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DU MYTHE ET DE L’IMAGINAIRE

A L’INTELLIGENCE DU SOCIAL.
Georges Bertin.
« Les mythes sont faits pour que
l’imagination les anime »
Albert Camus.

Introduction. p

Ière partie: ACTUALITE DU MYTHE.

1) définitions.

2) mythe, culture et recherche scientifique.

4) forme et histoire, une dialectique


pour penser la complexité.

5) la transversalité comme méthode.

6) la recherche sur les mythes.

a) l’anthropologie culturelle.

b) l’ésotérologie.

c) la socio-anthropologie symbolique.

1
Introduction.

Dans son dernier ouvrage, partant du constat général que " la vie et la
culture de l’esprit sont marquées de nos jours par l’omniprésence des
images ", à tel point que l’on peut parler d’une civilisation des images, Jean-
Jacques Wunenburger nous amène à entrevoir l’image, cette "catégorie vide
et déconcertante" comme objet de connaissance, puis posant, en termes
mesurés et dialectiques, la question de sa nature (mimesis, ressemblances et
dissemblances),1 l’auteur nous apprend finalement à l’entrevoir dans ses
rapports avec la connaissance et la pensée comme avec la vie elle-même et le
sacré.
Notre effort portant sur une catégorie du symbolique, le mythe, s’inscrit
bien évidemment dans cette perspective qui vise redonner à l’image un statut
épistémologique et philosophique que d’ailleurs ses contempteurs n’avaient
pu lui faire perdre tant elle restait liée à l’aventure humaine, Jean-Jacques
Wunenburger nous propose ainsi un vade-mecum philosophique du «penser
en images », sans pour autant occulter , dans ses usages, la nécessité où nous
nous trouvons de reconsidérer « l’essence même des processus cognitifs,
d’envisager l’existence d’une pensée figurative, d’un intellect poétique,
d’une imagerie symbolique » (p.199).
Ceci le conduit à examiner « l’intellect imageant » et, contre une tendance
intellectualiste qui visait à s’affranchir des images, à y voir au contraire,
avec Kant, « des figures de pensée » et à considérer avec Gilbert Durand, les
corrélations qui existent entre «syntaxe de l’imaginaire et structures
intellectuelles ».
Il n’est en effet «pas de vie intellectuelle sans médiation de l’image »
(p.249) et les faiblesses de l’image (reflet, aliénation, sacrilège, fantômes,
prolifération) ne doivent pas faire oublier sa force, tant elle « participe aux
visées et situations les plus décisives de la vie active » (p.269), de la vie
morale (idéaux), du politique (images du pouvoir, telles celles de l’Etat et de
la Nation, symbolique de l’Autorité), et jusqu’aux mythologies de la
subversion qui ouvrent la question du sacré et du religieux, de l’art, lequel
« atteste chez l’homme un besoin universel de fabriquer des images »
(p.291).
Cette réflexion philosophique sur les images est particulièrement bien
venue dans un monde marqué, comme l’a établi Gilbert Durand, par « une
pensée pathologique qui se désimprégne du sens, dans laquelle les images et
les mythes se rétrécissent jusqu’à être pris pour des perceptions et des
sensations 2».
"Placer l’image au coeur de l’esprit est peut-être, comme le souligne Jean-
Jacques Wunenburger, le meilleur moyen pour comprendre ses activités".
(p.292).

Notes.
Wunenburger Jean-Jacques. Philosophie des images. Paris, P.U.F./ Thémis-philosophie.
1997, 322p.
2
Durand Gilbert, La Foi du Cordonnier, Paris, Denoël, 1984, p.33.

2
Notre temps a repris conscience de l’importance des images symboliques
dans la vie mentale ou sociale. Les conduites humaines, les cadres sociaux
(dont l’architecture, l’habitat, l’urbanisme, la fête, les moyens de
communication culturelle, les instances du dévelopemment local) sont aussi
organisées en fonction d’un imaginaire qui ne cesse de les habiter et dont
l’analyse doit provoquer l’émergence.
Plusieurs courants hermèneutiques s’y attachent parmi lesquels comptent
notamment les réflexions développées par Gaston Bachelard et Gilbert
Durand, celui-ci s’étayant souvent sur celui-là.
Gaston Bachelard a en effet développé une importante réflexion sur la
constitution et la mobilité des images et esquissé les prémisses d’une
véritable psychologie de l’imagination ordonnée selon lui à deux moments
repérables:
• celui de la perception d’images formées et fixées dans la conscience
humaine, forces imaginantes qui creusent le fond de l’être , qui veulent
trouver dans l’être à la fois le primitif et l’éternel, qui dominent la saison et
l’histoire. Elles produisent des germes où la forme est enfoncée dans une
substance, où la forme est interne,
- celui de la mobilité d’images qui trouvent leur essor devant la nouveauté,
animent l’imagination créatrice dans l’expression des langages qui leur
prêtent vie. Dans la nature, en nous et loin de nous, elles produisent des
fleurs.3
Il distingue ainsi deux types d’images, celles qui se réfèrent à l’intime, à la
profondeur, à la matière, à l’eau, et celles qui se situent dans l’expansion,
dans la liberté, dans l’espace.
Gilbert Durand, faisant la synthèse, en les reprenant, des propositions de
Bachelard qu’il confronte aux apports de la psychanalyse, du structuralisme
et de philosophes comme Kant ou Cassirer4, ouvre les voies d’une réflexion
sur l’Imaginaire qu’il présente comme un dynamisme équilibrant entre
plusieurs réseaux de forces antagonistes: les régimes diurne et nocturne des
images et les dominantes physiologiques qui déterminent les schèmes de nos
fonctionnements mentaux et sociaux entre les gestes de l’érection, de
l’avalage et l’obsession profonde et universelle du rythme..Il isole sur cette
base « les structures anthropologiques de l’Imaginaire5 »qu’il organise en
trois grandes classes: héroïques, dramatiques et mystiques.
C’est à lui que nous devons la notion de « trajet: anthropologique » les
forces de l’imaginaire dans leur confrontation à la réalité sociale, pour
accéder au statut de symbole, devant faire la part de ce qui ressort des
intimations du milieu et de ce qui relève des pulsions bio-psycho-affectives.
Dans « La méthode: la Connaissance de la Connaissance », Edgar Morin
met l’accent sur la présence occulte du mythe au coeur du monde
contemporain et ce malgré l’opposition soigneusement entretenue entre les
pensées rationnelle et mythique, entre science et religion. « Il a fallu, écrit-il,
l’élargissement et l’autocritique de la pensée critique pour que celle-ci
s’interroge sur l’universalité, le sens et la profondeur de la pensée
mythologique ». Parmi les fonctions du symbole, dans lequel il voit en
particulier la concentration d’un coagulum de sens, soit « une constellation
3
Bachelard Gaston, L'eau et les rèves, Paris, José Corti, 1942.
4
Durand Gilbert, L'Imagination Symbolique, Paris, PUF, 1968.
5
Durand Gilbert Les Structures Anthropologiques de l'Imaginaire, Paris, Dunod, 1985,
10ème édition.

3
de significations et de représentations liées symboliquement par contiguïté,
analogie, imbrication », il développe celle qui concerne la communauté (6),
réflexion reprise et amplifiée par Michel Maffesoli dans la plupart de ses
ouvrages.
De fait, entre l’imaginaire social, magma, réservoir de significations qui se
proposent à l’émergence de la vie sociale et les contraintes rationnelles-
réelles de l’organisation, le mythique relève du symbolique, dont il est « une
succession organisée en récit »(G. Durand). D’un point de vue
épistémologique, il nous oblige à reconsidérer nos catégories car il constitue,
comme objet d’études, ce que Jean-Marie Brohm et Louis-Vincent Thomas
ont appelé une transversalité laquelle est « interrogation permanente et
questionnement infini », soit, « le refus des cloisonnements des disciplines,
des champs, des objets, des méthodes, l’attention accordée aux totalités
mouvantes (Garfinkel), aux praxis-processus (Sartre), aux mondes cachés
(Bachelard), la compréhension de l’unité signifiante de tout fait social qui
est prioritairement une donnée existentielle avec ses finalités, ses enjeux
anthropologiques, ses conflits7. »
Dans ces catégories, le mythe tient une place éminente, car il se situe à la
fois du côté de la « réserve d’images » et de l’opérationnalité de l’imaginaire
en actes, il tient à la fois au radical et au social pour reprendre la distinction
de Cornélius Castoriadis, c’est un "récit chaud" comme le souligne Guy
Ménard8, qui attire notre attention sur le fait qu’on "ne joue pas impunèment,
n’importe comment avec les mythes des gens", que les mythes sont vivants,
qu’ils peuvent mourir, être tués.
Le Mythe, de fait, interroge les couches profondes de la psyché, dans ce
qu’elle a de plus radical comme dans ses formes immuables ordonnées aux
besoins les plus fondamentaux de l’espèce et les formations dues à
l’effervescence poétique, aux capacités instituantes mises en oeuvre par
l’imagination créatrice. Il peut donc sembler légitime de s’interroger sur la
fonction sociale du mythe à la fois garant de notre relation à ce qu’on a pu
appeler l’arkhé et comme force productrice de sens au coeur du construit
social. car « la vie sociale est un mixte inextricable d’intelligible et de
sensible, de sapiens et de demens »9:
- en tant que réalité touchant l’humain, comme nous le rappellent tous les
grands textes fondateurs, des antiques à la psychanalyse, le mythe est l’objet
d’une réflexion légitime, rien n’étant « indigne d’être objet de science »(10),
ceci implique et la liberté de penser et le refus de tout monopole théorique et
doctrinal,
- de plus, « parce qu’exerçant une domination manifeste sur la rationalité
de nos systèmes politiques, le mythe plonge au plus profond de l’évolution
humaine » 11. De fait, l’histoire contemporaine, tout en dissolvant les
anciennes mythologies, en secrète de nouvelles et régénère de façon

6
Morin Edgar, La Méthode-3, La Connaisance de la Connaissance-1, Paris, Le Seuil,
1986, p.155 sq.
7
Brohm J.M. in Pretentaine, Université Montpellier III, Mai 1996, p.16.
8
Ménard Guy, Le sacré et le profane, d'hier à demain, in Figures contemporaines du
sacré: religion et culture au Québec, sous la direction de Y. Desrosiers, Montréal, Fides,
1986, p.3.
9
Maffesoli Michel, La Connaissance ordinaire, Méridiens, 1985, p.81.
10
Brohm Jean-Marie, Galaxie Anthropologique-Transversalités, Paris, N.E.A., N°1, Avril
1992.
11
cité par Balandier Georges, in Le Mythe de l'Etat, Ernst Cassirer, Le Monde, 29/01/93.

4
proprement moderne la pensée symbolique / mythologique / magique
laquelle s’est introduite dans la pensée rationnelle au moment où celle-ci la
chassait de l’univers.12.
« C’est dans le mythe que l’on saisit le mieux, à vif, la collusion des
postulations les plus secrètes, les plus virulentes du psychisme individuel et
des pressions les plus impératives et les plus troublantes de l’existence
sociale13 ».
Récit sacré, « il porte en lui la possibilité de retrouver le contact avec
l’expérience intense-sacrée qui lui a donné naissance (…) il peut être joué et
quand il est joué, il reprend vie, retrouve la vie qui l’a engendré »14
Nous nous efforcerons, à la lumière de nos travaux et de nos expériences de
terrain, lesquels portent à la fois sur l’émergence, la continuïté et
l’actualisation des mythes arthuriens et sur l’analyse des systèmes culturels
populaires auxquels nous nous sommes confrontés, de montrer comment le
mythe reste aujourd’hui une donnée incontournable du construit social et
proposerons une méthode opérationnelle pour en saisir l’effervescence
contemporaine et ce d’autant plus que le sentiment de rupture avec l’histoire
qui s’empare de nos sociétés jusque dans leurs expressions les plus
paradoxales (nous évoquerons à ce sujet la question des Apparitions à
laquelle nous avons consacré une enquête), est le creuset de l’émergence de
nouveaux genres de mythes.
Préalablement, pour justifier une telle entreprise, nous devons nous
interroger sur :
• le statut du mythe,
• la place qu’il occupe dans la recherche en sciences sociales et
illustrerons, pour appuyer, notre thèse, l’entreprise de remythologisation à
laquelle nous assistons sur le plan culturel et religieux.
Soit, partant d’une réflexion compréhensive sur le statut du Mythe en tant
que catégorie du symbole, nous proposerons non pas tant une méthode de
pensée « La raison sensible » de Michel Maffesoli), laquelle n’a plus à se
légitimer et à laquelle nous adhérons, mais informer les catégories
opératoires et les agents du développement local et culturel de la nécessité de
prendre en compte cette surréalité qui est pour nous incontournable sauf à
provoquer dans le meilleur des cas la réïfication des projets, dans le pire, leur
mort programmée.
Nous ne méconnaissons pas la difficulté d’une telle entreprise, mais
produirons, pour l’étayer, nos propres publications sur ce thème en même
temps que nous évoquerons notre passé militant au service des cultures
populaires, ayant toujours été, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin,
" un peu nous-même de la foule et de badauds", car affectionnant de "flâner
sur les grands boulevards de la culture de masse", position à laquelle nous
avons été sensibilisé par les courants de l’Analyse Institutionnelle et de
l’Ethnométhodologie, lesquels n’ont pas été sans influer sur un parcours
universitaire parfaitement atypique et pétri d’alternance entre le terrain
professionnel et les cénacles de la recherche.

12
Morin Edgar, op.cit. p.166.
13
Bataille G. Lettres à Roger Caillois, Folle Avoine, Paris, 1987, p.27.
14
Ménard Guy, ibidem, p.4

5
Ière partie: ACTUALITE DU MYTHE.

1°) définitions.

Regardons donc d’abord ce qu’est le mythe, dans ses acceptions les plus
courantes.
Pour les grecs, le µ υ θ ο σ est d’abord, depuis l’épopée jusqu’au Vème
siècle grec15, dans l’univers de la parole, discours, rumeur, nouvelle,
dialogue, conversation, il est encore ordre, prescription, projet.

Après Homère, il se charge d’un autre sens, celui de récit non historique,
fabuleux, de légende, de fable ou d’apologue. Μ υ θ ο λ ο γ ε ι ν
signifie alors raconter des fables, composer des récits fabuleux, imaginer par
fiction, le mythe est dès lors catégorie de l’Imaginaire "Ο µ υ θ ο σ
δ η λ ο ι ... la fable montre…" ainsi se termine chaque fable d’Esope, le
mythe étant ici convoqué au service d’une morale sociale. Il est fondateur de
culture.
En effet, récits premiers, mettant en scène l’histoire des dieux et des
hommes, les mythes fournissent " un ensemble de représentations des
rapports du monde et de l’humanité avec les êtres invisibles"16. Oscillant
entre science et légende, ils contribuent à une mise en place de l’ordre
rationnel, à situer l’homme dans l’univers. Idéaltype, au sens de Max Weber,
il légitiment la portée de la tradition. Le mythe est, dans ce sens, "reconnu
pour vrai par les sociétés qui le racontent même s’il n’y a rien de
vraisemblable pour l’observateur"17.
C’est sans doute ce qui faisait écrire à Claude Lévi-Strauss que le mythe est
"une histoire du temps où les hommes et les animaux n’étaient pas encore
distincts"18, le mythe racontant l’événement fondateur de la condition
humaine, de la cité, du peuple, expliquant « pourquoi les choses, différentes
au départ, sont devenues comme elles sont et pourquoi il ne peut en être
autrement ».
Cette idée de récit fabuleux ayant à voir avec les origines est également
développée par Gilbert Durand qui s’intéresse plus, pour ce qui le concerne à
la structure du mythe: « système dynamique de symboles, d’archétypes, de
schèmes qui, sous l’impulsion d’un schème, tend à se composer en récit ». Il
est déjà, chez lui, une esquisse de rationalisation puisqu’il utilise le fil du
discours. Et de mettre l’accent sur la prétention du mythe à une
rationalisation, soit une tentative d’explication du monde ou des phénomènes
naturels.
Paul Verdier19 se propose pour sa part de considérer le mythe comme
facteur de relation entre le Divin et le Temps. Pour lui le recours aux mythes

15
Detienne Marcel, L'invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981, p. 95.
16
Laburthe-Tolra Philippe et Warnier Jean-Pierrre in Ethnologie, Anthropologie, Paris,
P.U.F., 1993, p.168.
17
Smith Pierre, article Mythe in Encyclopedia Universalis, 1983.
18
Levi-Strauss Claude, De près et de loin, entretien avec Didier Eribon, Odile Jacob,
1993, p.133.
19
Verdier Paul, intervention au Colloque Lancelot du Lac, Rânes, 1989, éd. l'Orne en
Français.

6
correspondrait à la nécessité où se trouvent les hommes de penser le Temps,
de définir des cycles temporels qui délimiteraient la vie des dieux, entreprise
impensable pour l’homme qui ne dispose que des computs solaires et
lunaires pour déterminer les rythmes de sa propre vie. La mythologie et ses
récits auraient dés lors pour fonction d’identifier des positions remarquables
de la course du Temps par la mise en place de ces révélateurs temporels que
sont les fêtes solaires, lorsqu’elles signifient la coïncidence de la course de la
Lune et du Soleil, établissant en quelque sorte des résumés du temps. Ainsi
les Celtes avaient établi un système calendaire qui résumait et simplifiait la
vaste période sacrée de la vie des Dieux, le temps divin étant trop long pour
que l’homme puisse le connaître réellement.
Les mythes sont ainsi de grands récits qui « placent l’humanité entière et
son drame sous le signe d’un homme exemplaire, qui donnent à l’histoire un
élan, une allure, une orientation (par exemple Adam représente, sur le mode
symbolique, l’universel concret de l’expérience humaine), qui explorent la
faille de la réalité humaine. Le mythe ne peut prendre que dans une
multiplicité de récits et nous laisse en face d’une diversité sans fin de
systèmes symboliques, semblables aux langues multiples d’un sacré
flottant »20.
L'école anthropologique anglaise a toujours, de son côté, proposé une
définition plus large du mythe en le référant à ses occurrences dans les
sociétés proches ou lointaines, en fonction des recueils qui en étaient faits
sur le terrain.
James G. Frazer discutait, en 1890, de l'attribution du statut de récit
fondateur à des récits fabuleux, par exemple, ayant décrit la légende
babylonienne de Marduk et Tiamat, qui, pour lui réflétait la métamorphose
annuelle de la vallée de l'Euphrate passant de l'hiver au printemps, il écrivait:
"si le combat de Marduk et Tiamat constituait à l'origine une explication
mythique du printemps babylonien, il semblerait que sa valeur
cosmogonique, en tant que récit de la création, n'ait été introduite qu'après
coup"21. Il poursuivait en estimant que la tradition et l'habitude prise de
célébrer des rituels magiques pour hâter les processus aurait fait le reste, et
de tenter de concilier deux interprétations qui lui semblaient conciliables:
l'interprétation totémique et l'interprétation cosmologique. Ansi le serpent ou
dragon, animal sacré, pouvait représenter, sous forme mythique, certains
phénomènes cosmologiques.
Depuis cette œuvre magistrale, les travaux n'ont fait que s'étendre et
concernent d'autres catégories.
Bronislaw Malinowski définissait les mythes et légendes comme "des
histoires qu'on se raconte dans la sérieuse intention d'expliquer les choses,
les institutions, les coutumes" et les divisait en trois catégories:
- les mythes concernant "l'origine de l'homme et de l'ordre général de
la société, et plus particulièrement les divisions totémiques et les rangs
sociaux",
- les mythes ayant pour objet "des acquisitions culturelles, les exploits
des héros, l'établissement des coutumes, la naissance des institutions
sociales et autres produits de la culture", leur particularité est de former de
longs cycles et de se référer à des incidents dramatiques,
20

21
Frazer J.G. Le Rameau d'Or, le dieu qui meurt, Paris, R. Laffont, Bouquins, 1983, p.85-
7

7
- les mythes "associés à certaines formes de magie" que l'on trouve à
la base des réalisations culturelles, ils tirent leur force de la magie qui à son
tour dépend d'eux.22
Résumant l'ensemble de ces propositions de clasification, David Adams
Leeming23 ordonne les mythes en
- mythes cosmiques, lesquels mettent en scène les récits de la création,
du déluge, de l'audelà, et les apocalypses,
- mythes divins: soit la description des panthéons des divinités des
différents peuples, ou la vie des dieux, déesses et autres personnages sacrés,
- mythes héroïques, lesquels racontent la naissance, la vie, l'histoire des
héros fondateurs et notamment les quêtes auxquels ils se soumettent. Il range
également là les voyages de ces héros dans l'audelà, leur retour terrestre et
leurs apothéoses,
- mythes liés à des lieux et des objets sacrés et là les récits sont
innombrables. On se souvient par exemple que Malinowski fixait dans les
mythes attachés à des lieux précis les origines des lignages et des tabous
sexuels des peuples du Pacifique.
Le mythe appartient à l'univers symbolique et Jacques Bril24 a montré
comment et pourquoi signe d'une réalité intelelctuellement inconnue mais
pressentie comme certaine le mythe en saisissait l'existence au point où ils se
dégagent de la nature (les Grands Ancêtres, par exemple).
C'est la Culture qui fait le lien, le pont, entre les forces du mythe, les
éléments qui s'originent dans la Nature et la psychologie des individus.
Comme Edgar Morin, il insiste particulièrement sur ce point de la
simultanéité de l'apparition de l'Homme et de la Culture. Avec Homo
Sapiens, la culture concentre en elle, institutionnalise, magie, rites, mythes,
religion qui assurent un compromis non seulement avec l'univers extérieur
mais encore avec les puissances noologiques, soit celles qui sont
constitutives de l'esprit humain25.

Edgar Morin insiste ainsi sur la réalité semi-imaginaire de l’homme,


laquelle réalité devient Imaginaire. Pour lui, cette confusion paradoxale est
intéressante à explorer. L’Imaginaire est ainsi un concept hyper flou qui
comporte deux acceptions:
• l’univers des images qui dépendent d’un support physique, matériel, ex.
T.V.
• les fantômes, le rêve, le songe, la mythologie, soit des représentations qui
ne supposent pas nécessairement la matérialité d’un support.

22
Malinowski Bronislas, La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, Paris,
Payot, 1932, p.92 sq.
23
Leeming David Adams, The World of Myth, Oxford University Press, 1990, 362p.
24
Bril Jacques, Symbolisme et civilisation, essai sur l'efficacité anthropologique de
l'Imaginaire. Thèse de doctorat, Université de Grenoble 2, Paris, Champion, 1977.
25
Morin Edgar, Le paradigme perdu, la nature humaine, Paris, Points-Seuil, 1979, p.159.

8
Cette réalité semi-imaginaire de l’homme est d’abord psychologique.

La réalité individuelle, c’est le Moi? Celui-ci, dès qu'on l'analyse,


comporte une grande part d’Imaginaire qui accomplit sa réalité. L'on connaît
la fortune que connut le mythe d'Œdipe à la suite des travaux de Sigmund
Freud qui en fit la clef de compréhension des comportements humains, et par
extension, sociaux.
"Celui qui croit vivre sans mythe, écrivait Carl Gustav Jung , ou en dehors
de lui, est une exception. Bien plus, il est un déraciné sans relation véritable
avec le passé, avec la vie des ancêtres (qui continue en lui), ni avec la race
humaine"26.

L'on sait que le grand psychanalyste suisse en fit la base même de sa


méthode d'investigation psychologique, aidant ses patients à identifier leur
propre mythe et voyant "dans les rèves les visions oniriques, les fantaisies et
les idées délirantes, le sol maternel de toute mythologie"27. Il identifie ainsi
des structures psychiques dominantes qu'il nomme archétypes et qui
coïncident avec les mythes, sont pour chaque peuple, les moyens typiques
qu'il a d'élaborer des complexes. Les mythes ont leur objectivité propre et la
sphère noologique est donc une réalité objective possessive. Les Dieux,
quand on les appelle, s’incarnent (rites de transe), sont présents, donnent des
ordres, c’est aussi vrai pour les idées qui nous possèdent, dictent nos
comportements. Les choses de l’esprit ont une vie objective d’un certain
type.
L’analyse du contenu de l’imagination humaine révèle ainsi un ordre
cohérent de liaisons et de valeurs métaphysiques constitutif de ce qu’il y a de
profond dans l’espèce humaine.
«La révolution anthropologique réside bien là: mettre à l’origine de toute
référence compréhensive (...) les impératifs imaginaux qui envoûtent la
conscience, l’investissement d’un sens vécu, des épiphanies numineuses qui
font de la valeur qu’éprouve ou que manifeste la psyché individuelle ou
collective, une réalité plus profonde que les faits ou les idées que constate
l’entendement 28».
La reconnaissance du mythe, en tant que forme, participe de ce fait de la
reconnaissance de l'individuation comme principe de différenciation qui
contribue à tracer les limites des êtres et des groupes. Les mythes, sont bien
des formes, au sens de Simmel, des "configurations cristallisées", qui
signent la singularité des sociétés qui s'y réfèrent29.
Sur le plan social, l’intérêt des mythes provient du fait qu’ils sont reçus et
acceptés par tous les membres du groupe et parce qu’ils constituent des
réponses aux questions que les sociétés se posent sur elles-mêmes: origine de
la société, sens des institutions, du système des valeurs etc.
Ils présentent avec la réalité sociologique d'étranges correspondances car la
Société Humaine n’est communautaire que s’il y a un mythe qui rende
compte de la fraternité propre de ses membres, (ex. ancêtre commun, patrie),
26
Jung Carl Gustav. Métamorphoses de l'Ame et ses symboles, Genève, Librairie de
l'Université Georg et Cie SA, 1953, p.35.
27
ibidem p.644.
28
Durand G. L’âme tigrée, les pluriels de psyché, Denoël, 1980, p.54.
29
Simmel Georg, Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1981.

9
soit substantiellement, on rattache ainsi l’Imaginaire maternel au mythe de la
Nation et l’Imaginaire paternel à celui de l’Etat. Notre rapport à l’Etat étant,
dans une perspective freudo-marxienne, le reflet de nos rapports présents et
passés à l’Autorité, d’où leur actualisation dans les formes de ce que Lourau
nomme l’Etat Inconscient30. Pour lui, l’Etat, c’est l’inconscient, dans sa
volonté «d’imposer la représentation d’un centre unique et sacré contre des
représentations non-étatiques dont la résistance persiste, par des moyens
divers, bien après la victoire militaire ultime du centre. Pour imposer une
forme équivalente de tous les rapports sociaux soumis à son pouvoir, l’Etat
dispose d’un instrument de contrainte: la forme communautaire ». Lourau
met en évidence la complémentarité et l’assimilation entre la religion et
l’idée de l’Etat. Nous sommes bien prêts du mythe.
Les Sciences de l’Homme seraient inhumaines à ne considérer que des
catégories socioprofessionnelles ou des formes politiciennes vides de sens, à
ne se fonder que sur les aspects les plus comptables, matérialisés des centres
humains, ne considérant l'homme que comme objet naturel.
Jacques Ardoino, prenant appui sur l’approche sémantique du modèle
oedipien, insiste pour sa part sur l’Universalité de la fonction du mythe,
comme construction d’un « modèle a posteriori, comme processus de
symbolisation propre à toute société, à tout système culturel, à tout individu
dans ce système31 ».
C’est un mode de connaissance qui complète la rationalité des thèmes de la
vie. Il n’est pas projection fantastique de la réalité, mais « révélation au sens
profond ».32
Le Mythe est donc, comme l’a remarqué Gilbert Durand, à la fois:
• épistémé: sédimentation naturelle, culturelle, des visions du monde dans
l’évolution de sociétés,
• carrefour transdisciplinaire, lieu de mise en commun de complémentarités
car favorisant l’émergence de figures autres, laissées pour compte de la
pensée.
Et, de ce fait, il justifie, d’approches diverses, croisées, transversales à la
fois:
• dans l’ordre du langage qu’il convient de mettre en décodage tout en
sachant bien que, par son équivocité même, le mythe y résiste.

• phénoménologique, afin de le replacer dans une totalité plus vaste, de


faire apparaître, par comparaison, des cohérences, des répétitions,
herméneutique quand il révèle la parole des hommes et dégage un sens
mettant en mouvement la pensée.

Même si les mythes ont pu jouer un rôle équivoque dans plusieurs sociétés,
allant jusqu'à justifier, par exemple, des dérives fanatiques ou totalitaires, il
n'en reste pas moins que "la démythologisation d'une culture la prive de
possibilités d'équilibration inconsciente et imaginaire d'une tout autre
portée que le travail de pondération dévolu à la Raison"33.

30
Lourau René, l’Etat inconscient, Paris, Minuit, 1978, p.26.
31
Ardoino Jacques, Propos actuels sur l'Education, Paris, Gauthier-Villars, 1978, p.80
32
Grawitz Madeleine, Lexique des Sciences Sociales, Paris, Dalloz, 1981
33
Bonardel Françoise, L'irrationnel, Paris, PUF, 1996, p.106.

10
2°) Mythe, culture et recherche scientifique.

Dans l'évolution de l'humanité, "la pensée, écrit encore Edgar Morin, s'est
coulée dans les formes différenciées d'abord du mythe, puis de la
philosophie, puis de la science, ces trois formes continuant
contemporainement à se fermer les unes aux autres". Or, elle aspire
aujourd'hui à se réunifier34.
Lorsque nous nous intéressons au mythe, de ce fait, une première sphère du
social qu’il convient d’explorer, pour commencer par balayer devant notre
porte, est sans doute la cité savante.
L’opposition entre Mythe et recherche scientifique, entre pensée savante et
pensée mythique semble consacrée par le langage courant comme l’est le
clivage Réel/ Imaginaire. Autour de l’image, règne en effet une suspicion
généralisée.
Au savant serait attribuée la connaissance du réel, au poète, à l’écrivain,
voire au philosophe ou au spécialiste des Sciences Humaines, celle des
productions imaginaires, des symboles dont le mythique est une catégorie.
De fait la recherche scientifique semble, depuis Le discours de la Méthode
de Descartes, ordonnée au modèle rationaliste expérimental : découvrir des
hypothèses explicatives et les vérifier afin de parvenir à un point de vue
universel avéré par la reproductibilité de phénomènes provoqués
expérimentalement. Elle est associée à l’idée d’une physique mécaniste et se
définit essentiellement comme la croyance à la suprématie de la raison,
proclamée comme un véritable dogme35.
Savante et utile. elle concerne « l’ensemble de connaissances et de
recherches ayant un degré suffisant d’unité, de généralité, et susceptibles
d’amener les hommes qui s’y consacrent à des conclusions concordantes qui
ne résultent ni de conventions arbitraires, ni de goûts ou intérêts individuels
qui leur sont communs, mais de relations objectives qu’on découvre
graduellement et que l’on confirme par des méthodes de vérification
définies»36.
Observer l’objet, le mettre à distance sont les garants de l’objectivité. La
vérité est dés lors un principe certain qui ne saurait être mis en doute parce
qu’il se fonde sur une conformité indiscutable entre la connaissance du sujet
et la réalité de l’objet connu, la preuve étant administrée sur la base
d’hypothèses formulées, sur l’enchaînement des causes et des effets sur les
réponses apportées aux stimuli induits par l’expérimentateur.
Pour assurer la longévité d’une théorie scientifique, il importe d’étudier le
réel à travers l’usage de l’a-priori. Ce processus, scientifique dans ce cas,
consistant à découvrir progressivement une réalité préexistante que l’on
s’attachera à déconstruire en éléments simples (analyse) à quadriller (codes
et langages). La Raison « se déploie dés lors dans l’univocité des mesures et
des définitions » (Ardoino).

34
Morin Edgar, Le Vif du sujet, Paris, Points-Seuil, 1982, p.336.
35
Guénon René, Le règne de la quantité et les signes des temps, Paris, Gallimard, 1974,
p.129.
36
Lalande. Vocabulaire de la Philosophie, Paris, PUF.

11
Une autre caractéristique de la recherche savante consiste dans la prise en
compte prioritaire du signe, voire, par réduction à l’élément le plus simple, la
substitution au réel des signes du réel.
L’homme s’enhardit ainsi à s’autoriser à se reconnaître comme seul auteur
de sa (ou de la) vérité, le savant devenant un constructeur culturel, un
créateur, celui qui maîtrise la nature. On retrouve ce même parti pris dans la
recherche dite orientée : elle concerne alors un problème particulier à
résoudre : ce qui peut être vrai, doit être vérifié.
Les Sciences Humaines dans une grande mesure n’échappent pas à ce
modèle, s’y étant alignées et ne prenant que peu de libertés avec lui.
Et pourtant nombreuses sont les analyses contemporaines qui entreprennent
de dépasser une clivage tenu désormais pour dépassé en nous faisant
remarquer que la science secrète elle-même des productions mythiques, que
les mythes sont, comme les sciences, des lieux d’objectivation du réel, ayant
en commun avec les sciences de ne pouvoir se prononcer sur eux-mêmes,
Luc Brisson allant même jusqu’à montrer que dans la théorie du Big Bang
comme dans la cosmologie du Timée de Platon, la connaissance se fonde en
dernière analyse sur des propositions indémontrables, il fait d’ailleurs
remarquer que jusqu’à la Renaissance, et bien que, depuis Aristote, on a
reconnu la portée de la méthode hypothético-déductive, l’outil formel qu’est
la cosmologie est resté le langage ordinaire37.

Une opposition remise en cause.


Si les sciences exactes, traditionnellement, dans leur rève de maîtrise
positiviste, de recherche de certitude, de prévisibilité, adonné à l'étude d'un
objet dont il importait de déceler des lois de comportement mécanique, ont
chassé l'homme (sujet) de leur champ d'investigation (objet), au nom de
notions dominantes qui étaient permanence, stabilité, déterminisme, et
évolution, de nombreux savants se sont interrogés pour savoir si le
comportement humain se réduisait à des enchaînements physico chimiques?
Ainsi Poincarré estimait que si un système en interaction à deux corps est
prévisible il ne l'est plus à trois.
Cette notion d'imprédictibilité nous amène à pose à nouveau la question du
sens, de la conscience et naît de là l'apparition d'une réflexion
transdisciplinaire, les strictes lois physiques n'y suffisant plus.
C'est ce qui fonde les théories modernes de la science, lesquelles posent de
nouvelles questions sur cette idée centrale que l'univers n'est pas donné, qu'il
est en construction.

Physique Non séparabilité L'H n'est pas


quantique spectateur
complémentarité Il dépend du
réel qu'il
explore
thermodyn chaos Imprévisibilité
amique d'un système

Brisson Luc et Meyerstein F W Inventer l'Univers, L'Ane d'Or, les Belles Lettres, 1991.
37

12
régi par des
équations
d'évolution
déterministes
hasard indécidabilité
indéterminisme

mathématiques Gödel incomplétude


"qqch échappe": catastrophes Le langage
l'origine est
impuissant

Ces théories posent la question de la place de l'homme dans


l'aventure de l'univers., remettent en cause la notion d'objectivité forte,
au XXème siècle, connaître et mesurer, c'est agir sur le réel.

Désormais, le connu est inséparable de l'esprit connaissant, et ce pour deux


raisons:
1) l'H est obligé de construire une représentation du connu (il
imagine),
2) la connaissance que le sujet prend du réel le modifie, l'objet de la
science est d'interaction.
Au 20ème siècle, on découvre des zones frontières entre la science et les
autres modes de connaissance, c'est la fin du scientisme, une nouvelle
épistémologie naît dans laquelle la place du sujet connaissant est centrale.

Science classique Science moderne


Causalité linéaire Sensibilité aux conditions
initiales
Réduction à l'unité irréductibilité
complétude imprédictibilité
stabilité Instabilité/incertitude

On est passé de la certitude à l'incertitude.38 ce qui donne à la prédiction


scientifique un caractère relatif.

Magnin Th. Entre science et religion, quête de sens dans le monde présent. Paris, éd du
38

Rocher, coll transdisciplinarité, 1998.p 1-24.

13
Présente dans le latin « circare » : aller çà et là, l’idée de recherche est
concomitante d’un parcours, à la fois dans le sens de la courbe : (de l’indo-
européen KER1 : faire le tour de, mais encore dans celui de l’exercice
intellectuel (KER2) ou encore de couper, diviser (KER3). Il est frappant de
voir que ce dernier sens a peu à peu occulté les deux autres réduisant souvent
toute recherche à l’opération sans doute très nécessaire mais non suffisante
de distinction.
« Le jeu du langage et de la pensée du monde se déploie dans l’errance et
comme errance. celle-ci déborde de toutes parts la connaissance et le savoir
qui sont les édifices consolidés de la pensée chercheuse.39 »
Difficulté déjà pointée par Jean-Jacques Wunenburger40 dénonçant
l’asservissement des Sciences de l’Homme aux méthodes d’abstraction, de
métrique, de légalisme des Sciences de la Nature, les emprisonnant dans un
modèle linéaire et de pointer les coïncidences troublantes qu’il observe entre
le triomphe de la pensée rationaliste et la systématisation des génocides,
qu’ils portent l’habillage stalinien ou hitlérien. Alors qu’elles avaient crû
remporter une victoire sur l’homme, estime-t-il, en l’arrachant à la
métaphysique, à la morale et à la religion, en remplaçant les opinions
subjectives par des lois, les Sciences Humaines voient leur objet se vider,
devenir de plus en plus transparent et univoque, aboutissant à un formalisme
vide. « Leur crise est une crise de l’homme et du déploiement de son
savoir ».
Ceci amène de nombreux chercheurs en Sciences Humaines à se demander,
comme Jacques Ardoino si « toute théorie scientifique apparaissant comme
une axiomatique et le principe de sa validité, de sa rigueur et aussi de son
enfermement, l’excès de formalisme ne se fait pas au détriment du sens et de
la création véritable, qui est le fruit d’une rupture plus que le produit d’une
combinatoire.41 »
Réflexion également présente chez Michel Maffesoli qui estime que trop de
rigueur éloigne du réel, rejoignant Fourastié quand il écrivait que « toutes les
vérités sont des hypothèses et que les théories ne sont que des écritures, des
ouvertures alors que cependant l’objet se dérobe, étant en mouvement et que
la vérité est relative, tributaire de la situation, le sens étant aussi geste,
action, image »42.
Se pose à ce moment la question du sujet observant, du chercheur confronté
à cette mobilité, devenant à la fois acteur et lui-même sujet de la recherche.
Pour Claude Levi-Strauss: « l’homme ne se contente plus de connaître;
tout en connaissant davantage, il se voit lui-même connaissant, et l’objet
véritable de sa recherche devient un peu plus, chaque jour, ce couple
indissoluble formé par une humanité qui transforme le monde et qui se
transforme elle-même au cours de ses opérations43 ».

39
Axelos Costas, Systéamtique ouverte, Paris, Minuit, 1984, p.30.
40
Wunenburger Jean Jacques, Pour une subversion épistémologique in Galaxie de
l'Imaginaire, Berg, 1980.
41
Ardoino Jacques, Education et Politique, Paris, Gauthier-Villars, 1977.
42
Fourastié Bernard, Raison Gardée, in Sociétés, Dunod, 1992,
43
Levi Strauss Cl. Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1974, p.419.

14
Manuel de Dieguez attribue cette nouvelle posture à « la réintroduction de
la transcendance du sujet dans la psychologie moderne par le biais de la
psychanalyse, laquelle constitue une révolution de la pensée moderne dont
nous n’avons pas encore mesuré toute la portée »44, position pourtant
occupée de tous temps par les mythes dont la signification vivante était de
faire comprendre à l’homme ce qui se passait dans son inconscient, ce dont il
ne pouvait se libérer. L’image primitive archètype présentant ainsi un
modèle de comportement, qu’elle arrive ou non à ses fins avec ou sans la
personnalité consciente 45.
La pensée scientiste, en résumé, obéit aux impératifs du contrôle selon des
normes préétablies, d’un déterminisme linéaire (mono rationalité de type
cartésien), de la hiérarchisation des savoirs: pour maintenir la reproduction
des institutions, dans ce cas, la primauté est mise sur l’effet de force.
De fait, Gilbert Durand a montré46 que l’examen de l’évolution de la pensée
scientifique en Occident établit que celui-ci s’est trouvé fondé sur
« l’échelonnement temporel et progressif d’états du monde , sur la
mécanique fatale d’une histoire hypostasiée, ce qui allait inspirer la
conquête du monde aux XIVème -XVéme siècles comme celle d’un libre
esprit scientifique: Guillaume d’Occam, les nominalistes, Luther etc »...
Cette pseudo universalité unidimensionnelle et rationaliste est, pour lui,
démentie par les terreurs de l’histoire et par la découverte de la pensée
sauvage qui met en évidence l’universalité de l’archétype et du mythe. Il
refuse et dénonce47 une triple conception scientiste et mécaniste qui sévit
aujourd’hui :
• l’héritage pédagogique de Descartes et son objectivité pragmatique et
objectifiante à laquelle il recommande de substituer une phénoménologie de
l’image où l’être se dessine et se constitue à travers le sens des images,
• le freudisme qui confond imaginal et imaginaire et réduit au second le
premier, l’imaginaire n’étant que le dérivé d’une pulsion animale, soit par un
appauvrissement de l’imagination bloquée au niveau de ses fonctions
biographiques et biologiques, (si le malade mental ne sait plus symboliser
c’est parce qu’il prend au sens propre toutes les figures imaginaires),
• l’évolutionnisme historique, le mythe de notre civilisation, d’autant plus
insidieux et caché qu’il se défend de toute mythologie. C’est le mythe de
Jessé, qui se caractérise par:

a) une fermeture sur l’unidimensionalité de l’histoire et le credo d’un sens
unique de celle-ci,
b) la fatalité fermée et mensongère d’un progrès rationalisé,
C) l’alignement des valeurs sur un modèle fermé, soit la démythologisation
féroce au nom de l’objectivité absolue et enfermante de l’Histoire48.
Georges Gurvitch49 n’hésitait pas à parler de l’ambiguïté du temps
historique, de sa multiplicité et de son unification intensifiée. Le recours au
mythe, comme typologie compréhensive, se positionne donc, en tant
44
Dieguez (de) Manuel, Jésus, Paris, Fayard, 1974.
45
Jung C.G. Métamorphoses de l’âme est de ses symboles, Genève, Georg et Cie, 1983,
p.511.
46
Durand Gilbert, Beaux Arts et Archètypes, Paris, PUF, 1989, p.11-12.
47
Durand G. La Foi du Cordonnier, Denoël, 1984, p.37.
48
Durand G. Beaux-Arts…op.cit.
49
Gurvitch Georges, Dialectique et Sociologie, Flammarion, 1962, p.228.

15
qu’ambiguïté dialectique, dans cette perspective d’une exploration de la
multiplicité des temps sociaux.
Jetant les bases d’une anthropologie scientifique, Bronislas Malinowski
(1884-1942) ouvrait, dès 1942, de nouvelles voies en regrettant que sous
prétexte d’asseoir leur édifice sur la méthode scientifique, de nombreux
chercheurs en Sciences Humaines utilisant comparaisons organiques et
métaphores mécaniques, puissent croire que la numération et la mesure
« suffisent à départager la science et le laïus, ces ficelles, estimait-il, tout
comme l’emprunt et la référence aux autres disciplines ayant fait plus de
tort que de bien à la sociologie »50. Et d’affirmer avec force : « la science ne
commence qu’à l’instant où les principes généraux doivent affronter
l’épreuve des faits ». Une société doit être étudiée comme une totalité, telle
qu’elle fonctionne au moment même où on l’observe.
C’est sur la question de cette confrontation aux faits, dans une perspective
transculturelle et transsociétale, que de nouvelles recherches viennent élargir
les études comparatives classiques en les faisant porter sur plusieurs cultures,
sociétés, nations. Là, la recherche, en son objet, est moins ordonnée à la
production d’explication basée sur des enchaînements de causes à effet qu’à
la nécessité de comprendre des corrélations ; elle débouche sur des
comparaisons, se réfère à la complexité des phénomènes étudiés, révise le
statut du sociologue qui « abandonne le point de vue divin »51.
La multiréférentialité est ainsi la reconnaissance de la nécessité de prendre
en compte l’infinie richesse de toute réalité, sa polysémie, sa
multidimensionnalité car, dans le champ de la sociologie des imaginaires, il
n’y a pas de référence théorique unique, pas plus qu’il n’y a de clef
universelle d’interprétation, d’où la nécessité de recourir à la polyphonie des
discours théoriques lorsqu’il s’agit notamment du mythe, lui-même carrefour
sémantique et culturel.
L’évolution de la recherche a donné lieu à l’émergence d’une autre
attitude : la clinique qui postule un autre statut de cohérence et de validité de
la recherche, elle revendique des modèles plus biologiques,
anthropologiques, réhabilite le libidinal, l’imaginaire, l’hypercomplexité des
phénomènes et sujets étudiés.
Ceci oblige les chercheurs à penser les phénomène en termes de
complémentarité via les conditions du couplage sujet-objet et tel que Niels
Bohr au 20ème siècle montrait la nécessité de pense les modèles physique à la
fois comme onde et comme corpuscules, comme champ et comme
substance, soit dans une logique contradictoire puisque normalement ces 2
images, continues et discontinues, s'excluent l'une l'autre.
Pour Bohr, la clarté ne vient pas de la simplification, de la réduction à un
modèle unique, mais de la prise en compte de description antagonistes, par
couples de contradictoires.
Cette position conserve ouvert comme heuristique l’abîme de la
contradiction, de la réfutation, de la liberté de penser, récupère le tiers exclu
et ses capacités de liaison dynamique, retrouve un modèle logique
triadique52. « Ce qui fait que l’homme est l’homme, nous rappelle Cornélius

50
Malinowski Bronislaw, Une théorie scientifique de la Culture, Paris, Points Seuil,
1970, p.17sq.
51
Morin Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990.
52
Ardoino Jacques, Propos Actuels sur l'Education, Paris, Gauthier-Villars, 1971, 5ème
éd..p.84,

16
Castoriadis, n’est pas qu’il est raisonnable ou rationnel car il n’y a pas
d’être plus fou que l’homme »53.
De même que le physicien Gérard Holton, (théorie des thémata) pose le
principe de la complémentarité comme la manifestation d'un thème
appartenant au répertoire des themata sur lesquels joue l'imagination, pour
tous les domaines de l'activité humaine et nous invite à rechercher dans
chaque énoncé particulier l'aspect d'une vérité générale qui ne fait que
s'actualiser sous une forme spécifique, cette conception ouvre la voie à une
nouveau langage ou métalangage: herméneutique, réintégrant les dimensions
spirituelles, métaphysiques, théologiques, elle produit des symboles et des
mythes en définissant une nouvelle logique, antagoniste..
Certes, les deux postures, celle de la recherche et celle du mythe tendent à
rationaliser le réel, à le relire dans une perpective ordonnée, mais la pensée
mythique a ceci de particulier qu’elle s’inscrit dans une autre perspective,
celle d’un trajet, d’une dynamique formée par les positions antagonistes et
complémentaires de la nature et de la culture, de ce que Nietzsche appelait
les forces apolliniennes et les forces dionysiaques. Il est méta histoire, méta
langage, récit non démonstratif, carrefour où convergent toutes les
intimations historiques, sociales, philosophiques, psychologiques.
L'univers est pensable par niveaux de réalité différents et complémentaires
et le tiers assure le passage d'un niveau à l'autre car Nature et Forme sont
tenus ensemble par des masses-énergies ou figures champs clos où des
formes contradictoires se combattent:

- les probabilités: formes discontinues modifiables,


POSSIBLE>>TEMPS>>DUREE. (sens rationnel)
- les mythes, structures de la durée et du temps.
AVENIR>>TEMPS >> PASSE. (sens réel)/

Le mythe, parce qu’il porte en tant que formation symbolique la vérité


subjective d’une culture, d’un groupe social, d’un pays et de ses habitants
agit comme révélateur, l'expérience des peuples, est saisi comme prise de
conscience plus que comme objet, il favorise l’intelligence active. Il est une
catégorie du symbolisme car il porte à la fois ce qui a toujours été caché aux
sociétés et que pourtant elles ont toujours su et ce qui les a toujours amenés à
négocier dans leur rapport au réel. Il est présent dans l’imaginaire de tous
les peuples, et c’est si vrai que sans cesse les peuples, ne cessent de le
réinventer ; il constitue le miroir dans lequel ils ne cessent de se regarder.
Le mythe, « objet irréel pourtant constitutif d’un désir fait de deux
mystères »(Cassirer), relève du pensé et du vécu, mieux, il interroge
profondément les catégories de la Modernité. Antinomique du réel dans le
langage courant, il se donne à voir comme réel. On peut cependant se
demander si sa réalité ne s’impose pas à la recherche. Ainsi pourrait-on
soutenir le paradoxe qui établirait le fait que toute pensée scientifique est
d’abord une pensée mythique, que la catégorie du mythique interroge nos
certitudes les mieux établies comme toute recherche en Sciences anthropo-
sociales.

Castoriadis Cornélius, La montée de l'insignifiance, les carrefours du labyrinthe IV,


53

Paris, le Seuil, 1996, p. 111.

17
Pour Claude Levi-Strauss, l’opposition entre l’ordre du sensible et celui de
l’intelligible est de plus en plus dépassée, la science s’appliquant à réintégrer
le domaine du sensible en retrouvant ce qui se trouve à l’origine des
croyances et rites populaires54.
Loin d’un rationalisme nous imposant le morcellement des phénomènes
sociaux et culturels alors que tous les domaines qui les concernent sont liés,
chaque expérience de la vie collective peut, dés lors, être lue comme ce que
Marcel Mauss appelait « un fait social total ».
N’est-ce pas justement l’atout majeur de la pensée symbolique-mythique
que de pouvoir, dans l’ordre du spéculatif, combiner les éléments qu’elle
accumule en leur donnant une suite significative ? « Croire aux Images est
le secret du dynamisme psychologique » écrivait Gaston Bachelard55.
En effet, comme ce qui importe dans le mythe c’est la forme et non le
contenu, sa capacité de s’appliquer à n’importe quel objet56, il apparaît bien
comme un fait transversal en nous parlant simultanément à plusieurs
niveaux:
• il est quête de l’immortalité, nous enseigne l’origine des choses, il
réincarne l’Ame au centre d’un Monde où il se reconnaît alors que
l’épistèmé moderne est régie par la séparation du sujet et de l’objet, l’homme
n’étant plus qu’un point quelconque de l’univers.
• il est vécu dans un calendrier précis, profondément inscrit dans une
temporalité matérialisée par la fête dont Jacques Ardoino nous rappelle
qu’en hébreu elle est assimilée au temps,
• il est éminemment social, instituant l’individu comme membre du groupe
et le groupe dans les traditions qui sont communes à ses membres, il
s’oppose en cela à l’individualisme.
Et pourtant, nous prévient Georges Balandier, l’accès aux territoires les
plus anciens de l’Imaginaire tend à s’obscurcir, l’avancée initiatique dans les
arcanes étant de plus en plus concurrencée par les exploits fantastiques de la
technostructure.
De nos jours, c’est dans l’immédiatement disponible que l’image est
sollicitée, se disperse, est exploitée, au détriment d’une anthropologie
mystique affirmant l’existence d’un monde imaginal où images et archétypes
se situent comme phénomènes originaires.
Jean Borela57 insiste pour sa part sur le fait que le signifiant symbolique (ex
le Mythe) se constitue d’un matériau emprunté à diverses modalités du réel
dont l’homme a conscience et que la nature des symboles varie en fonction
de la nature de ce matériau, selon nos modalités de prise de conscience du
réel:
• le réel perçu avec nos sens et qui est inséparable de cette perception,
• le réel conçu en pensée , avec notre esprit,
• le réel senti et vécu avec notre sensibilité extérieure et intérieure
(subjectif).
Il se manifeste à nous comme être en substance et comme relation
(interactivité). Et Morin nous prévient58 : nous vivons une ère de mythologie
du réel, lequel hypostasie une notion qu'il convient de relativiser. Expulsant
ibidem, p.155.
54

55
Bachelard Gaston, L'Air et les Songes, Paris, José Corti, 1990, p.291.
56

57
Borela Jean le mystère du signe, Paris, Maisonneuve et Larose, 1989, p.255.
58
Morin E. Le vif du…op.cit..p.342.

18
du réel ce qu'il croit être irréel, (l'imaginaire) il expulse un principe
constitutif du réel ce qui rend indispensable la connexion entre réel et
imaginaire.
Or, l’esprit « ne peut penser sans le concours des images qu’il réunit et
qu’il élabore ». L’image est donc la matière indispensable des mythes, elle
opère une circulation entre les niveaux du réel. C’est cette activité (ce jeu)
d’imagination (de mythologisation dans le cas qui nous préoccupe) qui
« permet d’aboutir à une certaine harmonie entre l’imaginé et le représenté
et en recueille le plaisir dans les ensembles harmonieux que l’esprit forme
avec les impressions de la nature dont il recueille en les élaborant la divine
et immortelle beauté59 ».
L’expérience du mythe et du symbole se distingue en cela de la pure
production d’images. Elle révèle à la fois une logique générale qui dépasse
les ethnocentrismes et que l’homme est un cosmos vivant relié à tous les
autres cosmos vivants qui l’entourent. Ils lui révèlent sa propre existence et
son propre destin.
Un autre problème surgit souligné par René Alleau60 qui est de considérer si
les mythes appartiennent au logos socioculturel, c’est à dire sont des
documents littéraires et artistiques exprimant l’état de la société à un
moment donné. Dans ce cas leur signification ne requerrait pas d’arsenal
différent des autres signes du langage (codes, linguistique) ou si les mythes
doivent être distingués des autres signes profanes puisqu’ils constituent, par
excellence, une langue sacrée, reconnue comme la langue des dieux. Ils ne
pourraient donc être interprétés qu’à partir des expériences religieuses et
initiatiques ainsi que des traditions qui leur sont liées. Nous approfondirons
donc cette question en observant les tendances actuelles de la recherche dans
le domaine qui nous préoccupe.

59
Joly Henry, L’Imagination, Paris, Hachette, 1885, p.9.
60
Alleau René, La science des symboles, Paris, Payot, 1982, p.46.

19
4) Forme et histoire, une dialectique pour penser la complexité: conflit
sociétal et cultures.
Cette mise en perspective vise à la fois des ensembles ou totalités (les
mythes) et leurs éléments constitutifs ou parties engendrées, idéologies,
formes symboliques ans leurs réceptions locales), soit le mouvement des uns
vers les autres et réciproquement, « la voie prise par les totalités pour se
faire et se défaire dans l’engendrement de leurs parties 61».
Entreprise toujours marquée au coin de la négation, cette tentative qui
consiste à établir des antinomies, parce qu’elle nie les lois de la logique
formelle, soit une méthode, une manière de saisir de comprendre, de
connaître le mouvement des totalisations humaines, nous est révélée par les
modèles culturels que nous étudions lesquels sont le plus souvent en conflit,
comme les sociétés elles-mêmes qui les font surgir.
Observant une tripartition culturelle entre les peuples d’avant l’histoire, les
peuples de l’histoire et les peuples du renversement des alliances, Gérard
Mendel 62s’est proposé de décrire ce conflit entre :
a) les peuples d’avant l’histoire ancrés sur l’Imago maternelle, il s’agit de
peuples vivant leur rapport au Monde sur un mode archaïque (la Terre-Mère-
Nature) L’homme ne s’en distingue pas et la Nature y est vécue comme une
mère universelle, toute puissante, à la fois nourricière et frustrante,
caractérisée par son immuabilité et la dépendance imposée. Ce sont des
sociétés à orientation magique et mystique.
b) les peuples de l’histoire ancrés sur l’Imago paternelle, peuples néos-
formés par la modification de l’ordre des choses et l’utilisation de la force
pour alléger efficacement, scientifiquement la part de l’environnement. Ces
peuples sont ceux de la rationalité en actes qui peut culminer dans des
versions extraordinairement perverses (bureaucratie), ils sont liés à la
Temporalité et à l’Innovation, leur culture se caractérise par la réflexion, le
langage, la rationalité technicienne.
c) l’équilibre entre les deux s’est rompu lorsque, de leur mouvement de
conquête de la nature, les hommes ont vécu la transformation et
l’exploitation de la Nature comme des agressions sadiques contre la Mère.
Ils sont aussi inconsciemment coupables contre le père dont ils ont
recherché le meurtre et recourent désormais à des images paternelles
externes pour s’en justifier (le Pouvoir social, Dieu, Le Technicien...) et ce
d’autant que le refoulé maternel agressif fait retour et s’exprime
collectivement.
Dans une troisième phase, on observe, pour Mendel, un essai de
recouvrement par l’individu d’une partie du pouvoir autrefois délégué aux
pères religieux ou politiques par la culpabilité.
D’où l’angoisse, le désarroi collectif qui déterminent le renversement des
alliances.
Contre la rationalité scientifique, on assiste de ce fait à de nouvelles formes
mystiques, irrationnelles, néo-magiques tandis que les individus prennent
conscience des motivations de leurs peurs irrationnelles, que se lèvent les
mécanismes de défense et que l’individu récupère les pouvoirs délégués aux
institutions.

61
Gurvitch Georges.op.cit., p.24.
62
Mendel Gérard, La révolte contre le père, Payot, p. 169.

20
L’école de l’anthropologie symbolique aboutit, par des voies différentes à
de semblables constats, ainsi, Gilbert Durand63 oppose les sociétés fondées
sur le mythe du progrès linéaire de l’histoire et celles qui s’organisent sur la
base du mythe de la Renaissance et des libres recommencements. Les
premières fonctionnent dans un discours unidimensionnel, clos, fermé, voire
mystificateur, elles adhérent à une vision messianique ou utopiste de
l’histoire, à un credo de l’unique sens de l’histoire. Leur mode de
fonctionnement collectif est celui du verrouillage et de l’alignement
structurel de toutes les valeurs -épistémologique, épiques, philosophiques,
politiques, religieuses - sur un modèle fermé.
L’individualisme forcené en est le mode d’existence qui « accompagne en
contrepoint la pléthore technocratique qui transforme la société en société
anonyme de production ou de profit au détriment de fraternelles
communautés d’hommes »
« Et, de cette crise, où crie l’angoisse de l’individu à la fois abandonné et
réprimé, sans intervalle, l’émergence opportune de la psychanalyse ne peut
que constater ces morcellements et quelquefois les aggrave en amplifiant le
barricadement et l’enflure du moi »64.
Pour lui, nous sommes concitoyens d’un désastre où nous ne pouvons plus
faire jouer l’intervalle entre signe, symbolisant et symbolisé et perdons tout
contact avec l’altérité, l’autre , au nom d’une démythologisation
objectivante.
Les secondes sont les sociétés prenant en compte « l’éternel
recommencement d’une ouverture du temps et du destin. »
Elles reconnaissent la dissimultanéité des retours possibles de l’histoire
comme moyens même de libération de l’homme et de ré-génération de la
culture et de la société. C’est l’ordre de l’archétype, ouvert aux puissances
irréductiblement plurielles des mythes, qui renouvelle, régénère la culture et
la société en l’ouvrant à d’autres cultures;
Le lien social s’y redécouvre dans une dimension fraternelle et
communautaire que l’auteur oppose aux bureaucraties de sécurité sociale.
Ces sociétés sont celles d’une soif désespérée de relation cultuelle, de
rétablissement du lien qui relie dans et par l’oeuvre artistique car « il n’est
pas d’art sans oeuvre et pas d’oeuvre sans l’autre, son public., pas d’oeuvre
et de public sans une communauté singulière , une société humaine ».
Car, pour Gilbert Durand, "tout geste créateur se range, se discipline, se
manifeste dans et par le truchement d’une altérité sociale, d’une tradition
du regarder et du faire. Car le regard et la main ne sont pas culturellement
anonymes. "
Précisant cette interrogation, Michel Maffesoli65 a élaboré la distinction
d’Emile Durkheim entre sociétés à solidarité mécanique, soit des individus
rationnels entre eux et de leurs ensembles à l’Etat, et les sociétés claniques
ou tribales à solidarités organiques et développé l’opposition entre sociétés
de la Modernité et sociétés de la Post-Modernité.
Les sociétés de la Modernité sont celles dont les perspectives sont fondées
sur l’individualisme, et sont régies par le modèle économiste dominant. Elles
s’appuient sur la solidarité mécanique, le général y étant « ce à quoi tous
63
Beaux-Arts et Archétypes, PUF, 1989, p. 17sq.
64
ibidem
65
Maffesoli M. le Temps des tribus, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988, p. 130sq.

21
sont partie prenante plutôt que ce qui est commun à tous ». L’objectif de ces
sociétés rationalistes occidentales est ainsi le rêve de l’unité que tentent de
réaliser, au niveau du pouvoir (y compris culturel) les processus de
centralisation et d’unification fondés sur la clôture et l’homogénéisation des
pratiques.
Pour Michel Maffesoli, un tel positionnement social ne peut que s’épuiser,
il a même besoin de dysfonctionnements qui viennent le redynamiser. A ces
sociétés, l’auteur oppose celles de la Post-Modernité, sociétés claniques ou
néo-tribales de l’engagement organique des uns envers les autres., sociétés
où ce qui compte, c’est moins l’individu que la personne, laquelle « doit
jouer son rôle sur une scène globale et ce en fonction de règles très
précises. »
Il ne s’agit pas là de régression, « sauf à considérer l’autonomie
individuelle comme étant l’horizon indépassable de toute vie en société66 » et
de nous montrer que les pays qui n’ont pas fait de l’individualisme le
fondement de leur développement (Japon, Brésil), connaissent une vitalité
indéniable.
Il oppose ainsi au principe d’autonomie, un principe « d’allonomie » qui
repose sur l’ajustement, l’accommodation, l’articulation organique à
l’altérité sociale et naturelle ».
Ces sociétés sont animées par la passion sociale de ce qui est commun à
tous, solidaires, elles ont substitué au rêve d’unité qui marquait les sociétés
modernes un rêve d’unicité, soit celui de « l’ajustement d’éléments divers »,
une organisation sociale en termes d’organicité des contraires, nouvelle
figure de la fameuse coïncidentia oppositorum des alchimistes médiévaux ou
des taoïstes orientaux, laquelle souligne-t-il, a fécondé maintes organisations
et maintes représentations sociales.
Pour ces sociétés, c’est la multiplicité qui est le principe vital dans la
mesure où « toute entité unifiée est provisoire ». C’est le paradigme qui fait
ici surface de la complexité, avec ses applications culturelles qui obligent à
considérer la diversité, la réintégration du pluriel, du vivant dans l’analyse
comme dans les pratiques.
Guy Saez, de la même façon, analysant l’historicité des modes d’action
culturelles67, les résume ainsi:
• phase d’éthique: aller au peuple,
• phase d’esthétique : affirmer une essence culturelle universelle,
• phase d’universalité nouvelle: ne rejeter aucun des particularismes de la
vie quotidienne et des cultures populaires.

La socialité qui découle de cette réflexion culturelle intègre nécessairement


« une bonne part de communication , de jouissance au présent et
d’incohérences passionnelles », toutes choses précise Maffesoli68, qui
naturellement induisent à la fois la rencontre et le rejet.
D’où l’intérêt que le sociologue praticien chercheur doit accorder aux pays
frontaliers, aux brassages, aux déséquilibres et aux inquiétudes liées aux
mouvements de population (nomadisme), aux mouvements de masse, aux

66
ibidem p. 43-4
67
Saez G. l'Action culturelle en crise, in Les Cultures populaires, Privat cit.
68
op.cit; p. 133

22
effervescences populaires, car « chaque fois qu’un pays s’épiphanise, c’est à
partir d’une puissance populaire que cela peut se faire ».
Et de souligner l’importance culturelle de « l’étrangeté fondatrice », soit la
propension de ces sociétés à accueillir l’étranger « tout en restant soi-
même »; cette forme de polythéisme des valeurs étant pour l’auteur le plus
sûr indice de non racisme populaire.
Ainsi, l’extase comme la fusion des fêtes votives permettent d’exprimer à
la fois l’identique et le différent. Ce mode d’être culturel est également
développé par Michel Maffesoli dans l’Ombre de Dionysos69, mythe dans
lequel il voit une figure de la socialité contemporaine, celle de l’orgiasme
qui s’enracine pour lui dans une autre conception du temps, celle du
populaire marqué par les figures du corps amoureux, de l’érotisme, de la
poésie, ordonnées au temps rythmique, à l’agencement aléatoire des
situations de tous les jours qu’il nomme encore ludisme.
On retrouve ici une conception cyclique du temps où l’orgiasme permet
l’initiation et fortifie la socialité de base « le rythme du temps préside à
l’état de congrégation qui apporte à la société le sentiment qu’elle a d’elle-
même » (Durkheim).
Prenant l’exemple de la danse collective, dans ses figures de la possession
ou dans le simple défoulement, il montre qu’elle reste toujours une danse
nuptiale qui, dans le rythme du temps, répond comme en écho à de
profondes pulsations cosmiques en même temps qu’elle conditionne la
structuration sociale.
De ce point de vue, les bals populaires, avec leur violence intrinsèque,
(bruit, vertige) ou extrinsèque (bagarres, rixes, compétition) , et leur cruauté
plus ou moins affirmée , sont de « véritables lieux de possession initiatique
qui s’opère là où l’éros naturel et l’éros en voie d’être socialisé se partagent
le terrain ».70
Ces manifestations collectives (bals, fêtes, banquets, carnavals...) sont des
lieux d’initiation. Ils mettent en oeuvre des rituels par lesquels la société
maîtrise le temps qui passe et l’angoisse qu’il suscite.
L’expression du collectif, dans la fête effervescente, conduit à une
épiphanie, une exaltation qui servira de référence dans la grisaille des jours.
Elle conforte la résistance à l’imposition sociale.
Le temps linéaire et progressiste , explique-t-il, a cru trop vite avoir écarté
le rite en désenchantant le monde. certes, le rite n’est plus ce qu’il était, mais
il perdure sous d’autres formes.
Loin de la perspective moralisante qui vise à condamner l’apparence, le
spectacle, Michel Maffesoli nous conduit ainsi à revenir sur ce qui est à voir
dans le social par la mise en oeuvre d’une « phénoménologie
compréhensive. »
C’est à ce prix, en redonnant de l’importance à l’apparence des choses que
le sociologue peut redécouvrir l’importance du quotidien, le savoir
domestique.
Cela le conduit à préciser une notion épistémologique importante, la forme
qu’il définit comme une « matrice qui préside à la naissance, au

Méridiens, 1985 p. 32.


69

Maffesoli M. in Images, violence et corps social, Anthropologie du sport,


70

Matrice/Andsha, 1991, p.57sq.

23
développement et à la mort des divers éléments qui caractérisent une
société ».
Le FORMISME va ainsi postuler que la forme est formante, qu’il existe
une connexion entre contenu et contenant, entre forme intérieure et forme
extérieure et que le donné mondain manifeste une constante interrelation,
une interdépendance entre le jeu de l’apparence et les moyens de
comprendre le donné social.
Cette catégorie de la connaissance rend compte de la structure organique
des cultures naissantes et permet d’appréhender l’extérieur, l’aléatoire, la
cohérence profonde de l’existence sociale.
Par exemple, le corps social brille, scintille, s’exalte est fini, se déchire, en
feux d’artifices, en comique. L’esthétique ressource la vie des sociétés et
l’image établit des correspondances sociales et culturelles, favorise les
interactions, sert de pôle d’agrégation. Elle est écologique, s’inscrit dans un
contexte, rend compte d’une véritable mystique de la socialité.
On voit poindre, à la lumière de cette notion, dont on reconnaît les liens
avec la quintessence des alchimistes, de nouvelles perspectives pour la
recherche-action:
• a) on examinera, dans les cultures populaires, tout ce qui relève de
l’étrangeté, tout ce qui postule une différence de nature en étant proche des
cultures non médiatisées, les cultures orales, vivantes, conservées dans les
mémoires individuelles, le maintien des anciens modes d’expression et
encore la création de formes nouvelles ou re-naissantes, celles qui permettent
l’expression des particularités et fournissent des réponses aux agressions
économiques et techniques.
b) on tendra à mettre en oeuvre des projets d’accompagnement qui
participeront de l’effort collectif à pallier aux inégalités sociales devant la
culture cultivée afin d’apprendre aux communautés les pratiques nécessaires
à l’exercice de la culture, à l’entrée en relations, à la maîtrise des codes et
langages, à la reconnaissance des manifestations culturelles propres à ces
milieux.
Ainsi la fête populaire, le carnaval, les banquets de classes d’âge, les
festivals populaires sont des moments de cristallisation de la puissance
sociétale et tendent à renouveler la politique lorsque nonobstant les ruses du
pouvoir qui tendent à la récupérer, ces manifestations rappellent la nécessité
de l’ordre en rejouant périodiquement le désordre. De fait, « ce que l’on ne
sait pas ritualiser, gérer, finit toujours par resurgir d’autant plus violent
qu’il a été plus durement et plus longtemps dénié71 » et les processus de
démythologisation privent le corps social de ses défenses naturelles.
De nos jours, dans notre société hyper matérialiste et rationalisée, nous
n’avons plus de sabbats ni d’exécutions publiques, les fêtes industrialisées et
la mécanisation des danses ont succédé à ces lieux d’expression de la liesse
populaire qu’étaient les bals villageois mais, pour les avoir oubliés, notre
temps connaît parfois d’autres événements d’autant plus douloureux qu’ils
viennent frapper indifféremment des partenaires d’autant plus surpris qu’ils
étaient imprévisibles (violences dans les stades, petits bals du samedi soir
qui se terminent dans le sang, etc...) C’est la fête qui tourne mal, thème sans
cesse résurgent dans la littérature contemporaine et sur nos écrans de
télévision. Les artistes, plus sensibles à la tragédie humaine, présentent bien

71
Maffesoli Michel, L'ombre de Dionysos, op.cit. p. 112.

24
celle qui se dissimule derrière l’insipidité de la fête transformée en vacances
à perpétuité.
« La fête a perdu tous ses caractères rituels et elle tourne mal en ce sens
qu’elle retourne à ses origines violentes, au lieu de tenir la violence en
échec, elle amorce un nouveau cycle de la vengeance72 ».
Ayant analysé ailleurs les origines, l’utilité sociale et humaine, les
conditions de développement du sabbat, nous avons mis en évidence que
toute approche de ces problèmes ne peut faire l’économie de la question du
plaisir non plus que de la relation de l’individu au groupe-faisant-la-fête.
Modèle de l’anti-fête, le sabbats des sorciers a ainsi persisté pendant
plusieurs siècles, étant comme la conscience institutionnelle de
l’affaiblissement énergétique qu’a connu la fête locale73.
Le changement de plan que les danses sabbatiques opéraient était bien de
nature subversive puisque minant, à leur racine même, les fondements d’une
société théocratique tout en tendant à lui substituer, au fond, son image
inversée non moins référée au transcendant.
Les sabbats parce qu’ils se servaient des tendances contradictoires
présentes au coeur de toute société, en les conjuguant, en les transmuant en
forces régénératrices, nous semblent avoir joué pleinement leur rôle au sein
des systèmes culturels qui leur étaient contemporains et participaient de ce
fait à l’auto-organisation permanente des sociétés, à leur « institution
imaginaire 74».. Pour y parvenir, ils devaient assumer le double héritage,
présent en doses jamais quantifiables, des composantes de l’Imaginaire
individuel et social et du projet politique qui pesait sur elles.
A l’inverse, dans nos formes modernes de cérémonies, processions
religieuses, cérémonies civiles, défilés du 14 Juillet, il apparaît évident, pour
reprendre une distinction de Sinding Larsen75, que nous avons affaire à ce
que l’on pourrait qualifier d’archétype des cérémonies hyper-ritualisées dans
la mesure où tout y est soigneusement normé, organisé, prévu, codifié et ne
fait en aucun cas, appel à l’excès, aux ressources du jeu, à la consommation
ostentatoire, à l’inversion des valeurs, à la tolérance. Çà n’est d’ailleurs pas
le propos des organisateurs des fêtes religieuses ou républicaines aux
époques que secouent les effets des Révolutions Industrielles qui voient les
cadres de pensée traditionnelle éclater, des mouvements sociaux et culturels
à tendance libérale se manifester à l’intérieur de l’Eglise elle-même.
Le sabbat est pour la période moderne un des lieux où se cristallise les
figures de l’interdit, il le doit à son caractère sacré, à la violence
institutionnelle qui préside alors à la mise en forme des rapports sociaux, il
nous donne aussi, par les capacité s de protestation qu’il révèle, une image
finalement toujours exaltante de la capacité des sociétés à résister.
« L’interdit écrivait Georges Bataille, dans le monde chrétien fut absolu.
La transgression aurait révélé ce que le christianisme voila: que le sacré et

72
Girard R. op cit p 188
73
Bertin G. "Du sabbat des sorciers aux danses populaires, contexte et figures de la
répression". Colloque "Les itinéraires de l'interdit dans les danses". Université Paris V.
le 3 Avril 1997.
74
Castoriadis Cornélius, L’Institution Imaginaire de la société, Paris, le Seuil, 1975.
75
Sinding Larsen, Le rite et le jeu, deux modes d’expérience dans la fête,in le Carnaval
op. cit p.143-147..

25
l’interdit se confondent, que l’accès au sacré est donné dans la violence
d’une infraction 76 ».
Sur un plan général, de nombreux auteurs s’accordent pour décrire
« l’ambiance de mort » qui régit nos sociétés post-modernes déliées de
l’intérieur, en voie d’implosion; » elle serait fondée sur l’idée d’un univers
privé de perspective, et reproduirait en grandeur sociale le conflit jamais
achevé entre « l’Idéal du Moi et le Moi livré à lui-même dans
l’autosuffisance d’un sentiment de toute puissance »77.
En découle, pour Tony Anatrella, l’incapacité d’accéder à un humanisme
commun, la société « commettant l’erreur de refouler dans la sphère du
privé la religion et la morale au bénéfice du politique et du culturel » eux-
mêmes n’étant pourtant en principe que les conséquences et non le
fondement d’un idéal social.
Partant de nos observations, nous pouvons dégager trois éléments qui nous
semblent inscrits au coeur du débat et analysent les conflits posés ci-dessus
entre les modèles mis en oeuvre.
Il s’agit des notions de don, de communauté et de sacré qui constituent les
« patterns » (patrons-modéles) du rapport des pratiques culturelles à la
question de la participation sociale.
- le don: Marcel Mauss, étudiant les systèmes religieux les plus divers
émettait l’idée que la réciprocité était au coeur de la vie sociale, l’échange
entre collectivités étant marqué par des rituels ordonnés et sanctionnés par la
croyance. Les faits sociaux se font et se refont dans des pratiques et des
échanges. Camille Tarot y voit la découverte sociologique capitale de Marcel
Mauss, véritable paradigme des sciences du symbolique78.
Et Mauss de décrire deux formes évoluées de l’échange(79):
• le potlatch, « système de prestations totales de type agonistique » faisant
obligation aux uns et aux autres d’accepter et de donner, de dépenser sans
bornes et de détruire des richesses. Les usages et coutumes de politesses, les
festins, les rites qui les organisent en constituent les marques extérieures, la
codification sociale.
,
• le mana qui garantit le pouvoir spirituel des choses données, soit une
vertu qui force les dons à circuler, à être donnés, à être rendus, le droit
confirmant l’histoire des obligations mises en oeuvre.

« Ce n’est pas seulement une force, un être, c’est encore une action, une
qualité, un état... L’idée de mana s’étend à l’ensemble des rites magiques et
religieux, à la totalité des personnes et des choses intervenant dans la
totalité des rites. le mana est proprement ce qui fait la valeur des choses et
des gens... »(80).
Mauss attirait à ce sujet notre attention sur le fait « qu’une grande partie de
notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même
atmosphère du don, de l’obligation et de la liberté mêlés. Il y a toujours
76
Bataille G. L'érotisme, Paris, N.R.F., 1938, p.139-140.
77
Anatrella Tony, Non à la société dépressive, Paris, Flammarion, 1993, p.12.
78
Tarot Camille, Du fait social de Durkheim au fait social total de Marcel Mauss, in
L’obligation de donner, Paris, La Découverte, MAUSS, N°8, 1996, p.84-5.
79
Mauss Marcel, Essai sur le don in Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF Quadrige,
1985, p.145 sq.
80
ibidem p. 102.

26
dépense pure et irrationnelle ». Il observait d’ailleurs deux systèmes de
relations à l’oeuvre dans cette problématique de l’échange, celui des homme
entre eux et celui des hommes avec les dieux, n’hésitant pas à tirer des
leçons de cette découverte en les étendant à nos propres sociétés :
• réinventons des moeurs de dépense sociale,
- retrouvons la joie à donner en public, le plaisir de la dépense artistique et
généreuse, celui de l’hospitalité et de la fête privée et publique(81).
Façon, pour lui, de renvoyer dos à dos l’égoïsme de nos contemporains,
l’individualisme de nos lois, pour fonder une nouvelle morale sur le respect
mutuel et la générosité réciproque. Désintéressement, solidarité sont
fondateurs de communauté et c’est ce que semblent méconnaître nos
censeurs qui tendent à ne considérer le rapport au culturel qu’en terme
d’acquisitions individuelles, cognitives, oubliant que la pratique culturelle ou
éducative est aussi ordonnée à des fins substantielles et expressives.
Camille Tarot commente ainsi82 cette découverte : « Si la pensée humaine,
parce qu’elle est circulation, échange est bien un phénomène collectif, donc
social, et si le social n’existe que dans des pratiques, des actions collectives,
et même la science en est une, alors, la raison m^me scuientifique ne naît
pas que du logos, mais des confrontations du logos et du sensible et de
l’interaction des groupes ».
Les faits sociaux sont ainsi porteurs de signes, ils participent eux-mêmes de
la nature des signes, de la place de la Culture dans les sociétés., à la
conjonction des oppositions entre les paradigmes de la nature et de la
culture, ils assurent une circulation de l’information entre des niveaux de
sens qui ne sont pas sans correspondances au sens baudelairien du terme.

Culture, Histoire et démocratie.

S’interroger sur la place de la Culture dans les sociétés, c’est encore poser,
avec Cornélius Castoriadis83, la question de savoir si la Culture aujourd’hui
est pour tous, à la disposition de tous, juridiquement et sociologiquement ou
si c’est un produit des classes dominantes et/ou privilégiées, des conduites
populaires ou de l’intelligentsia dans sa prétention de maîtrise de la nature.
On peut, sur ce point, se demander ce qui valide une oeuvre: les conditions
spécifiques de sa diffusion? sa position prophétique par rapport à une
politique? ou encore la fait qu’elle nous fasse trembler?
Ceci nous amène avec cet auteur à nous demander ce qu’est la Culture.
Castoriadis répondait à cette question et écrivait: « ce qui, dans le
domaine public d’une société va au delà du simplement fonctionnel ou
instrumental et présente une dimension invisible ou mieux impercevable
positivement investie par les individus de cette société. Autrement dit, ce qui,
dans cette société a trait à l’imaginaire stricto sensu, à l’imaginaire
poétique, tel que celui-ci s’incarne dans des oeuvres et des conduites
dépassant le fonctionnel. »
Position également défendue par René Barbier invitant le chercheur-
praticien à « ouvrir l’institution, soit « à repérer, décoder, ce qui est de
81
ibidem p.263.
82
Tarot C.op.cit.p.93.
83
Castoriadis Cornélius, la montée de l'insignifiance, in Les carrefours du labyrinthe IV,
Le Seuil, 1986, p. 194.

27
l’ordre de l’ancien, de la reproduction du même (l’institué) et ce qui est de
l’ordre du nouveau, du radicalement neuf (l’instituant)84 ».
Quant à la démocratie, Castoriadis la définissait comme le κ ρ α τ ο ς ,
du δ ε µ ο ς , soit le pouvoir du peuple, le peuple est souverain, il fait ses
lois, la société fait ses institutions, et son institution, elle est autonome, elle
s’auto-institue.

Démocratie et Culture.

Cette autonomie présuppose la liberté des individus, on voit bien les liens
qui peuvent dés lors s’organiser entre démocratie et culture.
Dans des sociétés hétéronomes ou traditionnelles, la question de la
signification est fermée d’avance puisque la source de toute norme, loi,
valeur, signification est transcendante dans l’absolu.
« Ce que l’on doit faire est dicté sans appel par la loi et les moeurs
collectives »85,c e qui est vrai pour les oeuvres de la Culture et il ne fait pas
d’ailleurs aucun doute que les sociétés hétéronomes ont créé des oeuvres
immortelles. Toutefois, de son point de vue, ces oeuvres « restent inscrites
dans un contexte et un horizon social-historiquedonné ». Incarnant des
significations imaginaires instituées, elles correspondent au sacré, leur public
y trouvant la confirmation et l’illustration des significations et valeurs
collectives et traditionnelles.
Dans les sociétés démocratiques, la situation est altérée, radicalement car
l’être est chaos mais aussi création, à la fois vis formandi et libido formandi.
« A la puissance de créations caractéristiques de l’être en général, il ajoute
un désir de formation ».
Là, deux positions sont encore possibles:
• lorsqu’il organise rationnellement, il ne fait que reproduire, répéter des
formes existantes (mimesis),
• lorsqu’il organise poiétiquement, il donne forme au chaos et Castoriadis
d’estimer que ce « donner forme au chaos » est la meilleure définition de la
Culture, tant elle est à la fois sens et signification, reliées entre eux
(religere).
La religion, elle garantit et clôture cette possibilité de création par la
référence transcendantale.
Pour Castoriadis, la création démocratique abolit toute source
transcendante de signification, c’est une création illimitée qui rompt la
clôture de la signification et restaure à la société vivante sa vis formandi et sa
libido formandi.
Nous donnons forme au chaos par notre pensée, notre action, nos travaux,
et cette signification n’a aucune garantie extérieure à elle.
Toutefois, Castoriadis tempère cette affirmation en rappelant qu’il y a
toujours un champ social de la signification, que nous sommes des êtres
sociaux et historiques et que la tradition est toujours présente, que la création
et la sanction des significations sont toujours sociales.

84
Barbier René, L’approche transversale, L’écoute sensible en sciences humaines, Paris,
Anthropos, 1997, p. 225
85
Castoriadis ibidem p. 196

28
Ce sentiment de liberté de création remonte à la fin du XVIIIème siècle
occidental période des révolutions où le créateur fut saisi d’un immense
sentiment de liberté, d’ivresse de l’exploration des formes recherchées pour
elles mêmes.
Aujourd’hui au contraire, le pouvoir du peuple est en berne, la démocratie
servant de paravent au pouvoir de l’argent, de la technoscience, de la
bureaucratie des partis et de l’Etat, des médias. Une nouvelle clôture s’établit
sous forme de conformisme généralisé, l’imaginaire dominant étant celui de
la téléconsommation.
Sur le plan artistique, l’abandon de la recherche de la forme va de pair avec
la perte de sens.
Et d’en appeler à un vaste mouvement social-historique qui réactivera la
démocratie et lui donnera à la fois la forme et les contenus que le projet
d’autonomie exige.
Cette analyse converge avec celle de l’anthropologie symbolique sur la
question de la prégnance de la forme, elle nous paraît limitée par l’adhésion
de l’auteur au credo historiciste qui lui masque les formes imaginaires à
l’oeuvre et qui conduisent à la transformation sociale.
La réalité sociale continue à se construire, dans une dialectique continuelle
entre les structures archétypales et les formes formantes qui font irruption.
Ce qui est en train de s’établir, c’est plutôt un certain relativisme entre les
significations imaginaires sociales, dans leur diversité et le noyau dur qui
subsiste dans toute société et résiste à la déculturation86.
La valorisation du présent va ainsi de pair avec celle du mythe, lequel nous
fait sortir du temps linéaire et unidimensionnel de l’histoire.
Le mythe interroge à la fois les couches profondes de la psyché, dans ce
qu’elle a de plus radical comme dans ses formes immuables ordonnées aux
besoins les plus fondamentaux de l’espèce et les formations dues à
l’effervescence poétique, aux capacités instituantes mises en oeuvre par
l’imagination créatrice. Il est à la fois garant de notre relation à ce qu’on a pu
appeler l’arkhé et comme force productrice de sens au coeur du construit
social.

86
Durand G. Champs de l'Imaginaire, Ellug, 1996, p. 114.

29
3) la transversalité comme méthode: penser en images.
« C’est le voyage initiatique qui donne au mythe sa solution ».
Georges Balandier.Le dédale, Fayard, 1996, p. 33.
S’il est exact, comme l’a bien vu Georges Bataille 87, que l’homme n’est
pas seulement un organisme linéaire lié au social et qu’il emploie une partie
de ses forces à « rompre partiellement ou totalement le lien qui l’unit à la
société dans l’espoir de devenir un individu libre », ce qui légitimerait
l’individualisme prôné par certains jusque dans les pratiques culturelles, il
n’en est pas moins vrai que cette prise de conscience de l’autonomie le
conduit à s’établir dans les perspectives ouvertes de la personne et, utilisant
les oppositions internes aux sociétés, à se porter tout naturellement vers des
communautés électives qui « se conjuguent à l’ancienne organisation ».
Alors qu’il appartient de fait aux communautés traditionnelles (la famille
pour les communiants), il doit opérer une dialectisation avec des
communautés électives qui résultent d’un choix.
L’essor des Sciences de l’Homme nous a permis, grâce notamment aux
travaux de l’Anthropologie, une redécouverte des structures archaïques et
plurielles de la représentation de l’Homo Symbolicus.
Cet effort, en nous invitant à désacraliser la toute puissance d’une Raison
fondée sur un schème linéaire hérité de l’idéal classique 88 et dont le
provincialisme occidental nous paraît désormais trop local, est de nature à
favoriser la redécouverte d’un paradigme perdu, la Nature Humaine.
Dans ce sens, la redécouverte de la fantaisie au sein même de la Culture
occidentale nous apparaît une exigence incontournable.
En effet, « la fantaisie est essentielle à la vie humaine. Pour se nourrir et
s’accomplir, elle exige une incorporation dans la société et dans l’histoire.
Les rites fournissent la structure formelle de la liberté et de la fantaisie, et
l’organe par lequel la fantaisie peut agir par rétroaction dans le monde des
faits. Le christianisme, en particulier a développé des images qui facilitent
la fantaisie et ménagent des canaux par lesquels le monde de la fantaisie et
celui des faits peuvent s’enrichir mutuellement »89.
Les retrouvailles avec l’Imaginaire en semblent la propédeutique
indispensable. Elles débouchent, dans sa confrontation aux autres cultures,
sur la remythologisation de la Culture occidentale, celle qui, héritée des plus
grands mythes de la Bible « nous entraîne sur des voies pérégrines où se
justifie le Temps » (Gilbert Durand).
Jean-Jacques Wunenburger90 nous montre que « la vie de la culture et de
l’esprit sont marquées de nos jours par l’omniprésence des images »
Après avoir passé en revue la question de la représentation et celle des
supports matériels des images, leurs familles, et mis en place des typologies
permettant de se repérer dans « cette catégorie mixte et déconcertante »,
entre images « perceptives », « mnésiques » et « anticipatrices », il en vient à
définir une méthodologie propre à cet objet.

87
Bataille Georges, conférence le 20 11 1937, in Hollier Denis, Le Collège de sociologie,
Paris, UGE 10/18, 1985, p.156.
88
Durand Gilbert, Beaux-Arts et Archétypes, Paris, PUF, 1989.
89
Cox Harvey, La fête des fous, essai théologique sur les notions de fête et de fantaisie,
Paris, Le Seuil, 1971.p.98.
90
op.cit.

30
Au delà des parti-pris positivistes, réduisant l’image au signe, s’appuyant
sur le schématisme perceptif de Kant et l’analyse des processus de
symbolisation de Cassirer, il en vient à penser l’image comme forme-
informante, estimant que la fonction de symbolisation commence dans la
représentation elle-même. De ce fait, le mythe, l’art, le langage sont les voies
naturelles d’expression d’une mise en scène du monde et la fonction de
symbolisation commence dans la représentation sensible elle-même.
Avec Gilbert Durand, il est nécessaire d’agir sur le social, de se centrer sur
les entités symboliques coordonnées en récits (les mythes) afin de parvenir à
une compréhension véritable de l’oeuvre d’art, du récit, de l’événement
politique.
Pour lui, cela passe par trois étapes:
• la recherche thématique: discerner dans une oeuvre ou un processus
culturel, les motifs redondants, obsédants,
• l’examen des situations et des combinatoires de situations des
personnages ou acteurs sociaux et des décors dans lesquels ils évoluent, ou
leur environnement,
• le traitement de ces matières afin de repérer les différentes leçons du
mythe, et procédant par comparaison, de les confronter à celles d’autres
mythes.
Cette herméneutique symbolique, sans céder aux tentatives d’interprétation
univoques ou réductrices (Marx, Nietsche, Freud) est nécessairement
amplifiante dans la mesure où elle rend compte de la richesse des sens
cachés à l’oeuvre dans les situations étudiées.
Cela ne peut se faire, pour Jean-Jacques Wunenburger, qu’au prix d’une
réelle culture du sujet interprétant, de la prise en compte du cercle
herméneutique, soit du système qui fait sens et de la mise en oeuvre de
stratégies cognitives faisant la part de l’inséparabilité des situations sociales
et culturelles.

Cette interprétation, nous l’avons tentée à propos d’un objet qui n’a cessé
de nous préoccuper professionnellement et intellectuellement: le Patrimoine
dont nous voyons bien, par ailleurs, le rôle qu’il prend aujourd’hui dans les
processus de développement local.
Il est encore au coeur de conduites de plus en plus partagées sur le plan
social, à tel point que l’on a pu parler « d’euphorie patrimoniale »91
Il révèle un vif besoin de mémoire collective productrice de conduites où
l’imaginaire est loin d’être absent.
Ceci nous conduit à considérer les divers types de traitement scientifique à
l’œuvre dans l’approche des mythes, ces matrices de la mémoire collective,
ces matrices collectives qui non seulement sont san cesse réactualisées
« comme modèles exemplaires de toutes les activités significatives92», mais
instances de puissance sociale unificatrices de diversité.

91
in Le Monde des Débats, entretiens du patrimoine, Chaillot, 01 95.
92
Eliade Mircea, Aspects du mythe, Paris, Folio-Gallimard, 1985, p.18.

31
6°) la recherche sur les mythes.

Dans le premier cas nous nous interrogerons sur le sens de l’anthropologie


culturelle, dans le second sur le sens de ce qu’on nomme aujourd’hui une
ésotérologie enfin nous évoquerons la synthèse réalisée par le courant de
l’anthropologie symbolique.. L’une et l’autre étant des méthodes
heuristiques pour contribuer à une véritable socio-anthropologie de
l’Imaginaire.

l’anthropologie culturelle.

Pour l’anthropologue, le mythe est aussi objet de recherche et l’on


distingue déjà plusieurs points de vue dans la découverte de ce mode de
pensée93.
- l’évolutionnisme: les fondateurs de l’anthropologie, au siècle dernier, en
découvrant les civilisations extra-européennes, ont recueilli un matériau
mythologique important qui les a amené à se poser la question du statut
intellectuel de l’origine des mythes et à les comprendre entre eux et en les
comparant aux mythologies de l’Antiquité. Les mythes sont alors conçus
comme un effort pour explorer le monde, mais confusément, de manière
primitive, sans faire appel à des catégories proprement intellectuelles. «En
face des phénomènes de la nature, la mentalité primitive ne se pose pas les
mêmes questions que la nôtre, ou même, elle ne s’en pose pas du tout 94». Se
rattache à ce courant, Sir JG Frazer, 1854-1941, à qui l’on doit la
prodigieuse synthèse du Rameau d’Or.
E.B. Tylor 1832-1917 distingue les mythes d’observation qui relatent des
faits, des mythes purs qui relèvent de la fiction. Il remarque notamment les
théories communes que partagent les mythes d’Amérique avec ceux d’Asie
et d’Océanie.(théorie des survivances)
Pour ce courant, les exemples ethnographiques justifient le mythe du
progrès. Il est aujourd’hui critiqué comme ethnocentrique, et pour avoir
justifié le colonialisme en prônant implicitement l’inégalité des races.
• le fonctionnalisme: Bronislas Malinowski, en observant les Trobriandais,
pendant la première guerre mondiale, eut le désir de comprendre les mythes
dans leur espace quotidien et d’établir leur fonction dans l’organisation
sociale. Il ramenait ainsi les mythes à leur utilité et abandonnait l’étude du
mythe lui-même. Pour lui, chaque société fournit des réponses organisées
aux besoins fondamentaux, les mythes étant une mise en forme symbolique
reliant biologique et social.

- le diffusionnisme95: prenant en compte les progrés de la linguistique, de


l’archéologie et de l’anthropologie physique, s’appuie sur l’interaction
qu’entretiennent entre eux trois opérateurs: le trait culturel, l’aire ou le cercle
culturel et le foyer culturel. Cette école est répandue en Allemagne et en
Angleterre. L’un de ses représentants, G.E. Smith, 1871-1937, explique
93
Smith P. Mythe, approche ethnosociologique, EUB, 1994, p.1038.
94
Levy-Bruhl L. la mentalité primitive, Retz, 1976, p.420.
95
Guillard Gérald, dictionnaire des ethnologues et des anthropologues, Paris, Armand
Colin, 1997.

32
comment, commencé en Egypte, avec un culte présentant les mythes solaires
comme universels, ceux-ci se seraient diffusés du Nil aux Indes, des Indes à
la Malaisie de celle-ci à l’Océanie, de l’Océanie aux Amériques. Ainsi, pour
lui, les arts et coutumes des peuples sauvages sont les reliques décadentes de
ceux de l’Egypte ancienne.
Dans l’école américaine, Franz Boas, 1858-1942, spécialiste des Eskimos,
a développé un travail considérable rejetant toute hypothèse évolutionniste et
s’intéressant aux mythes avec l’idée que c’est dans ces récits que le génie
d’un peuple se fixe le mieux.
Il a fait école et connu de nombreux disciples. Ruth Benedict, 1887-1948,
en est un des plus prestigieux. Elle a développé le concept de personnalité
culturelle sur lequel elle appuie la distinction opérée par Nietzsche entre
mythes apolliniens et mythes dionysiaques, ouvrant ainsi le champ des
travaux de l’école culturaliste.
• l’école française: dans les années 30, sur la base des études de Durkheim
et Mauss, Marcel Griaule, Arnold Van Gennep, Lucien Levy Bruhl, Paul
Rivet et leurs disciples vont revenir sur le terrain en se concentrant sur le
symbolisme des mythes et en étudiant chez les peuples africains, les rites, les
signes symboliques, l’analogie, l’ésotérisme, les systèmes de
correspondance, pour essayer de saisir la cohérence culturelle des peuples
observés. Les mythes y sont étudiés dans leur intégralité ils expliquent tout
le jeu social qui constitue leur mise en oeuvre.

• l’école structurale: deux grandes figures dominent cette école:

Georges Dumézil,1898-1986, dans ses travaux sur l’idéologie indo-


européenne, découvre la confrontation de plusieurs mythes qui lui permet de
dégager les structures qui leur sont communes. Pour lui, des besoins fondent
les divisions sociales incarnées par des divinités.
« J’avais conscience que les mythes ne sont pas un domaine autonome et
expriment des réalités plus profondes, sociales et culturelles96 ».

Claude Levi-Strauss: S’attachant à montrer que les symboles enchaînés


sur la trame d’un récit constituent un système de signes dont tous les
éléments sont solidaires (une structure signifiante), Claude-Levi-Strauss, né
en 1908, va tenter de fonder une science des mythes en les étudiant pour
eux-mêmes, dans leur contexte et en dégageant des procédures qui
permettent de pénétrer leur intimité. Il isole les niveaux où ils évoluent, soit:
géographique,
économique,
sociologique,
cosmologique et tente d’en percevoir le symbolisme propre en mettant en
évidence l’importance des codes et des jeux par lesquels ils se renvoient les
uns aux autres. Ainsi, la cuisine par ses opérations, est « bonne à penser »
dans les objets auxquels elle s’applique.
L’étude des mythes, pour lui, permet de se réaliser de nos jours et il
préconise des méthodes « où le présent permet d’accéder au passé » « Elles
sont, écrit-il, seules susceptibles de nous guider dans le labyrinthe des
monstres et des dieux.... En rétablissant les liens entre des repères lointains,

96
Dumézil Georges, Mythe et Epopée-I, Gallimard, Quarto, 1995, p.43.

33
des périodes de l’histoire différentes et des cultures inégalement
développées, elles attestent -et peut-être l’expliqueront un jour-, d’un vaste
état de syncrétisme97. »
Car, pour lui, la route de la connaissance de l’homme va «de l’étude des
contenus conscients à celle des formes inconscientes », le langage étant le
modèle de communication humaine et les mythes les catégories de base sur
lesquelles s’enracinent les cultures. « Ils sont signifiants et communiquent ».
Outils logiques, ils opèrent des connexions, des médiations.
Ils sont à portée universelle car en même temps qu’ils témoignent de la
diversité des cultures, ils expliquent pourquoi, « différentes au départ, les
choses sont devenues comme elles sont et pourquoi il ne peut en être
autrement ».
Aujourd'hui, notamment sous l'influence des travaux de Greimas et des
néo-structuralistes, l'opposition duelle fondatrice des structures sociales et
des mythes est remise en cause par les disciples de Levi-Strauss lui même.

Ainsi Richard Pottier98, tout en s'en réclamant, questionne fortement, comme


idéologiquement liée à une aire culturelle, la nôtre, l'opposition
Nature/Culture, née de la philosophie du Contrat social, qui fonde l'œuvre de
Levi-Strauss et sur la base de laquelle, il met en opposition, par exemple, les
catégories du cru et du cuit, du pourri et du frais.
Pour lui, ces catégories ne sont pas logiques et les mythes des peuples
étudiés mettent en oeuvre en fait trois codes différents: le culinaire, le
chasseur et le familial à partir desquels se combinent les structures des récits.
Les oppositions qui ressortent de ces codes sont plutôt Humain -non-humain,
transformé-non transformé.
Il nous met en garde sur le fait que la structure d'un récit est toujours
interprétable isolèment et se trouve reconstruite par tout récepteur du
message à travers une activité strictement mentale, les relations entre les
codes étant à la fois d'ordre analogique et métaphorique. Ainsi, dans le code
familial, l'opposition norme-désir reflète la dualité des significations dont
dispose le sujet social, et les mythes ont pour fonction essentielle de
légitimer l'ordre social.
Pottier critique également l'approche psychanalytique des mythes qui,
articulant le significations oedipiennes à des significations idéologiques,
ignore les acquis du structuralisme en réduisant le mythe à des contenus
fantasmatiques; or pour lui, l'efficacité symbolique du mythe réside dans sa
structure:
"en fournissant au sujet un code, le mythe institue une interface entre les
deux systèmes psychologiques, il lui pemet de surmonter sa dualité
originaire".99
Il rapporte alors la genèse du message mythique à une triple opposition:
- totalité-scission,
- sujet-objet,
- maîtrise-non maîtrise.

97
Levi-Strauss Cl. Anthropologie structurale, Plon, 1971, p.298.
98
Pottier Richard, Anthropologie du Mythe, Paris, Kiné, 1994.
99
Ibidem p.218.

34
Nés du passage des sociétés de chasseurs-cueilleurs qui voient leur
apparition à celle des pasteurs-agriculteurs qui opèrent leur diversification et
leur enrichissement au fur et à mesure que se diversifient les structures
sociales, les mythes communs aux sociétés créatrices sont, fondés sur la
valorisation idéologique du sexe masculin et l'exploitation systèmatique de
travail féminin.
Aussi, pour comprendre le langage mythologique il est indispensable d'en
connaître le contexte ethnographique car il n'y a pas de symboles strictement
universaux mais des familles de symbles qui paraissent renvoyer à des
contenus identiques.
Ceci l'amène à s'inscrire en faux contre la théorie des archètypes, qui
renverrait, selon lui, à des structures psychologiques innées alors que le
programme psychique de l'être humain est exclusivement le fait de
l'Education et de la Culture, ce qui est programmé étant la possibilité de
l'apprentissage.
S'il existe des invariants, ils sont plutôt à rechercher à l'interface de la
pensée et du langage et de conclure: l'universalité des thèmes mythiques
s'explique par trois facteurs:
1) la relation aux objets de désir, qui structurent l'appareil
psychologique,
2) les motifs qui sont utilisés pour signifier les catégories, soit des
invariants sémantiques,
3) la sensibilité de l'environnement culturel dans lequel le mythe a
puisé ses thèmes et ses images.
Cet aspect avait également été bien aperçu et développé par Roger Bastide
étudiant, dans les années 50, les rapports de la psychanalyse et de la
sociologie et qui concluait que les faits sociaux s'expliquent à la fois par les
faits sociaux antécédents, a et par les attitudes de ceux qui les vivent, le
social collaborant avec le sexuel et la société n'étant pas seulement un
ensemble de normes structurelles mais aussi un ensemble de symboles et de
valeurs.100
"La mythologie, écrivait-il, est avant tout, pour nous, un ensemble de
symboles d'origine sociale plus que libidineuse et (…) la diversité des
mythes est dûe à la prolifération et à la diversité des situations sociales".
Ce détour par l'œuvre des structuralistes, nous amène dés lors à concevoir
les mythes dans la catégorisation des thématiques mis en oeuvre au fil des
récits qui les composent.
Daniel Dubuisson101, analysant, dans une perspective comparatiste, les
travaux sur les mythes de Georges Dumézil de Claude Lévi-Strauss et de
Mircea Eliade, invoque trois instances dans l'interaction desquelles se
constituent les études mythlogiques:

1) la Société dont on voit quelle diversification a pu se produire entre les


études de Marx et de M Mauss, Dumézil appartient à cet héritage rationaliste
lié à la fois aux apports théoriques de l'économie socialeet d'une conception
génétique de la société,
Bastide Roger, Sociologie et psychanalyse, Paris, PUF-Quadrige, 1995, p.280.
100

Dubuisson Daniel, Mythologies du XXème siècle, Dumézil Levi-Strauss, Eliade,


101

Presses Universitaires de Lyon, collection Racines et Modèles, 1993, p.323sq

35
2) l'Esprit qui réfère les travaux mythologiques à des catégories
transcendantes, Claude Levi-Strauss en développant une philosophie du
structuralisme héritière de Sausure et de Jakobson et adversaire du
Freudisme et de l'existentialisme, est en fait, dans son schématisme un
kantien, à la fois transcendental et comparatiste,
3) le Sacré qui tente avec Eliade, contemporain de Frazer et de
Heidegger, de se référer à une tradition occultée, à un au-delà, pour en tirer
une phénoménologie de la religion en explorant les voies ouvertes par les
traditions intellectuelles du néo-platonisme, du gnosticisme, des mystiques
irrationnelles.
C'est de cette tentative que participent les travaux des deux écoles que nous
explorons ci-après: l'ésotérologie d'Antoine Faivre et l'école de
l'anthropologie symbolique, elle-même bien occultée dans la révision pré-
citée de Dubuisson.

B) L’ésotérologie, pour Antoine Faivre, participe de l’anthropologie de


l’Imaginaire102. Il s’agit, pour lui, d’une forme de pensée identifiable en six
caractères dont quatre sont fondamentaux et deux secondaires.
1) les correspondances explorent le symbolique et le réel, le visible et
l’invisible, la Nature et l’Homme d’un univers où tout est signe et cache un
secret qu’il faut faire advenir, révéler.
2) la matière vivante occupe une place essentielle au sein d’un cosmos
complexe, pluriel et hiérarchisé. Elle y est habitée par une lumière cachée
qui y circule et l’effort de découverte consenti par les sociétés humaines est
opérationnalisé sous le nom de magie, soit la connaissance des réseaux de
sympathie et antipathie qui font lien au sein de la nature.
3) l’imagination permet de déceler et d’utiliser les médiations activatrices
de ces correspondances: rituels, images symboliques, mythes seront visités
au profit d’une philosophie visionnaire.
4) les gnoses, en proposant des expériences de seconde naissance et de
métamorphose conduisent à l’illumination et sont les voies de cette
transmutation.
5) la concordance établit les correspondances, les dénominateurs communs
aux traditions,
6) la transmission, par un parcours initiatique, de maître à disciple, dans des
filiations authentiques permet l’accomplissement de cette démarche.
On retrouve dans cette méthode et les caractères de l’anthropologie
culturelle qui analyse les phénomènes sociaux en s’appuyant sur l’analogie
interculturelle et permet de dépasser les particularismes (correspondances,
concordances), et celles d’une lecture au fond du mythos lui-même, de la
fonction mythique, des sociétés (ce qu’il nomme matière vivante)., par la
voie initiatique (gnose et transmission).
Synthèse audacieuse et fascinante qui exige une certaine qualification pour
atteindre ce que d’aucuns considèrent comme inexprimable,
incommunicable.

102
Faivre A. le défi magique, CREA, PUL, Lyon, 1994.

36
Nous sommes ici aux antipodes d’un rationalisme « prétendant exclure tout
mystère du monde», d’une conception dont Guénon disait que plus elle était
bornée, plus elle pouvait être regardée comme strictement rationnelle103.
On retrouve une réflexion semblable chez Alleau104 quand il estime, après
avoir disserté sur le mythe comme pensée sous-entendue, qu’il est
impossible d’expliquer allégoriquement un mythe, que la seule façon de le
comprendre est de le vivre et d’éprouver soi-même ce qu’il sous entend à
travers son opacité, ses ténèbres, son étrangeté, ses drames. Comme Antoine
Faivre, il estime que l’homme ne peut approcher réellement un mythe «qu’à
travers des rites initiatiques déduits de sa propre nature et de ses seules
normes». Car le mythe « n’est pas autre chose que la mutation qu’il opère
en nous quand nous nous sommes fondés en lui ».

C) la socio-anthropologie symbolique.
(Gilbert Durand, Michel Maffesoli).105
L’anthropologie symbolologique (ou symbolique) propose une synthèse et
met l’accent, d’une façon tout à fait complémentaire, sur une philosophie du
mythe et du symbole dans leurs manifestations décelables au travers du
système
Symboles > Schèmes > Structures.
Les symboles sont des formes intérieures, des signes énigmatiques qui font
entendre ce qui déjà n’existe plus, ils sont eidolo-moteurs (représentatifs et
efficaces), ils organisent l’homogénéité du signifiant et du signifié au sein d
‘un dynamisme organisateur et comportent une composante rationnelle-
réelle tissée avec une composante imaginaire et affective. Ils établissent une
relation, sont à la fois « langage et synthèse » (M.M. Davy).
Les schèmes sont des généralisations dynamiques et affectives de l’image,
des trajets incarnés dans des représentations concrètes, ils présentifient des
gestes et des pulsions inconscientes.
Les structures sont des protocoles normatifs de représentations imaginaires,
bien définies et relativement stables, groupées autour des schèmes originels.
La structure implique un certain dynamisme transformateur.
Le mythe, est une forme sociale qui reste disponible après s'être
autonomisée de ses lieux de production liés, on l'a vu aux récits fondateurs, à
la cosmologie, etc, et Gilbert Durand nous a appris à en reconnaître les
figures permanentes à l'œuvre dans le social-historique en même temps que
leur animation au flux et reflux des avatars de l'histoire. Ceci implique une
certaine variété dans l'ordonnancement des mythèmes constitutifs du mythe.
Gilbert Durand en identifie trois possibilités non exclusives les unes des
autres106:
- une, interne, est celle de la dérivation hérétique, tout mythème étant
potentiellement gros d'une hérésie, elle fonctionne par accentuation, soit exagération
d'un trait au détriment des autres,

103
Guénon R. op.cit. p.123.
104
op.cit. p. 170.
105

Durand Gilbert, Permanence du mythe et changements de l'histoire, in Le Mythe et le


106

Mythique, Colloque de Cerisy, Cahiers de l'Hermétisme, Albin Michel, 1987. p.18 & sq.

37
- une, externe, ou syncrétique qui tend à capter le mythe, lorsque qu'un mythe,
"dans une aire historico-culturelle donnée est confondu avec d'autres travées
mythiques",
- une troisième éthique, lorsqu'un ensemble historico-culturel donné ignore un
mythe ou le minimise, le dénonce, le limite.
La pensée symbolique rend de fait possible, dans l'exercice de la pluralité,
la circulation à travers tous les niveaux du réel. Elle débouche sur une
herméneutique.
Pour Gerard Lenclud107, ce qui caractérise l’anthropologie, c’est "la
conjonction d’une tradition problématique dont la tonalité lui est propre et
d’une ambition limite qui en régit les orientations générales".
Une tradition problématique ne restitue pas de doctrine, elle est plurielle
mais se distingue par une même manière de consulter le savoir: on
recherchera alors des singularités pour exprimer la diversité des sociétés.

Michel Maffesoli insiste particulièrement sur le fait, déjà souligné par


Durkeim, que les "hommes marchent parce qu'il faut marcher", ce qui
l'amène à considérer que les constructions intellectuelles sont secondes par
rapport à l'existence elle-même. La vie, dans son obscénité, avons-nous
constaté, avançe toujours au pas redoublé tandis que les modèles sont, en
dépit de leur utilité de repérage, obsolètes aussitôt qu'émis.
Le mythe, dans ce sens, garde, pour Michel Maffesoli 108 toute sa force,
comme facteur d'interpénétration des consciences. Il est, pour lui, un être
noologique qui possède ceux qui le possèdent.
Simmel ne s'exprimait pas autrement lorsqu'il écrivait que
Elle manifeste une ambition limite sur le projet de savoir considéré comme
une illusion portant sur l’unité du genre humain et des déterminations
sociales.
Sacré, Ame, Temps sont des Institutions ou formes de l’Imaginaire social,
soit des façons de penser en commun imposées aux individus par les
puissances sociales, la tradition, le langage, des règles de pensée. Le fond
intime de la vie sociale est un ensemble de représentations (l’on voit bien
que les mythes y tiennent la place majeure) et la sociologie est ainsi une
psychologie mais distincte de la psychologie individuelle.
De fait les formes du groupe influent sur les représentations collectives qui
rétroagissent elles-mêmes sur les formes du groupe social dans un schéma:
Formes Sociales >> Représentations >> Formes Sociales.
Ainsi, comme l’a bien vu Laplantine109, la connaissance anthropologique
jaillit de la rencontre, non seulement de deux discours explicites, mais de
deux inconscients en miroir, qui se renvoient une image déformée. Elle est le
discours sur la différence (et sur ma différence) fondée sur une pratique de la
différence qui travaille sur les limites et les frontières.
Se confrontent alors deux discours:

107
revue L'Homme 1986.
108
Maffesoli Michel, Mythe, quotidien et épistémologie, in Le Mythe et le Mythique,
Paris, Dervy, op.cit p.93.
109
in Clefs pour l'anthropologie, Paris, Seghers,1987; p.197.

38
• celui de la normalité,
• celui de la réalité hallucinée ou déviante.
Ceci nous renvoie à la remarque de Jean-Paul Sartre qui estimait du ressort
de l’anthropologie le « droit d’étudier un homme ou un groupe d’hommes ou
un objet humain dans la totalité synthétiques de ses significations et de ses
références à la totalisation en cours.. retrouver l’homme partout où il est,
dans son habitat, dans la ville.. »110.

110
Critique de la raison dialectique, Gallimard, Paris, 1972, p10.

39

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