
La presse,et à la suite l’ensemble des Jacqueline Baudrier,Michèle Cotta ou
médias,a ainsi hérité de pesanteurs so- Christine Ockrent dans l’audiovisuel
ciologiques qui sont surmontées très ont occupé des postes importants.
lentement.Roger Chartier souligne le Mais, Françoise Giroud, directrice de
« lien très fort entre le monde de la la rédaction de L’Express, et Jacqueline
presse et les sociabilités masculines »8. Beytout, propriétaire des Échos de-
En effet,le milieu de la presse reste for- meurent des exceptions dans le pano-
tement masculinisé, au moins jus- rama médiatique français.
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DOSSIER : INTERDITS - TABOUS - TRANSGRESSIONS - CENSURES
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Les médias sont-ils sexués ?
des hommes,(Le Point à 61%,Marianne riscope (diffusion payée 105 000), dont
à 59%, L’Express à 57%), excepté Le le lectorat est composé à 55%
Nouvel Observateur,qui bénéficie d’une d’hommes. Dans un autre secteur en
quasi-parité (51% d’hommes, 49% de récession, Paris Match (58% de lec-
femmes)14. Autre constat embléma- trices) a perdu seulement 5% de sa dif-
tique,les magazines de télévision où les fusion en cinq ans, tandis que VSD
femmes constituent 55% du lectorat, (56% de lecteurs) a perdu 27% de la
excepté Télé Z et Télé câble.Il faut alors sienne au cours de la même période.
comparer avec les pratiques télévi- En revanche,depuis cinq ans,dans une
suelles des Français observées par Oli- thématique porteuse, Le Monde diplo-
vier Donnat :si les hommes détiennent matique (60% de lecteurs) a gagné 25%
majoritairement la télécommande, ce en diffusion, alors que Courrier Inter-
sont les femmes qui choisissent le pro- national (50/50) a augmenté sa diffu-
gramme regardé en famille.Toutefois, sion de 69%. Il resterait à expliquer les
l’extension du multi équipement tend causes de ces mouvements de lectorat,
à limiter ce phénomène. qui ne sauraient être toutes attribuées
Il semble enfin que la différentiation à la seule répartition sexuée du lecto-
du lectorat entre femmes et hommes rat. Les chercheurs ont encore des
influe sur le maintien de la diffusion en études à mener.
période de récession ou sur l’accrois- L’audience sexuée des chaînes de té-
sement de la diffusion dans un secteur lévision est un autre sujet d’interroga-
en croissance.Ainsi,dans un secteur en tions et de recherches futures.Selon les
déclin, L’Officiel des spectacles avec 55% sondages réalisés par Médiamétrie15 sur
de femmes dans son lectorat se main- les moins de 50 ans16,trois chaînes,TF1,
tient mieux (diffusion payée 193 000 France 2 et M6,sont plus regardées par
exemplaires) que son concurrent Pa- les femmes que par les hommes17.
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DOSSIER : INTERDITS - TABOUS - TRANSGRESSIONS - CENSURES
France 5 occupe une position pa- zines de société présentés par Jean-Luc
radoxale : plus regardée par des Delarue ou Mireille Dumas empor-
hommes dans la tranche des moins de tent les suffrages féminins, mais il est
50 ans, elle est plus regardée par des peut-être plus surprenant que Marc-
femmes dans la tranche des 15 ans et Olivier Fogiel écrase Thierry Ardisson
plus. On retrouve là le poids des se- auprès de la clientèle féminine.
niors, où les femmes sont très large-
ment majoritaires. Arte reste une
Comment la presse a conquis
chaîne masculine,ainsi que l’ensemble
les femmes, puis les a perdues
des télévisions diffusées par le câble et
le satellite. Le cas le plus intéressant est Pour tenter de comprendre les ré-
celui de Canal+. En effet, depuis cinq actions féminines face aux médias,il me
ou six ans,Canal+,qui était une chaîne semble nécessaire de revenir à la Belle
plus féminine,a fortement masculinisé Époque, celle de l’âge d’or de la presse
son audience en privilégiant les re- française. Lorsque dans la deuxième
transmissions sportives18,ce qui est sans moitié du XIXe siècle, la presse quoti-
doute une des causes de son déclin et dienne parisienne étend son marché,
de sa moindre profitabilité ;en effet,les elle ne se contente pas de fidéliser la
publicitaires considèrent que le public clientèle masculine, mais elle cherche
masculin est moins attractif pour les à pénétrer toutes les catégories sociales
annonceurs que le public féminin. et toutes les couches de la société. En
Dans les différents genres diffusés direction des femmes,exclues du droit
par les télévisions, les hommes regar- de vote et de la vie politique, elle dé-
dent plus les informations et le sport veloppe une politique de séduction à
que les femmes,tandis que les femmes base de romans feuilletons, de faits di-
regardent plus la fiction et les variétés vers et de divertissements.Le Petit Jour-
et divertissements. Les autres catégo- nal et Le Petit Parisien, notamment,pri-
ries (culture et connaissance,émissions vilégient les thèmes féminins dans leurs
pour la jeunesse,publicité et « autres ») feuilletons19. C’est ainsi que les deux
bénéficient d’une audience également plus importants quotidiens parisiens,
répartie entre les sexes. attirent une clientèle féminine qui n’a
L’audience comparée d’émissions pas le droit de vote,qui est peu intéres-
similaires révèle quelques aperçus in- sée par la politique,mais qui lit le jour-
téressants,qui demandent à être expli- nal. Lancé en janvier 1896, le supplé-
qués : s’il semble aller de soi que Julie ment La Mode du Petit Journal vise éga-
Lescaut est une émission plus « fémi- lement cette clientèle féminine. Cette
nine » que Commissaire Moulin, il est tradition est ensuite reprise par certains
peut-être plus surprenant que Navarro quotidiens régionaux20,notamment en
et Fabio Montale la talonnent de peu. Alsace, où Les Dernières nouvelles d’Al-
On ne sera pas étonné que les maga- sace développent des cahiers déta-
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Les médias sont-ils sexués ?
chables afin que les femmes puissent lisent plus facilement les articles longs.
lire leur partie de journal pendant que Sylvie Debras cite en exemple le Ko-
les hommes lisent la leur21. sovo:durant cette période de forte ten-
Mais, la presse quotidienne a perdu sion et de forte implication, les
une bonne partie de ses lectrices,parce hommes s’intéressent à la guerre, à la
que, après la Première Guerre mon- stratégie et à la tactique,les femmes aux
diale,elle a privilégié l’information po- aspects humains de la guerre. Les
litique.Dans un pays où le suffrage uni- hommes cherchent à mettre la guerre
versel masculin a été particulièrement à distance alors que les femmes cher-
précoce, en 1848, alors que le suffrage chent à se rapprocher du conflit pour
universel féminin a été particulière- comprendre et s’impliquer.Sylvie De-
ment tardif (1945), la presse d’infor- bras résume l’attitude des femmes et des
mation s’est peu préoccupée des hommes en opposant l’opinion à
femmes. Elle a soigné son public mas- l’émotion, le contrôle à l’empathie.
culin en fournissant à ce dernier ce Enfin, au niveau des rubriques, les
qu’il demandait :d’abord des informa- hommes s’intéressent au sport et à la
tions et des opinions politiques, et en- politique,les femmes à la société et à la
suite, lorsque le public a commencé à santé ; les femmes demandent des ar-
se lasser, du sport et un traitement des ticles qui les touchent, qui racontent
événements propre à satisfaire la clien- des histoires de vie,qui disent du vécu.
tèle masculine. Elles demandent également une pré-
En effet, les hommes et les femmes sence accrue des femmes dans les ar-
ne lisent pas de la même façon, parce ticles et dans la photographie.
qu’ils n’ont pas les mêmes préoccupa- En effet, les médias racontent sou-
tions en lisant la presse, parce qu’ils vent la vie d’un monde sans femmes,
n’expriment pas leurs sensibilités de la ou avec peu de femmes. Les enquêtes
même manière. La thèse récente de du Mediawatch 1995-1996 montrent
Sylvie Debras sur la lecture de L’Est ré- que seulement 17,25% des personnes
publicain vient confirmer cette analyse22. citées par les grands médias sont des
Ainsi, les femmes abandonnent rare- femmes, alors que 82,75% sont des
ment un article qu’elles ont com- hommes23. En outre, les femmes sont
mencé,alors que pour les hommes,lire plus souvent anonymes et plus souvent
un article en entier est plutôt excep- inactives que les hommes ;enfin,beau-
tionnel. Les hommes parcourent les coup de celles qui sont citées ou mon-
titres,les brèves,pour « être au courant » trées sont principalement des victimes.
et se faire une opinion (ou plutôt Pourtant on sait qu’en France un
conforter une opinion déjà établie), homme sur deux est une femme
tandis que les femmes cherchent plu- (51,34% exactement).
tôt à apprendre et à comprendre en li- On peut conclure de ce rapide pa-
sant le journal,ce qui explique qu’elles norama de l’approche sexuée des mé-
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dias que les femmes ont longtemps été l’impact de l’enjeu de société, on peut
négligées par des médias conçus par des rappeler les conclusions liminaires de la
hommes qui privilégiaient la vision première enquête statistique nationale
masculine,non seulement dans l’infor- menée en France sur les violences, au-
mation, mais également dans le diver- près de 7 000 femmes.Elle révèle l’am-
tissement. Pourtant, les femmes, à qui pleur d’un phénomène qui n’avait pu
on a fermé la porte des médias,revien- jusqu’alors être quantifié.Sur les douze
nent par la fenêtre. C’est par la publi- derniers mois de l’enquête,une femme
cité que les femmes sont présentes dans sur dix a été victime de violence conju-
les médias, parce qu’elles sont la cible gale.Environ 48000 femmes de 20 à 59
principale des publicitaires et des an- ans auraient été victimes de viol en
nonceurs,mais également parce qu’elles 1999,alors même qu’au regard des dé-
en sont les sujets, ou les objets. clarations faites à la police et à la gen-
darmerie, 8 000 viols environ sont en-
registrés et seuls 5 % des viols de
Les femmes dans la publicité
femmes majeures feraient l’objet d’une
Certes, l’image « dégradante et dé- plainte. Les types de violence subis se
valorisante » des femmes dans la publi- révèlent être nombreux et complexes,
cité est stigmatisée par nombre de fé- dans la sphère publique comme dans
ministes.Le rapport sur Les femmes dans la sphère privée, et, dans la plupart des
la publicité24 est particulièrement éclai- cas,sont occultés par les femmes qui les
rant sur ce sujet : « Un certain nombre subissent,révélant à la fois un sentiment
de publicités recourent à des représen- de honte et de culpabilité des victimes.
tations de femmes qui transgressent de [...] La publicité,en raison de sa nature
façon manifeste l’un des principes fon- même et de son caractère de mass
damentaux de toute société de droit, media,confère à ces images une légiti-
le respect de la dignité de la personne mité et une force qui se trouvent
humaine.Cette transgression se traduit confortées,pour certaines d’entre elles,
par des images de corps salis,enchaînés, par leur association à la marque de luxe
représentés dans des postures animales, qu’elles représentent. Hypersexualité
des visages portant des hématomes,des féminine ou « porno chic », femmes
allusions à des situations de viols ou de objets,femmes esclaves,femmes violées
violences conjugales, parfois sous ou femmes violeuses sont banalisées par
forme humoristique,parfois non,et qui la fréquence de leur utilisation.Il en est
semblent pouvoir être considérées de même des atteintes aux droits des
comme autant d’incitations à la vio- femmes et des représentations stéréo-
lence et à la discrimination dès lors que typées que ces images évoquent. » Au-
leur diffusion auprès du grand public delà de l’amalgame rapide entre images
est assurée par ce vecteur de masse publicitaires et violences perpétrées sur
qu’est la publicité. [...] Pour rappeler les femmes,il faut souligner que ce rap-
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Les médias sont-ils sexués ?
port reflète une thématique récurrente la femme ».Dans les années 1980,les su-
qui attribue aux médias la cause des perwomen doivent assumer l’égalité
malheurs de la société25. qu’elles ont réclamée,tout en affirmant
Dans la même veine,Florence Ama- leur moi existentiel28.Depuis les années
lou26 consacre deux chapitres de son 1990,les femmes dans la publicité sont
livre sur la publicité à « la femme pu- devenues multidimensionnelles, à la
blicitaire placée comme objet de désir fois féminines et féministes, actives,
ou simple faire-valoir » puis au « diktat mères,amantes et ménagères.En atten-
de la minceur » et de la beauté. Selon dant peut-être la nouvelle « révolution »
elle, le conditionnement par la publi- des années 2000 où les rapports entre les
cité serait responsable de l’anorexie des femmes et les hommes,fruits d’une né-
jeunes filles,des viols collectifs dans les gociation un peu apaisée, seraient de-
banlieues et autres fléaux contempo- venus plus tendres29, au moins dans les
rains. L’historien qui se rappelle de milieux sociaux favorisés que privilé-
l’anorexie de l’impératrice Sissi ou des gient la publicité et les annonceurs.
viols collectifs dans les villages de l’an- Alors, les médias sont-ils sexués ?
cienne France peut aisément rectifier. Oui bien sûr, j’ai essayé de le montrer.
Est-ce que ces maux sont apparus avec Mais pas de manière globale et im-
l’ère médiatique, ou bien est-ce seule- muable ; certes l’information demeure
ment la représentation que l’on en a ac- le domaine des hommes et les femmes
tuellement qui nous fait incriminer la n’y trouvent qu’une place réduite ou
publicité et les médias ? de substitution. Mais les femmes s’im-
En effet, la publicité n’a pas pour posent dans les espaces médiatiques dé-
mission de représenter la réalité sociale, diés aux fictions et aux divertissements;
mais de toucher le consommateur, ou en outre,elles occupent une place pré-
plutôt la consommatrice, afin de sus- pondérante30 dans les espaces publici-
citer un élan de sympathie à l’égard du taires ;enfin,étant les principales pour-
produit ou de la marque présentés. Le voyeuses de fonds par leurs achats et les
but final étant de faire acheter. Mais, principales cibles publicitaires, elles ne
en même temps, la publicité agit peuvent qu’être de plus en plus prises
comme un reflet de la société27.Durant en compte par les médias qui dépen-
les années 1950-1960,les femmes sont dent d’elles pour prospérer. Cette
représentées en ménagères, qui récu- conclusion d’apparence cynique, est
rent,font briller la maison,nettoient le confortée par l’irrésistible montée en
linge, etc. Au cours des années 1970, puissance des femmes dans tous les sec-
pendant la décennie influencée par les teurs de l’information et de la com-
militantes féministes,« Moulinex libère munication.
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DOSSIER : INTERDITS - TABOUS - TRANSGRESSIONS - CENSURES
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Les médias sont-ils sexués ?
fonctions sociales (ménagères,femmes actives) qui in Michèle Cohen (dir.),Dites-le avec des femmes le
ne se recoupent pas. sexisme ordinaire dans les médias, CFD Association
des femmes journalistes, 1999.
18.Sans même réaliser de gros scores d’audience,
dans la mesure où les grands événements sportifs 24. Les femmes dans la publicité, Rapport à la secré-
« fédérateurs » (la coupe du monde de football, taire d’État aux droits des femmes, 2001.
les matchs de l’équipe de France de football, les 25.Au début du XXe siècle, Gabriel Tarde suscite
Jeux olympiques ou le Tour de France) sont re- un ample débat médiatique en accusant la presse,
transmis par TF1, France 2 ou France 3. par ses récits de crimes, de développer la crimi-
19.Anne-MarieThiesse,Le roman du quotidien,Lec- nalité.Voir Anne-Claude Ambroise-Rendu,Peurs
teurs et lectures populaires à la Belle Époque, Paris, privées, angoisses publiques, un siècle de violences en
Seuil,2000.Benoît Lenoble,Presse,feuilleton et pu- France, Paris, Larousse, 2001.
blicité au début du XXe siècle, les campagnes de lance- 26. Florence Amalou, Le livre noir de la pub, Paris,
ment du Journal, mémoire de maîtrise sous la di- Stock, 2001.
rection de Dominique Kalifa,Université ParisVII,
2000. 27.PascaleWeil,L’image des femmes dans la publicité,
Paris, Publicis, 2001.
20.Voir Marc Martin,La presse régionale,des Affiches
aux grands quotidiens, Paris, Fayard, 2002. 28.Voir les slogans:« j’assure en Rodier »,« Lesieur,
je veux tout », « Printemps, le style moi », « Lady,
21. Jean-Pierre Kintz, « La diffusion des Dernières plus je m’aime plus je m’aime ».
nouvelles d’Alsace pendant les années 1970 », in
29.Voir Catherine Mallaval, « La pub fait du sen-
Gilles Feyel (dir.), La distribution et la diffusion de la
timent », Libération du 20 juin 2003.
presse du XVIIIe siècle au IIIe millénaire,Paris,Éditions
Panthéon Assas, 2002. 30.C’est du moins ce que certains tentent de faire
accroire, mais un comptage précis permettrait
22.Sylvie Debras,Lectrices au quotidien,des femmes,
peut-être de nuancer l’analyse : les femmes mises
des hommes et des journaux, Paris, L’Harmattan,
en scène par les publicitaires sont sans doute plus
2003. « voyantes » que les hommes, mais il n’est pas sûr
23.Virginie Barré,Sylvie Debras,Natacha Henry, qu’elles soient plus nombreuses.
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