Anda di halaman 1dari 14

Alexei Barmine

Une source méconnue des Dialogues de Nicétas de Maronée


In: Revue des études byzantines, tome 58, 2000. pp. 231-243.

Abstract
Contrary to what is often affirmed, Nicetas of Maronea, the first Greek defender of the doctrine of the filioque, did not have direct
knowledge of the Latin Fathers, nor was he influenced by Anselm of Canterbury. Rather, he followed another Greek theologian,
Eustratius of Nicaea, as the comparison of works by the two authors confirms.

Résumé
REB 58 2000 France p. 231-243
A. Barmine, Une source méconnue des Dialogues de Nicétas de Maronée. — Contrairement à ce qui a parfois été avancé,
Nicétas de Maronée, le premier défenseur grec de la doctrine du fllioque, n'a pas connu directement les Pères latins, ni ne s'est
inspiré d'Anselme de Canterbury. Il suivrait plutôt un autre théologien grec, Eustrate de Nicée, conclusion à laquelle on aboutit en
comparant les écrits des deux prélats.

Citer ce document / Cite this document :

Barmine Alexei. Une source méconnue des Dialogues de Nicétas de Maronée. In: Revue des études byzantines, tome 58,
2000. pp. 231-243.

doi : 10.3406/rebyz.2000.1994

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_2000_num_58_1_1994
UNE SOURCE MECONNUE DES DIALOGUES
DE NICÉTAS DE MARONÉE

Alexei BARMINE

Summary : Contrary to what is often affirmed, Nicetas of Maronea, the first Greek
defender of the doctrine of the filioque, did not have direct knowledge of the Latin
Fathers, nor was he influenced by Anselm of Canterbury. Rather, he followed another
Greek theologian, Eustratius of Nicaea, as the comparison of works by the two authors
confirms.

On connaît très peu de choses sur le métropolite de Thessalonique


Nicétas, dit parfois «de Maronée», qui a composé au 12e siècle, peut-être
sous le règne de Manuel Ier Comnène, six Dialogues théologiques fictifs.
Comme il tenait à y démontrer que l'Esprit saint provient à la fois du
Père et du Fils, il est devenu à Byzance le premier à présenter un recueil
de preuves en faveur de cette idée, d'origine plutôt augustinienne.
Effectivement, on ne dispose pas d'écrits byzantins antérieurs affirmant
explicitement que la procession de l'Esprit saint «δια του Υίου» (par le
Fils), reconnue par quelques Pères grecs, est identique à la procession
«εκ του Υίου» (du Fils), dont parlaient les Pères latins.
De l'avis d'A. Palmieri, qui a publié au début de ce siècle trois
Dialogues de Nicétas \ les arguments de ce dernier ont été apportés par
d'autres théologiens grecs éminents — le philosophe Nicéphore
Blemmydès, le patriarche Jean Beccos, le cardinal Bessarion et
d'autres2. Très souvent on les appelait les «latinophrones», c'est-à-dire
«ceux qui pensent comme les Latins». Est-ce à juste titre qu'on leur
applique ce terme, en les considérant comme les partisans d'une théolo-

1. Nicétas de Maronée, Λόγοι διάφοροι προς διάλογον έσχηματισμένοι περί της


έκπορεύσεως τοο 'Αγίου Πνεύματος (β'-Ô"), Bessarione 1912, ρ. 93-107, 126-132,
266-273 ; ibid.\9tt, p. 300-308 ; ibid.1914, p. 61-75, 249-259.
2. Α. Palmieri, Niceta di Maronea e i suoi dialoghi sulla processione dello Spirito
Santo, Bessarione 1912, p. 80-88. On trouve un exposé des idées de ces théologiens dans
M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissiden-
tium, t. 2, Paris 1933, p. 298-441.

Revue des Études Byzantines 58, 2000, p. 231-243.


232 ALEXEI BARMINE

gie de provenance «étrangère» par rapport aux Grecs ? Les Dialogues de


Nicétas de Maronée, qui se trouvent à l'origine même de ce courant de
pensée, offrent l'occasion d'aborder cette question.
Il est évident que la réponse aurait été positive si l'on avait prouvé que
Nicétas connaissait les écrits latins sur le problème du filioque. En fait,
l'éditeur des deux derniers Dialogues de Nicétas croyait que celui-ci
«tenait sûrement sous ses yeux la doctrine» des Pères latins 3. Mais, dans
ce cas, on ne peut comprendre pourquoi l'archevêque de Thessalonique,
dans ses références, ne renvoie qu'aux Pères grecs. Il cite souvent et
abondamment les écrits d'Athanase d'Alexandrie, Basile le Grand,
Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Cyrille d'Alexandrie et Jean
Damascene ; or il ne mentionne qu'une seule fois Ambroise, Augustin et
Jérôme, en renonçant à citer leurs œuvres sous un prétexte plausible 4.
De plus, on ne trouve dans les Dialogues aucun indice que leur auteur
ait eu la moindre connaissance du latin. Au contraire, il semble bien que
ce n'était pas le cas : ainsi, l'interlocuteur «latin» y donne de nombreux
exemples de l'usage du mot «έκττορεύεσθαι» dans la Bible grecque,
sans mentionner que les traductions de ces divers passages de la Vulgate
donnent des verbes différents — «procedere, egredi, proici» 5.
L'hypothèse, selon laquelle Nicétas aurait connu les auteurs latins dans
des traductions grecques, n'est pas exclue a priori, mais reste peu pro-
blable, compte tenu de l'extrême rareté, à son époque, des traductions en
grec des pièces théologiques latines 6.
La relation de Nicétas avec les auteurs occidentaux ne peut être éclair-
cie que par la confrontation de leurs argumentations sur la question de la
procession de l'Esprit saint. Dans cette perspective, on ne saurait
attendre de nombreuses considérations générales concernant les diffé
rences d'approche théologique des Grecs et des Latins7. En fait, les
théologiens et les polémistes latins ne constituaient pas nécessairement
un groupe monolithique. Certains se limitaient principalement à
recueillir dans leurs écrits les citations des Pères de l'Église, ce qui est
plus ou moins le cas d'un traité attribué à Alcuin (c. 730-804) 8, et de

3. C. Giorgetti, Niceta Maronensis eiusque 5 et 6 dialogus de procès sione Spiritus


Sancti etiam ex Filio, Rome 1965, p. 112.
4. Nicétas de Maronée, Λόγος ç', C. Giorgetti, op. cit., p. 343.
5. Nicétas de Maronée, Λόγος ε', ibid., p. 331-333.
6. Ε. Dekkers, Les traductions grecques des écrits patristiques latins, Sacris Eruditi 5,
1953, p. 193-233 ; G. Podskalsky, Theologie und Philosophie in Byzanz, Munich 1977,
p. 174-176.
7. Ainsi, l'opposition entre les présumés «essentialisme» latin et «personnalisme» grec
qu'on croyait trouver à cette époque (voir H. -G. Beck, Kirche und theologische Literatur
im byzantinischen Reich, Munich 1959, p. 307) a justement suscité les doutes
d'A. De Halleux (A. De Halleux, Une vie consacrée à l'étude et au service de l'Orient
chrétien, OCA 2AA, 1994, p. 53). L'importance pour la théologie byzantine d'une «sépara
tion» entre la triadologie et l'économie, laquelle a été également considérée comme une
caractéristique des auteurs grecs (H.-G. Beck, ibidem), est, elle aussi, discutable.
8. B. Alcuinus, De processione Spiritus Sancti, PL 101, col. 63-82.
UNE SOURCE MÉCONNUE 233

Théodulfe, évêque d'Orléans (f 821) 9. D'autres tenaient à donner une


explication rationnelle qui se référait non seulement aux Pères, mais
aussi à l'Écriture sainte : ainsi Pierre Damien (f 1072) 10, les évêques
Pierre Grossolano en 1112/1113 n et Anselme de Havelberg en^H36 12,
ou le conseiller de l'empereur Manuel Ier Comnène, Hugues Éthérien,
dans les années 1170 13. Enfin, saint Anselme de Canterbury, dans son
opuscule sur ce problème 14, proposait en 1098 une argumentation origi
nale qui défendait la doctrine du filioque, sans avoir cité aucun travail
des auteurs antérieurs 15.
Il est aisé de prouver que l'absence de citations des Pères latins dans
les Dialogues de Nicétas de Maronée ne s'explique pas par sa dépen
dance à l'œuvre de saint Anselme qui délibérément ne les alléguait pas,
si évidentes sont les différences de leurs approches du problème.
L'archevêque de Canterbury se distingue d'autres polémistes par son
souci de clarifier les normes d'emploi des termes théologiques : ainsi, il
cherche à élucider la spécificité des notions «principium», «causa»,
«processio» et «nativitas», lorsqu'elles se réfèrent à la Trinité 16 ; au
début de son traité, il souligne le caractère relatif du nom de la troisième
Personne divine 17. Nicétas de Maronée traite aussi des questions termi
nologiques, notamment dans ses cinquième et sixième Dialogues, mais
le fait de tout autre manière qu'Anselme.
L'archevêque de Thessalonique tient à justifier les usages des termes
des Saintes écritures et des Pères grecs, mais il n'explique pas leurs rai
sons et déclare même qu'il est impossible d'en comprendre le sens 18 ;
pour indiquer la multitude des significations possibles du mot
έκττορεύεσθαι, Nicétas évoque simplement de nombreux exemples
scripturaires 19. La différence entre les deux auteurs est encore plus nette
si l'on compare les analogies adoptées dans leurs démonstrations théolo-

9. Theodulfus Aurelianensis, De Spiritu Sancto, PL 105, col. 239-276.


10. S. Petrus Damianus, Contra errorem graecorum de processione Spiritus Sancti,
PL 145, col. 633-642.
11. Petrus Grossolanus, Sermo de Spiritu Sancto, PL 127, col. 911-919.
12. Anselmus Havelbergiensis, De processione Spiritus Sancti, PL 188, col. 1168-
1210.
13. Hugo Etherianus, De haeresibus quas Graeci in Latinos devolvunt, PL 202,
col. 227-396.
14. S. Anselmus Cantulariensis, De processione Spiritus Sancti, PL 158, col. 285-326.
15. Saint Anselme développe ailleurs une approche semblable : dans le Monologion, il
exprime ouvertement le choix délibéré de progresser à l'aide de la seule raison (sola
ratione), sans l'appui de l'Écriture sainte ou des Pères de l'Église.
16. Ibidem, col. 312. De la même manière dans ses autres traités, il lui importe de défi
nir les significations des notions différentes, employées dans la recherche théologique
(voir, par exemple, dans son Monologion, les chapitres 6, 8, 10, 15, 16, 17, 19, 23, 38, 39,
45, 65, 79).
17. «Le nom de l'Esprit saint, parce que sous le Saint-Esprit on entend l'esprit de quel
qu'un, est employé comme un nom relatif» (PL 158, col. 286).
18. Nicétas de Maronée, Λόγος α', PG 139, col. 177-181.
19. Nicétas de Maronée, Λόγος ε', C. Giorgetti, op.cit., p. 329-336.
234 ALEXEI BARMINE

giques. Anselme n'en compte que deux, celle du soleil, de la chaleur et


du rayonnement, et celle de la source, de la rivière et du lac 20. Nicétas
propose, dans ses Dialogues, huit exemples destinés à éclaircir les rela
tions entre les personnes divines et adopte d'autres versions des analo
giesclassiques employées par saint Anselme. Si Γ évêque de Canterbury
compare le Père avec la source, Nicétas réserve cette dernière image au
Fils, alors que le Père dans son exemple est représenté par «l'œil»
(οφθαλμός, c'est-à-dire le trou dans la terre) 21 ; dans l'autre cas, au lieu
de la chaleur et du rayonnement (chez Anselme), Nicétas parle du rayon
et de la lumière 22. Aucun indice ne permet de croire que l'auteur des six
Dialogues ait connu le traité de l'évêque de Canterbury.
Si Nicétas de Maronée occupait le siège de Thessalonique en 1133 23,
il aurait pu rencontrer un autre évêque latin actif dans la polémique sur le
filioque, à savoir Anselme de Havelberg, qui a composé en latin le récit
de ses longues disputes, en 1136, avec le métropolite grec, Nicétas de
Nicomédie. Mais la comparaison des objections de ce dernier contre la
thèse latine avec celles du «Grec» des Dialogues de Nicétas de Maronée
témoigne plutôt en faveur de l'absence d'une correspondance directe
entre les deux œuvres et leurs auteurs. Seuls quelques arguments, com
muns à toute la polémique antilatine, se rencontrent de part et d'autre,
comme l'affirmation d'un seul principe du Saint-Esprit24 ou l'évocation
du silence du Christ sur la procession de l'Esprit «du Fils» dans l'Évang
ile de Jean 15, 2625.
En outre, on constate une certaine analogie entre les principes du dis
cours théologique tels qu'ils sont établis dans les deux œuvres : la raison
et l'autorité des Écritures canoniques et des conciles généraux pour
Nicétas de Nicomédie 26, et le «raisonnement technique et syllogistique»
avec les témoignages scripturaires et patristiques pour Nicétas de
Maronée 27. Il est de même intéressant de noter que dans les deux dis
putes, (celle de Nicétas de Maronée était, bien sûr, imaginaire), se pose
la même question sophistique, absente d'à peu près tout le reste de la
polémique trinitaire gréco-latine 28, et qui recevra une réponse différente
dans les deux œuvres : selon quoi («secundum quod», «κατά τί») pro-

20. La première de ces deux analogies, à son avis, n'exprime pas suffisamment les réa
lités trinitaires {ibidem, p. 307, 309-31 1).
21. Le métropolite de Thessalonique a dû emprunter cet exemple à Grégoire le
Théologien, cf. B. Schultze, S. Bulgakovs «Utesitel» und Gregor der Theologe, OCP 39,
1973, p. 170.
22. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 256-258.
23. M. Jugie, Nicétas de Maronée et Nicétas de Mytilène, EO 26, 1927, p. 410.
24. PL 188, 1 180 ; Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 63.
25. PL 188, 1188; Nicétas de Maronée, Λόγος γ', Bessarione 1913, p. 302; Idem,
Λόγος ε', C. Giorgetti, op. cit., p. 338.
26. «... ratio, auctoritas canonicarum scripturarum, generalia concilia...» {PL 188,
col. 1165).
27. «... δια λόγου τεχνικού και συλλογιστικού, η δια μαρτυριών γραφών τε και
πατριών...» (Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 259).
28. On la trouve aussi dans un traité d'Eustrate de Nicée (cf. ci-dessous).
UNE SOURCE MÉCONNUE 235

cède l'Esprit saint ? Mais ces faibles ressemblances permettent tout au


plus de supposer que Nicétas de Maronée a entendu parler des discus
sionsd'Anselme, sans en avoir eu la connaissance exacte.
On ne peut dire plus, parce que pratiquement toutes les autres affirma
tions et questions de Nicétas de Nicomédie, reproduites par Anselme de
Havelberg, sont bien éloignées de celles mises par Nicétas de Maronée
dans la bouche de l'interlocuteur «grec». Ainsi, celui-ci ne parle ni de la
nécessité de garder la «monarchie» dans la Sainte Trinité 29, ni du devoir
de reconnaître aussi la procession de l'Esprit de soi-même (au cas où la
doctrine latine serait acceptée) 30, ni de la prudence des sages grecs 31, ni
du fait que le mot même de «procession» est inhabituel 32. Si Nicétas de
Nicomédie pense que, selon la doctrine latine, l'Esprit procède de façon
différente du Père et du Fils, et si Anselme de Havelberg se croit obligé
de combattre cet avis 33, Nicétas de Maronée ne voit aucun scandale dans
l'opinion que l'Esprit provient directement du Fils et indirectement du
Père 34.
Il est remarquable que cette dernière idée soit bien éloignée de toute la
tradition trinitaire latine. On ne peut pas l'imaginer sous la plume des
auteurs occidentaux qui, à la suite de saint Augustin, affirmaient que
l'Esprit provient principalement («principaliter») du Père. Aux 11e-
12e siècles, ce raisonnement a été reproduit par saint Pierre Damien 35 et
Anselme de Havelberg36. Si l'archevêque de Canterbury s'est élevé
contre cette formulation, il la considérait néanmoins comme admissible
dans le sens où le Fils tient du Père sa capacité de faire procéder
l'Esprit37.
Une autre différence entre les raisonnements de Nicétas de Maronée et
d'Anselme de Havelberg semble typique. Si pour le premier, le Saint-
Esprit «procède de l'essence [divine] selon la propriété [de
l'hypostase]» 38, pour le second le Saint-Esprit «ne procède ni selon l'e
ssence ... ni selon la personne ... mais [il le fait] selon la relation» 39. On
voit donc que le Grec emploie la notion de «propriété» à l'endroit même
où le théologien latin parle de «relation». En fait, la problématique des
propriétés des Personnes divines reste pratiquement étrangère aux

29. PL 188, col. 1165.


30. Ibi d, col. 1170.
31./Wtf.,col. 1197.
32. Ibid., col. 1202.
33. Ibid., col. 1191.
34. Nicétas de Maronée, Λόγος α', PG 139, 196 ; Idem, Λόγος β', Bessarione 1912,
p. 95-97.
35. PL 145, col. 641.
36. PL 188, col. 1205.
37. PL 158, col. 319.
38. «... έκ της ουσίας κατά την ιδιότητα» (Nicétas de Maronée, Λόγος γ',
Bessarione 1913, p. 301).
39. «Spiritus Sanctus neque secundum substantiam..., neque secundum personam...,
sed secundum relationem procedens dicitur» (PG 188, col. 1 178).
236 ALEXEI BARMINE

auteurs latins chez lesquels le même terme «proprietas» n'apparaît que


rarement m.
Une tout autre attitude envers cette dernière notion est répandue parmi
les polémistes grecs qui, à la suite de Photius41, l'utilisent volontiers
dans leurs reproches aux Latins. Ainsi, le premier Dialogue de Nicétas
de Maronée débute avec l'affirmation par l'interlocuteur «grec» que la
doctrine du filioque conduit à la fusion des propriétés des Personnes
divines ou fait que les propriétés hypostatiques du Fils et de l'Esprit
deviennent composées 42. Le problème des propriétés des Personnes tri-
nitaires est de même évoqué dans son Traité sur le Saint-Esprit et dans le
Traité contre ceux qui disent que le Saint-Esprit provient du Père et du
Fils d'Eustrate de Nicée (1112/1113) 43. Son contemporain et collègue de
dispute avec Pierre Grossolano, Jean Phournès, insiste dans son Apologie
(1112/1113) sur la nécessité de sauvegarder la distinction entre ce qui est
commun aux trois hypostases et ce qui appartient, en tant que propriété,
à chacune d'elles44. Pour l'auteur des Chapitres syllogistiques, dont la
date de composition reste incertaine, les «propriétés hypostatiques» sont
la notion clé autour de laquelle se développe toute son œuvre45. Au
milieu du 12e siècle, Nicolas de Méthone résuma dans ses Accusations,
divisées par chapitres, toute l'argumentation anti-filioquiste ; en outre, il
voit dans la doctrine latine la confusion et la multiplication des propriét
és des Personnes qui conduisent soit au mélange de la nature divine et
des hypostases, soit à la perte par celles-ci de leur substance commune,
soit à la procession de l'Esprit soi-même 46.
Il est important de noter que l'affirmation de Nicétas à propos de la
«procession selon la propriété» reproduit exactement une expression
d'Eustrate de Nicée, destinée à critiquer la doctrine de l'Église latine.
Selon ce dernier, «l'Esprit en procédant du Père procède ou simplement
de son essence, ou simplement de sa propriété, ou de l'essence selon la

40. La négligence même de saint Thomas, qui dans sa Somme théologique employait la
notion de propriété dans deux sens différents, est significative (cf. J.-M. Garrigues, À la
suite de la clarification romaine: le Filioque affranchi du «filioquisme», Irénikon 1996,
p. 202).
41. Photius, Λόγος περί της του 'Αγίου Πνεύματος μυσταγωγίας, PG 102, col.
289-292, 296-297, 313-316, 324-325.
42. Nicétas de Maronée, Λόγος a, PG 139, col. 177-193.
43. Λόγος περί του 'Αγίου Πνεύματος. Le manuscrit 239 du Musée historique à
Moscou, fol. 53v. : Λόγος προς τους λέγοντας οτι εκ τοΰ Πατρός και εκ του Υίοΰ
εκπορεύεται το Πνεομα το "Αγιον (cité désormais «Λόγος πρώτος»), Α.
Dèmètrakopoulos, 'Εκκλησιαστική Βιβλιοθήκη, Leipzig 1886, ρ. 49-51.
44. 'Αντιρρητική απολογία προς τα λεχθέντα παρά τοΰ Μεδιολάνων
'Αρχιεπισκόπου Πέτρου περί της του 'Αγίου Πνεύματος έκπορεύσεως, ibidem,
ρ. 39-41.
45. Κεφάλαια συλλογιστικά, J. Hergenroether, Monumenta graeca ad Photium
eiusque historiam pertinentia, Ratisbonne 1869, p. 84-138.
46. Nicolas de Méthone, Κεφαλαιώδεις έλεγχοι, ibidem, p. 361-362, 364-365, 369-
370, 374.
47. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 50.
UNE SOURCE MECONNUE 237

propriété, ou de la propriété selon l'essence» 47. Comme la propriété a


son être dans un autre, la procession de l'Esprit d'elle seule aurait signi
fié qu'il provient non de quelque chose qui existe par soi-même, mais de
ce qui a son être dans un autre 48. Dans ce cas, l'Esprit non plus n'aurait
plus été quelque chose qui existe par soi-même ; donc, il n'aurait été ni
une hypostase, ni quelque chose, douée d'une hypostase propre49.
L'Esprit ne peut pas non plus provenir de l'essence divine seule parce
que, de l'avis du polémiste, il s'ensuivra que les trois Personnes engen
drent et font procéder l'une de l'autre. Toujours dans la même ligne,
Eustrate affirme : «II ne faut pas dire [qu'il procède] de la propriété selon
l'essence, afin que ce qui a son être dans un autre ne soit pas reconnu
comme la cause de ce qui existe par soi-même» 50. Il ne reste donc pour
le métropolite de Nicée qu'une seule possibilité : l'Esprit procède de
l'essence selon la propriété.
La même question sert de point de départ au troisième Dialogue de
Nicétas de Maronée, qui commence avec ce dilemme : ce qui sort du
Père doit être ou de son essence ou de sa propriété51. Comme l'essence
divine est commune aux trois Personnes, la procession de l'essence du
Père impliquera nécessairement que l'Esprit procède en même temps de
l'essence du Fils comme de sa propre essence. D'un autre côté, dit l'i
nterlocuteur «grec», si l'Esprit procède de la propriété, qui n'est pas iden
tique à l'essence mais est «autour de» l'essence, comment ce qui existe
par soi-même aura-t-il son être de quelque chose qui n'existe pas par soi-
même, mais qui est constaté chez un autre, comme l'est l'hypostase ?52
La conclusion que tire de cette aporie le personnage du Dialogue est la
suivante : l'Esprit ou bien ne procède pas du tout, ou bien procède aussi
de soi-même. Le «Latin» riposte que cet argument atteint plutôt la pro
cession de l'Esprit comme telle que la doctrine dufilioque, et propose en
guise de solution du problème la formule déjà connue : l'Esprit procède
de l'essence selon la propriété 53.
Comme on le voit bien, nonobstant la différence radicale de leurs
positions théologiques (l'un combat la doctrine du filioque, l'autre la
soutient), Eustrate et Nicétas donnent la même réponse à une question
trinitaire très particulière. Mais si le premier prononce cette solution de

48. «Eî μεν έκ της ιδιότητος, ή δέ ίδιότης έν έτέρω έχει το είναι, εσται τό
Πνεύμα ουκ εκ τίνος ύφεστηκότος καθ' αυτό προϊόν, αλλ' hi έχοντος έν έτέρω τί
είναι» {ibidem).
49. «...ώστε ουδέ αυτό εσται ύφεστηκός καθ' εαυτό- ουδέ ύπόστασις αρα, ουδέ
αύθυπόστατον, όπερ άτοπον» {ibid.).
50. Ibid., ρ. 51.
51. «Και γαρ ανάγκη ή έκ της ουσίας είναι του Πατρός το έκ τοΰ Πατρός
έκπορευόμενον, ή έκ της ιδιότητος» (Nicétas de Maronée, Λόγος γ', Bessarione 1913,
p. 300).
52. «Έκ δέ έκ της ιδιότητος, ή δέ ίδιότης ούκ ουσία άλλα περί την ούσίαν, πώς
τό καθ' εαυτό, ήγουν τό Πνεΰμα, εσται έκ του μη καθ' εαυτό, άλλα περί έτερον
θεωρουμένου, τουτέστι της ιδιότητος» {ibidem).
53. Ibid., ρ. 301.
238 ALEXEI BARMINE

son propre chef, l'autre la réserve pour son «Latin» fictif. De plus, tous
les deux gardent la même approche de ce problème, en se référant, dans
leurs raisonnements, à l'impossibilité pour «ce qui existe par soi-même»
("το καθ'έαυτό", "το καθ' εαυτό ύφεστώς") de provenir d'un être non
substantiel ("ούχ ύφεστηκός" chez Eustrate, "το ου καθ' έαυτδ" chez
Nicétas) comme l'est la propriété.
Les ressemblances entre les deux œuvres ne se limitent pas à ces pas
sages. Dans le quatrième Dialogue de Nicétas, le «Latin» évoque parmi
les autres analogies de la Sainte Trinité celle du soleil, de ses rayons et
de la lumière 54 ; le «Latin», dans le traité d'Eustrate, se réfère au même
exemple55. Comme cette analogie était déjà connue dès l'époque patris-
tique, sa présence dans ces deux œuvres différentes du 12e siècle n'a rien
d'extraordinaire. Mais dans les deux traités, les interlocuteurs «grecs»
répondent à cet exemple avec les mêmes paroles : ils disent que la
lumière peut signifier soit l'idée du soleil, soit les rayons, soit le rayon
nement : «Πρώτον δη περί του φωτός έξεταστέον πώς λέγεται.
Λέγομεν γαρ φώς η αυτό το ήλιακόν εΐδος, η τας έξ αύτου
πεμπομένας ακτίνας, η την εν τω αέρι χορηγουμένην ελλαμψιν,
ήτις ενεργεία διαφανή τον αέρα δεικνύουσα, δι' αύτου ταϊς οψεσιν
όραν δίδωσι» (Eustrate de Nicée) 56, — Πρώτον μεν οδν ποίον λέγεις
φώς. Φώς γαρ και αυτό το ήλιακόν εΐδος, δ τόν ήλιακόν δίσκον
ειδοποιεί, φώς και αί ακτίνες, φώς και ή δια τών άκτίνων εις τόν
αέρα χεομένη ελλαμψις» (Nicétas de Maronée) 57. De ces trois possibil
ités, Eustrate ne prend en compte que la dernière qui, à son avis, sert
d'image pour la donation de la grâce divine aux justes : «... δπερ και
είκών αν ε'ιη της θεόθεν χορηγούμενης χάριτος ...» 58. Nicétas consi
dèreles trois variantes et caractérise la dernière d'entre elles de la même
façon : « ... εικόνισμα ... της εις ημάς χορηγίας της του Πνεύματος
χάριτος» 59. La proximité verbale des deux auteurs paraît évidente : «To
δή τοιούτον εκ του ηλιακού είδους, ήτοι του προτέρου φωτός, δια
τών άκτίνων εστί χορηγούμενον. Τό μεν οδν πρότερον φώς αίτιον
αν ρηθήσεται και άμφοϊν ...» (Eustrate de Nicée) 60, — «To δε τρίτον
εκ του πρώτου δια τών άκτίνων εστί χορηγούμενον, και ε'ιη άν τό
πρώτον αίτιον καΐ άμφοϊν» (Nicétas de Maronée) 61.
Après quoi, on constate que «le soleil est une hypostase composée» :
«Και ό μεν ήλιος μία εστίν ύπόστασις σύνθετος εκ δύο τω λόγω
διαφερόντων συγκειμένη πραγμάτων, ως ύλης μέν του σώματος,
είδους δε του φωτός, εκεί δε άνάπαλιν; μίαν μεν την φύσιν

54. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 69-70.


55. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 51-52.
56. Ibid., p. 51.
57. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 70.
58. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 51.
59. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 70.
60. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 51-52.
61. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 70.
UNE SOURCE MÉCONNUE 239

όμολογουμεν, τάς δε υποστάσεις τρεις, θεωρουμένην έκάστην καθ'


έαυτήν» 62, — «Και ό μεν ήλιος μία έστιν ύπόστασις σύνθετος εκ δύο
διαφερόντων πραγμάτων ύλης και ε'ίδους συγκειμένη· εκεί δε μία μεν
ή
καθ' φύσις,
έαυτήν...»
αί63. La
δε phrase
υποστάσεις
suivante chez
τρεις,
Eustrateεκάστη
ressembleθεωρούμενη
à une objec
tiondu «Grec» du deuxième Dialogue de Nicétas : «"Επειτα δε ει διά
μέσου του Υίου την εις τον Πατέρα δώσομεν άναγωγην της προόδου
του Πνεύματος, ... εσται προσεχώς ό Υϊδς του Πνεύματος α'ιτιος, διά
δέ μέσου αύτοϋ ό Πατήρ, και ούτως υφεσις έ£ ανάγκης τω άγίω
Πνεύματι εψεται ... καΐ οΰτως Εύνόμιος χώραν εξει ...» (Eustrate) M, —
«Ει οδν ό Πατήρ μεν διά μέσου του Υίου το Πνεύμα προβαλλόμενος,
... ε'ιη άν ό μεν Υίος προσεχές του Πνεύματος α'ιτιον, ... και ούτω δέ
πάλιν άκολουθήσεται υφεσις τω Υίω μεν προς τον Πατέρα, τω
Πνεύματι δέ προς τον Υίόν καΐ εξει και οΰτως χώραν "Αρειος και
Εύνόμιος και Μακεδόνιος καΐ Άπολινάριος» (Nicétas) 65.
On constate que l'exemple montre plutôt l'unité et les différences
dans la Trinité que la génération du Fils et la procession de l'Esprit : «Ει
μεν οδν ενωσιν και διάκρισιν, οίκεΐον άν ό ήλιος φανείη υπόδειγμα,
ώς έπινοία μεν οϋσης της διακρίσεως, πράγματι δέ της ενώσεως
ενταύθα κάκεϊ. Κατά δέ το γενναν και προβάλλεσθαι και πάντη άν
δόξειεν άνοίκειον, ώς ου γεννώντος του υποκειμένου το είδος,
αλλά του ταυτουποκειμένου τε και υποδεχόμενου αυτό» 66, — «Εις
μεν οδν ενωσιν και διάκρισιν οίκεΐον άν ό ήλιος φανείη υπόδειγμα,
ώς έπινοία μεν οΰσης της διακρίσεως ενταύθα κάκεϊ. Κατά δέ το
γενναν και προβάλλεσθαι και πάντη άν δόξαι άνοίκειον, ώς ου
γεννώντος του υποκειμένου το είδος, αλλά υποκειμένου μόνον και
έχοντος μάλλον αυτό» 67.
Une telle constatation est suivie dans le traité d'Eustrate par un
curieux passage où il affirme que c'est le père, et non la mère, qui est le
véritable géniteur de l'enfant68. Il remarque que les comparaisons doi
vent concerner les ressemblances et non les différences entre les objets
comparés : «Ού δει ούν τάς παραθέσεις ποιεϊσθαι άφ' ών διαφέρει
τά υποδείγματα τών προς "α λαμβάνεται, άλλ'άφ" ών
παρωμοίωται» 69. Cette affirmation est reproduite par Nicétas de
Maronée, juste après ses raisonnements à propos de l'exemple du soleil :
«Ού δει γοΰν τάς παραθέσεις ποιεϊσθαι άφ' ών διαφέρει τά
άλλ' άφ'
υποδείγματα τών προς α λαμβάνεται, ώνπερ ώμοίωται» 70.
62. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 52.
63. Nicétas de Maronée, Λόγος δ", Bessarione 1914, p. 70.
64. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 52.
65. Nicétas de Maronée, Λόγος β', Bessarione 1912, p. 100.
66. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 52.
67. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 70.
68. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 52-53.
69. Ibid., p. 53.
70. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 70. Selon le manuscrit Laur.
gr. 37ων
«άφ' (l'un
παρωμοίωται»,
des deux manuscrits
— exactement
qui ont comme
conservédans
cettele œuvre),
traité d'Eustrate.
les derniers mots se lisent
240 ALEXEI BARMINE

Dans les deux œuvres, les auteurs analysent ensuite les avantages de
l'autre analogie — celle de la raison, de la parole et de l'esprit : «Ει δε
Οεί καΐ άντιθεϊναι υπόδειγμα ύποδείγματι, σκεπτέον ει έχει καλώς
το έπιφερόμενον. νους ε'ιρηται ό Πατήρ- Λόγος ό Υιός· Πνεύμα το
Πνεύμα το αγιον»71, — «Ει Οέ δει και άντιθεϊναι υπόδειγμα
ύποδείγματι, εκείνο αν εΐη προσφυέστερον και καταλληλότερον.
Νους ε'ιρηται ό Πατήρ· Λόγος ό Υιός- Πνεύμα το Πνεύμα το
αγιον ... »72. *
«"Iv'
Les deux textes sont pratiquement identiques
δι' : ωσπερ εν ήμϊν ό
νους έστιν ό τον λόγον γεννών, οδπερ εαυτόν παρίστησιν
άπαράλλακτον, και το πνεύμα πρόεισιν εξ αύτοΰ τρόπον δή τίνα
κατά την έκφώνησιν, ούτω πως ώς ενι παρασταίη και ή τών θείων
υποστάσεων δήλωσις. Ώς οδν έχει τούτων κατά την γέννησιν τε
και πρόεσιν, οΰτως εζει και ύπ' εκείνων. Σκόπει τοίνυν εν τω
γεννασθαι τον λόγον άπδ του voö αμα και το πνεύμα πρόεισιν, ούκ
έκ του λόγου προϊόν προσεχώς, δια δε μέσου αύτου και έκ του νου,
άλλ'
ενα καΐ τον αύτδν έκείνω έχον α'ιτιον, παρ' οδ ό μέν γεννάται,
το δε προβάλλεται» 73, — <<"Ιν' ώσπερ εν ήμΐν ό νους έστιν ό τον
λόγον γεννών, δι' οδπερ εαυτόν παρίστησιν άπαράλλακτον, και το
πνεύμα πρόεισί πως έζ αύτου κατά την έκφώνησιν, οΰτω πως ώς
ενι παρασταίη καί ή τών θείων υποστάσεων δήλωσις. ώς οδν έχει
επί τούτων κατά την γέννησιν τε και πρόεσιν, ούτως εξει καί έπ'
εκείνων. Σκόπει τοίνυν · εν τω γεννασθαι τον λόγον άπδ του νου,
αμα και το πνεύμα πρόεισιν, ούκ έκ του λόγου μέν προσεχώς, δια
μέσου δε αύτου και έκ του νου* άλλ' εν καί το αύτο τώ λόγω έχον
αίτιον παρ' οδ ό μέν γεννάται, το δε προβάλλεται» 74. Avec la même
acribie, Nicétas reproduit les trois phrases suivantes d'Eustrate selon les
quelles cet exemple montre que l'Esprit procède par le Fils, mais non du
Fils. Ensuite, il omet dans son quatrième Dialogue quelques considéra
tions d'Eustrate où celui-ci affirme que la procession médiate de l'Esprit
à partir du Père entraîne son abaissement par rapport aux autres per
sonnes divines 75 et fait de lui un «petit-fils» du Père.
Les deux textes se retrouvent de nouveau presque identiques quand on
revient à l'exemple précédent et qu'on se demande ce que l'on doit com
prendre par le «soleil» : le disque, la lumière ou tous les deux ? «...
ερωτώ, τίνα φασίν ηλιον οί τον λόγον είσάγοντες· Πότερον τον
δίσκον το φως η τό συνάμφω. Άλλα τον μέν δίσκον ψευδός
ειπείν»76, — «'Ερωτώ γαρ τίνα ύμεΐς φατέ ηλιον, πότερον τον

71. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 53.


72. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 70.
73. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 53-54.
74. Nicétas de Maronée, Λόγος Ô', Bessarione 1914, p. 70-71. Laur. gr. 35 est de nou
veau plus proche du texte d'Eustrate, quand il met dans la dernière phrase «προϊόν» avant
«προσεχώς».
75. Cette idée est reprise dans le deuxième Dialogue de Nicétas de Maronée : Νικήτας
του Μαρώνειας, Λόγος β', Bessarione 1912, p. 100.
76. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 55.
UNE SOURCE MÉCONNUE 24 1

δίσκον, το φως η το συναμφότερον, άλλα τον μεν δίσκον ψευδός


ειπείν»77. Les deux auteurs rejettent unanimement et par les mêmes
paroles la première possibilité parce que la matière (le disque solaire) ne
peut jamais être l'essence d'un objet, mais Nicétas s'abstient des réfé
rences au psaume 18 et à Grégoire de Nazianze, faites par Eustrate78.
Ainsi, l'exemple semble désapprouver la théologie latine : «'Όσθ'
οπόταν λέγωμεν εκ του ηλίου γεννασθαι τας ακτίνας, ουκ εκ του
δίσκου τουτό φαμεν, άλλ' η άπό του φωτός η άπό του
συναμφοτέρου, κάκ τούτο κατά το φως ώς εΐναι αμφότερα τάς
ακτίνας τε και την ελλαμψιν εκ μιας άρχης του ηλίου, λέγεσθαι δε
ορθώς την ελλαμψιν εκ μιας άρχης του ηλίου δια τών άκτίνων
χορεγεΐσθαι, άλλ ούχι και εκ τών άκτίνων» 79, — «'Όσθ' οπόταν
λέγωμεν έκ του ηλίου γεννασθαι τάς ακτίνας, ούκ εκ του δίσκου
άλλ'
τουτό φαμεν, η άπο του φωτός, η άπο του δλου, ήτοι του
συναμφοτέρου, και έκ τούτου και το φώς, ώς είναι αμφότερα έκ
του ηλίου, τάς ακτίνας τε και την ελλαμψιν, λέγεσθαι δε ορθώς την
ελλαμψιν έκ του ηλίου δια τών άκτίνων χορηγεϊσθαι, ου μην και έκ
τών άκτίνων» 80. De la même façon, dit-on, l'Esprit procède du Père par
le Fils.
Les coïncidences verbales témoignent d'un lien étroit entre les œuvres
d'Eustrate et de Nicétas. Il semble improbable que tous les deux s'inspi
rent d'une source commune, indépendamment l'un de l'autre, pour la
simple raison que cette «source commune» supposée ne se laisse pas
identifier parmi les œuvres trinitaires antilatines de l'époque précédente.
En fait, avant qu'Eustrate de Nicée et ses compagnons n'en discutent
publiquement avec Pierre Grossolane, la question du filioque n'a été sou
levée sérieusement que par le patriarche Photius au 9e siècle, puis
Théophylacte d'Ochride au tournant des lle-12e siècles ; leurs œuvres ne
contiennent pas les coïncidences retrouvées chez Eustrate de Nicée et
Nicétas de Maronée. Les autres polémistes byzantins, antérieurs à ces
deux auteurs, se limitent plutôt à des déclarations communes et pour
cette raison n'entrent pas en ligne de compte 81.
Il est difficile de fixer une date aux Chapitres syllogistiques, consacrés
au même problème et attribués dans le manuscrit Monac. 229 à Nicétas
de Byzance 82, qui était actif au 9e siècle et connu par ses traités polé-

77. Nicétas de Maronée, Λόγος δ', Bessarione 1914, p. 71.


78. Eustrate de Nicée, Λόγος πρώτος, ρ. 55.
79. Ibid., p. 56.
80. Nicétas de Maronée, Λόγος δ", Bessarione 1914, p. 72.
81. C'est ainsi qu'agissaient Léon de Pereyaslavl (Προς 'Ρωμαίους ήτοι Λατίνους
περί τών άζύμων, éd. Α. C. Pavlov, KpnrmecKwe ojihtu no hctophh Mpeeeüuieit
rpeKo-pyccKOH noneMweu ηροτιΐΒ na.rnHfiH, Saint-Pétersbourg 1878, col. 131-132, et
Jean de Russie ('Επιστολή προς Κλήμεντα πάπαν της πρεσβυτέρας 'Ρώμης, ibidem,
col. 184-186), dont les passages correspondants ne sont que très superficiels.
82. Κεφάλαια συλλογιστικά, J. Hergenroether, Monumenta graeca ad Photiam
eiusque historiam pertinentia, Ratisbonne 1869, p. 84-138.
242 ALEXEI BARMINE

miques contre l'Islam83. L. Allatius tenait les Chapitres syllogistiques


pour une œuvre du tournant des 11e- 12e siècles84; en fait, quelques
considérations semblent appuyer la datation tardive de ce traité 85. Les
analogies triadologiques de la raison, du soleil et d'Adam, qui se rencont
rent également dans les Dialogues de Nicétas de Maronée, y sont fo
rmulées de façon différente et ne servent que dans des buts «antifilio-
quistes» 86. Les passages communs à Eustrate de Nicée et Nicétas de
Maronée manquent dans les Chapitres syllogistiques.
La possibilité de l'existence d'un chaînon intermédiaire entre les
œuvres d'Eustrate et de Nicétas est de même pratiquement exclue. En
fait, à leur époque, il ne se trouve pas beaucoup de personnes capables
d'assumer cette fonction. Nicolas de Méthone, actif dans la polémique
antilatine vers le milieu du 12e siècle, pourrait être plutôt un cadet de
Nicétas de Maronée que son aîné. En outre, les coïncidences indiquées
ci-dessus entre les Dialogues de Nicétas et les écrits d'Eustrate de Nicée
ne se vérifient pas dans les œuvres polémiques de l'archevêque de
Méthone sur lefilioque, à savoir dans ses Accusations, divisées par cha
pitres, ses Mémoires ( Απομνημονεύματα), et son Traité aux Latins sur
la procession du Saint-Esprit 87. Ainsi, tout porte à croire que Nicétas de
Maronée a emprunté directement quelques idées et certaines images au
traité d'Eustrate de Nicée. Il n'a pas eu de scrupules à le faire, bien
qu'Eustrate eût été excommunié par l'Église byzantine à cause de sa
doctrine christologique 88, et que leurs positions triadologiques fussent
contraires.
En outre, on peut noter que le premier véritable défenseur byzantin de
la doctrine du filioque, à savoir Nicétas de Maronée, de par son éducat
ionétait enraciné exclusivement dans son sol natal 89. Celui qui fut un

83. PG 105, col. 588-841 ; A. Th. Khoury, Les théologiens byzantins et l'Islam,
Louvain-Paris 1969, p. 110-162.
84. L. Allatius, De ecclesiae orientalis ac occidentalis perpétua consensione,
Coloniae Agrippinae 1648, p. 631.
85. Une remarque, qui suit le texte du traité et selon laquelle Nicétas aurait vécu «au
temps du basileus Michel, fils de Théophile, jusqu'au règne de Léon le Sage», n'est pas
du tout typique de la littérature polémique, où des explications de ce genre ne se rencont
rentplus. Cette information peut provenir des titres de deux œuvres authentiques de
Nicétas de Byzance, adressées à «l'empereur Michel, fils de Théophile» (PG 105,
col. 807, 821) d'où le scribe ou l'auteur des Chapitres syllogistiques l'aurait empruntée.
86. Κεφάλαια συλλογιστικά, ρ. 92, 99, 100.
87. Dans le dernier de ces traités, quelques analogies de la Sainte Trinité sont évo
quées. Parmi elles, on ne trouve pas partout l'exemple du soleil ; l'exemple de la source
est présent là, mais il prend une autre forme chez Nicétas de Maronée (Nicolas de
Méthone, Προς λατίνους περί τοΰ Άγιου Πνεύματος 'ότι εκ τοΰ Πατρός ού μην και
εκ του Υίοΰ εκπορεύεται, Κ. Simônidès, 'Ορθοδόξων ελλήνων θεολογικοί γραφαι
τέσσαρες, L. 1859, ρ. 36). Comme celui-ci, Nicolas de Méthone évoquait l'analogie de la
raison.
88. Les anathèmes contre Eustrate de Nicée : J. Gouillard, Le synodikon de l'ortho
doxie, TM2, 1967, p. 68-712.
89. Un dominicain byzantin aux 13e- 14e siècles, Frère Simon le Constantinopolitain,
qui a, lui aussi, activement participé à la discussion pneumatologique, représente dans ce
UNE SOURCE MECONNUE 243

des meilleurs connaisseurs des Pères grecs de tout le 12e siècle byzantin
ignorait complètement la théologie latine, patristique et médiévale. Cette
constatation pourrait expliquer la réaction négative contre ses Dialogues
de la part de Hugues Éthérien 90, qui pouvait lire les œuvres des Pères de
l'Église dans les deux langues. Aussi étrange soit-il, le premier défenseur
grec de la doctrine de la procession de l'Esprit saint du Père et du Fils ne
s'intéressait pas à la manière dont ce dogme a été argumenté par ses
créateurs et partisans avant lui.

Alexei Barmine

sens un cas analogue (cf. M -H. Congourdeau, REB 45, 1987, p. 169-170. Je saisis l'occa
sionpour remercier Madame Congourdeau de son aide dans la rédaction du présent
article).
90. PL 202, col. 388-396.

Anda mungkin juga menyukai