Contenu de l'étude :
- Une brève introduction générale
- Un extrait étudié pour situer la Profession et ses enjeux
- Trois extraits de la Profession
- Une brève conclusion
- Trois activités complémentaires en classe pouvant donner lieu à des devoirs :
• une comparaison d'un extrait avec un tableau : Rousseau/Caspar David
Friedrich
• une comparaison utilisable en contrôle de connaissance et de compréhension :
Rousseau/Théogonie d'Hésiode
• un extrait faisant suite au texte du concours : « Vous ne voyez dans mon
exposé que la religion naturelle … »
Introduction générale
Il est nécessaire de situer la Profession de foi du vicaire savoyard dans Émile et la pensée de
Rousseau afin de transmettre la nécessité de ce texte dans son rapport au Mal.
Émile a trop souvent été perçu comme un simple traité d'éducation à la modernité certes
dépassée mais indéniable en son temps. Or, l'objectif est de mettre en lumière que ce texte
dans le texte permet à Rousseau d'expliciter sa conception du bien, déterminante pour penser
le politique de façon moderne, et ainsi réformer à ses yeux la notion de « citoyen ».
L'Émile n'est pas un traité de politique idéaliste sans rapport avec ce qui est, ce que
Machiavel critiquait dans tous les ouvrages de philosophie politique dès les premières lignes
du Prince.
Si Rousseau affirme que la République de Platon n'est pas un ouvrage de politique,
il l'est pour lui, en fait, mais la nuance se pose dans l'articulation entre « politique » et
« éducation ». En effet, il veut enseigner à l'homme comment se réformer de l'intérieur afin
de renouveler la politique, dans une exigence intérieure qu'il tente de faire ressentir et
comprendre au sens étymologique à travers la fiction des étapes de l'éducation et des
éducateurs.
Le passage intitulé Profession de foi du vicaire savoyard l'aborde dans ce qu'elle a de plus
profond car au nom d'un principe supérieur que chacun peut et donc doit ressentir et vénérer
à son niveau.
Ce texte, d'une complexité rare, est à la fois le manifeste d'une vision du monde, un débat
théologique et l'articulation de la foi, du cœur et de la raison … en opposition au rationalisme
athée, ce qui en fait toute sa difficulté pour un grand nombre d'étudiants, très au fait des
enjeux du propos.
Objectifs :
- Introduire et situer la Profession de foi
- Aborder les notions de « mal » et de « nature » chez Rousseau
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Méthode :
- Lecture méthodique réinvestissant de manière ciblée une longue lecture personnelle
préparatoire
- Extrait précédant les limites du texte au programme
Support :
Donner à lire aux étudiants les pages précédant la Profession de foi, depuis « Il y a trente ans
que, dans une ville d’Italie, un jeune homme expatrié se voyait réduit à la dernière misère.»
jusqu'à « Ce fut là qu’après avoir quelque temps contemplé ces objets en silence, l’homme de
paix me parla ainsi : »
1. l'adolescence révoltée
- Un adolescent : « jeune homme », « jeune cœur sans expérience », « il était dans cet âge
heureux où le sang en fermentation commence d'échauffer l'âme sans l'asservir aux fureurs
des sens » - dont l'expression des pulsions sexuelles est encore immature. N'accepter les
réponses désignant Rousseau qu'à ce stade car l'aveu de l'auteur est non seulement un effet
rhétorique de captatio benevolentiæ, mais encore s'en tenir à cela occulte l'importance de la
jeunesse et de l'éveil de la pulsion sexuelle.
- L'état d'esprit de l'adolescent : « il voulut fuir », « ingratitude », « idées romanesques »,
« oubli de toute religion », « libertin ». En quelques pages, Rousseau dresse le tableau de
l'adolescent ingrat, révolté, malheureux et ayant mal tourné.
1. Quel mal ?
- Demander pour quelle raison le vicaire décide de s'occuper du jeune homme. S'ils ne
parviennent pas à l'exprimer, leur demander pour quelle raison Rousseau a choisi un jeune
homme malheureux, révolté et ingrat, et leur rappeler le thème du mal au programme : faire
formuler et synthétiser l'idée que voici l'âge auquel les accès de colère sont nombreux, où
beaucoup d'adolescents changent et où il est aisé de multiplier les mauvaises actions, de
« sombrer dans le mal ». Le vicaire est donc un professeur de morale, mais un enseignant et
un homme de religion, dont l'enseignement à une fin salvatrice.
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- Ainsi, dans un ouvrage qui propose une chronologie de l'éducation à apporter à un enfant, le
mal et le bien ne doivent être abordés en tant que tels qu'à l'âge où il est porté à se laisser
submerger par les mauvais choix.
Objectifs :
- Mise en évidence de la nature programmatique de cet « incipit »
• la méthode en réduction,
• les enjeux de la Profession,
• la raison et le cœur
• le bien dans la nature ou l'ordre des choses.
Support :
Extrait de l'incipit de la Profession de foi du vicaire savoyard. Depuis « Mon enfant,
n'attendez de moi ni des discours savants ni de profonds raisonnements. » jusqu’à
« Souvenez-vous qu'on l'offense encore plus quand on la prévient que quand on la combat ; il
faut commencer par apprendre à résister pour savoir quand on peut céder sans crime. »
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Parvenir à l'idée qu'il s'agit du nœud de la pensée de Rousseau en matière de morale puisque
le bien et le mal y seront définis. Et, plus largement, une profession de foi est la déclaration
publique d'une croyance : Rousseau y fonderait-il d'une certaine manière sa religion ? Ou ne
s'agirait-il que d'un abus de langage ? À voir dans la suite du texte.
Ce passage est le moment le plus dangereux de l'œuvre, qui vouera Rousseau aux gémonies
dans plusieurs pays. Son texte est un schisme religieux à lui seul, attaquable aussi bien par
le catholicisme que les protestantismes.
2. Humilité et proximité
a) Captatio benevolentiæ
Dès les premières lignes, Rousseau/le vicaire tente d'éviter l'écueil du discours moralisateur
après le « Mon enfant » initial en jouant non sur son autorité morale mais, bien au contraire,
par une humilité affichée à valeur pédagogique : son propos ne pourra être accepté qu'ainsi
par un jeune homme dont les préoccupations sont ailleurs.
- Les origines du vicaire (§2) : « né pauvre et paysan », il fait du jeune homme celui qu'il a été
et montre le potentiel qu'il a en lui. Il a choisi cette profession pour vivre et non par
conviction : ainsi se complètent dans une progression avec « que j'apprisse à gagner mon
pain » (intéressement), « je dis ce que je voulais que je disse » (hypocrisie religieuse voire
athéisme) et enfin « en m'obligeant de n'être pas homme j'avais promis plus que je pouvais
tenir » (rupture des vœux et péché de chair). Sa force réside dans sa faiblesse passée car il est
à lui seul une parabole du pécheur sauvé voire du pécheur exemplaire. Demander aux
étudiants ce qu'ils savent de la figure de Marie-Madeleine ou de Noé.
- formules binaires :
• de négations (§1) : ni … ni ; « je ne suis pas … peu »
• il impose un rythme binaire à ses phrases dans ce premier paragraphe afin d'asséner
ses idées tout en prétendant le contraire. Faire relever ce rythme lancinant à valeur
persuasive.
- Dès le premier paragraphe, le jeu des pronoms personnels et adjectifs possessifs associe la
pensée du vicaire à celle de l'enfant, par le passage de « Mon enfant», « moi » et « je », « mon
cœur »au « vous », « le vôtre », pour terminer par la communauté d'esprit du « nous » bien
traduite par « vous … comme moi ».
- L'interrogative directe en fin de premier paragraphe fait participer le jeune homme/lecteur
et met en acte l'usage du « vous », dans une relation dialogique. Demander quel philosophe
pratiquait ce jeu de questions rhétoriques marquant les différentes étapes de la réflexion.
Rousseau use donc de l'artifice le plus éculé du discours platonicien et de la maïeutique de
l'esprit, comme Platon usait de ceux des sophistes et reprenait même leurs idées et
travestissait les leurs.
Cette entrée en matière est, contrairement au contenu du propos, un effet rhétorique facile de
capture de la bienveillance ou de la naïveté de son interlocuteur/lecteur. Mais elle est
nécessaire étant donné la difficulté de la réflexion à venir et son importance capitale dans
l'économie de l'œuvre.
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Cette association, abusive certes, n'est pas une simple facilité afin de capter la bienveillance
du lecteur/interlocuteur. Elle est le corollaire de l'importance du cœur chez Rousseau.
1. La raison et le cœur
Rousseau joue sur les mots « argumenter » et « convaincre ». Demander aux étudiants à quoi
il les associe. Ces verbes n'apparaissent pas ici dans un champ lexical de la vérité, du bien, de
la raison positive contre l'erreur, mais sont tout simplement synonymes de persuasion
trompeuse.
Il faut donc demander comment Rousseau articule « raison » et « cœur » : contre toute
attente, il les associe, là où une opposition serait attendue. Loin d'être gêné par cette
difficulté, il la surmonte par la simple expression « la raison nous est commune », apportée
comme le premier membre d'une transitivité sous-entendue : « la raison nous est commune,
le cœur nous est commun donc la raison passe par le cœur ».
La raison est donc associée à une vérité du cœur contre une rationalité sèche conduisant à
l'erreur. Rousseau pose ses pions pour la suite de sa profession de foi, en prenant position
contre ce qu'il renvoie à l'opinion commune, qui désigne tout ce qui s'oppose à son idée :
« On nous dit » face à « je sais par mon expérience ».
BIEN MAL
conscience préjugés
ordre de la nature lois des hommes
remords
Ce que nous permet la nature bien ordonnée
Ce qu'elle [la nature] nous prescrit
[Nature] voix de l'innocence [Ce que la nature dit aux sens] = elle n'a rien dit
encore à vos sens
état heureux crime
céder
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- la nature ordonne (met en ordre ou témoigne d'un ordre du monde) et prescrit (ordonne au
sens de « donne des ordres ») – comme Dieu.
c) Combattre ou prévenir ?
Pourquoi combattre plutôt que prévenir ce mal ? En quoi serait-ce une « offense » et contre
quoi ? Il faut conduire les étudiants à tout rapporter non à la nature, mais à l'ordre des
choses. Ainsi, ce serait contre la nature du développement de l'enfant que de le prévenir
contre des pulsions dont il n'aurait pas connaissance ni même le ressenti : ce serait inutile car
sans objet et même une offensive (offense ?) contre-productive en aiguisant sa curiosité et
son appétence contre l'objet de la lutte à venir.
Il faut donc laisser venir naturellement le temps de ce combat en répondant à la nécessité du
moment. La fin de la dernière phrase du troisième paragraphe crée un couple
complémentaire plus que d'opposition : « résister »/ « céder ». Les étudiants devront
rechercher dans les termes de l'extrait ce à quoi il faut céder ou résister : il faut céder à la
pente naturelle du cœur et ce qu'elle prescrit et résister à celle des sens liée aux pulsions
sexuelles. En ce cas, il est possible de « céder sans crime ».
Objectifs :
- articulation entre l'homme et le mal. Le mal en l'homme ?
- Homo duplex, entre dikè et ubris
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Texte : Depuis « Il est donc vrai que l'homme est le roi de la terre qu'il habite » jusqu’à « et
mon pire tourment quand je succombe est de sentir que j'ai pu résister. »
Situation de l'extrait.
I. La singularité de l'homme.
Rousseau reprend ici dans le premier paragraphe la primauté de l'homme mise en avant dans
la Genèse :
- La formule « l'homme est le roi de la terre qu'il habite » est étayée par
• sa supériorité sur le monde animal : « il dompte tous les animaux »,
• son savoir-faire technique qui fait de lui un être prométhéen : « il dispose
des éléments par son industrie ». Si Dieu est créateur, l'homme dispose de maîtrise.
• son intelligence : « la contemplation ». Il est capable de comprendre par son esprit ce
qu'il ne peut qu'observer de loin : « il s'approprie encore, par la contemplation, les
astres mêmes dont il ne peut approcher ».
- L'homme, une exception. La syntaxe met en exergue ce caractère unique dans une suite
de singularités :
• « non seulement … non seulement … mais lui seul … et … encore »
• « Qu'on me montre un autre »
- La « contemplation » prend ici un double sens,
• d'intelligence de la connaissance (« je puis observer, connaître les êtres et leurs
rapports », qui lie observation, savoir et abstraction avec les « rapports »
• de ressenti et d'élévation, comme vu précédemment : « je puis sentir ce qu'est ordre,
beauté, vertu », « m'élever à la main qui le gouverne [le monde] ».
1. Dikè.
L'homme qui reconnaît l'ordre, la beauté et la vertu du monde et en remercie son auteur (qui
ne peut être le hasard aveugle mais une volonté) continue de s'élever puisqu'il passe de la
réalisation à l'architecte. L'homme juste monte donc vers un sommet vers lequel tout fait
signe : il est au sommet de la création, il dispose de pouvoirs supérieurs au reste du vivant, il
entrevoit ce qui le dépasse par son intelligence, témoins les astres, et ne peut, selon
Rousseau, qu'en remercier le principe fondateur à sa source situé plus haut encore.
Le troisième paragraphe développe ce champ lexical de la reconnaissance : « bénir la main
qui m'y a placé », « sentiment de reconnaissance », « bénédiction pour l'auteur de mon
espèce », « premier hommage à la divinité bienfaisante », « J'adore la puissance suprême »,
« je m'attendris sur ses bienfaits ».
Cette pente conduit non seulement à reconnaître le bien mais à le cultiver : « je puis aimer le
bien, le faire » ; et au troisième paragraphe, l'interrogation rhétorique « N'est-ce pas une
conséquence naturelle de l'amour de soi, d'honorer ce qui nous protège, et d'aimer ce qui
nous veut du bien ? » Rousseau inclut bien l'homme juste dans le respect d'un ordre du
monde qui le sert, dans une écologie.
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Rousseau reprend son propos en changeant d'échelle au quatrième paragraphe, comme pour
prévenir une critique de bon sens : le spectacle de la violence des hommes, bien loin du
tableau idéal proposé plus haut.
Un tel tableau pourrait remettre en question l'ensemble du propos : la nécessité d'un principe
régissant le monde, sa bienveillance, et la grandeur de l'homme.
Aussi, Rousseau offre une deuxième définition du mal dans ce même passage, au paragraphe
5 : ici, il n'est plus le rationalisme stérile avilissant, mais comme chez le jeune adolescent, le
laisser-aller dans la pente des sens et des passions.
La différence avec les pulsions sexuelles du jeune homme, cette pente est ici constitutive de
l'homme, tiraillé par nature entre les extrêmes.
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L'homme est double, terrain d'une bataille entre son corps et son esprit, dans un dualisme
très chrétien : la libération par le cœur, la contemplation, le sentiment et la bonne « raison »
– celle qui rend raison à ce qui est – sont contrariées par un « empire » des sens asservissant.
Rousseau replace l'homme au centre d'une lutte entre le bien et le mal mais dont il est à la
fois la seule cause et la seule issue :
« Non, l'homme n'est point un : je veux et je ne veux pas, je me sens à la fois esclave et libre ;
je vois le bien, je l'aime, et je fais le mal; je suis actif quand j'écoute la raison, passif quand
mes passions m'entraînent ; et mon pire tourment quand je succombe est de sentir que j'ai pu
résister. »
Si la source de tout bien est extérieure à l'homme, dont il est le reflet car appartenant à
l'ordre des choses, le mal, quant à lui, n'est pas extérieur à lui. À l'Enfer objectivé se substitue
alors un enfer intérieur : celui du tourment du remords - « mon pire tourment quand je
succombe est de sentir que j'ai pu résister ».
Extrait : Depuis « Si l'homme est actif et libre, il agit de lui-même ; tout ce qu'il fait
librement n'entre point dans le système ordonné de la Providence, et ne peut lui être
imputé. » jusqu’à « La mort est le remède aux maux que vous vous faites ; la nature a voulu
que vous ne souffrissiez pas toujours. »
Introduction
Rousseau en vient dans ce passage aux pierres d'achoppement du judéo-christianisme parmi
les plus débattues : la liberté de l'homme à faire le mal et la justice divine. Dans cette
profession de foi, il sait que le jeune homme, comme tout un chacun, ne peut que s'exclamer
que Dieu ne peut être juste ni tout puissant s'il permet le mal, qui plus est, si la liberté qu'il a
octroyée à l'homme lui permet de choisir le mal.
La réponse est un système logique très construit :
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I. Logique de la liberté.
Pas de contradiction donc entre la bonté, justice et bienveillance divine et la présence du mal
dans le monde
Ici, Rousseau s'oppose à Leibniz et à son idée du moindre mal dans le meilleur des mondes
possibles. En effet, pour Leibniz, le mal fait partie du système ordonné puisque, parmi tous
les possibles, Dieu choisit celui qui permet le maintien de l'harmonie universelle même s'il
faut, pour ce, passer par des maux particuliers et provisoires. Pour Rousseau, au contraire, le
mal « n'entre point dans le système ordonné de la Providence »
soit que de la part d'un être si faible ce mal soit nul à ses yeux
elle a tellement borné ses forces, que l'abus de la liberté qu'elle lui laisse ne peut
troubler l'ordre général.
Le mal que l'homme fait retombe sur lui sans rien changer au système du monde
sans empêcher que l'espèce humaine elle-même ne se conserve malgré qu'elle en ait
Les maux humains ne pèsent pas dans l'harmonie universelle et l'ordre des choses. Ici, la
vision du monde de Sade, quoique totalement opposée puisque athée et matérialiste,
rencontre celle de Rousseau : les maux ne sont pas contre-nature puisqu'ils sont le produit du
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monde via les hommes. Le mal appartient donc au « système du monde », à « l'ordre
général ».
Rousseau n'envisage toutefois pas ici la capacité de l'espèce humaine à s'autodétruire, qu'il
juge impossible (« malgré qu'elle en ait »).
Rousseau, en posant le bien comme un choix de l'homme, donne toute sa valeur et au bien et
à l'homme. Il continue donc d'insister sur la lutte constante en l'homme entre l'esprit et le
corps : « nous sommes tentés par les passions et retenus par la conscience ».
« Murmurer de ce que Dieu ne l'empêche pas de faire le mal, c'est murmurer de ce qu'il la fit
d'une nature excellente, de ce qu'il mit à ses actions la moralité qui les ennoblit, de ce qu'il lui
donna droit à la vertu.
La suprême jouissance est dans le contentement de soi-même ; c'est pour mériter ce
contentement que nous sommes placés sur la terre et doués de la liberté, que. Que pouvait de
plus en notre faveur la puissance divine elle-même ? Pouvait-elle mettre de la contradiction
dans notre nature et donner le prix d'avoir bien fait à qui n'eut pas le pouvoir de mal faire ?
Quoi ! pour empêcher l'homme d'être méchant, fallait-il le borner à l'instinct et le faire bête ?
Non, Dieu de mon âme, je ne te reprocherai jamais de l'avoir faite à ton image, afin que je
pusse être libre, bon et heureux comme toi. »
Rousseau ravive ainsi la formule « à l'image de Dieu », présente dans la Genèse : « Faisons
l'homme à notre image, selon notre ressemblance » (Genèse 1:26).
L'homme est la créature privilégiée de Dieu qui lui donne la puissance de se hisser à son
niveau s'il le veut seulement. Il gagne en mérite et la vie n'est plus une vallée de larmes mais
une école de volonté, de prise sur soi et de vertu. Rousseau se fait là prédicateur optimiste et
exigeant, dans une argumentation que la cascade d'interrogatives directes, l'exclamation et le
remerciement au style direct, muent en prière laudative.
« Que pouvait de plus en notre faveur la puissance divine elle-même ? Pouvait-elle mettre de
la contradiction dans notre nature et donner le prix d'avoir bien fait à qui n'eut pas le pouvoir
de mal faire ? Quoi ! pour empêcher l'homme d'être méchant, fallait-il le borner à l'instinct et
le faire bête ? Non, Dieu de mon âme, je ne te reprocherai jamais de l'avoir faite à ton image,
afin que je pusse être libre, bon et heureux comme toi. »
Il ne faut donc, selon lui, ni « murmurer » ni « reprocher » mais louer la bonté divine d'avoir
permis le mal comme conséquence de la liberté humaine dans la mesure où le bien prend sa
valeur : le choix pour l'homme d'être à l'image du démiurge : « libre, bon et heureux comme
toi. »
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Dans le véritable système logique de cette profession de foi, tous les maux et la mort trouvent
leur explication et leur place.
Le système est donc complet donc clos : l'homme est la cause de ses malheurs, dus à son
intelligence et au mauvais usage qu'il peut en faire. Il agit par là-même parfois contre son
corps, ce que la nature lui rappelle pour son auto-conservation. La mort est une délivrance :
elle n'est pas le mal, mais un bienfait naturel et divin final, afin de libérer l'homme de sa
souffrance morale et physique.
1) Demander aux étudiants de faire une recherche sur le peintre romantique Caspar David
Friedrich
2) Comparer l'extrait suivant, précédant directement la Profession de foi, et la reproduction
du tableau de Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818 :
a) extrait :
« On était en été, nous nous levâmes à la pointe du jour. Il me mena hors de la ville, sur une
haute colline, au-dessous de laquelle passait le Pô, dont on voyait le cours à travers les fertiles
rives qu'il baigne ; dans l'éloignement, l'immense chaîne des Alpes couronnait le paysage ; les
rayons du soleil levant rasaient déjà les plaines, et projetant sur les champs par longues
ombres les arbres, les coteaux, les maisons, enrichissaient de mille accidents de lumière le
plus beau tableau dont l'œil humain puisse être frappé. On eût dit que la nature étalait à nos
yeux toute sa magnificence pour en offrir le texte à nos entretiens. Ce fut là qu'après avoir
quelque temps contemplé ces objets en silence, l'homme de paix me parla ainsi [… ] »
b) tableau :
Extrait : Depuis « Lorsque Zeus eut chassé du ciel la race des Titans, un dernier enfant naquit
de la vaste Terre, unie aux Tartares par la belle Vénus. » jusqu’à « Ils parcourent aussi la terre
immense et fleurie, détruisant les doux fruits du travail des humains, les enveloppant à grand
bruit d'épais tourbillons de poussière. »
a) Quels principes ce texte oppose-t-il ?
b) En quoi l'étude de la Profession de foi permet-elle d'affirmer que Rousseau ne
partage pas cette vision du monde ?
c) Que Rousseau propose-t-il de similaire à Typhon et à ses manifestations ? Mais
quelle en est la différence majeure ?
Extrait : Depuis « Les sentiments que vous venez de m'exposer, lui dis-je, me paraissent plus
nouveaux par ce que vous avouez ignorer que par ce que vous dites croire. » jusqu’à « Quant
au culte extérieur, s'il doit être uniforme pour le bon ordre, c'est purement une affaire de
police ; il ne faut point de révélation pour cela. »
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