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INTRODUCTION

PAR BERNARD PRAS

Management
et islam
Vers une convergence de valeurs

A
vec environ un milliard et demi de personnes de
confession musulmane, l’islam est la première
religion dans une cinquantaine de pays et la
deuxième dans le monde, après le christianisme. Par
exemple, on compte en Europe occidentale une quin-
zaine de millions de musulmans. L’étude des liens entre
management et islam constitue un thème d’actualité. De
nombreuses entreprises occidentales se sont implantées
ou s’implantent dans les pays où la religion musulmane
prédomine, et l’importance des populations de confes-
sion musulmane, quels que soient les pays, ouvre de nou-
velles perspectives de marché aux entreprises et les
amène à s’interroger sur les spécificités de ces popula-
tions. C’est la question de la coexistence harmonieuse
des valeurs de l’entreprise et de celles de l’islam qui est
posée. L’observation des comportements et valeurs des
populations musulmanes, de leurs évolutions, et du fonc-
tionnement des organisations qu’elles régissent, ou aux-
quelles elles participent, permet de tirer des enseigne-
ments utiles à la pratique du management. Mais aborder
sur le fond un sujet comme « Management et islam »
nécessite d’éviter le piège de la simplification. La tenta-
tion existe en effet de privilégier clichés et vision stéréo-
typée des relations entre management et islam, et cela
pour plusieurs raisons.
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En premier lieu, l’islam propose un système des revues comme American Economic
de valeurs éthiques qui s’applique aux acti- Review (Kuran, 1996) – qu’en management
vités quotidiennes et aux affaires, le reli- proprement dit ; on voit cependant appa-
gieux investissant le séculier. Ainsi, il n’est raître des revues spécialisées sur l’islam à
pas toujours facile de distinguer dans un comité de lecture avec des processus de
certain nombre d’articles ce qui est du révision en double aveugle comme
domaine du normatif (c’est-à-dire décrivant Contemporary Islam: Dynamics of Muslim
ce que doit être le comportement d’un bon Life. Globalement, il convient donc d’avoir
musulman en matière de management) de une certaine distanciation par rapport à la
ce qui est du ressort de l’analyse. Quelle est littérature, compte tenu de l’imbrication
la part de la conviction religieuse et celle de étroite du religieux et du séculier dans le
l’analyse scientifique dans les travaux aca- cas de l’islam.
démiques de certains auteurs musulmans ? En second lieu, pour un observateur exté-
S’agit-il de décrire ce qui est autorisé ou rieur, la vision de l’islam est parfois défor-
d’analyser les principes et pratiques ? Les mée : ce qui frappe de prime abord est le
auteurs privilégient-ils les valeurs reli- rôle des normes et de leur application, ou
gieuses ou les valeurs scientifiques et aca- encore l’évolution de l’islam au cours des
démiques « classiques » ? Des spécialistes vingt à trente dernières années avec l’émer-
reconnus du management et de l’islam, gence de certains courants extrémistes.
comme par exemple Rafik Beekun de Cela amène certains à considérer qu’islam
l’université du Nevada, sont conseillers et modernisme sont antinomiques, et qu’is-
d’entreprises islamiques, et parfois norma- lam est synonyme de faible développement
tifs dans leurs écrits. L’existence de nom- économique, voire de régression écono-
breuses universités islamiques (par mique et sociale. Dans la pratique, l’islam
exemple, Kulliyyah of Economics and est loin d’être monolithique. La place lais-
Management Sciences, International Isla- sée à l’interprétation par les autorités reli-
mic University en Malaisie, ou Internatio- gieuses est un phénomène qui doit être
nal Institute of Islamic Economics, Interna- compris pour bien appréhender la relation
tional Islamic University à Islamabad, etc.) entre management et islam. Par ailleurs, la
qui enseignent dans le cadre du respect du vision du management selon l’islam évolue,
Coran, et dont les professeurs publient y compris parmi les islamistes c’est-à-dire
selon les règles académiques classiques, ne les musulmans militants. Mener des ana-
facilitent pas le décryptage de la littérature lyses qui dépassent les stéréotypes est
pour un observateur. Ces derniers ont sou- indispensable, que ce soit dans l’observa-
vent des formations mixtes, ayant suivi une tion des pratiques du management ou dans
partie de leur cursus dans les universités l’examen des relations entre islam et déve-
islamiques et leur doctorat dans des univer- loppement économique.
sités nord-américaines. On relèvera que les En troisième lieu, l’examen de l’influence
articles publiés dans des revues acadé- de l’appartenance religieuse sur les valeurs
miques et traitant de l’islam sont plus de travail, de consommation et d’épargne,
abondants en économie – y compris dans et sur le management de façon globale, a
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toujours constitué un sujet difficile. Les tra- L’article de Marcus Noland, intitulé « Reli-
vaux de Max Weber (1905, 1967) ont été gions, islam et croissance économique.
abondamment discutés par la suite. Ceux L’apport des analyses empiriques », com-
d’autres auteurs s’intéressant à la question pare l’effet entre autres du christianisme, de
ne conduisent pas toujours à des conclu- l’islam, du bouddhisme, de l’hindouisme, et
sions homogènes. De fait, analyser les rela- du judaïsme, sur la croissance économique,
tions entre islam et management sans s’in- à niveau de développement donné. Le lieu
téresser au contexte, aux cultures locales commun qui consiste à dire que les pays
serait une erreur (Arslan, 2001). Le com- musulmans sont moins développés que les
portement d’un musulman yéménite est-il pays où d’autres religions sont dominantes
semblable à celui d’un musulman indoné- repose sur le fait que l’on retrouve de nom-
sien alors que dans ces deux pays la princi- breux pays musulmans parmi les pays
pale religion est l’islam ? Qu’en est-il a for- émergents. Les analyses empiriques
tiori si l’on examine les comportements menées par Noland sur des bases de 50 puis
d’un musulman en France ou d’un musul- de 70 pays, ainsi qu’à l’intérieur de trois
man en Inde, où l’islam dans les deux cas pays multiconfessionnels, permettent d’ap-
représente une religion parmi d’autres ? Il porter un éclairage nouveau à cette ques-
faut donc contextualiser et arriver à faire tion. Noland montre qu’à niveau de déve-
ressortir la place respective de la religion et loppement économique donné, l’islam ne
des valeurs qui y sont associées, d’une part réduirait pas la croissance mais la favorise-
et celle de la culture locale, d’autre part, rait plutôt.
lorsque l’on se penche sur la gestion des Avec « Environnement intense et choix stra-
entreprises. Mais religion et culture locale tégiques. Le cas des banques islamiques »,
ne peuvent être regardées comme des Taïeb Hafsi, Lachemi Siagh et Alpha-
variables autonomes ; elles vont interagir Oumar Diallo, montrent que les banques
entre elles ainsi qu’avec la culture de l’en- islamiques sont confrontées à un environne-
treprise ; et c’est de cette interaction, har- ment islamique intense, représenté par le
monieuse ou non, que découlera le succès poids des exigences éthiques et religieuses.
ou l’échec des pratiques des organisations. Mais la logique de compétitivité de ces
Le présent dossier s’inscrit dans cette pers- institutions financières les amène à imaginer
pective d’une vision nuancée. Il analyse des stratégies, à proposer des innovations de
successivement : le lien entre religions et produits qui leur permettent de concilier le
croissance économique, les stratégies des respect de ces exigences avec la logique de
banques islamiques, la mise en œuvre de concurrence. Cet article fait apparaître le
politiques et pratiques managériales par des rôle majeur que joue le comité de la chari’a
grands groupes implantés dans des pays – qui juge de la conformité des activités aux
musulmans, l’émergence de nouvelles principes de la chari’a – et l’importance de
élites islamistes sensibles au management, l’interprétation. Il déroule les mécanismes
et les principes de l’islam appliqués au mar- permettant de comprendre les comporte-
keting, dans un contexte de marché en ments stratégiques de ces banques, particu-
croissance. lièrement performantes.
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Philippe d’Iribarne, pour sa part, analyse la niers qui prônaient l’islam politique depuis
façon dont la religion, en interaction avec une trentaine d’années, ont désormais inté-
d’autres facteurs culturels, contribue à don- gré les valeurs du management et défendent
ner sens à des pratiques de management. La une vision moderne de l’islam. Ils encoura-
mise en place de la démarche TQM (Total gent les initiatives individuelles et collec-
Quality Management) conduite par tives qui rejettent le rôle de l’État pour
Sgs-Thomson au Maroc est ainsi étudiée mettre en avant la gestion de projet, « l’is-
dans « Islam et management. Le rôle d’un lam par projets », et l’esprit d’entreprise. Ce
univers de sens », à la lumière de repères courant est transversal à l’islam dans de
marocains et islamiques, c’est-à-dire de la nombreux pays et régions du monde. Cette
conception marocaine de l’islam. On y voit tendance à une certaine modernité de l’is-
comment cette démarche a été reçue, com- lam, en particulier parmi les jeunes, se
ment elle a conduit à des changements retrouve aussi dans l’article de Bernard Pras
spectaculaires de comportements et à un et Catherine Vaudour-Lagrâce. Avec « Mar-
fonctionnement rénové de la filiale. La keting et islam. Des principes forts et un
démarche TQM a été vécue comme une environnement complexe », on retrouve le
« règle de vie qui oriente l’existence et lui poids des principes islamiques sur les pra-
donne sens ». Dans le même courant de tiques marketing, mais aussi l’importance
recherche que celui initié par Philippe de leur interprétation, dans un contexte de
d’Iribarne, Héla Yousfi se penche sur le concurrence intense, de marché en forte
Groupe Lafarge en Jordanie et sur la façon croissance et en pleine évolution qui attire
dont sa stratégie Leader for Tomorrow et les entreprises islamiques et occidentales.
ses « principes d’action » ont été adaptés et La question de l’intégration de valeurs est
adoptés dans un pays où domine le système là aussi très présente.
tribal, avec une pluralité de groupes Ce dossier, qui traite pour la première fois
sociaux. Héla Yousfi, avec « Gérer en dans la Revue française de gestion, de
Jordanie. Une coexistence problématique « Management et islam », n’a pas vocation
entre système hiérarchique et idéal reli- à l’exhaustivité. De nombreuses questions
gieux », montre comment l’islam, avec des ne sont pas abordées comme celle de l’inté-
valeurs partagées par les membres de tous gration des musulmans dans les entreprises
ces groupes, a permis de dépasser les cli- occidentales par exemple. Mais les articles
vages et de souder le personnel autour de présentés font émerger deux constantes. La
ces « principes » , en les adaptant en partie. première est l’importance des principes
« Le management, nouvelle utopie isla- islamiques en management mais surtout de
miste. Une lecture managériale des textes » leur interprétation et de leurs modalités de
analyse, sous la plume d’Husam Tammâm mise en œuvre. La seconde est la concilia-
et de Patrick Haenni, l’évolution de la tion ou l’intégration fréquente de valeurs
société musulmane en s’appuyant sur les propres à l’islam et de valeurs « modernes »
écrits et discours des prédicateurs. Ces der- en management.
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BIBLIOGRAPHIE
Arslan M., “The Work Ethic Values of Protestant British, Catholic Irish and Muslim Turkish
Managers”, Journal of Business Ethics, vol. 31, n° 4, 2001, p. 321-339.
Kuran T., “The discontents of Islamic economic mortality”, American Economic Review,
vol. 86, n° 2, 1996, p. 438-442.
Weber M., L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, parution initiale en allemand en
1905, Paris, Plon, 1967.

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