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REVUE BIBLIQUE
Typographie Firmin-Didot et C''. — Paris.
VIXGT-NEUYIÈ.ME ANNÉE TOME XXIX

REVUE BIBLIQUE
PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE D'ETUDES BIBLIQUES

ETABLIE Alj COUVENT DOMINICAIN SVIM-ETIENNE DE JERUSALEM

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA, ÉDITEUR

RUE BONAPARTE, 90

1920

OCT 1 7 1959
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES
{suite) (1)

III

Progrès et développement de l'âme juive.

Immense a été l'influence de la parole et du livre d'Ézéchiel sur


la formation de l'àme juive; on a fréquemment proclamé et à bon
droit qu'il marque un point tournant dans le développement de la
vie religieuse d'Israël.
Cette influence toutefois s'exerça par manière de transformation
intime plutôt qu'elle n'aboutit à provoquer des attitudes et des mou-
vements extérieurs. Il était réservé à un autre livre de produire ces
résultats d'action immédiate. On peut le dire sans hésiter c'est la :

seconde partie du livre d'Isaïe qui contribua le plus efficacement à


secouer les âmes fidèles de l'exil, à les lancer, malgré leurs répu-
gnances et la prévision justifiée des plus graves difficultés, vers la
grande œuvre de la restauration. Ce furent les magnifiques pers-
pectives découvertes en ces visions sublimes qui les relevèrent de la
dépression produite par la prolongation et les rigueurs croissantes
de l'exil; qui leur firent comprendre que l'heure était arrivée d'inau-
gurer, par le rétablissement de Jérusalem, les temps nouveaux et
l'ère du salut. De toute nécessité, nous devons essayer de comprendre

ce dernier mot de Dieu aux Israélites sur la terre de captivité.


Mais c'est seulement d'une façon lointaine que ces messages gran-
dioses contribuèrent aux transformations auxquelles déjà nous avons
fait allusion. D'autres facteurs furent d'une efficacité plus directe. Une
note dominé les autres dans l'âme des Juifs presque aussitôt après
leur retour en leur pays note de déception, de découragement pro-
:

fonds. Et si l'on veut en chercher les causes, on s'arrête aussitôt à


deux des plus apparentes. D'abord la conscience de l'insuccès. Rien

(1) Cf. Revue Biblique, 1916, p. 299-341; 1917, p. 54-137, 451-488j 1918, p. 336-402;
1919, p. 5-88.
6 REVUE BIBLIQUE.

de ce qu'on avait cru lire dans les brillantes prophéties du livre


divia ne semble se réaliser. On croyait pouvoir rêver de bonheur
immédiat, et c'est la détresse; de restauration brillante, et ce sont
les recommencements les plus mesquins. C'est, en second lieu, le
heurt avec ces Juifs demeurés en Palestine, dont sans doute les exilés
n'ignoraient pas les tares, mais qu'ils se croyaient de force à convertir
et à entraîner par la contagion de l'exemple et de l'enthousiasme.
Il faudra nous rendre compte de la nature et de l'efficacité de ces
causes de désillusion.
C'est alors qu'après avoir analysé les circonstances qui allaient
rendre si difficile, voire arrêter pour un temps, l'œuvre entreprise,
nous pourrons envisager et rapidement saisir la manière dont ces
âmes, soutenues parla force de Dieu et la parole prophétique, s'appli-
quèrent à réagir contre des sentiments qui risquaient de les détacher
de leur œuvre, et finirent par considérer cette dernière en un contexte
tout nouveau.
Nous les verrons d'abord s'attacher, avec une foi invincible et
malgré toutes les apparences contraires, aux espérances annoncées
par les anciens voyants et confirmées par ceux qui leur succédaient
dans la prédication du salut.
Nous verrons ensuite comment, impuissantes à agir efficacement
sur la masse des Juifs de Palestine, elles furent amenées à se grouper
en vue d'une action indépendante et à cimenter leur union par un
zèle commun pour l'observation de la Loi.

V Influence d'Is., XL-LV sur rame des exilés.

I. — La deuxième partie du livre d'Isaïe débute par une sorte de


vision (1) inaugurale ou mieux d'appel de Yahweh; on se souviendra
qu'un appel semblable prend place au commencement de la seconde
phase du ministère d'Ézéchiel (2). Des voix se font entendre dans le
ciel (3). Elles ne viennent pas de Dieu à proprement parler, puis-
qu'elles parlent de Yahweh à la 3' pers., et qu'elles disent « notre
Dieu (4 i )) ; ce sont sans doute des voix angéliques, parties de la cour
et de l'entourage du Très-Haut. Elles s'adressent d'abord, semble-t-il,

;i; Is., XL, 1-11. — (2; Ei., xxim, 1-20. — (3) ls„ xl. 3, (j. — (4, Is., xl, 3.
L'AME JLIVE AU TEMPS DES PERSES. 1

à un groupe d'auditeurs (1), qui pourraient bien être les prophètes


en général; mais le contexte (2) montre Inentôt qu'elles visent un
destinataire particulier, le voyant dont le noble langage va si digne-
ment les interpréter. Le message qu'elles proclament résume, en un
heureux raccourci, toutes les perspectives qui se feront jour dans la
suite de cette section. Voix consolatrices avant tout (3), elles annoncent
le salut et la délivrance. Yalnveh va paraître en gloire à la tête de

son peuple, pour reprendre le chemin de la Palestine; le moment est


venu de lui préparer, ainsi qu'on fait en Orient aux cortèges prin-
ciers, une voie triomphale au travers des déserts et parmi les régions
mouvementées (4). Dès l'abord, une telle prophétie parait surpre-
nante, irréalisable. Aussi les voix reprennent-elles pour proclamer
que, si tout ici-bas, même ce qu'il y a de plus puissant, est éphémère
comme le gazon de la prairie, la parole de Yahweh « notre Dieu »
— le Dieu d'Israël —
les prédictions qu'il a faites jadis, promettant
,

le salut après le châtiment, demeurent à jamais (5).

Fort de cette annonce et de cet argument, le prophète peut adresser


au peuple les paroles les plus réconfortantes. Il peut déclarer à .léru-
salem, qui représente la nation tout entière, que sa servitude est
finie et son iniquité pardonnée (6) prenant la contre-partie d'une ;

menace de Jérémie (7, il lui va signifier qu'elle a reçu le double


pour ses péchés (8). D'un mot, l'exil, peine terrible de la faute natio-
nale, est achevé. Cette parole s'adresse, d'une manière générale, au
peuple tout entier, à la fraction de la terre étrangère et à celle de
Palestine; mais son contenu est en rapport plus immédiat avec les
préoccupations de ceux qui vivent en Ghaldée. En faveur des Pales-

(1) Is., XL, 9'. La formule nbl ^^''^.^ ^l^ï rilU^G ^i}"^'^'^/ 'T!'--i""l'"!
^'-^

oSyT^I'i mi^'^D TjSip n'est pas sans présenter quelque difficulté. C'est à raison de l'em-

ploi du féminin. Deux traductions sont grammaticalement possibles. On peut prendre


Sion et Jérusalem comme des vocatifs qualifiés par le participe féminin : « Monte sur une
montagne élevée, ô Sion,, messagère de bonne nouvelle ;
élève avec force ta voix, ô Jéru-
salem, messagère de bonne nouvelle. Dans cette hypothèse, Sion recevait sans doute la
»

mission d'annoncer la bonne nouvelle aux cités de Juda (cf. Q"-). Mais il ne semble pas
que cette distinction entre dépendantes soit indiquée et motivée
la capitale et les villes
par le contexte et, monter sur une hauteur apparaît, quand
d'autre part, linvitation à
elle s'adresse à Jérusalem, comme une prosopopée un peu bizarre. On préfère généralement
voir dans Jérusalem et Sion des compléments du participe « Monte sur une montagne :

élevée, messagère favorable pour Sion, élève la voix avec force, messagère favorable pour
Jérusalem. » Le sens est alors très clair. Quant au féminin, il doit probablement équivaloir
à un collectif (D''1"û''!2D)- Le féminin a assez souvent ce sens collectif; mais, Is., xii, 27,

et LU, 7, le masculin lui-même (lt.'2Gl parait, d'après le contexte, avoir ce sens.

(2) Is., XL, 12 sv. — (3) Is., XL, 1. — (4)Is., xl, 3-5. —(5) Is., XL, 6-8.

(6) Is., XL, 2'. — (7) Jer., XVI, 18, — (8) Is., xl, 2''.
8 REVUE BIBLIQUE.

tiniens, le prophète a aussi des oracles capables de les intéresser


directement. Il convie toute une armée de messagers joyeux à se poster

sur une montagne, prêts à porter à Jérusalem la bonne nouvelle; dès


qu'ils apercevront le cortège triomphal, ils crieront aux cités de
Juda « Voici votre Dieu (1) ». Et, reprenant la parole, le voyant
:

nous dépeint ce Dieu, Yahweh, alternativement sous les traits d'un


monarcfue puissant, tenant en main le sceptre du commandement,
fier de la victoire dont il ramène les trophées, et sous ceux du bon

pasteur plein de sollicitude pour ses brebis (2i.


Tout le message dis., xl-lv est résumé dans cette vision. D'une
part, la consolation aux e.xilés (3). De l'autre, les brillantes perspec-
tives découvertes au regard de Jérusalem (i Le tout dominé par la .

préoccupation de mettre en relief la puissance que Dieu tient à


sa disposition pour accomplir une œuvre à la fois si grande et si
difficile (5).

II. — C'est ce dernier point qu'il nous faut d'abord prendre en


considération, en nous rendant compte des circonstances qui néces-
sitaient de si fréquents retours sur la force divine.
Or une impression qui se dégage de la seconde partie du
il est

livre d'Isaïe plus encore que des oracles d'Ézéchiel c'est celle du :

découragement des exilés. Nous l'avons déjà remarqué si, dans le :

petit cercle où elles furent reçues avec docilité, les visions du fils de
Buzi réussirent à bannir des âmes le noir pessimisme, leur influence
ne fut pas de longue durée. A l'heure que visent les oracles qui nous
occupent, il avait de nouveau et très profondément envahi les esprits.
Les circoQstances, on a de bonnes raisons de le croire, étaient
devenues, lorsque l'empire babylonien touchait à son terme, plus
défavorables aux captifs pillés et dépouillés sans que personne inter-
:

vienne en leur faveur, on nous les montre enchaînés dans les


cavernes, enfermés dans les cachots (6). S'ajoutant au fait même de
de la prolongation de l'exil, ces circonstances peuvent compter parmi
les causes les plus efficacesde la dépression à laquelle tant de fois les
textes font allusion. Les destinataires du prophète sont en proie à la
crainte et à plusieurs reprises il s'efforcera de la dissiper (7) ils sont ;

dominés par la terreur que leur inspirent des hommes qui vont
mourir, des fils d'hommes qui passeront comme l'herbe; ils tremblent
devant la fureur des tyrans (8). Ils se regardent comme un faible reste

(1) IS., XL, 9. —(2) IS., XL, 10, 11.


(3) Is., XL, 1-5. —(4) Is., XL, 9. — (5) Is., XL, 6-8.

(6) Is., XLU, 22. — (7) Is., XLI, 10. 13, 14; XLUI, 1; XLIV, 2>', 8; etc. Cf. Jer., XLM, 27,

28. — (8) Is., LI. 12, 13,


LAME JLIVE AU TEMPS DES PERSES. 9

du peuple antique (1), un vermisseau impuissant et foulé à terre (2 ;

ils sont malheureux et pauvres (3), fatigués et défaillants (4).

Jérusalem, d'autre part, se plaint d'être oubliée, délaissée par son


Dieu (5). A force de se perpétuer, la misère aigrit les cœurs, y pro-

duit le désespoir, en fait jaillir des paroles presque blasphéma-


toires : « Ma voie est cachée à Yahweh et mon droit passe inaperçu
devant mon Dieu (6). » Dans de telles conditions, on est mal disposé à
entendre les paroles réconfortantes du voyant : il vient et il n'y a
personne pour l'entendre; il appelle et, malgré ses instances
réitérées, personne ne répond (7j.
Ces dispositions du peuple, tant à Jérusalem, semble-t-il, que sur
la terre d'exil, expliquent la force avec laquelle le voyant va procla-
mer son message en entreprendre la justification. Pour accréditer
et
la parole divine, il va appuyer, plus qu'on ne le fait partout ailleurs
dans les discours prophétiques, sur la puissance de celui qui la
prononce; c'est dans cette section du livre d'Isaïe que s'expriment
avec le plus d'insistance la majesté, la grandeur et le pouvoir infini
de Yahweh. D'ailleurs, tout comme en Ézéchiel, la suite des idées
est des plus faciles à saisir.
Deux arguments mettent en relief cette autorité divine absolument
irrésistible l'argument de la création et du gouvernement du monde
:

et des hommes, l'argument de la prédiction.


Les autres prophètes ont surtout insisté sur l'action de Dieu dans le
gouvernement des peuples, sur la maîtrise avec laquelle il poursuit
ses desseins, non seulement en Israël, mais encore et avec autant
d'éclat parmi les nations qui se réclament d'autres protecteurs célestes.
Le voyant qui nous occupe ne laissera pas de côté cet argument,
mais c'est à un autre qu'il assure la première place. Dès le début de
la section, et en un style d'une incomparable poésie, il nous montre
Yahweh mesurant l'Océan dans le creux de sa main et l'étendue des
cieux à l'empan, mesurant au boisseau toute la poussière de la terre,
pesant les montagnes au crochet et les coUines à la balance (8) il le ;

décrit posant les fondements de la terre, étendant les cieux comme un


voile, les déployant comme une tente pour y habiter (9), créant les
étoiles et faisant marcher en ordre leurs armées ;10). Ces idées revien-
nent à maintes reprises (11) dans les oracles suivants et l'insistance
du prophète pourrait s'expliquer par le souci de prémunir les exilés

(1) Is., XU, 14; XLVI, 3. — (2) Is., XLi, 14. — (3) Is., XLI, 17. — (4) Is., XL, 29. — (5) Is.,
XLïx, 14. — (6) Is., XL, 27. — (7) [S., L, 2.

(8) Is.. XL. 12. — (9) Is., XL, 21, 22. — (10) Is., XL, 26. — (11) Is., xl, 28: XLII, 5; xuv,
24; xuv, 12, 18; XLVlii, 13; Li, 13, 15, 16.
10 REVUE BIBLIQUE.

contre la séduction du culte du ciel et des astres, si cher aux Chaldéens.


Bien plus : pour donner plus
à la façon de plusieurs psalmistes (1) et
de relief poétique à sa pensée, il n'hésite pas à emprunter des traits
aux légendes populaires des origines (2). Or, comme le prophète le
marque en ce dernier passage, la création est le signe le moins
équivoque de la puissance divine. Ne le dit-il pas aussi : si grande
est la puissance de Yahweh, si énergique sa force, qu'il peut com-
mander aux astres et s'en faire obéir (3). Lui qui est le Dieu éternel,
qui ne se fatigue ni ne se lasse, peut dès lors donner la vigueur à ceux
qui, défaillants et accablés, savent se confier à lui (4). Puissance irré-
sistible d'une part, sa main n'est pas trop courte pour délivrer et il
:

ne manque pas de force pour sauver (5); mais, d'autre part, s'il con-
damne, personne ne peut délivrer de ses coups; s'il veut agir, per-
sonne ne l'en empêche efficacement (6). Son autorité de créateur est
telle que personne ne peut discuter avec lui..., avec « celui qui l'a

formé (7) » Usant d'une personnification littéraire hardie, Yahweh


!

déclare lui-même que sa parole, une fois sortie de sa bouche, ne


revient pas à lui sans effet, sans avoir exécuté ce qu'il a voulu, ni
accompli ce pour quoi elle était envoyée (8).
C'est cette puissance même qui éclate avec une force si particulière
dans gouvernement des
le nations. Devant Yahweh, toute chair est
comme l'herbe des champs (9) ; les habitants du globe sont comme des
sauterelles (10). Le Très-Haut peut livrer au néant les puissants, réduire
à rien les juges de la terre; à peine sont-ils plantés, à peine sont-ils
semés, à peine leur tronc a-t-il pris racine en terre, qu'il souffle sur eux
et ils sèchent, et l'ouragan les emporte comme le chaume (il). Dans
leurs conflits, ce sont les nations qui s'agitent, prêtes à s'attribuer à
elles-mêmes les issues de leurs entreprises ; mais c'est Yahweh qui a
créé le forgeron qui souffle sur les charbons ardents et qui en retire
l'arme qu'il doit travailler; c'est Yahweh qui a créé le dévastateur pour
détruire (12). Et de ces principes le prophète se hâte de faire l'appli-
cation aux événements contemporains de ses destinataires. Il montre
son Dieu présidant à la ruine progressive de Babylone jusqu'à l'heure
marquée pour sa complète déchéance descendue de son trône, elle :

va s'asseoir dans la poussière; elle va quitter les délices et la volupté


de ses palais pour prendre la meule et moudre la farine; elle
sera victime des plus honteux traitements (13'i. Plus volontiers

(1) Ps. LXXIV, 13, 14; LXXXIX, 10, 11; ctc. — (2) Is., LI, 9. — (3) I:^, XL, 26. — (4) Is.,
XL, 28, 29. — (5) Is., L, 2. — (6) Is., XLiii, 13.— (7) Is., xlv, 9-11. — (8) Is., lv, 10, 11.

(9) Is. XL, 6, 1.5, 17. — (10) Is., XL, 22. — (11) Is., XL, 23, 24. — (12) Is., Liv, 16. —
(13) Is., XLVii, 1-5.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 11

encore le voyant s'arrête à la destinée merveilleuse préparée à ce


vainqueur qui doit porter le dernier coup à la capitale insolente.
Yahweh, qui appelle les générations depuis l'origine, a fait lever de
l'Orient celui dont la justice rencontre les pas ;
il lui a livré les nations,
soumis les rois. Le triomphateur passe ne lui et rien résiste; il pour-
suit les peuples et s'avance en paix par des chemins qu'il n'avait pas
foulés (1). Dieu l'a suscité du septentrion r2) et il est venu, marchant
sur les satrapes comme sur la boue, les foulant comme le potier fait

l'argile (3). De fait, il parle à Gyrus, le prend par la main droite, ter-
rassant devant lui les nations, déliant la ceinture des rois, ouvrant
les portes afin qu'elles ne lui soient pas fermées; il marche devant
lui, aplanissant les sentiers montueux, rompant les barres d'airain,
brisant les verrous de fer, livrant les richesses cachées et les trésors
secrets (4). S'il prend un si vif intérêt à la carrière de Cyrus, c'est

qu'il l'aime (5); pour son berger, pour l'exécuteur de ses


il l'a choisi
volontés (6). Bien plus, il lui a conféré un titre auguste entre tous,
un titre qui semblait réservé aux rois davidiques du passé et au grand
roi davidique de l'avenir; il l'a proclamé son Oint (7). On ne saurait
dire avec plus de clarté et de force la place que Dieu occupe dans
l'histoire et ses multiples vicissitudes.
Mais, en Dieu, cette puissance, ce souverain domaine sur la nature
et sur les hommes ne sont pas livrés à l'arbitraire, comme il arrive si

souvent chez les maîtres d'ici-bas. Ils sont animés, dirigés, réglés par
la sagesse. Car Dieu est sage. Peisonne n'est capable de diriger son
esprit, d'être son conseiller, de lui apprendre quelque chose; il n'a
besoin de tenir conseil avec personne, pour en recevoir de linstruc-
tion; personne ne lui a enseigné le sentier de la justice, appris la
sagesse, montré le chemin de l'intelligence (8). De beaucoup il dépasse
les hommes ; ni ses pensées ni ses voies ne sont les leurs autant les ;

(1) Is., XLI, 1-5; cf. XLM, 11; \L\nt, 14.

(2) Is., XLI, 25. Il n'y a pas à être surpris de ce que le prophète place le point de départ
de Cyrus, tantôt à l'Orient (Is., xli, 2) et tantôt au Septentrion (xli, 25). Il n'est pas ques-
tion ici de précision géographique et il que Cyrus était roi des
n'y a pas à se souvenir
Mèdes qui étaient au Nord par rapport à Babylone, et des Perses de l'Elam qui étaient
à l'Est. D'aucuns ont vu dans ces expressions deux désignations poétiques le Nord serait :

la région du mystère, l'Est la région de la pleine lumière (Skinnerj. Il serait peut-être plus
juste de se rappeler que, d'une part et d'une manière générale, l'empire de Cyrus était,
par rapport à Juda, dans les régions orientales: que, d'autre part, les chemins qui en
venaient aboutissaient au Nord de la Palestine; c'est dans le même sens qu'à plusieurs
reprises, les invasions assyro-liabyloniennes sont représentées comme venant du Nord
(cf. Jer., 1, 13-15).
(3) Is., XLI, 25. — (4) Is., XLv, 1-3. — (5) Is., xlviii, 14. — (6) Is., xliv, 28. — (7) Is., xlv, 1.

(8) Is., XL, 13-14.


12 REVUE BIBLIQUE.

cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant ses pensées et ses voies
dominent celles des mortels d'ici-bas (1). Aussi agit-il toujours pour
des raisons très précises; par exemple, il précipite Babylone du
si,

faite de la gloire profonde humiliation, c'est pour châtier


dans la plus

son orgueil. Irrité contre son peuple, il avait profané son héritage,
il l'avait livré aux mains desChaldéens; mais, outre que Babylone a fait

trop lourdement peser son joug sur les captifs, elle n'a pas compris
son rôle. Elle s'est enorgueillie, elle s'est crue et déclarée souveraine
à jamais; elle s'est estimée invulnérable; fière de sa force à la fois
et de sa sagesse, elle disait : « Moi et rien que moi!... » C'est pour tous
ces motifs qu'elle doit être châtiée, humiliée, que, veuve et privée
d'enfants, elle est vouée à la ruine (2). Ainsi Dieu accomplira sur elle
sa volonté et lèvera son bras contre les Chaldéens (3). Mais n'insis-
tons pas nous aurons occasion plus opportune de revenir sur les
:

fins que Yahweh poursuit en ses œuvres.


En tout cas, c'est précisément parce qu'il est à la fois sage et puis-
sant qu'il peut fixer ses plans longtemps à l'avance, les publier, en
prédisant les événements même les plus lointains, avec la certitude
de pouvoir les exécuter quand il le voudra. Babylone, elle aussi, se
flattait de connaître l'avenir. N'avait-elle pas ses sortilèges, ses enchan-

tements, auxquels elle s'était adonnée dès sa jeunesse (4)? Ne pou-


vait-elle pas consulter ses astrologues qui, mesurant le ciel, observant
les astres, faisaient à chaque nouvelle lune connaître ce qui devait
arriver (5)? Mais de tout cela elle n'a tiré aucun profit (6). Ses astro-
logues sont devenus comme le chaume destiné au feu, incapables de
sauver leur vie de la puissance de la flamme (7). C'est que Yahweh
se plaît à déjouer les présages des prophètes de mensonge, à faire
délirer les devins, reculer les sages, à changer leur science en
folie (8). En revanche il accomplit fidèlement la parole de ses servi-
îeurs et le conseil de ses envoyés (9). Ils ne sont, en effet, que les

interprètes des décrets qu'il prononce sur l'avenir. Car il a tout pou-
voir de prédire avec une absolue certitude. La preuve en est à la
portée de tous; elle est dans la carrière même de Cyrus. Depuis long-
temps, Yahweh a prédit « les premières choses », c'est-à-dire la
fortune magnifique, les brillants débuts, puis les succès de plus en
plus éclatants du héros; elles sont sorties de sa bouche, il les a pro-
clamées avant qu'elles n'arrivassent, et soudain il les a accomplies (10).

(1) Is., LV, 8, 9.


— (2) Is., XU'U, 6-lt. — (3) Is., XLViii, 14.

(4) Is., xLvii, 9, 12.


— (5) Is., XLVii, 13. — (6) Is., xLvii, 12. — (7J Is.,
xLvu, 14. — (8) Is.

XLiv, 25. — (9) Is., XLiv, 25. — (10) Is., XLviii, 3, 5, 6'.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 13

Avec la même confiance il proclame « les choses nouvelles » (1), encore


cachées, qu'Israël ne connaît ni ne peut connaître, dont il n'a rien
entendu, ni rien su, dont rien n'est arrivé à ses oreilles, parce que
c'est maintenant seulement que la parole toute-puissante les crée,
les amène à l'existence (2). L'exactitude avec laquelle les anciennes
prophéties se réalisent est le gage de l'accomplissement assuré des
oracles nouveaux C'est pourquoi Yahweh parle si ouvertement,
3).

dit ce qui est juste, annonce la vérité (i).


Telle est la rigoureuse argumentation à l'aide de laquelle, mettant
en plein relief la grandeur de Yahweh, le voyant se prépare à assurer
à la parole divine un irrésistible crédit. Toutefois le trait le plus
décisif n'est pas encore lancé. Pour en comprendre la force, n'ou-
blions pas que nous sommes à une époque de polythéisme vivace,
dont les perspectives mesquines mesurent la puissance relative des
dieux cà la grandeur des empires qu'ils gouvernent, à la sûreté
et à l'efficacité de leurs intervenfions lorsque des conflits se produi-
sent entre leurs protégés et les autres peuples. Dès lors on peut se
faire une idée de l'emphase avec laquelle les Chaldéens parlaient
des dieux de Babylone. Héritiers respectueux de très vieilles traditions,
Nabuchodonosor et ses successeurs entassaient, au début de leurs
inscriptions, les attributs et qualificatifs destinés à exalter la gran-
deur de Bel et de Marduck; toutes leurs victoires, toutes leurs cons-
tructions devenaient occasion de glorifier ceux dont ils professaient
n'être que les représentants et les vicaires. Qu'il devait paraître petit
à leurs yeux et à ceux de leurs sujets, le Dieu de ce misérable peuple

(1) Il n'y a pas unanimité sur l'interprétation des textes concernant les « premières
choses » et les « dernières choses ». Au regard de beaucoup d'exégètes, les « premières
choses », annoncées elles-mêmes dans Is., xl sv., concerneraient les premières étapes de
la carrière de Cyrus, et seraient considérées comme déjà réalisées au moment que le
prophète a en vue quand il annonce les « dernières choses » ou « choses nouvelles » ;

celles-ci seraient l'ensemble des faits qui se rattachent plus précisément à la chute de
Babylone et à la délivrance des exilés. —
Pour le P. Condamin, les « premières choses »
résumeraient toute la carrière de Cyrus, et les prophéties concernant les choses nouvelles
se rapporteraient très spécialement à l'œuvre du Serviteur de Yahweh. — En revanche,
d'après M. van Hoonacker, les prédictions anciennes sont celles que Yahweh fit par les
prophètes d'autrefois; les prophéties nouvelles, qui commenceraient dès Is., xl, seraient
celles que le voyant fait le salut à procurer par Cyrus. Le problème est
entendre touchant
complexe. Si l'on première opinion, qui ne va pas sans difficultés, il faudrait
admettait la
entendre par « dernières choses « les phases diverses de cette œuvre qui, commençant avec

la délivrance du joug babylonien, aboutit à l'activité merveilleuse du Serviteur de Yahweh.


— Sur ce problème, cf. A. Condamin, Les prédictions nouvelles du chapitre XL] III
d'Isaie dans Revue Biblique, 1910, p. 200-216; A. Van Hoonacker, Questions de critique
littéraire et d'exégèse touchant les chapitres XL ss. d'Isaie, dans Revue Biblique, 1910,
p. 557-572; 1911, p. 107-114, 279-285.
(2) Is., XLViii, 6S 7", 8'. — (3) Is., XLii, 9. — (4) Is., XLV, 19.
U REVUE BIBLIQUE.

de Juda, pas assez riche pour se meubler un imposant panthéon!


Qu il devait paraître digne de dédain le Dieu qui avait laissé envahir
son pays et déporter la meilleure part des habitants ! Il était à
craindre, nous lavons dit, que, plus ou moins accessibles aux préjugés
du miheu dans lequel ils vivaient, c'est-à-dire, en somme, à des
idées qui se rattachaient au vieux fonds des conceptions sémitiques,
les Juifs eux-mêmes, subissant le prestige des cultes somptueux de
Chaldée, ne se sentissent en même temps humiliés à la vue de l'aban-
don dans lequel Yahweh semblait les laisser. Aussi, par la bouche

du sublime voyant, Yahweh n'hésite-t-il pas à engag"er la lutte avec


les dieux tant vantés que l'on honore en de pompeuses panégyries,
A qui donc oserait-on le comparer et quelle image pourrait-on faire
qui lui ressemble (l)?Déjà, par cette simple question, un abime est
créé entre le Dieu invisible qu'il est interdit de représenter par un
emblème quelconque, et la multitude de ces divinités que l'on
incarne dans les symboles les plus variés, les plus banals, parfois
les plus grossiers. Mais le prophète ne s'en tient pas là. Les argu-
ments de puissance et de prédiction qui, considérés en eux-mêmes,
apparaissaient si éloquents, vont devenir le point de départ de com-
paraisons qui en accentueront encore la force victorieuse; Yahweh
va s'en servir pour engager la lutte avec les idoles. S'agit-il de puis-
sance? Que les dieux, s'ils veulent conserver leurs titres, présentent
leur cause et produisent leurs raisons. On ne leur demande qu'une
seule chose : qu'ils fassent du bien ou du mal, afin qu'on le voie et
l'admire (2). Oseraient-ils prétendre, eux, qu'ils ont suscité Cyrus,
qu'ils lui ont livré les peuples (3)?... Mais c'est l'argument de prédiction
qu'en ce contexte le prophète développe le plus volontiers. Il y revient
à maintes reprises. Que, pour la justification de leurs prétentions, les
idoles déclarent ce qui doit arriver! Qu'elles rappellent quelles choses
anciennes elles ont prédites, afin qu'on s'applique à en constater la
réalisation!Qu'elles en annoncent de nouvelles! Alors on saura
qu'elles sont vraiment des dieux (ï). Yahweh, lui, a fait ses preuves.
C'est lui qui, dès le commencement, a fait connaître la brillante
carrière de Cyrus. Le premier, il a dit à Sion : Les voici, les voici;
le premier, il annonce la bonne nouvelle à Jérusalem (5). Or il a
beau regarder; aucun dieu des nations qui se présente pour établir
ses titres, pas un conseiller que l'on puisse interroger et qui
réponde (6). Non; aucun dieu n'a parlé comme lui depuis qu'il a

(1) Is., XL, 18. — (2) Is., XLi, 21, 23''. — (3) Is., XLi, 1, 2. — (4) Is., \u, 22. — (5) Is.,

XLI, 26% 27. — (6) Is., XU, 26\ 28,


LAME JLIVE AL TEMPS DES PERSES. lîj

fondé riiunianité des jours anciens; aucun n'ose revendiquer des


prédictions authentiques (1). Mais cette discussion avec les idoles,
Yahweh entend quelle soit éclatante. Ici il convoque les iles (2), il

appelle ensemble les réchappes des Gentils (3), les invitant au silence
pour qu'ils entendent plus clairement le débat. Là, c'est au peuple
choisi qu'il s'adresse pour lui faire prononcer la sentence ( 4). Ailleurs
un même appel unit Israël et les nations (5). C'est sans doute avec
cette arrière-pensée que le débat qui s'institue entre Yahweh et les

idoles intéresse à la fois Israël et les païens, avec cette conviction


que, malgré son aveuglement, Israël est le meilleur témoin des faits

sur lesquels Yalnveh veut s'appuyer: aussi bien n'est-ce pas de for-
tifier la foi d'Israël qu'il s'agit avant tout? Or c'est toujours la question
des prédictions qui revient Quand, en particulier, il s'agit des
(6).
prédictions anciennes, qui, mieux qu'Israël, peut être invoqué comme
témoin de leur existence et de leur accomplissement 7) ? N'en a-t-il 1

pas été le seul dépositaire Et de toutes ces argumentations la conclu-


.^

sion est toujours la même : les idoles n'ont rien fait de pareil; cest
Yahweh et Vah^veh seul. Seul il a annoncé, seul il a sauvé, seul il a
prédit, et non un dieu étranger parmi eux Yah^ eh parle et
(8). Seul
accomplit, décide et exécute, dès le commencement annonce la fin
et longtemps à l'avance ce qui n'est pas encore. Lui seul peut dire :

« Mon dessein subsistera et je ferai toute ma volonté (9). » Lui seul, -

après avoir parlé, peut présider en maître à la réalisation de ses


décrets (10).
Mais le voyant et Yahweh dont il est le messager (il) visent à une
autre conclusion. La discussion met en relief, non seulement la puis-
sance divine, mais cette transcendance qui, élevant Yahweh infini-
ment au-dessus de l'idole, justifie la prétention qu'il a d'être le seul
Dieu. Dans son immutabilité et selon que son nom même l'indique, il

est, lui Yahweh, le premier, et il est avec les derniers (12 ; il est le
premier, il est aussi le dernier ,13); avant lui aucun dieu n'a été formé
et il n'y en aura pas après lui (U) c'est lui qui est Yahweh, lui qui
;

est Dieu — c'est tout un, — et pour jamais il 5) pas de sauveur


il l'est ;

en dehors de lui (16j; pas d'autre rocher que lui (17); il est Yahweh
et il n'y en a pas d'autre (18) ; il est le Dieu juste et il n'y a pas d'autre

(I) Is., XLiv, 7. — (2) Is., XLi, 1. — (3) Is., XLV, 20. — (4) Is., xlvi, 8; XLvni, 1, 2. —
(5) Is., XLiii, 8, 9"='. — (6) Is., XLV, 21'''' . — (7) Is., xuu, 9»
10% , 12\ — (8) Is., xliii,
12"; cf. XLV, 21'- .— (9) Is., xlvi, 10, 11. — (lOj Is., xlmii, I4-16\
(II) Is., xLvm, 16''. — (12) Is., iLi, 4. — (13) Is., xlvui, 12''. — (14) Is., xuu, 10''.

— (15) Is., XLiii, 11% 12'', 13". — (16) Is., XLUi, 11''. — (17J Is., xliv, 8'*. — (18) Is.,
XLV, 18b.
16 REVUE BIBLIQUE.

Dieu que lui (1); nul n'est semblable à lui (2). Et le prophète aime à
lui donner ce vieux titre de « Yahweh des armées » qui résume cette
toute-puissance absolument unique (3 Nulle part ailleurs, le mono- .

théisme n'a trouvé des formules aussi magnifiques.


Quel contraste avec l'idole 1 Néant des faux dieux : cette conclusion
est corrélative à celle qui précède. ne sont rien; leurs œuvres Ils

sont néant; abominable celui qui les choisit (4); ils ne sont que
vanité, vain souffle (5). Et, pour donner plus de relief à sa pensée,
le voyant identifie le faux dieu avec sa statue. Identification qui n'est

peut-être pas de tout point conforme au langage et aux théories de


ceux qui, parmi les païens, étaient les maîtres de la pensée religieuse,
mais à laquelle la pensée populaire devait très fréquemment aboutir.
Dès lors, avec une ironie des plus mordantes, le prophète nous décrit

la fabrication de l'idole. Un ouvrier la coule, un orfèvre la recouvre


d'or et lui fond des chaînettes d'argent. Ces artisans fondeur, :

forgeron, polisseur au marteau, soudeur, s'encouragent les uns les


autres; puis, quand leur œuvre est achevée, on fixe le dieu avec un
clou, pour qu'il ne tombe pas (6i. Si celui qui désire une idole est
pauvre et ne peut offrir beaucoup, il choisit un bois qui ne pourrisse
point et cherche un ouvrier habile pour faire une idole qui ne branle
pas (7). Du même bois qui sert à l'artisan pour se chauffer, cuire
son pain et apprêter ses mets, le reste est employé à faire une "

statue (8i. Est-il surprenant qu'un tel dieu se tienne à sa place sans

(1) Is., XLiv, 8; XLV, ait», 22''; \LVi, 9'\ — (2) Is., XLVi, 10'.

(3) Is., XLvii, 4; xi.vm, 2; Li, 15; Liv, 5, dans la locution lOw' nixiï .Tin''; xliv, 6;

XLV, 13, sous la simple forçae niN2Jf m.lV Dans Is., i-xxxix, la locution est d'un emploi

beaucoup plus fréquent; on ne l'y retrouve pas moins de quarante fois. Au contraire elle
paraît absente dis., lvi-lxvi.
(4) Is., XLi, 24. — (5) Is., XLi, 29. — (6) Is., XL, 19; xli, G, 7. — (7) Is., XL, 20.

(8)Is., XLIV, 12-17", 19. Il ne manque pas de (Dubm, Marti, etc.) pour traiter
critiques
Is., XLIV, 9-20 comme additionnel; ils s'appuient surtout sur ce que cette péricope rompt
le lien des idées qui rattache les vers. 21 sv. aux vers. 1-8. Il n'y a pas à s'attarder à celle
hypothèse, dont les fondements ne sont peut-être pas très solides; en effet, cette péricope
ne que développer des pensées émises dans des éléments d'Is., xl-lv qui tiennent
fait

étroitement à leurs contextes. On notera que, pour retrouver de pareils aperçus sur l'idole
et sa falirication, il faut lire la deuxième partie du livre grec de la Sagesse (Sap., xiii, 10-
XIV, 21; XV, 7-17). Toutefois le thème de la vanité des idoles est repris et longuement
développé dans la Lettre de Jéréinie (Bar., vi); et ces développements tendent, comme
ceux qui nous occupent en Is., xl-lv, à prémunir les captifs contre le danger, toujours
réel et sans cesse croissant, de la séduction exercée par les dieux de Chaldée. Même sur
la terre natale, les Judéens avaient subi le prestige des divinités de Ninive et de Babylone;

combien plus, sur la terre d'exil, risquaienl-ils d'être entraînés par les cultes pompeux en
l'honneur des dieux locaux! L'histoire de Bel et du Dragon (Dan., xui, G5-xiv, 42) tend,
elle aussi, au même but.
L'AME JUIVE AI' TEMPS DES PERSES. 17

bouger et, même lorsqu'on crie vers lui, ne réponde pas, ne sauve
personne de sa détresse (1)? On a beau se prosterner devant lui,
l'adorer, le prier en disant « Délivre-moi, car tu es mon dieu »,
:

c'est peine perdue (2). L'occasion est bonne de dire l'illusion de ceux
qui, ne rentrant pas en eux-mêmes, se repaissent de cendres sans
avoir l'intelligence et le bon sens de se dire « Je me prosternerais
:

devant un tronc d'arbre pareil à celui qui me sert pour les usag-es
les plus vulgaires!.. Ce que je tiens dans ma main n'est-il pas men-
songe (3)?... « Ils ne savent rien, n'entendent rien, leurs yeux sont
couverts pour ne pas voir et leurs cœurs pour ne pas comprendre (i).

Fabricateurs d'idoles ne sont que néant, leurs chefs-d'œuvre ne


servent à rien (5). A combien plus forte raison seront-ils couverts
de honte ceux qui se confient dans ces statues et disent aux images :

« Vous êtes nos dieux (6) » !

Cette leçon que le prophète donne aux exilés est de nature à les
prémunir contre la séduction des cultes chaldéens, capable de relever
leur confiance ou au moins de réduire la crainte instinctive que leur
inspirent ces dieux qui sont censés avoir mené Babylone et Ninive à
de si liantes destinées. Le voyant n'hésite pas d'ailleurs à désigner par
leur nom ces divinités elles-mêmes et à dire leur impuissance. Demain
Bel s'écroulera, Nebo chancellera; demain, pour les soustraire au
vainqueur, on mettra sur des animaux, sur des bêtes de somme qui
seront accablés par leur poids, ces idoles que la veille on portait
triomphalement dans les processions; incapables de mettre en sûreté
ces fardeaux, les dieux mêmes qu'ils représentent s'en iront en exil.

Comment donner une idée plus saisissante de leur néant, de leur


vanité (7)?

(1) Is., XLVI, 7. — (2) Is., XLiv, 17. — (3) Is., xuv, 19, 20. — (4) Is., XLiv, 18. — (5) Is,,
XLiv, 9; cf. XLV, 16. — (6) Is., xlii, 17.

(7) Is., xL^i, 1, 2. On remarquera ici la liberté avec laquelle Is., xl-lv parle de la chute
de Babylone et fait le procès de ses dieux. Le contraste est frappant avec Ézéchiel qui,

dans ses oracles de restauration (Ez., xxxiii-xLvni) trouve le moyen de traiter longue-
ment du salut d'Israël sans faire allusion à la ruine de la puissance qui le tient captif
après avoir interrompu son existence nationale, qui, dans les oracles contre les nations
païennes (Ez., x\v-x\xn), ne dit rien de la Chaldée. Jérémie parle de la ruine future de
Babylone au moins à quatre reprises (Jer., xxv, 11-14: xxv, 26; xxvii, 7; xxix, lOj.
Mais, d'une part, c'est sans en reportant à bonne distance cette œuvre
insister et
divine de châtiment; d'autre part, en l'un de ces passages, il éprouve le besoin de voiler
le nom de Babylone sous la cryptograpliie Sésac. Sans doute, la série des oracles de Jéré-

mie contre les nations s'achève par deux prophéties (Jer., l, 1-li, 58; li, 59-64), dont l'une
très longue, contre la méliopole des Chaldéens. Le second oracle présuppose le premier ;

mais il déclare qu'après avoir porté en Chaldée le livre dans lequel sont écrits tous les
malheurs qui doivent arriver à Babylone, après l'avoir lu aux exilés, le messager devra
y
atlachiT une pierre et le lancer au milieu de l'Euphrate (Jer., u, 60-63). Sans doute ce
REVUE BIBLIQUE 1920. T. XXIX. — 2
18 REVUE BJBLIQUE.

enseignements particuliers ne doivent pas nous faire oublier


iMais ces

la conclusion plus générale qui se dégage de cette argumentation et


qui a pour but, en ranimant la foi d'Israël à la parole divine, de
renouveler son espérance et sa confiance aux promesses qui lui sont
faites. Ce qui précède n'est qu'un préambule par rapport à cet objet

principal de la grande prophétie de consolation.


m. —
Un préambule!.. Il serait plus exact sans doute de dire : un
premier préambule. Enefiét, c'est encore parmi les considérations pré-
liminaires, destinées à donner confiance au peuple et à accréditer les
promesses, que nous sommes tenté de placer les belles déclarations
qui tendent à rendre plus vif chez les exilés le sentiment du privilège
d'Israël. Le prophète revient fréquemment sur ce sujet. 11 le fait
surtout, ilest vrai, par manière d'allusion, comme s'il n'était pas
besoin d'insister. Mais les traits sont nombreux.
L'un des plus caractéristiques est le retour du prophète vers le
plus lointain passé d'Israël. Il parlera de la sortie d'Egypte (1), sur
laquelle les autres voyants se sont plu à insister; elle lui apparaît
comme le type, d'ailleurs bientôt dépassé de beaucoup, de la déli-
vrance que Yahweh prépare (2). Mais il remonte plus haut. Avec le
nom d'Israël, il met volontiers en parallèle, pour désigner le peuple
choisi, le nom de Jacob; il parle de la race d'Abraham (3i. Il invite
les exilés à se souvenir de ce premier ancêtre et de Sara qui les a
enfantés; il rappelle les bénédictions dont il a comblé le patriarche
qui était seul et qu'il a si prodigieusement multiplié (i). C'est donc
en ce contexte lointain que se placent les premières manifestations
des attention^ divines. C'est alors sans doute que Yahweh a choisi
prenant par la main aux extrémités de la terre, l'appelant
Israël, le
des régions éloignées (5), c'est-à-dire de Chaldée ou de Mésopotamie.
Ce choix initial demeure toujours, car jamais Yahweh n'est revenu
sur sa décision ni n'a rejeté son peuple (6). Il aime, au contraire,

geste sera symbolique de l'effondreineal de Babylone (Jer., li, 64); mais on peut peut-être
penser qu'il aura aussi pour objet de soustraire le document à une curiosité dangereuse.
On peut d'ailleurs se demander si tous les éléments du grand oracle sont authentiques;
les nombreuses citations de prophéties provenant d'autres sections du livre de Jéréraie
(cf. L, 40 et \Li\, 18; LI, 7 et XXV, 15, sv.; LI, 15-19 et X, 12-16) et parfois dirigées contre
d'autres destinataires (cf. l, 41-43 et vi, 22-24, dirigé contre Jérusalem; l, 44-46 et xlix,
19-21, dirigé contre Edom), les additions que révèle comparaison du texte massorétique
la
avec les Septante (i.i, 44''-48 manque dans le grec) paraissent témoigner de retouches opérées
dans le texte. En tout cas, ily a loin du silence d Ezéchiel, de la réserve de Jérémie, à la
libertéavec laquelle Is., xl-lv annonce la ruine de la grande capitale: on sent que le
temps de la vengeance divine est tout proche.
(1; Is., XLiii, 16, 17. — (2) Is., XLUi, 18, H). — (3) Is., xli, S. — (-i) Is., li, 2. — (5) Is.,
XLi, 8, 0. — (G) Is., xli, 9.
L'AME JUIVE al: TEMPS DES PERSES. 19

à rappeler cette intervention miséricordieuse (1); il aime à donner


à Israël le titre de choisi, d'élu (2). La période patriarcale a été
comme l'époque de la gestation, préparant, pour le moment de la sortie
d'Egypte, l'entrée dans la vie. A toute cette œuvre et à ses diverses
étapes. Dieu n'a pas cessé de prendre une part très active. C'est lui

qui a Jérusalem (i> Mais ce terme est trop vague.


fait Israël (3) et

La formation d'Israël est chose de tant de conséquences qu'elle est


mise en parallèle avec la création elle-même (5); de fait Yahweh
se proclame le créateur d'Israël, en employant le même terme qui
figure au récit de l'œuvre des six jours (6). Aussi volontiers ilemploie
le terme exprimant l'action par laquelle il forma de terre le
(7)
corps du premier homme (8) ou encore celle par laquelle il façonne
le corps de l'enfant dans le sein de sa mère. Aussi déclare-t-il qu'il

a formé, façonné Israël (9) dès les entrailles maternelles (10). De même
il établit un contraste entre les dieux de Babylonc qu'il faut
porter 11\ charger (12) sur des bêtes de somme 13) et lui qui porte
Israël dès le sein de sa mère, qui dès la naissance s'en charge sur
ses propres épaules (li).
Toutefois ces souvenirs d'un plus lointain passé ne détournent pas
le voyant de la sortie d'Egypte; c'est alors, il le sait, c'est ensuite
au désert que les fils de Jacob devinrent un peuple. L'intervention

divine prit la forme d'un salut; Moïse fut chargé de tirer Israël
de la maison de servitude (15 mais c'est Yahweh qui fut son véri- ,

La délivrance ne fut pas seulement un salut, elle


table sauveur (16).
fut une rédemption. Yahweh intervint comme le proche parent qui
rachète la propriété aliénée de son protégé (17), qui le tire de l'es-
clavage (18 1, bien plus encore, qui le venge quand il a été atteint
par un ennemi (19). Delà sa prédilection pour le titre de rédempteur
de son peuple (20), voire de Jérusalem (21),
De ces interventions résultent pour l'avenir des relations de réci-
procité qui sont caractérisées par des formules et des épithètes parti-
culières. Le Dieu universel, auquel toutes les nations appartiennent et

(1) Is., XLiu, 20; XLV, 4. — (2) Is., XLV, 4 I'''l''n2, « mon élu )>). — (3) Is., xuii, 7;

XLIV, 2; XLV, 11; LI, 13 (nÙJjT). — (4) Is., LIV, 5. — (5) Is., LI, 15, 16. — (6) Is., XLIII, 1,

7, 15 (N12). — (7) li'V — (8) Gen., u, 7, 8, 19. — (9) Is., xliu, 1, 7; xuv, 21, 24; cf.

Ps. cxxxix, 13, 15. — flO) Is., XLiv, 2, 24. — (11) Nt7J. — (12) DD>- — (13) Is., XLvi, 1.

— (14) Is., XLVi, 3.


(15) Ex., ui, 7-10, 16-22; vi, 1-8. — (16) Is., xliu, 11; XLV, 15; XLlx, 26 (;;iU;ia). —
(17) Lev., XXV, 25. — (18) Lev., xxv, 47-53. — (19) Ex., xxi, 12-14; Deut., xix, 1-13 ;

Num., XXXV, 9-34 i^m)- — (20) Is., xu, 14; xliu, 1, 14; xliv, 6, 23, 24; XLVil, 4; xux
7, 26. — (21) Is., Liv, 5.
20 REVUE BIBLIQUE.

qui a des droits sur chacune d'elles, devient, par le fait de son
choix et en un sens très particulier, le Dieu d'Israël (1); il

devient son roi (2); comme l'œuvre qu'il a accomplie a demandé


beaucoup de force, il se proclame le Puissant de Jacob (3). Lui qui,
lors de la vision inaugurale qui fît Isaïe prophète, était apparu au
voyant comme le Très-Saint (4), ne se lasse pas de se dire le Saint
d'Israël (5) ; conformément à l'idée fondamentale éveillée par cette
épithète, qui d'ordinaire est en connexion avec le domaine religieux,
Yahweh, que sa transcendance même met à part de tout ce qui est
créé, entraine Israël dans cet isolement superbe du reste du monde
et des nations. A son tour, le peuple choisi reçoit les appellations les

plus capables de le consoler et de lui inspirer confiance. Il est l'ami

de Yahweh terme employé, supposant, d'une part, la prédi-


(6) et le
lection de Yahweh pour son élu, exprimant, d'autre part, l'amour
d'Israël pour Yahweh, traduit aussi complètement que possible la
réciprocité de l'amitié. Une fois Dieu se dit l'époux de Jérusalem (7),
considérée comme la métropole de la nation. 11 proclame Israël « son
messager qu'il envoie (8) », c'est-à-dire son représentant au milieu
des nations pour la diffusion de la parole qu'il lui a confiée comme
un dépôt et comme son privilège particulier; nous retrouverons
ailleurs cette idée de la mission d'Israël au miheu du monde. Mais,
dans le texte même dont nous venons de parler,
le titre de mes-

sager est en parallèle avec un terme d'un emploi beaucoup plus


fréquent. Israël est le serviteur de Yahweh (9). Le mot est suscep-
tible d'une multitude d'acceptions. Son sens fondamental est celui

(1) Is., XLI, 10, 13, 17; XLV, 3, 15; XLVIII, 2; LV, 5. — (2) Is., XLIU, 15; XUV, 6. —
(3) Is., xLix, 26 {2pV) "l^2N). — (4) Is., \i, 3.

(5) Is., XLI, 14, 20: XLin, 14, 15; XLV, 11; xlvu, 4; XLvm, 17; XLix, 7; UV, 5; LV, 5.

Cette lonnule S^liy^ \yTTp revient onze fois sous sa forme propre dans Is., i-xxxix (on a

S'pyi tt7i"p, XXIX, 23; iuriip, \, 17), onze fois dans Is., xl-lv (iui"ip, xlix, 7; DDÏJlp,

xLin, 15; Ui"Tp, au sens absolu, xl, 25); on ne le rencontre que deux fois (lx, 9, 14)

dans Is., lvi-lxvi. En dehors du livre d'Isaïe, on trouve cette expression : II Reg.,
XIX, 22 = Is., xxxvu,23; Jer., l, 29; Li, 5; Ps., Lxxi, 22; Lxxvni, 41 ; Lxxxix, 19 (locu-
tions voisines : Hab. m, 3; Job, vi, 10 et Os., xu, 1 ; Prov.,ix, 10; xxx, 3.

(6) Is., xu, 8 (''2ns, « mon ami »). — (7) Is., liv, 6.

(8) Is., xui, 19 (''3N'!'Q) : Au lieu de : « Qui est aveugle, sinon mon serviteur, ou aveugle,
sinon mon messager que Qui est aveugle, sinon mes serviteurs;
j'envoie? », le grec porte : «

et sourds, sinon ceux qui les dominent? « On a ainsi pour 19^» le pluriel au lieu du sin-
gulier; quant à 19"? du grec, la finale correspond, non à celle de 19^i de l'hébreu, mais à

celle de ig"»», avec lecture de aSïJD (d^ 'iW'/Z, dominer) au lieu de Q^î^G. La leçon du

texte massorétique parait devoir être retenue,


(9) Is., XLI, 8, 9; XLii, 19 (bis) ; xlui, 10; xliv, 1, 21 (bis); xlv, 4; xlvui, 20 (12!?).
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 21

d'esclave voué au travail. Au point de vue de son origine, l'esclave


peut avoir été acheté, peut avoir été acquis à la guerre; mais il
il

peut aussi être né à la maison. Au point de vue de la place qu'il occupe,


très à côté des esclaves vulgaires, il y
variable sera sa situation :

a ceux qui sont attachés personne du maître et dont plusieurs


;\ la

prennent si facilement rang de favoris; il y a ceux qui, ayant fonc-


tion d'intendants, ont la charge de toute la maison et, pour en
assurer le bon service, ont pouvoir de commandement sur tout
un groupe d'autres serviteurs; il y a encore ceux auquels leurs
maîtres confient des missions au dehors. Dans la bouche de Yahweh
leterme est apphqué à Israël comme un titre d'honneur et de sympa-
thie.Malgré ce que certains traits pourraient suggérer (1), il ne
semble pas qu'Israël doive être considéré comme le serviteur né à
la maison; il a été acheté, acquis par Yahweh. Mais il a pris aussitôt
rang de favori; il a été aussi étroitement que possible attaché à la
personne de son maître il a acquis une place à part vis-à-vis de
;

tous les autres peuples qui ne sont que des esclaves de rang inférieur.
Alors même que jusqu'ici il ne l'aurait pas directement exercée, il a
sur les autres peuples une réelle autorité; de ce privilège Yahweh
se souviendra en découvrant les perspectives d'avenir à son élu. Enfin,

comme le prouve le parallélisme avec le titre de messager, il a en


principe, il aura en fait mission au dehors; il sera envoyé parmi les
les nations pour servir les intérêts de son maître. A vrai dire, ce
titre de serviteur apparaît, en de tels contextes, cpmme l'un des plus
corapréhensifs. Toutes ces appellations, d'ailleurs, sont complétées par
des formules pleines de promesses. Yahweh déclare à Israël qu'il
l'appelle par son nom (2), comme son intime, son familier, son homme
de confiance, placé bien au-dessus des nations esclaves qui devant
lui ne sont qu'une misse anonyme. Il lui déclare qu'il lui appartient
et, en même temps, lui promet d'être avec lui {3).
Au souvenir de la toute-puissance de son Dieu, des traitements
de privilège dont il a été l'objet, comment Israël ne serait-il pas
prêt à renoncer à son funeste pessimisme, à se raidir contre la
dépression pour entendre et recevoir avec confiance les assurances
qui concernent l'avenir? C'est qu'en effet les dons de Dieu demeurent
à jamais. Yahweh est toujours avec son serviteur, il est toujours son

(1) Ceux surtout que nous avons signalés plus haut et d'après lesquels Yahweh a été
avec formant, le créant dés le sein de sa mère
Israël, le (Is., xLin, 1, 7, 15; xuv, 2, 21, 24-,

XLV, 11 ; LI, 13).

(2) Is., xi.m, 1, 7 (1>2k7:: N"ip, d'où, xi.viii, 12, le participe Puai lN"1pa « mon appelé »).

(.3) Is., xu, 9, 10.


22 REVUE BIBLIQUE.

Dieu; il vient à son secours, il le saisit fortement, il l'aide, il le


soutient par la main de sa justice, il le prend par la main droite (1);
il demeure à jamais son rédempteur (2), son vrai consolateur (3); il

sera avec jusqu'à la vieillesse et aux cheveux blancs (4); jamais


lui

Israël ne sera oublié de son Dieu (5). Yahvveh est prêt d'intervenir....
IV. — Mais sans doute une dernière difficulté reste à résoudre. Elle
transparait, semble-t-il, dans un contraste dont on ne peut manquer
d'être frappé en parcourant la section du livre d'Isaïe qui nous
occupe. Dune en
on y peut relever les paroles les plus
part, efiet,

réconfortantes. Ne lit-on pas, au début même du message de conso-


lation, que la servitude d'Israël est finie, parce que son iniquité est
expiée, surabondamment expiée, qu'il a reçu le double pour ses
péchés (6)? Et la suite du premier oracle se développe dans le même
sens des perspectives optimistes (7). Mais, d'autre part, de nombreux
textes rendent un tout autre son; ils laissent clairement entendre
qu'Israël persévère dans son péché et ses mauvaises dispositions,
quitte à se rendre indigne du salut. Ici il est qualifié d'aveugle et de
sourd (8 ;
il a vu beaucoup de choses et il n'a rien retenu; ses oreilles
sont ouvertes et il n'a rien entendu [d;.. Cette cécité et cette surdité sont
donc volontaires (10) et, par conséquent, coupables. Elles sont d'autant
plus irrémédiables qu'elles résultent d'un long atavisme. C'est tout le
long de son histoire qu'Israël s'est montré réfractaire aux con-
duites de Dieu. D'où pour le prophète l'occasion d'une esquisse
rapide des événements qui se sont jusque-là succédé sans qu'Israël
se laisse instruire et convaincre. Yahweh avait daigné dans sa justice
donner une loi grande
malgré ce privilège unique,
et magnifique. Et,
que personne le défende, dépouillé sans que
voilà le peuple pillé sans
personne dise Restitue. Or « lequel d'entre vous prêtera l'oreille à ces
:

choses, y prendra garde et écoutera désormais? » Qui s'en est rendu


compte et comprend parfaitement, même maintenant, que ces vicis-
situdes sont l'œuvre de Yalnveh, que c'est lui qui a livré Jacob au
pillage, Israël aux spoliateurs, parce qu'on n'avait pas voulu suivre
ses voies ni écouter ses préceptes (11)? Ailleurs on parle de la rébel-
lion d'Israël (12), on parle d'ingratitude, on parle même de mauvais

(1) Is., XLi, 10, 13, 14; cf. XLiv, 2. — (2) Is., xli, 14; lu, 3, 9. — (3; Is., Li, 12 : m, 9. —
(4)ls., XLM, 4. — (5) Is., XLIV, 21.
(6) Is., XL, 1. — (7) Is., XL, 8-10.

(8) Is., XLU, 16, 18, 19. II est probable que dans les vers. 19'i, oa doit lire « et sourd
comme le serviteur (Grec: ol ôoO/.ot, comme 19'' j de Yahweh », la symétrie avec 19^3
semble exiger cette lecture. Une distraction de copiste aura malencontreusement substitué
'*." ^ '^.^
(9) Is., XLii, 20. — (10) Is., XLni. 8. — (11) Is., xlti. 21-25. — M2j Is., XLVi. 8.
L'AME JLIVE AU TEMPS DES PERSES.
'

23

procédés k l'égard de ceux qui restent fidèles 1 !. Mais il est une dia-
tribe qui dépasse toutes les autres en vigueur; le contraste dont
nous avons parlé y devient si fort que plus d'un exégète a pensé à des
retouches textuelles (2). Tout d'abord ceux auxquels s'adresse le voyant
apparaissent insincères. Ils sont de la maison de Jacob, il est vrai;

ils se réclament du nom d'Israël, ils sont sortis de la source de Juda,


ils jurent par le nom de Yahweh, ils célèbrent le Dieu d'Israël et
s'appuient sur lui, ils tirent leur nom de la Ville Sainte..., mais sans

sincérité ni droiture (3). Ce peuple est dur, son cou est une barre
de fer, son front est d'airain (i^ ; l'épreuve est sans prise sur lui 5).

Il est porté à l'idolâtrie au point d'attribuer à ses dieux les œuvres


de Yahweh (G). Bref son iniquité est tellement invétérée qu'on
peut le nommer Prévaricateur-dès-le-sein-maternel (7).
De ce contraste si frappant la raison d'être est k chercher sans
doute dans une situation analogue à celle que nous avons vue se
dérouler à propos d'Ézéchiel. Le groupe des captifs était loin d'être
homogène. Il y avait une élite d'âmes dociles qui, dès l'origine et

sans jamais se lasser, avaient accepté l'épreuve de Fexil pour l'expia-


tion nationale. Mais en se prolongeant, cette épreuve même risquait
d'avoir raison de leur confiance; c'était eux que le découragement
envahissait. Aussi était-ce à eux que le prophète adressait les paroles
de consolation qui inaugurent son message Leur iniquité était
(8).

dès longtemps expiée, ils avaient reçu le double pour leurs péchés.
Mais le surplus de leurs souffrances ne demeurait pas inutile. C'était
par eux, — le petit reste cher aux voyants — , c'était par leurs mérites
qu'Israël devait être sauvé. noyau du groupe des rachetés
Ils étaient le
et c'était en union avec eux que la masse, en se purifiant, partici-
perait au salut. En attendant, de cette masse une part notable était
encore aveugle et, même après la longue expérience de l'exil, ne
comprenait rien aux œuvres de Dieu; bien plus, elle persévérait dans
l'endurcissement séculaire qui déjà lui avait mérité les châtiments
terribles dont elle soutirait encore. C'est à cette masse que s'adrcs-

(l)IS., L, 11.
(2) Il s'agit de xlviu, i-li. Skinaer regarderait volontiers cette section comme insérée
par un écrivain postérieur au Deutéro-Isaïe. Duhm et Cheyne songent à un rédacteur qui
auraitaccompagné d'un commentaire suivi le texte primitif du Deuléro-Isaie-, ce com-
mentaire aurait été une véritable correction du texte en un sens très pessimiste. D'après
Dulim, les éléments primitifs seraient : xlviu, l»», 3, 5% 6, 7*, 8", il*»''. Cf. A. Condamin,
Le livre disaie, ad loc.

(3) Is., XLvm, 1, 2. — (4) Is., xLAiii, 4. — (5) Is., xlvui, 10. — (6) Is., xlviu, 5^; cf. y*».

— (7) Is.. xlviu, 8.

(8) Is., XL, 1 SY.


24 REVUE BIBLIQUE.

saient les discours sévères du voyant. D'ailleurs il marque lui-même


avec une clarté suffisante combien sou auditoire est bigarré, et qu'à
côté d'âmes dociles qui craignent Yahweh et acquièrent tous lès
droits à la protection divine, il en est d'autres qui allument un feu,
s'arment de flèches embrasées pour nuire à leurs frères et s'exposent
à de rudes représailles (1); c'est aux premiers, à ceux qui suivent
cherchent Dieu, que de préférence vont ses encourage-
la justice et

ments (2).
V. — En présence de ces conditions si diverses, on conçoit que
diverses apparaissent les fins secondaires que Yahweh poursuit en son
œuvre, variés les motifs qui le font agir. Il n'en est pas moins vrai
que tout est dominé par une finalité générale à laquelle il faut
aussi prêter attention.
Au regard de notre prophète, tout comme aux yeux d'Osée (3) et
de Jérémie (4), la vue de la misère et du désastre d'Israël raniment
en Yahweh toute la vivacité et toutes les délicatesses de son amour.
Pour un instant il a abandonné Jérusalem; mais avec une grande
miséricorde il va la rassembler. Pour un moment, dans le temps de
sa colère, il a détourné d'elle son visage; mais ensuite il l'a regardée
avec une pitié qui ne finira jamais (5) ; et Yahweh insiste sur le carac-
tère éternel de cette bienveillance. Ailleurs la métaphore de l'amour
maternel ne lui suffit pas pour exprimer l'ardeur de sa tendresse; alors
même que les mères viendraient à oublier leurs enfants, à perdre
toute compassion pour le fils qu'elles ont porté dans leur sein, lui
ne pourrait oublier Jérusalem (6). De telles dispositions suffisent à
expliquer l'attitude de Yahweh vis-à-vis de ces âmes droites qui, par
leur résignation au malheur, ont mérité le salut de la patrie. Mais,
en faveur d'un milieu dans lequel Jérémie et Ézéchiel ont à un si
haut degré développé le sens de la justice individuelle, il importe
de préciser la part que les rebelles auront au salut national. Le pro-
phète n'y manque pas. Il le déclare avec netteté. Ce n'est pas Israël
— la masse coupable — qui a mérité la délivrance. Pendant l'exil,
Israël n'a pas appelé Yahweh par ses prières, ne s'est pas mis en
peine de lui (7). 11 ne lui a pas non plus offert les brebis de ses holo-
caustes, il ne l'a pas honoré par des sacrifices; il ne l'a pas rassasié
de la graisse des victimes, il ne lui a pas à prix d'argent acheté du
roseau odoriférant; Yahweh ne lui a pas été à charge pour des

(1) IS., L, 10, 11. — (2) IS., L, 10.

(3) Os., XI, 8-11. — (4) Jer., xxxi, 3, 19, 20. — (5) Is., uv, 7-10. — (6j Is., xi.ix, 14-16. —
(7) Is., xi.in, 22.
L'AME JLIVE AU TEMPS DES PERSES. 25

offrandes et ne l'a pas fatigué pour de l'encens. En revanche Israël


lui a été à charge par ses péchés, l'a fatigué par ses iniquités (1).
x\insi, non seulement cette fraction la plus considérable du peuple

n'a point, par ses hommages et ses prières, mérité le salut par ses ;

fautes, elle s'en est rendue indigne. Ces fautes d'ailleurs ont, dans
la balance de la justice divine, rejoint celles des ancêlres; Car le pre-
mier père lui-même, Jacob, a péché; les interprètes d'Israël ont été
infidèles, et c'est pour cette raison que Yahweh a dégradé les princes
du sanctuaire, livré Jacob à l'anathème et Israël aux outrages (2) ;

c'est à cause de leurs iniquités qu'ils ont été vendus, que leur mère

a été pour un temps renvoyée (3). Israël aurait beau plaider sa


cause, il ne pourrait se justifier Quel est donc le motif qui inspire
(4).

la conduite de Yahweh vis-à-vis de cette partie du peuple qui en est


lamasse? La réponse est fournie par Dieu lui-même « C'est moi, :

moi seul, qui efface tes prévarications pour l'amour de moi, et je ne


me souviendrai plus de tes péchés (5). » C'est à cause de son nom
qu'il retient sa colère, à cause de sa gloire qu'il patiente avec Israël
pour ne pas l'exterminer; bien plus, c'est pour l'amour de son nom
qu'il va faire le salut (6). L'exil en Babylonie est la suite des mauvais
traitements qu'Israël a subis en Egypte et en Assyrie. Dans la joie
de leur triomphe sur un peuple que son Dieu paraissait incapable
de protéger, les païens outragent sans cesse le nom de Yahweh. Il
faut donc que Yahweh fasse connaître à son peuple et, par lui,
aux autres nations, la puissance de ce nom, la force avec laquelle il
annonce lui-même son approche et dit Me voici » Son peuple a : (> .

été vendu pour rien; il le rachètera sans payer rançon (7). Les points
de contact sont des plus frappants entre ces déclarations et les oracles
que Yahweh prononce par la bouche du prophète Ézéchiel.
Mais ces données, encore particulières et inspirées par les circons-

(i; On a souvent remarqué le contraste qui existe entre Is., xliii, 23, 24" etis., i, 10-17,
dans lequel Yahweh semble
répudier les sacrifices. Les deux textes visent évidemment des
circonstances très différentes. De part et d'autre, le voyant se place en présence de situa-
tions concrètes. Dans Is., i, 10-17, il se met en face des sacrifices tels que les Judéens du
temps d'Achaz et d'Ezéchias les offraient à Yahweh, se bornant à une routine de culte
extérieur sans aucune influence sur leur vie morale blâme énergiquement de tels sacri-
; il

fices. Dans Is., xlih, 23, 24% le prophète veut marquer que, durant l'exil, Israël n'a rien

fait en vue du salut, n'a pris aucune des attitudes relij;ieuseâ capables de toucher Yahweh.

Les sacrifices interviennent ainsi à côté des prières. Le prophète se borne à constater un
fait, sans égard a la situation spéciale de l'exil qui rendait les sacrifices impossibles.
(2) Is., xLin, 27, 28 (texte à rapprocher sans doute d'Os., xii, 4, 5, 13); xlvu, 6, 7. —
(3) Is., L, l^. — (4) Is.. XLni, 26. — (5) Is., XLin, 25. — (6) Is., XLvni, 9, 11.
(7) Is., i.u, 3-6. Ce texte, qui isole lu, 1, 2 de lu, 7 sv. qui paraît en être la continua-
tion, est souvent considéré comme une insertion en prose, ajoutée après coup.
26 REVUE BIBLIQUE.

tances, nous amènent à envisager les motifs qui inspirent Faction


divine prise dans son ensemble; de nouveau, les rapports sont étroits
entre ce que nous allons relever et ce que nous avons lu dans les écrits
du fils de Buzi. Quand Yahweli agit, quand surtout il multiplie les
prodiges, c'est afin que tous voient et qu'ils sachent, qu'ils observent
et qu'ils comprennent que sa main a fait ces choses et que le Saint
d'Israël les a créées (1). De même la raison d'être de ses discussions
avec les idoles, c'est de se faire reconnaître, de faire avouer par
tous qu'il est le seul Dieu (2). Manifester sa gloire, la gloire de son
nom, tel est son but suprême et universel, et il ne veut la donner
à aucun autre (3). C'est pour sa gloire qu'il a créé, qu'il a formé,
qu'il a fait ceux qui portent son nom (4). S'il a réalisé les choses
passées, c'est pour faire comprendre qu'il est le seul Dieu, qu'il n'y
en a pas d'autre (5). Mais c'est aussi pour le même motif qu'il prépare
les choses nouvelles et qu'il veut racheter son peuple (6). Il veut
se faire reconnaître de Cyrus, faire comprendre au grand conqué-
rant qu'il l'a appelé par son nom (7) ; il veut de telles manifestations
que, prenant parti dans le conflit qui s'engage entre Yahweh et les

protecteurs de Babylone, le grand vainqueur se range parmi ceux


qui invoquent le vrai Dieu (8). Son dessein est que du levant au
couchant, tous sachent qu'il est Dieu, lui Yahweh et nul autre (9).
Au grand jour de la délivrance, la gloire de Yahweh apparaîtra et
toute chair sans exception la verra (10). Il découvrira le bras de sa
sainteté aux yeux de toutes les nations et toutes les extrémités de la
terre verront le salut de « notre Dieu (il) ». Toute chair saura qu'il
est le sauveur d'Israël, le Puissant de Jacob et son rédempteur (12).
Les bêtes des champs elles-mêmes le glorifieront à la vue des chan-
gements qu'il produira jusque dans la nature (13). Cependant le peuple
qu'il a formé pour lui publiera sa louange (14). Et c'est ainsi que
l'œuvre du salut d'Israël sera pour Yahweh un honneur, un monu-
ment éternel qui ne sera pas détruit (15).
VI. — Car c'est bien le salut d'Israël qui remplit toutes ces pages
de la seconde partie d'Isaïe. Et ce salut c'est, en premier lieu, la
délivrance du joug babylonien.
Le prophète considère d'abord cette œuvre en ses traits généraux.
Yahweh n'a pas la main trop courte pour délivrer, il a assez de force

(1) Is., XLi, 20. — (2) Is., XLiii, 10-13. — (3) Is., xui, 8. — (4) Is., xuii, 7. — (5) Is., xlyi,
9-11. — (6) Is., XLiv, 23. — (7) Is., XLV, 3. — (8) Is., xu, 25. — (9) Is., xlv, 6. — (10) Is.,

XL, 5. — (11) Is., LU, 10. — (12) Is., xux, 26. — (13) Is., xuu, 20. — (14) Is., xun, 21. —
(15) Ts., LV, 13.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 27

pour sauver '1). D'une part, il va faire de grandes choses en faveur


des aveugles. Longtemps il s'est tu, il a gardé le silence, il s'est

contenu; comme la femme qui enfante, il soupire, sa respiration


devient bruyante et haletante. Il va désoler les montagnes et les
collines, dessécher toute leur verdure; il va changer les fleuves en
teire ferme et mettre les lacs à sec; il va faire marcher les aveugles par
un chemin qu'ils ne connaissaient pas, les conduire par des sentiers
changer devant eux les ténèbres en lumière et les
qu'ils ignoraient,
lieuxmontueux en plaine (2). D'autre part, bien loin de les aban-
donner, il exaucera ceux qui ont gardé la fidélité, les malheureux
qui cherchent des eaux et qui n'en trouvent point, dont langue est la

desséchée par la soif (3). Sans doute .Yahweh a déjà


pour Israël fait

de très grandes choses, soit au temps des patriarches (4), soit au


moment de la sortie d'Egypte et du passage de la Mer Rouge (5).
Mais il ne faut plus penser aux événements passés ni considérer les
choses d'autrefois. Voici en effet que Yahweh va faire une nouvelle
merveille; elle est près d'éclore (6) et la nature elle-même va s'y
associer cette fois, c'est le désert qui va être pourvu de sources et
:

sillonné de fleuves (7). Aujourd'hui Israël est mçprisé des peuples et


esclave des tyrans (8). Mais quand il passerait au milieu des eaux,
Yahweh serait avec lui, et les fleuves ne l'engloutiraient pas quand il ;

marcherait au milieu du feu, il ne serait pas brûlé, et la flamme ne


l'embraserait point (9). Bientôt Yahweh va confondre les adversaires

de son peuple, ceux qui sont enflammés et disputent contre lui; ils

vont périr, être réduits à néant sans qu'on puisse les retrouver (10).
Yahweh fera d'Israël un traineau aigu, neuf, à deux tranchants,
afin qu'il foule les montagnes et les broie, qu'il rende les collines
semblables à de la balle, qu'il puisse vaincre ses ennemis, que le
vent les emporte et que l'ouragan les disperse, et qu'enfin le peuple
libéré tressaille de joie en Yahweh, se glorifie dans le Saint
d'Israël (11). La nation élue est assez précieuse, assez honorable au
<9

(1) Is., L, 2\ — (2) Is., XLii, 14-16.

(3) Is., XLi, 17. On remarquera, dans le contexte de ce passage comme dans le précédent
(xLu, 14-16), un certain nombre de traits se rapportant à des transformations extraordi-
naires produites dans la nature. On peut se demander quelle est la portée exacte de ces
descriptions qui font songer aux développements apocalyptiques. Il se peut que, dans une
œuvre telle qu'Is., xl-lv, ces traits, empruntés aux conceptions populaires que les auteurs
d'apocalypses ont utilisées et développées d'une façon parfois extravagante, ne soient pas
autre chose encore que des développements poétiques destinés à donner plus de relief à
l'idée delà puissance divine. On en trouve encore de pareils : Is., xlid, 19^, 20; l, 2'', 3;
LV, 12''; etc.
(4) Is., Li, 2. — (5) Is., xi.m, 16, 17. — (6) Is., xliu, 18, 19s — (7) Is., xlhi, ig*-, 20. —
(8) Is., xi.ix, 7\ — i'O) Is,, XLHi, 2. — '10) Is., XM, 11, 12. — (li; Is.. X1.I. 15, 16.
28 REVUE BIBLIQUE.

regard de Yahweh, et celui-ci l'aime d'un amour assez intense, pour


qu'il n'hésite pas à sacrifier des hommes en échange d'elle, des
peuples pour lui sauver donner l'Egypte pour
la vie (1) ; il est prêt à
sa rançon, l'Ethiopie et Saba pour son paiement (2). A plus forte
raison est-il disposé à immoler dans l'intérêt des fds de Jacob ceux
qui les retiennent captifs: il va envoyer l'ennemi contre Babylone,
il va faire descendre les Chaldéens en fugitifs sur les navires où reten-

tissaient jadis leurs chants joyeux (3'). Le salut n'est pas loin, il ne
tardera pas, la justice est proche (i) le prophète se plaît aie répéter. ;

Déjà l'on peut crier vers les cieux en haut pour qu'ils répandent leur
rosée et que les nuées fassent pleuvoir la justice; on peut faire des
vœux pour que la terre s'ouvre et produise le salut; déjà Yahweh
crée ces biens (5). Bientôt celui qui est courbé sera délié, il ne mourra
pas dans la fosse et son pain ne lui manquera pas (6). Si, en effet,
Gyrus s'est levé, si déjà il a accompli une part si brillante de sa car-
rière, son œuvre principale
sur le point d'aboutir. C'est pourest

lamour de Yahweh, d'Israël son élu, qu'il a été


Jacob, serviteur de
appelé par son nom, désigné quand il ne connaissait pas le Très-
Haut (T Berger de Yahweh. il doit accomplir sa volonté en disant
.

à Jérusalem « Sois rebâtie » et au Temple « Sois fondé » (8). Dieu a


résolu, en effet, de relever les murs de la capitale et de toutes les
villes de Juda (9). Aussi aplanira-t-il les voies du conquérant pour

qu'il rebâtisse la sainte cité et qu'il renvoie les captifs sans recevoir
ni rançon ni présents '10).

D'après ce dernier texte, l'œuvre du salut doit être envisagée à un


double point de vue. D'abord par rapport aux exilés. Leur retour
est certain; ils vont revenir de tous les pays où ils se sont enfuis, de
toutes les régions où ils ont été déportés de vive force. Yahweh
ramènera de l'Orient la postérité d'Israël, il la rassemblera de l'Oc-
cident, il dira au septentrion Donne-les », et au Midi « Ne les : (( :

retiens pas; ramène mes fils des pays lointains et mes filles des
extrémités de la terre, tous ceux qui portent mon nom, que j'ai créés
pour ma gloire, que j'ai formés, que j'ai faits (11) ». Arrachera-t-on
au puissant sa proie et les justes qu'on a faits captifs pourraient-ils
être sauvés? Oui, même la capture du puissant lui sera enlevée et la
proie du violent lui échappera. Yahweh combattra les adversaires
d'Israël, il sauvera ses fils, il fera manger à ses oppresseurs leur

(I) Is-, ïLm, 4. — (2) Is., XLHi, 3. — (3) Is., XLin, 14. — (4) Is., iLvi, 13; u, 5". —
(5) Is., XLV, 8. — (6) Is., Li, 14. — [7) Is., XLV, 4. — (8) Is., xuv, 28. — (9) Is., xliv, 26.
— (10) Is., XLT, 13.
(II) Is., XLin, 5-7.
. .

'L'AME JLIYE AU TEMPS DÉS PERSES. 29

propre chair, il les fera s'enivrer de leur propre sang comme d'un
vin nouveau Aussi le prophète convie-t-il déjà les captifs à sortir
(1).

de Bahylone, à fuir loin des Ghaldéens avec des cris de joie et d'action
de grâces, à publier jusqu'à l'extrémité de la terre que YahAveh a
racheté son serviteur Jacob, qu'ils n'ont pas eu soif ceux qu'il a
conduits dans le désert, qu'il a renouvelé pour eux les merveilles
de jadis en faisant couler l'eau du rocher (2). Ailleurs il entrevoit
le retour à la façon d'une procession, d'un cortège religieux, analogues
à ceux que l'auteur sacerdotal décrit pour la traversée du Sinaï.
Que peuple ne touche rien d'impur; que les prêtres qui portent
le

les vasesde Yahweh se sanctifient; que, loin d'imiter la précipitation


de l'exode, on parte avec dignité, sans rien qui ressemble à une fuite
de vaincus; qu'on se souvienne que Yahweh est en tête de la colonne
et qu'il en est l'arrière-garde (3). De loin ou voit les captifs sortir

pleins d'allégresse, conduits en paix par Yahweh au travers du


(i)

désert tout transformé (5). Les exilés, revenus à la lumière, se répan-


dent sur leshauteurs; ils n'ont ni faim ni soif, celui qui apitié d'eux les
guidant et les conduisant aux eaux jaillissantes; ni le sable brûlant,
ni le soleil ne les éblouissent. Les mêmes solhcitudes s'exercent en
faveur de tous ceux qui reviennent de loin, qui arrivent du septen-
trion et du couchant, jusque du pays de Sinnim (6). A l'appel de
Yahweh nature entière,
(7), la —
cieux, montagnes et collines, arbres
des champs, —
applaudit (8) à cette œuvre de pitié et de consolation (9)
Mais les exilés ne sont pas seuls intéressés à la grande œuvre de
Yahweh; leur retour n'est pas indifférent à la Palestine, ni surtout
à la Ville Sainte. Jérusalem, dans son deuil, se plaint d'être aban-
donnée de Yahweh, oubliée du Seigneur. C'est chose impossible. Les
mères oublieraient leurs enfants que Yahweh n'oublierait pas son
antique demeure; il l'a gravée sur la paume de sa main, les murs en
sont toujours devant ses yeux (10). Yahweh ne lui a pas donné de
lettres de divorce qui équivalent à une perpétuelle répudiation ;
il

n'a pas vendu ses enfants à des créanciers vis-à-vis desquels il ait

à jamais perdu ses droits (11). C'est à cause de leurs iniquités qu'ils
ont été vendus et que leur mère a été rejetée (12). La distinction est
frappante et nouvelle entre les enfants et la mère; les fautes des

(1) Is., XLIX, 24-26. — (2) Is., XLViii, 20, 21.

(3) Is., m, 11, 12. On remarquera facilement ici une préoccupation analogue à celles

que nous avons rencontrées dans les oracles d'Ézéchiel.

(4) Is., LV, 12'. — (5) Is., XLin, 19\ 20; XLii, 11; LV, 12\ 13. — (G) Is., xlix, 9-12. —
(7) Is., XLIX, 13'. — (8) Is., XLIX, 13^ LV, 12''. — (9) Is., xlix, 13''.

(10) Is., XLIX, 14-16. — (11) Is., L, 1'. — (12) Is., L, l^


30 REVUE BIBLIQUE.

enfants peuvent rejaillir sur la mère, entraîner pour elle de fâcheuses


conséquences, mais sans que, pour ainsi dire, elle eu soit elle-même
coupable. La collectivité a son existence, ses responsabilités, et donc
aussi ses sanctions, distinctes de celles des individus; elle n'est pas
entièrement solidaire des vicissitudes dont ils peuvent être pour
eux-mêmes les artisans; elle persiste alors qu'ils tombent tour à tour,
elle n'est pas atteinte à fond par leurs vices. Yahweh peut racheter
les fils, surtout s'ils ont expié leurs fautes; surtout il peut reprendre
la mère. Il peut rappeler la femme délaissée et affligée, l'épouse de
la jeunesse qui a été répudiée (1). Elle ne sera plus confondue, elle
n'aura plus à rougir, elle oubliera l'épreuve de son veuvage, qui
rappelait l'humiliation de son adolescence en Egypte (2). Et le Très-
Haut s'étonne que son message ne soit pas reçu avec cette confiance
qui provoquerait un immense enthousiasme (3). Car il veut con-
soler Sion, consoler toutes ses ruines; il veut faire de son désert
un Éden, de sa solitude un jardin pareil à son propre paradis, où il

n'y ait que joie et allégresse, actions de grâces et accents de la

musique (4). Sans doute Jérusalem a reçu de la main de son Dieu


la coupe de sa colère, elle a vidé la coupe d'étourdissement. Atteinte
par la ruine et la dévastation, par la famine et par l'épée, elle n'a
trouvé personne pour la consoler; impuissants à la soutenir et à la
guider, ses fils, épuisés de force, gisent au coin de toutes les rues,
ivres de la fureur de Yahweh et de la menace de son Dieu (5).
Mais l'heure du réveil a sonné (6); la coupe va être mise dans la
main des persécuteurs, de ceux qui disaient Courbe-toi que nous : <>

passions » et devant lesquels Siou devait faire de son dos comme un


sol (7). Qu'elle revête sa force, ses parures de fête, la Ville Sainte (8);

qu'elle secoue sa poussière, qu'elle se relève, qu'elle s'assoie,


qu'elle détache de son cou les chaînes de sa captivité (9) ! Ceux qui
l'avaient détruite et dévastée s'éloignent (10); l'incirconcis et l'impur
n'auront plus accès dans ses murs (11). Voici qu'apparaissent si —
beaux sur les montagnes... —
les pieds de celui qui apporte la

bonne nouvelle, qui publie la paix, qui dit à Sion : « Ton Dieu
règne Quel contraste entre ce messager qui accourt de Chaldée
(12) ».
pour annoncer à Jérusalem la paix et le salut et celui qui, en 587,

(1) Is., LIV, 6.


(2) Is., Lii, 4. L'humiliation en Egypte est pareilletnent mise en relief par Ézéchiel et
par lui associée, comme ici, à l'idée de prévarication et de châtiment (Ez., xvi, 26 [cL 28,
à propos d'Assur] ; xx, 5-9 ; xxiii, 3).

(3) Is., L, 2. — (4) Is., Li, 3. — (5) Is., Li,


17a?b-20. — (6) Is., u, 17'>'-. — (7) Is., u, 21-
23. — (8) Is., LU, laba. — (9) Is., LU, 2. — (10) Is., XLIX, 17^ 19\ — (11) Is., Ltt, IbP. —
(12j Is., LU, 7.
I. AME JUIVE AL TEMPS DES PERSES. 31

alla de Jérusalem dire aux exilés que la Ville était prise (1)! Aussi
des clameurs d'allé-
les sentinelles élèvent-elles la voix, poussent-elles
gresse : de leurs yeux le retour de Yahweh en Sion
elles voient :

« Éclatez ensemble en cris de joie, ruines de Jérusalem (2) »! Que

celle qui était stérile et n'enfantait pas éclate en transports, car les
fils de la délaissée seront plus nombreux que ceux qu'elle avait eus

au temps de son mariage (3 C'est qu'en effet les exilés ont entendu .

la voix de Yahweh, ils sortent de Babylone. Les rachetés de Yahweh


reviennent, ils entrent dans Sion avec des chants de triomphe; une
allégresse éternelle couronne leur tête, la joie et le bonheur sont
leur part, la douleur et le gémissement se sont enfuis (4). Bien
mieux au signal de Yahweh, ce sont les nations qui ramènent entre
:

leurs bras les fils de Jérusalem, les peuples qui rapportent ses filles
sur leurs épaules; des rois deviennent ses nourriciers, des princesses
ses nourrices; ils se prosternent devant elle, la face contre terre,
ils lèchent la poussière de ses pieds; elle peut ainsi comprendre

que ceux qui espèrent en Yahweh ne sont pas confondus (5). De ses
fils, ainsi revenus ou ramenés, Jérusalem se revêtira comme d'une

parure, se ceindra comme d'une ceinture de fiancée (6). Ses ruines,


ses déserts, son pays dévasté sont trop étroits pour ces enfants dont
elle était privée et qui vont réclamer de l'espace (7) sa postérité va ;

être obligée de prendre possession des nations, elle va repeupler les


villes désertes (8 Si grande est la multitude de ceux qui reviennent
.

que, surprise, elle s'écrie : « Qui m'a enfanté ceux-ci? J'étais privée
d'enfants, stérile, bannie et répudiée : ceux-ci qui les a élevés? J'étais
restée seule : ceux-ci où étaient-ils (^9)? » Pour la nouvelle capitale,
des jours sans précédent vont luire : une splendeur éblouissante
éclate au dehors; murs, créneaux et portes sont de pierres pré-
cieuses (10). Mais surtout, à l'intérieur, c'est la paix et la prospérité;
loin d'elle l'oppression et la frayeur. Elle n'a plus rien à redouter;
qui se ligue contre elle à l'encontre de la volonté divine tombera;
toute arme forgée contre elle par un forgeron qui est lui-même la
créature de Yahweh, tout comme le dévastateur, sera sans effet;
toute langue qui s'élèvera pour contester avec elle, elle la condam-
nera (11). Si telles sont les richesses du salut, qu'Israël se hâte d'en
profiter : n'est-il pas pleinement gratuit (12)?...
Vil. — Les circonstances en vue desquelles elles ont été formulées

(1) Ez., xxxiii, 21. — (2) Is., LU, 8, 9. — (3) Is., liv, 1. — (4) Is., li, 11. — (5) Is., xlix,
22, 23. — (6) Is., XLix, 17, 18. — (7) Is., XLix, VJ, 20; cf. liv, 2. — (8) Is., liv, 3. —
(9) Is., XLix, 21. — (10) Is., LIV, 11, 12. — (11) Is., LIV, 14-17. — (12) Is.^ LV, 1, 2.
32 REVUE BIBLIQUE.

expliquent le caractère de ces espérances qui tiennent une si grande


place dans la seconde section du livre d'Isaïe. Elles ont avant 'tout
pour objet la délivrance du joug babylonien et la reconstitution de
Jérusalem ; elles sont d'ailleurs sur le point de se réaliser et c'est pour-
quoi elles sont exprimées avec tant de force. Or, si importantes qu'elles
soient pour l'avenir même de la religion de Yahweh, ces prophéties,
à elles seules, ne sauraient suffire aux perspectives d'un inspiré de
Dieu. Mais, pour y tenir une place secondaire, les éléments spirituels
sont loin d'être absents des oracles que nous venons d'étudier. D'abord
une condition est posée pour qu'Israël participe à la miséricorde.
Déjà réalisée par l'élite des captifs, elle sera exigée de tous ceux qui
voudront leur être associés dans l'œuvre du salut. Yahweh instruit
son peuple pour son bien, le conduit dans le chemin où il doit
marcher; c'est à la condition d'être attentif à ces commandements-
qu'Israël jouira de la paix pareille à un fleuve, de la justice sem-
blable aux flots de la mer. Sa postérité sera comme le sable son ;

nom ne sera ni retranché ni effacé devant Yahweh (1). Gomme le


prophète le dit ailleurs, il faut qu'Israël recherche Yahweh partout
où il se trouve, qu'il l'invoque tandis qu'il est près. Il faut que le
méchant abandonne sa voie et le criminel ses pensées, il faut qu'il
se convertisse; c'est alors seulement que Yahweh lui fera grâce et
lui pardonnera largement (2). Si gratuite que soit la rédemption,
ce serait en quelque sorte accepter le mal, pactiser avec les mauvaises
dispositions que de ne pas exiger ces conditions. Quand Yahw'ch
les rencontre, quand vraiment, on revient à lui, qu'on s'empresse à
profiter de son salut, sa première œuvre est d'efîacer les transgres-
sions comme une nuée, les péchés comme un nuage (3). C'est seule-
ment quand il connaît la justice et qu'il a la loi divine dans son cœur,
que le peuple peut écouter Yahweh, recevoir l'assurance qu'il n'y a
pas à craindre les hommes ni à redouter leurs outrages eux dispa- :

raissent, mais la justice de Dieu subsiste à jamais et son salut demeure


pour les siècles des siècles (i). Dans la nouvelle Jérusalem, d'autre

part, ses fils seront disciples de Yahweh; si la paix y est grande et


parfaite, c'est que la cité est affermie dans la justice (5). Yahweh
répandra son esprit sur la postérité de Jacob, ses bénédictions sur
les rejetons d'Israël, et ils croîtront parmi la verdure comme les

saules sur les eaux courantes (6).


Ainsi donc les éléments spirituels ont — et de la façon la plus

(1) Is., \LMU, 17-19. — (2) Is., LV, 6, 7. — (3) Is., XLiv, 22. — (4) Is., u, 7, 8. — (5) Is.

u\, 13, 14". — [>i) Is., xLiv, 3\ 4.


l'amf: juive ai' temps des perses. 3:5

explicite — leur place dans la vision des derniers jours de Texil;


aussi bien la prophétie tout entière est-elle pénétrée d'un souffle
ne permet pas de doute sur le caractère
relig-ieux et spirituel qui
général de ce salut tant de fois présenté comme l'œuvre de Dieu,
du Dieu juste, du Saint d'Israël. Mais, parmi ces traits mêmes que
nous venons de relever, il est facile d'en souligner quelques-uns qui,
dans les discours des autres prophètes, sont en connexion inmié-
diate avec les perspectives de restauration messianique. De telles
perspectives, en effet, ne sont pas absentes des horizons découverts
au regard de notre grand voyant; chez lui. comme chez les autres
interprètes de Yahweh, la transition se fait insensiblement de la
restauration nationale à Toeuvre messianique. Dautres traits complè-
tent et précisent les précédents. Tels ceux relatifs au salut éternel
qui pour jamais préservera Israël de toute honte et confusion 1),
à ce salut qui durera éternellement, impérissable comme la justice
divine elle-même (2). D'ailleurs, tout comme en Jérémie (3) et en
Ézéchiel '1-), quand ils parlent de l'œuvre du futur envoyé de Yahweh,
c'est sous forme d'alliance qu'à l'occasion ce salut est conçu et annoncé.
Après le pardon, il en sera pour Yahweh comme des eaux de Noé
lorsqu'il jura qu'elles ne se répandraient plus sur la terre; ainsi
a-t-il juré de ne plus s'irriter contre Israël et de ne plus le menacer.
Quand les montagnes se retireraient et que les collines chancelle-
raient, son amour ne son alliance ne sera pas ébranlée,
se retirera pas,
déclare celui qui a compassion de Jacob '5 .

Toutefois c'est surtout quand il s'agit du rôle d'Israël au milieu des


nations que les anciennes perspectives messianiques se font jour à
nouveau, mais avec des caractéristicjnes assez spéciales. Déjà l'œ'uvre
du salut d'Israël est présentée comme renfermant en elle-même une
vertu apologétique, afin que tous voient et sachent que la main de
Yahweh a fait ces choses et que le Saint d'Israël les a créées 6 : idée
que l'on retrouverait facilement, dans au moins en termes différents,
les oracles d'Ézéchiel (7 Mais les résultats de cette apologétique
.

sont exprimés ici avec une plus grande précision. Quand Yahweh
comblera son peuple de bénédictions (8), il y aura parmi les nations
des hommes qui, subjugués par ces marques de puissance et de misé-
ricorde, proclameront qu'ils veulent appartenir à Yahweh, tatoueront
sur leurs mains le mot « à Yahweh m; en même temps ils se récla-

Ij Is., \L^ , 17. — ^2) Is., Li, 6. — (3) Jer., xx\i, 31-34 ; \\\ii, 40 ; xxxm, 19-22. — (4 Ez.
ixiv, 25: xxxMi, 26. — (5) Is., uv, 'J, 10.
Ci Is., XLI, 20. — !7) Ez., ÏXXM, 21-23; etc. — (8; Is., xuv, 3.
RETUE B!BUQUE 1920. — T. 3XIX. -i
34 REVUE BIBUQLE.

meroiit du nom de Jacob et prendront le surnom d'Israël (1). Comme


on le voit, c'est surtout de conversions individuelles qu'il s'agit, et
la donnée est tout à fait en rapport avec les idées que la prédication
d'Ézéchiel doit faire triompher. Celui-ci, il est vrai, se place surtout

au point de vue d'Israël; mais les préoccupations individualistes sont


appelées à prendre, en tous les domaines, une place de premier
plan. Ailleurs, ce sont les Égyptiens, les Éthiopiens, les peuples livrés
à Cyrus en échange d'Israël 2), qui, éclairés par le salut accordé â
ce dernier, s'humilient devant lui et font cette profession de foi mo-
nothéiste : (c 11 n'y a de Dieu que chez toi. il n'y en a point d'autre,
nul autre absolument. En vérité, vous êtes un Dieu caché, Dieu
d'Israël, un Dieu sauveur! » Et ils confessent le néant de leurs
idoles (3). Un jour viendra où vers Yahweh, le seul Dieu, se tour-
neront, désireux du salut, tous les habitants de la terre. Alors se
réalisera la parole irrévocable cju'il a lui-même prononcée : « Tout
genou fléchira devant moi et toute langue me prêtera sermentEn :

Yahweh seul, dira-t-on, résident la justice et la force. On viendra à


lui et ceux qui sont enflammés contre lui seront confondus. En Yahweh
sera justifiée et g-lorifiée toute la race d'Israël (i). » Aujourd'hui méprisé
de tous, Israël sera alors objet de respects et d'hommages de la part
des rois et des princes (5). Quand Yahweh accomplira son salut et
son œuvre de justice, les lies espéreront en lui et se confieront dans
son bras; on se laissera g-uider par sa loi et éclairer par ses com-
mandements i6j. De son côté Israël appellera les nations, celles-là
même quïl ne connaissait pas auparavant, et elles accDurront à lui,
à cause de Yahweh son Dieu et du Saint d'Israël, parce qu'il l'a glo-
rifié (7). C'est ainsi que, rétabli par l'alliance comme peuple, devenu
« alliance de peuple 8) », Israël sera l'idéal des autres nations, leur

(1) Is., XLiv, 5.


— (2) Is., vLin, 3. — (3; Is., xlv, 14-17. — (41 Is., i.v, 22-25. — (5) Is.,

XLix, 7; cf. XLix, 22, 23. — (6) Is., Li, 4. 5. -7 (7j is., LV, 5.

CeUe locution {D'J T\^'yi1 TilT]H) revient deux fois (ïs., xui, 6; xlix, 8j dans la par-
(8)

tie du nous occupe; c'est, en ces deux cas, après une section de la grande
livre d'Isaïe qui
prophétie du Serviteur de Yahweh. mais dans des discours qui paraissent bien s'adresser
au peuple d'Israël lui-même. Le sens de l'expression ne laisse pas de présenter quehjue
difficulté. On peut rapprocher cette locution de plusieurs autres qui lui ressemblent, par

exemple de cette parole adressée à Abraham : <( Sois une bénédiction » (Gen., \n, 2''). Ici

Abraham nous apparaît comme incorporant en quelque sorte la bénédiction divine, de telle

sorte que toutes les nations y puissent participer (cf. Gen., xii, 3'). De même Israël appa-

raît comme Dieu peut conclure


l'incorporation, l'expression la plus parfaite de l'alliance que
avec un peuple, et de telle sorte aussi que au moins
les autres nations y puissent participer,

par imitation (cf. Is., xui, 6'>, le parallélisme «Jeté donnerai en alliance de peuple et
:

en lumière des nations »). Cette alliance, qui doit prendre place dans l'avenir, est celle
dont parle Jérémie (Jer., xxxi, 31-33), alliance toute nouvelle et toute difléreute de l'an-
L'AME JUIVE ALI TEMPS DES PERSES. 3u

lumière (1). Des idées analogues se font jour dans une évocation,
fugitive à la vérité, du personnage qui, après Yahweh, tient la première
place dans les perspectives messianiques de la plupart des prophètes :

le roi davidique. L'alliance éternelle accordée à Israël est identifiée


avec les promesses de miséricorde faites à David i). L'allusion est
claire, et elle vise les assurances David au nom
données par Nathan à

de Yahweh « Yahweh t'annonce qu'il te fera une maison. Quand


:

tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec t«s pères,
j'élèverai la postérité après toi, celui qui sortira de tes entrailles, et
j'affermirai... pour toujours le trône de son royaume... S'il fait le mal.
je le châtierai avec une verge d'shommes et des coups de fils d'hommes.
Mais ma grâce ne se retirera pas de lui... Ta maison et ton règne
seront pour toujours assurés devant toi; ton trône sera affermi pour
toujours (3). » Ces promesses ont une portée éternelle, un sens inamis-
sihle. Les événements qui se sont succédé ont pu paraître en arrêter
le cours. C'était l'une de ces heures où Yahweh châtiait; mais,
même alors, il châtiait avec une verge d'hommes. Aussi, dès que la
œuvre, il revient à sa promesse et le pacte éternel
justice a fait son
qu'il conclut avec lepeuple est complété par le pacte éternel avec
la maison de David. De même qu'en Ezéchiel ['*), si grand que soit
l'empire de Yahweh sur le nouveau royaume, il l'exerce par un
intermédiaire de race davidique; de même qu'en Ezéchiel (5i, cet
intermédiaire mérite d'être appelé lui-même du nom de David et,
comme autres prophètes, notre voyant promet au futur héritier
les

de la vieille dynastie une autorité et une domination universelles (6).


Mais un trait nouveau intervient. Comme le peuple fu.tur, ce roi
de l'avenir est appelé à être la lumière des nations; il sera auprès
des peuples le témoin de Yahweh (7), c'est-à-dire de sa puissance
et, sans doute encore, de la fidélité avec laquelle il réalise ses prédic-
tions. C'est ainsi que nous retrouvons en Is., xl-lv tous les éléments
des anciennes prophéties messianiques, mais chacun d'eux avec sa

cienne qui a élé rorapne. C'es^t par cette alliance même qu'Israël, aujourd'hui dispersé à

tel point qu'on ne peut vraiment plus l'appeler une nation, redeviendra un peuple, sera
reconstitué; cette alliance sera une alliance dont le terme même sera le rétablissement du
peuple; d'où l'emploi de cette locution un peu emphatique D" n'i12^ TIjPX en place de
la locution plus simple, mais beaucoup moins expressive, T\^']2 n"S Tt^nx. — Ceux qui
rapportent nos deux textes au Serviteur de Yahweh
ajoutent à l'idée générale que nous
venons d'exprimer celte donnée importante, quoique secondaire, que le Serviteur sera le
principal intermédiaire et instrument de l'alliance qui entraînera la résurrection d'Israël.
(1) Is., XLii, 6":i. —
(2) Is., Lv, 3'. (3) — U
Sam., vu, 4-17, surtout vers. Il'', 12, 16;
cf. xxui, 5. — (4) Ez., XXXIV. 11, 15 et 23, 24. — (5) Ez., xxxiv, 23. 24; xxxvii, 24 25.
(0)ls., Lv, 3''. — (7),Is., i.v. 4.
30 REVUE BIBLIQUE.

nuance particulière et nouvelle. C'en est peut-être une encore que la


lin même Yahweh. Si celui-ci a mis ses paroles
attribuée à l'œuvre de
dans la bouche d'Israël, s'il l'a protégé et couvert de Tombre de sa
maio, c'est sans doute pour dire à Sion « Tu es mon peuple », mais :

aussi pour étendre des cieux et fonder une terre (1) allusion vrai- :

semblable aux nouveaux cieux et cà la nouvelle terre qui tiendront


une si grande place dans les prophéties de l'avenir et surtout dans
les visions apocalyptiques. Mais déjà ces paroles sont en relation

étroite avec un personnage dont le rôle constitue l'élément le plus


nouveau du message qui nous occupe.
VIII. — Les oracles qui précèdent sont pleins de lidée d'un apostolat
d'Israël auprès des païens; mais d'une manière générale, cet apos-
tolat consiste surtout dans le rayonnement que, revenu chez lui,
Israël exercera dans le monde. D'une activité de missionnaire qui se
produirait par le déplacement d'Israël au milieu des peuples, grâce,
par exemple, à l'activité des fils de la dispersion, il serait assez diffi-
cile de découvrir des traces indiscutables. Israël appelle les nations (2),

les reçoit, plutôt qu'il ne va chez elles; si, trop à l'étroit dans Jéru-
salem, les rapatriés se répandent à droite et à gauche, prenant
possession des pays déserts (3), ce trait ne parait pas mis en
rapport avec l'idée d'une propagande religieuse. Cette propagande
est réservée à un personnage dont, par ailleurs, le rôle est d'une
importance et d'une grandeur sans égales : le Serviteur de Yahweh.
Ce n'est pas la première que nous rencontrons cette expression.
fois

En nombre de cas, de la façon la plus claire au


elle s'applique

peuple Israélite considéré dans toutes les phases de son existence,


passé, présent et avenir. Elle s'applique, en plusieurs de ces textes, à.
la nation tout entière, ou au moins à la masse des captifs, à ce peuple
et à cette masse que le prophète qualifie de « sourd » et « aveugle (4) ».
Mais il va de soi que le voyant attribue plus volontiers ce titre à la
fraction d'Israël qui le mérite davantage, à ce groupe de justes,
de fidèles qui, par leur docilité, leur résignation, leurs souffrances,
ont expié leur iniquité, reçu le double pour leur péché ô), dont en
même temps les mérites peuvent avoir assez d'efficacité pour entraîner
la masse elle-même dans la participation à la miséricorde et au
salut. Une autre série de textes (6 toutefois mérite d'être prise en très

(1) Is., i.i, 16.

(2) Is., LV, 5.


— (3) Is., Liv, 3.

(4) Is., xLii, 19 (où ces épithètes sont explicitement appliquées à Israël Serviteur [de
Yahweh]. — (5) Is., \l, 2; xli, 8; xun, 10; xliv, 1,2; etc.

(6) Les textes auxquels nous faisons allusion sont les suivants ; Is., xlii, 1-4; xux, 1-6
L'AME JUIVE Al TEMPS DES PERSES. 37

spéciale considération; par leur contenu, par le lien qui les unit,
peut-être même par leur constitution poétique, ils tranchent sur ceux
qui les entourent, ils s'en laissent facilement détacher, bien que
parfois puisse y avoir des phrases destinées à servir de suture (1 ;.
il

On a beaucoup discuté sur la portée de l'expression « Serviteur de


Yahweh » en ces passages r2). Notre intention n'est pas de critiquer
les divers systèmes et interprétations qui ont été proposés. Il nous
parait hors de doute que, contrairement à ce cjui arrive dans les cas
que nous avons jusqu'alors rencontrés, l'expression « Serviteur de
Yahweh » ne peut avoir ici un sens collectif. Duhm lui-même appelle

l'hypothèse du sens collectif « le plus superficiel de tous les expé-


dients » ; à ses yeux, le Serviteur n'est pas plus collectif que l'héritier
davidique dont il est question dans les écrits prophétiques, que le Sage
des Hagiographes. Il s'agit sûrement d'un individu; certains traits,

L, 4-9 et, le plus important de lous, lii, 13 -lui, 12. On remarquera dans Is., xlis, :j, le membre
de phrase « Tu es rnoa serviteur, Israël ». Bien qu'attesté par les versions, le mot « Israël >

doit être traité comme une Le contexte le prouve, surtout les vers. 5 et G,
glose fàclieuse.
dans lesquels précisément le Serviteur reçoit pour mission de (ramener » Jacob à Yahweh,
de lui « réunir Israël, de rétablir les tribus de Jacob, de ramener les dispersés d'Israël.
«

CeUe glose, qui témoigne d'une exégèse d'après laquelle, dans ce texte comme dans les

autres, le Serviteur était Israël, a beaucoup contribué à perpétuer cette interprétation.


(1) Cf., Is., xLii, .5 sv. xLix, 7 sv.; surtout l, 10. Encore est-il que plusieurs critiques
;

(Condamin) rattachent certains de ces textes aux passages concernant le Serviteur.


(2) L'exégèse qui interprèle les textes eu question et notamment Is., un,
c'est surtout —
de ce dernier passage que s'occupaient les anciens —
dans un sens collectif nous vient
des Juifs du moyen âge. De l'aveu de plusieurs d'entre eux, elle est contraire à l'ancienne
tradition rabbinique, qui entendait cette parasa d'un individu et souvent l'appliquait au
Roi Messie. Nombre de critiques contemporains ont repris celte idée. Les uns étendent,
sans distinction d'aucune sorte, les textes au peuple d'Israël pris dans son ensemble et
considéré comme expiant ses fautes dans la captivité Smend, Giesebrecht, Budde, Konig,
:

Halévy, etc. D'autres en limitent l'interprétation à une partie seulement du peuple des
justes, l'ordre des prophètes), dont les épreuves auraient une valeur expiatoire pour la

nation tout entière : Reuss, Monnier, etc. D'autres (Dillmann, A. B. Davidson, Driver,
G. Adam Smith, Kirkpatrick, Skinner, Kautzsch, etc.), tout en admettant le sens collectif,
professent volontiers que cette espérance, fondée sur la nation, n'a été pleinement réalisée
qu'en Jésus-Christ, que lui seul a compris l'œuvre du Serviteur, a eu conscience d'être le

Serviteur, a entrepris efficacement d'en réaliser la mission. — D'autres critiques, on le sait,

se sont attachés, avec Duhm. au sens individuel. D'aucuns se sont contentés d'identilier
ce Serviteur avec un personnage typique, générique un personnage idéal, un docteur de
:

la Loi, etc. nom propre emprunté soit à l'histoire du passé, soit


D'autres ont prononcé un
à l'histoire contemporaine du « Deutéro-Isa'ie ». On sait que Sellin a beaucoup varié, ayant
pînsé successivement à Zorobabel, puis à Joachin, pour dire enfin que, composés d'abord
à propos de Joachin, ces textes avaient été ensuite étendus à tout Israël. Sur le .S'eri'i- —
t'iur de Yahweh et sur les textes qui s'y rapportent, voir A. Condamin, Le liire d'Isaie,

p. 325 et ss.; A. CoNDAMi.N, Le Serviteur de lahvé, un nouvel argument pour le sens


individuel messianique, dans Revue Biblique, 1908, p. 162-181 A. vvn Hoonvckek, :

L'Fbed lahvé et la composition littéraire des chapitres XL ss. d'Isate, dans Revue
Biblique, 1909, p. 497-528.
38 REVUE BIBLIQUE.

la résurrection n-ota aiment, pmis la vie et la postérité après la résur-


rection, ne peuvent sans violence rentrer dans le cadre d'une person-
nification littéraire.
Mais, s'il s'agit d'un individu, quel est-il? Il nous semble qu'en
prenant les textes tels qu'ils sont et indépendamment des difficultés
qu'ils peuvent soulever, on ne peut garder aucun doute sur leur sens
obvie. Le terme de l'œuvre du Serviteur, malgré des formes et
aspects très particuliers, est identique à celui de l'œuvre messianique
elle-même. Aussi l'hypothèse la plus directe, la plus normale, la
plus consistante est celle qui consiste à voir dans le Serviteur l'artisan
même de cette tpuvre messianique. Une objection, il est vrai, se
présente aussitôt contre cette interprétation : elle est tirée, d'une part,
du contraste frappant que l'on ne peut manquer de relever entre
l'esquisse de la mission du Serviteur et le programme tracé au Messie
dans l'ensemble des écrits prophétiques, dans celui-là même (jui

fait l'objet de notre étude (1); d'autre part, ajoutent des critiques, de
Tabsence totale d'une influence quelconque de cette magnifique
vision sur les idées des temps postérieurs concernant le Messie. Il est
incontestable que ces pages sont uniques, que leur influence a été
restreinte (2) ; l'élévation même des pensées qui s'y font jour expli-
querait peut-être leur isolement. Des critiques cherchent à expliquer
le contraste que ces fragments forment avec l'ensemble du Deutéro-
Isaïe en les attribuant à un auteur distinct. Nous pouvons aussi
justement penser à une vision tout à fait à part, touf à fait isolée,
dont le voyant aurait été favorisé au cours de sa carrière prophétique.
Entendues du Messie, ces pages en éclairent des aspects tout
nouveaux. Elles nous parlent d'abord de ses rapports avec Yahweh.
Il est le serviteur que Yahweh soutiendra (3), l'élu « en qui mon âme
se complaît (V) ». Il a été appelé dès le sein maternel; formé dès lors
pour sa mission, il a reçu un nom dès les entrailles de sa mère (5).
Il a été protégé, abrité sous l'ombre de la main divine, caché comme
la flèche dans le carquois (6). I>'autpe part, tout comme sur le roi
messianique, Yahweh a mis son esprit sur lui (7). Il l'appelle, en effet,

à. de hautes destinées, il veut se glorifier en lui (8). Et, à cet elfet,


il le charge de répandre sa justice parmi les nations (9). Le Serviteur
doit, sans doute et avant tout, ramener Jacob à Yahweh, lui réunir

(1) Cf. Is,, LV, 3, 4.

(2) Qin peut toutefois relever des traces d'une telle influence dans Is., lxi, 1-3; Zach., \ii,
ID (cf., pour ce dernier texte, van Hoonacker, Les douze petits prophètes, ad loc).
i3) Is., XLix, 3»..— (4r) rs., ïtii, 1. —(5) Is., XEix, 1% ^. —
(6) Is., xlk, 2''^ —
(7) Is.
XLII, V; cf. IS., XI, 2. — (8j Is., XLIX, 3''. —(9) Is., xu, i".
1;a\IE JLIVE au temps des perses. 39

Israt'l1). Mais c'est trop peu de chose; il est encore établi pour être

la lumière des nations, pour faire arriver le salut divin jusqu'aux


extrémités de la terre "2 C'est pour cette œuvre qu'il est honoré aux
.

yeux de Yahweli que son Dieu est sa force .3).


et
Mais ce qui est le plus nouveau, c'est la manière dont le Serviteur
doit accomplir cette œuvre. Le Seigneur lui a donné une langue de
disciple, pour qu'il sache fortifier par sa parole celui qui est abattu;
chaque matin il éveille son oreille, pour qu'à la façon des disciples,
il écoute l'enseignement qu'il doit distribuer au monde; et le Servi-

teur se garde de résister, de se retirer en arrière i De fait son i


.

œuvre propre, c'est d'annoncer la justice en vérité; c'est de ne faiblir


ni de ne se laisser abattre qu'il n'ait établi le jugement sur la terre,
annoncé aux iles la loi quelles attendent (5 > Pour cette fin, sa bouche
est semblable à une épée tranchante, il est lui-même une flèche
aiguë (6). Mais il devra tempérer ses ardeurs et accomplir son œuvre
dans une parfaite mansuétude « il ne criera pas, il n'élèvera pas la :

voix, il ne la fera pas entendre dans les rues; il ne brisera pas le


roseau froissé, il n'éteindra pas la mèche prête à mourir T). » Tel
est le premier aspect de l'œuvre du Serviteur; il est le missionnaire
de Yahweh, non seulement en Israël, mais au milieu du monde païen,
chargé de répandre la connaissance de son Dieu, de sa justice, de sa
loi parmi les nations. Rien de la conquête par les armes à laquelle

de nombreux oracles faisaient allusion à propos des temps messia-


niques (8) mais une œuvre de persuasion, dans la mansuétude et la
;

pitié pour ceux qui sont faibles.


La grandeur de cette idée, de cette vision de l'avenir ne saurait
être trop admirée; elle le cède pourtant à cette seconde partie du
tableau qui nous met en présence de la forme la plus élevée de
l'œuvre rédemptrice. En une première description, le Serviteur nous
apparaît livrant son dos à ceux qui le frappent, ses joues à ceux qui
lui arrachent la barbe, ne 'dérobant pas son visage aux outrages et
aux crachats (9), Bien plus en face de ces mauvais traitements, il
:

ne se laisse ni abattre, ni fléchir, tant il est sur que YahAveh viendra


à son aide, qu'aucun adversaire ne pourra le confondre ni le con-
damner; au contraire, il sera lui-même témoin de leur effondre-
ment (10). —
Mais c'est dans une autre page que la vision prophétique
prend son plein développement, dans cette page que si souvent on a

(1) Is., \ux, 5'^, 6". — 2) Is., \Li\, 6''. — 3i Is.. vi.ix, 5'".

1,4;- Is., I.. 4, 5. — (5; Is., XLii, 3'', 4. — <3) Is., xu\, 2'-'''-^ — (7) Is., x;.ii. :!. 3'. —
(8) Ara., IX, 1*1 Is., IX, 3, 4; xi, 14 ; etc.
(9, Is., I., 6. — (lOj Is., L, 7-9.
40 REVUE BIBLIQUE.

appelée l'ÉA-angile anticipé de la Passion. Elle est trop connue pour


que nous en analysions le contenu; il suffit de mettre en relief les
idées maîtresses de ce que l'on pourrait appeler un véritable drame.
Le dernier mot sera sans doute le succès, la grandeur, l'exaltation,
la suprême élévation du Serviteur
(1). Mais, auparavant, se passe-
ront des événements qu'on aura peine à croire à qui les annon-
tels

cera, qu'on hésitera à reconnaître cette manifestation du bras de


Yahweh (•2j. —
Ce qui attire, en premier lieu, l'attention, c'est
l'humiliation du Serviteur; il apparaît défiguré, son aspect n'est plus
celui d'un homme, ni son visage celui des enfants des hommes (3).
Il se lève comme un frêle arbrisseau, comme un rejeton qui sort
d'une terre desséchée ; il n'a ni forme, ni beauté pour attirer les
regards, ni apparence pour exciter l'amour (4). Il est méprisé, aban-
donné des hommes, homme
de douleur, familier de la souffrance;
pareil à un objet devant lequel on se couvre le visage, il est en butte
au mépris, on ne fait de lui aucun cas (5). Non seulement il est humi-
lié, mais il souffre jusqu'à la mort; il est transpercé, brisé, meurtri,
maltraité (6) il est enlevé par l'oppression et le jugement, mis à
;

mort sans qu'on s'inquiète de lui (7). L'humiliation l'accompagne


même au delà de la vie, et son sépulcre se confond avec ceux des

(1) Is., ui, 13. — (2; Is., Lni, 1. — (.3) Is., lu, l'i»,-''. — (4) îs., un, 2. — (5i Is., un, 3.

— (6) Is., un, 5, 7.

(7) Is., Lin, 8. Ce verset est difficile. Dans le premier membre de phrase "C^w'Z^CI 1J.;"C
np;, la particule O nous parait, malgré que ce ne soit pas son sens ordinaire, pouvoir
être rendue par un sens causatif : il a été enlevé (mis à mort) par suite de l'oppression et
du jugement, comme si, par exemple, sa mort était la suite d'une sentence prononcée

contre D'aucuns traduisent il a été ravi à l'oppression et au jugement, soit par la


lui. :

mort qui a été le point de départ de sa gloire, soit par un miracle analogue à l'enlèvement
d'Hénocli et d'Élie (np ; est le terme consacré au sujet d'Hénoch). Cette dernière hypo-
thèse (enlèvement) nous paraît fort peu probable. — Le deuxième membre de phrase
nniil?'' "iD ilifriXl a été isolé par S. Jérôme de ce qui précède et de ce qui suit, puis

traduit par Generationem ejus quis enarrabit; cette traduction est d'ailleurs devenue le

point de départ de commentaires dans lesquels on a complètement méconnu le sens du mot


"il". Ce mot évoque tantôt l'idée de séjouï (rare), tantôt celle de ])ériode. époque (locution
"IITI "S^rh), tantôt celle de génération ou d'ensemble des contemporains. Duhm, s'en tenant

au premier de ces sens, traduit le membre de phrase en l'isolant de ce qui vient ensuite : « et

de son séjour (l'endroit où il a été placé après son enlèvement) qui donc s'enquierf? « Cette
restriction et celte interprétation du sens nous parait sujette aux du mot « séjour «

mêmes critiques que l'interprétation du premier membre de phrase dans le sens d'enlève-
ment; en revanche on pourrait laisser indéterminé le sens du mot séjour, et la phrase
reviendrait à dire qu'après sa disparition personne ne se préoccupe de lui. Quelques inter-
prètes, reliant 8».^ à 8'', traduisent : « Et, parmi (riN est-il susceptible de ce sens?) ses con-

temporains (ou : et quant à ses contemporains), qui considère qu'il a été retranché de la

terre des vivants?... ».


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 41

méchants et des violents (lu —


Eq deuxième lieu, c'est sa résignation
qui attire l'attentionon le maltraite et lui se soumet à la souffrance
; ;

il n'ouvre pas la bouche, semblable à l'ag'neau qu'on mène à la


tuerie, à la brebis muette devant ceux qui la tondent (2i. Cette —
attitude gagne déjà les sympathies. Mais voici qu'en troisième lieu,

une équivoque se dissipe. En vertu du vieux préjugé d'après lequel


ily a toujours rapport entre la douleur et le péché, on a d'abord
regardé le Serviteur comme un puni, accablé et humilié par Dieu
lui-même (3). Mais bientôt son innocence a frappé les regards; il n'a
pas commis de violence, il n'y a jamais eu de fraude dans sa
bouche (4); la comparaison avec l'agneau 5) évoque l'idée d'une 1

justice sans réserve. — Mais c'est alors qu'en quatrième lieu se pose
le problème de la raison d'être de tant de détresse. La réponse est
sublime. En toute vérité, c'était nos maladies qu'il portait, nos dou-
leurs dont il s'était chargé (6 ; il était transpercé à cause de nos
péchés, brisé à cause de nos iniquités; le châtiment qui nous donne
la paix était sur lui, ses meurtrissures étaient le gage de notre
guérison (7). Nous étions comme
des brebis, chacun suivant sa pro-
pre voie; et Yahweh
retomber sur lui l'iniquité de nous
faisait

tous (8 la plaie le frappait à cause des péchés du peuple (9).


; 11 ne —
reste plus qu'à dire, en cinquième lieu, l'issue de ce douloureux sacri-
fice. Sans doute il a plu à Dieu de briser le Serviteur par la souffrance.

Mais Dieu le relèvera. Quand son âme aura offert le sacrifice expiatoire,
il goûtera les joies du triomphe. Revenu à la vie, délivré du tombeau,

il verra une postérité; il vivra de longs jours, le dessein de Dieu


prospérera en ses mains; à cause de ses souffrances, il verra et se
rassasiera (10). Mais les fruits de son sacrifice ne s'arrêteront pas à sa
personne. Par sa connaissance, — celle qu'il a de Yahweh, — le Juste,

le Serviteur justifiera beaucoup d'hommes, ceux dont il aura porté


les iniquités (It). Yahweh lui donnera sa part parmi les grands, il
possédera le butin avec les forts (12), il aura une puissance, une

'1) Is., LUI, 9'. L'idée de sépulcre ne cadre guère avec celle d'enlèvement, à moins qu'on
ne distingue entre l'enlèvement de l'âme et
le sépulcre du corps, interprétation qui ne

répond guère ni aux conceptions psychologiques des Israélites, ni aux cas d'Hénoch et
d'Élie. Pour 9^ï le texte actuel porte : « et son monument est avec le riche » ; mais le

parallélisme favorise peu ce sens. Diverses corrections ont été proposées (piury, oppres-

seur: 'p'^u-^'J [araméen], fraudeur; 71 ''ÏJ", malfaiteurs — au lieu de ll'JJ", riche; on


pourrait aussi penser à *y^1", violent) en vue de rétablir la symétrie des deux membres.
(•>} Is., LUI, 7. — (3) Is-, LUI, 4''. — (4) Is., lui, 9'\ — (5) Is , lui. 7. — (G) Is., lui, 'i\
— 17) Is., Lin, 5. — (8) Is., lui, 6. — (9) Is., lui, S'-.î. — (10) Is., lui, 10, IP^ — (11) Is.,
i.iii, 11'?''. — (12) Is., Lin, n'o^i.
42 REVUE BIBLIQUE.

influence pareilles aux leurs. Telle sera la suite de son sacrifice, de


l'humiliation qui l'a mis au rang- des malfaiteurs, de rexpiation qu'il
aura faite pour la faute d'un grand nombre, de son intercession pour

lespécheurs (1). C'est alors, après que beaucoup auront été dans la
stupeur en le voyant si misérable, qu'il fera tressaillir des nations
nombreuses: devant lui les rois fermeront la Louche, saisis de res-
pect et stupéfaits par les événements inouïs dont ils auront été les
témoins (2).
Jamais la prophétie de l'Ancien Testament ne s'est élevée plus haut.

a Is., LUI, 1T:^>. — (2) Is.. i.n, 14'«, 15.

(.4 suivre.)
J. TOUZ.ARD.
NOTES SUR LES PSAUMES

PSAUME M

Les vers du psaume vi sont de trois accents. Le nom divin est en


surcharge aux vv. o a b et 5 a. Les vv. 9 « et 11 a sont aussi trop
longs Sz a dû être introduit dans le premier par une glose et "wZ',
:

dans le second, par une réminiscence de copiste. Enfin le v. 10 a,

régulier au point de vue du mètre, pourrait bien n'être qu'une


variante du vers précédent.
Les vers sont groupés tantôt en distiques, tantôt en tristiques. Il est
évident par exemple que le v. h a, en raisonnotamment du ivau: par
lequel il commence, se rattache au vers précédent et non au suivant.
De même les trois propositions du v. 7 se trouvent former un tris-
tique, à moins qu'on ne première comme interpolée ou
rejette la
d'un quatrième membre.
([u'on n'affirme la disparition
Dulim distribue le poème en strophes de cinq vers (1), composées
chacune d'un tristique et d'un distique dans la première strophe, :

le tristique (vv. 2-3 a formulerait une demande dont le distique


(vv. 3 ô-i a) énoncerait le motif. L'existence de quatre strophes de
cinq vers chacune est indiquée en effet par le sens. Les trois dernières
surtout s'opposent nettement l'une à l'autre : le cours des idées
change avec les vv. 7 et 9. Mais si la seconde et la troisième strophe,
et peut-être la quatrième, sont composées d'un tristique et d'un dis-
tique, on ne saurait en dire autant de la première le troisième vers :

V. 3 a), en vertu du parallélisme, se rattache nécessairement au vers

suivant (v. 3 6), comme Pannier l'a bien vu, et non au verset précé-
dent; l'un et l'autre d'ailleurs contiennent à la fois et l'énoncé de la
prière et l'exposé de son motif. Nous ne pouvons sur ce point faire
violence à la réalité par un amour de la symétrie que l'auteur possé-

;i) H. Losètre (Le livre f/es Psaumes, Paris 18;»7^ adoptait déjà cette distribution, sauf
à laisser six vers dans la dernière strophe.
44 REVUE BIBLIQUE.

dait sans doute à un moindre degi'é que nous. On remarquera encore


que presque toujours, dans les tristiqaes, l'un des vers est plus ou
moins en dehors du parallélisme cf. vv. i a, \ b, "7 a, 9 al).
Les nombreuses assonances en -r surtout et en -^ ou en ^) qui !

caractérisent ce poème ne semblent pas intentionnelles elles ne sont :

pas distribuées de façon régulière et manquent à des fins de vers où


il eût été facile de les obtenir, par exemple en déplaçant un mot.

Le psaume fait entendre la supplication, terminée par un cri de


confiance, d'un malade persécuté par ses ennemis. Dans les deux
premières strophes, le psalmiste s'adresse directement à lahvé; la
quatrième débute par un discours aux ennemis. « Que lahvé ne traite
pas avec colère le pauvre malade épuisé, qu'il ait pitié de lui et le
guérisse (vv. 2-4 a; première strophe). Qu'il ne prolonge pas son
épreuve, mais qu'il le sauve dans sa miséricorde, pour que le psal-
miste puisse chanter encore ses louanges (vv. 4 è-6; seconde strophe).
Ses souffrances sont attestées chaque nuit par l'abondance de ses
larmes et aggravées par le chagrin que lui cause la persécution de
ses ennemis vv. T-8'. troisième strophe Qu'ils s'éloignent, ces mal- .

faiteurs, car lahvé va exaucer la prière du patient et tous ses ennemis


seront de nouveau confondus (vv. 9-11; quatrième strophe) ».

1 Av. maUre de chœur. Sur les inslrumenh à cordes. A l'octave. Psaume de David.

2 lalivé, ne me
punis pas avec colère
et De me châtie pas avec fureur.
3 Aie pitié de moi [ ]. car je suis sans force.
guéris-moi L ], car mes os sont 'épuisés"
i et mon àme'est effrayée à l'extrême.

Mais jusques à quand /


toi, lalivé.
Reviens [ ], délivre mon âme.
••

sauve-moi à cause de ta miséricorde.


6 Car. dans la mort, on ne se souvient pas de toi :

dans le clieol. qui te louera/


'
Je me suis fatigué à gémir :
chaque nuit je baigne ma couche.
de mes larmes, je détrempe mon lit.

^ Mon œil est rongé par le chagrin :

J'ai vieilli 'à cause des outrages' de mes ennemis.


''
' Eloignez-vous de moi. [ ] artisans d'iniquité:
car lahvé a entendu la vois de mes larmes,
io lahvé a entendu ma sujjplication. ••

lahvé accueillera ma prière.


11 et tous mes ennemis seront effrayés à l'estiiine :

ils retourneront à leur confusion, en un instant.

II

2. Une traduction littérale du verset exigerait : « ... avec ta colère... avec ta


fureur ». Mais roniission du possessif permet de mieux rendre en français le sens de
l'original. La négation prohibitive, en effet, au lieu d'être immédiatement suivie du
NOTES SLR LES PSAUMES. 4:3

verbe, comme c'est la règle (Giv 152 /*), tombe sur les deux compléments iadiiects,
ce qui indique le sens : « Que ce ne soit point avec colère que tu me punisses, ni
avec fureur que tu me châties I » La correction divine ne sait-elle pas revêtir une
forme paternelle? (Job, xxxrii, 14-30; Prov. m. il s.). Cette interprétation sera
d'ailleurs conûrmée si Ton se reporte aux origines mêmes de la formule. Elle se
retrouve d'abord identique, sauf la substitution de =iïp à ^n, dans Ps. xxxvtii. 2.
Mais dans les deux psaumes elle dérive de Jér. x, 24 s. (cf. Ps. lxxix, 5-7). C'est là
que pensée apparaît plus naturelle et mieux adaptée au contexte, plus intelligible
la

aussi et s'expliquant d'elle-même Châtie-nous, lahvé, mais avec équité et non avec
:

ta colère, pour ne pas nous réduire à presque rien! Déverse ta fureur sur les nations
qui ne te connaissent pas et sur les peuples qui n'invoquent pas ton nom! Car ils ont
dévoré Jacob et ils l'achèvent, et ils ont dévasté ses pâturages. » Partie de là, l'idée
s'est condensée dans une formule stéréotypée: elle est devenue une prière tradition-
nelle que l'on aimait à adresser à lahvé en faveur de son peuple ou même d'un de
ses fidèles. Ainsi souvent trouve-ton Jérémie aux origines des diverses formes de
la piété juive.
Tandis que, dans l'épreuve, d'autres psalmistes confessent leur péché (Ps. xxxir,
1-2, 5: xxxYiii, 4-6, 19; XXXIX. 9), celui-ci ne va pas jusqu'à se déclarer coupable;

mais il comme d'autres (vir, 4-6, 9-10; xxvi, 1-12). de son


ne proteste pas non plus,
innocence et lespremiers mots de sa prière n'équivalent-ils pas à un aveu?
3. mni surcharge le rythme dans le premier et dans le second vers; sa pré-
sence est d'ailleurs inutile et run'^ secundo manque dans G ^B\ — ^S^X est
un participe pu'lat sans "2 (Gesenius: Kônig, [I, p. 247 s.] ; Briggs) ou plutôt

un (Ewald BDB; GB; GK 84 m; Delilzsch; Bathgen). Le mot comporte-


adjectif :

patah à la dernière syllabe en raison de l'aptitude de la consonne finale au


rait le
redoublement (Koxig. II, p. 501 ou bien un pata/i remplacerait ici le qâmes de la
,

forme parce que le ton principal du groupe réside sur le mot suivant (Delitzsch .

ibnz: est attesté par tous les témoins; mais on ne comprend guère que deux vers
consécutifs le répètent. Comme le verbe est beaucoup mieux à sa place au v. 4 a, il
aura été suggéré ici à un copiste par le contexte subséquent, la ressemblance gra-
phique aidant. L'auteur avait sans doute écrit l-iz Halévv ,
que l'on retrouve avec
le même sujet dans Ps. xxxii, xxxi. 11).
3 (cf.
•Le psalmiste ne se contente pas de demander à lahvé d'en user avec lui sans
colère, il le prie d'avoir pitié de lui et de le guérir les mêmes verbes sont accouplés
dans Ps. xli, 5: cL Jér. xvir, 14 1
et pour l'apitoyer, il représente l'état de faiblesse
et d'épuisement où la maladie l'a réduit et aussi iv. 4 a) la fraveur qu'il a de
mourir : car il est impossible de ne pas joindre le vers suivant, comme l'indique la
copulative.
4. Sur 7.x écrit défectivement, cf. GK 32 <j. — ^r-2 TJ est ainsi employé seul,

comme exclamation ou interjection, dans Is. vi. Il; Hab. n, 6; Ps. vi, 4; xc. 13
cf. GK 147 c}. On peut supposer : « Jusques à quand seras-tu irrité », comme dans
Ps. Lxxix. 5. Mais l'analogie est plutôt avec Ps. xc, 13, à cause de ce qui suit : voir
au v, 5.

o. La position de l'accent dans nzir s'explique comme au Ps. m, 8; d'ailleurs


.-nn"' est de trop ici comme au v. 3, et il est à noter que ni Hier. Rom. ni Mozar. ne
le traduisent. nnVw* est-joint aussi à "2 'T^'J dans Ps. xc, 13, mais dans l'ordre
inverse. Le Ps. vi fait-il allusion au Ps. xc? On en peut douter. Mais le parallélisme
des deux textes montre au moins que dans l'usage des hommes pieux, les deux
40 liEVCE BIlîLIQLE.

expressions allaient volaûtiers enserable, et c'est iine raison de plus de ne pas sépa-
rer le V. 4 6 du V. 5 (/. L'opposition des deux termes indique pour "TTI TJ le sens :

« Combien de temps encore resteras-tu éloigné (ou détourné) de moi? »Le motif
présenté à lahvé pour l'inciter à sauver son fidèle est sa seule miséricorde
{d. Ps. cix, -26).

6. L'emploi de 'jix est ici le même qu'au Ps. v, 10. — Au lieu de r]137, attesté

par M'ASTPHier. Hebr. recordatio lui (Casin. a. par correction de L : non est in
morte qui memoria sit tuil), G, suivi par CL (Veron. Mozar. etc. Hier. Rom.-Gall.)
Y. a lu T]137, qui semble préférable. — L'accect de mi*) est sur le début du mot,
en raison du monosyllabe qui suit, lequel a reçu un dagvech euphonique (cf. GR 20 cK
Il s'agit de la louange adressée à lahvé dans l'exercice de son culte, comme semble
l'indiquer le S qui précède le complément : l'expression est d'ailleurs particulière
aux écrits postexiliens et fréquente surtout dans les psaumes.
Le psalmiste ne se place pas, comme on pourrait croire, au point de vue de l'inté-

rêt personnel de lahvé, comme si celui-ci perdait quelque chose quand se tait la voix
d'un de ses serviteurs tcf. Ps. xxx, 10;. A l'époque où nous sommes, les psalmistes
considèrent le service du temple comme une faveur qui leur est faite, un privilège
qui leur est accordé (Ps. v. 8 . Aussi le v. 6 se rattache-t-il étroitement au v. précé-
dent et développe-t-il l'appel adressé à la miséricorde divine, comme l'indique le "ij

initial que lahvé n'ôte pas à son serviteur, en lui retirant la vie, la plus grande
:

de ses joies, celle de le louer dans son temple. Ce que la mort a de plus douloureux
pour lui, semble-t-il, c'est l'impuissance où elle doit le réduire de chanter les
louanges de lahvé. L'expression de pareils sentiments n'est point rare dans la piété
juive (cf. Is. xxx.vrii, 18 s.-, Ps. lxxxviii, 11 ss.; cxv, 17 s.). Le verset d'ailleurs ne
nie pas la survivance de l'àme, mais ainsi que beaucoup d'autres textes, il la conçoit
comme une vie très diminuée et sans rapports avec lahvé. en un mot, comme la perte,
sans compensation, de l'activité et des joies, même spirituelles, de la vie présente.
7. r;n:N serait un aramaïsme d'après Giesebrecht \ZATfr, I, 227;: l'emploi du
mot ne paraît pas antérieur à Jérémie. — ~nil*N, hapax a Vhiph. « faire nager »
(cf. Hier. Hebr. nature faciam) est atténué dans la plupart des versions : G Xov^w
LV lavabo A nXjvw. de même que riD*2N « faire fondre, liquéfier » cf. 'A rT;;ta) daaas

G [îpéÇw LV rigabo 6 aTj'ico. Ces figures nous paraissent outrées. Mais en français,,

ne verse-t-on pas des « torrents » de larmes et n'est-on pas « baigné - de pleurs.^ r-


L'expression nS'ib IZI est hapax. Ce une raison suflisante pour la modi-
n'est pas

fier (cf. Ps. VII. 12), mais il est surprenant que les larmes ne soient pas mentionnées
dès le second vers du distique : pour ce motif, Wellhausen substitue "1222. Le texte

peut en etïét être altéré.

Le v. 7 a est tiré mot pour mot de Jér. xlv, 3 (cf. Ps. lxix, 4). Ce n'est pas un
motif suffisant non plus de le considérer comme une glose, car le psaume fourmille

d'emprunts. —
Sous prétexte que le premier vers est trop court, Duhm et Briggs
supposent que 13 sera tombé au début du verset. Mais un k car » ne serait en aucune
façon à sa place en cet endroit : le v. 7 ne donne pas la raison de ce qui précède.
Quant à la mesure, il est probable qu'un mot lui manque, en effet. Il se pourrait

cependant, à la rigueur, que ir^niNZ portât deux accents, l'un sur la première, l'autre
sur la dernière syllabe une syllabe atone alternerait régulièrement avec une syllabe
:

accentuée, le comptant que six, tout comme ie précédent (v. 6 b]:, il est
vers n'en
vrai que celui-ci contient un plus grand nombre de mots, ce qui n'est sans doute
pas indifîv^rent.
NOTES SUR LES PSAUMES. 47

A partir de ce verset, le psalmiste n'adresse plus directeraetit la parole à lahvé.


C'est néanmoins pour l'apitoyer qu'il revient sur ses misères (cf. vv. 3-4 a), non qu'il

veuille les décrire, mais seulement en donner quelque idée en dépeignant la douleur
qu'elles lui causent. Il s'achemine ainsi vers l'expression du chagrin qui lui vient
encore d'ailleurs ; car ses gémissements et ses larmes n'ont pas pour cause unique
les outrages de ses ennemis.
Le premier vers du v. 8 se retrouve presque identique dans Ps. xxxi. v. 10.
!S.

et "w'w'vne se lit, hors d'ici, que dans ce dernier psaume, vv. 10 et 11. Les versions
hésitent sur le sens de ce verbe G hxoi/Pr^ LV turbatus est A r;ù/[j.w6r, 3: iç/.ÉT-
:

aa'.vHv cf. Casin. tumebat) P t a souffert » : T et Hier. Heb?-. acceptent la signiBca-


tion d' « être obscurci », indiquée par l'analogie de l'araméen et soutenue encore
par B. Jacob {ZATJV, 1902, p. 107) et GB. Mieux vaut y voir un dénominatif de
U*" * teigne >, avec Hupfeld, Delitzsch. Bàthgen, Duhm, Briggs, BDB. Une idée
analogue est exprimée dans Ps. lxxx.viie, 10. i^'V peut conserver son sens étroit au
lieu de signifier « l'apparence, l'aspect » [d. I Sam. xvi, 7, 12, où on lit le pluriel).
— rÇ7\'J AIT), lu Tipn" par GL [y compris Casin. VC 'AS Hier. Hebr. d'où il

résulte que l'introduction de la troisième personne, sans doute sous l'influence du


parallélisme, est relativement récente; P peut s'entendre de la première ou de la
troisième, est aussi discuté pour le sens : 1° « vieillir » pourGLVC: 2' « être con-
sumé » pour TU Hier. Eebr. {( troublé » pour P), ce qui n'est qu'une dérivation du
sens précédent, raffaiblissement étant la suite naturelle de l'âge: 3" « être déplacé,
transporté » pour 'A a£-rjçOr,v. Le sens de « vieillir », ou plus exactement « avancer
en âge », n'est pas primitif en hébreu et peut avoir été introduit par l'influence ara-
méenne (cf. Kautzsch, Die Aramaismen im A. T., Halle a. S., 1902), mais il n'est
guère douteux (cf. le verbe dans Job, xxi, 7 et surtout l'adjectif pin" dans I Chr.
IV. 22) et l'on ne voit pas bien ce que pourrait donner ici la signification première
du mot « être transporté hors de sa place » Job, xiv, 18; xviii, 4; cf. Yhiph.
.< Gen. xii, S: xxvi. 22; Job, xxxii, 15). Aussi
se déplacer, s'éloigner, s'avancer »
le sens de « vieillir » est-il communément accepté. Sm ne donne pas un sens —
satisfaisant; il faut au moins corriger en "^D'^ (cL S o-.i et voir Ps. xxxi, 12). Mais

Bickell a sans doute raison, au point de vue du sens et du mètre à la fois, de sup-
poser n'2^22. Une mutilation pareille, résultat peut-être d'une abréviation, s'est

sans doute produite au v. .51 du Ps. lxxxix. — Les parfaits de ce v. (cf. v. 7 a)


expriment l'élat auquel le psalmiste est réduit; au v, 7 h c, les imparfaits caracté-
risent des actes qui se répètent cf. Driver, 37).
Grimme propose (p. 14G, n. 2). au lieu de n-iiy, de lire linilï « mes tourments ».

qui serait en meilleur parallélisme avec


r"2 la mauvaise lecture "îI"!"!!' aurait donné :

ride'e de compléter le psaume avec un fragment de chant adressé à des ennemis


vaincus. Mais les psaumes analogues à celui-ci (xxri, xxx, xxxviii, xli, cii)
mentionnent aussi les ennemis et leurs persécutions, ce qui ne permet pas d'éliminer

ici dernière strophe, laquelle est d'ailleurs conforme aux précédentes pour la
la

mesure et sans doute le nombre des vers. Or si cette strophe est conservée, la men-
tion des ennemis au v. 8 b est nécessaire, car seule elle explique les termes des
vv. 9 a, 11.
En quoi coasiste l'hostilité des ennemis du psalmiste durant sa maladie, et com-
ment en résulte-t-il pour lui un chagrin qui le ronge et le fait vieillir? S'agit-il seule-
ment de leur insolence, de la joie maligne qu'ils éprouvent et manifestent du malheur
d'autrui? Triomphent-ils en concluant, des épreuves de l'homme pieux, à sa culpa-
48 KEVLE BIBLIQUE

ou à l'abandon de lahvé (cf.


bilité (cf. Job, i\-v) Ps. X\ii, 9 ? Il semble qu'à leurs
mauvais sentiments s'ajoutent des actes positifs d'injustice à l'égard du psalmiste
(cf. au V. 9 : « faiseurs d'iniquité »), actes rendus faciles par l'état d'impuissance
auquel une maladie un peu longue l'a réduit.
9. ''^ devant iSyr est suspect au point de vue de la mesure; l'extension qu'il

donne au nom qualifié est hors de propos, car il ne s'agit pas ici de tous les malfai-
teurs; et enfin le mot manque à la citation qui est faite de ce vers par Matth. vu, 23,
dans un contexte qui ne l'excluait pas. —^ mni au contraire doit être maintenu dans
le vers suivant .contre Briggs) : il n'est pas en surcharge pour le mètre, car ilDi Sip
(même expression dans Is. i.xv. 19 peut ne compter que pour un accent, et il four-
nit le sujet de la proposition, qu'il ne serait pas naturel de sous-entendre.
La brusquerie de cette apostrophe n'est tolérable que si la mention des ennemis
est maintenue au verset précédent et sa teneur suppose d'une part que ces ennemis
ont nui au psalmiste par des actes d'injustice (y\" "l'^VE, et d'autre part que le malade
est assuré de sa guérison,comme il l'afûrme et va l'expliquer encore.
10. La certitude qu'a le psalmiste d'être exaucé se trouve alfa-raée à trois reprises
(vv. 9 b, 10 a, 10 6). ce qui est peut-être beaucoup. Surtout, la strophe en l'état
compte un vers de trop. Mais quel vers sacrifier? Il est à noter que le v. K) 6
actuel
ne répètepas simplement la pensée du v. 9 6.- de plus les verbes ne sont pas
au même temps et le croisement des termes est observé avec soin d'un vers à
l'autre. Au contraire, le v. lO a reproduit tout-iuiiment le vers qui précède et laisse
les termes dans le même ordre un mot seulement est changé. Le
: v. 10 a doit être
une variante de 9 /-, comme Duhm et Panoier l'ont supposé.
Mais sa suppression n'est pas sans créer quelque difficulté pour l'organisation
de la strophe. A quel groupe de vers en effet rattacher le v. 10 6? De toute façon,
on ne saurait le séparer complètement du v. Le aaio qui introduit celui-ci (voir
11.

ci-dessous), surtout la suite des idées et la conformité des temps (taudis que les

verbes précédents sont au parfait, le v. 10 6 introduit une série d'imparfaits obligent


à maintenir entre les deux versets un contact assez étroit. Si le v. 10 a est conservé,
le plus naturel est de diviser la strophe en deux tristiques et d'arrêter le discours

aux ennemis avec le premier. Si 10 a est abandonné, peu d'interprètes sans doute
oseront ne pas unir dans un même parallélisme les vv. 9 6 et 10 6 et consentiront
à trouver dans la dernière strophe, aussi bien que dans la première, un distique
et un tristique. comme pourtant le persuadent la syntaxe et la logique. Tout au
moins devra-t-on ne pas arrêter le discours aux ennemis avec le v. 10, mais le
laisser courir jusqu'à la fin du psaume (bien que celle-ci parle d'eux à la troisième
personne) ou au contraire le limiter à l'apostrophe du v. 9rt. Dans l'un et l'autre
cas, cette apostrophe sera considérée comme une figure de langage sans consé-
quence et sans lendemain, imposée un instant au psalmiste par la violence de ses
sentiments il oublie d'autant plus aisément ensuite de s'adresser à ses ennemis
:

qu'ils ne sont point là en réalité pour l'entendre.


11. Le premier vers compte un mot de trop c'est certainement 1^7:1'' qui doit :

être retranché, car il n'est pas vraisemblable que ce verbe soit répété deux fois
dans le verset. La confusion des ennemis est exprimée dans le second vers; le
premier constate seulement leur surprise et leur elTroi. Cette glose a pu s'introduire
par ressouvenir de Ps. lxxxiii, 18.
T1N)2 (M'ASe Hier. Hebr. TPV) n'est pus traduit dans G B' n^ "R) L (tous les
témoins, excepté Casin.; le texte manque dans Sangerm.). Mais en revanche, açôopa
{!<ecundo) a été ajouté après le dernier verbe par G et fidèlement traduit par LCV.
NOTES SUR LES PSAUMES. 49

i;3oo;:a secundo est donc primitif dans G, y manquer comme


et 7çoo:a 2'>rimo devait

en témoignent encore les textes qui n'ont pas été cooformés après coup à l'hébren.
Mais jf6ôpa secundo n'est qu'un déplacement de -lx>2 et il ne saurait être question
de retrancher celui-ci qui, à cet endroit, est bien ^ans le style de l'auteur cf. v. 4;,
ni d'i le transporter dans le second vers auquel rien ne manque pour la mesure
(contre Zenner et Duhm).
On peut se demander si 1211"' est auxiliaire ou forme une proposition indépen-
dante. Les versions ont adopté la seconde manière de voir G (B) é-i7tpaï)ctr,7av R) :

[X N, auxquels le Copte est conforme) àT.07Zç(x.-Oz^r,yo^v (A. -sîrj'jav) cU Ta


inoj-fxcprj'.jiav
rkboj L (Casin. Sangerm. Veron. Ambros. August. Hier. Com.) V conuertantur L
^Corb.) auertantvr (Carnut. Mediol. Mozar. Gdssiod. Hier. Rom.) auertantur retror-
sum'; cf. Hier. Hebr. reuertantur. La première paraît cependant tout indiquée;
cf. GR 120'/ et voir Ps. lvi, 10 où le sens absolu de ï:n2 est au contraire précis
par la présence d'un adverbe. Il faut entendre que le psalmiste avait été, de tout
temps, favorisé de lahvé : jusqu'à son épreuve ses ennemis avaient été confondus.
Pendant sa maladie seulement ils ont levé la tète et triomphé. Mais bientôt « ils

retourneront à leur confusion ». comme au temps de la prospérité du fidèle de


lahvé, et ce changement se produira de façon subite : « en un instant ». On trouve
l'expression d'un sentiment analogue dans Ps. xxkv, 1. 26; lxwiii, 17-tS.

lil

Il n'est pas un verset du psaume vi dans lequel on ne retrouve

quelque pensée ou quelque expression de Jérémie ou du Psautier.


Serions-nous en pi^ésence d'un psaume très ancien et en si grand
usage que ses paroles auraient été retenues par les divers psalmistes,
sans oublier le prophète; ou bien l'auteur du psauniiî est-il plus
récent et tellement imprégné des écrits antérieurs et des formules
de la piété juive que sa pensée se coule d'elle-même dans ce moule
antique? In poème pénétré de sentiments reçus et parsemé de phrases
usuelles a toutes chances d'être l'œuvre d'un écrivain tard f et d'un
emprunteur plutôt que d'un génie original. Mais si l'on examine
chaque coïncidence textuelle, le doute est moins permis encore.
La formule du v. 2 est beaucoup plus naturelle, mieux encadrée
et s'explique plus aisément, telle qu'elle se présente dans Jér. x, 2i s.

Elle est làdans son milieu natif, si bien que nous sommes obligés
d'y recourir pour en avoir le sens exact ou du moins la pleine intel-
ligence. La pensée du v. G n'est pas hors de propos dans le psaume,
mais pas aussi nécessaire et ne s'y emboîte pas dans
elle n'y parait
le contexte comme
au chapitre xxxviii d'Isaïe ou au Ps. lxxxviii.
On en peut dire presque tout aulant du v. 8, comparé au Ps. xxxi,
dont il semble résumer les vv. 10 à 12, et du v. 11. rapproché de
Ps. XXXV, 4, 26; lxxxviii, 17-18.

La langue du poème confirme sa postériorité. L'emploi de "":>"<

RBVUE BIBUQIE 1920. — T. XXIX. 4


30 REVUE BIBLIQUE.

au V. 1 et du verbe pn" au sens de « vieilliE


surtout celui au v. 8 )>

indiquent la l'exil. Vue date un peu plus précise ne


période qui suit
saurait être déterminée que par rapport aux psaumes parallèles.
L'auteur pourrait être un lévite habitué à chanter les louang-es de
lahvé dans le temple (v. G b) et à qui, de ce chef, les psaumes anté-
rieurs étaient familiers. A tout le moins faut-il supposer un fidèle
assidu aux cérémonies de la maison de lahvé.

IV

Qui entendons-nous parler dansle psaume vi, un personnage

individuel, ou la communauté juive? La question a d'autant plus


d'importance qu'elle se pose à peu près dans les mêmes termes pour
tous ceux des psaumes qu'on peut appeler des prières de malades.
Il importe donc de la résoudre une fois pour toutes.
Au moyen âge déjà, psaume vi comme
Aben Ezra interprétait le
une prophétie de David relative aux soutiVances d'Israël en exil (dans
de Wette). Cette conception a été reprise et développée d'une façon
plus systématique au cours du siècle précédent par de Wette lui-
même (1836) le psaume ne fait pas entendre les plaintes d'un malade,
:

mais celles d'un persécuté, et ce persécuté n'est autre que le peuple


juif ou du moins la meilleure partie de la nation, la communauté
des pieux. Olshausen (1853), Reuss (1875), Bathgen (1897), Briggs
(1906) ont accepté cette manière de voir.
Mais c'est R. Smend (ZATW, 1888, p. 08 ss.) qui a donné toute
leur force aux arguments de la théorie. Le v. 8, qui est le point
culminant de la plainte du psalmiste, montre bien que sa souffrance
a pour cause principale, sinon unique, la persécution exercée par
sesennemis à son égard. De même ses ennemis seuls, aux vv. 9-11,
entrent en ligne de compte dans la perspective de sa délivrance il :

n'est pas question d'une maladie à guérir, l'épreuve du psalmiste


prendra fin du fait que ses ennemis seront frappés d'un coup subit,
effrayés, confondus et contraints de reculer (1). La persécution à
laquelle le psalmiste se trouve en butte est d'ailleurs d'une espèce
particulière ennemis ne menacent pas directement sa vie, c'est
: ses

lui qui se sent frappé à mort par le chagrin que l'hostilité de ses
adversaires lui cause (v. 8). Il est vrai qu'au début le poète a parlé
de maladie (vv. 3-4) et que les psaumes analogues (xxii, xxx, xxxviu,
XLi, cii) s'accordent à représenter leur patient oomme malade à la

(1) J. C. Malthes écrit aussi au sujet du v. 9 Celle apostrophe à des ennemis


: •. est

ineoncevable dans la bouche d'un malade » (ZA TW, 1902, p. 67j.


NOTES. SUR LES PSAUMES. ol

fois et pei'séciité, mais cette maladie n'est €[u"uue figure de la per-


sécution subie.
cependant ne serait pas acceptable, avoue
Cette interprétation
Srnend, si les que le psaume fait entendre étaient celles
plaintes
d'un personnage individuel. 11 ne serait pas admissible, en ce cas,
que Fépreuve endurée fût décrite dès le début sous la figure d'une
maladie et qu'on apprit seulement après coup et presque à la fin
du poème qu'il s'agit en réalité d'une persécution. On ne saurait
légitimement supposer que d'une façon régulière, ici et dans les
psaumes parallèles, les psalmistes aient mis leurs lecteurs sur
une
fausse au point de nous induire
voie, qu'ils aient voilé la réalité
en erreur. Si le psaume est individuel, la maladie doit y être
considérée comme réelle. Mais la position du patient est bien singu-
lière. Son mal est en rapport étroit avec la persécution qu'on lui
inflige, au point d'en résulter. Bien plus, de même que le chagrin
à lui causé j)ar ses ennemis le met à deux doigts de la mort, de
même leur défaite lui apporte la guérison. Il y a là une énigme, et
la difficulté se renouvelle pour chacun des psaumes parallèles.

Tout s'explique au contraire, continue Smend, si c'est Israël


persécuté qui fait entendre ses plaintes. Il s'agit de l'épreuve
commune, que tous connaissent trop bien. On peut en parler dès
le début en langage figuré sans que pei"sonne puisse se méprendre.

Et la figure de la maladie est tout indiquée dès lors que la commu-


nauté est personnifiée la maladie n'est-elle pas la souflrance la
:

plus apparente de l'individu et les prophètes n'ont-ils pas aimé à


représenter ainsi les épreuves d'Israël (Is. i, >>; xvii, 11; xxxiii, 24;

LUI, 3s3. ; Os. v, 13; Lam. i,, 13)? Seule aussi la personnification de
la communauté explique le mélange, dans la description, de la
réalité et de la figure, de la persécution et de la maladie. Le v. 8
devient intelligible : le glaive ne menace pas tous les membres de
la collectivité, mais celle-ci craint de succomber à l'oppression.
L'étroite parenté du v. 2 avec .1er. x, 2i confirme l'interprétation,
puisque chez le prophète, c'est la nation qui parle. Le v. 6 apparaît
dans une lumière nouvelle : avec la ruine d'Israël, est-ce que la
louange de lahvé ne disparaîtrait pas du monde? Enfin le passage
-sans transition de la plainte presque désespérée à la certitude de la
délivrance caractérise la conscience nationale d'Israël il sait qu'il :

mérite d'être châtié, et il a néanmoins les promesses de l'avenir


messianique. Mais s'il n'est plus question que d'un individu malade
ou persécuté, comment celui-ci peut-il passer brusquement du déses-
poir à la certitude du salut? Personne ne l'explique. On peut supposer
S2 REVUE BIBLIQLE.

sans cloute que les derniers versets ont étr ajoutés après coup, quand
la délivrance fut un fait accompli, ou bien que le psaume tout entier
a été composé après la ïm de Tépreuvc. Mais dans le premier cas,
l'unité du poème est sacrifiée et dans le second, sa vérité. En
danger pressant de mort, un individu n'a pu avoir cette certitude
du salut; sauvé, il n'a pu dépeindre avec cet accent de vérité,
ces cris de douleur et presque de désespoir, un danger éloigné et
désormais conjuré. Dans ce cas, pourrait-on ajouter, le psalmiste
eût parlé au passé, comme tel autre, et l'action de grâces ne serait
pas absente de sa composition.
Ces arguments sont-ils aussi concluants quils le paraissent?
Avant tout, c'est le texte du poème qu'il faut interroger. Il est
indéniable que le v. 3 est prononcé par un malade lequel, dans les
versets suivants, se déclare en danger de mort (vv. 5-6 et gémit

sur son lit de douleur (v. 7j. Au v. 8, il est vrai, la persécution des

ennemis est mentionnée. Mais est-il exact qu'aux vv. 9-11 il ne soit
tenu compte, dans la perspective de la délivrance, que des seuls
ennemis, et qu'il ne soit question, en aucune façon, d'une maladie
à guérir? Est-il vrai cjue cette maladie résulte de la persécution
subie? Où a-t-on vu que si le patient se sent frappé à mort, c'est le
chagrin à lui causé par l'hostilité de ses ennemis qui le tue? O.'i

a-t-on pris surtout que la guérison lui soit apportée par la défaite
des ennemis?
Qu'il y ait un raf)port étroit, une connexion presque nécessaire,
et même une relation de cause à effet entre les deux épreuves du
psalmiste, il semble qu'on doive le conclure des derniers versets.
Mais rien ne permet d'affirmer que la maladie résulte de la persé-
cution. au contraire la persécution qui apparaît comme une
C'est

suite ou une conséquence de la maladie, si du moins l'on s'en iie


à l'ordre dans lequel sont rangés les faits et à l'importance relative
de leur développement. La maladie est la première épreuve men-
tionnée et qui occupe à elle seule les deux premiers tiers du psaume.
Ee chagrin causé au psalmiste par la persécution .subie a contribué
à son tour à flétrir son visage, l'a vieilli (v. 8}; il n'a pas mis sa vie
en danger. De même, s'il y a corrélation entre la déroute des
ennemis et la guérison, rien ne dit que celle-ci résulte de celle-là.
Le contraire est plutôt vrai, tout comme il est vrai que l'idée de
guérison n'est pas absente des derniers versets. Pourquoi en effet
les « malfaiteurs )> doivent-ils s'éloigner du psalmiste v. 9 a ?

Parce que lahvé a entendu la voix de ses larmes (v. 9 b). Pourquoi
seront-ils effrayés et confondus à son sujet (v. 11)? Parce que
NOTES SLR LES PSALMES. o3

lahvé va exaucer sa prière :


v. 10 b . Mais qu'a donc demandé le

psalmiste dans toute sa prière 'vv. 2-6) sinon sa guérison, unique-


ment sa guérisoD, et quoi donc par conséquent va surprendre ses
ennemis, les terrifier et dans la confusion, sinon cette
les rejeter
guérison même : « lahvé accueillera ma prière et tous mes ennemis
seront effrayés, etc. o?
analogue se retrouve d'ailleurs dans les psaumes
L'ne situation
parallèles. de soufïrance y sont habituellement
Les deux ordres
réunis. Bien plus, la maladie y est régulièrement considérée comme
étant de nature à provoquer l'hostilité des ennemis (xxx, 2; xxxviir,
17; xLi, 3 b, 12} et comme la provoquant en effet (xxn, T-9, 18-19;
xxxviJi, 12-1.5, 20-21; xli, 6-9; cii, 9), et dans certains cas tout au
moins, on perçoit que la guérison suffit au contraire à assurer le

triomphe du psalmiste (xxxviii, 16-18; xli, 11). C'est donc que les
deux épreuves ne se trouvent pas réunies par accident, mais qu'elles
sont associées par la nature des choses. Leur corrélation cessera de
paraître une énigme si nous parvenons à discerner le genre de
persécution auquel le malade est en butte.
Les commentateurs attribuent volontiers aux ennemis d'un psal-
miste éprouvé dans sa santé le rôle des amis de Job ils triomphe- :

raient du juste en déclarant c[ue s'il est frappé de Dieu, c'est qu'il

est coupable. Il que cette méchanceté ne soit pas


est possible
épargnée au pauvre malade; mais aucun des psaumes indiqués ne
relève le fait. Ce n'est pas cependant que les ennemis se fassent faute
de concevoir des sentiments hostiles au psalmiste et de les exprimer.
Son malheur fait leur joie ils se moquent de lui (^xxii. 8), l'insultent
:

eu. 9 se réjouissent de sa mort prochaine ,xli, 8-9), l'escomptent


,

XXII, 18 Ô-19), la souhaitent (xli, 3 6-6), si tant est que parfois il


ne contribuent pas à la provoquer (xxii, IS-li. 17, 21-22). Plus d'une
fois, l'impiété s'ajoute aux autres sentiments (xxii, 9; xxxviii, 21) :

on est heureux de voir le juste abattu et de constater que lahvé


parait impuissant à le relever. Cette joie maligne de leurs ennemis
cause une souffrance aiguë aux psalmistes xxn, 7; xxx, 2; xxxviii,
17; XLI, 12; en, 9).
Peut-être nous faisons-nous une idée trop faible de ces haines
fraternelles et des souffrances morales qui en résultaient. Les
jalousies et les dissensions étaient habituelles chez les Juifs. En pays
chrétien, nombre de braves gens vivent et meurent sans avoir
jamais haï personne et sans se connaître d'ennemis. En Israël, on
en a toujours. Et ces ennemis se montrent au jour de l'épreuve. Elle
ne les désarme pas : ils ignorent le respect du malheur comme de
U REVL'E BIBLIQUE.

la fail)lesse. fis triomphent au contraire quand ils croient mortel-

lement atteint celui qu'ils n'aiment pas. Et qu'on ne dise point que
cette attitude est le fait de quelques rares méchants. Ces ennemis
sont nombreux, et ils se multiplient encore au jour du malheur
(xxxviii, 20). Parfois, mais c'est sans doute un cas exceptionnel, il
semble que tout un peuple rejette le pauvre malade (xxii, 7:; cf vv. 8,
13j Via), n est moins rare que ses amis eux-mêmes Tabaindoiiuient
(kxxviii, 12) quand ils ne vont pas, après avoir mangue son pain,
jusqu'à lever le pied contre lui (xli, 10). Et il arrive aussi, hélas!
que Taffligé aspire à la guérison afin de pouvoir se venger de ses
ennemis et leur rendre tout le mal qu'il en a reçu xli, 11). Cette
race passionnée et violente ignore la mansuétude.
maintenant l'on se reporte an milieu antique, moins indivi-
Si
dualiste que le nôtre, où chacun dépendait davantage de tous, au
point de vue moral comme au point de vue matériel, où l'existence
privée était moins libre et moins à l'abri des reg^ards, où la perte
de la considération publique entraînait plus d'humiliations et
d'inconvénients de tout ordre, si enfin l'on, tient compte de l'état de
sensibilité d'un liomme alîaibli à qui son imagination aïoircit encore
la réalité, peut-être arrivera-t-on à comprendre tout ce que signifient
les plaintes douloureuses dont nos psaumes retentissent.
Maïs peut-on croire que tout se passe en sentiments et en paroles?
Ce serait méconnaître i^es ennemis des psalmistes. La maladie, dès
qu'elle se prolonge, met sa victime en état d'infériorité dans une :

société imparfaitement organisée, et qui garantit d'une manière insuf-


tisante les droits des faibles, le malade est comparable à la veuve
et à l'orphelin, il est incapable de défendre ses intérêts. L'occasion

est trop bonne de s'enricbir à ses dépens. Au lieu de la fraternité et


du secours, on usera envers lui de procédés déloyaux et d'injustice.
S'il n'en est pas question au psaume xxx, c'est que la mala/die a été

trop courte (vv. 6-8, lâ-13; cf. v. 2). Mais il semble qu'on puisse
discerner des tentatives de cet ordre aux vv. 13 et 21 du psaume
xxxviii. Au psaume xxii, les ennemis n'attendent même pas la fm
du malheureux pour se partager ses dernières dépouilles (v. 19).
C'est à la lumière de ces textes qu'il faut lire le psaume vi. Comme
on voit, il traite un lieu commun. Il résimie, trop brièvement pour
qui n'est pas initié, ce qui se passe volontiers lorscju'un juste est
longtemps immobilisé par la maladie. Ses ennemis triomphent,
l'injurient, lui causent toute sorte de vexations, et s'ils le peuvent,
d'injustices. Qu'il revienne à la santé, les voilà effrayés par la
perspective d'expier et de rendre gorge, si du moins il s'agit, comme
NOTES SUR LES PSALMES. 5:;

dans le cas présent, d'un homme qui de tout temps a su déjoue i'

les entreprises malveillantes et toujours a réussi à confondre ses


adversaires. Il est à remarquer en effet que le psalmiste ne demande
pas à lahvé d'être délivré de ses persécuteurs. Il aspire seulement
à être guéri. Quant à ses ennemis, une fois en bonne santé, sans
doute, il s'en charge (cf. xu, 11). Eux-mêmes le savent, qui prennent
[>eur dès qu'ils le voient'revenir à la vie : ils sont sûrs de retourner
bientôt à la confusion dont sa maladie leur avait un instant permis
de sortir.
Lexamen des discours prophétiques cités en exemple par Smend
démontre que l'interprétation collective, n'étant point la plus natu-
relle, ne doit en aucun cas être supposée. Partout où elle est certaine,

c'est que le contexte ne laisse planer aucun doute sur l'objet réel
de la description (cf. Is. i, 2 ss. ; xvii, 9 ss. ; xxxui, -lï; Os. v, 13;
Lam. I, 13). Hors de là, nous restons toujours au moins dans
l'incertitude sur le caractère individuel ou collectif du personnage
décrit par le prophète. Comme les traits du psaume, considérés
isolément, sont tous strictement individuels et qu'en outre leurs
rapports mutuels s'expliquent aisément, on vient de le voir, sans
aucun recours à l'interprétation collective, il semble que la cause
soit entendue. Tout au plus reste-t-il à répondre aux arguments qu'on
prétend tirer des vv. 6 et 9.

Le V. 6 recevrait de l'interprétation collective une lumière nouvelle.


Mais cadre-t-il seulement avec cette interprétation ? Le poète parle-
rait-il comme il fait, si tout Israël était menacé d'ext«rmination ou
même simplement d'une oppression telle que le cuite de lahvé dût
cesser d'être célébré dans le temple? A supposer qu'il fit allusion au
clieol, de quoi on peut douter, ne dirait-il pas autre chose? Qu'on loue
lahvé ou non dans la mort, n'y aurait-il donc aucun dommage à
ce que son culte fût détruit sur la terre, et cet aspect de la question
laisserait-il le psalmiste inditférent? La mention du cheol suppose
plutôt que l'auteur n'est préoccupé que d'un individu. Ce n'est pas
ainsi qu'il eût parlé s'il se fût agi de la nation. Ce n'est pas ainsi
que parle Esther quand elle prévoit la ruine de son peuple (Esth. G
xiir, 10; XIV, 20 s). Non, il n'y a, à l'arrière -plan du v. 6, ni la

destruction d'Isratl, ni la cessation du culte iahviste dans le temple;


il n'y a que l'impuissance, pour une personne déterminée que la
mort enlève, de prendre part désormais à ce culte.
L'objection relative au v. 9 est un peu plus sérieuse. Si le psal-
miste est encore gravement malade et en danger de mort comme il
l'affirme, on ne comprend guère le ton de certitude absolue et la
oG REVL't: BIBLIQUE.

violence de son apostrophe : il devrait se contenter d'exprimer un


sentiment d'espoir et de confiance (n lahvé. Si au contraire il est

guéri, ilne peut plus écrire les six premiers versets. Et lui faire
composer son poème en deux temps est une invention misérable
pour le besoin de la cause. Pourquoi cependant nécrirait-il pas au
cours de sa maladie, mais à ces heures obscures encore et douces
néanmoins, où le patient sent le mai s'apaiser et la vie reprendre?
Il peut être sur de sa g-uéris( n avant qu'elle soit un fait accompli

Il peut dès lors annoncer à ses ennemis que leur règne est fini. Et

néanmoins le danger est si proche que rien ne lui interdit d'en


parler encore au présent. La liberté poétique ne doit pas être un vain
mot. .lamais on n'a exigé de l'ode en particulier qu'elle fût une
reproduction servile de la réalité; on lui fait plutôt un mérite d'exa-
gérer, par une habile mise en scène, le contraste des faits. Les
poètes bibliques seront-ils les seuls auxquels on interdira les transi-
tions brusques, les oppositions inattendues et soudaines?

PSAUME VII A (vv. 1-6, 13-18)

Le psaume vu A est en vers de trois accents, groupés en distiques ;

deux distiques forment la strophe. Dans la plupart des vers, la


mesure s'est conservée. Çà et là seulement un mot pnrasite s'est intro-
duit (vv. 2, i, 13, 18), qui trouble ordinairement le sens autant que
le ^rythme. Un seul vers, au v. Qtb, est mutilé.

Le poème fait entendre la prière d'un innocent, injustement accusé

et poursuivi par un homme avec lequel il avait vécu en paix jusqu'ici:


le psalmiste implore le secours de lahvé, proteste de son innocence,
et annonce que la méchanceté de son adversaire retombera sur sa
tète.
« Que lahvé me délivre de rennémi qui me poursuit (vv. 2-3;
première strophe^ Si, au temps où nous vivions en bon accord, j'ai
commis contre lui l'injustice dont il m'accuse (vv. 4-5; seconde
strophe), qu'il l'emporte sur s'empare de ma vie (v. G; troi-
moi et
sième strophe). 11 prépare en instruments de combat; mais
effet ses
ce faisant, c'est contre lui-même qu'il travaille (vv. 13-14; quatrième
strophe). Il sera déçu dans son entreprise contre moi et tombera le
premier dans le piège qu'il me tend (vv. 15-16; cinquième strophe).
Sa méchanceté retombera sur lui, et moi je remercierai lahvé de .sa
justice (vv, 17-18; sixième strophe).
NOTES SIR LES PS A LAIES.
Chiggayi'm de Daoid, qu'il chanta à lahvé au sujet de Koucli, le benjaminile

- lalivo, Dieu, auprès de toi je me réfugie,


mon
sauve-moi de [ ] 'celui qui me poursuit' et délivre-moi,
3 De peur qu'il ne décliire. comme un lion, mon âme,
[sans qu'il y ait de] sauveur ni de lihérateur.

'•
lalivp, L ] si j'ai fait cela,
s'il y a une injustice sur mes mains.
"'
Si j'ai fait du mal à qui vivait en paix avec moi
et dépouillé celui qui m'attaque sans motif,

' Que l'ennemi poursuive mon âme.


et qu'il l'atteigne [et la pousse pour qu'elle tomhe].
nu'ii foule à terre ma vie
et couche ma gloire dans la poussicre. Sélah.

13 En vérité, aiguise son glaive;


[ ] il

il a bandé son arc et il vise.


Il Mais c'est pour lui qu'il a préparé les instruments de mort,
qu'il rend incendiaires ses flèches.

1 ; Voici qu'il est en travail d'iniquité :

il a conçu le malheur et il enfantera la déception.

16 11 a ouvert une fosse et il la creuse,


mais il tombera dans le piège qu'il prépare.

'7 Son méfait retombera sur sa tête,


et sur son chef son attentat redescendra,
''^ Je loueiai lahvé de sa justice
et je célébrerai le nom du [ Très-Haut. j

1. Sur 'nn '•"


cf. Dent, iv, 21; Jér. vu, •22; xiv. 1. — Au lien de XÙ^Z, GCLV
AI© Hier. Com. Rom. Hebr. ont lu v^ri:. Celte leçon a été introduite en vue de rat-
tacher à un texte biblique (II Sam. xviii, 21 ss.) un nom inconnu. Mais ir'i^ n'est
pas un nom pro[3re, signifie un couchite » et ne saurait convenir à un benjaniinite.
«

L'indépendance de la leçon de _M est au contraire une garantie d'authenticité. Le


titre d'ailleurs ne se réfère pas à II Sam. xvrir. mais fait allusion sans doute à
I Sam. xx.tv, 10, où l'on voit des courtisans de Saiil accuser David auprès de leur
maître [cï. les vv. t ss. du psaume). Le nom de Kouch aura été emprunté à un texte
qui ne nous est point parvenu, peut-être à l'ouvrage même dans lequel le psaume a
été conservé avant son insertion dans le Psautier.
2. Du
premier vers, Sievers retranche ^T'^^ avec raison peut-être. Mais le second
vers surtout est trop long et la suite montre qu'un seul ennemi poursuit le psalmiste.
bz s'introduit facilement dans des textes pareils, par une tendance à généraliser : lire

équivaut à
3. ''U.'î; ma personne ». h"-- H^^i -<''' signification d' « arracher » — '^

(cf. Gen. xwii, 40), prendrait ici dans M, dont TS Hier. HcOr. gardent la leçon,
le sens de » ravir » « ravisseur, sans qu'il y ait de libérateur ». Mais G. suivi par L
:

même Casin.) VCP, a lu ':\x devant ce participe, et le sens de « délivrer •>, plus
récent et teinté d'aramaïsme (voirlvAUTszcH, Die Arama-smen, etc., et cf. Ps. cxxxvi,
24; Lam. v, 8) convient mieux au parallélisme (Bickell, Cheyne, Duhm, Briggs\ lis»
introduit ime proposition circonstancielle GK !.52 1).

4. Le premier vers compte un mot de trop, sans doute encore \-iSx. — Sur l'em-
ploi de DN cf. GR 1.59 m. —
P""? (sur l'emploi du féminin cf. GK 122 q) est -< cela »,
c'est-à-dire « ce dont je suis accusé -'et qui, d'après le parallélisme, rentre dans le
58 REVLE BIBLIQUE.

genre Si!?. Même usage du pronom et même formule dans Gen. m, 14; xx, -5, G;
XLV, 19. —
Pom- l'expression "i£22 cf. Job, xvi. 17; Is. Lii, 6; Jon. m, S et
aussi I Sam. xxiv, 12; xxvi, 18.
5. Ss3 est construit comme
ici avec deux accusatifs dans I Sam. xxiv, 1 ;S

Prov. xxxr, 12, etc. — Le sens de "''zSur n'est pas douteux celui qui était en :

paix avec moi » : le terme équivaut à *''Z"'w' r'^N dans Jér. xxxvni. 22; Ps. xli,10.
I>e sens de k rendre » qui est celui de GCLV si reddidi retribuentibus mihi mala,
ou de « faire ». qui est celui de P. convient au pi. mais non au fjal et d'ailleurs la
pensée ainsi obtenue par G est chrétienne, mais non juive : était-ce donc un crime,
sous la Loi ancienne, de rendre du mal pour du mal . et les psalmistes se font-ils
faute d'en souhaitera leurs ennemis et parfois même 'Ps. xli, 11 de vouloir leur
en rendre? ^sous avons ici le participe soit du qoh soit du j^'j'el- Le qal signifie
régulièrement <( être sain et sauf », mais il a pu prendre un autre sens, comme
dénominatif de ciSr GB; BDB; cf. Job, xxii, 21 . Biithgen et Duhm préfèrent le

participe po. : sur celte forme en général et son sens cf. GK ôô bc ; la chute de la
préformative n'a rien de surprenant cf. GKô2 .^v .
Seul parmi les versions anciennes T
C'^I'C '"Z"'! a exactemeLt traduit. MTP ont eu raison de maintenir le singulier
contre GCLV.
"ï'inNl a été diversement interprété. TP, qui traduisent par « opprimer », ont
dû lire "ïîT'Nl qui est préféré par Houbigant, Dyserinck. Gràtz, Cheyne et Duhm.
GCL (même Hier. Uom. et Casin.J BV dêcidam ab ont lu la même racine verbale que
la Massore. mais soit au 7iiph., soit au qal pris au sens intransitif comme dans
Os. V, 6: seulement, dans l'un et l'autre cas la préposition yz devait précéder le

complément : i"niïr2 ""TiXl ou yn»^*- Hier. Hebr. et dimisi hostes meos vacuos

paraît bien avoir la leçon de M, sauf à atténuer le sens du verbe en celui de « lais-
ser aller >k Le sens ordinaire du pi. est en effet « déhvrer » (cf. Ps. vi, 5 etc.),
comme 'A seul parmi les versions a traduit v.x: l;vjaâ[jLT;v, et comme traduisent :

encore Ewaid et Briggs : « tout au contraire j'ai sauvé celui qui m'opprimait sans
motif ». Mais une telle parenthèse est exclue par le parallélisme. Z il ivr^pra^x
adopte le sens de « dépouiller >^, qui serait un aramaïsme cf. en syriaque pa. : « pil-
ler » et en hébreu -y"'- « dépouilles » II Sam. ii. 21; Jug. xiv, 19). Ce sens,

accepté par de Wette, Delitzsch, Batiigen est tout à fait adapté au contexte et il ne
paraît pas trop faible. Rien n'indique que le psalmiste ait exercé une autorité telle

qu'il ait pu êti'e un oppresseur, comme veut Duhm. Il est au contraire de ceux qu'on
opprime. Mais il peut être accusé de vol : le v. 4 indique une accusation portant sur
un fait déterminé et les vv. 2-5 s'expliquent très bien dans l'hypothèse d'une accu-
sation d'injustice, eu particulier les termes T" et "".

''''ly, qu'il faut maintenir au singidier avec M contre toutes les versions, doit être
rendu par un présent et non par un passé comme on fait trop souvent. Ainsi. i£T"'
(V. 2 . '"2"'w* et """""ny (v. 5) désignent la même personne, celle qui poursuit le psal-

miste en l'accusant à tort d'avoir commis une injustice à son égard au temps ou
ils vivaient en paix l'un avec l'autre. — Sur itt"' « sans motif » cL Ps. xav, 3.
G. La vocalisation de ^"îii semble vouloir laisser le choix entre le qal et le pi.

(cf. GK 63 n; Kôxig, I, p. 160 . —Comme au v. 3. Ci: désigne la personne, i-lzz,


qui est en parallélisme ici avec iTi, dans Ps. xvi. 9 avec z"' et dans Gen. \li\. 6
avec "CJZZ. paraît bien être dans tous ces textes une désignation de l'àme. A la

suite de Houbigant, Dillraann et Gunkel pour la Genèse, Halévy pour les Psaumes
NOTES SUR LES PSAUMES. o9

estiment qu'on devrait au lieu de "123 lire ~nr « foie », cet organe étant considéré

comme le siè2;e des sentiments : cette suggestion se réclame de l'analogie du baby-


lonien et de la traduction de G dans Geo. rà r-.xix aoj; voir aussi Lam. ii, 11. —
a Être couché dans la poussière » est le propre des morts: c'est ainsi du moins que
l'entend Is. xxvr, 19 (cf. Ps. x\ii, IGi.
La comparaison des autres strophes montre que nous devrions trouver ici quatre
vej'S. Or nous n'en avons que trois et un mot en plus ;ù,**". et c'est à ce seul mot que

se réduit le parallèle du premier vers, les deux propositions qui suivent formant
ensemble un distique satisfaisant. Duhm suppose :

i-inx siiN ïi-^"!

;r>i ^"cz: p^-'i

i^mN peut s'autoriser de Gen. xwi, 23, ou l'on trouve aussi pzT à Vliiph.: ou
obtient :

Que rennemi coure à ma poursuite,


qu'il rejoigne mon âme et l'atteigne.

Mais la première construction ne se rencontre jamais en poésie, et le second verbe

est trop dans le sens de Mieux vaudrait, eu se référant à Ps. cxvni, Vi


:.t'2.

cf. XXXV, 5}, et sans déranger les trois premiers mots du v.. lire ensuite :

^É:r -r-^^ :ir^,-'

Que l'ennemi poursuive mon âme.


qu'il l'atteigne et la pousse pour qu'elle tombe.

Le second vers mentionnerait la chute provoquée par l'ennemi, idée intermédiaire


entre « atteindre » et » fouler anx pieds «.Le parallélisme, d'ailleurs, n'exige pas
une synonymie étroite entre les deux membres du]_distique : cf. vv. 2 et 3.
Sur les vv. 7-12, voir plus loin Ps. vu B.
13. ~"i- est « fouler » : pour bander l'arc, on le courbait en appuyant une de ses
extrémités à terre et en posant le pied sur son centre pour le faire ployer (voir
ViGOLROUx, Bict. delà B. art. Arc) : cf. Ps. xi, 2; xxxvii. 14: Lvni,S: lxiv, 4;
Jér. Li, 3; Zach. ix, 13; Lam. ii, 4; m. 12. — ^ij au pil. « affermir » se réfère à
l'archer qui au moment de tirer vise le but en tenant l'arc ferme et immobile. Dans
ce verset et les suivants (vv. 14-17; nous n'avons que des figures.
L'interprétation des vv. 13-14 diffère selon qu'on les rattache au v. G. qui est lem'
contexte naturel, ou aux vv. 106-12 à la suite desquels ils sont actuellement placés.
Dans ce dernier cas, Dieu est naturellement le sujet des propositions principales :

c'est Dieu qui aiguise son glaive et prépare des instruments de mort contre le ou les

méchants. Il est dès lors tout naturel de traduire 21C" N"* 2N s'il (le méchant"; ne '

se convertit pas ». Et c'est ainsi en effet que l'ont entendu les anciennes versions,
GCLV nisi conuei-si fueritis en introduisant la deuxième personne du pluriel, 'A et T
en maintenant la troisième du singulier (P diffère en ce qu'elle fait de Dieu le sujet
de toutes les propositions sans exception : Deus... non irascitur singulls diebus'sed
ronuertitw), et cette interprétation est encore celle de de Wette, Delitzsch et
même Briggs bien que ce dernier voie dans les vv. 7-12 une série de gloses}. Mais
si le verset est replacé dans sou contexte primitif, le sujet de toutes les propositions
des versets 13-17 ne peut être que V « ennemi » (des vv. 2-6; se préparant à tirer
vengeance de l'injustice qu'il prétend avoir subie. Toute idée de conversion étant
60 REVUK BIBLIQUE.

hors de propos, :nu** ne joue plus que le rôle d'auxiliaire (GK 120^) et nS -X
devient une formule d'aftirmation (cf. GK 149 e) : « En vérité, il aiguise de
nouveau son glaive, etc. » Cette interprétation est celle de Ewald et Bathgen «qui
pourtant ne déplacent pas les vv. 7-12;, Cheyne et Duhm.
Mais « de nouveau » est certainement contre le sens général du psaume vu A :

aucun ccmbat n'a été encore livré ni même préparé par l'ennemi contre le psalmiste.
nous assistons aux premières dispositions. Comme le vers paraît bien compter un mot
de trop, il n'est guère douteux que 2Tù*i soit un perturbateur à la fois de la pensée et
de la mesure, et qu'il doive être expulsé. Mais s'il trouble le contexte, dira-t-ou,
comment a-t-il pu s'introduire? C'est que si ^'u'"! est hors de propos dans le psaume
primitif, il est très utile au contraire dans le psaume massorétique, où il contribue à
adoucir ce que l'attitude prêtée à Dieu par erreur a vraiment d'un peu dur. La
préoccupation d'où est né 21^1 s'e^t d'ailleurs manifestée au verset précédent par la

lecture 277 Sx et la glose ci2N ""'N dans les exemplaires hébreux dont la version

grecque dépend voir le commentaire du v. 12 au Ps. vu B . On ne saurait s'étonner


qu'entre l'affirmation des colères quotidiennes de Dieu contre le méchant (v. 12 6) et
le tableau du « juste juge » aiguisant son glaive, il ait paru convenable de rappeler
que les rigueurs divines ne sont que pour le pécheur obstiné et d'écrire par consé-
quent : « si (le péchfur) ne se convertit pas». Car le sens originel de 2"'»!*'' n'est pas
« de nouveau », mais « se convertir » : l'unanimité avec laquelle les anciennes ver-
sions l'ont interprété est l'indice d'une tradition ferme et qui en l'occurrence ne se
trompe pas. La glose d'ailleurs ne faisait que préciser la portée de nS CN compris au
sens de « sinon! » (cf. Gen. wiv, Sam. ir, 16;.
49: I Il n'est pas jusqu'à la diver-
gence sur la personne et le nombre du verbe entre MTA d'une part et GCLV
d'autre part (!l3Vt.^~i, ell'ort vers la clarté par la distinction des sujets) qui ne témoigne
du caractère secondaire et encore flottant du mot.
14. Bâthgen voit dans T^l un dativiis commodi (datif explétif). Pour Duhm,
l'auteur veut marquer que le pécheur travaille contre lui-même. On peut objecter
'a cette interprétation qu'elle anticipe sur la pensée des-vv. 16-17 et convient mal

à 14 b. Cependant *"^*i mis en évidence au début du verset ne parait guère susceptible


d'un aulre sens et !e poète peut vouloir indiquer dès à présent le résultat Gnal de
tous ces préparatifs et sans réserver son effet pour la suite.
Le second vers (littéralement : « il rend ses flèches brûlantes » ; sur S S"£ cf. Gen.
XII, 2, et II, 22} doit s'entendre des flèches enflammées destinées à mettre le feu
à l'objectif visé, maison ou U}, comme l'a compris Hier.
ville assiégée (cf. Is. l,
Hebr. ad combiirendum, à la suite de S. Saint Augustin écrit {In ps. vu) //* :

gracds (ximjJat-ibvs ita legitur : sagittas ardentihus operati'.s est. Latina autcm
pleraque ardentes habent. De fait on lit dans Carnut. ardentes operatus est, Moz.
Migne) ardentes et fecif ddns Casin. sarjittas suas ardentes operate (sic) sunt; mais
;

dans Hier. GaU. Rom. Moz. :Sabatier), Corb, arde7itibus effecil, Veron. ardentibus
opcratus est, Hier. Ccm. Hil. arsuris operatiis est. G est conforme à G -o?? /.a-.ojjLivotç.

15. bnn' signifie « être en travail d'enfantement » : cf. l'unique dérivé ^in
« douleurs de l'enfantement ». Le sens de « concevoir » est imaginé pour le besoin
supposé du présent texte, les interprètes ne prenant pas garde que la première pro-
position est générique, tandis que les deux suivantes entrent dans le détail des faits
comme il est indiqué par l'emploi des temps. Pour ce motif, la copulative devant
rrn doit être retranchée conformément à GLV. — px est le « mal causé à autrui
injustement » et h'C'J, son parallèle, est pris au sens ancien de « peine, malheur ».
.NOTES SUR LES PSAUMES. 01

Le troisième terme ip'w signifle <- mensonge, tromperie » mais aussi « chose
décevante » (Ps. xxxiii, 17; Prov. wxi, 30} et par conséquent ici sans doute
« déception ». Le mot paraît être en rapport avec les vv. 14 a, 16 6 et 17 : l'ennemi
enfantera la malheur qu'il a conçu pour autrui lui
déception en ce sens que le

arrivera à lui-même. Une pensée analogue est exprimée dans Job, xv, 35 on y :

retrouve le parallélisme de '^T2'J. pN et -'^"'"Z. que '^'p'd supplée ici. A vrai dire

les métaphores employées sont familières aux auteurs bibliques (cf. Is. lik, 4 :

xxx[ii, 11 et voir aussi Os. viii, 7; x, 13; Prov. xxii, 8; Job. iv, 8 et nous
reconnaissons des sentences de tournure et d'origine proverbiale.
16. On peut maintenir le iraw consécutif devant le second verbe, mais le n-mr
simple s'impose devant '?Ei (Duhm) qui ne continue pas précisément les propositions
précédentes. — rnu* ne désigne pas une fosse quelconque mais celle qui constitue
un piège, comme dans Ps. i\, 16: xxxv. 7, où le parallélisme ne laisse aucun
doute. —
TJZ"' est une proposition relative 155 h GK .

Le verset développe le proverbe contenu dans Prov. xxvi, 27 a cf. aussi Jér. ;

wtir, 20 et Q.)h. x. 8.
17. Les sentences continuent en forme de proverbes et rappellent, la première,

l'image de la pierre roulée (Prov. xxvi. 27 by, la seconde, celle de la pierre lancée
en l'air (Eccli. xxvii, 25). Mais le premier vers ressemble surtout à Abd. v. 15
(cf. aussi I R. II, 32 s.;. Il est clair d'ailleurs, d'après le verset précédent, qu'on doit
traduire non par l'optatif, mais par le futur.
18. "inp^ïi est « selon sa justice », c'est-cà-dire : au sujet de sa justice, dans la

mesure (très complète, ou elle s'est exercée. — "T''?", mot désigne Dieu,
quand le

est toujours employé sans article, qu'il soit seul ou précédé de ha, 'in^N ou ~"~'i.
Il est ici en apposition à lahvé, car il y a peu de vraisemblance qu'il qualifie 2U*
(cf. Ps. IX, 3; xcii, 2 . Sans doute d'ailleurs -"n"' est-il à considérer comme une
addition postérieure (cf. Ps. i\, 3), car on le trouve déjà dans le vers précédent et
il est inutile pour le mètre.
Wellhausen et Briggs tiennent ce dernier verset pour une addition. Ou ne saurait
nier que l'idée de la louange à rendre à lahvé ne soit éuoncée ici en termes conven-
tionnels : on dirait d'une finale liturgi((ue. En outre, pour la première et unique fois

dans le Ps. vu a il est parlé de Dieu à la troisième personne. Mais la composition


strophique exige les deux derniers vers et il est naturel d'ailleurs que le psalmiste.
qui a commencé son chant par une invocation à lahvé et qui attend certainement
le triomphe de sa cause dune i+itervention de la justice divine (la justice immanente
n'était pas encore inventée), termine en proclamant l'équité de lahvé et en poussant
vers lui un cri d'action de grâces. Le genre un peu conventionnel de la clause tend
seulement à prouver que le poète était un familier du temple, habitué à la louange
de lahvé. D'autres psaumes d'ailleurs finissent par une expression pareille de louange
dans des conditions qui ne permettent pas d'en suspecter Tautheaticité : c'est le cas
des poèmes alphabétiques Ps. cxi (v. 10, et cxlv (v. 21); et parmi les psaumes qui
s'achèvent par un retour analogue vers lahvé (cf. Pà. xxxii. 11; lxi, 9: lxxi.
22 SS. LXXV, 10; LXXIX, 13; CIII, 20 SS. CIV, 33 SS. CVII, 31 S.; CIX. 30 S.:
; ; ;

cxv, 17 S.; CXL, 14), en est-il beaucoup auxquels on pourrait retrancher leurs
derniers versets sans les mutiler?
REVUE BIBLIQUE.

111

Le psaume vu a doit être rangé parmi les psaumes individuels


(contre Olshausen, Sraend dans ZATW, Batbgen.
1888, p. 90 s. et

qui tous considèrent ^^I a et vu b comme un on ne


tout homogène; :

voit pas à quel titre la communauté pourrait revendiquer un seul


de SCS versets.
Il est naturellement impossible de savoir si le psaume correspond

à quelque fait réel de l'existence de David. Le psalmiste parait être


accusé dinjustice et de vol vv. i-ô). Or David n'est nulle part Fobjet
i

d'une accusation de ce genre. L'insinuation portée contre lui d'après

I Sam. XXIV, 10 est beaucoup plus g-rave puisqu'il s'agit, semble-t-il,


de la vie de Saiil voir le texte et cf. G pour les vv. 10 et 11); et
d'autre part elle ne se réfère pas, comme le psaume, à un fait déter-
miné et censé accompli, mais seulement à des intentions supposées.
Ces deux diverg-ences ne permettent pas d'accepter la donnée du titre,
si elle n'a d'autre point d'appui que ce texte du livre de Samuel.

M la doctrine du poème ni sa langue ne fournissent uue date


précise; cependant, si l'interprétation de p"^£ v. 3' et de "ïSnNi (v. 5;
est exacte, on devrait voir un afamaïsme dans le premier mot et un
autre peut-être dans le second. Mais le style des vv. 15-17 et leurs
emprunts aux livres sapientiaux constituent un meilleur indice de
l'origine du psaume, indice d'autant plus sûr qu'il n'est contredit
par aucun autre.

PSAUME VII B vv. 7-12).

Ce psaume, bien qu'il ait été intercalé dans le précédent, s'en


distingue à la fois pai' la forme poétique, qui est différente, et par
le sujet, qui est analogue, mais non pas identique. A Bickell revient
l'honneur de l'avoir discerné; il a été suivi par Cheyne, Flament,
Duhm et Briggs.

Les vers sont de cinq accents et groupés en distiques jusqu'à la


fm du V. 10 a; ceux des vv. 10 ô- 12 forment im tristique indépendant.
Au seul point de vue littéraire, le contraste est frappant entre le
psaume vu a et le psaume vu b (vv. 7-10 a). Le premier est d'un
style peu dense et dont les formules n'ont pas grande originalité; le
mouvement de la pensée n'est ni brusque ni rapide. Le second a un
élan et une impétuosité tout autres. Il serait injuste de considérer ces
NOTES Slh LES PSALMES. 63

versets comme une glose ; c'est un psaume ou un fragment de psiume.


La glose est aux vv. 10 A- 12.
Dans ce poème encore nous entendons la prière d'un innocent,
non plus accHsé d'un acte coupable par un ennemi unique, mais
persécuté par les méchants vv. 7. iOa En outre, au lieu d'en .

appeler à uneintervention de la Providence ordinaire de lahvé, le


suppliant hâte de ses vœux le jugement universel et solennel auquel
il croit V. 7 in fuie et qui seul, semble-t-il, mettra fin au règne des
méchants (v. 10«). « lahvé, déchaîne ta colère contre mes persé-
cuteurs, puisque tu as décrété un jugement v. 7 Puisses-tu bientôt, .

entouré de l'assemblée des nafibus et assis sur les hauteurs des cieux,
juger les peuples v. 8 reconnaître mon innocence (v. 9) et d'une
,

façon générale mettre un terme aux crimes des méchants et favoriser


enfin le juste v. 10 « ».

Le tristique final 1
10 é-12 se distingue des distiques précédents
à la fois par parle fond. A chaque vers ctî-'n est substitué
la forme et

à ""-"': contrairement aux vv. 7-10 a^ il n'est plus parlé de Dieu qu'à
la troisième personne; enfin le participe est employé à l'exclusion
du mode personnel du verbe. Aux invocations suppliantes d'un
persécuté succèdent les affirmations sentencieuses et absolues d'un
sage. Tandis que le premier avait besoin d'espérer en un avenir
meilleur, le second déclare que le présent donne déjà une certaine
satisfaction au Heu d'en appeler à un jugement extérieur et solennel
:

seul capable d'établir le règne de la justice en changeant l'ordre du


monde, il préfère mettre en relief les interventions quotidiennes
de la justice divine, interventions dont le motif nous échappe, car
Dieu seul pénètre les consciences, mais qui ne sont pas sans résultats
appréciables soit pour la protection du juste, soit pour le châtiment
du méchant. Les deux points de vue ne s'excluent sans doute pas,
mais on ne saurait nier qu'ils diffèrent. « Dieu ne se règle pas sur
lesapparences, mais il pénètre les intentions cacliées v. 10 ô) pour :

ceux qui ont le cœur droit, il est dès maintenant un protecteur qui
les sauve iv. 11;, tandis que sa juste vengeance s'exerce quotidienne-
ment contre ceux qui le méritent v. 12 . »

" Éveille-toi, riahyéj 'mon Dieu'. |


«lève-toi [ 1 daiis ta colère:
élève-toi eiï foreurs contre mes persécuteurs^
'j
puisque tu as décrété | un jugement.
fi
[lahvé,] [ 1 (jue rassemblée des nations t'environne, |

et au-dessus d'elle, en haut, siège, !'*[] 'juge' des peuples.'


Juge-moi, lahvé. selon ma justice et selon mon innocence à moi | :

i"«i]ue cesse la malice des mécliants, | et soutiens le juste:

lo;; Or c'tsf MH scrutateur des cœurs et des reins que le dieu juste : |

11 Dieu est "un bouclier' ijour .


,
lui qui sauve les cœurs droits:
. . . ]

1^ Dieu est un, juste juge et un dieu qui s'indigne chaque jour.
\
Ci REVUE BIBLIQUE.

II

7. Sur l'acceot de -'Z'p voir G 72 s. n*12> (pour le pluriel cf. Job, xxi,K —
30; XL, 11; doit s'entendre des Fureurs de lahvé contre les ennemis du psalaiisle
fgénitif de l'objet) construit en effet avec nî2ip ou nù':."!, ce mot sentend toujours
:

de Dieu et non des pécheurs, et d'ailleurs le parallélisme de "£n'2 indique cette


interprétation. C'est celle de T0 Hier. Hehr. et parmi les commentateurs, de Halévy,
Bijthgen, Duhm. Au contraire, de Wette. Ewald, Delitzsch, Z^nner : « contre les
fureurs de mes adversaires ». Le liltéralisme de 'A le fait verser dans le même
sens : 6iwQr,T; âv àvjz£c9£o(at; èv&ca;jLX)'jvTojv ;j.a (cf. G et ses dérivés;. — "imy doit

être maintenu au pluriel avec tous les témoins : cf. v. 10 o.


''"'N* rr'.'J^ n'est pas sans difficultés. Le sens d'abord est peu satisfaisant, même
si l'onsuppose une construction prégnante (G K 119 ^gr « Éveille-toi (pour venir^ :

auprès de moi ». La suite en effet ne nous montre point lahvé venant se placer
à la droite du juste pour le défendre, mais siégeant très hiut au-dessus des nations.
Aussi à la leçon de M, suivie par TP Hier. Hehr. ad me. celle de G ô Oeo; ;j.ou CfN
et des versions dérivées LV (G omet
que G. sauf N*, ajoute ces mois et aussi /.ûpis

auparavant) est-elle préférée par Grimrae,'Briggs, Zenner, et il faut admettre au moins


ce changement de lecture. En outre le groupe est hors de sa place au point de vue
métrique : Bickell et Duhm le reportent à la suite de -£n2 pour former le second
hémistiche du premier vers. Il faut encore se résigner au moins à ce déplacement.
Mais il reste assez singulier que le poète exhorte d'abord lahvé à se lever et
seulement ensuite à s'éveiller. De plus, G /.ûpt: 6 bzô; îxoj, suivi par L (sauf Casin.

suscitans Beus meus et V, a certainement lu "î-in m-i ou raêiiie 'î-^x mn*i (cf. vv. 2,

4i, ce qui avec mi> fournit un élément de trois accents. Tout s'explique si le texte
portait à l'origine :

-£X2 rr2^p ^n'-^x -tii -^rj

Éveille-toi, lahvé, mou Dieu, \


lève-toi dans ta colère!

L'hémistiche déplacé s'est maintenu intact dans certains exemplaires, comme G en


fait foi, mutilé dans d"autres. Dans tous, le nom divin a été inséré après HDip,
comme le co Uexte l'exigeait. Il n'est pas étonnant d'ailleurs que l'ordre des mem-
bres ait été quelque peu brouillé dans un texte qui en uq temps dut se tasser dans
les marges du manuscrit.
est une proposition circonstancielle qui indique
r*"".* "CE'kl'^Z le motif (G K 156 d' :

« puisque etc. » (voir cependant Komg, m, 344 iJ .

8. Le premier vers est trop court : mri\ qui est en surcharge au début du v. 1).

doit être rapporté ici. Le icaw devant r~" est hors de propos: c'est peut-être un
débris du nom divin qui ouvrait le verset. — n2*r ne donne aucun sens satis'"aisant :

lahvé n'a pas à retourner au ciel, dont il ne paraît pas être descendu, et en tout cas
il n'y rentrerait qu'après le prononcé du jugement. Avec Rachi, Dôierlein, Bickell,
Duhm, Zenner. lire ri2w . impératif de zu.^* qui peut être suivi de la préposition S

(cf. Ps. IX. 5,. — nV'2 désigne les hauteurs des cieux : cf. Ps. lxvii, 19; xciii,
4, etc.
9. Le nom de lahvé est de trop pour le mètre, et la proposition détonne avec le
contexte en parlant de Dieu à la troisième personne : lire
":''-
(cf. I Sim. xxiv, IG,

avec Griitz, Bickell, Duhm, Zenner et Briggs.


NOTES SUR LES PSAUMES. 6r.

Les vv. 96 et encore au psaume; mais on en pourrait


10 a appartiennent
discuter. iSy confirnoe le suffixe du nom précédent et a été ainsi compris par 'AS
Hier. Hebr. et secAtndum simplicitatem meain quae est in me.
« Juger » prend ici, comme souvent dans l'Ancien Testament, un sens favorable.

I,c psalmiste est évidemment un opprimé qui réclame justice, comme il ressort

du V. 10 a. Le sens des termes « ma justice, mon innocence » ne doit pas être trop
restreint sans doute veulent-ils marquer d'abord que le bon droit, en l'occurrence,
:

est du côté du psalmiste et qu'il ne mérite pas la persécution à laquelle il est en butte,

mais celui-ci entend bien aussi être rangé dans la catégorie des justes (v. 10 a).
10 a. Le premier verbe est à l'intransitif (cf. Ps. xir, 2 ; Lxx.vn, 9) et doit être

1„ "l^ji. Les Massorètes auront indiqué le sens transitif: « que la malice détruise le

méchant», en vue d'harmoniser la pensée avec celle desvv. 15-17 cf. Ps. xxxiv, : 22.
De son côté, Halévy lit 1523 « fais cesser », qui n'est pas invraisemblable.
D'après Duhm, le psalmiste n'aurait pas en vue le jugement eschatologique ; les
peuples ne comparaissent pas pour être jugés, ils sont seulement convoqués en qua-
lité de témoins, comme dans Am. m, 9 (cf. Mich. vi, 1 ss.) ; Ips adjurations du
psalmiste n'expriment pas une prière véritable, mais un vœu qu'il sait irréalisable,
comme dans Amos encore. Peut-être dans ce cas vaudrait-il mieux se référer à
Job, XXIII, 3 ss.; XXXI, 3.5 ss., qui expriment un vœu de ce genre et précisément

ne mentionnent pas les nations. iMais l'hypothèse de Duhm ne concorde pas avec le
texte. Si les peuples sont là en qualité seulement de figurants ou d'assistants, pour-
quoi lahvé est-il qualifié de «juge des nations »? L'auteur attend un jugement uni-
versel(v. 8), un jugement décrété déjà (v. 7) et annoncé, un jugement qui n'aura

pas pour but seulement de prononcer une sentence, mais d'instaurer un ordre nou-
veau dans le monde, puisque désormais les méchants ne pourront plus exercer leur
malice et que l'appui effectif de lahvé sera enfin assuré au juste (v. 10 o). Or,
n'est-ce point jugement eschatologique? De fait, on ne voit pas pourquoi le
là le

psalmiste, qui croit évidemment au règne futur de la justice sur la terre, ne ferait
point appel à lahvé en vue d'en hâter l'avènement à son propre bénéfice.
10 b. Le waw devant y\i est peu sur il manque dans G0PL, mais est maintenu :

par MT, un ms. grec sans doute 'A), Casin. Sangerm. Le sens est plutôt celui
d'un « mais » que d'un « car ». — nllS (Is. xliv, 48; Ps. cxxv, 4; Prov. xv, 11;
XVII, 3; XXI, 2 ; XXIV, 12) est rare et tardif. Le cœur est considéré comme le siège
des pensées et des sentiments ;
les reins, comme celui des affections et des émotions.
— Sur pi~i*, qualificatif singulier de Din'^N. voir GR 124 y et 132 //.

Bathgen veut que \"î'^N. nom indéterminé, soit l'attribut et :n2. le sujet de la
proposition. Mais \-iSx devenu nom propre s'emploie fort bien sans l'article
(Gen. I, 1, etc.; Ps. xliiss.) et un nom
propre peut être suivi d'un adjectif qui n'a
pas l'article : cf. pnï mn") dansPs. cxxix, 4. Il est d'ailleurs évident que l'auteur

des sentences (cf. v. Il s.) considère \'-iSn comme un nom propre et l'emploie au
lieu de ~X\> (si tant est que la substitution ne soit pas le fait d'un éditeur : voir au
V. 12), et la question est ainsi tranchée.
La formule qui remplit le premier hémistiche, sauf inversion des deux complé-
ments et emploi du pluriel dans le premier, est empruntée à Jér. xi, 20 (cf. xvii, 10-

XX, 12;, qui a été le premier à en faire usage.

11. Le texte de M « Mon bouclier est sur Dieu » pourrait vouloir dire peut-être
« Mon bouclier est porté par Dieu ». mais signifie plutôt « Mon bouclier protè'^e
Dieu »; car les verbes et même les noms (cf. 1 Sam. xxv, IG; Ez. xiii, 5) expri-
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 5
C6 REVUE BIBLIQUE.

niant la protection, et en particulier pj, font précéder de la préposition yj le nom de

la personne protégée. Dans l'un et l'autre cas, la pensée est inacceptable. Communé-
ment on fait signifier au texte : « Mon bouclier est en Dieu », et on cite en exemple
iyu;i DinSN"")!; (Ps. lxii, 8; cf lxxxix, 15), qui s'explique sans doute par le fait

que les verbes exprimant la confiance font précéder de la préposition Sy le nom de


la personne sur laquelle elle repose. On n'est pas fondé non plus à s'appuyer sur G
n poK56£tà [Aou pour lire i^î;q; G atténue simplement la métaphore selon son habi-
tude, car jamais, dans les Psaumes, elle ne traduit littéralement pn quand ce
mot qualifie Dieu. Aussi, Bôttcher, Dyserinck, Grlitz, Cheyne, Briggs et Grirame
lisent iSy : « Dieu est un bouclier pour moi » ; on peut d'ailleurs à son gré, dans ce
cas, maintenir i:aD (cf. v. 9 in fine) ou écrire pa (cf. Ps. m, 4). De toute façon, un
changement s'impose, car outre la difficulté de la construction, on ne voit pas com-
ment, dans le texte massorétique, l'hémistiche peut porter les trois accents requis,
tandis que la correction les fournit, iSî? étant accentué. Mais la première personne

surprend dans ces sentences. Un mot a et un copiste


dû tomber entre hy et DIhSn,
aura écrit ^2X0 pour un sens en rapport avec les versets précédents (vv. 7 et 9).
faire

Sur le texte des versets 10 in fine -^ 11 voir A.Rahlfs, Septuaginta-Studien, II,


Der Text. des Septuaginta-PsaUers, Gôttingen, 1907, p. 42.
12. La formule du premier hémistiche s'inspire sans doute elle aussi de Jér. xi, 20.
— Sur nii Son cf. GK 155 h. — Le voisinage de D\iSx de Sx donnerait à pen-
et

ser que le premier nom n'est pas de l'auteur; celui-ci aurait écrit mni. Mais SnI
est il primitif? Voir ci-dessous.
Pour le texte du second héraitische, la leçon de M est confirmée en substance par
T'A Hier. Hehr. et Casin. et fortis interminans in omnibus diebua. Celle de G xaî

to/upb$ za't [j.axp69u[j.oç, [irj


ôpY'iv ir.i^ui^ xaO' "IxâaTrjv Y)ii.ép«v est Suivie par CL (Veron.
Mediol. Moz. dans Sabatier, Aug. : non in iram adducens; Corb. Sangerm. Carnut.
Moz. dans Migne, Hier. Rom. numquid irascitur [irascetur]) V. L'ad-
Hil. Cassiod. :

dition est laissée de côté par P qui traduit cependant 7ion irascitur. Hier. Corn. :

qui, du texte, donne seulement numquid irascitur per singulos dies, note que l'hé-
breu comminaltir in omni die est meilleur. (V^ariantes sans importance pour le sens :

Hier. Rom. Moz. V omettent et devant fortis; Veron. Moz. dans Sabatier, Aug.
Cassiod. Hier. Rom. longanimis, mais Corb. Sangerm. Carnut. Moz, dans Migoe,
Hil. de Trinitate et V patiens, et Hil. in ps. 2 et 59 magnanimus).

G a lu nyi Sn D'isx T]1XT SxV Les additions doivent être imputables à son texte

hébreu. Elles sont dues, comme celle du v. 13, à un lecteur qui a trouvé la pensée
trop dure. Il aura relevé en marge une formule biblique traditionnelle, pour affirmer
la patience et la miséricorde divines : cette glose a passé ensuite dans le texte, tan-
dis que l'introduction de la négation devant nVT, née du même sentiment, était
facilitée peut-être par une dittographie de Sn' occasionnée par l'insertion nouvelle.
D'autre part, comme Sxl dans M est assez singulier et de plus inutile, sinon
encombrant, tant pour la pensée que pour le mètre, on peut se demander si ce mot
n'est pas dû, lui aussi, à une glose marginale, si l'intention de son auteur n'aurait
pas été d'écrire bxi (de préférence à nS pour exprimer une conviction, avec l'im-

parfait il est vrai : cf. GR 109 e) et si M n'aurait pas interprété SnI par fidélité au
sens primitif du verset; mais l'hypothèse serait bien compliquée et il répugne en
tout cas absolument de supposer l'interpolation consciente et voulue dune négation
dans un texte.
NOTES SUR LES PSAUMES. 67

Le texte de M est seul conforme à la pensée des vv. 10 6-12. Cette série de sen-
tences a évidemment pour objet d'affirmer que Dieu ne manque pas à ses devoirs de
justicier. Le sage, auteur de ces vers, veut répondre aux préoccupations du psal-
miste qui a écrit les vv. 7-10 a. Pour celui-ci, la justice ne règne pas sur la terre et il

est besoin d'une intervention solennelle de lahvé pour l'y établir, savoir, pour
arrêter le libre exercice de la malice des méchants et assurer à l'innocent le sort
que mérite sa justice (v. 10 a). A cela, le sage fait observer que nous sommes mal
placés pour taxer d'insuffisance la providence ordinaire de Dieu dans le monde, vu
qu'il est seul à pénétrer les consciences (v. 10 b; cf. v. Il 6) : ni il ne cesse de sauver
ceux qui sont vraiment justes (v. 11), ni il n'oublie de faire sentir sa colère (Dyf a
cette force) à ceux qui la méritent. L'emploi du participe dans toutes ces proposi-
tions marque l'actualité et la constance de ces interventions divines, et le dernier
mot. très significatif, affirme expressément leur caractère quotidien (v. 12). Il fau-
drait n'avoir jamais lu de sentences des sages pour ne pas saisir les intentions de
celles-ci et la nature de leurs rapports avec le petit psaume qui précède.

Pourquoi le psaume vu b a-t-il été intercalé au milieu du


psaume VII a? Serait-ce par désir de mieux adapter celui-ci à l'usage
de la communauté? Mais l'intrus ne serait-il pas venu à cette place
uniquement par suite d'un accident de transcription?
Pour que l'accident ait pu se produire, il suffit que le psaume vu ^
ait occupé à lui seul une colonne du manuscrit et les vv. 1-6 du

psaume vu a, la colonne suivante. L'ordre des deux colonnes aura été


interverti par un copiste qui, ayant omis la première par inadver-
tance, l'aura reproduite à la suite de la seconde, sauf à indiquer l'in-
terversion par un signe que le copiste suivant n'aura pas remarqué
ou n'aura pas compris. exige, il est vrai, que le
L'hypothèse
psaume vu du psaume vu a soient de longueur
b et les versets 1-6
exactement égale et, en outre, que le premier se soit trouvé débuter
en haut d'une colonne. Or, le psaume vu b et le psaume vu a (vv. 1-
6) comptent l'un et l'autre 199 caractères (dans l'édition de Kittel;
dans d'autres, le second compte une lettre de plus en raison du waw de
imSkJ), et à raison de colonnes pareilles à partir du commencement
du Psautier, le psaume vu premier à l'origine, devait, à très peu
b, le

de chose près, débuter avec onzième colonne du manuscrit. Mais


la
dans tous ces faits il peut n'y avoir que des coïncidences, car il faut
supposer encore que le psaume vu b n'avait pas de titre, ce qui est
exceptionnel dans le premier livre des Psaumes, et surtout, que le
copiste fautif a préféré l'intercaler au milieu du suivant (vu a) plutôt
que de le rejeter à la fin de celui-ci, comme il était naturel. Le mau-
vais état du texte de vu b donne d'ailleurs à entendre que ce fragment
a été d'abord recueilli dans les marges d'une collection de psaumes et
68 REVUE BIBLIQUE.

iaséré ensuite à sa place actuelle. Il n'est pas possible de dire avec


certitude si l'insertion s'est faite avant ou après la formation du P"" livre
du Psautier; mais la seconde hypothèse paraît beaucoup plus probable.
L'incorporation du psaume vu b au psaume vu a facilite une
interprétation nationale de celui-ci. Il suffit de lire les vv. 8-9 a pour
s'en convaincre. Est-ce à dire pourtant que le psaume vu b soit col-
lectif? La teneur des vv. 7 et 9 6-10 a ne le donne pas à penser, et le
psalmiste peut fort bien se référer au jugement eschatologique tout
en n'étant préoccupé que de lui-même s'il estime qu'il n'a à compter,
pour être traité selon ses mérites, que sur ce jugement et sur l'ins-
tauration de l'ordre nouveau qui suivra.
C'est ainsi que le sage (vv. 10 6-12) parait l'avoir entendu il n'a vu :

dans les versets précédents que l'appel d'un individu. En tout cas il
n'accepte ni l'idée d'un peuple juif juste tout entier par opposition aux
nations coupables, ni même l'existence en Israël de deux classes exté-
rieurement distinctes et bien tranchées, entre lesquelles le choix de
Dieu est censé fait d'avance. Pour lui, en dépit des catégories offi-
cielles et des classements humains, le regard divin discerne, par delà
les apparences, les dispositions intimes qui seules comptent. Son
individualisme est incontestable.
L'idée qu'on s'est faite du jugement eschatologique et de ses moda-
lités a varié suivant les temps et les milieux, ce qui rend difficile la
désignation de la date du psaume vu b. Une certaine parenté avec les

Psaumes xcvi-xcix est incontestable; cependant, les vv. 7-10 «, tout

en n'étant sans doute qu'un fragment d'un poème plus étendu, ne


paraissent avoir été détachés d'aucun des psaumes qui nous sont par-
venus. Le jugement y est individuel, bien qu'il porte sur tous les
peuples. Il n'apparaît pas seulement comme une décision juridique,
mais il implique l'exécution de la sentence rendue (vv. 7 « colère,
fureurs », 10 «) et l'établissement d'un ordre nouveau les méchants :

seront à la fois châtiés et mis hors d'état de nuire, et les justes joui-
ront des faveurs effectives de lahvé. Une pareille conception n'est pas
antérieure au milieu du v" siècle avant Jésus-Christ (cf. RB., 1918,
p. 7'i.). L'emploi du verbe laa (v. 10 a) qu'on trouve seulement dans
des textes peu anciens (Ps. xn, 2; lvii, 3; lxxvii, 9; cxxxviii, 8) favo-
rise cette manière de voir.
Les sentences, qui utilisent Jérémie et omettent le nom de lahvé,
sont contemporaines de la floraison de la sagesse (iv* et iii^ siècles),
mais à en juger par leur style n'appartiennent pas à son âge d'or. Le
participe substitué au mode personnel semble indiquer aussi une
époque tardive.
NOTES SUR LES PSAUMES. 69

PSAUME VIII

Le psaume viii est précédé et suivi d'une antienne liturgique. Il se


compose, en dehors d'elle, de quatre strophes, dont chacune compte
quatre vers de trois accents. Les vers sont groupés en distiques.
L'antienne proclame combien le nom de lahvé est glorieux par
toute la terre (vv. 2 a et 10).
Le psaume lui-même constate que la gloire dont lahvé est entouré
au-dessus des cieux est connue et célébrée même par les petits
enfants : là, il s'est construit une citadelle d'où il défie et peut écraser
tous ses ennemis (vv. 2 ô-3; première strophe). lahvé est si grand, à
en juger seulement par ce que nous apercevons de ses œuvres
célestes, qu'on est vraiment étonné qu'il se soit occupé de l'homme
avec tant de bienveillance (vv. i-5; seconde strophe). Peu s'en faut
qu'il n'en ait fait un dieu il l'a couronné de gloire et rendu maître :

de ses œuvres terrestres (vv. 6-7; troisième strophe) animaux domes- :

tiques et sauvages, oiseaux et poissons (vv. 8-9; quatrième strophe).

1 Au maître de chœur. Sur la gitthienne. Psaume de David.

- lahvé, notre seigneur, |


que ton nom est grand 1
par toute la tesre!

[ Ta gloire au-dessus des cieux est chantée


]

3 par la bouche des enfants et des nourrissons :

Tu as bâti une forteresse à cause de tes agresseurs,


pour réduire l'ennemi et le rebelle.

* Quand je vois [ ] l'œuvre de tes doigts,


la lune que tu as établies
et les étoiles :

3 « Qu'est-ce que l'homme pour que tu t'en sois souvenu,


et le fils de l'homme pour que tu l'aies visité? »

6 [ ] Tu l'as fait,de peu, inférieur à un dieu :

[ ] de gloire et d'honneur tu l'as couronné.


'
Tu l'as rendu maître de l'œuvre de tes mains,
tu as tout mis sous ses pieds :

8 Tout grand,
le bétail, petit et
et jusqu'aux bêtes des champs,
9 Les oiseaux du ciel et les poissons de la mer,
(tout) ce qui passe parles sentiers des 'eaux'.

10 lahvé, notre seigneur, I


q»e ton nom est grand |
par toute la terre:

II

2 a. "ijijix 7^V\'^ ne se lit hors d'ici que dans Néli. x, 30, et iJijiN seul, que
dans Ps. cxxxv, 5 ; cxLvii, .5; Néh. vni, 10. —
Sur na adverbe voir GK 148 ab.
— iiix exprime l'idée de grandeur et se dit non seulement de l'homme {Jér. xiv, 4),
mais des arbres (Éz. xvii, 23), des eaux (Ex. xv, 10), des vaisseaux de haut bord
(Is. XXXIII, 21). On l'applique surtout aux nobles (Jug. v, 13, etc.), aux rois
70 REVUE BIBLIQUE.

(Ps. cxxxvi. 18) et à lalivé (Ps. lxxvi, 5; xciii. 4). — yiNH ne sert jamais à dési-
gner l'univers tout entier, y compris les cieux.
Le verset peut vouloir dire que la beauté des œuvres terrestres de lahvé révèle
la grandeur de sa personne ("iDU?), comme il est expliqué de ces mêmes œuvres
au Ps. cxLviii, 7-10, et de ses œuvres célestes aux Ps. xix, 2-5 et gxlviii, 1-6;

mais il faut prendre garde que pour les psalmistes la gloire de lahvé se manifeste,
autant que dans ses œuvres matérielles, dans sou gouvernement moral du monde,
c'est-à-dire dans l'exercice de sa justice, surtout en faveur de ses fidèles : il est très
instructif à cet égard de lire les Ps. xcvi (surtout vv. 2-3, 8-10, 13); xcvii (sur-
tout vv. 2, 6, 10-12); xcviii, 1-3; xcix, 1-4; CXLV; cXLViii, 13-14, OÙ les attri-

buts moraux de lahvé ne sont pas séparés de sa puissance et de sa terreur


(cf. Nombr. xiv, 21; Is. vr, 3-4). L'antieune peut aussi vouloir relever le fait que la
grandeur de lahvé est connue et proclamée par toute la terre, comme il est souvent
souhaité ailleurs (Ps. xcvi, 7 ss.; xcvii, 7 ss.; xcviii, 4 ss.; cxlvui, U ss.).
L'antienne est-elle de même venue que le psaume? Il est difficile d'en décider.
Au point de vue de la forme, on pourrait peut-être à la rigueur partager l'antienne
eu deux vers égaux à ceux du psaume; mais les accents sont plutôt groupés deux à
deux, les coupures étant mieux marquées après le second et le quatrième. Surtout,
les strophes du poème s'organisent et se distribuent eu dehors de l'antienne, ce qui

permet d'envisager l'hypothèse d'une origine différente pour celle-ci. Son contenu la
distingue également. Un personnage individuel se fait entendre dans le psaume, et il

parle en son propre nom sans aucun retour vers une collectivité. Dans l'antienne, au
contraire, c'est la communauté qui s'adresse à lahvé, et la formule est en rapport
avec l'emploi du psaume dans le temple, emploi que le titre (v. 1) suffit à certifier.

La teneur du psaume lui-même n'indique pas qu'il ait été composé pour cet usage.
Le thème du psaume est-il convenablement annoncé et ensuite résumé par l'an-
tienne? Si celle-ci veut dire seulement que la gloire de lahvé éclate dans son œuvre
morale ou matérielle sur la terre, elle correspond à la pensée du second distique,
qui célèbre les victoires de dans une certaine mesure
lahvé sur ses ennemis, et
aussi au contenu des deux dernières strophes, car la bonté de lahvé envers l'homme
est à sa louange aussi bien que l'exercice de sa justice. Si l'antienne fait allusion au
fait que la terre retentit des louanges de lahvé, elle introduit assez naturellement le

premier distique et n'est même pas sans quelque relation avec le reste du poème qui
respire une admiration sans borne pour l'œuvre céleste de lahvé et une reconnais-
sance profonde, admirative aussi, pour *sa bonté envers l'homme. L'accord reste
cependant d'ordre assez général et si l'antienne était entendue de façon trop étroite,
elle ne s'ajusterait qu'à moitié au poème. Le thème de celui-ci rappelle les termes
du V. 16 du psaume cxv : « Les cieux sont des cieux pour lahvé, mais il a donné
la terre aux fils de l'homme. »

Si d'autre part on considère l'antienne comme une addition d'un liturgiste à l'œu-
vre d'un poète, il se trouve que constamment à lahvé sans l'avoir
celui-ci s'adresse

nommé jamais (vv. 2 6ss.). Est-ce bien d'ailleurs une fin de poème que l'énuméra-
tion contenue dans les vv. 8-9? Il faudrait donc supposer, dans cette hypothèse, que
le début du psaume nous manque et que l'antienne finale à son tour masque plus ou

moins bien une autre mutilation. Un cas analogue se présente au Ps. xix, 2-7, qui a
gardé pour l'usage du temple le début seulement d'un poème sur la grandeur de
lahvé dans la nature. 11 est donc après tout possible, mais non pas certain, que nous
ayons ici un fragment ou extrait de poème adapté à l'usage liturgique par l'addi-
tion d'une antienne.
NOTES SUR LES PSAUMES. 71

2 b etZ n. Les deux premiers mots (le relatif suivi de l'impératif qal de inj) ne
fournissent aucun sens satisfaisant. La correction qui s'offre d'abord es^ nnr:

qui a été lu ou plutôt supposé par 2 o; Ira^aç T Pq^^i dedisti Hier. Hebr. qui posuisti.
Comme Sy nn "rnj est « revêtir de gloire », on obtient : « parce que tu as étendu ta
gloire sur les cieux » ou : « toi qui as etc. ». Un simple changement de lecture : nJn,
suggéré par G 8xi I7t7)p9/) CLV quoniam eleuata est, a été proposé par Paulus (Clavis
ûber den Psalmen, Jena, 1791 et 1815) : voir ci-dessous. Il est inutile de passer en re-
vue toutes les hypothèses des critiques, dont aucune n'a pu s'imposer. — lin ex-
prime aussi bien l'éclat et la belle apparence de l'olivier (Os., xiv, 17) ou du cheval
de guerre (Zach. x, 3) que la majesté royale (Zach. vi, 13) ou la gloire de lahvé (Hab.
III, 3; Ps. cxLviii, 13). — La locution « enfants et nourrissons » est usuelle dans la
Bible (I Sam. xv, 3; xxii, 19; Jér. xliv, 7; Lam. ii, 11) : le premier nom désigne
tout ce qui n'est pas adulte; le second, les tout petits, jusqu'à trois ans (II Mac h.
vil, 27). Sur les deux génitifs coordonnés, régis par un seul nom à l'état construit,
voir GK 128 a.

Comme le parallélisme est régulier et le groupement par distiques constant


dans tout le poème à partir du v. 3 b, il est indiqué de joindre ensemble les vv. 2 b
et 3 a et d'y trouver le premier distique de la première strophe. Toute autre inter-
prétation méconnaît la structure du poème et n'aboutit ailleurs au point de vue du
sens à aucun résultat qui soit acceptable. D'autre part, la lecture run {pu.) a

l'avantage de respecter les consonnes du texte et de présenter un sens en harmonie


avec le contexte. Le verbe au pi. signifie « célébrer par des chants », mais l'usage
qui en est fait dans Jug. v, 10; xi, 40 indique un chant populaire et sa parenté avec
njur implique sans doute l'idée de répétition et fait songer aux couplets d'une
chanson : il existait donc un chant populaire, à tendance moralisante peut-être,
voire une chanson enfantine, qui mentionnait la splendeur dont lahvé est entouré
dans sa demeure au-dessus des cieux. On sait que le parfait, que toutes les versions
supposent, se prête à exprimer un fait ancien et constant (voir GK 106 k). Ainsi
compris, le distique est vrai à la lettre et on n'a pas à faire des tours de force pour
en tirer quelque chose. Les enfants d'ailleurs ont-ils pu vraiment proclamer de
quelque autre façon « la grandeur de lahvé au-dessus des cieux » ? Car il est évi-

dent que aiDU;n Sy n est pas complément du verbe mais de -iTin « la splendeur :

(dont tu es entouré) au-dessus des cieux ». Oa se représentait en effet lahvé comme


entouré au ciel d'une sorte de gloire matérielle et d'un rayonnement plein d'éclat
(cf. Ps. xciii, 4; xcvi, 6; xcvii, 2-6; civ, 2-4: cxiH, 4). Du même coup, il appa-
raît que luJN (qui hors de là ne pourrait être qu'une glose de n:n mais corrompue
et à lire i^'îin hoph. « est chantée : »cf. lU'l'' dans Is. xxvi, 1) est bien le relatif,

déplacé seulement, et qui indiquait le sens qui vient d'être expliqué : {^via) ~ll^^
Di^U^n Sy. Les copistes ont souvent introduit le relatif dans les textes poétiques.
La glose était exacte notée en marge d'abord, elle aura été insérée ensuite au
:

début du vers où elle n'a rien à faire. D'ailleurs elle surcharge la mesure.
3 6c. vj exprimerait l'idée de « louange » d'après G aîvov SPCLV Hier. Hebr.
laudem, mais celle de « force » d'après 'À y.pâro: Sexta tr/ûv T Casin nirlutem. Le
premier sens n'est en usage que si le mot est construit avec ]njou xin à Vhiph.

(cf.Ps.rxxxi,,!; Lxviii, 35; xcvi, 7; I Chr. xvi, 28) OU sa signification détermi-


née de quelque autre façon par le contexte. Joint à td'' « fonder », il ne peut avoir
que le sens de « forteresse », comme dans Jér. lt, 53; Am, 11; Prov. x, 15; m
XXI, 22. — n''2U?n est « réduire au silence, à l'impuissance, faire cesser ou dispa-
72 REVUE BIBLIQUE.

raîtie » et par conséquent aussi < détruire » (Deut. xxxii, 2H; Os. i, 4) comme
Tout compris G tou xaTaÀuaai CLV ut destruas. — Dpjna désigne l'ennemi irréconci-
liable disposé à reprendre toujours à toute occasion les hostilités re-bellis, dont le

mot français n'a pas gardé toute la force. Plusieurs veulent substituer DQpna
« le révolté », mais sans nécessité.
La demeure de lahvé au-dessus des cieux est conçue, ici et au psaume cl, v. 1,

comme une forteresse. Il semble d'abord surprenant que lahvé se soit construit
« une forteresse pour détruire lennemi », toute fortification étant plutôt un moyen
de défense que d'attaque. Mais il s'agit peut-être plus de décourager l'ennemi et
ainsi de le comme tel, que de le détruire, et si déjà il est réduit
faire disparaître

à l'impuissance du fait que lahvé habite une forteresse inaccessible, on doit en


outre se souvenir que du haut de cette citadelle lahvé combat, frappe, part même
en expédition et finalement triomphe voir Ps. xviii, 7-15; xcvii, 2-6; CXLIV,:

Ô-7.
L'expression « ennemis de lahvé » a pu contenir quelque allusion mythologique
(cf. Is. Li, 9; Ps. Lxxxix, 11; Job, m, 8; vu, 12; IX, 13; XXVI, 12-13); mais il

ne faut pas perdre de vue que l'ennemi national d'Israël est l'ennemi de son Dieu
(I Sam. XXX, 26; cf. Jug. v, 31), qu'il est caractérisé ailleurs (Ps. xliv. 17; cf. Éz.

XXV, 12, 15) dans les mêmes termes qu'au v. 3 c, et qu'il est même appelé « agres-
seur de lahvé » quand il s'attaque à son sanctuaire (Ps. lxxiv, 4, 23). Dans nombre
de psaumes aussi le « méchant » vulgaire est qualifié d' « ennemi de lahvé »
(Ps. XXXVII, 20; LXVIII, 2, 22; XCII, 10; XCVII, 3).
Le chant populaire auquel fait allusion le v. 2 s. représentait peut-être lahvé
comme le vengeur suprême de la morale et il est même possible que le distique
du V. 3 bc contienne une citation ou une adaptation de ce chant.
4. l3 introduit une protase dont l'apodose est au verset suivant (cf. GK 159 66).
— "Vyzv: (cf. Ps. cxLiv, 5) attesté par MPTV Ambros. Cassiod. Hier. Hebr. a été
lu CiCw' par GCL (même Casin.). — D'autre part, n'iL^'J'O MP Casin. facturam, lu
liyya par TGC (Ciasca) LV opéra, manque dans C (Budge). — C'est ici le seul texte
où les « doigts » du créateur soient substitués à ses mains. — IWH, qui surcharge
la mesure, est une glose prosaïque.
Mais il yun mot de trop aussi dans le premier vers, "laur est dû également
a

à une glose terme se présente sous deux formes, ce qui marque quelque incerti-
: le

tude; les cieux ont été nommés déjà; ils ne sont réclamés ni par le parallélisme
des astres (les cieux correspondent plutôt au firmament Ps. xix, 2), ni par :

l'expression « œuvre de tes doigts », qui convient à la lune et aux étoiles, corps
censés peu volumineux, mais non à l'immensité de la voûte céleste.
Du firmament donc, base sohde de la forteresse d'où lahvé nargue ses ennemis
(cf. Ps. Il, 4), le poète passe aux corps célestes; de la gloire qui entoure lahvé

au-dessus des cieux, à ce qu'il nous donné d'en apercevoir au-dessous. Smend et
est

quelques autres voudraient, à la le soleil (U?DU?). Mais


place des cieux, introduire
le poète contemple et décrit le ciel nocturne, sans doute parce qu'il compose son

œuvre dans le silence de la nuit, mais aussi parce que le ciel, en Orient surtout,

est plus beau la nuit que le jour en un seijs même il n'est visible que la nuit,
:

le soleil éclipsant tout dès qu'il paraît.

Le poète n'ignore certainement pas le premier chapitre de la Genèse; mais en


qualifiant les astres d' œuvre des doigts de lahvé » il montre qu'il ne prend à la
lettre ni les expressions du récit génésiaque ni les siennes.
6. On doit supposer au début de ce verset : « je m'écrie » ou : « je pense »
NOTES SUR LES PSAUMES. 73

(GK 159 (/r/). — w-'lix, collectif, désigne toute l'espèce en- impliquant l'idée de
faiblesse et de mortalité, tandis que DIX p doit faire allusion à l'origine du corps
humain (Gen. ii, 7). — On peut sans doute traduire les imparfaits de ce verset
par le présent (GK 107 u), mais ils font allusion surtout au passé devant le :

contraste de la grandeur du créateur et de la petitesse de l'homme, le poète


s'étonne que lahvé ait seulement « pensé » [cf. Is. xlvii, 7; Lam. i. 9; à l'homme
et encore plus qu'il ait o pris soin » de lui ips a un sens favorable ici comme :

dans Job, x, 12; Ps. lxv, 10; lxxx, 15; cvi, 4. et implique une série de démarches
de la part de lahvé.
La première partie surtout du verset est reprise au psaume cxliv, 3 en ternies
un peu différents. Mais Job, vu, 17-18 présente plus d'intérêt. Il est difficile que

ce texte ne soit pas en rapport avec le psaume, puisque le v. 17 commence par les
termes mêmes de notre verset, en paraphrase l'idée, et que le v. 18 reprend le

verbe Tp£. Et s'il y a relation, comme il semble, l'interprétation ironique à laquelle


se livre l'auteurde Job montre assez qu'il est plus récent.
Le icaw initial manque dans GLVP Hier. Hebr., mais est maintenu avec M
6.

par 'AI0T et Casin. De même, le ivcw devant -^22 est omis par GCL ^même Casin.)
VP, mais attesté par M'AT. —
irn au pi. sur les deux accusatifs qu'il régit, voir
GR 117 ce} prend le sens causatif « faire que quelque chose manque à quelqu'un ».
:

Ce verbe et les suivants de ce verset et du v. 7 doivent être traduits par le passé,


bien que AS© Hier. Hebr. aient employé le futur pour les deux premiers et A
Hier. Hebr. pour le troisième. \~SNa {ut non esset deits : voir Kômg, m, 406 o)
est rendu littéralement par "AS© Hier. Hebr., mais traduit Trap' àyT^'-^"? P^"" G que

suivent CLVPT. — 112: se dit des rois Ps. xxi, 6) et de lahvé (Ps. xxix, 1;
CXLV, 5), ^iri de même des rois (Ps. xxi, 6; xlv, 4) et de Dieu (xxix, 4; xc, 16;
xcvi, 6; civ, 1) ou de ses œuvres (cxi, 3).

On peut discuter sur l'existence du waw au début du verset et sur sa vocalisa-


tion par M. Il ne doit pas avoir tout à fait le même sens que dans Job, vu, 18 et
continuer strictement les '; du verset précédent. Mais c'est pourtant de cette inter-
prétation qu'il faut se rapprocher; car, lors même que le wair n'existerait pas,
l'emploi de l'imparfait à lui seul implique une certaine suite, dans la pensée de
l'auteur, entre les verbes du v. 5 et ceux du v. 6. Cette consécution interdit d'abord
de traduire le wa>r par « pourtant » et imposerait plutôt le sens de « car », les

propositions nouvelles poursuivant et développant l'idée des verbes « se souvenir »


et « visiter ». Pour le même motif, il e.^'t peu logique de rendre les imparfaits du
V. 5 par le présent et ceux des v. 6 et 7 par le passé. Tout indique qu'au v. 5
l'auteur s'est reporté par la pensée au temps de la création fcf. v. 4 6»^ qu'il en voit

les actes s'accomplir, Dieu penser à l'homme, lui conférer une nature élevée, puis
(v. 7 a) la royauté sur les êtres inférieurs : à la fin (v. 7 b;, il passe au parfait pour
constater le fait accompli. Sans doute il n'exclut pas, au v. 5. que Dieu continue
à souvenir de l'homme et à le visiter dans le présent, mais il songe avant tout à sa

première pensée pour lui et à sa première intervention en sa faveur (cf. Kô.mg,


III, 366/' . Ce verset est comparable au v. 5 du psaume cxv, qu'on traduit aussi
par le présent, mais qui concerne en réalité un fait passé.
Les anciennes versions ne faussent pas la pensée en introduisant les anges dans
leur traduction. un sens plus large que m~V car le poète qui s'adresse
D^iSn a ici

cependant directement à lahvé a garde de dire simplement « au-dessous de toi >>. :

Le terme embrasse un ensemble d'êtres surnaturels qui appartiennent dans une


certaine mesure au monde divin, comme dans I Sam. xxviii, 13; Ps. xcvii, 7.
74 REVUE BIBLIQUE.
I! n'est pas douteux néanmoins que Gen. i, 26 s. ne soit présent à l'esprit de l'auteur
et ne règle ses expressions.
On pourrait être tenté de relever un illogisme dans la pensée de Tauteur. Un être
à peine inférieur à un dieu, et roi de la création terrestre, n'est pas peu de chose
ni indigne de l'attention de lahvé; or ce sont là des prérogatives inhérentes à la
nature de l'homme et il en a joui dès l'origine, comme le psalmiste lui-même le
proclame : il n"a jamais existé et même ne saurait être conçu sans elles. Mais il faut
entendre que le poète veut précisément opposer les misères trop évidentes de la
nature humaine et la grandeur de certaines de ses prérogatives comme étant sans
rapport les unes avec dans sa pensée, les premières, pures défectuosités,
les autres; et
sont censées n'avoir pas eu besoin de nous être données et nous appartenir en propre,
les secondes au contraire sont considérées comme un don de la faveur créatrice.
7. it'^a (MTGLV0) est devenu noi2 dans de nombreux mss. hébreux, dans P
et Gasin. D'autre part, Corb. écrit super omnia opéra d'accord en cela avec le
copte et la version syro-hexaplaire. — « Mettre sous les pieds » est a soumettre » :

Ps. XVIII, 39 SS.; XLV. 6; XLVII, 4; cf. Jos. X, 24, et Ps. cx, I.
Tandis que le verset précédent concernait la nature de l'homme, celui-ci envisage
ses relations avec les créatures. Les « œuvres de lahvé » doivent être restreintes à
ses œuvres terrestres, de même que Sd, qui d'ailleurs est déterminé et par conséquent
limité par l'énumération qui suit.
Ce verset et le suivant s'inspirent de Gen. i, 26-28 (cf. ii, 19-20). Ils sont utilisés
à leur tour par Hebr., ii, 6-9 (cf. II Cor. xv, 27).
8. Au lieu de nji', 17 mss. écrivent njNi*; le mot est un équivalent de "jNi' et
également collectif. — mî2n2, qui désigne ordinairement tous les quadrupèdes, est
réservé ici aux animaux sauvages. — Sur iiùr, forme archaïque pour mir, voir
GK 93 //.

9. TlE2f est encore un collectif. — iny, sous cette forme, ne paraît pas qualifier
lai, mais désigner, outre les poissons proprement dits, tout ce qui se meut dans
les eaux. Sur l'emploi du masculin pour désigner le neutre, voir Kônig, ili, 323 f/.

GCLVP traduisent comme si elles lisaient Qiiny. — Au lieu de Dir3V Hier. Hebr.
aqtiannn lit avec raison D^C ou plutôt D"i)2n qui est mieux en parallélisme avec
n\"i et d'oïl l'on conçoit aisément que la leçon de M soit sortie.
Les oiseaux et les poissons sont réunis ici comme dans Gen. i, 20 ss. Toute
l'énumération d'ailleurs (vv. 8 et 9) dérive de Gen. i, 26-28.

III

L'usage de i:"':in dans lantienne (voir au v. 2 a) révèle l'époque


persane.
Le poème lui-même, daprès les vv. 5 ss., est postérieur à Gen. i

et antérieur à Job, ce qui nous reporte sans doute vers le milieu de


la même période.
E. PODECHARI».

Post-scriptum. Dans l'article précédent, année 1918, p. 304, ligne 3 d'en bas, au
lieu de « doublement », lire « dédoublement ».
MÉLANGES

LA CHAPELLE MEDIEVALE « DU REPOS »

La coutume s'était introduite, à une époque assez récente, dans


la tradition chorographique, de désigner comme « chapelle du
Couronnement d'épines » un petit édifice médiéval enclavé dans les
gourbis de la caserne turque dite de l'Antonia, à l'angle N.-O. du
Harani ech-Chérif. Aucune attestation historique antérieure au
XV* siècle ne prêtait un appui quelconque à ce vocable, accrédité seu-
lement par une déduction docte et vraisemblable dans le cycle des
localisations multipliées, siècle après siècle, autour du site qui s'est

imposé graduellement à la vénération des pèlerins comme emplace-


ment du Prétoire où N.-S. fut jugé et condamné à mort. Devenu la
sépulture d'un santon musulman, l'édifice lui-même était depuis fort
longtemps maccessible aux chrétiens, même quand ils étaient admis à
pénétrer dans la caserne pour y vénérer les souvenirs du Prétoire,
station initiale de la Voie douloureuse. A peine entrevoyait-on, émer-
geant des terrasses qui l'enserraient, la coupole délabrée du vieil
oratoire et bien rares demeuraient les privilégiés autorisés à jeter un
coup d'oeil furtif dans l'intérieur.
Malgré les difficultés d'une investigation à la dérobée, le caractère
médiéval très net du monument n'avait pas échappé au regard si
exercé de M. de Vogué. En dépit de mille entraves, le vénéré maître
avait pu naguère enregistrer les éléments essentiels d'un plan expri-
mant le principe structural de l'élégante petite chapelle et l'avait
commenté en une courte page des Églises de la Terre Sai?ite{i).
Depuis l'évacuation de la caserne turque, l'antique oratoire chrétien,
si malencontreusement profané, devenait aisément accessible et nous

(1) P. 300 et pi. xxii. Cette documentation, distraitement étudiée ou mal comprise, est
passée en divers ouvrages, monographies ou guides, qui divaguent sur la forme de cette
chapelle,ou sur le caractère « indigène » de Tédifice auquel ils découvrent un chœur flanqué
des annexes byzantines diaconicon et prothèse.
76 REVUE BIBLIQUE.

avons eu à cœur d'en pratiquer sans délai un examen détaillé, dont la


planche I traduit les principaux résultats.
Le plan est un carré sensiblement parfait de i'",90 de côté (1), avec
des murs de O'^JO d'épaisseur. Dans l'état actuel les parois E. et N.
sont pleines. Vers le centre de la paroi occidentale est percée une
petite porte dépourvue de tout caractère. La face méridionale, au
contraire, demeure largement ouverte par une arcade monumentale
sur des annexes dont il sera question plus loin. Le plus superficiel
coup d'oeil permet toutefois de reconnaître sur les quatre faces une
disposition primordiale identique. Le blocage dont on a obstrué tar-
divement les grandes baies n'a rien de commun avec l'appareil soigné
des piles et n'offre pas tout à fait la même épaisseur (2) dans la paroi
occidentale, la plus facile à étudier parce qu'elle est complètement
dégagée, tandis que les parties inférieures des parois E. et N. sont
enclavées dans des constructions adjacentes qui les masquent à des
hauteurs variables. D'autre part, l'allure de la corniche courante, à
1™,75 au-dessus du sol intérieur actuel (3), qui disparait dans le
blocage en se repliant autour des piles, ne laisse aucun doute sur
l'ouverture primitive des baies.
L'arcade septentrionale était d'ailleurs extérieurement ornée d'une
élégante archivolte en partie visible par-dessus la terrasse d'une
masure adossée à notre édifice (4). On pourrait se demander si l'accès
principal du monument ne se pratiquait point, à l'origine, par cette
baie septentrionale, quoique sa décoration se puisse motiver suffisam-
ment par le fait que cette baie était orientée vers l'entrée générale et
vers la cour de la caserne. Quelques indices ténus suggèrent en
effet que l'entrée de la chapelle était plus normalement dans la façade
occidentale, où l'on croit discerner encore, sous l'arcade, les amorces
d'un linteau en claveaux appareillés, détruit quand on a modifié
la paroi pour créer la banale porte moderne. Il n'importe pas,
au surplus, pour l'intelligence correcte de l'édifice, de s'acharner
à la détermination plus minutieuse de ce détail et ce qui vient
d'être dit suffira sans doute à justifier le tracé du plan, débarrassé
des superfétations maladroites qui en défigurent un peu l'état
présent.

(1) Faces N. et S. Les cotes 4", 85 face E. et


4"',95 face 0.. relevées à 1°^ en moyenne au-

dessus du sol actuel, sont vraisemblablement à mettre au compte de quelque négligence


d'exécution.
(2) 0",64 seulement, au lieu de 0"',10.

(3) Surélevé de 0"»,30 environ par rapport au sol ancien.


(4) Voir la coupe et le profil, pi. I, 1 et 4.
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MELANGES. 77

De même que les sections adventices ^es parois, on n'a pas hésité à
éliminer également de ce tracé le tombeau parasite qui en occupe le
milieu. Avec ses deux petits gradins, son sommet arrondi et deux
fragments d'antique colonnette de marbre en guise de stèles aux
extrémités, ce tombeau reproduit un type vulgarisé à l'infmi dans les
cimetières musulmans autour de la ville. Son délabrement minable
atteste assez que la célébrité éphémère du personnage honoré jadis
d'une sépulture en ce lieu n'impressionnait plus d'aucune façon et
depuis beau temps ses coreligionnaires. En dehors des lettrés qui ont
une certaine familiarité avec la vieille chronique de Moudjir ed-Din,
on peut douter qu'il y ait encore à Jérusalem, parmi la population
musulmane contemporaine, beaucoup de gens avertis qu'en ce lien
fut enseveli, vers le milieu du xtv^ siècle, le très vertueux kurde
cheikh Derbàs el-Hakkàry. Il n'y aura par conséquent pas la moindre
irrévérence et encore moins d'injustice à laisser cet intrus enfoui dans
son oubli séculaire.
Le plan carré de l'édifice s'élève extérieurement à 6'", 60 de hauteur,
couronné par un. entablement en forte saillie (1). A l'intérieur le plan
carré est limité à 4"', 10 au-dessus du sol ancien par une seconde
corniche qui court sur le sommet des arcades. Au-dessus de cette
corniche de puissantes trompes à double ressaut, jetées dans les quatre
angles, ramènent le carré à un octogone de 2'^,15 de côté, dont la
corniche supérieure ei!it aisément fourni déjà la base d'une coupole
ronde. Un ingénieux artifice de structure a facilité le tracé circulaire
de la coupole.Au lieu d'adapter strictement sa corniche aux pans de
l'octogone, l'architecte l'avait tracée de telle sorte qu'un long bloc
placé en porte-à-faux sur chaque angle en creux de l'octogone, dimi-
nuait sensiblement la longueur des faces, doublant en quelque sorte
les côtés du polygone. La répétition de ce procédé dans une seconde
corniche coupée seulement par la base des fenêtres aboutissait à une
forme aussi rapprochée que possible du cercle parfait. Sur ce tambour
polygonal il devenait fort simple de camper une coupole ronde, dont

la portée demeurait minime, son diamètre maximum n'excédant pas


une coupole
4™, 75. Aussi le constructeur a-t-il réalisé sans difficulté
hémisphérique sensiblement parfaite. Tout au plus les arêtes creuses
de l'octogone exercent-elles encore une légère influence dans les pre-
mières assises appareillées de la coupole; la calotte supérieure, appa-
remment en blocage (2), est tout à fait ronde. Engoncée dans l'espèce

(1) Voir pi. I, 1 et 6.

(2) Le crépissage ne permet pas actuellement d'en discerner


78 REVUE BIBLIQUE.

de pseudo-tambour qui en consolide la base et a facilité l'installa-

tion de quatre petites fenêtres, à peu près sur les axes de Fédifice,
peu d'envergure extérieuï-e. A l'intérieur au contraire
cette coupole a
elle ne manque pas de cachet et, malgré la disparition actuelle de
toute ornementation complémentaire, l'ensemble du monument
demeure remarquable par Télégance du parti, Iheureuse harmonie
des proportions et la fermeté des lignes.
Toute la décoration se résume à peu près aujourd'hui dans les
sobres modénatures déjà signalées. Corniches et entablement repro-
duisent à satiété et avec des proportions variables (1) les deux types
de moulures groupés dans l'archivolte de la baie septentrionale
(pi. I, I, 4 et 6). On n'aura, je crois, rien omis de ce qui subsiste si

Ton ajoute la mention de trois pelites rosaces, malheureusement


martelées, sculptées en relief sur la face de trois blocs symétrique-
ment disposés dans une assise courante de la façade occidentale au-
dessus de l'entrée, et une fort gracieuse conque à cannelures (pi. I, 5)

qui orne actuellement le sommet de la fenêtre méridionale de la


coupole. Cette fenêtre a été quelque peu surhaussée à une époque
sans doute assez récente et la face antérieure de la conque repiquée
pour prendre un aspect neuf qui détonne sur tout le reste. Cette pré-
tentieuse retouche ne saurait donner le change sur l'origine de l'élé-
gante conque qu'elle a, par bonheur, épargnée.
Le caractère médiéval de tout le monument ne laisse place à aucune
hésitation dès qu'on a pris le temps d'examiner avec le soin nécessaire
son plan, ses proportions, le traitement des matériaux, les procédés
de leur mise en œuvre et les rares éléments décoratifs. Une compa-
raison minutieuse avec des édifices analogues mieux documentés,
l'édicule de l'Ascension par exemple, permettrait probablement déjà
une détermination moins vague d'origine et de destination. On va voir
que ce monument, interrogé avec une plus persévérante attention, se
rend mieux encore témoignage à lui-même.
Il communique, en effet, par la baie méridionale non murée, avec

des annexes qui nous restent à décrire. Dès qu'on a traversé la baie,
on observe que les retombées de cette arcade, moulurée à l'extérieur,
n'ont plus de supports. Au lieu d'une construction pleine en appareil
continu, les piédroits offrent une cavité normalement appareillée,
presque exactement quadrangulaire de0™,28 sur 0™, 26/27 décote, où
se logeaient, de toute évidence, des colonnettes indépendantes qui ont

(1) Qui ont créé par endroits de légères inexactitudes de raccord, par exemple aux pié-

droits de la baie méridionale.


MELANGES. 79

été depuis longtemps arrachées, laissant dans le vide et maintenu


seulement par leurs deux extrémités les blocs de corniche courante
qui reposaient naguère sur leurs chapiteaux (1). Même anomalie sous
les retombées d'une arcade symétrique ornant la paroi opposée dune
autre pièce développée au sud. Cette pièce, où l'on pénètre par une
porte monumentale intérieurement couverte par un arc en mitre,
est un carré de i™,65 de côté, avec une voûte d'arêtes assez élevée
retombant sur de très simples consoles engagées dans les angles. Les
parois sont absolument nues. Presque sous le berceau de la voûte, au
centre de la muraille orientale une assez grande ouverture quadran-
gulaire, aujourd'hui aveuglée par les constructions adjacentes, était
manifestement une fenêtre. Pour y suppléer quand elle est devenue
inutilisable,on a percé ultérieurement, dans l'énorme muraille du
Haram qui fermait la chambre au sud, une large brèche terminée en
manière de fenêtre. La tâche s'est révélée laborieuse. Dans cette
puissante maçonnerie qui n'avait pas moins de 4", 20 d'épaisseur, on
n'a pas réussi à pratiquer une trouée rectiligne; l'arrachement des
grands blocs hérodiens de longueur inégale créait dans les parois de
la coupure des sinuosités qu'on a régularisées tant bien que mal, voire
même pas régularisées du tout au plafond de cette sorte de couloir
aboutissant au cadre rudimentaire d'une fenêtre qui donne vue
sur l'esplanade de l'ancien Temple. Malgré cet aspect heureux du
résultat finalement obtenu, on ne sera évidemment guère enclin à
attribuer cette création à l'architecte médiéval et elle doit sans doute
rester au compte des manœuvres indigènes qui ont modifié par la
suite son édifice.
Aucun autre détail n'est de nature à retenir plus longuement l'at-
tention sur cettechambre méridionale, tout à fait vide aujourd'hui, et
qui dut être à l'origine une simple dépendance de petit monument à
coupole. La galerie étroite et allongée qui met les deux pièces en
communication était développée aux extrémités par deux enfonce-
ments voûtés à la hauteur de la naissance des grandes arcades. Un
petit arc en mitre terminait ces voûtains en front et une pénétration
en segment de voûte d'arêtes opérait leur raccord au grand berceau
longitudinal qui couvre la partie centrale de la galerie. Le rôle de
ces enfoncements n'est pas d'abord très facile à discerner, à cause de
leur exiguïté (0'",87 x O'^jQ^ et une moyenne hauteur de 2 mètres).
Mais tandis que celui de l'extrémité orientale est fermé par un mur

(1) Constituant, sur le tailloir de ces chapiteaux, une sorte de second abaque, suivant
un procédé très familier dans l'architecture romane (cf. Enlart, Manuel d'arch. fran-
çaise; I, Architecture religieuse, p. 369;.
80 REVUE BIBLIQUE.

plein faisant corps avec les autres parois, celui de l'ouest n'est
qu'imparfaitement bouché par une maçonnerie laissant
mauvaise
clairement distinguer la feuillure d'une porte à encadrement mou-
luré. Il est aisé de revenir, à travers une masure contiguë, devant
cette porte, dont l'ouverture extérieure est totalement masquée par
un crépissage moderne, mais que confirme à l'évidence une archivolte
aux moulures à peine empâtées par le crépi. L'élévation géométrale
(pi. I, 3) traduit cet état de choses en faisant abstraction des murailles
modernes qui offusquent la suite de la paroi et en soulignant eu poin-
tillé l'existence indubitable et l'encadrement possible de cette porte.
Il va de soi que les deux colonnettes suggérées en cet endroit
demeurent hypothétiques et qu'elles ont été arrachées, tout comme
celles de la galerie intérieure; mais la présence certaine de celles-ci
dans les montants des arcades rend assez vraisemblable la restaura-
tion conjecturale de celles-là. Les unes et les autres ont été indiquées
avec fermeté dans le tracé du plan ;
on voit néanmoins la nuance qui
s'impose à leur sujet. Il n'était pas jusqu'aux pauvres fragments de
colonnette en marbre signalés sur le tombeau du santon musulman
qui ne demeurent un indice complémentaire utile à enregistrer avec
leur diamètre de 0'",16 très adapté aux proportions requises. Une
recherche laborieuse dans tous les gourbis voisins n'avait fourni que
des lambeaux d'ornementation sculpturale, trop mesquins ou trop
difficiles à déterminer pour être rapportés à notre monument.

Il en allait de toute autre sorte avec une petite trouvaille réalisée


quelques jours plus tard. En explorant le minaret qui domine la vieille

caserne, à l'angle nord-ouest de l'enceinte sacrée, nous recherchions


surtout, le P. Abel et moi, le curieux chapiteau historié signalé
naguère par M. Clermont-Ganneau 1). En dépit de l'admirable élé-
gance avec laquelle il a été dessiné par un architecte de grand talent
et malgré toute la maîtrise du commentaire archéologique dont il a
été l'objet, ce chapiteau, où l'on avait cru reconnaître une Présenta-
tion de Jésus au Temple, nous demeurait obscur et méritait contrôle.
Heureuse fut notre surprise, en abordant la galerie supérieure du
minaret où il devait se retrouver, de l'apercevoir en effet, mais sur-
tout de constater qu'il en existait deux analogues, sur deux autres
faces de la tour carrée. Si distingué qu'ait été le crayon de M. l'archi-

(1) Archaeological Researches, I, pp. 144 ss. et planche hors texte.


r

^4^=.-
'>'

0-^.

7.

F
MÉLANGES. 81

tecte Lecomte du Xoiiy, son iiiterprét-ition artistique n'a pas fait

pleine justice à l'œuvre gracieuse et naïve du ^< tailleur dymaiges »

médiéval. Les croquis groupés sur la planche II ont cherché moins à


rendre avec minutie des accessoires décoratifs de ces compositions si
lamentablement mutilées qu'à saisir, en de multiples séances par des
lumièies différentes, les sujets traités, le groupement et l'allure des
personnages et tout ce qui pouvait servir à les caractériser. La patiente
habileté du P. Savignac nous met en mesure d'appuyer nos croquis
d'au moins une bonne photographie.
Dans le premier sujet pi. II, 1 et a) un personnage amplement
1

drapé est assis sur un siège fruste qui parait avoir un assez haut dos-
sier. Malgré la disparition de la tête, on n'hésite pas à reconnaître le

Christ, à cause du large nimbe crucifère demeuré intact. Ce qui sub-


siste de l'attache du cou, davantage encore le mouvement des épaules,
la pose des bras et des mains ramenées l'une sur l'autre et appuyées
sur les genoux trahissent une attitude lasse et comme abandonnée.
Le Sauveur, dont la tète s'inclinait, parait absorbé dans une médita-
tion solitaire. Derrière lui deux personnages en pied, que de grandes
aileséployées signalent comme des anges, sont groupés très étroite-
ment. En contraste avec les longues draperies de leur vêtement, ils
ont les pieds nus et tandis que leurs ailes droites s'agencent habile-
ment pour se bien profiler l'une ot l'autre, les ailes gauches se pla-
quent assez peu distinctement dans le haut de la scène, où elles se
confondent presque avec quelques feuillages très sobres. Lange du
premier plan fléchit les genoux; ses mains brisées se tendaient vers
le Christ douloureux et tout son corps se porte en avant dans une
allure où s'expriment à la fois la révérence et la stupeur. Comme s'il

en était accablé et sur le point de défaillir, il est soutenu par le


second ange, qui Fa entouré de ses bras et qui s'unit, en s'inclinant,
à son gesie d'adoration et d'eifroi compatissant.
Au second tableau (pi. II, 2), —
celui qu'avait publié M. Clermont-
Canneau, —
les mêmes personnages i^eparaissent dans une allure

quoique le siège se présente sous


différente. Jésus est toujours assis,
un autre aspect, ne laissant plus voir de dossier et n'ayant plus tout
à fait d'ailleurs la même silhouette. Mais la tête s'était relevée, le
buste redressé; les bras sont tendus légèrement en avant et la main
gauche, fortuitement échappée au marteau des vandales, s'ouvre en
un geste expressif Notre-Seigneur parle avec douceur ou, plus vrai-
:

semblablement, il prie avec une tranquille sérénité. Les deux anges,


derrière lui, se sont relevés dans une attitude calme et recueillie. Ils

tendent vers lui leurs mains pieusement recouvertes de voiles aux


REVUE BIBLIQLE 1920. — T. XXIX. (j
82 REVUE niBLTOUE.

plis très amples, comme s'ils se disposaient à recueillir sa prière, ou


plutôt à lui porter secours.
Le troisième sujet remet derechef en scène les mêmes personnages.
Le Sauveur est demeuré assis sur un siège presque identique à celui
du tableau précédent. Telle est, par malheur, la mutilation infligée à
ce chapiteau que l'attitude ne saurait plus être spécifiée davantage.
Les deux anges, au contraire, s'inclinent maintenant avec une com-
passion plus anxieuse et leurs mains couvertes des mêmes voiles sont
tendues plus vivement, comme pour mieux offrir leur secours, ou
recueillir avec une révérence plus empressée la prière ou la souf-
france du Divin Maître (fig. 1 et pi. II, 3).

Nous sommes donc manifestement en présence de trois phases d'une


même c histoire » ; mais avant d'en essayer la détermination plus
précise, il ne sera pas inutile d'enregistrer quelques détails de nature
à fixer la date de ces curieux chapiteaux.
Leur origine médiévale et romane n'est pas douteuse. On sait suffi-
samment aujourd'hui que les chapiteaux à représentations animées,
loin d'appartenir exclusivement à l'art médiéval « du xi° et du
xii^ siècle ne sont pour une bonne part que la reproduction ou l'in-

terprétation de modèles plus anciens (1). » Mais l'antiquité orientale


ou classique semble n'avoir fait usage de ce thème sculptural que
dans un but surtout décoratif et d'ailleurs peu prodigué \2). Il parait
s'être multiplié déjà dans l'art; byzantin (3), non plus seulement sous
forme de combinaisons ornementales associant des figures variées aux
feuillages, rinceaux et volutes du chapiteau usuel, mais de temps à
autre en manière de tableau religieux tel ce chapiteau de Ravenne :

qui représente sur une de ses faces la Madone à l'Enfant, et sur une
autre « un personnage nimbé... dont l'identification paraît impos-
sible (4) ». Il n'y avait pourtant là que d'assez rares exceptions, et il
faut vraiment arriver jusqu'à la sculpture carolingienne pour cons-
tater un développement intense et fécond de ce thème sculptural. La
représentation animée sur les chapiteaux ouvrait en effet à l'in-
géniosité créatrice des artistes occidentaux le champ le plus vaste.

(1) Bréhier, Études sur l histoire de la sculpture bijzanline, dans les Nouvelles archi-
ves des Missions scientif'., nouv. série, 1911, fasc. 3, p. 30. Pour constater l'inlluence de
l'antiquité dans la constitution de l'art médiéval françaisy a toujours profit à se reporter
il

à la monographie de Vioij-et-le-Dug, Sculpture (dans le Diction, raisonné de l'arch.


française du xr au x\' siècle, t. VIII, pp. 97-279), lue toutefois avec critique.
(2) Tout le monde a en mémoire les chapiteaux hathoriqties'égjpliens et les chapiteaux
fantaisistes de certains palais de Persépolis ou de Suse.

(3) Cf. les Manuels de Diehl, Ballon, etc.

(4) Bréhier, op. L, p. 39 et pi. m, 3.


83
MÉr.AxnES.

i 5
1

du P. Savignao. Voir pi. II, 3.)


Fi?. 1. - Jésus dans la <- Prison du Repos ». .Cliché

romane, très profondé-


A mesure que Tart évoluait, dans la période
S'^ RF.VUE Dini.lOlE.

ment imprégné d'idées religieuses qui lui inspiraient un symbo-


lisme parfois quelque peu recherché mais pratiquement inépui-
sable il), le chapiteau historié cessait d'être une heureuse formule
décorative accidentellement adoptée pour rehausser l'élégance d'un
édifice. Il devenait un moyen particulièrement avantageux d'exposer
aux regards les plus émouvantes scènes de l'Ancien et du Nouveau
Testament, ou d'en évoquer le souvenir par un symbolisme plus ou

moins transparent. Et comme si le trésor ainsi ouvert à l'inspiration


des « tailleurs d'ymaiges » n'eût pas été suffisant, leur ardente ima-
gination le compléta par un cycle allégorique diversifié presque à
l'infini (2). On conçoit que les premières créations de cette nature ne

pouvaient offrir ni le même sentiment esthétique, ni la même sou-


plesse d'exécution que les thèmes hérités du passé. Tel artiste du x' ou
du XI'' siècle capable de réaliser avec virtuosité un chapiteau dérivé
de l'antique ou simplement orné de combinaisons capricieuses de
feuillages, de palmettes et de rinceaux, devenait fatalement hésitant,
timide et un peu gauche pour composer la représentation expressive

de quelque scène biblique dont il n'avait pas encore eu de modèle


plastique sous les yeux. L'évolution lut néanmoins assez rapide et
elle parait avoir son apogée dès la seconde moitié du
atteint
xi^ siècle; les maîtres sont unanimes à classer en cette période les
plus remarquables productions dans ce domaine spécial et beaucoup
sont de « ». Il s'est créé dès lors une
véritables chefs-d'(ï»uvre (3)
ample thèmes iconographiques dont le type est parfaitement
série de
arrêté, et plus encore un style suffisamment caractérisé pour que les
experts en puissent déduire de nos jours non seulement une attribu-
tion chronologique générale, mais parfois la date assez précise ou le
classement à telle école régionale déterminée {'*).
Si fâcheux que soit le délabrement de nos chapiteaux, il laisse

pourtant subsister dans ces compositions remarquables tous les traits


qui individualisent avec évidence les productions analogues de la
seconde moitié du xii" siècle. Les scènes^ on dira de préférence /«

(1) Bien mis en lumit're dans le beau livre de M. E. Mvle, L'art reliçiieux du xin" siècle
en France ; Étude sur l'iconographie du Moyen Age et sur ses sources d'inspiration-, voir
surtout pp. 28 ss. {2'" éd.^,

(2) Encore que l'on doive se garder de vouloir oiistinéinent découvrir une signification
précise à chacune de leurs formules détoralives et un syinholisine très concret dans le plus
minime détail d'exécution. Voir à ce sujet les fines remarques de M. de Lasteyrie [L'arcltit.
relig., p. G27 s.) et de M. Enlart (Manuel... I, p. 384 ss.i.

(3) De Lvsteyrie, L'archil. rclig., p. 627.


(i) Voir par exemple Enlxp.j, Manuel..., I, 376
ss., et surtout la monographie générale
de Vioi.LET-LE-Duc, Diction, raisonnç de rarchileclure franc,.., âT\, Chapiteau, II, 480ss.,
487-502,
MÉLANGES. 85

scène unique en ses phases successives est essentieilement simple et


n'est pas exempte d'une certaine lourdeur dans les attitudes, suivant
la physionomie esthétique dominante de la plupart de ces productions
sculpturales au xii" siècle 1 les personnages mis en scène occupent
1
;

seuls le champ disponible, sans aucune ornementation accessoire;


tout au plus remarque-t-on ici ou là quelques feuilles nouées sur une
sorte de tige pour exprimer, conformément au langage conventionnel
de celte sculpture, que la scène « se passe sur la terre (2) « les coups ;

de trépan soulignant la décoration du nimbe crucifère autour de la


tète du Christ, les pieds nus du Sauveur et des anges, les draperies
plissées avec art et presque collantes, comme si elles étaient mouil-
lées, sont autant de détails désormais trop familiers à cette époque de
l'ait roman pour qu'on hésite à y classer les chapiteaux qui nous
occupent. En discutant naguère la date du « Portail royal de la cathé-
drale de Chartres », qu'il fixe peu après le milieu du xii^ siècle, M. de
Lasteyrie a décrit les anges figurés sur « les principaux portails
romans qui nous restent » en des termes qui se vérifient minutieuse-
ment ici; on y voit « toujours les anges habillés... d'une longue robe
et d'un manteau drapé de façon à laisser voir par devant tout le bas

de la robe. Ils ont, prcs]ue toujours et quelle que soit leur attitude,
les ailes éployées, celle qui est du côté du fond du tajjleau relevée
plus ou moins gauchement au-dessus de leur tète (3) ». Et il n'est pas
jusqu'à l'espèce de génutlexion esquissée par un de nos anges qui
n'ait de bonnes analogies dans ce cycle iconographique.
L'attribution de ce groupe de chapiteaux à seconde moitié du
la
xu' siècle ne paraîtra donc plus trop douteuse détermination de
et la
« l'histoire » qu'ils traduisent, si cette détermination devenait réali-
sable,en augmenterait encore l'intérêt archéologique.
Il spontané de tenter un rapprochement de ces trois petits
était

tableaux avec quelque interprétation plus claire d'une scène de


l'Ancien ou du Nouveau Testament, dans le vaste répertoire icono-
graphique de l'art roman. Rien ne paraissant s'imposer, parmi les
éléments comparatifs qui me sont accessibles, force était d'en essayer
en s'inspirant autant que possible de la
l'interprétation originale,
pensée religieuse et artistique d'où procédèrent ces compositions.
Après divers tâtonnements, influencés par le souvenir de la scène du
Prétoire dans les récits évangéliques, je m'étais arrêté à l'idée d'une

(1) De Lasteyrie, Éludes sur la sculpture française au moyen âge, dans les Monu-
menls Piot, t. VIII, p. 20
(2) Voir Mâle, L'art religieux... j p. 14.

(3) De Lasteyrie, Éludes sur la sculpl. fr., p. 19.


â6 REVUE 13IBLIQUE.

représentation qui serait comme en marge des données explicites de


l'Évangile : une sorte^de Prison dans laquelle, pendant les allées et

venues de Pilate en train de discuter avec les Juifs, Notre-Seigneur


aurait reçu, comme à Gethsémani, le ministère secourable et l'adora-
tion des anges. Les négociations précipitées du Prétoire n'étaient
toutefois guère propices à l'hypothèse de cette « Prison », où le séjour
du Divin Maître se révélerait mieux comme assez prolongé puisqu'on
y a prévu un siège, que les attitudes se nuancent pour indiquer des
moments diltereots et que la présence des anges serait .assez peu
concevable au milieu du va-et-vient de la négociation criminelle qui
se poursuit.
Le P. Abel m'a tiré de cette perplexité en me signalant la création
médiévale d'un « Moustier de la Prison du Repos » précisément en ces
mêmes parages. L'histoire en sera résumée prochainement d'après
les sources quand sera traité, dans Jérusalem Nouvelle, le problème

du Prétoire traditionnel et de son cycle topographique. Il suffira de


noter pour le moment que ce iMoustier contenait « li prisons uil (Ihesu
Cris) fu mis la nuit que il fu pris en Gesscmatil » et qu'il se trouvait
en relation avec « li Maisons Pilale » et avec o une porte par u on
aloit alTemple (1 ». Dans celte perspective, nos trois tableaux devien-
)

nent limpides, sans qu'il soit nécessaire de justifier si cette pieuse créa-
tion s'harmonise ou ne s'harmonise pas avec les données de l'Évangile-
Après les premiers incidents qui suivent l'arrestation à Gethsémani,
dès qu'on imagine N.-S. enfermé, pour le reste de la nuit, dans
cette sorte de prison, son attitude et son expression se conçoivent
tout aussi naturellement que la présence des anges. Pour simple que
soit la composition, malgré la mesure des mouvements et le calme

un peu hiératique des attitudes, il est impossible de n'être point


frappé de l'expression intense que le sculpteur a su traduire. Elle
justifieau mieux ce que Viollet-le-Duc appelait, dans la sculpture
médiévale en particulier, « l'élément dramatique », c'est-à-dire a le
moyen d'imprimer dans l'esprit du sj)ectateur, non pas seulement la
représentation matérielle... d'une scène, mais tout un ordre d'idées
qui se rattachent à cette représentation (2) ».

Un détail de structure dont nous n'avons pas encore fait état


jusqu'ici devait nous guider avec fruit dans la recherche de prove-

(1) Ernoii,, La citez de l/ientsulem, éd. Miclielanl-Raynaud. p. 49.

(2) Diction, de l'archil-, aii. Sculpture, p. 156.


MÉLANGES. 87

nance de ces chapiteaux. Tous avaient été taillés, en effet, pour se loger
en des encogoures, avec deux faces lisses s'appliquant aux parois.
Dans la situation qu'ils occupent aujourd'hui, sous la retombée
centrale des doubles arcades aveugles sur la galerie du minaret, une
seule de ces faces épannelées trouve sa raison d'être et a permis de
plaquer plus étroitement le chapiteau contre la paroi de fond l'autre ;

est demeurée très apparente, sans que le maçon, auteur du remploi,


ait eu le moindre souci del'eflet disgracieux qui en résultait heureuse
:

goujaterie, au surplus, puisrju'elle laissait subsister en ces chapiteaux


un indice précieux de leur origine. Luoité iconographique de ce
groupe se corrobore de la plus parfaite unité technique. Il suffisait
d'esquisser un plan facile à contrôler sur les trois pièces, pour être
frappé de cette unité. Mais un détail impressionnait par l'évocation
saisissante des angles vides sous les retombées d'arcades, dans les
baies ouvertes sur la galerie méridiojiale de l'oratoire décrit au début
de cette note, oratoire dont la coupole se profilait à quelques mètres
seulement sous la galerie du minaret. Le plan supérieur
était un carré
à peu près parfait de 0"',27 à 0"\2S de côté, avec arêtes vives et
rectilignes sur les faces d'adhérence, tandis que les faces sculptées se
terminaient eu manière de petit tailloir à faces concaves, suivant le
type du chapiteau corinthien antique imité ici, appelant un abaque
disparu pour faire la liaison entre ce support et la retombée d'arc
qu'il devait amortir. Cet abaque ne demeurait-il pas posé en porte à
faux sur chacune des cavités angulaires vides dans les baies de la
chapelle voisine? Le temps de dégringoler du minaret et de revenir à
cette chapelle pour un contrôle minutieux, et la parfaite exactitude
d'adaptation devenait manifeste. Et ce ne sont pas seulement les chapi-
teaux qui se logent à souhait dans ces angles, mais l'ordre entier de
ces supports. On se souvient qu'en étudiant la structure des arcades
de la chapelle, la nécessité s'était imposée du restaurer en chaque

montant un support qui devait avoir une hauteur de 2'", 05 (voir pi. I,
coupe). Les élégants supports en marbre remployés dans le mina-
ret sont ainsi constitués en hauteur chapiteau, 0™,31; colonnette,
:

l'",27; base, 0"',-29; soit un total de l'",87. Mais la base de marbre


repose sur un dé de pierre, dont la hauteur ne peut être exactement
déterminée, car il est pris dans le dallage de la galerie. Il serait oiseux
d'insister à vouloir deviner les proportions de ce socle et on estimera
peu nécessaire que ce soit le vrai socle primitif de nos colonnettes.
L'usage roman de ces dés cubiques insérés sous les bases n'a pas
besoin d'être prouvé y aurait quelque pédantisme à prétendre
et il

justifier la vraisemblance d'un socle haut de 0"',16 à 0'^,lS rendant


88 HEVLE BIHLIQLE.

l'adaptation de nos supports aussi parl'aite en liauteur qu'elle l'était


en plan. L'emploi du marbi'e pour de tels éléments architectoniques
n'est pas moins familier dans les édifices romans de Palestine, pour
ne rien dire de celle de l'Oceident.
Restitués à leur situation ori,uinelle, ces supports complètent très
avantageusement la décrite plus haut, non seule-
petite chapelle
ment parce une lacune de structure, mais
qu'ils font disparaître
surtout parce que leur caractère encore plus précis permet de fixer
désormais plus étroitement la nature et la date de l'édifice. Nulle
situation meilleure, en effet, n'eût pu
théoriquement invoquée être

pour notre groupe de chapiteaux historiés que celle ainsi révélée


par un heureux hasard archéologique. Un des maîtres les plus qua-
lifiés a pu formuler URguère, comme une sorte de loi déduite dune

très ample observation, que « Ce genre de décoration a été parti-


culièrement employé pour les chapiteaux de dimension moyenne
comme on en voit aux montants des portails ou aux arcades des
cloîtres (1) ». Dans l'art médiéval, essentiellement raisonné, cette
pratique trouvait apparemment sa raison d'être en certaines facilités
d'exécution par l'emploi de pièces plus maniables, en tout cas
dans les avantages manifestes qui en résultaient pour la portée
religieuse envisagée au-dessus de tout. Quand il choisissait les

chapiteaux moyens des montants d'un portail pour y sculpter


dramatiquement une « histoire », l'artiste roman savait bien qu'il
pour des siècles sans doute, la leçon religieuse de
étalerait ainsi,
son sujet au plus grand nombre possible de regards et dans la
plus favorable situation pour qu'elle accroche en quelque sorte
les yeux du visiteur et s'empare de son imagination. Quoi qu'il en
soit des autres motits qui ont pu concourir à fixer l'usage, un
excellent juge a noté que « depuis le milieu du xii' siècle » les

chapiteaux historiés « tendent.... à se localiser aux portails (2) ».

ne semblera donc plus téméraire de conclure qu'à une date


Il

peu postérieure au milieu du xii' siècle, apparemment vers IIGO,


un artiste de talent et tout imprégné de la tradition des meilleures
écoles de l'Ile-de-France, de la Bourgogne ou du Languedoc sculpta
ce groupe de chapiteaux : interprétation plastique émouvante du
souvenir qu'on entendait commémorer en ce lieu par l'érection
de l'oratoire que nous proposerions d'appeler désormais « Chapelle
de la Prison du Repos ».

(1) De Lastemue, L'architeclure rclirj., p. (32:

(2)Ei\LAKT, Manuel d'arcli. fr., 1, 386.


MELANGES. H9

L'attestation explicite de La Citez de Jlierusalem établissant l'exis-


tcnee de ce monument pouvait sa localisation un peu
laisser sur
peu près complètement
d'incertitude; aussi le souvenir s'en était-il à
oblitéré dans le maquis très dense des commémoraisons qui se
disputent à peu près cliaque pouce du sol en cette région de la
Ville Sainte. Le gracieux petit édifice médiéval enclavé dans
l'ancienne caserne et si heureusement échappé à tant de dévasta-
tions recouvre donc son titre originel et redevient vénérable pour
autant, quelle que soit l'authenticité réelle d'une localisation qui
pourrait due surtout au zèle un peu envahissant des
bien être
Templiei's, ainsi qu'on essaiera de le montrer ailleurs. Précisément
peut-être à cause de sa forme moins commune, leur pieux oratoire
ne semble pas avoir provoqué le fanatisme des nouveaux conqué-
rants après la chute définitive du Royaume lalin. Tout au plus le
vandalisme de l'islam vainqueur s exerça-t-il sur les chapiteaux
historiés qui concrétisaient trop nettement le souvenir chrétien.
Plus tard seulement on eut souci d'effacer pkis radicalement ce
caractère religieux en supprimant les chapiteaux et leurs supports,
auxquels on trouvait d'ailleurs un remploi opportun dans la struc-
ture et la décoration d'un minaret contigu (1).
Les déductions qui viennent de fonder cette reconstitution archéo-
logique auraient évidemment plus de valeur probante si le minaret

nous avait rendu les quatre supports nécessaires au lieu de trois


seulement. Une observation fort simple éliminera l'objection qu'on
pourrait fonder sur ce détail. Dans la galerie du minaret il n'y avait
place que pour trois des supports en question, sous la retombée
des doubles arcades aveugles ornant trois faces de la tour carrée.
Sur le quatrième côté, en effet, on avait dû réserver le débouché
de l'escalier et l'entrée sur la galerie par une baie spacieuse. Au
lieu de la retombée basse des deux arcades usuelles il fallait donc
prévoir ici un support plus puissant et plus élevé dont le couron-
nement, profilé de tous côtés en pleine lumière, ne pouvait décem-
ment étaler en permanence aux regards susceptibles d'un muezzin
pieux des tigurcs prohibées. Un a donc fait choix d'une colonnette
de marbre d'un plus fort c ilibre couronné par un chapiteau parfai-
tement banal. Une heureuse trouvaille rendra-t-elle quelque jour

(1) Il n'im|ioile pas de dé ter mi lier ciice moment si le beau minaret d'el-Gliuwon/meh
fut érigé dès la lin du \uv siècle ou seulement dans la première moitié du xiv
(cf. MotDJii! Eu-Dii\, Histoire de Jenisalcm..., Irad. Sauvalre, p. 12.5 s.). 11 se pourrait
aussi (|ue les baies de la chapelle aient été dépouillées de leurs supports, longtemps
avant le remploi de ces matériaux par les constructeurs du minaret.
90 lŒVLE BIBLIQUE.

le support qui nous manque et un quatrième tableau de Vhistoire


du Divin Maître enfermé dans la « Prison du Repos »? Je ne sais
si \ histoire en deviendrait notablement plus limpide.

Avec les éléments acquis, si je ne me suis pas totalement four-


voyé à leur sujet, l'oratoire médiéval de la ci-devant caserne
retrouve à la fois son vocable, sa date et son vrai caractère. Un
thème iconographique intéressant s'ajoute à ce que nous connais-
sions déjà du répertoire artistique médiéval en Palestine. Pour être
vivement impressionné par le sens religieux et le développement
esthétique de cette brillante époque, il suffirait de comparer au.x
sobres et émouvantes représentations du vieux tailleur d'images
du xn' siècle le drame religieux en style de Musée Grévin qu'un
artiste moderne a tiré du même thème évangélique et qu'il a
réalisé avec toutes les ressources du plâtre et du carton peint sur
les murailles d'une chapelle toute voisine qui avait d'ailleurs un
style assez satisfaisant.
Il est vivement à souhaiter que les chapiteaux historiés de l'élé-
gante chapelle médiévale puissent être remplacés dans le minaret
d'el-Ghawdnif/œh par des supports nouveaux, mieux adaptés à
l'édifice et qui permettraient d'abriter avec les honneurs qu'elles
méritent ces remarquables productions de Tart médiéval franc à
Jérusalem.
L. 11. Vincent, 0. P.
*
MÉLANGES. gi

II

CE QUI A ÉTÉ PLI3LIÉ DES VEKSIOXS COPTES DE LA DIBLE

{Suite)

PROVERBES

A
Colleclion Bunjia (I

Z. 25 I. M8a, lUa, iHb, l<Jb, -â», (Ci. >)


•?lac, -i-i'-m, •27abdc, 28-

33 (fin)

ii-iii, 19a
Z. •22 VII, 7-27 (fin)
Mil. 1-lOc, ll-12b, 13-27, 28b.
29, 28a, 30-32, (33), 34-
36 (fini

IX, l-.\, 27
Z. 24 XX, lb-24 (fin)

XXI, 1-4, 6-31 (fin)


XXII, 1-8, 9-29 (fini

xxiii, 1-6, 7cab, 8-9, 10b. U-22.


24 35 (fini

XXIV. l-7a.8-50b,51-76, 77b (fin)

XXV. lab*, 2-28 (fin)

XXVI. 1 XXVII
xxviii. 1-17, 18-28 (fin)
XXIX, l-22a, 23-49 (fin du livre)

C (2)

Aulves. Collections : Turin, Musée Égyptien

Tur. ME xvu, 14a*. 14b-15a-, 15b-16 (Ro. 1)


(19a)*. 20b-22b", 28ab-
xviii, la*, 7b-9b*
XX, 10b-13b', 19-20a
XXI, 17b*, 18-20a, 27-29a-
xxiii, 4-5a, 11b*. 12ab*, 13*, 35c*

(I) tes textes, jusqu'à xxi, 31, édités aussi par Bsciai {Revue Égyplologique, H, pp. 3oG368>.
(-2) Pour quelques rragments de la Nationaie de Paris, voyez r.i-de.ssous. Collée-
BiljliotiȐt|Uc
livns diverses.
J2
'
REVUE lUbUQLE.

xxiv, 1-5,6*, 10*, 11-13, 14-, 17%


18, 19a*b, 22C, 22D,
(22E)*, 27e, 28-29b*,
30a*, 351)*, 30a*b, 37*
x.w, 13*, 14-, ]5ab*, 16*, 17a,
20ab*, 20A, 21*, 22*, 23-
24a*, 26b*, 27*, 28*
x.wi, lab*, 2ab*, 3ab*, G*, 7*,

8a*b, 9*, 10*, IV, 13b*,


14a*b,15a*, 21b*.22*,23a*
xxvii, 2-6, 7a*b, 8*, 9-17b*, 18-
20Ab*, 21A-27b*
xxviii, r, 2-lSb', 19-24, 25*, 26-
28 (tin,)

XXIX, l-5b*, 6a*, 6b-14, 15a*. 15b-


24a*, 24b-29, 30a*b, 31',
32a*b3 3-34, 35a*b, 36-
44, 45a*b, 46-47c*

Aulics C(A[eclions : Bri(is/i Muséum

BMC 951 IV, (16-22)*, 23a*b, 24a*b, 25- (Tho. 2)


27 b*
V, (1-6)*, 7-12, (13-16)*, 17-

22b*, 23*
M, 1*, 2*, 3*, 4-9, 10*, 11*
VIII. 35b*, 36*
IX, r,2*, 3-,(10b-12A)*, 12Bb-
14b*, 15*
X, Ib*, 2-4b*, (4A)*, 5a*, 11-

13b*, 14', 15*, 16*, 24b-


26b*, 27*, 28*, 29*
XI, 3 (a)bc, 5ab*, 6', 7a*, 15b- .

1('>, (17-20a)*, 26b-28b*,


- 29*, 30*, 31*

xii, (l-4a)*, 6-Sb', (9-14a)*, 17-

19b*, (20-28)*
xm, 2b-4, (5-10)*, 13a*i), 13A,
(14-20)*, 22-23, 24*, 25*
XIV, (1-5)*, 8a*,8b-10, (11-19)*.
22b-23, (24-30)*, 33b-35
(tin)

XV, lab'c*, 2', 3*, 4a*, 6*, 7a*


10b-13b*,14*, 15*,17*,18*,
21-22, (23-28)*
XVI, 1-2, (3-5a)*, (7-lOa)*, IIA-
13, (14-15A)*, 20-21, 22*,
23*, 24*, 30b*c, 3i-82b*,
33*
MEIANGES.

xvii, l%7-9b', lOMl M7h*, 17c-


20b% 21*, 22a*, 28b*

XVIII, 1-2, 3*, 4a*, 13-15b*, 16*

MX, lb-3b*, 4a*, 10b-12b*, 13a*,


22b-23, 24*
XX, 7b-8, 9*, 17b*, 18-19a*
XXI, 2b-3b*, 4a*. 14b. 1.5-, 25b*,
26*. 27a-

xxii. 7a-, 7b-8a-. UAc*. 16*, 17*

XXIII, r, 2-, 3a-, 13*, 14a-, 26-,


27*, 28a*

xxiv. r.2-,3*, 13*

Col /criions direrses

BNiKatam.) = Z. 32 I, 10-16b (Masp. 1)

SER ÎG == Z. 32 m, 9-16 (\Vess. 1)

BMC 30 IV. 13-14a-. 17b-. 18a. 22b' (Tlio. 2. Lemm 3)

2:îab*, 27b*, 27Aa


BMC 235 IV. 16 (cit.) (Tho. 2;

BMC 185 VI, Oa'b. 10 cit.) —


SER 2G Z. 32 = IX. 1-lOa (Wes.s. 1)

BX^Katani.) =- Z. 32 X. 2-4.\a (Masp. 1)

SER27 = Z. 32 X, 4Aa*b, 5-9 (Wess. 1)

BM293fî.ll«l-120 = Z.22 X, 28-32 (fin) (Masp. 1)

XI, 1-19, 20.21-27, 28*. 29*

S. Petersb. = Z. 150 (?) XI, 16-xii, 13a- (Lemm 1)

BMC 204 XV, Sa (cit.) (Tbo. 2)


BMC 40 = Z. 22 XV, 24b-28d*, 29* (Tlio. 2, Scli. 1)

.\vi, la*, lb-5, 6*, 7*

BMC 953 XX, 5-9, 10*, lia* (Sch. 3)


BMC 954 XX, 6-lOa (Sch. 2)
BMC 1 = Z. 32 XXII, 28b*, 29-xxiii, 4 (Scb. 2)
BN 129' ff. 131-2 XXVII, 22, 23a*b, 24a*b. 25a-b, 26- (Masp. l)

27 (fin)
XXIX, l-12a

ECCLÉSIASTE

Ad)
Col 1er lion Bori/ia

Z. 24 i-iv,sa (Ci. 2)

IV. 8(,--Vl!, 11

VII, 12b-\iii. 3b
VIII, 4-ix, 3
X, 3-xii, 4
XII, 5abcdfe-14 (fin du livre)

(1) Édité aussi par Amélinoau {op. cit., ixi sans indicatiou du Ms.
94 REVLR RIRLIQUE.

C (1)

Attires CoUeclions : Brilnh Muséum

BMC 9Ô1 VI, (6-10)' (Tho. 2)


VII, (3-9)', 29a*,29b-30, (l)a'b
VIII, la', lb-3, 4'. 5ab*, 8a'.
8b- 10a', lOb-lOd-, 10e-
13a', (14-17)'
IX. (3-6)*

CoHeclioiis diverses

SER 27 = Z. 3? VII, 15d-17b', 18*, 19*, 20-25 (Wess. 1)

BM or. 7022 ix, 10 (cit.l (Budge 4), p. 81


BX IX, 16 (cit.) (Bour. 1), p. 407
Nan. frag-. vi x, la (cit.) (Ming.), p. 107
BN 129^ fol. 135 XII, 12c-14 (fin du livre) (Masp. 1)

CANTIQUE DES CAx\TIQUES

A
Colleclion Bor (lia

Z. 193 II, 3d iMasp. 1

III, Ib. 2

Z. 455 in. 3-4 —


Z. 99 CA IV, 14.1-v, 3;i (Ci.-2)

'
C (2)

Autres Collections : Brilis/i Miiseuru

BMC 951 i, 13a*b, 14d'b, 15-16b', 17' (Tbo. 2»


II, 1, (2-5a)*, 8b'c, 9ab'c'd,
lOab", (11-14)', 17'
m, la', lb-2b* 2c*, 2d-3a',
3b-4a*, 4bc*, 6c', 7',
8abc*d, 9-, lOa'b'cde'
lla'bc*
IV, 3c'd, 4a*b*cd, 5*, 6a', 7*.
8a*b'cd*, 9', 10', lia*,
13', 14ab-cd', 15', 16ab'
V, T. (l)a'bcde*, (2abcde)',
5c', 6', T, 8-llb',
labV, 14b', 13a', 14a',
15-. 16-. 17

Pour les fragments de la Bibliothèque Nationale de Paris, voyez ci-dessous. Collections


^1)

diverses.
Pour les fragments de la Bibliothèque Nationale de Paris, voyez ci-dessous. Collections
(2)

diverses.
MELANGKS.

vr, 1, 3a-l)-. 3c-4c-. 4d-5e-,


5f, G-, 7-, 8c*d-e% O".

lOa-lyc', lOd 12 ifin)


vil, 1, (2)abc'd-, 2a-bc*, 3*,

4a*de', 5a*b*c, G*, 7',

8a'b% 8c-9c', 10% lia',


llb-12b-, 12c'd-, 13a'
VIII. r, 2a'b'cd", 3ab*, 4-Db'.
.x-'d-, (Gbadef,)*, 7*, S'.
9', lOab'. lia-, llb-12b'.
12c', 13ab'. 14-

Collections diverses

B.\ 129^ fol. 1:53 1-7 <Masp. 1:

B.\ 43 10b — .

BX 43. 44 13 —
.\an. frag. vi 13, 15, 16 cit.) rMine.) pp. 134,137
II. lia. 12. 13c, 14ab (cit.) - pp. 140, 134
m, G (cit.) - p. 137

BN 1?3' ff. 140 141 m, 8c-v, 6 (Masp. 1)

V. 7a',7b-8d',9-14a, loabc,
10-17 (fin)
VI. 1. 3-viii, (fin du livre)

JOB

Col 1er lion Doff/in (1)

Z. 24 I. 1-6 (d), 7-15a, 15c-22 (fin (Ci. 2)

11, labc, 2-13 (fin)

m, 1-12. 13b-2G(fin)
IV, 1-vi, 15a*, 15b-30 (fin:^

VII, 1-7, 9-21 (fin)

viii, (complet)
ix. l-24a, 25-35 (fin)
x, 1-3, 4b-2l (fin)

XI, l-5a, 6-20 :fin)


XII, l-8a, 10-18a, 19-20. 21b
22, 24-25 ,fin)
XIII, l-19a, 20a, 21-28 (fin)
XIV, 1-17, 20-22 (fin)

XV, 1-9, 11-18, 19b-26a, 28-


35 (fin)

XVI. l-3a, 4-8a, 10-21a

(1) Édité aussi d'après les mêmes Mss., mais d'une manière peu critii|ue. par E. Amélineau
The Sahidic Translation of the Book of Job (PSBA. IX. 1887).
REVUE RiiUjnrE.

Z. 32 XVI, 21b-22a (Ci. 2)

Z. 24 XVI, 23 (fin)
xvii, l-3a, 5h-10a*, 11, 13-10
(fin)

xvin, l-9a, 11-14, 17a, 18-21


(fin)

XIX, 1-23, 24b, 25-28a, 20 (Hn;


XX. 1-8, 10, 14a, 15, 1Gb, 17-
20a, 21b -22. 23b -24,
25ab, 2r)-20 (fin;

XXI, 1-14. ir.-lOa, 20, 22, 24-


27, 34 (fin)
XXII, l-3a, 4 12. 17-19, 21-23.
25-28
xxiii, 1-8. 10-14. IC). 17b (fin)

Z. O'.l (A XMii, 17a


Z. 24 XXIV, Ma, 5ab. (w , 8b-14a.
lS-25a
XXV (complet)
XXVI, 1-4, 12-13, 14c fin>

xwii, l-19a, 20
xwiii, l-3a. 4b, 9b-13, 20-21a,
22b-2r)]), 27b-2S (fin)

XXIX, 1-lOa, llb-12. 13b-18. 21-


24a
xx,\, lab, 4b-G, 7b-lla. 13b-
15, îr)b-18a, 19-20a, 21-
26, 28-31 (fin)
XXXI, 5-17, 19-23a, 24b-2r), 27b-
34, 35b-40 (fin)
xxxii, l-4a, (VI la, 13-14, 17-22
(fin)

xxxiii. 1-7, Sb-I5b, ir)lvl9a, 20a,


21-27, 30-31a
xxxiv, 1-2, 5-6a, 8-lla, 12-17,
18a% 19-22, 23b-25a, 20-
27, 34-37 (fin)
xxw, l-7a, lOb-U, 12b-14
\x\vi, l-5a, lOa, 12, 14-15, 17-
19b, 21a, 22b, 23-24a.
25b, 27a, 28b-28B
xxxvn. 5b-Ga, 7b-9. 10b, 'l2d,
14-17. 19-21a, 21c -24
(fin)

XXXVIII, 1-25, 28-31, 33-41 (fin)


xxxix, lb-3a, 5-6a, 7, 9a
Z. 25 XL, 8b- 18a, 20, 21b-2Ga, 27
(fin)

XLi, 1-2, 4-0, 7b. 9-14a. 15-


MÉLANGES. 97

17a, 18-19, 20b-23a, 24-


25 (fin)

\i.u, l-Sd, 8f-16b, 17A-17E (fin

du livre]

C
Autres Collections (1)

SER26 = Z. 32 i, 1-5 (Wess. li

BMC 953 11, lOde, 11% 12' (Sch. 3)

BMC 939 r, la*b*, (3cdef)', 4c*d*. (5- (Dieu)


22)*
II, la'bV, 2-, 3% 4ab-c*, Tr.
(r, 7*, 8a*b, (9-13)*

III, la*, (3-16)*, 17b*, 18*,


19*, 20a*
IV, 10-, lia*, (13-15)', 16(-.
17*, 18a*, 19b'c*, 20',
21a*
V, Ib*, 2*, 3-, 4b-, 5*, 6*, 8*,
9-, 11b*, 12*. 13*, 14*,

IS-

BN :Katam.) = Z. 32 v, 17-27 (fin) (Masp. 1)

BN 129' fol. 114 VI, 5ab*, 7ab-, 8-9, 10", 11', (Dieu)
12-15, 16a'
vu, 3b*, 4*, 5a*b, 6-71)-, 9',

10a*, lM2a
BMC 21 CA VI, 19-25a* (Sch. 1,

JRÇ 3 CG vu. 2', 3* (Crum 2)


BN ]
[29^* fol. 113 Z.25 IX. 10b*, 11,12*, 13-14a*, 14b- (Dieu)
16a*, 23*, 24a, 25-26a*,
26b-27a*, 27b, 28*, 29a
SER 28 XVI, 12-14C*, 15-20 (Wess. li

Tur. ME XX, 29- (Ro. 2;


XXI. lab*, 2a:b, 3-4a, 11',
12ab, 16b*, 17-18a
xxii, l-3a, 4-5, 17*, 18', 19,
21-23a
xxiu, la, 2*, 3a', 3b-4b', .ja'b,
6-8a, 16b, 17a'
XXIV, 4a, 5-6b*, 14a, 18bc, 19-
20b
XXV, 2b-5
XXVI, 14c*
xxvii, l-2a*, 2b-4a, llb-13a
Freer copt. frag. 9 xxiv, 19-24c*, 25a (Wor.)
XXV, l-3a '

(I) Y compris les fragments de la ribliotlièque Nationale de Paris.


REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. .
"
98 REVUE BIBLIQUE.

xxvii 10-17, 18-


BodI. (Hunt 5) xxix, 21-xxx, 7a* (Erman)
BMC 951 xxxviii, 27b% 28*, 29*, 30% 31ab', (Tho. 2)
33ab% 34a*
XXXIX, 6a', 7-, 9*, 10*, lla*b, 12*

BMC 23 = Z. 24 xl. 7b*, 8b-18a, 20, 21b-2Ga. (Sch. 2)


27 (fin)

xLi, 1-2, 4-6, 7b, 9


BX 129^ ff. 115-1 17=:Z. 24 XLi, 10', ll-14a, 15-17a, 18-19, (Dieu)
20b, 21-22b*, 23a*. 24',
25*

XLii, l-2a*, 2b -6b-, 7abc'd',


Sabc'd*, 9b*c, 10-14b,
15b*, 16ab, 17A-17Db*,
17De*f, 17E (fin du
livre )

SAGESSE DE SALOMON

A (1)

Collection Boryia

Z. 99 CA V. 1-1 Ib. 13ab (Ci. 2)

C (2)

Autres Collections : British .Muséum

BMC 951 -
I, l*,2a'b,(3-9a)-, ;ilbcd-14)*, (Tho. 2)
15, 16*
II, 1*, 2*, 3a*, (4bcdef)*, 5-7,

8a*b, (9-15)*, 16a'b*, 16c-


19a*, 19b', 19c-21a*, 21b,
22*. 23*, 24*, (25)*

III. (1-4)'. 5a*, 5b-9b*, 9c-10,


ir.l2-,1.3',14a'c*d*,15a*,
15b-19 (fin)

lY, labc*, 2ab'c*, (3-6)*, 7-8a*,

8b-12b*, 13ab*, (14-17b)*,


19a*b*c*, 19d-20 (fin)
V, l-4a*, 4b, (5-9)*, 10c*,
lla*b*de*, llf-13b*, 13c-
14b*, 14c*d-, 15a*b*, 15c-
16a*, 16bc*d', (17-20)*,
22a*, 22b-23 (fin)
VI, 1-3, 4*, 5ab*, (0-8)"*, 10b*,

^1) Édité aussi par Amelineau [op. cit., ix sans indication du Ms.
(2) Rien à la Bibliothèque Nationale de Paris.
.MÉLANGES.

llab\ 12-17b*, 18abc*,


19ab*. SOa-b, 2V, 22', 25
(fin)

vir, la', lb-9b*, 9c*, (10-14b)%


15b% 15c-18b*, 19-20b*,
20c-22,(22)a*b*c*d%(22)e-
23d*, 23e*, 24ab% 25%
2Ga*b\ 97a\ 27b-29, 30'
Mil, r, 2-3b-. 4ab-, 5ab*, 6\
7a*bcd'e, S*, 9c*, 10-12c*,

13ab', 14', 15', 16a*, 16b-


17b', 17c-18b', IBcde',
19-20a*, 20b, 21a'b'd
IX, la', lb-4a', 4b-5a*, 5b'c, 7*,

8a'b', 8c-9a, Oc*, 9d-10d*,


11', 12a'b*, 13ab-, 14, 15*,

16ab*c*. 17', 18a'b, (19)*


X. l-4b',5a'bc, G', 7', 8abc'd*,
9, lOb'acdef, lla'b, 12-
14d, 14e*f', 15ab', Id",

17b-21 (6n)
XI. l-2a', 2b-3a', 3b-9b', (10-
12)', 13-20d*, 21ab*, 22',
23*, 24a', 24b-26b*
-XII. lab*, 2*, 3-6b*, 7-8a*, 8b'c,
9*, lOabc'd*. 11, 12*, IS-
IS, 16', 17', 18a*b*, 18c-
24b'. 25-. 2r,a-, 2Gb -27
;fin)

XIII, la', lb-4b'. 5'. Ga'b', 7b",


8, 9'. 10-14, 15-, 16'.

17a*, 17b-19 (fin)


XIV, l-6b*, 7a-. 7b-8a*, 8b-15d',
16-, 17a*, 17b-23, 24', 25*,
26-31 (fin)
XV. l-3b'. 4', 5a', 5b-12a', 12bc,
13', 14'. 15a', 15b-19
(fin)

XVI. l-2b', 2c, 3*, 4', 5a', 5b-


13, 14', 15*, 16a*b'cd*,
17ab', 17c -24a*, 24bc',
25', 26a*bc*, 27-29 (fin)
XVII. l-5b*, 6*, 7*, 8a*, 8b-9, 10*,
11-15C*, 16', 17', 18a'b-,
18c-19c*, 19d', 19e-21
(fin)

xviiL l-2b*, (3-9j*, (12-19a)*, (21-


25)*

xix, (4-8)*
iOO REVUE BIBLIQUE.

Turin, Musée Egyptien

Tur. ME I, l-14b*, 14c-16 (fin) (Lag. 2)


n, l-Ub*, 12a', 12b-24 (fia)

III. 1-2, 3*, 4-lOb*, lia*. 11b-


17a*, 17b-iy (fin)

IV. l-4b*, 4c-5a% 5b*, 5c-12b*,


13-14a',14b-19e*,19f-20a*.
20b (fin)

V. l-7c*. 8-13C*, 14a*, 14b-23


(fin)

VI. l-lôa*. 15b-22, 23*, 24-25


(fin)

VII. la*, lb-16a*, 16b-30 (fin)

VIII, l-21a*, 21b-21d (fin)

IX, l-8a*, 8b-(19) (fin)

-\, l-9a', 9b-21 (fin)

XI (complet)
XH. l-8b*, 8c-13b*, 14-2Ga*, 26b-
27 (fin)

XIII, 1-lla*, 11b*, llc-17b*, 17c-


18a*, 18b*, 180-19 (fin)
XIV. l-6c*, 7-12b*, 13ab*. 14ab*,
15-17d*, 18a*, 18b-23, 24*.
25-31a*, 31b*c (fin)
XV, lab*, 2-7c*, 7d-12c*, 13ab-,
14*, 15-17, 18*, 19a*b (fin)

XVI, 1-5,6*, 7-13b*, 14, 15*, 16a*.


16b-20b*, 20c*. 21-26c*.
27a*, 27b-29 (fin^
XVII, l-4b*, 4c*, 5a*, 5b-6a*. 6b-
10, ir, 12a*, 12b-18a*,
18b*, 18c-19a*, 19bc*d*,
19e-21 (fin)

xvnr. 1. 2*, 3ab*, 3c-4c*, 5-7b*,

8a*, 8b-9c*, 9d*, 9e-13,


14',15*,16-20c*,21a*b*cd-.
21e-25b*
XIX, la*b, 2*, 3-7a*, 7b*, 7c-8a*,
8b-13a*, 13b*, 13c-(13)a*,
(13)b-18b, 19a*b, 20a*.
20b-21a*, 21b-22 (fin 'du
livre)

Collections diverses

Bodl. (Hunt. 5) ii, 12-22 (Erman)


MELANGES. 101

SAGESSE DE SIRACH

A(l)
CoUfction Boryiif

Z. 09 C'A I, 14,(24), 22-2:îa, 24^26,28- (Ci. 2)


(40)a
H, 1, 5, 7, 10

C (21

Autres CoUf étions : Britisli Muséum


B.MC 951 Prologue, en partie mutilé (Tho. 2)

I. la-, lb-2b', 3% 4ab*, 5-

6a*, 6b -7a*, Tb-'Ja,


(lO)ab*. ICr, ir, 12*

II, (12)b*, ir, 12-, 13*,14a*b,

(17)a*b, 15ab-, 16*, 17',


18a*b, (23)*
m, (l-5a)*, 7*, 8a*, (10)a*b,
9*, lOa-b, 11-, 12*, 13*,

14a, (16), (17)*, (15-18)*,


20*, 21*

VII, 29', 30*, 31, ;34)a*b, (35),

32-36 (fin)

Yiii, l-8b*, (10)*, 9a*b, (12)',


10-17, 18-, 19 (iin)
ix, l-3b*, 4*, 5a*, 5b-(15)a-,
:i5)b-13b*, (19)a*b, (20)*,
14a*b, 15*, 16*, 17a*b,
18a*b
X, r, 2-6a*, 6b-7a*, 7b, (8-

13)*, (16)a*b, 14-18,


19a*b*c*d, 20*, (22-25)*,
26,2r,28-29a*,29b-30a*,
30b-31a*, 31b (fin)

XI, (1-6)*, 7ab*, 8ab*, 9ab*,


'
10-14, 17ab*, 18ab',
19ab*, (20)*, 20*, 21*,

i23)*,22*,23-27b*,28ab*,
29*, 30-31a'

XIV, (7- 13a)*, (20-27)'


XV, la*
XIX, (26-30)*
XX, Y. 2*, 12-, 13*, 15*, (16)',

(li Édité aussi par Amélineau [op. cit., ix) sans indication du Ms.
;2,i Rien à la Bibliolhcque Nationale de Paris.
102 REVUE BIBLIQUE.

16% (18,-, 17-, 18-, 19a',

(28-31)*
.\xi. (l-4ar, (131*. 12-. (15)-.

13*, 14a*b, (15- 18a)-,


27b*, 28-
xxii, 1-1 la*, 11b, fil). (12). 12-

13, (15). (16). 14-15, 16a-,


17-, (22. 23)-. 19-, 20-,

21*, 22abc*, 22d-24b-,


25-26, (32)ab*, 27ab*c*d*
*
xxiii, 3c*, (4-12)*, (23)*, (17-25

XXIV, lab*.2-3a*,3b-12, 13-,14',


(19)a*b, 15*, (21)ab-.
16ab*, 17, 19-20b-, 21-
23, 25ab*, 26*. 27*. 28,
29*, 30a*b, 31a*b, i43j-.,

32a'b, 33a*b. 34a*b


XXV, (1-4)*, 5b*, 6*, 7*, (10),
8a*b*, 8c-9, 10*, 11*, 13*,
14a*b, (21)a*b, 16, 17*.

18a*b, (19-23a)*
xxvii. (2-12)*, ISab-, (14-19)-,
20ab*, 21a-b, (24)-, 22-
23a*, 23b, 24a*, 24b-
26b*. 27*. 28a*
xxviii, 25*, 26*
* XXIX, (l-lla)-, 12b-, (14-28)-
XXX, (1-11)*, 12ab-, (13-23/,
28c*d*, 29ab*, 30*. Sla'b,
32ab*, 33*, 34ab*, 35a*b,
36-37b', 38ab*c
XXXI. 2b*, 3*, 4a*, 4b-(6)a*, (6)b-

6a*. 6b-7a. 8a*b, 9*, 10a*,


l(ib-13a. 19b*c'. (20)*,

20*, 2I-26b*. 27. 28*,

29a*, 29b-30a*
XXXII, 5*, 6ab-, 7ab-, S". 9-lla,
12ab-, 13-15, 16-, 17,
20b*, (21-22C)*, 22d-23a-.
23bc*, 24a*b, 25, 26'
xxxiii, la*, lb-(2)a*, (2)b, 3*, 4ab-.
5-, 6*, (lOb-12)*, 13Aab-,
( 13B)*
xxxiv, r, 2*. 3*. 4a-, 4b-5a-, 5b-
6b-,7-, 8-, 9ab*, 10-, 11-,
12a*b, (13)a*b, 13a*b .

(15)*, 14a*b, (17)a*b,


15a*b , 16a'b ,
17*, 18-

19a*, 19b, 20*. (23)*, 21*,


MELANGES. 103

22*,(27r,23*,24\25ab*,
26-, 27cVb, (33) ab-,
(35)ab*, 28a-b, 29, 30',
31a*b, (42)a-b
lub*, (2)*, 2ab*, (3V, 3',
(5)*, 4*, 5ab% 6a-b, 7-8,
0', lOab', llab-, 12, (13-

15)\ 19b-20b', 21ab%


22-24b'
LVb, (2-6 ;. (14b-15)-, lt5A.
16Bab%17-, 18-20a,27b*,
28*. 29a-b. 30-31 ifin)

XXXVII, lab\
XXXIX, 8b-, 9a'b, (13)ab*. 10-17,
(22)% 18-. 19ab% 20ab-,
21a'b, 22-27, 28a*b,
^34)a*b, 29", 30*,3rab*c,
32a'b, 33-, 34-35 (fini
lab',lc-7,8'/J-16b*,17-18a

Turin, Musée Égyptien

Tur. ME Prologue (19-21)- (Lag. 2j


1, la-,3-,4-(10).10*,lla-,12b-,
13ab-, 14ab-, 15-16, 17*,
18-,:24)-,20a,23-,24a-b,
25a*b,26a-b,27,28a-b,29
II, la', lb-6a*, 6b-7a*, 7b-9a*,

9b,10-, (12), 11-17, (23)b'


III, l-3b-, 4a', 5a*c*, 6', 7ab',
8a, 20-22, (23)ab*, 23-24,
2Ga-c-, 27b*. 28-, 29,
30b*. 31*
IV, lab-, 2-3a-. 3b-4,5b-7b-,8*,
9', (11-14)-, 15ab-, (16-
19)% 21b*, 22ab*, (27),
23-25b', 26*, (32) ab-,
27a*b, 28ab*, 29b*, 30a*,
30b-31 (fin)
V, l-7b% (9)ab*, 8 -9b, 10-13,
(14-15a)*
VI, lb*c-, 2-, 3-8b*, (9-12a)-,

13b-, 14-21 b*, 22a*, 22b-


32, 33*, 34a*,34b-37(fin)
VII. 1 5a.6c*d*.7a,8ab*,(9-lla)*,
12, 13*, 14b-, 15a*, 16a*.
20a-, 20b 21a*, 22-. 23a*,

23b-24b-, 25-, 26a-. 26b


3:.b-, 36a*b
104 REVUE BIBLIQUE.

vin, la*, Ib-9, (12)a% 10;il)',

11*, 12-16d*

i\, lb',2*,3-(9)b*,9a',(13)b*c*.
10-15b*,16a'b, 17-18 (fin)
X, l-4a, 5*, 6-I2b*, (15)a*, 13,
(lG)a*b, 14-18, 19acbd%
20a*b, 22-29, 30*, 31a*b
XI, 1-7, 8b*, 9*, 10-17, 18*,

19a*b,(20)a'b, 20a*b,21-
25, 26*, 27a*, 27b -34b*
XII, r,2a*,2b-9, 10b•,lla*,llb-
16, (16)ab*, 18a-b*c
XIII, l-6c*, (7abcd)*, 7e-15. 1(V,
17*, 18-23a, (29jb*, 24*,
25-26 (fin)

XIV, l-5b*, 6*, 7a*, 7b-14, 15*, 16*.


(17)-24, 25b*, 26*, 27(fin)
XV, 1-lOa*, 11*, 12-20b*

, XVI, r, (1), 2a*, 2b-8, 9*, lOa'b,


lla*b,(12)-18,19*,20a;b,
(2i)-28, 29b*, 30* •

XVII, 1-9, 11b*, 12a*, 12b-13a*.


13b-22, 23-30, 31*, 32
(fin)

XVIII, 1-10, 11b*, 12ab*, (ll)ab*,


13-28, 29*, 30-33 (fin)
XIX, 1-4, 5*, 6a*b, 7*, 8-16, 17-
27, 28*, 29-30 (fin)
XX, l-7b*, 8a*, 8b-(18), 17*.
I

18a*b,19a*b,20-27b*,28*,
29*, 30-31 (fin)

XXI, l-5a, 5b-(15), 13*, 14-19,


20a*b, 21a% 21b-28 (fin)

XXII, l-2b*,3-(12)b*, 12*, 13-18b*,


(22, 23)*, 19- 24a-, 24b-
27 (fin)

XXIII, l-5a*, 5b-12, (16)ab-, 13-

18, (26)*, 19-27 (fin)


XXIV, l-8b*, (13)ab*, 9ab*, 10,

(15)*, lla*b, 12-(21)b-,


16*, 17-26b*, 27-34 (fin i

XXV, 1-19, 20*,21-23a*,23b-(36)


(fin)

XXVI, l-10,ir,12-13a*,13b-18b*,
28*,(26)ab*,(27)*,29(fin)
XXVII, l-5b*, 6*, T, 8a*, 8b-14a*,
14b-(24)a, 23b*c*d*, 24a*.
25a*, 25b-30 (fin)
XXVIII, 2b*, 3*, 4-9b*, ir, 124(;,
MÉLANGES. 103

17*, \W, 10c-(20), 25-,

îtkrb (fin)

XXIX, la-, Ib-Oa, (8)-(9)a*, (9)b-


sb-,Oa% 9b-18b-, (25)a',

i25)b-25a% 25b-28'(fin)
XXX, l-3b\ 4-5b% 6-12b', 13-
19b-, (20)ab*, 20-26, 27*,
28-37 b*,. 38-40 (fin)

XXXI, 1-5, (6)% 6-15, 16-, 17-31

(fin)

XXXII, l-3b% 4-13b*, lob', 15c-


23b*, 23C-26 (fin)

xxxiii. 1-9, 10a*b, llba, 12-13B


(fin)

xxxiv, 1-4, 5*, 6-13a*, 13b-(15)a,


14a*, I4b-(17), 15b-(23),
2r,22a*,22b-28b-,29a*,
30-(42) (fin)

XXXV, l-5b*, 6-13, 14*, 15-24b* .

XXXVI, l-7b*, 8-(19)b',(19)c*,23*,


24-31a*, 31b-c*d (fin)
XXXVII. l-7b*, 8a*b*,-8c-]2, (16)',

13b-30, 31*
^xxvHi, la*, lb-9b*, 10-(18)b*,

(18)c% 18-25c% 25d*,


26a*, 26b-29a*, 29b-
.34b*, 34c*d (fin)

xxxix, l-6b', (9)*, 7-13b*, 14a*,


14b-(22), 18*, 19-26b,
26c*, 26d-34a*. .34b-35,
(fin)

XL. .l-(5), 6*, (7)a*, (7)b-13b-,


14ab*, 15-21, 22a*, 22b-
29b*, 29c -30 (fin)
xLi, l-13a*, 13b-19b, 19c*d*,

20-(28) (fin)
XLii, l-3a*,3b-10a*, 10b*c*, lOd-
17a*,17b*c*,17d-25(fin)
XLiii, lab*, 2a*, 2b-9, 10*, 11-

13, 14b, 14a, 15, 17a,


16,17b, (19)-18b*, 19a*,
19b-27b*, 28-33 (fin)

xLiv, lab*, 2a*, 2b-10.ir,(12)*,


12, 13-20b*, (21)', 21
(27) (fin)
XLv, 1, 2*, 3-(10)b*, 9a*, 9b_
(16)c*, 14-19, (24)*, 20-
25a*, 25b-26 (fin)
XLVi, l-4b*, 5-20 (fin)
106 REVUE BIBLIQUE.

XLViL l-3b*, 4-9a*, 0b-16b'. 17-


(25), 23b-25 (fin)

xLViii, l-6a%6b-15a', I5b-25(fin)


XLix, l-(6)b*, 5-13b, 13C-16 (fin)
L. l-Gb*, 7-I2c% 12d-29 (fin)

Li, I-:9)b-, 7-(20;;a% (20 bc*,


16-30 (fin du livre)

Collections diverses

r.erl. BI or. oct. 401» VI, 36b% 37abc-d- (Lemm 3.)

VII, lab*, 2-9b% lOab*. lia*,


11b- 18
BMC 42 XVIII, 17b-3I »

Berl. BI or. oct. 409 XXI, 8a% 8b-23a


ESTHER
C(l)
British Muséum
BMC 1: A, 1-lOa (Tho. 1)

K 12-18b% 19-22 (fin)

n, l-9b*, 16a% 16b-23 (fim


III, M2b-
B, 5b% 6-7
III, 14-iv, 12a*
C, 7a*, 7b-D, Sb*
VI, 6b*, 7-lIb', 12-14 (fin)
VII, l-2a*, 2b-4b*, 5-10 (fin.) .

VIII, lab*
E, 7a*, 7b-10a*
viii, 13b-F, 11b*

JUDITH
C(2)
Collections diverses : British Muséum
BMC 12 I. l-ii, 5a •
(Tho. I)

IV, Ob*. 7-15 (fin)

V, l-5b*, 15a*, 15b-22a*


VI. 4b*, 5-21 (fin)

VII, lab*, 8a*, 8b-17a*, 22b*, 23-


32 (fin)

VIII-XIII

XIV, 7b*, 8-xv


xvu 6b, 17a*, 17b-25 (fin du livre)

Institut Français du Caire


CI F Z. 32 IV, 8b-13 (Lac. 1)

[A stiivre) A. Vaschalde.

(1) Rien dans la Collection Borgia ni à la Biblioliièque Nationale de Paris.


(-2) Rien dans la Collection Borgia ni à la Bibliothèque Nationale de Paris.
CHROMQUE

I. — El-'Aoudjeh.

1. L'exploration de 1916.

Le manque de voies de communication présence de nomades


et la

pillards avaient rendu jusqu'en 1915 le Sud palestinien ou Négeb


inaccessible à l'exploration et éloigné le bibliste des solitudes de la
péninsule sinaïtique après laquelle il soupirait. Mais la guerre a
changé tout cela, en créant des routes, en ouvrant largement à la
recherche cette intéressante contrée dont les ruines, témoins d'une
civilisationavancée, frappent le voyageur d'une stupeur légitime.
Ce prélude d'un article de juillet 1916, paru dans le périodique
de la Société de Cologne pour la Terre Sainte, était trop alléchant pour
ne pas nous induire à prendre connaissance des services rendus à
l'archéologie palestinienne par l'expédition germano-turque contre
l'Egypte et par les opérations défensives qui en furent le corollaire.
Hostilités bénies qui révélaient un pays que la paix avait été incapable
de découvrir Bienfaisante alliance qui permettait aux Allemands de
!

mettre en valeur des richesses scientifiques ignorées des étrangers et


des ennemis Ne pouvant rester insensible à de si fiers sentiments nous
1

avons suivi avec intérêt la narration que le Père Heinrich Hansler a


confiée à trois numéros du périodique en question, intitulé Das heilige
Land [i). Dissimulerons-nous que les espoirs nés de son début
séduisant ont été vite déçus? A la fâcheuse impression produite par
le parti très arrêté de passer sous silence, alors même qu'on les utilise,
les travaux antérieurs relatifs au Sud palestinien, s'ajoute la convic-
tion que les opérations militaires des pachas turcs et germains ont
été fatales à ces ruines.
D'abord on a trop beau jeu de se donner des airs de pionnier en

(i) Juillet 1916 : Audscha el Hafir, p. 155-16'i; Octobre 1916 JSachtrag zu Andscha
:

el Hafir, p. 198-203; Janvier 1917 : Funde in der Wi/sle, p. 12-15.


108 REVUE BIBLIQUE.

Or Ton n'avait pas attendu le temps


faisant table rase de ses devanciers.
de la guerre, si propice qu'on le suppose, pour explorer
le Négeb. La

paix est encore la vraie condition d'un travail propre et sérieux. C'est
elle qui avait favorisé les voyages de Palmer dans le désert de
l'Exode, l'exploration des sites d'el-'Aoudjeh et d"Abdeh par l'École
Biblique, les tortueuses randonnées de M. Musil, les relevés de
MM. Woolley et Lawrence, pour nous borner à quelques noms que l'on
pourra compléter aisément, surtout en ce qui regarde la péninsule du
Sinaï, par la Palastina-Literatur de Thomsen et même par la
Bibliotheca de Rohricllt. Quant à l'histoire des localités de cette région,
elle avait été esquisséedans le Recueil de M. Clermont-Ganneau et dans
au fur et à mesure de la découverte des fragments
\d.Reviie biblique (1),
du Rescrit byzantin deBersabée. Certes, il était loisible au P. Hansler
de négliger les travaux d'origine française ou anglaise, mais il appar-
tenait à la probité la plus élémentaire d'indiquer la source de son
information quand il lui paraissait plus facile de nous traduire litté-
ralement que de s'imposer de patientes recherches. Il eût sans doute
agi autrement si notre disparition n'avait été estimée définitive.
Encore est-ce là une excuse de bien mince valeur. Le procédé néan-
moins vaut d'être illustré par un exemple.

EB., 190!», p. 98. Dos heilige Land, 1916, p. 162.

Toutefois, as-Sô'a nous entraîne fort Nur Asoa konnte bisher niclit bestimmt
loin du milieu géographique supposé par werdea, und doch muss es entsprechend
le contexte. C'est au Négeb que doivent der hier vorliegenden Zusaninienstellung
plutôt porter nos recherches. Une an- iu dem Bezirk oder Grenzgeblete von
cienne notice byzantine des évêchés de Elusa gelegen haben. Nun gibt uns aber
Palestine, publiée par Grégoire Palamas, einebyzantinischeNotiz iiber dieBistùmer
en 1862, dans son ouvrage sur Jérusalem, Palâslinas, herausgegeben durch Grego-
nous met sur la voie d'une identihcation rius Palamas 1862 in seinem Werk iiber
très fondée d'Asoa avec el-'Aoudjeh. Jérusalem, deutliche Fingerzeige, Ason
Cette notice, en effet, situe dans l'évêché mit Audscha gleichzustellen. lene stelle
de Gaza, dont le territoire s'étendait fort verlegt namlich in die Diozese des Bis-
loin au sud, deux camps romains, Ason chofs von Gaza, dessen Sprengel sich weit
ou Ausa et Abida, qui ont deux autres gegen Sùden ausdehnte, zwei romische
postes militaires à l'est, Khalasa et Kho- Lager, namlich Ason oder Ausa und
lous. Abida, welche wiederum ostwârls zwei
andere Militarstationen, namlich Chalasa
und Cholus, haben.

Après avoir énoncé que l'identification à' Abida avec 'Abdeh ne faisait
aucun doute (nous avions dit aucune difficulté), l'auteur complète
:

(1) RB., 1909, p. 89-104, p. 89, n. I.


CHROMQL'E. 109

son aperçu grâce à un texte de l'Anonyme de Plaisance que nous


avions cité, à propos d'Élousa {RB., 1909, p. 101). Notre intention ici

est de relever une erreur et non d'insister sur le plagiat. « A 20 milles


au sud (de cette ville), le pseudo-Antooin rencontra un castrum où
se trouvait un hospice sous le vocable de saint Georges. Ce castrum
doit être'Abdeh ou el-'Aoudjeh. » Cette affirmation s'appuyait sur ce
texte que l'on trouvera dans Geyer, Itinera HierosoL, p. 182 « .4g? xx :

milia est castrum, in quo est xenodochius sancti Georgi... » Le P.


Ilansler change sans motif Georges en Serghis (1). Aucune variante
n'autorisant cette modification, la lecture nouvelle doit être écartée.
Le fait de retrouver le nom de Sergios sur quelques épitaphes ne
prouve pas nécessairement l'existence d'une église consacrée à ce
saint martyr, surtout dans le récit du pèlerin de Plaisance.
Démarquer ainsi les productions dautrui n'est qu'un demi-mal à
côté de la façon dont a été pratiquée la prétendue exploration, notam-
ment à el-'Aoudjeh. De l'aveu même de l'auteur qui y fit un premier
séjour de deux mois en 1916, ce fut une véritable destruction. « Les
fouilles », écrit-il au sujet de la découverte dune chapelle dans le
fortin de cette localité, « qui malheureusement n'avaient pas été
entreprises par une direction compétente, ont mis au jour un riche
butin d'inscriptions et de fragments de sculptures qui, à mon grand
regret furent en partie détruits par vandalisme, en partie dérobés, de
peu d'espoir de tirer de ces documents quelque
telle sorte qu'il reste
renseignement sur ces constructions (2) ». Durant un second séjour
au Négeb dans l'été de la même année comme « deutcher Feldgeis-
tlicher », il constate que les progrès de la destruction vont de pair
avec ceux de la découverte. « Malheureusement les cancels qui, au
moment de la fouille étaient assez bien conservés, furent vandalique-
ment mis en pièces... Les deux nefs latérales formaient la sépulture
des moines qui desservaient le sanctuaire. Les tombes soigneusement
maçonnées étaient couvertes de dalles dont les épitaphes sans préten-
tions indiquaient le nom, la dignité et la date du décès de chaque
défunt. Il ne semble pas qu'il y ait eu de crypte funéraire. Quant aux
tombes découvertes et fouillées jusqu'ici, elles ofi*rent à présent un
aspect lamentable, car dans leur avidité les effrontés chercheurs de

(1) Mit dieser Angabe stimmt auch die Bemerkung des Pilgers Anloninus von Placentia
libereiii, dass man auf der Wanderung durch die \S ûste, ausgehend von Elusa, beim
zwanzigsten Vleilenstein ein Kastrum antreffe, woselbst sich ein Pilgerherberge zu Ehren
des hl. Seigius betinde. Die... Entfernung von 2u romischen Meilen trifTt sowohl fur el
Audsclia wie fiir Abdeh zu. {Das hl. Land, 1916, p. 162).
(2) Heil. Land, 1916, p. 157 s.
110 REVUE BIBLIQUE.

trésors ont fracturé les sépulcres, brisé les épitaphes et mêlé dune
main sacrilège les ossements les uus avec les autres. Au dire d'un
officier supérieur qui se trouva par hasard présent à l'ouverture d'un
de ces tombeaux, les corps devaient être encore très bien conservés;
les moines portaient un habit brun dont je vis quelques restes. Je
n'ai pu savoir ce que les tombeaux contenaient comme mobilier,
suivant l'usage antique on parle cependant de fragments de papyrus.
:

Il est tout à fait à déplorer que le Commandement n'ait pas pris le

moindre intérêt à ces choses et que chacun n'ait eu en vue que le


pillage et la destruction il. »

Nous partageons Findignation légitime du P. Hansler, mais que


n'a-t-il usé de son intluence pour mettre fin à ce vandalisme? Il y a

bien de la naïveté à penser que lÉtat-major de Palestine aurait pu


concevoir quelque intérêt pour les vestiges d'une église byzantine
ou une sépulture du désert monastique. On ne change pas sa méthode
pour si peu.
Tandis que ce système de dévastation sétendait aux diverses cités
mortes du Sud palestinien, paraissait en France le Bulletin de corres-
pondance hellénique renfermant le compte rendu des fouilles exécutées
sur l'emplacement de la nécropole d"Éléonte de Thrace de juillet à
décembre 1915 (2 . Ces recherches fructueuses opérées sous le feu de
l'ennemi avaient été confiées à des compétences par le colonel Girodon,
chef d'État-major du corps expéditionnaire d'Orient, et fortement
encouragées par le général Gouraud. Je laisse au lecteur le soin de
comparer les deux manières, car je suis dépourvu de la plume dithy-
rambique des rédacteurs de la feuille allemande.
On comprendra sans peine que des travaux entrepris dans une ère
pacifique par des sociétés savantes désormais libres des entraves "de

l'administration turque auraient été autrement féconds en résultats


que cette archéologie de guerre où les antiquités « sont sacrifiées à
la frénésie destructive d'une grossière soldatesque 3) ». Au lieu des
quelques débris ravagés sauvés par le P. Hansler et de rares textes

(1) HL., 1916, p. 200 s. A propos des papyrus cependant voici ce que nous lisons dans
une note de la rédaction [HL., 1917, p. 15) « La trouvaille des manuscrits se confirme; il
:

s'agit d'un certain nombre de feuilles de papyrus déjà cédées au Musée impérial de Cons-

tantinople. Puisse-t-il se trouver bientôt des spécialistes pour nousdéchifl'rer le contenu de


ces feuilles! « Nous attendons également avec impatience la publication des papyrus d'el-
'Aoudjeh qui compenserait un peu le sac du monastère.
(2) Cf. RB., 1916, p.-^>10.

(.3)EL., 1916, p. 202 Die meisten Epitaphien sind leider der Zerstorungswut einer
:

rolien Soldasteska zum Opfer gefallen, so dass man kaum melir liicîvenlose Inschriften
antrifft.
CHRONIQUb:. 111

épigrapliiques, mutilés pour la plupart, réunis par ses soins dans son
musée, nous aurions une ample moisson d'épitaphes bien conservées,
de mosaïques intactes et de plans fidèlement dressés. Je suis néan-
moins très reconnaissant au T. R. P. Dom Grégoire Fournier, supé-
rieur des Bénédictins belges, de m' avoir autorisé avec une extrême
bienveillance à relever au musée de la Dormition les frag-ments épi-
graphiques rapportés du Négeb pendant la guerre, ce qui permet de
contrôler la publication de ces mêmes documents dans la revue de
la Société de Cologne. En groupant méthodiquement les notes du
P. Hansler, nous prendrons une idée de l'état actuel des ruines d'el-
Aoudjeh et des découvertes qui y furent faites récemment mais que
l'on n'est plus à même de vérifier.

2. Les églises.

I. — En mars 1896 le P. Lagrange reconnaissait sans peine deux


églises dans la partie basse d'el-'Aoudjeh. Depuis lors, les explora-
teurs n'en ont retrouvé qu'une seule, sur la rive orientale de l'ouàdy
qui traverse le champ de ruines celle dont la RB. (1897, p. 614)
:

indique la répartition et les dimensions. Woolley et Lawrence en


donnent le plan d'après Palmer, sous le nom de monaslery chiirch et
rapportent qu'Huntington en 1909 y vit un pavement de mosaïques
avec une inscription où se lisait la date 496 (1). Les matériaux de ce
monument ont servi à élever quelques maisons déjà avant la guerre
quand Turcs songèrent à veiller sur leur limes. Des fragments
les
de sculptures se voyaient en 1914 dans la cour du moudir. Les tam-
bours des colonnes étaient cerclés d'une moulure en plate -bande
comme à l'église Sud de Sbeita. L'inscription votive à'Abraainios
relevée sur un chapiteau de cette ruine [RB., 1897, p. 614j avait
disparu quand Musil visita cette région en 1902.
IL — Un autre
édifice religieux placé sur la colline à 100 mètres à
l'ouestde ce qu'on est convenu d'appeler l'acropole est encore plus
connu que le précédent. Le plan en fut publié pour la première fois
dans RB., 1896, p. 615; Musil l'a réédité en 1908 (2). La photographie
des trois absides prise en 1914 par Woolley et Lawrence confirme
l'exactitude du dessin de RB., p. 614 de l'année indiquée plus
haut '3). C'était une basilique divisée en trois nefs par une double

{1) Palestine Exploration Fund, Annual 1914-1915. The Wilderncss of Zin, p. 119 ss.
Dans le texte, cette église, sans doute par suite d'une confusion avec la suivante, est située

sur la colline de la forteresse, on the same hill-top.


(2) Arabia Petraea, II Edom, 2 Teil., p. 89.
(3) The Wilderness of Zin, pi. xxix, 2.
REVUE BIBLIQUE.

colonnade. Il n'en reste plus rien. Exploitée par Tarmée germano-


turque en vue de la construction de certains abris, elle a été rasée
jusqu'aux fondements.
111. — En utilisant comme carrière les pans de murs de la citadelle,
les soldats dégagèrent
^ à l'extrémité nord de
celle-ci une église dont
on ne soupçonnait pas
jusqu'ici l'existence (1).
Elle devait faire partie
de ce que le plan de
\yoolley donne pour le

donjon et qui n'était en


réalité qu'un monastère
fortifié dans le genre
du fameux couvent du
Sinaï. Au lieu de trois
absides comme les ba-
siliques précédentes le
nouveau sanctuaire n'en
La troisième église d'el 'Aoudjeh. Plan. possédait qu'une flan-
quée au sud et au nord
de deux chambres unies par un passage derrière l'hémicycle, ainsi
que cela se remarque dans quelques églises de la vallée du Nil (2).
Le chœur élevé de deux ou trois degrés occupait une travée et
demie de la nef centrale, car, bien que l'abside fût unique, le vais-
seau de l'église était partagé en trois nefs par une double rangée de
six colonnes. Il était clos d'un cancel dont on a signalé plus haut la
destruction. Des plaques de granit rouge incrustées de marbre blanc
formaient le parement de au fond de l'abside. Les sépul-
l'autel érigé
tures monastiques saccagées lors de la découverte s'étendaient sous les
nefs latérales. Le pavé de l'église consistait en dallage et en mosaïques.
Les chapiteaux s'ornaient de moulures extrêmement simples.
Deux bâtiments latéraux s'appuyaient à l'édifice principal, l'un au

1) La lecture de la descriptioo de ceUe église sera facilitée si l'on veut bien se rapporter
au plan ci-dessus (lîg. 1), dessiné d'après EL., 1916, p. 199.
(2) Soraers Clarke, Christian Antiquities in the Nile Valley, pi. IV, V, XX. D'autres
églises du Négeb pourraient fournir aussi de curieux rapprochements que ce n est pas le
lieu d'examiner ici. Enfin tels Qétails comme le baptistère en façade, à l'intérieur du
narthex et la salle derrière l'abside trouvent d'étroites analogies avec une des basiliques de
Flousiyeh =
Ostracine récemment découverte par M. J. Clédat [Annales du serv. des Antiq.
de V Egypte, WU
1916, p. 21 ss. et pi. II) et qui se classe tout à fait à la même période.
.

. CHROMQUE. H3
communica-
nord, divisé en trois pièces dont on ne saisit pas bien les
tions (1), au sud sans divisions apparentes, muni d'une sorte
l'autre
de banquette et communiquant avec l'église grâce à deux entrées dont
l'une (fig. 1, a) avait un linteau de marbre portant une inscription.
Le nartliex où l'on trouva quelques fragments de mosaïques d'un
dessin analogue à celui de l'église de Beit el-Djemdl, s'étendait sur
le front de l'église et de la salle méridionale. Il se terminait au sud
contre une tour présentant des murs extérieurement redoublés sur
les côtés ouest et sud et des pilastres intérieurs. Ces pilastres fort
rapprochés devaient porter un très solide dallage courant sur les
arceaux qui les reliaient. Les bâtiments latéraux étaient sans doute
aussi, comme mainte église de Haute-Syrie, munis d'une toiture de
larges dalles reposant sur des arceaux. Au seuil de l'église dans le

narthex s'ouvrait une sorte d'auge carrée de 2™, 20 de côté dont la


maçonnerie était recouverte d'un placage de marbre blanc.
Telle est dans ses grandes lignes la description que le P. Hansler put
tracer de ce monument religieux avant que le pic démolisseur ne l'eût
réduit à rien « par la nécessité des circonstances ». On en regrettera
d'autant plus la disparition que l'intéressant édifice présentait mainte
particularité d'ordonnance structurale de nature à éclairer sur l'archi-
tecture religieuse du Négeb dans la plus florissante époque byzantine.

11. — ÉpiGRAPuiE DU Sud palestinien.

1. Inscriptions iC el-Woiidj ch

1. — Inscriptiou en mosaïque relevée par im médecin


militaire arabe de passage
au moment du curage des au puits de l'église I, dans la partie
puits. Elle se trouvait

basse d'el-'Aoudjeh, Indiqué dans le plan de Wooliey. Il nous [est impossible de


savoir si elle appartenait à la mosaïque sur laquelle Huntiugton lut l'année 490
(601 ap. J.-C. d'après l'ère de Bosra). Nous faisons suivre d'une transcription recti-
fiée la copie du major telle que l'a publiée RL., 1916, p. 1.58.

YnePCOOTHPIACTCON VTTràp cwtY;pio(i; Tojv


I
y.ap7rou-x,oup7i(7xvTro}]v
|

KAPrr8(t>yPHCANTINC Sapytou «tto <7va7rov[ojv] ]


(xal) [Aova/où

epribAnocYMnoNOics xfai) naxxoùto? | àô£X.p(vi(;) ^^lai) nt«vou


M0NAX8 KS nAAA8T oiax(ovou), j
auTÎjç uîoîî, ~pOJT£u|0VT(o;)

OC li.7)TpOTC(oX£tO(;) Ku. [ U.{(7[o)j,lv(Ôl)CTlWVOç] 0' OU ?'

AAeA(|)S K niANBAlAKS y-r/và;) r|opTr(iaiou) A.


AYTHC YI8 nPGOTGY
ONTS MHTPOnS GM
MICGYS INDS Mr
opns K
(1) On atteadralt une porte entre les deux chambres du nord (fig. 1, h).
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. S
114 REVUE BIBLIQUE.

Pour le salut des bienfaiteurs Sergius, assistant et moine, Pallous


sa sœur, Pianos diacre, fils de celle-ci, primicier de la métropole
et

d'Émèse, indiction 9^ {ou 6°), le du mois de Gorpiœos. W


On notera d'abord la particularité orthographique ou pour z de la
a*" ligne. (Cf. Mayser, Gramm. der griech. Papyri, p. 117). L'expres-
sion 7.:{p-c;9cp£^^un sens trop bien déterminé dans le style ecclé-
a
siastique pour que soient permises la restitution du P. Hânsler a. : i>.

Tcov KapTCO'jçoûpYjç 'AvTÎvcj... et sa traduction pour le salut des fils de


:

Karpophora, Antinoos, etc. Si le relevé est exact, nous devons admettre


que le mosaïste n'a pas su déchiffrer la ligature de l'GO et du N que
comportait le modèle à la fin du mot en question.
Malgré le solécisme de la on peut reconnaître dans le terme
1. 3,

cû;j-ovoç « collaborateur, assesseur » une charge conventuelle, celle


de conseiller ou d'assistant de l'hig-oumène confiée à quelques moines,
patres a consiliis.
Le nom de Pallous, féminin dérivé de Pallas, comme 'AspsoiTcîjç
(gén. —
ToO-ioç) dérive d"A!ppoGt-Y;, dénote une orig-ine égyptienne (1).

On serait tenté d'en dire autant de Pianos ou Pianou dont le premier


élément semble être le déterminatif copte que l'on retrouve dans
Pior ou Piamoun. Le fils de Pallous se trouvait à la tête des diacres
de la métropole d'Émèse. Une seule métropole en effet se rapproche
comme onomastique du nom estropié de notre texte E;j.|j.',7£u, c'est :

le chef-lieu de la Phénicie Libanaise, inscrit en tête de ses sufiFragantes


par Georges de Chypre avec ce protocole "Esj.r.a^a \):r~.ç>bT.oK\.q (2).
:

L'inscription ajoute une variante de plus à l'orthographe de ce nom


qui est loin d'avoir de la fixité (3). En dépit de son éloignement, ce
clerc dont la famille a l'air d'avoir été assez fière, avait tenu à con-
tribuer à la bonne œuvre de sa mère et de son oncle. Pour l'indic-
tion,deux hypothèses se présentent ou la troisième lettre représente
:

un 6, ou, si elle n'est qu'une déformation du c, le chiffre serait le


vau pris pour un signe d'abréviation par le mosaïste ou le copiste.

2. — Inscription gravée avec soin sur un bloc régulier de calcaire de 0™,57 sur
0™,35. Hauteur des lettres :de 0°i,03 à 0'",04.

(1) Grenfell-Hunt, p. Oxy., 504 1. 3, 3fi ; 1326. Un nom égjplien a déjà été trouvé sur
une inscription de Gaza, RB., 1894, p. 249.

(2) Descriptio Orbis Romani, n" 985. HL., 1916, p. 159


se demande s'il ne s'agirait pas

de Gaza. Je ne sache pas que Gaza ait été jamais métropole il est plutôt certain qu'elle
;

dépendait de Césarée.
(3) Gelzer, dans ses annotations de la Dcscripl. 0. R., p. 186.
A la rigueur on pourrait
penser à une abréviation d"EiJiKjriv65v, mais la lecture du texte ci-dessus confirme la
variante d'un scoliaste de la Bibliothèque de Pliotius, cod. 242 : "Efiiaoc. Étie.^ne de
B\ZA^'CE, aux annotations d'Holstein sur "Eue^a.
,

CHRONIOUE. H5

f T-àp ffWT-^piaç 'Ï^Xfaobu) -zp-[{b-j) |


B(-/,-topcç c!7.:o;;j,ou |
'/.(al)

Bt/,Topcç a'JTOîi ub'j y.aî j


'Aopaa[;-to'j 'ASou^ovaCvou]. Aùtou [j-tJÔ(àç) eY'^vsTO

tojIto) ts è'pYoV [àv ;rr,vl 'r-ep]6-r;p(c-:aicu) a' ] '.v(Bt7,-Lwvo;) /;' tcj £-:c'j[ç '-^ç

tr,y.pyiiy.ç] o .

Pour le salât de Flavius Sergius [fils) de Victor, architecte, et de


Victor son fils et d'Abraamios Abouzonainos. Cette œuvre lui a été à
récompense : le i^" du mois d'hyperberetœos, 8^ indiction, année de

la province 500.
L'écriture Biz-ia-jo:. i-fhn-z. tojtc
TOJTw montre avec quelle facilité les

s'interchang-eaient, phé-
nomène fréquent dans tYTl£PC6)THPUC^l\5C£Pr
les inscriptions du Hau-
BlKT(joPôC ÔIK OctÔMb
rân et dé la Syrie. 'A6:j-
ç:va(vcj semble avoir été
K^blKTôPÔtT^YTbYVbKî^î
le nomd'un clan du Né-
g-eb. On le rencontre dans
une épitaphe de Khalasa
MT^MlCûSCrWNCTOTb
publiée par Tod [Tke l^tuT e P rô r/ ^^hH
Wilderness of Zin, p . 1 40

pi. 35, n°« 16 et 17) et


que je crois pouvoir
restituer ainsi : 'AXxçaXoç Acou^svaivou. Au v° siècle le village
à'Aboudis près Jérusalem s'appelait déjà B a6cuo',awv du nom de la
tribu qui l'avait fondé. D'autre part l'hypothèse reste plausible d'un
nom individuel composé de Abou du fréquent. Zonainos, de sorte
et
que l'on traduirait avec fondement Abraamios fils d' Abouzonainos.
:

Cf. 'A6ouc£;j.;v.=ç (g"én. — ou) oanix*, dans une stèle judéo-grecque


de Jaffa (Lidzbarski, Ephemeris, I, p. 189).
On une tournure optative pour la formule 1^.176;; vr^vv.
s"'attendrait à
Les quelques lettres qui suivent la lacune de la ligne 6 paraissent être
le vestige du nom du mois T-zpozçitxoLloq avec un r, au lieu du premier
s. Après l'indication de l'année, il devait se trouver la mention de
l'ère suivie, par exemple
que l'on trouve dans plusieurs
-.%q ï-3.pyix:
textes de Syrie et d'Arabie (1). Le chiffre de 500 est fort clair. La
date serait donc équivalente au 18 septembre 605 ap. J.-C, qui tombe
en effet dans la S'' indiction.

(1) GuAïiOT, Indejc alphabet, des inscr... publiées par Waddington, V, A, p. 13. Prince-
ton.,. Archseol. Exped. to Syria, D III, A 2, p. 96. La fm de ce texte est ainsi rendu par
irz,.,1916, p. 202 : « Sein Loliii werde ihm ziiteil. Das Werk... Ind. VIII. des labres »
.

116 REVUE cinuoui:.

^1+ MNHMÎÔNZ Omi r7>i

+ YÏÏEPeii)TEf
rELilpfUTI/XTP^K^ OMAKA^
HT» NESYTTEP
ON > E KH
ANACTACU AïïE^ Zi
AKE? AP^
^ AN 3 5 yNE
Fac-similés des inscr. n"" 3, 4 et 3.

3. — Inscription sur une colonnette de marbre, d'après HL., 1916, p. 203.

f^
'IVàp G-o)T£pt(a;) I
r£wpY''(c'j) na-pi7,''(i'j) | r;YO'j;j,£(vo'j) {v.y.\) br.ïp \

àva7:au(J£(a)ç) 'Avaî-a7'!a(ç) |
'A/.s^âvopou.
Powr /e 5a/e^^ de Georges {/ils) de Patricios higoumène et pour le

repos d'Anastasie [fille ou femme) d'Alexandre.


A la V^ ligne s pour y;. Patricios comme nom de personne se ren-
contre en S^rie [Princeton... Archœol. Exped. to Syria, D III, B 2,
p. 111). Le lapicide a réparé son oubli en gravant en appendice av
qu'il avait omis dans le milieu du dernier mot.

4. — Texte gravé sur un bloc de calcaire lavé trouvé, semble-t-il, près de l'église III

Il est inscrit dans un cartouche mesurant 0™,3.5 sur 0™,3l. Hauteur des lettres :

0^,035, 0n\04.

\ Mvr,;j.tcv Zova{|vo['j] AojpoOés'J |


tcu Zcva(vou* èTsIXs'jTsa-sv st^v •/.r/ |
~z\i

z-.z'jz jaC ;rr/vbç) Aiou ^^\ \ '.v(or//,Tiwvcç) z'

Tombeau de Zonainos [fils) de Dorothée [fils) de Zonainos ; il est

décédé à 38 ans, en Vannée 436, le 18 du mois de Dios, 5" indiction.


La forme ;j.vy;;j.^;v est très fréquente dans les inscriptions de Syrie et
d'Arabie (Cf. Chabot, Index... VIII A, p. 15). Xoter l'emploi de la
brève au lieu de la longue à la 1. 4, où Ton restituera ï-^Kv'J'r^^^^^

hûv (1). Suivant l'ère de Bosra, 436 = 541 de notre ère; le 18 Dios du
calendrier gréco-arabe répond au 5 novembre. Or, l'indiction 5 a

(1) La construction de la phrase est un peu embarrassée dans l'original, où Zôvaivor


paraît comme sujet de èTeXs'jTïiTev, perdant sa relation avec nvr,u.îov.
CHROMQUE. HT

commencé en septembre 5il. Le décès se place donc exactement au


5 nov. 5il (1 .

Le nom de Zonainos, diminutif sémitique de Zannos ou d'un vocable


analogue, paraît assez répandu au Négeb. Voir n'' 5. De plus on le
retrouve à Bersabée [Zonainos fils de Sergius cVÈlousd) \^] à ;

Rouheibeh ^XâpsToç Zcva^vsj — IspvCij Z;vév:u) (3) ; à Khalasa (Zivar.vo;


'06s5wvcç) (i).
La gravure de cette épitaphe, le grain et la taille de la pierre sont
tout à fait semblables à ceux de l'inscription votive de l'Archiatre
Etienne \RB., 1909, p. lOi;. Celle-ci proviendrait-elle d'el-'Aoudjeh
où un Etienne fils d'Abraamios est déjà connu par un texte votif de
l'église 1 [RB., 1897, p. 6U ?

5. — Inscription gravée assez grossièrement sur un bloc de calcaire irrégulier, de


On%53 de haut sur 0^,27 et 0"',34 de large.

t 'E7.j;rr,0(-/;)|5 ;^.ay.ap(ic;) 1
Wi.y.ziyj.t-) Z[:v(aivcu) sv '^4y') \

S'est endormi feu Alaphalos fils de Zonainos le 4 du mois d'Apell^os


de l'année 4 do.
Les papyrus, surtout à partir du i' ' siècle, présentent de nombreux
cas de l'emploi de y pour c. : P. Fayoum CXI, 9, yypizix pour yoipioiv..
CXV, k, à; •Jy.cu pour è^ oï/.oj, Joh. ix, 14, r^vj^s pour f,voi;£ dans des
mss. d'origine égyptienne expliquent comment notre texte s'est

affranchi de la forme iv.oi[j.rfir, . — La date donnée répond au 20 no-


vembre 560 ap. J.-C.
La restitution du nom du défunt est autorisée par le texte suivant
et par l'épitaphe de Khalasa mentionnée plus haut et dont la teneur
se rétablit ainsi en supposant la substitution fautive d'un E à un c
carré :
AAAct)AAOC AB8Z0NAIN8 (5)- Les stèlesdu Haurân ont révélé
plusieurs "AXa^oç, transcription grécisante du sémitique î^Sn [Aixhœol.
E.rped. to Syria D III, k 2. p. 71, 108, 110), mais le nom complet
nabatéen a été retrouvé par les PP. Jaussen etSavignac [Mission arch.

Le p. Hansler pense que la date est donnée suivant l'ère chrétienne ou suivant l'ère
(1)

de Gaza, dont U marcfue le début en 61 après J.-C. tandis que c'est en réalité 61 avant J.-C.
De là un coraput fautif qui se répète ailleurs en vertu de cette erreur fondamentale. Il y a
également erreur dans 1 interprétation du chifTre ç.
(2) Ce texte publié par Ton The Wild. of. Zin, p. 136, pi. 34, a été réédité par Alt,
ZDPV., 1919, p. 177 ss., qui ne parait soupçonner que ce document soit connu.
(3) American Journal of Archeeology, 1910, p. 61. RB.. 1905, p. 256, pi. X, 30.
(4) Ton, op. l., p. 139, pi. 35.
(5) ToD., op. L, p. 140, pi. 35, a renoncé à résoudre l'énigme et se borne à la transcrip-
tion 'A>a:a A. E. A. 8oj Z...
118 REVUE BIBLIQUE.

en Arabie, Méddin Sâleh n"" 12, 19) sous la forme %nbï:'-)n à laquelle
répondrait assez bien 'AXâ^aXcç.

6. — Texte assez fruste sur une épaisse dalle de calcaire jûunàtre mesurant 0™,4ô
de long sur 0™,28 de large. Hauteur des lettres 0™,03.

7 Mvr,;j.t;v 2!TS9âv(ci'j) |
'AXasâXcu' ï-t\[tù]\-f:i'i ï-z't v. . [j,[-/;vcç] |
Abu
i, î-[z'oz) 'o'/.C [y.ai Awpo] |
Oliu stov C" ;jJr,vcç... -m-y] \
" kç,y/iy.q

Tombeau d'É tienne[fils) d' Alaphalos qui est mort à l'âge de 30 am

le iO de Bios, l'an 436, et de Dorothée âgé de 6 ans au mois de...


selon les Arabes, à l'âge de 6 ans.
Les deux premiers chiffres de Tannée sont clairement yA, mais
comme le second marque d'ordinaire les 'dizaines, il est permis de
supposer un a au lieu d'un A. Le 10 de Dios -136 (27 oct. 541) nous
ramène vers la date du n" 4 dont ce texte-ci d'ailleurs reproduit les
mêmes particularités orthographiques : ètsasjtsjsv, ètcv, et la même
composition. L'un et l'autre d'autre part semblent se rapporter à la
même parenté. A la fin, le lapicide, influencé parla ligne supérieure,
a répété l'âge du jeune défunt au lieu de graver le chiffre de l'année
courante.

7. — Slèle de calcaire grossièrement dégrossi, de 0™,»50 de haut sur 0™,3î de


large, dont un nom en grosses lettres. La
la partie inférieure portait déjà tête de la

stèle mesure 0™,27 de haut sur 0™,32. Hauteur des lettres 0"'.02 et 0",03.

'E-:SA£'J|-:£S{£V "AcC'JC7lÇ I
©-/joç ? 1 è(v)

[j.(r,vl) 'ApT£iJ.ft(7Îou)...| '.vSyiy.-uiwvcç) la' £Tc(uç)|'çi6' ^.


Est mort Aboiisis [Dieu l'a sauvé]'! au mois
d'Artemisios... indiction ii, année 519.
Après Abousis on s'attendrait à trouver le nom
paternel qui peut-être se dissimule à la 3^ ligne.
La formule qui déguise probablement un souhait
(que Dieu le sauve!) nous a semblé mieux ré-
pondre à la pauvre écriture de cette inscrip-
tion (1). L'année 519 répond à 62i de notre ère.
Artémisios qui commençait le 21 avril se trouvait
'O dans la 11™" indiction.

(1) 11 est à croireque les Sémites du Négeb exprimaient les souhaits ou les malé-
dictions comme lesArabes par un temps correspondant à l'aor.-indic. grec. Cf. n" 2 .

[AtaOô; èyévÉ-ro que l'on pourrait alors rendre à bon droit « que (cette œuvre) : lui soit à
récompense! »
CHRONIQUE. 119

8. — Fragment de marbre blanc veiné de gris de 0'",40 sur 0™,30. Les lettres
hantes de 0'",05 rappellent comme forme celles de
l'épitaphe de Théodore (588 ap. J.-C.) dont la HB.,
267, donne la photographie. Il est douteux
1904, p.
que ce fragment-ci provienneM'el-'Aoudjeh.

-f SYJi^a 7,aT[aG£(7£a)<;] |
'La\).our,[ko\)] \
fcmm
Sépulture de Samuel Korétns [fils] de
Korétos décédé au ?}wis de Péritios.
Une inscription de Gaza, fragmentaire
malheureusement, commence aussi par
:i:^;xa RB., 1900, p. 117; RAO., lY,
xaTx...

p. 79). Le composé peut se terminer d'une manière autre que celle


que nous avons adoptée -/.ccTacrTaGlv, 7.a-:y.TAZ'joc^\j.ivcv La découverte
: .

du fragment qui fait défaut résoudrait seule la difficulté. De KipsToç


on peut rapprocher Xicz-:: d'une épitaphe de Rouheibeh [American
Journal ofArchœoL, 1910, p. 61) (1).
Sur un chapiteau le P. Hilnsler a déchiffré deux lignes incom-
plètes... AOCAY —
CAMOY... et pense avoir retrouvé dans ce frag-
ment le nom byzantin d'el-'Aoudjeh, Ausa, Une conjecture aussi
fondée serait de reconnaître dans la seconde partie le début du nom

de i;a;/ojYjAor. Un seuil de porte d'une salle du monastère récemment


découvert laissait entrevoir la signature... OY AMPOY, nom extrême-
ment fréquent en Syrie et en Arabie.

9. —
Fragment d'epitaphe trouvé dans les ruines de l'église III {UL., 1917, p. 14;.
Le début des lignes manque, mais la restitution en est aisée.

+ 'K~£ ASOMA Est décédé feu le diacre... moine au


>^«?i COCAAK ''^ jour de Panémos de l'année 46ô^

• • • y- O N AXCOC «» die tion 3 .

ev ar,v IHANE
;xou nPOTHTb
E^o YCYZE
tvAr +
Le nom du défunt devait être très court ou écrit en abrégé. Il

serait fastidieux de ce texte, qui malgré


de relever les incorrections
tout reste clair. La date donnée est équivalente au 20 juin 570 qui
se trouve dans la 2° indiction. La 3" commençait en septembre 570.

(1) Mais l'identité des deux noms ne s'impose pas. Le grec connaît Kôoy]; Kôp-/;To;. Pape-
Be?*seler, Wôrterb... s.v".
d20 BEVUE BIBLIQUE.

2. Au 1res mscripdons du Négeb.


Pour les textes suivants que nous avons également copiés au musée
du monastère bénédictin de la Dormition, on peut assurer qu'ils
proAdennent des villes ruinées du Sud palestinien sans être certain
du lieu précis de leur origine.
10. — Texte gravé sur une dalle de marbre blanc de 0°»,57 X 0™,60. Hauteur

des lettres 0™,04.

-f 'kvtr.xr^ c \}.y:/Jy.z'.'.z) Oj |
a/.evTÎvcr llÉTpcu ]
àv ;r/;(vt) ZavTr.-/.(cj)y.'

'.y.\ Ta 'Apâccu; 7.a-:à oï VaZ-


i^^^ç) oXi s^' I
Itouç tvo(ty,Ti-

+ AH6TTAHf)MAKS0Y Est décédé feu Valentin [fils)


AAeHTmc]{c'TTe_TFûr de Pierre le 20 du mois de
Xantique selon les Arabes,
l'an 605 de l'ère de Gaza, in-
TAv/^PÀ&jQYCKATA diction 7.
A€rAZSTôY£X La mention explicite du
eTûTClHASH calendrier
'
gréco-arabe
Apa6a; se trouve déjà dans
-/.y-x

y
une inscription de Bersabée
gravée avec la même élégance
que le présent texte [RB.,
190i, p. 267). Celle de l'ère de
Gaza Y.y-x cï TyZ. a été relevée
dans un texte à Gaza [BB.,
1892, p. 2i3 CI.-Ganneau, Archœol. Bes.. II, p. ilO). La date répond
:

au 10 avril 5i5 qui tombe dans la 7' indiction,


11. — Dalle de marbre blanc avec des veines grises de 0™.49 de large sur

0'",4t de haut. Hauteur des lettres 0'«,035.

-i- 'EvGâo£ y.sï-ai \


r, |j.ay.apia

Ms^â I
Xr< EÙAaA'CJ y.aiTaTcOsTtra

[j.r,(vbç) A'j vo'jj-ri'j y.6' -vB 1


i
r/.Tt-
I

wvoç) o£y.i-r,ç. -f
Ci-gil feu Mégalè [fille) d'Eula-
lius qui a été ensevelie le SS août,
indiction10\
T)xTGe^ic;^n^Y
Une Mégalè femme de Balys et rOYCTOY KBIMA
mère de Zenon et de Théodnte
nous est connue par deux épita-
phes provenant de Maioumas de
CHRONIQUE. 121

Gaza [RB., 1892, p. 2V0; Arc/iceol. Res., II, p. i03) datant de 529 et
de 505 de notre ère. S'il s'agissait de la même personne on pourrait
mettre sa mort en 531.

12. — Stèle dont la tête ornée d'une croix eu partie effacée mesure 0'",15 de dia-
mètre. La partie où se trouve l'inscription mesure 0'",2-5 de haut sur 0"'.20 de large.
Hauteur des lettres 0,02, 0,03.

-f 'Avazâs -^ •j.yy.y.z
'
i) ja Zz'n'i{rt) ;j.-/;(vb;; 'Acte j
[j.t^iz'j v.z '.vc^'.y.-r'.wvir'
'
"
^'U.=.ç.-'. ^
'

Feu Zonené est morte le *-25 du mois d'Artémisios, 6"' indiction,


année i9S.
Restituer àv£zâr,. 'Xz-.-jv.z'.z-j. C<^tte épitaphe a été déjà relevée par
M. Charles à Rouheibéhpubliée dans Amer. Joiirn. of Arch., 1910,
et

p. 63 où elle est ainsi transcrite r, •xa/.ao(ia) 'A^sve {ï)v \j:ry'..


: Nous, —
préférons y voir un féminin de Zonainos. Un autre texte de même
provenance est copié de la sorte 'A^cvs vr,a r.^y^rj.. Ne soupçonne-
:

'rait-on pas dans ce grec bizarre un groupe mal orthographié de


Zz^iirr^ j.r.i^yMi'l La date correspond au 15 mai 588 qui se trouve dans

rind. 6.

13. — Inscription métrique gravée sur uue plaque de marbre blanc de 0™,92 de
long, 0'",27 de large, 0"^,03 d'épaisseur. Lettres grêles et irrégulières de 0'",03-0'^,04.

ûVAEAinuKJXmiTOlOTTkMlTXOON^lAN
^u)PôeLû^^EPAuNTl[AfN^WOfo^M^ ^

AtopîOs:; Yscdîtov r.i't.vt y.'j.\}.zzzz iv. '^^y.iù.f,zq.

Bien qu'il ait quitté la divine terre de la frontière de Palestine,


Dorothée a 'pourtant sa part aux distinctions du Basileus.
Pour loger son premier vers le lapicide a dû empiéter sur l'une
des oreilles du cartoucbe et abréger I\yM[y.CjQ-vrrtZ dont la terminaison
est nécessaire à la composition de l'hexamètre. Le poétique X'.y.'.T:i::

a son répondant prosaïque dans une inscription dWssouan actuelle-


ment au musée du Caire : -::j (irfiy.v/,z\) kvj.'-zj <Ï>X (aojîîj)... (1). En

(1) G. Lekebvre, Recueil des inscr. grecques chrétiennes d'Egypte, n° 592, p. 110.
122 REVUE BIBLIQUE.

négation énergique :jsi sur r.i\iv comme


faisant porter la force de la
nous Fa suggéré Lagrange, on obtient la traduction adoptée
le P.
ci-dessus même après avoir quitté le limes Dorothée n'a pas été
:

frustré de sa part des faveurs impériales. La mort a donc obligé ce


militaire à abandonner son poste à la frontière sacrée de la Palestine,
mais il continue à jouir des distinctions de l'empereur en habitant
un tombeau élevé aux frais de l'État. Le marbre de l'inscription
semble avoir été appliqué au linteau d'un édicule funéraire. Ici les
distinctions sont, non plus les décorations ou gratifications qui
embellissent la vie de tout brillant soldat, mais les honneurs funèbres
consistant, suivant Homère [Iliade, xvi, io7), dans un tombeau et un
cippe :

tj;j-6w -t ".rj.r^ -i' ts ^àp ','-p'^-. ^'~- 03'.vivTO)v (1).

Les deux vers de Dorothée dénotent une situation qui tranche avec
celle qui nous est décrite dans VHistoii^e arcane de Procope ch. 24)
où il que Justinien négligea et méprisa les limitanei (cJc7-£p ai;jli-
est dit
-ravaicjç IxaÀîJv), en particulier ceux qui gardaient la frontière contre

les Perses et les Sarrasins, au point de leur faire attendre leur solde
pendant des quatre ou cinq ans et même à les rayer des cadres.
Mais il n'en alla pas toujours de la sorte : l'œuvre législative, les
vestiges byzantins du limes, les textes épigraphiques prouvent qu'au
temps de sa gloire, Justinien prit un soin spécial des troupes de la
frontière. Le décret de Bersabée s'occupe de l'annone que devront
percevoir les dévoués limitanei (ci y.aecsiojy.îv:'. 'Kv^n-^nzi). Nous avions
d'abord pensé à traduire comme si cjoé se rapportait à aittcÔv : « Bien
qu'il n'ait pas quitté le sol divin de Palestine, Dorothée n'a point eu
part aux gratifications de V empereur. » Dorothée se plaindrait de ce
que la mort l'a privé de participer aux émoluments fixés par l'auto-
rité impériale. Et pourtant il a tenu longtemps sur ce front du Sud

palestinien :ne le quittera même jamais puisqu'il y a trouvé son


il

éternelle demeure. Mais cette interprétation est beaucoup moins


satisfaisante que la d'admettre également
première. Il est difficile
que par voulu protester contre Fingra-
cette inscription Dorothée ait
titude de l'empereur dépeinte par Procope. Cette affiche originale,
semée de croix, aurait eu pour but d'apitoyer les bonnes âmes sur
un infortuné limitaneus ; exégèse qui ne tient pas puisqu'il s'agit très
probablement d'un monument funéraire.

(1) Interprété ainsi par Eustatlie : répa: oà SavovTwv li^n. 6û(i.gov -/.ai airîrr^^ zal û),w: ta
CHRONIQUE. 123

14. —
Fragment d'inscription en style poétique sur un morceau de marbre blanc
mesurant 0"\20 de haut sur 0'",17 de largeur, épaisse de 0™,02.5. Hauteur des lettres :

0"'. 02-0™, 03.

Les premières lettres sont la terminaison d'un génitif tel que


zvj-ipo'j 0U7:p£7ci)TÉpcj, etc. La fin delà seconde ligne rappelle xrA'keir.oc

de l'épitaphe métrique de Georges à Bersabée (BB., 1905, p. 249).


L'emploi du verbe teXéOoj comme la finale en es dénote une intention
poétique.

1.5. — Fragment irrégulier demarbre de 0™,31 de haut sur 0"i,14 de large et dont
l'épaisseur varie entre 0"',03 et 0™,04.5. Hauteur des lettres O-^jOSô et 0"\04. Les
:

lettres ont la même forme que celles des fragm. H, HI, I\ du rescrit impérial de
Bersabée {RB., 1906, p. 88). La forme des A est celle des fragm. I et V iRB., 1903,
p. 276; 1906. p. 414), qui diiïèrent en cela du fragm. VI {EB., 1909, p. 89). Le sigma
est carré dans I, V, VI tandis qu'il est lunaire dans II, III, IV et le fragment en
question' qui provient du même rescrit et devient le fragm. VII. Ces différences
prouvent seulement que le tracé du document a été effectué par plus d'une main.

... -r,zx r, -...

... 0)7 •/.a/dv[Î7.;'j...

... V *ï>À(ac'J''o)v) 'lo[uj-...

... py.q •î>À(as'j(:u) ^o...

...7.3cO(2M7.Cj) 0S=[5...

Fragment VII du Rescrit de Bersabée.

Ce morceau mutilé contient surtout des bouts de noms propres de


124 REVUE BIBLIQUE.

personnages officiels. K^aa'//'.-/.;; est un nom d'individu, mais il est


aussi un titre honorifique « victorieux » que l'on rencontre dans les
:

papyrus appliqué à Justinien (1) de telle sorte qu'on pourrait lire


-zoX) c£7-iTCj r^\J.^ùv /.a(À)A',v//.:j. .. Le redoublement de (1»a. indique qu'il
s'agit de deux Flavii dont les cognomina suivaient. Si les deux Flavii
n'étaient autres que Justin I" et Justinien, nous devrions lire twv
y.aAAivi/.wv aj-oxpaTÔpwv -/.ta. et fixer le document entre avril et août

527, laps de temps où Justinien régna avec son oncle. Mais si le nom
gentilice se rapporte à deux consuls, il faut que l'un d'eux soit Justin
ou Justinien à cause du début, le... Sous le règne de Justin P"" nous
avons le consulat de Flavius Justmianus (plus tard Auguste) et de
Flavius Valerius en 521 ;
puis le consulat de FI. Justinus et de FI.
Opilio en 52i (2i.
Sous règne de Justinien, ce prince fut plusieurs fois consul, mai^
le

seul, sauf en 534 où FI. Justiiiianus et FI. Theod. Paulinus étaient


consuls (3). Ce serait une très bonne date pour notre document dont le
style rappelle celui des Novelles.
On appelait -/.xOcA'.y.cç le procureur du fisc : toutefois l'abréviation est
susceptible d'un autre complément.

16. — Fragment de linteau de porte très mutilé orné de rosaces mesurant 0'^.46
de haut sur 0™,44 de large au
sommet, et 0°',42 en bas. Lettres

irrégnlières de 0™,04 à 0™,08. Sur


la partie supérieure on devine à
^ travers les cavités d'un mauvais
'2> ^, ^/^ ^ùC ' '''''''-^ '~~^

»|1 i
(^ '',
Ijr^^^r^W tY ^l
calcaire : ÔEosiXé^TaToç -fcCjÇÛTcpo:.
Le reste contient peut-être une
date; le dernier mot : jîo; seul
est clair.

'lîisâiiL 17. — Sur une tête


calcaire fruste de 0^,29 de
de stèle de
dia-

mètre avec un appendice de 0'",14 on lit autour d'une croix pattée 'luawr;: "Ovaivoc.
Hauteur des lettres 0°',03. 0'",05.:

(1) BU. 836 1. 10 : xa/.X'.v;y.oy r,u.wv Sî<77:6Toy <ï>"A9.o-jto'j 'lo-jartviavoù... aÛTOxpaTOpoç, titu-
lature identique dans un papyrus d'Aphrodite publié par J. Maspero dans le Bull, de llnst.
Fr. d'Arch. Orient., VI, p. 19.
(2) Les papyrus dans le cas de l'association de deux Flavii écrivent 4>/.arj-jiwv devant le
premier cognomen ou <ï>>.aojîoj devant chacun. Voir la liste de ces consulats dans
J. Maspero, Catalogue des Antiq. égypt.. Papyrus grecs de l'époque byzantine, I, p. 229.

On trouve par exemple en 530 v);:aT£Îa; «ï'y.aoj-wv 'Opéaxov -/.al AaixTiaôio.., et en 532
: :

liera Trjv OnaTîtav 4'),aoj'ov 'OpETTo-j xai <I>>,aoj:oj Aaii-raSîo'j. Les papyrus ont procuré
l'avantage de suppléer beaucoup de gentilitia qu'avaient négligés les listes consulaires.
(3) D'après l'Art de vérifier les dates, Chronol. des consuls romains, p. 336. Justinien
CHRONIOUE. 125

18. —
Prétentieuse combinaisou au pied d'une croix des quatre lettres du mot
HXï'a sur une tête de stèle de

0'",23 X0'",2I. Hauteur des

lettres de 0'",08 à O'^.OO.

19. — Le nom de 'Iojdv(vr,ç

en lettres de 0°',075 sur un


bloc grossier très ébréché de
0">,53XO°S22.
20. — Trois débris de pla-
ques de revêtement en marbre
grisâtre avec moulures légère-
ment difiérentes. a. — 0",24
X 0™,22; épaisseur : 0'^,04.5;

h. des lettres : 0°>,04, t 'E---

TOp...
6. — 0™,60 de large sur
0'",30 d'un côté et O'^jSÔ de
l'autre; épaisseur: 0^,035; b.
des lettres : 0'",0.5 à 0".07;
moulures arrondies moins pro-
fondes que celle du pré-
cédent;... -i£c;6]oj-:r,po'j? t,ç

c. — 0'",30 et 0">,46 de
large sur 0™,32 de haut,
épaisseur de 0'°,035; lettres [
issées au minium hautes de 0™,03-" Xo X(p'.

21. — Fragment de marbre blanc


veiné de gris épais de 0™,06 et me-
surant O-^jSO X 0'",22. Hauteur des
lettres 0"i,04, 0™,045;... As/.c ;j.6pîoj

/.ç\ ivoix.T'.wvo;) 10.' f.


22. — Deux débris de sarcophage
représentant l'un une tête humaine
dont la coiffure est relevée avec soin
(de chaque côté se voient les vestiges

STHPoY}^|!àlo|vi^ d'une inscription , l'autre un bou-


quetin incomplet. Deux autres frag-
ments non reproduits ici n'ont
d'antre ornement que lamoulure à
dents de scie que l'on remarque sur
le morceau qui présente la tête en
bas-relief.

cepeadant, d'après une lettre du pape Silvère, aurait partagé le consulat avec Bélisaire
(FI. Belisarius) pour l'Occident, en 535, Bélisaire étant seul consul pour l'Orient, ce qui
n'est pas confirmé par les documents contemporains.
126 REVUE BIBLIQUE.

23. — Bloc de grès rose de 0"-,32 de haut sur 0°',27 de largeur portant le début

d'une inscription nabat. dont les lettres, de 0'^,19 de hauteur, sont gravées par une
série de petits points. Le texte se lit... nmn. On reviendra à son sujet.
F. M. Abel, O. p.

Jérusalem.

II. — UN HYPOGÉE ANTIQUE A NAPLOl'SE. — NOUVELLES DIVERSES.

Le bruit que des travaux considérables étaient en cours à l'église


du Puits de Jacob et qu'un hypogée de contes de fées aurait été
découvert non loin de Sichem pendant la guerre nous a naturelle-
ment ramenés à Xaplouse à la première occasion opportune. Dès
longtemps familiarisés à ce genre d'informations, nous arrivions dans
la localité beaucoup moins avec des rêves prématurés qu'avec la
modeste espérance de pouvoir enfin compléter l'investigation archéo-
logique du sanctuaire de la Samaritaine poursuivie depuis plus de
vingt ans, à mesure que s'était développé un déblaiement sans aucune
suite. De la mirifique sépulture, nous nous attendions à ne plus
constater que la déprédation radicale. Comme de juste, les réalités
n'ont pas répondu strictement aux prévisions.
Au Puits de Jacob une entière déception nous était réservée. Bien
loin les travaux récents aient fourni plus de lumière sur la
que
complication structurale de l'édifice plu.sieurs fois remanié, ils ont à
peu près effacé les derniers traits de sa physionomie archéologique.
Tel lambeau de muraille où, jusqu'au printemps de 191i, on pouvait
étudier la soudure de la construction médiévale à une maçonnerie
byzantine bien caractérisée, n'étale désormais que l'appareillage plus
prétentieux qu'élégant d'une maçonnerie toute neuve. Les vieux blocs
CHROMQUE. 127

aux proportions imposantes et aux faces soignées ont été recoupés,


repiqués, ravalés pour se transformer en assises à bossage tourmenté
et peu correct. L'architecture nouvelle que ces parois inférieures
supportent sera peut-être un sujet d'orgueil pour le technicien hellène
qui l'a conçue et les caloyers orthodoxes qui en surveillent l'exécution :

elle n'a toutefois plus rien de commun


avec aucune phase archéolo-
gique du sanctuaire et dérive d'un concept esthétique trop indépen-
dant pour que je me risque à l'apprécier. C'est fortune même que les
grandes lignes du vieux plan aient été respectées dans cette rénovation
qui a fait évanouir le charme si pénétrant de l'ancienne ruine. Aucun
espoir ne subsistant aujourd'hui de pousser plus avant l'analyse
archéologique de cette ruine complexe, il y aura lieu de publier tels
quels les relevés depuis longtemps réalisés du sanctuaire médiéval et
de sa crypte byzantine. La Revue les présentera donc quelque jour
avec le détail utile pour compléter ses informations (1).
Le vieil hypogée nous réservait au contraire, en dépit de tout pillage
et de toute dévastation, plus d'intérêt que nous n'en voulions at-

tendre.
Il occidentale de la ville moderne, sur un
est situé vers l'extrémité
des premiers escarpements d TÉbal. La découverte accidentelle re-
monterait, parait-il, aux premières années de la guerre. Par un
souci de sécurité pratique autant que peu honorable, l'état-major
germano-turc abritait une section importante de son personnel dans
les meilleurs locaux du grand hôpital municipal moderne érigé en
cette avantageuse situation et protégé contre les audaces des avions
anglais par un kolossal croissant rouge peint sur le toit. Afin de
développer par des installations de fortune l'espace désormais trop
parcimonieusement mesuré aux malades et aux éclopés que la guerre
faisait affluer, on entreprit de bâtir. La terrasse la plus voisine otfrant
de la terre à mortier, une excavation s'y développa, qui, en livrant
de la terre, fit bientôt apparaître butin inespéré! — de splendides —
pierres d'appareil éparses devant la paroi du rocher. En peu de temps
le trou agrandi laissait voir une base de muraille qu'on ne prit même
pas le loisir d'arracher tout à fait, parce que l'entrée dans une vaste
salle funéraire où s'entassaient de magnifiques sarcophages invitait à
un pillage plus rémunérateur. Quand on estima la rafle absolument
terminée, on s'accorda le malfaisant plaisir de réduire en miettes les
jolis sarcophages et les pièces du mobilier funéraire dont on n'escomp-

tait aucun profit. Un sondage attentif des parois ayant fait soupçonner

(1) Cf. SÉJOURNÉ, RB., 1893, p. 242 ss. ; 1895, p. 619 ss. Enlart, RB., 1896, p. 108 ss.
128 REVUE BIBLIQUE.

l'existence d'unhypogée contigu, la cloison de roc fut éventrée et le


pillage se développa dans une seconde caverne, apparemment non
moins riche. Les opérations en étaient là quand des préoccupations
plus urgentes vinrent les interrompre; les vandales ne devaient pas
reparaître en cet endroit et ceux de leurs chefs et protecteurs qui
n'avaient pas su déserter à temps le camouflage désormais inefficace
de leur croissant rouge furent cueillis un matin dans leur « hôpital »
par une poignée de cavaliers français qui n'avaient pas été invités à
Naplouse. Les vieilles tombes se trouvant sur un petit enclos des
Sœurs de Saint- Joseph-de-l' Apparition, cpii avaient fondé avant la
guerre un dispensaire et une école à Naplouse, dès que ces religieuses
ont été libres de reprendre leur œuvre de dévoûment et de charité
dans leur humble installation dûment pillée, elles ont eu à cœur de
sauver ce qui pouvait l'être encore dans l'hypogée des lampes, :

quelques minuscules flacons de verre irisé fortuitement rescapés et


quatre grands sarcophages relativement intacts. Nous devons à leur
trèsaimable obligeance d'avoir pu étudier ces intéressantes épaves.
En attendant la possibilité d'un déblaiement soigneux des tombes
bouleversées et d'une extension méthodique de la. fouille cjui semble
promettre la découverte d'autres sépultures inviolées au flanc de
l'escarpement rocheux, ces notes donneront une idée sommaire des
hypogées ouverts.
Le plus grand (tig. 1) parait n'avoir été que la régularisation fruste
d'une caverne naturelle dont les parois furent ensuite dissimulées
sous un stuc méticuleusement arraché par les récents dévastateurs en
quête d'ouvertures sur des chambres latérales. De beaux sarcophages
de pierre s'alignaient tant bien que mal au pourtour de la salle.
D'autres, d'exécution moins soignée, paraissent avoir été logés dans
des espèces d'alvéoles creusées dans le sol rocheux de la pièce, ou
partiellement maçonnées et recouvertes par des dalles. D'après les
informations que nous avons pu recueillir et auxquelles le chaos de
débris donne une mélancolique confirmation, une quinzaine de
sarcophages pour le moins et un nombre peut-être encore plus
considérable d'ossuaires auraient été entassés là dedans. Plusieurs
des ossuaires, apparemment parce qu'ils offraient une ornementation
plus soignée ou des épigraphes pleines de promesses pour l'instinct
commercial des fouilleurs improvisés auraient été dispersés à travers
la ville. Il nous est demeuré impossible, en cette visite, d'en ressaisir

la trace. Tout le reste, après la cueillette de ce qui a semblé bon à


troquer, a été brisé sauvagement en menus morceaux. C'est vraiment
prodige qu'en écartant le plus encombrant de ces môles de tessons.
CHROMQIE. 129

de débris de verre, de sculptures pilées, on ait pu glaner encore

quelques menus flacons irisés, d'humbles lampes en terre cuite et


surtout deux sarcophages que les débris de leurs voisins avaient

HYPOGÉE ANTIQUE. DE.


NAPL0U5EL

COUP TAILLEC p3 3 ^^i .r DE.- CACTUS'


DAMS le: roc

Fii; 1. l'ian lie l'iiyposée.

opportunément protégés dans leurs alvéoles. Ils seront décrits plus


loin,avec ceux delà tombe contiguë.
Le principal intérêt de celle-ci consiste désormais dans la disposi-
tion de sa façade. La caverne primitive semble avoir été largement
ouverte et impliquait une clôture quand on la voulut transformer en
tombeau. Mais au lieu d'une muraille nue et peu épaisse, établie à
laplomb delà paroi de roc, on constate les vestiges de deux puissants
massifs de maçonnerie constituant une saillie de presque 2 mètres en
avant de la paroi naturelle. Il n'eu subsiste que la base couronnée
par une plinthe d'un joli profd fig. 2, a), encore que le massif occi-
dental ait perdu presque tous les blocs de son parement extérieur,
dont le lit de pose deimeure cependant très visible. Une sorte de
couloir, large seulement de 0"^,5G au ras du sol, permettait de se
glisser entre ces massifs et d'aboutir à la porte exiguë, dont un
REVIE DIBUQLE 1920. — T. \X1\. !)
130 REVUE BIBLIQUE.

jambage était de roc et l'autre en pierres d'appareil, sans doute avec


un linteau assez ])as et probablement un lourd vantail de pierre dont
nous avons retrouvé le gond inférieur parmi les décombres (fi g. V,
n" 6). Dans l'état présent de la fouille, aucun autre débris de nature à
éclaircir la structure de cette façade n'a pu être recouvré. On se
demandera donc, jusqu'à plus ample inl'ormé, si elle comportait
réellement deux massifs isolés sur toute la hauteur, ou si le passage

Rofii de a

g. -2. " Cniijic longiliuliiiale.

étroit qu'on a indi jué ne se réduisait pas à un simple couloir dans


la partie inférieure d'une façade continue. Il n'est guère douteux, au
contraire, que cette robuste maçonnerie si parfaitement soignée, avec
sa plinthe élégamment moulurée et le petit pilastre en saillie demeuré
apparent, n'est pas à concevoir comme une clôture banale devant la
caverne de roc. Elle implique plutôt une intention architecturale de
façade à couronnement décoratif; mais toute velléité d'en ressaisir le

thème serait, pour le moment, une divination hasardeuse.


La seconde sépulture, où l'on pénètre aujourd'hui par la brèche
récente des pillards (fig. 1, x), n'est plus, elle aussi, qu'une salle
encombrée de débris chaotiques. Quoique creusée dans un banc de
roc assez ihou, elle n'affecte aucune régularité. Ses parois ne gardent
pas le moindre vestige de crépissage et un commencement de forage
dans la couche rocheuse plus dure qui fait le sol donne l'impression
de quelque essai d'agrandir la sépulture par des fosses, sinon par
quelque étage inférieur, abandonné pour un motif inconnu. L'entrée
primitive n'a pas été déblayée par l'extérieur et conserve en place la
meule de pierre qui la fermait. Faute de temps ou las de détruire,
les dévastateurs ayant fait main basse sur tout le mobilier funéraire,
dispersé cendres et ossements pour retrouA^er les objets de parure,
commune et bon nombre d'ossuaires, avaient réservé
écrasé la poterie
deux grands sarcophages d'une orneraentatiorî recherchée. Avait-on
^^
F g. 3. — Les sarcophages I et II; face antérieure.

-4

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Fig. 4.— \, Tète du sarcophage I. -2 et 3, Petits côtés du


sarcophage III. 4. sarcuph. III: «, moitié de la face
couver Ole coupe
antérieure; h coupe longitudinale; c, écoinçon pour supporter le couvercle. 5, Type de ;

transversale (a), longit. (c) et petit côté (6). 6, Gond en pierre d'un vantail de porte.
132 REVUE BIBMQUE.

Fesjjoir d'en faire monnaie |)ar la suite? Ils sont désormais à l'abri

de mutilation ou de brocantage (fîg. 3 et i).


Ce sont de magoifi jues auges 'en calcaire doux, que les croquis
traduiront suffisamment Leurs couvercles manquent. On a cepen-
1).

dant pu sauver celui d'un autre sarcophage de dimensions analogues


et, d'après les nombreux fragments étudiés dans l'hypogée, leur forme

ne devait pas varier beaucoup. Ce qu'ils offrent de plus caractéristique


est, je crois, la manière dont que'ques-uns au moins étaient assujettis

sur les auges. Au lieu d'un rebord saillant pouvant emboîter les
parois ou s'y insérer, ils étaient munis, sous les angles, de quatre
petites protubérances cylindriques dont l'espacement avait été calculé
pour s'adapter exactement à des onglets réservés dans les angles
intérieurs de l'auge (fig. 4, n" 4, c et n° 5).
Il est clair que la décoration des sarcophages I et II a été régie par
la position qu'ils devaient occuper dans l'hypogée non: toute face
destinée à frapper le regard est demeurée nue, ou présente seulement
de faibles saillies quadr angulaires sur les côtés longs, rondes sur les
petits côtés, mais absolument lisses. On les prendrait d'abord pour
l'épannelage d'un motif ornemental irréalisé; elles doivent cependant
représenter plutôt un élément réservé pendant le dressage ti-ès fin

de ces parois pour prévenir le frottement et protéger les arêtes dans


les manipulations. Le sarcophage III (ûg. k) semblerait, à la vérité,
n'avoir jamais été fini extérieurement, le bandeau et le disque en
léger relief sur la face antérieure suggérant assez la bosse d'une frise
sculpturale; la rosace et le disque très soignés des petits c(Ttés font
peut-être échec à l'hypothèse. Seul le sarcoph?ige lY pourrait, en
effet, n'avoir pas été achevé, bien qu'il garde, lui aussi, la trace assez
évidente d'un ensevelissement.
Le détaille plus décevant est, sans cantredit, le cartouche à queues
d'aronde qui étale comme une provocation narquoise, dans la frise
ornementale du sarcophage I (fig. 3), son champ absolument vide.
Jamais inscription d'aucune sorte ne fut gravée sur cette tablette
superbe. Si des lettrés quelconques y furent tracées au calame, nous
n'avons su en discerner le j)lus minime vestige 2) et ce mutisme ne
laisse pas d'être étrange, alors qu'on afl'ectait de mettre ainsi en

[V] Il n'est évidemment pas question de chercher une intention de symbolisme quelconque

dans les éléments décoratifs de ces sarcophages. Disques, rosaces, couronnes, palmes, etc.,
quelle qu'en puisse être ailleurs la portée en tant ijue symboles funéraires païens, sont
manifestement ici de simples poncifs ornementaux.
(2) Il ne paraît pas non plusque la tablette ait été recouverte par une plaque, métallique
ou autre, ]iortant une inscription.
CHRONIQUE. 133

du pei-soDiiage dont le sépulcre était orné avec une


vedette l'épitaphe
emphatique recherche. Pas un sigle ni une lettre sur les innom-
brables fragments examinés dans les salles funéraires.
À défaut de tout indice épigraphique, c'est donc à l'hypogée
lui-même et aux épa-
ves de son contenu
qu'il faut demander
la suggestion de son
origine. En elle-même
la double caverne sé-
pulcrale est trop par-
faitement banale pour
autoriser la moindre
déduction. La ferme-
ture au moyen d'une
g-rande meule ronde
manœuvrée dans une
coulisse de la paroi
rocheuse évoque beau-
a, romaine; 6, juive; c, coupe d'un autre
coup plus explicite- dans riiypogée de Naplouse 1 -2.
:

ment déjà le système


usuel en mainte sépulture juive à travers la Palestine, aux
premiers
siècles de notre ère. L'ordonnance de la façade construite devant la

tombe adjacente ne serait pas


non plus sans analogie avec
d'autres hypogées des temps
judéo-romains; son délabre-
ment actuel ne permet pour-
tant plus d'y insister. C'est

bien des usages juifs que re-


lève l'accumulation de petits
ossuaires dans une sépulture;
les tessons, les types de lampe
(fig. 5), plus vaguement encore
les minuscules verres irisés
Fig. G. - verres irises. 1 : 2. ( 6) que
fîg- nOUS aVOnS pU
examiner se classent également
à la basse époque juive ou romaine du début de notre ère. Tout cela
pourtant demeurerait beaucoup trop ténu pour qu'on ose risquer une
détermination chronologique, si les grands sarcophages ornementés
ne fournissaient une donnée un peu moins floue.
13i REVUE BIBLIQUE.

Il ne viendra certainement à l'idée de personne d'y voir des pièces


byzantines ou romaines. Le style et la technique de cette décoration,
si ces expressions ne paraissent pas trop grandiloquentes pour d'aussi

modestes pièces, sont trop étroitement apparentés à la décoration


des ossuaires juifs pour ne pas imposer un rapprochement. Diverses
nécropoles juives de Galilée ou du Djaulân, par exemple (1), ont
d'ailleurs fourni des sarcophages plus ou moins comparables à ceux
de Naplouse. Il serait néanmoins, je crois, assez difficile de leur
trouver de plus saisissantes analogies que dans les multiples auges
funéraires de deux hypogées célèbres à Jérusalem celui d'Hélène :

d'Adiabène —
vulgo Tombeau des Rois —
et celui des Hérodes, qui sont
dans toutes les mémoires. A la condition, sans doute, qu'on veuille
bien ne pas demander que ces sarcophages se comparent indivi-
duellement trait pour trait, on y retrouvera les plus strictes analogies
de proportions, d'exécution et de motifs ornementaux (2). Comme
de juste, les artistes de la capitale l'emportent dans l'harmonie de
la composition décorative et la souplesse de quelques formes sur
leurs congénères provinciaux, mais sans les dépasser pour le tour de
main et le fini scrupuleux de certains détails. On remarquera aussi
que les ornemanistes de Naplouse trahissent une inspiration plus
courte, plus de sécheresse dans le Iraitement de leurs sujets.
Tout compte fait, on daterait donc assez volontiers ce groupe
funéraire, tombes et sarcophages, de la période qui comprend le
dernier siècle avant et le premier siècle après le début de notre ère.
Mais une difficulté plus considérable subsiste à qui attribuer ces :

monuments? Les rapprochements institués favoriseraient l'hypothèse


de sépultures juives proprement dites. En faisant état de la conquête
de Sichem par .leao Hyrcan, vers 110 av. J.-C, on songera peut-être
à installer dans la vieille cité samaritaine une communauté juive
dont on recouvrerait ainsi la nécropole. La domination juive à Sichem
fut toutefois d'assez courte durée, et rien n'atteste qu'elle ait été
marquée par une expansion florissante de la culture spécifique des
vainqueurs momentanés. L'hypogée, ou mieux les deux hypogées
qu'on vient de signaler font manifestement partie d'une immense

(1) Cf. ScnuMACHEK, ZDPV., IX, 1886, p. 328 s.; QS., 1887, p. 85 s. A Tibériade et à
Gainala so retrouve l'étrange détail d'un cartouche demeuré vide sur un sarcophage
ornementé.
(2) A noter par exemple, dans le propre sarcophage de la reine d'Adrabène, les disques
lisses en relief qui constituent toute la décoration, les rosaces peut-être prévues n'ayant
pas été sculptées, faute de temps, ainsi qu'on l'exposera en traitant de cet hypogée en
son lieu.
CHRONIQUE. 13b

nécropole développée aux flancs de l'Ébal, face à la montagne sacrée


du Garlziin samaritain. C'est donc aux Samaritains qu'on en fera
honneur de préférence, en abaissant probablement leur date vers le
milieu du i" siècle. Le rig-orisme outrancier de la secte contre tout
ce qui dérivait d'une influence étrangère expliquerait la pauvreté
artistiquede monuments où se trahit pourtant une recherche affectée.
Comme en Judée, la tombe samaritaine aurait groupé les membres
d'un clan ou d'une association ainsi du moins se concevrait le
;

mieux l'accumulation de sarcophages dans ces deux salles funéraires.


Quand le défaut d'espace ne permit plus d'introduire de grandes
cuves, les ossements déjà desséchés que contenaient les anciennes
furent empilés dans les petits ossuaires, pour faire place à des ense-
velissements nouveaux. Il est vivement à souhaiter que d'intelligentes
recherches ultérieures, autour de ces monuments saccagés, mettent
bientôt sous nos yeux quelque hypogée intact qui documenterait
avec une meilleure évidence les antiques sépultures samaritaines.

éveil, nous avons voulu, sur le chemin du retour, faire une halte à
f'I-Blreh, environ 10 kilomètres au N. de Jérusalem, pour constater
dans quel état la guerre aurait laissé l'intéressante ruine de l'église
médiévale. Comme nous arrivions à l'entrée du village, inquiets
de ne plus apercevoir la majestueuse silhouette des hautes absides
émergeant des terrasses, on nous apprit que, bien longtemps avant
tout combat dans cette région, les belles pierres de l'édifice avaient
servi à construire des piles et des arches de ponts sur les routes
militaires créées autour de la localité le reste des matériaux en
;

avait fourni le ballast. Il quelque peine pour venir à


nous fallut
bout de reconnaître le site du monument rasé avec un méticuleux
vandalisme. En vérité, l'œuvre est dig-ne des seigneurs de la guerre
et les officiers du génie turc préposés à cette exploitation sauvage

se sont montrés les distingués émules de leurs amis et maîtres rageuse-


ment acharnés au bombardement des cathédrales françaises. Espé-
rons que la liste de telles prouesses ne devra pas encore être allongée.

Les immigrants Israélites affluent jour à jour à Jérusalem, où les


sabbats, néoménies, anniversaires n;:itionaux reprennent un éclat
inconnu depuis vingt siècles. Déjà les érudits commentent avec
emphase les réalisations prophétiques Sion secouant sa cendre et ses
:

voiles de deuil, dilatant ses anti(jues murailles pour accueillir les


phalanges de ses enfants accourus des quatre vents du ciel. On parle
136 REVUE BIBLIQUE.

d'une transformation en capitale modèle, avec un chiffre de popula-


tion qui fera rougir les moins sobres évaluations d'un Josèphe
dénombrant les victimes du grand siège sous Titus. Ces perspectives
stimulent naturellement le zèle des bâtisseurs, aux abords de la ville

actuelle. Vn de ces entrepreneurs perspicaces s'avisa récemment


d'approvisionner son chantier à peu de frais, en exploitant les vieux
murs et la grande rue à naguère près de la
escaliers découverts
piscine de Siloé (1). Il avait à peine entrepris sa lucrative besogne
que laclniinistration anglaise actuelle y a mis un terme en condam-
nant ce fouilleur indiscret à 50 livres d'amende. A ce taux, il y a
tout lieu d'espérer que les antiquités palestiniennes seront désormais
protégées tant bien que mal contre l'avidité des pillards.

III. ÉPIGRAPHIE SIOMSTF A JKRUSALKJI.

Au lieu de se cantonner dans les pages austères de quelque revue


spéciale, avec le rébarbatif apparat de fac-similés, transcriptions,
gloses dont l'épigraphie de tout le monde ne sait pas se débarrasser,
l'épigraphie sioniste prend possession des journaux quotidiens et
promulgue en aphorismes clairs et concis. Dans un de
ses trouvailles
ses derniers numéros de septembre, la Bourse égyptienne, qui se
publie au Caire et camoufle sous un vocabulaire français une langue
souvent aussi interlope que ses tendances, divulguait une Découvei^te
historique de cette jeune science. Je transcris scrupuleusement tout
le morceau, en supprimant seulement quelques renvois à la ligne.

« Dans les ruines de Jérusalem, on a récemment trouvé un Fragment d'une pierre


verte percée à ses extrémités et portant en hébreu l'inscription suivante : « Halem,
fils d'Adonia et Gir. » Ces trois noms historiques font remonter l'ancienneté de la

pierre à l'époque du retour des Juifs de Babylone sous le règne de « Zoro-Babel ».


Le nom de « Halem » est mentionné dans la prophétie de « Zacharie », page 6, au
passage où il est dit que les Juifs ont offert de l'or et de^ l'argent pour rebâtir le

temple. Les chroniqueurs Israélites des époques les plus reculées, rapportent que
« Halem était fils d'Adonia, l'im des plus grands Juifs de Babylone. Il était venu à
))

Jérusalem pour s'unir à ses frères en Isrdël en vue de la reconstruction du Temple.


Le mot « Gir » ajouté à son nom veut dire « émigré ». En effet, Halem a quitté son
pays natal, la « Babylonie » pour rejoindre les Hébreux à Jérusalem ».

Le canard est assez savoureux pour mériter les honneurs de la


broche. Après quoi, on se gardei^ait bien d'accabler letrop modeste

(1) Fouilles de MM. Bliss et Dickie pour le compte du Pal. Expl. Fitnd; cf. Séjoirné,
RB., 1897, p. 299 ss.
CHRONIQUE. 137

auteur de la sensalioiinelle découverte d'indiscrètes questions sur les


circonstances et le site de sa trouv<iille, sur la physionomie du texte
« hébreu » que portait cette pierre couleur du Prophète. On ne

s'aventurera point à démêler le bafouillage du commentaire. Mais


par cette documentation archéologique improvisée, les savants de la
capitale juive en voie de résurrection ne craignent-ils point de com-
promettre le bon renom de leur naissante Université?

L. H. Vincent, 0. P.
Jérusdlem, G octobre 1919.

IV. — LA BASILIQUE DE GETHSÉMANI.

Par un soleil étincelant et dur, le 17 octobre à 7 h. 1/2 du matin.


Son Éminence le Cardinal Giustini a posé la première pierre de
l'église qui doit s'élever sur les ruines de l'antique basilique de
Gethsémani (1). Le R™' Père Ferd. Diotallevi, Custode de Terre
Sainte a rappelé en quelques mots l'histoire de ce sanctuaire, bâti
au iv" siècle, reconstruit au xi". Par trois fois il a montré dans
l'abside découverte par les fouilles récentes le lieu où .lésus-Christ
dans son agonie a prononcé la prière de l'abandon no)i mea volun- :

tas, sed tua fiât (Le. xxii, 42). Cet auguste souvenir rendait cette

cérémonie émouvante pour des cœurs chrétiens. Le monde catho-


lique voudra s'associer k cette belle œuvre qui reprend les traditions
de l'antique église de Jérusalem. A vrai dire le principal obstacle à
la restauration était moins le mauvais vouloir des Turcs que la
tradition qui s'obstinait à placer dans une grotte voisine l'agonie du
Sauveur. Cette fête était donc quelque peu un succès pour les saines
méthodes d'archéologie; c'était surtout un triomphe pour les Pères
l'ranciscains qui ont conservé à l'Église ce lieu sacré. Exit la grotte
de l'agonie, surgat « ecclesia elegans », « ad radiées montis oliveti »,
« itbi ante passionem Salvator oravit (2) ».

L.

1) Vincent et Arel, Jérusalem, t. II, p. 301-337; le plan. p. 331, cf. RB., 1919, p. 249.

La première pierre a été posée au fond de l'abside, au point où le dessin du P. Vincent


montre un fragment du mur ancien.
(2) Expressions de S. Jérôme et de la pèlerine Ethérie.
RECENSIONS

The Fourth Gospel research and debate. a séries of essays on problems


in
conceroing tlie and value of the anonymous writings attributed to the
origia
apostleJohn, by Benjamin Wisner Bacon, D. D.,LL.D., etc.In-8°de xx-544 pages;
New Haveu. Yale University Press. 1918.

Le titre est long, mais il en dit long, et d'abord il laisse entrevoir ce que l'auteur
explique dans sa préface : le présent livre contient une série d'articles, dont le plus
ancien est de 1894 et le plus récent de 1908, les plus importants ayant paru dans le

Hibbert Journal. Le tout a été revisé augmenté, mais il faut sans doute attribuer
et

à ces origines le ton quelque peu combatif de l'auteur, animé par la chaleur des
controverses.
Sa position à clairement indiquée. Il est aussi nettement opposé qu'on peut
lui est

l'être à attribuerune part quelconque du quatrième évangile à Jean, ûls de Zébédée,


mais il admii;^ l'ouvrage où il reconnaît le plus pur esprit paulinien, et ne saurait
consentir à regarder son auteur comme un faussaire, ni même comme un de ces
fabricants d'ouvrages pseudonymes qui ne se faisaient aucun scrupule, dans l'intérêt
d'une vérité supérieure, de donner pour de l'histoire les fruits de leur imagination.
On voit déjà que la tâche que s'impose M. Bacon est particulièrement délicate, et
si l'authenticité pure et simple a ses difficultés, elles sont certainement moindres
que celles de sa thèse coaipliquée. C'est dire qu'elle n'est point très redoutable aux
« defenders », étant obligée de s'étayer sur une foule d'appuis qu'on ne saurait
estimer très solides. Xous voudrions l'exposer eu peu de mots, et cependant sans la

dénaturer.
Tout d'abord une concession importante. Les temps de Baur sont passés. Personne
ne date l'évangile de la fin du second siècle (vers 170). On ne dispute plus sur son

existence, mais sur son autorité comme écrit apostolique. Encore faut-il s'entendre.
Mettons d'abord de côté le verset xxi, 2.5. simple glose de copiste. Ensuite le chapi-
tre XXI. 1-24, ou l'appendice, écrit assez longtemps après l'évangile par un rédac-
teur (R), qui aurait aussi inséré dans l'évangile quelques additions.
Ces éliminations opérées, pourrons-nous du moins dater l'évatigile primitif.' Bien
des passages semblent reconnaître qu'il existait, dès le début du ii'' siècle, date qui
n'est pas éloignée de celle qu'assignent les critiques conservateurs ou les catho-
liques. Les déclarations du critique, p. 21, p. 62, p. 268 paraissent très nettes. Mais
dans d'autres endroits, p. 88, p. un corps de doctrines, un
1-53. ce qui existe c'est
ensemble de traditions qui préparent l'éclosion de l'évangile. Assurément l'auteur —
a pu prêcher son évangile avant de l'écrire, mais il y a un moment où il l'a écrit, et
c'est sur ce point qu'a i^oulé la controverse durant longtemps. On peut déplacer son
' RECENSIONS. 139

foyer principal, mais on ne peut déclarer l'accord sur le point de l'existence, en se


réservant d'entendre cette existence dans un sens qui n'est pas celui que tout le

monde donne à ce mot.


Supposons donc l'existence réelle de l'évangile t-xx, une cinquantaine d'années
après la mort de Paul (1;. L'ouvrage est anonyme, commç tout le monde en con-
vient, mais, tel que nous le possédons, il contenait certaines allusions qui pouvaient
suggérer un nom d'auteur. Quelques-unes sont évincées comme manquant de clarté
'r, 35-42; XVIII, 1.5-181, d'autres comme étant à la fois peu claires et ayant un
caractère rédactionnel Cxviii, 25-27; xix, 35;. Il reste les trois passages sur le dis-
ciple que Jésus aimait, xiii, 23xix, 25-27; xx, 2. Ces endroits appartiennent à la
ss.;

substance de l'évangile, mais, dans la pensée de Bacon, ce disciple n'était point


ime personne de l'entourage de Jésus: c'était le disciple idéal, formé par la pensée
de Paul, disciple en esprit, qui n'était point cependant une invention de l'imagina-
tion, puisque l'auteur lui prêtait ses propres sentiments!
Anonyme, l'ouvrage avait sans doute de la peine à pénétrer dans les églises. Les
trois lettres johannines furent écrites pour le recommander. D'après la page 190,
elles sont du même auteur ; d'après la p. 268, l'évangile avait eu une longue circula-
tion en Asie avant de recevoir ce supplément. Si l'auteur est le même, pourquoi
aurait-il attendu 2 ? Aussi bien la position n'est pas changée. L'évangile est con-
firmé par une autorité collective : « nous ». c'est-à-dire les fidèles, et en somme des
fidèles qui représentent une église, sinon l'Église, mais ils ne disent pas que l'auteur
ait été un apôtre.
Cependant. l'Apocalypse avait revêtu dès l'an 95 sa forme actuelle. Une apoca-
lypse, écrite à Jérusalem, avait été encadrée dans le prologue aux sept églises et

dans un épilogue. y avait donc eu en Asie un grand Jean. Pourquoi ne serait-ce


Il

pas le fils de Zébédée? Et pourquoi ne serait-il pas aussi l'auteur de l'évangile ano-
nyme? C'est ce que le Rédacteur de l'Appendice (Jo. xxi) admit sans hésiter, et, de
bonne foi, il écrivit le v. 24 pour le suggérer clairement. Toujours fort de son inno-

cence, il fortifia ce sentiment par les additions dont nous avons parlé. L'appendice,
si flatteur pour Pierre, devait assurer la faveur de Pvome à la nouvelle combinaison :

aussi y fut-elle agréée entre les années 160 à 180 et il fut désormais acquis que le

quatrième évangile avec ses additions et son appendice, était l'œuvre de Jean, fils de
Zébédée.
Nous ne saurions exiger qu'un problène littéraire soit toujours résolu simplement,
par oui et par non. Mais une combinaison compliquée n'est pas dispensée d'être vrai-
semblable. La construction de M. Bacon m;inquede vraisemblance. L'auteur pouvait-il
avancer aussi innocemment le témoignage du disciple bien-aimé ? De quel droit par-
lait-il au nom de plusieurs pour confirmer son œuvre.? Où le rédacteur a-t-il pris

l'idée d'assimiler l'évangile à l'Apocalypse.' Avec quelle conscience pouvait-il le rema-


nier afin de lui donner un apôtre comme auteur?
D'autres ne se soucient pas de ces indélicatesses. Mais M. Bacon ne consent pas à

charger la mémoire de l'auteur, il ménage même le rédacteur, et pourtant! Pas-


sons, mais indiquons le point faible de toute cette séi'ie de productions anonymes:
c'est l'oubli total dans une étude sur ces premiers temps de la notion de l'Eglise, ou

même si l'on veut, des églises. Les protestants radicaux ou libéraux paraissent
décidément peu enclins à concevoir l'Église primitive ^autrement que comme un

I D'après la p. 439.

il Ce pourrait être le vieillard inconnu de s. Justin, d'après la p. 20". ^


liO REVUE BIBLIQLE.
public amorphe, abandonné à toutes les surprises. Le quatrième évangile était, du
moins en apparence, tellement différent des autres, qu'il devait rencontrer des résis-
tances. Les lettres johannines derecommandation les supposent dans le système de B.
Mais que recommandation, émanant de l'auteur? et s'il se donnait pour
valait cette
plusieurs, quel groupe représentait-il? Comment un évangile qui avait longtemps
couru sans nom d'auteur, sans aucune prétention à émaner d'un témoin oculaire,
encore moins d'un apôtre, s'est-il fait accepter comme tel à Rome après l'an l-îO,
date appi-oximative de la revision (p. 224)?
Simplement, d'après M. Bacon, parce que l'évangile ne forme pas exception à la
règle !~ 'lus des écrits de ce caractère étaient constamment sujets à une revision
d'éditeur, pour les adapter à une circulation plus large, et spécialement pour les
harmoniser avec des écrits similaires déjà investis d'une autorité quasi canonique (!}.
On voudrait savoir en quoi l'appendice a harmonisé le quatrième évangile avec Marc
ou avec Luc. et l'Iiarmonie avec Matthieu est certes des plus vagues. S'il y avait déjà
des écrits quasi canoniques, il était difflcile d'en admettre d'autres sur le même rang,
et un ouvrage remanié a moins de chances de forcer la porte qu'un ouvrage qui
serait pseudonyme d'emblée. ^L Bacon s'est fait une position dont l'équilibre est
instable. Il a à cœur de prouver l'existence — selon lui prolongée — de l'évangile
sans l'appendice. Il cite comme indice la finale de Marc qui s'inspire de l'évangile
pour l'apparition à Marie-^Iagdeleine^xvI, 9) mais ignore les apparitions en Galilée.
L'argument est à deux tranchants; il suppose que l'évangile était connu, et faisait
autorité; mais il ne prouve pas la non-existence de l'appendice, car la finale ne tient
pas non plus compte de l'apparition en Galilée de Matthieu (xxvin, 16-20).
Assurément les copistes ont plus ou moins remanié les textes, même sacrés, mais
on ne peut pas cependant regarder comme une « règle » des changements aussi pro-
fonds et aussi tendancieux que celui du Rédacteur mettant tout à coup dans la
balance le poids d'une autorité apostolique. Les exemples cités par M. Bacon sont
parfois de pures conjectures critiques, sur lesquelles on ne saurait en appuyer d'au-
tres sans risquer le sort des Combien possédous-nous (d'exem-
châteaux de cartes. «

plaires) du journal incorporé par c Luc « dans les Actes? Combien de l'épitre aux —
Romains sans la lettre de recommandation de Phebé? Combien de l'Apocalypse —
sans le cadre ajouté par son éditeur d'Asie (2)? » —
Réponse aucun, parce que de :

telles éditions ne sont qu'un jeu de la critique. —


M. Bacon ajoute « Combien des :

Loçjia de Matthieu? » Même réponse. Encore « Combien d'exemplaires de Marc


:

sans suppléments?» S'il s'agit du proto-Marc, même réponse-, s'il s'agit de Marc
sans la finale, x.vi, 9 ss., M. Bacon sait très bien qu'il y existe un certain nombre
de rass. qui ne l'ont pas. Il n'y a absolument rien de semblable pour le quatrième
évangile, si ce n'est que xxi, 25 est omis par le grec sinaïtique : que^tion de cri-
tique textuelle sans conséquence pour l'authenticité de l'évangile.
Admirateur de cet admirable ouvrage, ]\L Bacon admettrait sans doute volontiers
qu'il est d'un apôtre si la critique le lui permettait.
Mais elle le lui défend, et d'abord pour une raison qui dispenserait de toutes les
autres. Les deux
fils de Zébédée sont morts à Jérusalem avant l'an 70, non pas
ensemble, car l'épitre aux Galates connaissait encore Jean à Jérusalem après la mort
de Jacques (44 ap. J.-C), mais Jean a été martyr comme son frère, le récit de sa mort
étant même en partie conservé dans celui qu'Hégésippe a consacré à la mort de

fl) p. 203.
;2) P. 212.
RECENSIONS. 141

l'autre Jiicques, Jacques le Juste. Ce dernier point


est, sauf erreur, la contribution de

M. Bacon pour ce système, comme


davoir lu dans Mt. xiv, 28-32 une allusion
aussi
symbolique au martyre de Pierre. Et voilà bien la critique! Elle expulse du champ
de l'histoire un certain nombre de fausses traditions. Pourquoi faut-il que les cri-
tiques en introduisent de nouvelles? Encore un peu, le martyre de Jean sera l'opi-
nion la plus commune, celle de la science. J'en veux à M. Bacon de n'avoir pas cité
tout le texte de Georges Hamartolos. Un seul ms. (Coislinianus) sur vingt-sept, parle
du martyre de Jean, mais, ainsi que tous les autres, il fait de Papias un contempo-
rain de Jean, qui l'aurait connu. a-JTo'-Tr,; ajToj -^fjôiiv/oç. Donc si Jean est mort mar-

tyr, c'est à une date très tardive, et il aurait eu le temps de composer Tév ngUe.
D'autant que Papias ;i) attribuait l'Apocalypse à Jean.
Dans le système de Bacon, que l'encadreur de l'Apocalypse se soit ima-
il faut
giné que Jean, mort martyr avant
70, avait été auparavant à Patmos (2
l'an et .

cependant c'était, d'après Papias. vers la lin du règne de Doraitien! Et si Fauteur de


l'Apocalypse (kix, 10 a conçu un double genre de martyre, celui du sang et celui
de l'attente, n'était-ce pas précisément pour expliquer que Jean avait été martvr,
sans cependant avoir versé son sang?
De toute façon, si Papias a vraiment affirmé
le martyre de Jean, fils de Zébédée,

qu'il aurait système de M. Bacon sur Papias est à refaire. Si ce n'est


connu, tout le

qu'une conclusion exégétique de Papias, nous pouvons la lui laisser pour compte.
Dans les deux cas, Papias ne serait pas décisif contre l'authenticité à supposer que —
nous ne soyons pas en présence d'une confusion des abréviateurs ou des copistes !

Aussi bien M. Bacon recourt à d'autres arguments. Est-il vraisemblable qu'un


pêcheur de Galilée ait écrit l'évangile? peut-il être l'œuvre de Jean, que Paul
compte parmi les apôtres de la circoncision (Gai. ir, 9), alors que l'auteur est 1 •

plus fidèle des pauliniens, si bien qu'on serait tenté de nommer ApoUo, « ce grand
de Paul (3 ».
et loyal disciple

Ce sont bien des choses. Pour ce qui est du paulinisme d'ApolIo et même du
quatrième évangile, il y aurait beaucoup à dire. Il n'y a pas si longtemps que le
gros de la critique libérale croyait à l'échec de Paul dans le monde grec; la transi-
tion, compromise par son aspect juif, aurait été faite par le quatrième évangile, qui
aurait remplacé Paul, plutôt (ju'il ne l'aurait continué. Laissons donc ces critiques
se défendre, et revenons à la personne de Jean. Et assurément, qu'un fils de Zébé-
dée ait écrit l'évangile, c'est un sujet d'étonnement, cela est peu vraisemblable en
soi. Mais en somme l'auteur était Juif, Bacon le dit très haut. C'est là le point vrai-

ment étrange. — Jean n'avait pas de culture. — Il n'en fallait pas tant pour écrire
l'Apocalypse, ni m'me pour écrire l'évangile. Ce n'est point le manifeste d'un philo-
sophe: c'est l'évangile de l'Esprit. Pour l'écrire, il fallait surtout avoir une convic-
tion profonde de la divinité de Jésus. iMais si c'est le réfléchissement d'une grande
lumière, qui pouvait plus qu'un disciple du Sauveur avoir reçu cette impression?
M. Bacon n'a pas omis de noter une différence à laquelle il eût du prêter plus d'at-
tention. L'incarnation de Jésus apparaît à Paul comme un anéantissement, à Jean
comme une manifestation de gloire. Cela peut se concilier, mais cela empêche de
regarder Jean simplement comme un disciple de Paul, si grand qu'il soit. Et dau-

(1) Ecs. H. E., \, 8.


(-2) En propres termes « Il ne s'ensuit pas que l'auteur du prologue et de l'épilogue en 95 de
:

N.-S. n'était pas au courant de la mort en martvr de l'apôtre quelque trente ans plus tôt. »
(P. 176).
(3; P. 28-2.
142 REVUE BIBLIQUE.

tre part, s'il figure parmi les apôtres de la circoncision dans l'épître aux Galates,

c'est qu'alors il est à Jérusalem, où il n'y avait guère d'autre apostolat.

Le distingué critique objecte encore le silence des anciens auteurs. Qu'ils aient fait

allusion, depuis le début du second siècle et en Asie seulement à un écrit ou à un


corps de doctrine qui sera l'évangile, il le concède: mais personne ne parle d'auto-
rité apostolique; l'évaniiile d'un apôtre aurait dû faire plus de bruit. Il constate

cependant que l'évangile de Marc, le premier, celui de Rome, n'était guère en


vo^^ue (1). Il est vrai que c'est l'œuvre d'un disciple, mais on savait qu'il reprodui-
sait la catéchèse de Pierre. Celui qui régnait, c'était Matthieu. Et sans doute c'est
parce qu'on l'attribuait à un apôtre, et M. Bacon veut nous dire qu'un autre apôtre
auraitdû avoir le même succès. Mais voilà encore un argument qui pourrait bien se
tourner contre lui. Caria place était prise. Jean s'écartait beaucoup de Matthieu. Il
avait à faire ses preuves. Aurait-il prévalu s'il ne les avait faites?

Et le silence est -il bien le faitde Papias, comme Bacon le soutient assez longue

ment.' Il lui faut changer le texte, oî -ou Kucîoj [jiaGrjat à propos d'Aristion et du
presbytre Jean en oî pour retarder l'époque où
-tout'ov aa9r,Ta'; a fleuri cet ancien.

E^ cependant il avait interrogé les filles du diacre Philippe,


et s'il a parlé d'une

personne qui a vécu jusqu'à Hadrien, io>; 'Aocixvoj, de quel droit l'entendre de la fin
plutôt que du commencement du règne (117-138;? Si l'on retarde la date dePapiaf,
il n'en est que plus étonnant qu'il n'ait pas parlé de l'évangile, ayant nommé Jean à

propos de l'Apocalvpse et cité la première épître. Suppose-ton qu'il attribuait le

quatrième évangile à un autre qu'au fils de Zébédée? C'est dans ce cas que le

silence d'Eusèbe serait étonnant! Dans le cas contraire il est naturel qu'Eusèbe ne
l'ait cité que pour les cas discutés. Encore est-il qu'Eusèbe nous a fait connaître son
apologie de Marc et de Matthieu. Au nom de qui les attaquait-on? Ce n'est pas à
cause de Luc, lequel suit l'ordre de Marc. Ce ne peut être qu'au nom du quatrième
évanoile. Et l'apologie de Papias n'est guère qu'une excuse. 11 préférait donc l'ordre
de cet autre, il lui attribuait donc une autorité décisive. On regrette que 31. Bacon
n'ait pas examiné ce point.
Quanta distinguer deux Jean dans le texte de Papias, nous ne saurions lui en faire
un reproche, ayant toujours défendu l'exégèse d'Eusèbe. Le fait ne donne pas la
moindre probabilité à l'hypothèse de Harnack, qui attribue l'évangile au presbytre
Jean. M. Bacon est un esprit vigoureux et original. Il a vis-à-vis des. opinions cou-
rantes dans les universités allemandes la même indépeiidance qu'envers la tradi-
tion. Aussi ne s'est-il pas laissé prendre à cette fantaisie. L'évangile était attribué au
disciple bien-aimé, à un apôtre privilégié, où l'on reconnaissait Jean, mais le fils de
Zébédée, et si ce n'était pas lui qui l'avait écrit, on le lui aurait attribué de la même
façon, que l'auteur véritable s'appelât Pierre, Paul ou Jean. L'important était de
faire passer la chose, ce que nous ne croyons pas possible, mais la première précau-
tion devait être de ne pas mettre en avant un autre auteur, portàt-il le même nom.
M. Bacon ne s'est pas dérobé à la tâche de discuter les arguments positifs des
défenseurs. Au témoignage d'Irénée. Mais,
premier rang est le croirait-on?
le — —
il y a ici du nouveau.
D'ordinaire les assaillants font remarquer combien peu on
doit se fier à Irénée, alléguant la tradition des Anciens pour donner près de 50 ans
à N.-S. Mais précisément, d'après M. Bacon, c'est l'ancienne tradition. Luc a tout
brouillé. Plaçant la naissance de Jésus au temps du recensement de Quirinius,lequel
n'a été gouverneur de Syrie que de 3 à 2 av. J.-C, il devait lui donner trente ans en

(l.i p. 97. Mark /-S aeldom used—


RECENSIONS. 143

l'ail 28. En cela il lançait la tradition sur une fausse piste, car Jésus avait quelque
quarante ans quand il coraraença à enseigner. Ainsi Luc, auquel Bacon donne rai-

son contre Josèphe sur recensement de Quirinius, est sacrifié au moment où sa


le

bonne information ne devrait plus être douteuse pour personne. Mais Irénée n'y
gagne rien, parce qu'il a harmonisé audacieusement en donnant vingt ans à la vie
publique. M. Bacon y tient, et le répète trois ou quatre fois. Et cependant ce n'est
certainement pas la pensée d"Irénée {Haer. If, wii, .5), car son texte, assurément
obscur, insiste cependant surtout sur ce que Jésus n'a enseigné qu'à l'âge parfait,
ayant au moins quarante ans. Et Jean n'y gagne rien non plus, car les 46 ans du
temple (Jo. ii. 20} qui doivent être entendus de Jésus aussi, au début de son ministère
qui a duré trois ans environ, lui assurent l'âge de 49 ans (cf. Jo. viii, 57; au mo-
ment de sa mort, un chiffre jubilaire, et par conséquent allégorique, qui n'a rien de
commun avec l'attestation d'un témoin oculaire.
C'est d'ailleurs de cette façon que B. se débarrasse des text-es qui paraissent si
précis. D'autres diraient peut-être allégorie pure, mince souci de la vérité. Mais il
ne veut pas sacrifier son incomparable paulinien. C'était l'homme de l'Esprit, mais
aussi de l'apologie; il a dû comprendre, il a compris qu'affectant de s'appuyer sur
des faits miraculeux, il eût été de mauvais goût de les inviter lui-même. D'après
certains endroits de Bacon (1), on croirait qu'il va concéder à l'évangile quelque
chose de Mais l'allégorie pénètre partout et non pas seulement dans la
l'histoire.

disposition, si bien que l'on ne sait plus à quoi s'en tenir. Voici le cas le plus
notable. Les « défenseurs » font lionneur à Jean d'avoir suggéré le 14 Nisan comme le
jour de la crucifixion et de la mort de Jésus. C'est bien conforme aux faits. Mais il
ne convient pas d'y voir l'affirmation d'un témoin ou d'un historien, /^'auteur défen-
dait la théorie paulinienne de son église la Pàque c'est la mort de Jésus, tandis que,
:

d'après les synoptiques, l'Eucharistie remplace la Pàque (2). Aussi a-t-il été logique
en reportant l'Eucharistie à la multiplication des pains. C'était une erreur histo-
rique,mais une vérité spirituelle, car en instituant l'Eucharistie, Jésus avait voulu
qu'on se souvienne de sa bonté, si souvent répandue sur les siens, avant le don de
sa vie.
Avouez, lecteur candide, que vous commencez à ne plus comprendre.
Et enfin cette psychologie subtile, raffinée, paradoxale, qui
doit peut-être beau-
coup à M. Loisy, lequel en tout cas développée avec des nuances plus délicates,
l'a

cette psychologie ne rend pas compte des précisions topographiques. Si la vérité


spirituelle prenait trop de4ibertés avec la géographie, on s'en apercevrait, et il faut
convenir que celle de l'évangile est irréprochable. Donc l'auteur connaissait les
lieux.
M. Bacon ne le nie pas. Mais ne pouvait-on les visiter cent ans après? Sauf Bétha-
nie au delà du Jourdain (i, 28) toute la topographie de l'évangile est sur la route
des pèlerinages. Il faut donc simplement conclure que le Paulinien de l'esprit était
en même temps pèlerin antiquaire (pilgrim antiquary) dont le point de départ était
Jérusalem 3). Quant à Béthanie au delà du Jourdain, M. Bacon s'en débarrasse.
Ce serait une combinaison érudite d'après Luc (x, .38-42) qui connaissait Marthe et
Marie. Mais Luc du moins n'est pas un archéologue pèlerin, et rien absolument ne
prouve qu'il a mis délibérément le village des deux sœurs au delà du Jourdain.

(1) p. •aTS He would resent llie idea that lie


: im.ls in the smillest iota...
[i) La cène des synoptiques serait seulement le qiddouch: Com. de Me. p. .'îS.'j s., oi'i je cruis
avoir montré que c'est un trompe-l'œil. "
(3) P. 389.
.

144 REVLE BIBLIQUE.

Quant au Béthanie de Jo. i, 28, M. Bacon — s'il lui arrive jaiuaii d'ouvrir un
ouvrage français en dehors de ceux de M. Loisy pourra se rendre compte qu'il —
n'est point mal placé par le R. P. Féderlin à Tell Medech.
Mais évidemment M. Bacon a peu de goût pour ces détails. Il songe surtout à la
portée doctrinale de l'évangile, qu'il croit avoir sauvegardée. Lui aussi est un
« defender », à sa manière. Car Fauteur tout en se donnant l'apparence de témoin,
était pleinement de bonne foi : « La vraie loyauté envers Paul et le quatrième évan-
géliste exige que nous appliquions les catégories de la philosophie et de la psycholo-
gie modernes à la vie du grand Aîné. —
oui et à celle de son plus humble disciple.
— aussi bien et sans plus de crainte que Paul et le quatrième évangéiiste ont appliqué
la doctrine du Logos d'Éphèse et Alexandrie )> (1). Ce qu'ils ont nommé incarnation
n'était qu'une tentative « d'interpréter la signification éternelle de ce suprême
exemple de la vie de l'homme en Dieu, de la vie de Dieu dans Ihomme (2)... »

Alors dites donc clairement qu'ils se sont trompés, ne dites pas qu' « il est tou-
jours possible de présenter la Christologie du quatrième évangile comme le témoi-
gnage personnel de Jésus à lui-même (3) ». Cela n'est vrai, dans votre pensée, ni
historiquement, ni spirituellement. Et si Paul et Jean se sont trompés, eux qui ont
vu plus clair que le brave Marc, si Jésus lui-même s'est trompé à ce points c'est à

peine si vous avez le droit de nommer Jésus le Grand frère Aîné. Vous direz que
nous ne comprenons pas. Mais nous n'acceptons pas de renoncer à tout le labeur de
pas abouti à Hegel, et nous tenons à classer ce palhos parmi les
la raison, lequel n'a
articles démodés -1).

Fr. M.-J. Lagraxge.

Jérusalem.

(1) P. 535.
(-2) P. 536.
'
(3) P. 535.
(4; P. 290, une faute de grec : Upo; toù; yç-iiri-jz... Lisez Ta; -/pï:».; Ers. H. E.. \u. ,30, i;.
BULLETIN

Nouveau Testament. —
M. Henry J. Cadbury a soutenu, en lOlo, une thèse
de doctorat on philosophie à l'université d'Harvard sur le style et la méthode litté-
raire de saint Luc. La première partie de cette étude a paru sous ce titre The diction :

of LuJie and Acts T. Elle comprend deux sections bien distinctes une sorte d'in- :

ventaire du vocabulaire de Luc. Évangile et Actes, et un examen du prétendu style


médical de Luc. Renvoyant sans doute à la seconde partie de sa thèse lacompa-
raison de Luc avec les auteurs du X. T., d'ailleurs souvent étudiée déjà, M. Cad-
bury le confronte plutôt avec les écrivains atticistes depuis Denys d'Halicarnasse
jusqu'au second Philostrate. C'est dire qu'il a pris pour base de son travail le livre

de W. Schmid, der Atticismus [2 . Suivant de très près la méthode du savant alle-


mand, M. Cadbury ne tient compte que des mots qui ont une certaine allure
les distinguant du gros des mots employés toujours et par tout le monde. Ils sont

divisés en cinq classes Mots employés par tous les Attiques ou par quelques-uns
:

d'entre eux: mots trouvés seulement ou principalement dans un écrivain en prose


avant Aristote; mots poétiques qui n'appartiennent pas à la prose attique; mots qui
appartiennent à la prose plus récente, y compris Aristote: mots qui paraissent pour
la première fois dans l'auteur étudié, ici Luc. L'auteur se devait d'ajouter aux listes

de Schmid des détails complémentaires, tirés des inscriptions et des papyrus. Mais
il a borné son enquête aux mots allant de a à s. Le résultat est de constater le
nombre des mots de Luc dans chaque classe, soit 137. 27, 87, 202 et 22. Comme il

fallait s'y attendre, Luc écrivait surtout la langue de son temps, mais la proportion
des termes attiques est assez forte. Elle serait de 29 p. 100 tandis qu'Aristide a le
maximum avec 52 p. ICO et Elien le minimum avec 2-5 p. 100. Les autres sont Dion
Chrysostome, 47 p. 100, Lucien, 29 p. 100. Philostrate le jeune, 33 p. 100. Eu
revanche, Luc emploierait 42 p. 100 de mots de la langue qui commence avec
Aristote, presque le double d'Élien qui a le chiffre le moins élevé, 23 p. 100.
M. Cadbury emploie la même méthode à la question toujours disputée du style

I) Harvard tlieologîcal studies vi. The style and literary method <jf Luke, I, The diction of
Luke aud Acts. by Henry J. Cadbury, associate professer of biblical literalure and of Creek.
Haverford Collège, In-S" de 72 pp. Cambridge, Harvard Universitv Press. 1019.
(2; StuUgart, 1887.
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 10
146 REVUE BIBLIQUE.

médical de Luc. Personne ne l'a reprise à fond depuis l'ouvrage si distingué de


Hobart, en 1882. Et M. Cadbury ne mare magnum des
s'est pas engagé dans le

médecins grecs, pas plus que Harnack et Zahn qui se sont contentés de faire un
choi.v dans la mine surabondante du savant anglais. Encore est-il que Harnack,
dans son étude célèbre, Lnhas der Arzt (1), avait argumenté des textes, el l'on
ne saurait regarder comme un progrès le procédé un peu trop mécanique de
]\I. Cadbury qui se contente d'une statistique des mots mots qui ont un sens :

général, mots de médecine, mots ordinaires employés dans un sens médical,


expressions composées. Le jeu consiste à retrouver chacun de ces mots dans des
auteurs qui ne devaient rien aux médecins, surtout les Septante ou Josèphe, Plu-
tarque ou Lucien, et cela est toujours possible. Les mots ainsi isolés n'ont plus
d'âme. D'autant que les médecins grecs n'employaient pas comme nos médecins
modernes des termes techniques, ordinairement empruntés aux langues anciennes,
surtout et presque uniquement au grec. Ils écrivaient la langue de tout le monde
et s'efforçaient d'être clairs. C'est une excellente remarque des éditeurs de la
thèse, MM. S. Moore, J. H. Ropes. Kirsoppe Lake. Mais il en résulte qu'il faut
surtout s'attacher en pareille matière à la physionomie des événements racontés,
comme avait fait Harnack, et que les expressions coordonnées ont une valeur très
sérieuse. Lorsque Luc emploie pour une blessure Ihuile et le vin combinés, il ne
sert de rien de trouver dans les LXX et Plut. « répandre de l'huile ». Le terme
à-ÉTwsaav Aî-Riz garde un cachet spécial, quoiqu'on trouve kzor.'.n-:''} dans certains

endroits et "/.t-îz dans d'autres. Il y a d'ailleurs d'excellentes remarques de détail.


Le recenseur avait déjà noté que si l'enfant de Me. ix, 14-29 est un épileptique, le
mal est décrit par Marc d'uoe façon beaucoup plus saisissante que par Luc ix,
37-431. Mais cela prouve seulement que Luc n'a pas voulu étaler ses connaissances,
qui semblent bien percer comme malgré lui. M. Cadbury pense au contraire que le

prétendu style médical du troisième évangile et des Actes [ne peut pas servir à
prouver qu'ils ont été écrits par Luc, le cher médecin dont parle Paul, ni même à
confirmer la tradition. Nous contestons ce dernier point, parce que la réponse de
M. Cadbury n'est pas adéquate aux arguments positifs allégués. Il a cherché à la
fortifier en faisant sur quelques traités de Lucien une sorte de contre-épreuve.
Lucien aurait employé autant de termes de médecine que Luc. Mais pour le

prouver il faut ajouter beaucoup d'importance à des qualifications de Hobart re-


connues depuis comme inefficaces. Et il fallait bien que Lucien connût les méde-
cins afin de pouvoir se moquer d'eux. Sa culture était universelle, et il a pu

connaître la médecine sans l'avoir jamais pratiquée. Peut-on en dire autant de


Luc? Si seulement il avait aussi bien connu les écrits des médecins que Lucien, il

faudrait supposer raisonnablement qu'il avait fait sa médecine, car il ne fait

nullement la figure A tout le moins le style des écrits qui sont


d'un encyclopédiste.
un médecin est-il en parfaite harmonie avec ce dire, ce
attribués par la tradition à
qui doit bien être regardé comme une confirmation. D'ailleurs M. Cadbury a trop
de bon sens pour ne pas rejeter la thèse opposée de Clemen qu'un médecin :

n'aurait jamais écrit ces ouvrages '2) !

La seconde partie de la thèse de M. Cadbury, qui promet d'être encore plus

(1) Leipzig, i906.


(2) p. 7-2. Au lieu de 32 ajv dans les Actes, lire 52. Parmi les expressions
employées pour la
première fois par Le. on eût pu ranger «?:i-voo. danâ le sens de « s'endormir . au lieu
de • s'éveiller ».
BULLETIN. 147

intéressante traitera de la comparaison de Luc avec ses sources du point de vue


littéraire.

M. l'abbé Pirot vient de publier un petit volume déjà presque prêt en août 1914
sur Les Actes des Apôtres et la Commission biblique (l). L'introduction traite de la
Commission biblique. Viennent ensuite quatre chapitres L'authenticité des Actes des
:

Apôtres; L'unité Uttéraire des Actes des Apôtres; La date des Actes des Apôtres;
La valeur historique des Actes des Apôtres.
L'étude sur les Actes est bien au point, répondant aux objections soulevées par la
critique, et résolues dans le sens le plus conservateur par M. Harnack. Peut-être
s'est-on un peu grisé, parmi nous, de ce concours inattendu. M. Pirot a très bien
compris que le critique allemand demeure irréductible sur le point du surnaturel. Sa
démonstration d'authenticité ne laisse rien à désirer. L'auteur est très au courant de
la littérature et ne se contente pas aisément il lui faut de bonoes raisons. Aussi est-il
;

trop modeste lorsqu'il ne veut comme lecteurs que les prêtres adonnés au minis-
tère il pourra être fort utile aux maîtres eux-mêmes.
;

Cela dit, la Revue aurait été bien changée par la guerre, si elle ne signalait plu-
tôt les divergences que les points d'accord, puisque c"est là servir le public, et.
comme on espère toujours, la vérité. M. Pirot veut « mettre en lumière toute la
vérité historique et toute la rigoureuse précision » (p. 201 du verset relatif au recen-
sement de Ouirinius. Il prouve contre Zahn qu'il y a eu deux recensements et que
Ouirinius a été deux fois gouverneur de Syrie. Mais si le premier recensement a eu
lieu vers l'an 10 av. J.-C, quel âge avait Jésus lors de son baptême? On tombe de
Charybde en Scylla.
Sur le récit de la mort de Judas (Act. i, 18-19). il faut être de bonne composition
pour admettre l'harmonisation proposée avec Mt. xvii, 3-11.
On ne peut vraiment pas dire que la double recension des Actes, telle que l'a
conçue Blass, est « un fait généralement admis » (p. 215 note autrement il faudrait ;

désespérer du progrès des études.


A propos du Dieu inconnu. D'après M. Pirot, Norden a « laissé dans l'ombre... le
fait de savoir si rinscription d'Athènes était au singulier ou si elle était au pluriel »

;p. 166,\ Cependant il lui a consacré dix pages, tout un paragraphe, sous la rubrique

appropriée « les dieux inconnus et le dieu inconnu »


: en grec). S. Jérôme nous a
fourni la formule Dits Asiac et Earopae et Africne, diis ignotis et peregrinis, avec
une bonne solution pour expliquer la légère modification que Paul s'est cru per-
mise (2). A ce texte, M. Pirot oppose le singulier Q-m àyvoja-w xai Çévw, dans
Euthalius v*^ s., Théophylacte vii"^ s. (sic:, et Œcuménius. ;x^« s.). Mais on sait
aujourd'hui que le te.xte d'Euthalius publié par Zaccagni, reproduit dans Migne
P. G., LXXXV renferme des éléments bien postérieurs, parmi lesquels figure
certainement ce passage : « Inscription de l'autel à Athènes, etc.. Luc nous le

raconte dans les Actes des Apôtres » col. 692). Dans Migne ce scholion est placé
après le sommaire des épitres catholiques ; dans un autre ms. il
est ailleurs. C'est

une addition qu'on retrouve, il est vrai, dans le commentaire dit d'Œcuraénius qui
est à peu près le même que celui de Théophylacte (xr-xtt'^ s.). Et de toute façon la
leçon conforme aux Actes ne peut être qu'une correction du texte divergent de
s. Jérôme. M. Pirot cite encore Lucien au iv s., mais le dialogue Philopatris est une

I) X-53Î pp. Beauchesne, Paris, i;»!'.».

2) RB., l'JH, p. ii-2-'é't8.


148 REVUE BIBLIQUE.

composition des temps byzantins. Isidore de Péluse cite deux explications données
de son temps du fait des Actes, mais en tablant seulement sur ce fait. Quant à
Amen, le dieu inconnu, c'est encore plus fort! En 333 av. J.-C, il y avait à
Athènes un temple, et non un autel dédié à Ammon. Nous l'apprenons par une
inscription ^'i^, et rien de plus. De ce que le dieu égyptien Amen était un dieu d'une
nature obscure et mystérieuse, il ne s'ensuit pas que les Athéniens l'aient adoré eu
écrivant sur un autel « au Dieu inconnu » ! Car Ammon leur était aussi connu que
les autres dieux de l'Egypte. Et si par impossible cet autel avait existé, les auditeurs
de Paul auraient dû conclure : « qu'il n'avait rien compris quant au sens de l'ins-

cription qu'ils entendaient mieux que lui », c'est du moins ce que dit dom
Leclercq Vraiment M. Pirot n'aurait pas dû prendre la responsabilité de ce jeu
(2)!

de mots égypto-grec, qui tourne au badinage,


Nous n'avons pas encore dit que la substance du beau livre de M. Pirot avait
figuré déjà dans VAml du Clergé, sous la forme de Chroniques. C'est, en effet,
M. Pirot, docteur en Écriture Sainte et professeur au grand séminaire de Bourges,
qui rédige ces chroniques si remarquées et si remarquables par leur information,
leur ton courtois et l'impartiale objectivité des jugements. C'est une très bonne note
qu'elles soient peut-être, par leur caractère presque technique, au-dessus de ce qu'on
offre d'ordinaire au grand public. Il serait très a désirer que le clergé prît contact
avec les études bibliques autrement que par des comptes rendus qui distribuent la

bénédiction et la malédiction, comme sur le Garizim et l'Ébal, sans motiver exacte-


ment leur verdict.

L'ouvrage de M. Prosper Alfaric sur les Écritures manichéennes (3) se recom-

mande par la clarté de l'exposition et la distribution méthodique des matières.


Une première partie consacrée à la constitution de cette littérature en étudie
Les attaches gnosliques du fondateur de la secte
l'origine, le caractère et l'histoire.
expliquent la parenté de son système avec ceux des Sabéens. des Ophites, des
Sethites. de Basilide, de Marcion. Bien que le canon des INIanichéens ait subi des
variations, il est aisé de retracer leurs croyances communes, d'établir leur onto-
logie, leur cosmologie, leur morale, leur concept de l'histoire. On serait sans doute

plus complètement informé sur cette théologie si leurs ouvrages étaient parvenus
intacts jusquà nous. Mais la prohibition et la destruction acharnées dont ils furent
l'objet de la part soit des empereurs romains stimulés par les philosophes et les
évêques, soit des monarques sassanides ou des califes abbassides, ont réduit de
beaucoup la série des productions manichéennes. L'historien doit donc se borner
à faire fond sur quelques restes échappés à la ruine, sur les informations assez
nombreuses des controversistes chrétiens et les formules d'abjuration qui détaillent
les erreurs de la secte, sur les auteurs persans et arabes qui ont combattu le
manichéisme au nom de l'Islam. Pour contrôler leurs renseignements on possède
maintenant les manuscrits trouvés dans le ïurkestan chinois où jadis le mani-
chéisme fut très florissant, notamment à Tourfan et dans les grottes de Touen
houang devenues célèbres depuis les découvertes de la mission Pelliot en 1908.
Dans sa seconde partie, M. Alfaric passe en revue les Ecritures manichéennes,

(1) Ditte:<bergeii, Syll. 380,


(2) Dictionn. cfArch. etc., I, col. 3048.
(3) I. Vue générale, in-S' de Ill-lo't pp. II. Étude analytique, in-S" de 240 pp. Paris, Rourry,
1918.
BULLETIN. 149

essayant de délimiter celles qui sont rœuvre de Mani et celles qui viennent de ses
disciples, puis les Écritures canoniques ou apocryphes des Juifs et des chrétiens.

les ouvrages des philosophes païens, mazdéens et bouddhiques,


helléniques,
adoptés par la secte à côté des écrits proprement manichéens parce qu'elles mon-
traient dans leurs grandes lignes le même esprit et les mêmes tendances. L'hos-
tilité que Mani et ses partisans partageaient avec les Gnostiques à l'égard de la

Bible hébraïque eut pour conséquence une sympathie marquée pour les apoca-
lypses mises sous les noms d'Adam, de Seth, d'Hénoch, de Xoé, de Sem, etc.
Certaines légendes qui ont pénétré dans la tradition populaire catholique en
dépit des avertissements de certains docteurs, telles que l'ensevelissement d'Adam
au centre de la terre et la retraite de Melchisédech sur le Thabor, appartiennent à
cette littérature. Mais la vigilance des apologistes réussit à circonscrire la propa-
gation des erreurs fondamentales du système dualiste qui, traqué de toutes parts,
« Si une lecture superficielle des
devait s'éteindre aux confins de l'Extrême-Orient.
textesmanichéens pouvait en favoriser la diffusion, une étude approfondie de leur
contenu devait soulever contre eu.x une opposition grandissante. Et la réaction
allait être d'autant plus rapide et plus vive que le succès s'était affirmé plus
prompt et plus durable. »

Peuples voisins. — FomUàions crêloises sur le lUtoral ér/i/plo-si/rien. On


estimait communément que l'ilot de Pharos avait été transformé par des ouvrages
maritimes et relié au littoral seulement à l'époque où Alexandre, rééditant sur la

côte égyptienne ce qu'il avait inauguré à Tyr, fondait un grand port pour sa jeune
cité d'Alexandrie. Les splendides recherches de M. l'ingénieur G. Jondet I) ont
révélé tout l'aménagement d'un port immense, depuis longtemps submergé à
l'époque hellénistique. Le mémoire que M. R. Weill (2) consacre à définir l'origine
et la date de ces travaux donne à la découverte de M. Jondet une remarquable
portée historique.
L'ensemble de cette installation, observe M. W., « onfond l'esprit de l'ingénieur
et de l'historien, tant par la hardiesse et l'habileté de la conception que par
l'exécution imperturbable de ces travaux d'une formidable étendue. Tout cela
suppose, outre beaucoup de puissance et de richesse, une organisation navale
exigeante et une grande expérience des travaux maritimes (3^ », et ce n'est point le

fait de l'ancienne Egypte. La marine « était importante, à coup siir, elle connais-
sait la mer et la tenait bien...., mais en Egypte même
elle n'avait point de stations

organisées sur la côte extérieure donc une puissance étrangère


» (p. 17 s.). C'est
qui aura réalisé cette création, non point pour l'Egypte, ni contre TÉgypte, mais à
côté d'elle et dans un but commercial. Ce port primitif de Pharos est dès lors à
concevoir comme un puissant comptoir indépendant, installé par des étrangers sur
le littoral égyptien, à l'instar des concessions continentales accordées à des immi-
grants sur les marches extérieures de l'empire, ainsi que l'histoire biblique des
frères de Joseph et divers documents égyptiens en attestent l'usage. Quelle que
soit la cause de la submersion de ces ouvrages, affaissement lent du continent ou

(l'i Les ports submergés de l'ancienne ile de Pharos, t. IX, 1916, des Mémoires de l'Institut
égyptien.
(2) Les ports antéhellé niques de la côte d'Alexandrie et l'empire- Cretois, dans le Bulletin de
l'Institut français d'archéol. orientale, t. XVI, 1919.
(3) Weii.l, op. l., p. 8 du Ur. à part; cl'. 18, 2-2.
150 REVUE BIBLIQUE.

surélévation du niveau marin, — M. Weill. qui analyse avec soin la double hypo-
thèse, n'adopte aucun parti, — la nécessité s'impose de la reporter assez haut pour
que le souvenir même ait pu s'entemps d'Alexandre.
effacer dès le
D'autre part, si l'installation antique de Pharos est impressionnante par son
ampleur, elle n'est pas unique. M. Weill fait ressortir à bon droit combien
certaines anses du littoral syrien, Rouad, Sidon. Tyr surtout offrent d'analogie
dans leur conception et leur aménagement. Des recherches telles que les a prati-
quées M. Jondet à Alexandrie, rendraient probablement sur chacun de ces points
un port antique aménagé sur le type des ports de Pharos. D'où la conclusion que
ces ports sont l'œuvre d'une thalassocratie particulièrement puissante dans la Médi-
terranée orientale, et l'on a aussitôt en mémoire l'empire crétois (1 . i^^apogée de
de la splendeur crétoise, par conséquent de son expansion la plus vraisemblable,
se C'est l'époque des Pharaons obscurs
place entre 20C(kl.500 avant notre ère.
qiïrse sont succédé entre la XIP
XVIII« dynastie et l'on conçoit sans peine
et la
qu'un de ces potentats n'ait vu aucun inconvénient à concéder aux navigateurs et
aux marchands crétois l'aménagement d'un comptoir sur le rocher de Pharos. S'
des recherches ultérieures démontraient la parenté probable entre les instalIation>
des côtes syrienne, cilicienne, ionique et grande installation du Delta, on pour-
la
rait se demander jusqu'à quel point tous ces ouvrages seraient réellement crétois et
si quelque antique monarque carien jusqu'ici inconnu ne supplantera pas un jour

le « Minos » de Cnossos. Pour l'heure, notre information historique n'autorise pas à

abandonner le terrain déjà ferme que l'archéoloaie égyptienne et crétoise ont


fourni. La Crète, on le voit, rentre ainsi de plus en plus dans l'horizon biblique. Si
dès le début du second millénaire avant notre ère, les barques de ces intrépides
marins cabotaient sur le littoral de Canaan, il devient parfaitement intelligible que
les fouilles révèlent en cette contrée la trace évidente de leur culture (2;. Il faut
apparemment, dès aujourd'hui, nuancer dans cette perspective ce que le P. Abel
exposait naguère comme les « raisons d'être des ports palestiniens », peut-être
même faire honneur aux Crétois de la part prépondérante qu'il attribuait « aux
Phéniciens dans les installations commerciales et industrielles de la Palestine 3} ».

Mais de toute façon cette origine explique pourquoi la plupart des villes quelque
peu importantes et antiques du littoral comportent une double agglomération conti-
nentale et maritime. Suivant l'importance et la qualité du havre naturel, celle-ci a

pu précéder et déterminer celle-là. Il se peut que Gaza, je suppose, ou Ascalon.


villes continentales, aient attiré dans les anses les plus voisines les navires des
commerçants crétois: mais on concevrait aussi que l'excellence d'un mouillage,
comme l'estuaire du nahr Roubîn par exemple, ayant d'abord attiré les caboteurs
étrangers, soit la véritable origine d'un comptoir commercial qui aurait provoqué
l'agglomération de l'intérieur. Souhaitons que le littoral palestino-syrien trouve
bientôt des explorateurs aussi compétents et aussi dévoués que M. l'ingénieur
G. Jondet en Egypte.

iVon loin du célèbre village néolithique de Hal-Saflieui. sur une petite érainence
dans le plateau qui domine le port de La Valette. M. le prof. Zammit a commencé
l'exploration d'un curieux monument mégalithique. Son compte rendu préliminaire

(1 cf. LAGr.A.NGE, La Crète ancienne, p. i-2A ss.


(2) Cf. VixcEM, Canaan, p. 340 n., 348, 460. Il y aura lieu de fournir plus iar<l de nouvelle-
précisions à ce sujet.
(3) AhT.u Le littoral palestinien et ses ports; RB., 1014, pp. 5Ȕl ss.,
j"" ss.
ULF.LETLN. loi

le désigne coniaie le « temple néolithique de HalTarxien ». du nom de l'agglomé-


ration moderne la plus rapprochée 1\ Il reproduit un type que de nombreuses
découvertes, Hagiar Kim, Mnaïdra, Bengemma. Corradino, Xewkiya, la Gigan-
téïa, d'autres encore, ont rendu familier à Malte et dans la petite île voisine de
Gozzo : série de chambres elliptiques, groupées par paires le long d'un passage

central .2j. C'est le même procédé de structure en grosses dalles plus ou moins frustes
dressées côte à côte et calées par un solide cailloutis (3); on y retrouve les mêmes
cloisons isolant les conques absidales du passade médian pavé avec assez de soin. M
le puits ni le bassin ne font défaut, pas plus que les niches, précédées clairement ici

de leur autel demeuré en place. Trois paires d'absides sont actuellement connues,
avec une seule entrée au sud. Dès qu'il avait franchi cette porte, le visiteur ne
pouvait manquer d'être impressionné par la majesté du lieu. Devant lui. au fond
du couloir soudainement rétréci, se dressait une niche constituée par l'assemblage
de six dalles massives, la dalle antérieure étant largement échancrée au milieu en
ouverture quadrangulaire. En avant de la niche un grand bloc de pierre, orné sur
le devant et sur les petits côtés d'une double frise de spirales, évoque d'autant plus
spontanément l'idée d'un autel qu'il dissimule en sou centre une cassette où ont
été trouvés divers débris sacrificiels mêlés à quelques tessons et à des instruments
de silex, parmi lesquels une très belle lame pourrait bien avoir été le propre
couteau rituel. La cassette, qui s'ouvre sur la face antérieure de l'autel, était
obturée par un cône de pierre ajusté avec une si parfaite exactitude au champ de
la paroi, que le dessin courant des spirales ne paraissait nullement interrompu.
Au premier plan de l'abside orientale, dans une enceinte délimitée par des dalles
couvertes de sculptures demeure en place la partie inférieure d'une statue en
pierre beaucoup plus grande que nature. Il en subsiste assez pour faire reconnaître
une de ces représentations stéatopyges usuelles à Malte, oii le sculpteur, satisfait
d'avoir donné à son personnage des formes puissantes, n'a cure de lui modeler des
membres inférieurs et le laisse campé sur des moignons '4). Il faut déplorer qu'une
mutilation de très vieille date ne permette plus de discerner l'attitude ni le sexe de
cette figure; sa longue jupe avec un volant plissé dans le bas, suggère plutôt une
représentation féminine 5). La plinthe conservée de la chapelle que précédait cette
statue et les blocs épars sont ornés de motifs divers où la spirale domine. La
chapelle symétrique, à l'ouest du corridor, offre une succession compliquée de
réduits avec niches et autels rectangulaires ou cylindriques. La décoration des
blocs est encore plus soignée et dans le réduit le plus intérieur le motif spirali-
forme fait place à des frises d'animaux en bas-relief : chèvres sauvages, daims,
sanglier; ailleurs des taureaux et une truie. Les deux autres paires de chapelles,
dont le dispositif est analogue, livreront sans doute des 'objets de même nature
quand la fouille en aura été complétée.
M. le prof. Zammit semble donc parfaitement fondé à parler ici d'un sanctuaire.

I The Hal-Tarxien NeoUlhic Temple, Malla. Ijy prof. T. Zammit, curator of Uie Valetla
Muséum; 20 pp. gr. in-4° et 1-2 pi. (Extrait de VArchaeologia, vol. LXVii, 1916.)
ri: Voir les plans de la Gigantéïa et de Hagiar Kim dans Perrot et Chipiez, Hist. de larl...:
t. III, Phénicie..., p. 2W ss.. fig. -221 *.

(3) Rappelant la structure des fameuses tombes royales dans l'acropole de My«ènes, voire
même quelque peu celle du palais de Csossos: cf. Lagr.^nce, La Crète..., fig. 7, 8 et 86.
(4) Cf. Perrot et Chipiez, op. l., p. 303 s., Og. 330 s.
io; On trouvera un détail identique dans celte ligurine de femme « allongée sur un lit
bas », reproduite dans Dcssaid, Les civilisations préhelléniques. 2' éd., p. 208, fig. 151 et qui
provient de Hal-Sallieni.
Ib2 REVUE BIBLIQUE.

à l'encontre de la tendance qui s'accentuait depuis quelques années, par une réac-
tion naturelle contre les exagérations d'une mythologie fantaisiste, de voir en ces
monuments des sépultures archaïques de grands chefs. Sa découverte prend
d'autant plus d'importance qu'en éclairant la nature de ces édifices elle fournit des
données très positives sur leur date. Le « temple » de Hal-Tarxien est nettement
de basse époque néolithique. L'absence radicale de traces de métal, le caractère
de la poterie (1), l'outillage de pierre et l'exécution du décor ne laissent aucun
doute sur cette attribution chronologique. Les spécialistes de l'intéressante archéo-
logie maltaise ont d'ailleurs fait depuis longtemps observer que, dans leur île

pacifique, l'ère du nédlithisme s'était prolongée beaucoup plus longtemps qu'en


divers autres centres méditerranéens (2\ Il ne saurait donc plus être question de
considérer les sanctuaires mégalithiques maltais comme une dérivation de l'archi-
tecture religieuse phénicienne plus ou moins déformée par des constructeurs
insulaires frustes et inexpérimentés. L'influence phénicienne et punique se fera
sentir pliis^ tard et M. Zammit a très bien su la discerner dans l'évolution ulté-
rieure de Hal-Tarxien. Mais dans la phase initiale de sa longue existence, le
monument de spécifiquement sémitique. Si son mégalithisme et diverses
n'offre rien
particularités structurales trouvent des analogies dans le domaine oriental, ce
serait plutôt avec la civilisation dolménique; rien ne ressemblerait mieux, en
effet, aux niches de Hal-Tarxien que certains « dolmens troués » palestiniens (3 .

En commun avec les antiques civilisations égéennes, la civilisation primitive de


Malte offre divers procédés de technique et de décor céramique et surtout la

spirale, qui joue un rôle si prépondérant dans l'ornementation mycénienne. Ses


premiers essais de figuration anthropomorphique, pour gauches et barbares qu'ils
soient, se ramènent sans difficulté aux types connus dans' l'évolution plastique
égéenne et orientale : telle idole néolithique de Cnossos, d'Amorgos, ou de Troade
expUque avec une suffisante clarté certaines maquettes fréquentes à Hal-Tarxien.
Elles ont la forme d'un disque ovale surmonté d'une longue protubérance pointue
et muni à l'opposé de deux jambes arc-boutées par un support conique permettant
de placer ce magot dans l'attitude assise. M. Zammit les interprète comme des
« représentations conventionnelles des forces génératrices de la nature » ; on dirait
volontiers plus explicitement des idoles.Ce sont probablement aussi des symboles
religieux qu'il faut reconnaître dans un assez grand nombre de pierres coniques et
quelques figurations beaucoup plus concrètes de l'énergie génératrice : éléments qui
se retrouvent aux origines de civilisations qui n'ont certainement eu aucun contact.
La stéatopygie est au contraire un trait beaucoup moins spontané, que la plas-
tique primitive de Malte a en commun avec celle de la Crète, de l'Egypte et de
mainte autre contrée du bassin méditerranéen.
A l'époque du bronze le sanctuaire de Hal-Tarxien, apparemment tombé en
désuétude, fut choisi comme lieu de sépulture par une population nouvelle sans
doute, à tout le moins notablement évoluée, qui pratiquait l'incinération. Dans
les parties déjà explorées, M. Zammit a clairement discerné cette adaptation

(1) Dont beaucoup de pièces sont à comparer aux types décrits par M. E. Peet, Prehistoric
painted Pottery in Malta; Annals of arch. and Anthr. de Liverpool, IV, 1912, p. 121 ss. et
pi. XXI s.

(2) Voir par exemple la remarque de M. Tagliaferro, en tête de son excellente monographie :

The prehistoric PoUery found in the Hypogeum at Hal-Saflieni. Casai Paula, Malta, dans
Annals of A7'chaeoI. and Anthropology de Liverpool, IH, liUO, p. 3.
(3) Cf. Vincent, Canaan, p. 419 ss., fig. 292 ss. '
BULLETIN. lo3

nouvelle de l'édifice et il décrit avec intérêt la physionomie de la monumentale


nécropole où les restes des morts incinérés avec leurs provisions, leur mobilier
brisé, leurs parures, leurs idoles familières, étaient déposés dans des jarres qui
s'alignaient dans les du vieux temple. L'amoncellement de cendres, de
chapelles
vases et de débris ainsi constitué à la base des murs a sauvé l'ordonnance de
l'antique sanctuaire, et d'utiles détails de son aménagement quand la nécropole
éûéolithique, depuis longtemps hors d'usage à son tour, fut exploitée comme
carrière par les populations modernes. On peut escompter que la suite des
recherches de M. Zammit précisera mieux encore le détail de cette instal-
lation cultuelle. Mais Hal-ïarxien est dès maintenant un des plus remarquables
sanctuaires des temps néolithiques actelluement connus dans la Méditerranée
orientale.

Palestine. —
La monographie de iNL H. AV. Finchara sur l'Ordre des Hospi-
taliers et son grand prieuré d'Angleterre (1) contient un rapide aperçu des origines
de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem, décrit les vicissitudes de son histoire et son
installation en Angleterre où il s'est perpétué jusqu'à nos jours, poursuivant glorieu-
sement ses traditions charitables depuis que son rôle militaire a pris fin. Dans les

chapitres consacrés au prieuré de Clerkenwell, à Londres, dont la fondation


remonte à la première moitié du M. Fincham établit que son église
xiv siècle,
primitive était constituée par une rotonde d'environ 20 m. de diamètre, à laquelle
se soudait, sur le côté oriental, une petite nef à trois travées, terminée par une
abside. Ce dispositif évoque spontanément celui du Saint-Sépulcre dans la restau-
ration médiévale à peu près contemporaine de la fondation des Hospitaliers à
Londres. Le monument anglais est sans contredit une des plus nettes imitations
du grand sanctuaire parvenue jusqu'à nous sans défiguration absolue.

Une
série de Plombs du muscc biblique de Sidute-Anne de Jérusalem publiée
par R. P. A. Decloedt, des Pères Blancs 'X, offre plusieurs types nouveaux de
le

représentations mythologiques, en particulier pour les divinités ascalonites encore


obscures, et maint document précieux pour l'iconographie religieuse et l'archéologie
palestinienne. Signalons au hasard (pi. XI, 47 et p. 449), sur un sceau byzantin,
une scène de la Résurrection avec figuration du Sépulcre très ingénieusement
rapprochée du thème des ampoules de Monza (cf. RB., 1914, 102 ss.); sur un
plomb byzantin d'époque indéterminée une scène de la Nativité de N.-S. avec
façade de la basilique de Bethléem pi. XII, 57 et p. 21). Mais la perle de cette
collection est le sceau médiéval de Hervé Godeshau déjà signalé naguère (cf. RB.,
1904, p. 318 s.), mais sans identification du personnage. Le R. P. Decloedt établit

que ce doit être « Godeschau de Turholt », connu par divers actes enregistrés au
Cavtuhnve du Saint-Sépulcre et dont Guillaume de Tyr signale la glorieuse mort dans
le combat néfaste de Beaufort sous le roi Baudouin IV, le 21 avril 1179. Un
magnifique sceau Samtae l'raternitatis de Iheruscdem doit avoir appartenu à l'un
des ordres religieux et militaires de la Ville Sainte.

(1) The Order of the Hospilal of St. John of Jérusalem and ils Grand Prionj of England.
by H. W. FisciiAM. In-4<> de x-88 pp., i.l. et il fig. Londres [lOlf.l.
-2-2

(2) Revue numismatique. 1014. ]>. i3s ss., pi. XI et Xll.


154 REVUE BIBLIQUE.

Au gré de M. Paul Haupt [1] Hinnom


du verbe DM etest un infinitiP nif'al

signifie « s'endormir du sommeil de la mort


la tombe ». », ou « se coucher dans
Qidrôn, analysé par une rac. inusitée en hébreu mais conservée en arabe, raqado,
par transposition qamda, signifierait « lieu de repos, tombeau ». Les deux expres-
sions bibliques seraient par conséquent synonymes, au sens de « cimetière » et
s'appliqueraient à la même vallée orientale de Jérusalem. La conclusion n'est pas
mauvaise, mais on y peut heureusement aboutir par une voie différente de cette
philologie un peu scabreuse cf. Jérusalem, ]. p. 124 ss. .

Das heilifje Land, 1914, n" 1. —


Le R. P. H. Hânsler, O. S. B. continue ses
monographies commencées en 1913 Echappées sur la topographie de Jérusalem
:

ancienne. La lampe, sa signification et son dévelo2}pement en Palestine. —


R. P. E. Schmitz, Le service postal en Palestine-, l'ne visite à Tâbgha. R. P. —
Fr. Dunkel, Comment nous acons appris à parler l'arabe. Projet d'inslitut —
ophtalmique à Jérusalem. —
L'école normale allemande de Saint-Paul. Nou- —
velles de Palestine. — K° 2. — R. P. H. Hânsler, Contributions à l'histoire de la
civilisation e:a Palestine (suite); La lampe... (suite). — M. l'architecte Hasek,
Comment se présentait le Saint-Sé/nilcre constantinien : spéculation architecturale
qui rappelle les moins bonnes divagations de M. Schick et ne s'embarrasse
d'aucune recherche archéologique (suite en 191 >> —
R. P. Hânsler, Éch. sur la
top. (suite). — R. P. "Schmitz. Les oiseaux du lac de Génézareth. Nouvelles de —
Palestine. — >' 3. —
R. P. Hânsler, suite de ses ait. sur la top. de Jérusalem, la
lampe et 1 hist. de la civilis. en Palestine. — Arcliit. Hasak, Comment se pn'sentait
l'enceinte du Temple au temps d'IJérodc, supprime l'angle sud-est, qui était certai-
nement la partie la plus impressionnante de la Tameuse basilique hérodienne. —
R. P. Fr. Dunkel, Trois inscr. arabes de Jérusalem : l'inscript. coufique de la

mosquée d'Omar, inscr. de la Madraseh Salahieh à Sainte-Anne, inscr. du Cénacle.


— Dom. G. Gatt, Cà et là à travers le pays des Philistins : anecdotes et quelques
indications topographiques. — Nouvelles de Palestine. — N» 4. — Suite des art. de
Hasak sur le Temple hérodien et dom G. Gatt sur la Philistie. — R. P.
E. Schmitz, Les oiseaux rapaces nocturnes de Palestine, trad. de RB.. 1914.
p. 25.5 ss. — Nouvelles de Palestine.
Grâce à la situation privilégiée que lui faisait l'alliance turco-allemande, le

savant organe du Verein catholique de Cologne avait pu continuer de paraître


pendant la guerre. Ses distingués collaborateurs demeurant, en Palestine, à peu
près les seuls représentants des recherches d'archéologie et d'histoire, on pouvait
espérer qu'ils mettraient à profit une aussi excellente occasion de rendre les plus
précieux services à ces pauvres sciences, qui ne perdaient rien de leur intérêt pour

s'être trouvées brutalement reléguées tout à l'arrière-plan des préoccupations.


Grande est la déception de parcourir la collection de Bas hedige Land en ces
années fatidiques. Au lieu de la sérénité de monographies scientifiques fort rares,
elle étalesurtout l'âpreté d'une revue de guerre. Si ce caractère n'avait influencé
que certaines chroniques du R. P. Fr. Dunkel et de quelques autres, on tournerait
ces feuillets d'un journalisme tendancieux et d'une malice bien incffensive. Tels
articles comme celui où M. le prof. D' Liibeck pronostique les obligations futures

Hinnom and Kidron, ilans .Journal of bibl. Litorature, WXVIII, l'UO, p. 45 ;


BULLETIN. Ibo

des catholiques allemaQcls dans l'Orient turc (1916, n" Ij, ou celui dans lequel
M. le D'' Karge, à propos du commerce d'exportation en Palestine, s'enthousiasme
aux perspectives d'un chemin de Ter Berlin-Bagdad et d'un autre Berlin-Suez-Caire
destinés à assurer la félicité de la contrée sous l'égide allemande (1915, n'^ 4),
reçoivent des événements un commentaire assez ironique. Il n'est ni du domaine
ni dans le caractère de la RB. de relever les insinuations malveillantes glissées à
tout propos, entre des articles consacrés à ou aux oiseaux galiléens, aux
la volaille
écoles et aux missions, à tel commandant turc modèle, ou à propos de rien, contre
la France « athée » et « persécutrice de l'Église », sur le caractère tendancieux
de ses missionnaires en Orient, voire même au sujet de ses libéralités, dont plus
d'un ressortissant allemand a cependant ça et là tiré quelque profit, en Pales-
tine, aux plus mauvais jours de la guerre. Quand on a mélancoliquement mis de
côté celte littérature, il reste peu à glaner d'informations vraiment utiles.

191.5. 1. — R. P. H. Hânsler, Gloses marginales sur la numismatique biblique,


continué dans n° 2, 1916, i.° 2, etc. — Hasak, Dans quelles parties du
Archit.
Temple Jésus a-t-il enseigné. — R. P. Fr. Dunkel. La v<'nérntion de la Croix le
vendredi saint dans Véglise si/rienne catholique ^plusieurs articles). R. P. —
A. Dunkel, Comment nos prédécesseurs suivaient la voie douloureuse à Jérusalem,
étudie les anciens plans, les computs de stations et de pas, mais n'aborde pas le
fond de la eux-mêmes (plusieurs articles).
question sur les sites N 2. Pv. P. — ' —
Fr. Dunkel, La semaine sainte et Pâques à Jérusalem. X" 3. D'' Karge, Stations — —
de l'âge de la pierre aux environs de Tàbgha outillage néolithique en diverses :

localités, nécropole dolménique au N.-E. de Kerazieh. La plupart de ces dolmens,

d'assez vastes proportions, étaient précédés d'une ailée et jadis recouverts d'un
tertre. M. K. n'augmente nullement l'intérêt de sa découverte en spéculant sur les

ressemblances étroites qu'il croit saisir entre ces dolmens et les Pyramides! —
M. l'arch. Hasak, L'énigme du clocher sur la façade méridionale du Saint-Sépulcre,
complique d'un contresens archéologique la question d'origine de ce clocher qui
n'est nullement énigmatique 'cf. Jérusalem, II, 153 et 284 en imaginant son
ss.),

raccord avec les chapelles de l'orient du parvis par une église de Sainte-Marie qui
aurait été coupée pour créer le parvis méridional actuel. — R. P. Fr. Dunkel, Le
récit de la création d'après Moudjir ed-D'm (plusieurs articles). — R. P. A. Pilgram,
Par voie de terre de Jérusalem à Constantinople. inaugure une série d'art., en
collaboration avec d'autres auteurs, sur les principales localités de Syrie et Asie-
Mineure que traverse la nouvelle voie ferrée. ÎS" 4. —
Arch. Hasak, Les édifices —
constantiniens à Jérusalem et la mosaïque absidale de Sainte-Pudenlienne à Rome,
groupe les édiGces du Saint-Sépulcre, de Sion et du mont des Oliviers en sens
inverse de ce que suggèrent les faits. Un autre art. résume l'histoire du chandelier
à sept branches et des ustensiles du Temple depuis Titus. Excellente monographie —
anonyme sur Le pkiu des sauterelles en Palestine, en 1915. R. P. Fr. Dunkel, à —
propos du calendrier juif, Les fêtes du mois de Tichri : nouvel an, expiation, taber-
nacles.

1916, w" l. — Arch. Hasak, Véglise de la Nativité à Bethléem établit bien


rinanité des spéculations de Weigand, mais raisonne lui-même trop exclusivement
en architecte. Ce n'est pas une théorie structurale, comme il le pense, mais une
exigence archéologique fort nette qui implique le recul du chevet dans la restaura-
156 REVUE BIBLIQUE.

tion justinienne. Quant à vouloir prouver que les chapiteaux des piliers du transept
sont d'autre main que ceux des nefs, ou que les architraves des nefs sont elles-
mêmes une œuvre du temps de Justinien, c'est un paradoxe déconcertant. M. Hasak
voit les faits sans doute comme les livres or il a découvert que la monographie publiée
:

par la Société byzantine anglaise est l'œuvre des Américains Harvey, Lethaby et
«

Daltou ». — Notice nécrologique sur le A une inlassable


T. R. P. Zéphyrin Biever.
et très féconde activité apostolique pendant près de 40 ans en Terre Sainte, cet
admirable missionnaire, originaire du Luxembourg, savait joindre un goût
profond et zélé pour les recherches bibliques et palestinologiques. L'École et la

Revue biblique, honorées par lui d'une vive sympathie et en mainte circonstance
d'une active collaboration, tiennent à offrir un hommage de profonde et Odèle
gratitude à sa mémoire. — >'° 2. — M. l'abbé Heidet, Révision d'inu vieille

cùiitroverse. Le sanctuaire de la lapidation de saint Etienne est-il authentique '/


La
publication en français d'une élucubration que lourdement polé-
aussi plaisante
mique, par le chanoine allemand Momme.rt, a été pour M. Heidet l'occasion de
reprendre une démonstration d'authenticité qu'il fut le preraier naguère à établir
historiquement, avant même que la découverte intégrale de la basilique eudocienne
ait donné tout leur poids aux faits archéologiques. En tête de cette série d'art.,

dont il a été le traducteur partiel, le R. P. M. Gisler O. S. B. fait une peinture du


traitement de faveur que l'occupation turque aurait assuré à l'établissement des
Dominicains de Saint-Etienne vraie sans doute à la date de o septembre 191-5 »,

mais que la suite se chargeait de faire mentir! — Arch. Hasak, La découverte des
Lieux Saints et de la sainte Croix à Jérusalem, plusieurs art. où sont juxtaposés

les textes connus. — Les art. du R. P. Hansler sur Hdfir, el-Aoudjeh, qui sont
les principaux des n°^ 3 et 4, seront examinés ailleurs.

1917, n' 1. R. P. M. Gisler, Le tombeau du saint protomartyr Etienne, décrit la

chapelle byzantine de Beit el-Djemâl (cf. 244 ss.) et propose


RB., 1919, p. — d'ail-

leurs avec une élégante réserve — un rapprochement toponymique peu vrai-


semblable entre Beit el-Djemâl et Caphar-Gamala. — M. l'arch. Hasak, L'église
de l'Ascension au mont des Oliviers, inflige un traitement de rigueur aux splen-
dides vestiges de l'édifice primitif. Il n'est pas de docte spéculation technique
capable de prévaloir contre des faits et si M. Hasak a Jamais consacré un quart
d'heure à l'examen des réalités archéologiques en cet endroit, il faut le plaindre,
car sa façon de découvrir une parfaite unité entre les bases médiévales et les parois
de l'octogone (cf. Jérusalem, IF, p. 360 ss.) est un défi au bon sens. N» 2. — —
M. l'abbé Heidet, Tàbgha en tant que lieu saint. N^ 3. R. P. Fr. Dunkel. — —
Les trois signes commémorât ifs d'Israël : tefillin, zizith, mezouzah. R. P. —
E. Schmitz, La maison de Na'aman le syrien, décrit la ruine qui porte tradition-
nellement ce nom. près de la porte orientale de Damas (1). Ce n'^ de juillet —
1917 est le dernier de la revue Bas heilige Laud qui m'ait été accessible.

[V.]

(r M. Casaiii'va fait aussi étal de cotte ruine et de sa tradition dans le curieux article où il
vient d'expliquer l'étymologie de Damas par d'ingénieuses déductions mythologiques et philo-
logiques. Damas, Dimashi. Damméseq, signifierait le sang des blessures d'Adonis
.. =
Na'aman ». Journal asiatique. lOU», p. 134 ss.). CeUe philologie est bien risquée, malgré son
ingéniosité, car le nom semble beaucoup plus ancien que les derniers développements du
mythe d'Adonis.
BULLETIN. 157

La ville "de Sarepta ou LongueviUe. — Lorsque Raabe eut publié la VU- de


Pierre l'Ibère, l'attention des orientalistes fut mise en arrêt par une série de noms
géographiques dont quelques-uns étaient jusqu'alors inconnus. On fut assez intri^^ué
en particulier de rencontrer sur la côte phénicienne entre Beyrouth et ïyr une
localité maritime que le texte -syriaque édité par Raabe nommait Qr'it'i ai'ikta, c'est-
à-dire « le Village long (1) ». Dans sa version allemande, le traducteur n'hésita pas
à se servir du terme équivalent « Langendorf » et même à insérer ce qu'il pensait
devoir être l'original grec de cette désignation locale : Ka>tj.r) aaxpa. Seulement, Raabe
renonçait à l'identifier, attendu que les anciens géographes ignoraient ce nom qui
ne pouvait être que celui d'une bourgade sans importance.
nouveau problème, M. Clermont-Ganneau émit en 189-3, dans le
Attiré par ce
volume II des Études d'archéologie orientale,
p. 16, l'hypothèse que le texte syriaque
devait être fautif et que la vraie leçon du traducteur était Qriiu ar'-phta, qui se
rapproche singulièrement de Saréphtha. De là le savant archéologue remontait à
un original grec en continua : KGOMHCAPe(t)eA, qui donnait claire-
scriptio
ment le nom de la cherchée. >'ous n'avons pas à insister sur les ingénieuses
ville

combinaisons présentées en vue de rendre plausible l'origine de l'erreur de la


traduction syriaque ou des altérations des copistes. Il demeurait fort probable que

le vocable « Village long ou « LongueviUe » ^si l'on veut prendre la terminaison


»

ville dans l'acception vague qu'elle possède en ce cas^ (2) n'était que le résultat
« d'une mauvaise lecture du traducteur syriaque aux prises avec l'original grec ».
Mais ce qu'il y a de plus piquant, c'est qu'avec ces prémisses qui seront reconnues

d'abord hasardeuses, puis fausses en l'espèce. M. Clermont-Ganneau. guidé par son


flairtopographique, arrivait à une conclusion juste la localité cherchée était bien :

Sarepta. En somme, si la discussion philologique avait mis le savant maître sur la


voie, ce n'avait été qu'un pur elïet du hasard : l'homonymie approximative d'un
adjectif syriaque, arikta, et le nom de la ville de Sarepta. Le procédé en soi ne perd
rien de sa valeur puisque dans d'autres cas, comme dans celui de Beth-Taphsa —-.

Beit-lksà, il aboutit à nous rendre de véritables services (3 . D'autre part, il est


évident qu'ici le raisonnement topographique qui fait honneur à la perspicacité du
critique conserve toute sa force ;
il sera d'ailleurs pleinement confirmé par la
découverte de la carte de Màdabà.
Avant de passer à seconde phase de
la question il est de notre sujet de
cette
constater qu'en dépit des modifications que M. Clermont-Ganneau apporta à sa
manière de voir, avec hésitation en 1897, mais franchement en 1901, certains
savants en sont demeurés à la séduisante hypothèse du premier jour. Je citerai en
premier lieu M. ïhomsen, Loca Sancta (1907), p. 103 « Qrila arikta verschr :

(eibung) fiir Qrita arepla = /.wari Sl(apcï)Oa) », puis M. l'abbé Nau, Palrologia
Orientalis VIII (1912), p. 193 : (a K'o^r^iiozr.-oi. a été rendu par in^uî/ )\.^ d'où
)N^.;i |c^.;j3, qui se traduit par. Ko\ar, ;j.ay.pa. » Ainsi donc on tient encore à ce que
Village long soit le résultat de la confusion d'un caph et d'un phi\
Cette théorie pourtant avait été fortement ébranlée par la découverte du fragment

(1) Petrus der Iberer, Teste, p. 111, lli. Traductiou, p. lOo, 107.
2) Parmi les nombreuses communes de France nommées LontjueviUe ou Longi'iU.ers. une
seule dépasse le nombre de mille habitants.
;3) Éludes d'archéologie orientale II, p. Ce travail sur quelques localités de Palestine
-20.

mentionnées dans la Vie de Pierre l'Ibère fut l'objet d'une communication à l'Académie des
Inscriiitlons et Belles-Lettres en septembre 189j.
158 REVUE BIBLIQUE.

de la carte de Mâdabà qui portait la légende mutilée ainsi conçue :


CAPe<t)9A
MAKPAKtO... que M. Cl.-Ganneau reconnut comme appartenant à
et la fameuse
mosaïque. « Le groupe de lettres, ajoutait-il, qui suit (le nom de ville) se prêterait

à la lecture : |j.«/.,:.à y.<i>[iiri] 'i\ » La conjecture de 1897 devint à bon droit une
aflirmation en 1904. La carte donnait les deux noms de la localité phénicienne, son
nom historique et officiel et son nom populaire et descriptif, indépendants l'un
de l'autre au point de vue philologique. La première interprétation se trouvait par
conséquent caduque et « l'on pouvait, iisons-nous au Recueil d'Archéologie Orien-
tale^ IV, p. 279, maintenir la leçon du texte syriaque de la Vie de Pierre l'Ibère)
sans faire intervenir la correction que j'avais proposée, Village Long » étant le «

réellement le nom nouveau ou le surnom de Sarephtha. Je proposerai aujourd'hui


de restituer ainsi toute cette légende de la carte : Sapssôà [y^] Ma/.pà •/.w[(j.r|J xx)..

Séfrephtha ou Long Village^ etc. ».

On disait donc couramment à l'époque byzantine Maxcà -/.ojarj ou « Longueville »

pour désigner Sarepta, comme nous disons indistinctement « Ville sainte » et


« Jérusalem » sans prétendre que l'une de ces dénoraioations soit la traduction de
l'autre. Non seulement on peut, arîkta du mais on doit maintenir la leçon QrHa
texte de la Vie de Pierre et reconnaître que Raabe avait raison de supposer sous
cette forme une locution grecque telle que Kw;j.r, [i.a/.pâ. Il eût été même mieux
inspiré en restituant l'ordre des mots qui devait êtr^ celui de l'original Ma/.pà :

/.w;j.t;, car si le traducteur syriaque a suivi l'ordre inverse c'était pour satisfaire au

génie sémitique qui réclame d'ordinaire l'épithète après le substantif. L'auteur grec
de la Vie de Pierre l'Ibère se conformant à l'usage contemporain s'est contenté de
l'appellation vulgaire de « Longueville » sans plus, dans la certitude d'être compris
de tous. Son rôle de glose dans la carte de Mâdabà semble indiquer que le port
phénicien était plus connu sous le nom de Ma/.cà /.«[iï, que sous son vocable histo-
rique de Zy.çîo<)y..

Que Ma/fà -/.wj-Ti est bien la leçon authentique de la biographie originale de


Pierre et la restitution certaine de la légende de la carte de Mâdabà, c'est ce que
confirme un passage de l'opuscule de S. Sophrone écrit entre 610 et 619 sur les

Miracles des saints Cyr et Jean, qui n'a pas été jusqu'ici versé dans le débat (2).

Pas plus que le biographe de Pierre l'Ibère, Sophrone n'éprouve le besoin d'expli-
quer que Maxpà xwijir, est identique à Sarepta, le nom descriptif étant plus répandu
que l'autre dans le monde syro-palestinien. Le chapitre l\i traite d'un diacre
Philémon atteint d'une double maladie et qui est accouru au sanctuaire égyptien
des deux martyrs solliciter sa guérison. Cet homme arrive à toute vitesse de Phé-
nicie. de Lon(jneville qui est le lieu même de son domicile IlapasTtv yàp ô à.^\o, :

a'jv ôpb[AO'j pottrjuaaiv h. <I> o ; v; y. r) ; fj|j.tv àï)ixo;j.;vo;, v.cà IMay.pa? xoj[j.r;; Trj; lx£tj£

Àa-/ojar,ç -rjv Le nom composé Maxpà xiJj;j.r,, que l'on pourrait même écrire
oàijLïiJtv.

en un seul mot, paraît être le terme consacré. Ce qui le prouve, c'est le titre
même du chapitre où l'auteur annonce qu'il va être question de Philémon le
Macrocomite, nous dirions le Longuevillois UioX <l>tXTÎaovo: toj 3[axpoxw|j.r]'Tou,.. La :

traduction latine ayant rendu ce terme par Macrocomite, l'annotateur a cru bon de
rectifier ainsi « Die Macroconieta, a patria Macrocome, longo castello » craignant
:

(1) Éludes d'Archéologie orientale, II, p. 18 a. 4. Ce texte avait été publié dans RB., 1895
p. 588, par le H. P. Germer-Durand.
("2; p. G., LXXXYIIS, 363G s.
BULLETIN. 139

(|ue la finale comité ne fit naître une confusion avec l'ablatif de cornes. Les lecteurs
byzantins comprenaient aisément que ce diacre était de Sarepta en Phénicie. Ils

étaient aussi bien renseignés, sinon mieux, que si Sophroae s'était servi du r/entiUs

ïiapeoerivdç qui se rencontre sur une épitaphe peut-être juive publiée par M. Cler-
mont-Ganneau dans le Recueil... II, p. 250.
Lorsqu'on longe la côte phénicienne, entre Tyr et Sidon, à la hauteur du petit

village de Sarfeud, rien n'évoque mieux la vérité de l'ancien vocable de Longueville

que l'interminable chapelet de ruines égrené sur le bord de la mer. Tô Sapacp6à


/cajTpov, écrit Phocas en 1177, Tispi zh /.Àja^x -7^^ ÔxXaoxr,; T=9£;xîX''jj-a[, et Burchard

en 1283 « Sarepta vix VIII clomos habet, cum tamen ruine eius ostendant eain
:

fuisse valde gloriosam. » La disposition de cette localité frappait d'autant plus


l'imagination qu'elle contrastait avec celle des autres ports phéniciens dont les mai-
sons se massaient sur un promontoire rocheux.

Les deux volumes consacrés à sainte Anne et à son culte par le R.P. Charland (1),
filsde la province dominicaine du Canada, se présentent comme une compilation
des documents relatifs à ce sujet et des opinions émises par tous les auteurs qui se
sont occupés de la question. Si l'on a des réserves à faire sur méthode, la
la

critique et le style qui affecte volontiers le ton de la bonhomie, l'auteur n'en-


court point évidemment le reproche d'avoir méconnu la littérature concernant
sainte A.nne. Sans nous appesantir sur les chapitres de l'hymnographie, de la

liturgie, des fêtes ou de l'iconographie, nous en avons une preuve évidente dans
l'article « Religiosn Loca » ou le R. P. traite des sanctuaires dédiés à sa sainte de
prédilection et spécialement de l'église Sainte- Anne de Jérusalem. Aux témoi-
gnages en faveur de la naissance de Marie à Bethléem suivant une déduction
exégétique de Luc ii, 4,-5, on eût pu ajouter celui de S. Cyrille d'Alexandrie dans
son commentaire de Michée (P. G., LXXI, 713 (2 . Mais il est assez raisonnable de
conclure à l'existence d'une seule église à la Probatique avant les Croisades. Le
nom du sanctuaire a changé; seulement l'autorité d'Aboulféda est trop faible en ce
qui concerne cette période pour permettre d'assigner au vi'^^ siècle ce changement
de vocable. L'assertion isolée de cet Arabe du xiv^ siècle ne tient pas en face des
attestations antérieures au x*" siècle. Dans l'état actuel de la documentation, il e^t
aussi impossible d'établir l'origine constantinienne du sanctuaire que sa restauration
par Justinien. Ce que l'on peut affirmer de plus sûr est que l'église de la Proba-
tique, connue au vi'' siècle sous le vocable de Sainte-Marie, remonte à la première
moitié du v^^ siècle.

Le Père Charland a été bien inspiré en faisant justice des calomnies répandues à
propos de la découverte des tombeaux de sainte Anne et de saint Joachim que l'on

vénérait dans la crypte de l'église dès le début de la domination latine. L'argu-


mentation tirée du silence de deux cents pèlerins incomplets dans leurs relations ou
mis sur une autre piste par les guides officiels de la Terre Sainte à partir du

W- siècle ne l'a pas impressionné. Le monogramme Sca Aima retrouvé par

Madame mincie Anne et son culte au moyen c'nje, deux volumes iii-8' : I. 3lS pp. II.
(1)
700 pp. Paris, Picard. 1911. 1913.
(-2) Une confusion qui aurait pu être évitée est d'identifier avec
Saint Jeaii-d'Acrë la Ptolémais
dont Syaésius fut évèque. II s'agit de la Ptolémaïs de Cyrénaique (Tolmita..
100 REVUE BIBLIQUE.

M. Clerraont-Ganneau dans un bazar de la ville, marquant une concession faite par


les roisde Jérusalem à l'abbaye de Sainte-Anne d'un droit sur les revenus de ce
marché ou même la possession par l'abbaye de ces boutiques ou staciones n'a pas
échappé aux recherches actives de l'historien que l'on devra désormais consulter
pour tout ce qui concerne le culte de la mère de la bienheureuse Vierge.

Le Gérant : J. Gabalda.

TYPOGHAPHIE FIIOIIX-DIDOT ET 0"=. — TARIS.


LA PALESTINE DANS LES PAPYRUS
PTOLÉMAIOUES DE GERZ V

Le choix de papyrus grecs extraits des « Archives de Zenon » et


publiés par M. C. Edgar en de récentes livraisons des Annales du
Service des Antiquités de l'Égi/pte (1) ne peut manquer d'affriander
ceux que préoccupent les petits problèiiies d'histoire et d'archéologie
palestinienne. On saura gré au très distingué spécialiste davoir versé
à l'élude, presque au fur et à mesure de son déchiffrement, des infor-
mations dont il a pénétré dès l'abord l'exceptionnel intérêt. La Revue
pouvoir présenter avec la
doit à sa courtoisie parfaitement libérale de
photographie d'un texte particulièrement intéressant, un rapide aperçu
de cette documentation inespérée et lui en exprime une très vive gra-
titude. Avertispar cette note sur le caractère et la richesse des nou-
veaux papyrus, nos lecteurs sauront tout ce qu'ils peuvent attendre
de la publication d'ensemble que M. Edgar en prépare et (pii enri-
chira prochainement d'un volume précieux le monumental Catalogue
général du Musée du Caire.

1. Les papyrus, lex personnages et leur temps.

C'est leMusée du Caire, en effet, qui abrite aujourd'hui ces fragiles


archives, exhumées, voici quelques années déjà, des ruines d'e/-
Gerza, ancienne Philadelphie ptoléaiaïque, vers la lisière orientale
du Fayoùm. Leur découverte est due à des fouilles clandestines,
poursuivies plusieurs années durant sur ce tertre désert et qui épui-
sèrent seulement au cours de l'hiver de 1915 le copieux gisement,
avant que la vigilance officielle ait pu les dépister. La cueillette de

chaque saison passait aux mains des courtiers, qui se hâtaient natu-
rellement de la monnayer suivant les hasards de l'offre la plus lucra-

(1) T. XVIII, 1918, pp. 159-182; 225-2i4 (1919) : Selected papjjri from the Archives of
Zenon.
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. \\
!62 REVUE BIBLIQUE.

La dissémination parait avoir été assez considérable au moment


tive.

où suspendu. Par fortune, ces acquisitions relativement


le trafic fut
dispendieuses sont beaucoup moins le fait de touristes, amateurs sur-
tout de pièces esthétiques ou de bibelots curieux, que de Mécènes ou
de savants, pourvoyeurs bénévoles ou patentés de grandes collections
scientifiques. On peut donc s'en promettre, dans un intervalle* plus ou
moins prolongé, la publication à peu près intégrale. C'est ainsi qu'un
lot important, arrivé en Italie et qui paraît centralisé au musée de
Florence, commence d'être édité par les soins de la Società italiana
per la ricerca dei papiri greci e lathii. La part léonine a cepen-
dant bien l'air d'être heureusement échue aux collections du Caire,
où elle ne pouvait tomber en de meilleures mains que celles de
M. Edgar. Dans cet amas de lettres d'affaires, comptes divers, quit-
tances et contrats, on a promptement discerné les archives d'un per-
sonnage appelé Zenon, qu'une carrière très active fait évoluer dans
les phalanges aussi denses que variées du personnel administratif
égyptien aux jours de Ptolémée II, assez improprement dit « Phila-
delphe (1) ». Tandis que le nom seul de ce personnage, associé à celui
du diœcète Apollonios sur une stèle découverte naguère à Philadel-
phie, nous était précédemment connu, M. Edgar en peut maintenant
esquisser à grands traits la carrière. Zenon, fils d'Agrœophon, était
originaire de Caunos (2), centre commercial important, sur une voie
d'eau et à courte dislance de la mer dans la Carie méridionale. Ni sa
condition, ni les débuts de sa carrière ne nous sont autrement révé-
lés. On apprend toutefois qu'il avait pris femme dans la cité lycienne

de Calynda et ses archives attestent qu'une fois installé en Egypte il


continua pourtant de s'intéresser aux affaires de cette ville. Divers autres
Lyciens de Calynda semblent d'ailleurs avoir pris pied en même
temps que lui au Fayoùm. A quelle époque précise et dans quelles
circonstances Zenon s'y était-il rendu, nous l'ignorons encore (3). La

;i) que ce nom revient de droit à sa sœur-épouse, la grande Arsinoé (II) et n'a été
On sait
appliqué à Ptolémée « qu'un siècle après sa mort ». L' « histoire, en lui imposant le nom

de Philadelphe, interprété à contre-sens, a fait de lui la doublure de sa divine moitié »


(Bouché-Leclerco, Histoire des Lagides, I, p. 142 et 24-3 1.

(2) Kaùvo;, KapixT) t:6),iç xal indiquait Scvlax, Périple, éd. Didot, p. 73.
>.ip.r,v /./.eicTÔ;,

Sur l'emplacement et les ruines de celte localité, voir Collionon, Bxdl. corr. hellénique,
T, 1877, p. 338 ss.

L'Egypte exerça de très bonne heure son attraction sur les peuplades grecques.
(3)
Après !a fondation de la dynastie Lagide, le pouvoir royal s'employa persévérâmment à
favoriser l'afllux d'éléments grecs de nature à consolider sa politique. Dés les jours de
Ptolémée Soter, un coup de main très hardi réalisé par le stratège Philociès, avait assuré
à l'Egypte la possession de Caunos, apparemment vers 309 av. J.-C. (voir Bolché-Le-
«.LERco, Hist. des Lag., I, 62, n. 4; cf. 176, n. 2 et 193, n. 1, contre Droyset^. Hist. de l'hel-
L.\ PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLE.MAIQUES DE GERZA. 103

plus ancienne date relevée jusqu'ici dans ce qui est déjà étudié de
ses archives est inscrite sur un contrat, qui du reste ne suppose d'au-
cune manière son intervention et fut scellé en la 12' année de Ptolé-
mée Philadelphe soit en 27i 3. Cette pièce absolument isolée pour
:

le moment ne se serait-elle pas glissée de manière fortuite dans la

collection si soigneusement conservée par le fonctionnaire carien?


Elle pouvait provenir des archives particulières de ce diœcète Apol-
Ipnios dont il fut manifestement, pendant d'assez longues années, le
bras droit et le plus intime confident. On sait que le diœcète [zr.ov/:r,-r,:)
était le « chef suprême de la hiérarchie » dans l'administration finan-
cière des Lagides, et Apollonios était depuis longtemps connu comme
titulaire de cette haute fonction dans la seconde moitié du long règne
de Philadelphe (1). Zenon apparaît dès le début comme l'assesseur
d' Apollonios, 6 zap' 'AttcaAojvicu, son chargé d'affaires, -GJv r.tpl 'A^cÀ-

/xtôv'cv -bv otci/wYj-ï^v, une fois ou l'autre même avec le titre plus nette-

ment protocolaire de :i7.:7i;^.3ç, sorte de contrôleur préposé àla rentrée

lénisme conquête à la seconde guerre de Syrie, sous


(trad. fr.j III, 2(13 qui assignait celte
Piiiladelphe, et la datait Tandis que, grâce à une marine alors puissante,
de 2G6}.
l'Egypte réussissait à maintenir désormais à peu près sans interruption sa prépondérance
sur les côtes de Lycie et de Carie, peut-être dut-elle évacuer assez tôt ses conquêtes à
l'intérieur, ou n'exercer qu'une domination précaire sur des villes continentales. Mais
Caunos rapprochée de la mer pour que le contact pût être maintenu. On con-
était assez
cevrait d'ailleurs que, dans ces temps troublés où les compétitions des Épigones boule-
versaient constamment le pays, bien des gens l'aient abandonné pour aller demander ;i
l'Egypte tranquille et prospère une plus parfaite sécurité. La colonie carienne dut avoir
une certaine importance, puisqu'à Memphis par exemple elle constituait un quartier dis-
tinct, au témoignage d'Etienne de Byzance (s. r" Kap'.xôvi. Il n'est dès lors pas nécessaire
de chercher quelle circonstance particulière détermina le Caunien Zenon à déserter la
Carie pour venir chercher fortune, ou simplement continuer sa carrière en Egypte. D'au-
tres documents attestent d'ailleurs les relations spéciales des Cauniens avec le royaume
des premiers Lagides. Le P. Lagrange me rappelle très opportunément, à ce propos, la
remarquable stèle funéraire de Sidon qui mentionne en cette ville, aux temps hellénis-
tiques, un Ka-jvîwv xo izolni-Jii.'x (Macridy-bev, MB., 190i, p. 549). Il n'est pas très facile
de déterminer l'exacte nature politique de l'établissement que, représentait ce TroXÎTî-^aa.
M. Perdrizet, qui l'a très diligemment étudié [Rcv. arc/iéol., 1899, II, p. 44-48), concluait
qu'il s'agit probablement de gens transportés en masse et d'un coup à Sidon. Jouissant
«(

des mêmes droits que les Sidoniens, ils devaient en revanche le service militaire «
{op. l., p. 48). Rien ne précise malheureusement la date du texte, si ce n'est que 1' «ins-
cription semble du temps des Séleucides » (p. 4i). Étudiant par la suite le groupe entier
des « stèles peintes de Sidon », M. Perdrizet les date, et la stèle des Cauniens dans la
série, « de l'époque hellénistique en général (Rev. arch., 1904, I. 234, 239). Il est assez
)>

vraisemblable que l'ancien stratège égyptien Philoclès ayant été mis sur le trône de
Sidon vers 280 par Ptoléraée Philadelphe, on lui ait adjoint, pour appuyer son autorité,
un poste de colons miliciens choisis parmi ces Cariens de Caunos avec qui Philoclés pou-
vait avoir gardé quelques particulières attaches.
Il) Boccué-Leclercq, Hist. Lag., III, 381; IV, 342. Les nouveaux papyrus paraissent

indiquer pour Apollonios une carrière administrative plus longue qu'on ne la connaissait
encore.
164 REVUE BIBLIQUE.

des impôts et des taxes de toute nature. Les documents couvrent une
série de plus de viugtans continus, à dater de la ving-t-cinquième année
de Philadelphe (261); la plus basse date actuellement enregistrée,
encore pourrait-elle être adventice dans la collection, prolongerait jus-
qu'à la première année de Ptolémée IV Philopator, en 223/2, une acti-
vité qui doitbien plus vraisemblablement n'avoir pas dépassé la
première décade du règne d'Évergète, c'est-à-dire l'an 2^0 environ (1).
Edgar a discerné dans cette longue carrière trois phases d'inégale
importance. Dans la plus ancienne, limitée avec exactitude entre les
années 25 à 29 de Philadelphe (201-257), Zenon, qui réside déjà en
principe à Philadelphie, semble doué dune véritable ubiquité. D'un
mois à l'autre on le trouve agissant pour le compte du ministre des
finances sur les points les plus variés non pas de la seule Egypte qui
tasse ses nomes autour dumais dans les lointaines provinces que
Nil,

de récentes conquêtes ont annexées au royaume, la Syrie-Palestine


en particulier. Dans la phase moyenne, le chargé d'affaires habite
plus régulièrement son district du Fayoùm, toutefois en contact
permanent avec le diœcète, que sa fonction fixait k Alexandrie et qui
possédait d'ailleurs, à Philadelphie, un splendide domaine régi très
diligemment par Zenon l'homme de confiance. Dans les dernières
années la physionomie du personnage est sensiblement différente :

il est maintenant tout à fait sédentaire et semble devenu étranger

aux préoccupations administratives. Son patron Apollonios ne gère


plus les finances de l'État, et sans doute est-il mort, car on apprend
que le domaine princier de Philadelphie passe maintenant au nom
de l'agent préféré. Désormais Zenon, notalde envié dans sa tranquille
province, ne va plus courir les routes de l'État contrôlant, dirigeant,
stimulant tout le personnel d'une administration compliquée. Ses
archives ne sont pas closes, mais se restreignent à la banalité d'in-

1; A considérer de près ces dates, le cadre historique, surtout le caractère entrepre-


nant et la lorlune extraordinaire de Zenon, serait-il impossible de le rapprocher d'un ou
plusieurs homonymes contemporains? Un Zenon est investi du commandement de la

division navale égyptienne qui appuie le soulèvement d'Athènes contre Démétrius, vers
le milieu de l'année 287 av. J.-C, d'après le décret honorilique des Athéniens (Ditten-

iiEUGER, Sylloge, I, 311 s., n" 193; pour la date voir Bouciié-Leci.erco, Hixt. Lacj., I, 91;
IV, SOI Dans le décret d'Ios publié par M. Grain ior Bull, cor) hellén., XXVIl, 1903,
s.). .

p. 394 s.), un Zenon subordonné au


navarque tJacchon a bien chance d'être le même
personnage que celui du décret athénien. Bouché-Leclercq ;IV, 302) ne semble pas mettre
en doute cette identité si judicieusement établie par Graiudor. En lui attribuant de vingt-
cinq à trente ans lors des événements de linsurrection d'Athènes, l'ancien lieutenant de
vaisseau en aurait eu de cinquante à cinquante-cinq lorsque ayant abandonné les périls de
la marine il serait devenu le bras droit du tout-puissant diœcète Apollonios. II peut
cependant n y avoir là qu'un mirage.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. 1G5

térêts privés.Avec M. Edgar on reg^retterait volontiers cette retraite


et toute ropulence de Zenon; désormais, en effet, « les noms de Tyr
et Sidon, de Jérusalem et Jéricho cessent d'animer ses comptes et sa
correspondance (1) ».
Mais le moyen de contester le repos prospère si légitime de ses
vieux jours à Ihomme
admirable qui, ayant été si longtemps le sujet
le plus occupé du royaume, a eu la merveilleuse constauce de classer

au jour le jour, avec des dates explicites et des annotations minu-


tieuses, toute sa correspondance et ses papiers officiels, rapportant
soigneusement de ses plus lointains voyages les pièces reçues ou les
minutes de documents expédiés en cours de route? Zenon se révèle
ainsi un esprit méthodique et avisé. A scruter de trop près les apos-
tilles de son classement, et de préférence les précieuses équations de

dates, on relèverait sans doute ici ou là quelque lapsus de nature à


causer les pires perplexités aux savants, soucieux par profession
d'une impeccaJjle acribie, mais combien excusable chez cet héroïque
brasseur d'atfairesl C'est ainsi qu'écrivant en marge d'un message
émané d'Apollonios et daté, à la chancellerie du dio'cHe, suivant les
deux calendriers égyptien et jnacédonien mis en parfaite concor-
dance, la date de réception calculée de même d'après les deux
computs, le diligent fonctionnaire introduit des écarts allant jusqu'à
dix jours. Il suffit d'avoir vécu en pays où le comput du temps est
régi par des calendriers disparates pour constater la facilité dange-
reuse et la relative fréquence de telles erreurs d'équation dans les
actes et correspondances émanant, des rédacteurs les plus compé-
généralement la ressource de lire la con-
tents (2), ayant d'ailleurs
(ordance toute faite sur un calendrier imprimé.
En résumé, les archives de Zenon nous reportent donc en plein
règne de Ptolémée Philadelphe et, pour ce qui regarde plus spécia-
lement les informations palestiniennes, au laps de temps qui s'en-
cadre entre les années 261 et 2.57/6. Tout le monde a en mémoire,

ou peut aisément trouver dans les beaux ouvrages de M. Bouché-

(1) Annales..., XVJII, 1919, p. 243.


(2 ont, une fois ou l'autre, abordé de tels problèmes clironologiques, ou
Ceux qui
simplement parcouru la dissertation de M. Bolché-Leclercq, Les calendriers et les
computs (kuis l'Iigypte ploléinaïque Ilist. des Lacj., IV, 277-296 savent la délicatesse
,

et la complexité de ces calculs. Du point de vue particulier de notre enquête, il nest


heureusement pas nécessaire de les aborder. Il nous suffit de tabler sur une date régnale
toujours ferme dans les documents et ramenée par approximation à noire comput courant,
sans tenir compte des concordances qui ne peuvent nuancer de plus dune unité le chitfre
de l'année. M. Edgar a d'ailleurs discuté avec la plus diligente maîtrise toute cette
chronologie des papyrus de Gerza Annales..., WII, 209-223; XVIII, 58-64; 226 s.).
lOG REVIE BIBLIQUE

Leclercq sur les Lagides et les Séleucides. ou dans l'Histoire de


r hellénisme àe Droysen (1), la situation politique générale de la Syrie
et de la Palestine à cette date, quelle que soit la difficulté d'établir

avec fermeté la succession historique des événements.


A peine en possession du trône d'Egypte, Ptolémée II, merveilleu-

sement par les dissensions qui déchiraient le royaume séleucide,


servi
voyait son pouvoir, déjà très alfermi en Palestine, Syrie et Phénicie,
se dilater en Cœlé-Syrie, au moins sous la forme d'un protectorat
invoqué par les populations, sinon par voie de conquête. On entend,
à vrai dire, mentionner d'assez belliqueux préparatifs et la Hotte
égyptienne bloque plus vigoureusement que de coutume tout le

littoral jusqu'aux confins septentrionaux de la Carie; après quoi il

nest plus question de faits de guerre et tout se perd dans le brouhaha


d'un triomphe légendaire à Alexandrie. Le séleucide Antiochos
n'était pas d'humeur à se laisser arracher ainsi la perle de ses posses-
sions. Empêtré cependant pour l'heure en mainte difficulté, il dut
attendre des conjonctures moins défavorables pour lui, qui semblent
s'être offertes en 27V 3. Sentant venir la menace, Ptolémée stimulé
par la grande Arsinoé, brusqua ses préparatifs et porta lui-même la
guerre au cœur du royaume séleucide. au début de 273. La cam-
pagne semble s'êfre prolongée jusque vers 271. sans que nous en
puissions saisir même les grandes lignes. La paix signée en 271
ratifia la possession égyptienne des provinces disputées : Carie, Lycie,
surtout la Cœlé-Syrie tant convoitée (2).
L'année suivante mourait l'intrigante PJiiladelphe Arsinoé. Dès
qu'il eut consolé fastueusement sa douleur officielle en consacrant
la définitive apothéose de sa sœur-épouse, Ptolémée parut l'oublier
assez vite parmi le brillant essaim des favorites innombrables que
la chronique scandaleuse du temps fait tourbillonner autour de
r (( adolescent adoré >>, de.venu le héros « à la blonde chevelure »,

ainsi que l'avait baptisé naguère la flagornerie sentimentale de


Théocrite (3 . Ce fut pourtant le trait caractéristique de cette royale
figure d'allier une incontestable énergie et le sens profond des res-

(1) T. III de la trad. française par Bouché-Leclercq. Cf. ^VILr.IC^, Juden und Griechen
vor der mah/iab. Erhebxing 1895 , j». 33 ss., 115 s.

(2) Celte trame historique est, dans l'ensemble, celle de Bouché-Leclercq. Si Zenon le
Catien n'était pas déjà fixé en Egypte, la date de 271 deviendrait ainsi un moment très
propice à son émigration.
(3) TnÉocKiTE, Idylle XVII, 63, 103 (éd. Didot. p. 36 s. : -aï; dyxzviTci-:.... Sav6o/.6|j.a;

nxo),-[Aaîo;, è7tiffTâtJ.£vo; So'f- îtà).).Eiv « L'énumération enthou-


expert à brandir la lance ».

siaste du poète montre combien de redoutables peuples ont appris à trembler devans
l'héroïque vaillance du beau rejeton d'Héraclès'.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRLS PTOLÉiMAIQL'ES DE GERZA. 167

ponsabilités du pouvoir à une indolence voluptueuse. Les circons-


tances le servirent d'ailleurs à souhait et son adroite politique s'en-
Pendant quelques années encore les événements
tendit à les exploiter.
de Grèce Mineure exigèrent qu'on ne perdit pas de vue la
et d'Asie
sécurité des nouvelles frontières syriennes. Mais à partir de 260
environ s'inaugure de ce côté une phase de paix (1) que Ptolémée va
mettre à profit pour consolider ses conquêtes syriennes et réorganiser
toute l'administration intérieure de son vaste royaume. Un ancien
stratège égyptien, le grec Philoclès devient roi de Sidon ; les autres

villes du littoral syro-phénicien s'attachent volontiers et loyalement


à une suzeraineté peu tracassière et qui compensait par les bénéfices
de la paix quelle assurait au trafic extérieur et à la libre évolution

de la vie nationale des exigences fiscales lourdes sans être immo-


dérées. Les populations de l'intérieur, juives surtout et samaritaines^
s'accommodaient au mieux, depuis longtemps déjà, d'une domination
qui ne leur avait marchandé ni tolérance, ni sympathie. Aussi voit-on
sefonder alors des cités nouvelles sous le vocable tutélaire des dieux
Adelphes, ou plutôt de très vieilles villes cgijptiser à l'envi leur nom
en d'innombrables Bérénice, Arsinoé, Ptolémaïs ou Philadelphie.
Dans la savante et forte organisation en monarchie militaire réalisée
parle premier Lagide 2), la plus lointaine province était directe-
ment rattachée au pouvoir central exerçant son influence partout,,
grâce aux multiples échelons d'une hiérarchie administrative égrenée
de la chancellerie alexandrine aux dernières garnisons qui veillaient
aux frontières.
La perception des taxes et la rentrée des impôts demeuraient sans
contredit le souci principal de cette administration et la moins facile
de ses tâches (3). Les colonies écartées et les plus récentes provinces
annexées à la couronne ne montraient pas toutes un égal empresse-
ment à satisfaire à leurs obligations vis-à-vis du Trésor, ou ne se
faisaient point faute de duper les agents du fisc. Ces agents eux-
mêmes, collecteurs particuliers ou fermiers généraux des provinces
pouvaient avoir besoin de se sentir contrôlés. D'où l'opportunité, pour

1) A peine troublée un moment, dans les dernières années du règne, par les agitations
d'Antiochus II qui provoquèrent une nouveIle_« guerre de Syrie dont l'issue demeura
)i

favorable au Lagide.
Bien esquissée par Diîovsen, Ulst. de l'HelUn.
[2] (trad. franc;.], III, 39 ss.; cf. Bouché-
Leclercq, op. L, III, 123 ss.
(3) Dés l'an \xii = 263,2 (cL Bouché-Leci.ei-.cq, Hist. Lag., IV, 314) Ptolémée avait
promulgué la nouvelle réglementation fiscale dont lefameux papyrus du Fayoùm connu
sous le nom de Revenue Lavs ou .( Papyrus des Revenus » nous a conservé un monu-
mental exemplaire.
168 REVUE BIBLIQUE.

on ministre des finances avisé comme paraît l'avoir été le diwcète


Apollonios, de se rendre en quelque sorte présent dans toute reten-
due du royaume et d'avoir l'œil sur tous ses fonctionnaires par
l'entremise d'inspecteurs actifs, sagaces et assez sûrs pour être investis
de sa confiance (1). Tel nous apparaît maintenant le Carien Zenon,
se hâtant sans répit à travers les nomes de FÉgypte et prolongeant à
travers la Palestine ses actives randonnées, non sans enregistrer à
notre profit, dans ses archives d'agent consciencieux, des informa-
tions attrayantes sur les affaires qui l'absorhaient et les personnages
avec lesquels sa mission ou ses propres intérêts le mettaient en
contact.

2. Les informations sur la Palestine.

La collation méthodique et l'examen détaillé n'en pourra naturel-


lement être entrepris qu'après la publication plus ou moins intégrale
des Archives de Zenon. Sans même aborder ici le dépouillement sys-
tématique des quelque deux cents documents déjà édités sous la
direction de M. le prof. Yitelli, on voudrait seulement faire entrevoir
le caractère de ces informations par une revue sommaire des échan-
tillons choisis par M. Edgar dans la série du Caire et retenir un peu
plus longuement l'attention sur deux textes qui éclairent d'une
lumière aussi vive qu'inespérée deux problèmes célèbres dans l'his-
toire religieuse et l'archéologie palestinienne la famille desTobiades
:

€t les origines du Palais d'Hyrcan à 'Ârdq el-Émlr (2).


i\" 2 [Annales..., XVIII, 163). — Lettre d'Apollonios à Zenon datée
de l'an XXVI = 258/7. Le ministre dépêche par mer à son représen-
tant deux agents qu'il devra rémunérer et pourvoir de moyens de
fransport par eau en vue d'une mission qui n'est pas autrement spé-
Le message porté par les agents eux-mêmes semble être par-
cifiée.

venu cinq jours plus tard à Zenon, apparemment alors en tournée


dans le sud de la Palestine ou sur le littoral phénicien.
Le n" 3 sera discuté en détail tout à l'heure.
N" 4. —
An XXVII =
259/8. Au cours de sa tournée, Zenon com-
missionne un de ses subalternes appelé Straton pour opérer un
recouvrement en retard chez un personnage au nom de leddous
(Jaddus), évidemment un juif. En fonctionnaire bien au fait de la
filière administrative, l'émissaire de l'inspecteur n'a garde d'affronter

(1) Sur les la perception, voir Bolché-Lecleucq, op. t., III, p. 341 ss.
modalités de
(2) On numérotation provisoire des Selected papyri dans les Annales.
suit la Les
numéros omis ne contiennent aucune allusion à la Palestine.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLÉMAIQUES DE GERZA. 169

tout de go le créancier retardataire. Il s'adresse à Oryas, sans doute le


fermier général du district, Oryas actionne à son tour l'agent local
des perceptions, pour qu'il ait à seconder Straton dans son recouvre-
ment. Soit que réellement malade, soit que peu soucieux de se met-

tre lui-même aux prises avec le juif récalcitrant, Oryas demeure chez
lui et se borne à faire accompagner Straton par un de ses employés
chez leddous, auquel.il fait d'ailleurs tenir par écrit Tordre d'avoir à
s'exécuter : 'E70) ;;.èv |;'j v
|
|à'ppo)7^-:;ç i-r;yy.'tz'> £(•/.' çzpy.ay.E(aç (ôv,

cxi:x.7:iQ-.zi\oL — ':pâTO)V',
|
xwv
oè ;j.wv v£av(-z,cv %y}. £7:',7t:/,y;v lypljzj'!/a
| è|

r.c,zc 'Uoocyv. Non content de faire la sourde oreille à là sommation

écrite, leddous malmène les envoyés qu'il fait jeter hors du village.
Le percepteur régional rend compte ponctuellement au chef de dis-
trict ou au fermier général Oryas et le roulement hiérarchique fait
aboutir à Zenon, à défaut de la créance attendue, le mémoire justifi-

catif du retard. Nous ignorons le dénouement de l'aventure; mais ce


curieux document nous permet de saisir sur le vif les mécomptes aux-
quels pouvaient être exposés les agents du fisc en des cantons écar-
tés (1) oîi les contribuables ne sentaient pas peser sur eux la menace
immédiate de la force publique et pouvaient se leurrer d'échapper
aux sanctions ultérieures. Au bout du compte leur mauvais vouloir
finissait toujours par leur attirer des déboires, car les collecteurs
d'impôts n'étaient pas désarmés contre les refus ou les fraudes. C'é-

tait cependant toujours un peu de temps gagné et ce modique appât


suffisait à provoquer de temps à autre ces velléités d'intempestive
rébellion. La coutume ne s'en est pas perdue dans la Palestine con-
temporaine.
N° 7. —
An XXVIII =
•258'7. Un certain Zoïle, originaire d'Aspen-

dos en Pamphylie, adresse au diœcète ApoUonios une requête pleine


d'instance concernant la fondation d'un sanctuaire à Sérapis. Le
ministre est en tournée d'inspection avec l'indispensable Zenon, qui
nous a conservé le document après y avoir inscrit la date de réception,
« dans le port ou la station — —
de Bérénice » L'endroit est éloigné et .

le voyage ministériel se prolongera, puisque Zoïle adresse par écrit


son urgente requête au lieu d'attendre le retour d'ApoUonios, Comme
nous savions Zenon en Syrie-Palestine durant la même année, on cher-
cherait volontiers en cette contrée quelque Bérénice maritime, qui ne
s'y rencontre cependant pas. On ne peut guère songer non plus au
mouillage vraiment par trop écarté de Bérénice, le nom nouveau

1) On peut voir dans BoucHÉ-LECLEnco {Hisl. Lag. IV, Les iaslitutions..., p. 266 s., 112 s.)
que les mêmes faits se produisaient en pleine Égjpte.
170 REVUE BIBLIQUE.

d'Aziongaher-' Açaba/i, au bout du golfe élanitique. Il s'agit apparem-


ment de cette station de Bérénice sur la côte occidentale de la mer
Rouge, aux confins de l'Ethiopie, qui passait pour avoir été fondée
par Philadelplie au début de son règne (1).
Zoïle n'est pas un homme de peu l'attention du ministre a été
:

appelée sur lui par quelqu'un des « amis du roi (2) ». Avant de rési-
der à Alexandrie, d'où il écrit maintenant, il habitait une ville relati-
vement lointaine, toutefois dans les domaines de la couronne, puis-
qu'il appartient au ministre d'y ordonner une fondation (3), et d'où
l'on pouvait venir par mer. Dévot à Sérapis, Zoïle avait coutume de
l'invoquer pour la santé d'Apollonios et la prospérité du prince. Or
Sérapis lui avait mainte fois prescrit en songe de prendre la mer et
de venir solliciter de la Cour qu'on lui bâtisse un temple à... la —
plus malencontreuse des lacunes dérobe le nom de la cité. Temple —
et téménos devront être érigés àv -r^ "E,\'l.r^^n^/.f^ -pi; toj '/.vj.hi, « dans le
(quartier) hellène, au voisinage du port ». On y devra installer un
desservant et entretenir des offrandes. Comme Zoïle ne s'empressait
pas d'obéir aux injonctions du dieu, il a été frappé dune maladie
grave qui a mis ses jours en péril; pourtant Sérapis l'a guéri sur la
promesse d'accomplir sans délai sa mission. Dans l'intervalle un
Cnidien qu'il ne nomme pas s'est mêlé de prendre à son compte
l'érection d'un Serapaeum en cet endroit et déjà il en avait rassemblé
les matériaux quand le dieu lui fit savoir qu'il n'agréait point son zèle
et lui interdit la construction. Zoïle s'est précipité à la capitale, oii il

a cherché l'occasion propice d'entretenir le ministre de cette afifaire;


mais s'étant donné de traiter au préalable avec lui quelque
le tort

négociation de profane nature (4), il est retombé dans une maladie

qui l'accable depuis quaire mois, l'empêchant de courir en personne


à la recherche du dio'cète
: d'oîi son message, car il ne veut plus
différer.Maintenant donc, qu'ApoUonios réalise en toute diligence
les ordres divins; Sérapis l'en récompensera en le faisant grandir
encore dans la faveur royale —
langage qui traduit bien le souci per-
manent et primordial du bon fonctionnaire — et en protégeant sa
santé. Qu'il ne se laisse point épouvanter par la perspective des frais

(1) Voir les textes coUigés dans Pauly-Wissowa, Real-Encyclopiidie. III, 280 s. n" 5, et

en raccourci dans Besnier, Lexique de géographie ancienne (1914), p. 129.


(2) Sur la nature de ces « amis du roi «, cf. Bouciié-Leclerco, op. L, III, 103 ss.
(3) On peut voir dans Otto, Priesler iind Tempel im hellen. Àegi/plen, I, 387 ss., ou
dans Bouché-Leclerco, op. L, I, 231 ss.; IIl, 191 ss.; IV, 313 s., pourquoi il ressortissait
au ministre des finances d'autoriser une fondation religieuse.
(4) D'où l'on est bien tenté d'inférer que Zoïle avait quelque lùle dans l'administration
fiscale de la province intéressée.
LA PALESTINt: DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. ITl

énormes qu'entraînera la fondation envisagée elle tournera en efiet :

très largement à son profit. Et le mot final doit emporter l'adhésion


dApoUonios, car Zoïle a tout l'air de mettre à sa propre charge beau-
coup plutôt la dépense que la simple direction de lentreprise i-s/i- :

TTiJ-aT-rjO-a) yàp h(0) 7:7.7'. -où-.zi:.

Le morceau est excellemment dans la note du temps et combien son


ingénuité sans apprêts, surtout sa ferveur savoureuse l'emportent sur
la rhétorique religieuse grandiloquente d'un Plutarque ou d'un
Tacite (1) appliqués à décrire les origines du culte de Sérapis dans
lÉgypte nouvelle des premiers Lagides Le message de Zoïle passion- !

nera certainement les mythologues, qui feront ressortir avec quelle


intensité s'y dévoile la fortune du nouveau culte et non moins la saga-
cité politique dun Ptolémée Soter et d'un Ptolémée Philadelphe
habiles à exploiter au bénéfice de leur pouvoir le syncrétisme reli-
gieux floltant dans l'atmosphère hellénistique (21. On voudrait seu-
lement ici pouvoir dégager du papyrus une indication locale de
nature à mettre en cause la Palestine ou la Syrie. La funeste lacune
étalée comme un défi à notre curiosité a du moins laissé subsister
quelques menus indices qu'il n'est pas superflu de colliger. On se
souvient que la ville honorée par le choix de Sérapis en cette circons-
tance est une cité relativement maritime, non pas tout entière néan-
moins en bordure immédiate du littoral, puisque cette situation «au
voisinage du port » définit un quartier spécial, qualitié « le quartier
grec ». La ville en son ensemble n'était donc pas une agglomération
« grecque », mais groupait d'autres éléments. Ce cosmopolitisme

implique manifestement déjà une localité de quelque importance et


ce détail, accentué par le fait qu'il y existe un port, rend compte de
la présence simultanée du Pamphylien Zoïle et de son pieux compéti-
teur le Carien anonyme de Cnido ils s'étaient établis dans cet empo-
:

rium pour leur plaisir ou pour leurs affaires, si tant est qu'ils n'aient
pas appartenu l'un et l'autre au personnel hiérarchisé sous l'autorité
suprême d'Apollonios. Il ne serait pas très spontané de chercher ce
centre maritime sur les côtes escarpées de la Pamphylie ou les
rivages plus propices de la Carie. Sans doute, vers 260, cesprovinces
étaient entrées dans le domaine égyptien ; leurs ports durent néan-

(1) Textes réunis dans l'art. Sarapis (Lehmann-Haupt) du Lexicon der gr... Mythologie
de RoscHER, IV, coL 338 ss., ou l'excellente monographie de S. Reinach, Le moulage des
statues et le Sérapis de Brya.iis [Rev. arch., 1902, II, p, 3 ss.) qui en donne de très
utiles traductions.

(2) Il seraitmanifestement hor.> de propos d'aligner l'immense bibliographie des origines


et de la nature du culte de Sérapis sous les premiers Lagides.
172 REVLE BIBLlQLb:.

moins demeurer surtout des centres d'un commerce local et on ne


voit pas d'emblée Zoïle trafiquant à Cnide j3ar exemple, ouïe Garien
fixé lui-même à Aspendos qui, du reste, est reléguée trop loin de la
mer sur son fleuve intérieur. Et l'administration centrale se fût-elle
mise en mouvement bien volontiers pour doter d'une fondation dis-
pendieuse une cité de rang- très inférieur, en ces confins extrêmes du
royaume toujours sous la menace des convoitises du rival séleucide,
pour ne rien dire des autres? On est ainsi ramené, par le littoral

méditerranéen, vers des régions plus foncièrement « égyptiennes » :

la Cilicie, la Syrie (1), la Phénicie, la Palestine enfin, ces deux


dernières surtout pouvant être spécialement considérées comme des
possessions des Lagides depuis l'origine de la dynastie. Aussitôt sur-
gissent les noms sonores de villes fameuses depuis toujours, qui cen-
tralisèrent jadis sur leurs rades privilégiées presque tout le trafic
commercial entre l'Orient et l'Occident. Mais du coup la richesse
parait rendre le choix tout à fait désespéré. La prospérité de Sidon,
hellénisée maintenant sous le sceptre de Philoclès que la volonté
de Philadelphe vient d'installer sur le trône d'Echmounazar et de
Tabnit, pourrait faire pencher la balance en faveur de la g-lorieuse
cité phénicienne. Je m'avoue cependant incliné vers une autre hypo-
thèse. Sidon s'identifiait, en réalité, avec son port et ses intrépides
navigateurs n'avaient pas attendu les (irecs pour développer dans
leur rade un immense La cité entière s'hellénisait sans con-
trafic.

tredit en ce temps-là, mais demeurait phénicienne et les matelots


phéniciens de vieille souche s'entassaient probablement trop autour
de la rade pour y avoir laissé quelque emplacement propice à l'ins-
tallation duQ quartier étranger, peuplé de Grecs. Tout compte fait,

on arrive à Gaza. La vieille cité philistine s'était trouvée dès le début


sous la suzeraineté des Lagides ; un loyalisme sans défaillance, depuis
qu'elle avait été le théâtre du deux principaux Dia-
conflit entre les
doques, en 312, son voisinage relatif de l'Egypte proprement dite et
sa position qui en faisait un bastion avancé pour les terres d'empire et
l'entrée des provinces nouvellement annexées lui donnaient alors le
caractère d'une ville spécialement « égyptienne », que le pouvoir cen-
tral avait tout intérêt à ne négliger d'aucune manière. A la fois ville
maritime et cité continentale. Gaza tendait à une importance poli-
tique et commerciale de plus en plus développée, attirant dans son

(1) Séleucie. par exemple, aux bouches de l'Oronle, s'offrirait assez spontanément et l'on
sait toutes ses attaches avec la frondaison des légendes relatives aux origines du culte de
Sérapis. La domination égyptienne y était cependant trop mal assise encore en ce temps-là,
sans parler d'autres contre-indications longues à discuter, pour ((u'on s'arrête à ce choix.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRLS PÏOLEMAIQLES DE GERZA. 173

port le trafic du pays intérieur, voire même déj les caravanes de


l'Arabie. Grecque probablement
par ses lointaines origines,
Gaza (Ij était devenue plus ou
moins cosmopolite au cours des
siècles mais tandis que des po-
;

pulations de toute race fusion-


naient dans la cité continentale,
l'exploitation du port quelque
peu distant demeurait sans doute
dévolue aux descendants des
anciens colons philistins, crétois,
cariens ou quoi qu'ils aient été.
La rade, visitée surtout par
les navigateurs des successives
thalassocraties égéennes, s'était
peuplée d'éléments « grecs »

assez nombreux pour qu'au


temps où nous sommes ce quar-
tier, ou plutôt la cité maritime
intégrale, se puisse appeler r,

La présence d'un tra-


'EAXr/nxr,.
fiquant notalde ou d'un fonc-

le Pamphylien Zoïle se passe


évidemment de toute justifica-
tion et le personnage se révèle
d'un esprit fort avisé quand il

allègue dévotement une théo-


pbanie réitérée pour faire ins-

en ce lieu un sanctuaire
taller
du nouveau culte officiel. Bien
que nous en ignorions le résultat,
— Le Sérapis tk Gaza, d'après une ptiot.
sa requête avait d'autant plus de coinmunic|uée pa M, Macridv-bev.
chance d'être bien accueillie que
la fondation projetée entrait mieux dans les vues du Gouvernement
et lui devait être moins dispendieuse puisque Zoïle paraissait en
assumer les frais.

En 1878 fut découverte, sur un tertre dominant le littoral, à

(!) Cf. Lagrange, La Crète ancienne, p. 151 s.


174 REVLE BIBLIQUE.

quelques kilomètres au sud-ouest de la moderne Gaza, une statue


monumentale (fig. 1) qui fit sensation et suscita malheureusement plus
de folklore teinté d'archéologie que d'examen approfondi (1). Trans-
portée presque aussitôt à Constantinople, elle ne semble pas avoir
jamais eu beaucoup la faveur du public, ni la bonne fortune de
retenir l'attention des savants (2). Il n'y avait pas à se méprendre
sur sa nature et de bonne heure lui fut attribué le nom correct de
Zeus, spécifié plus correctement encore en Zeus-Sérapis et tout simple-
ment Sérapis. Si nombreuses déjà, pour la plupart si banales d'ail-
leurs sont les statues de ce type divin que le monument nouveau
pouvait facilement passer inaperçu. Sans lui prétendre attribuer plus
de mérite qu'elle n'en a, celte réplique de Sérapis trônant dans sa
majesté sereine n'est, certes, pas dénuée d'intérêt esthétique ajouté
à sa prérogative d'être « la plus grande statue connue de Zeus-» Sé-
rapis (3). A l'examiner fortuitement naguère dans les collections
de Constantinople, et sans songer alors à rechercher son origine,
j'avais eu l'impression d'une œuvre hellénistique, dans laquelle un
artiste de talent s'était efforcé de traduire le type alexandrin tel que
les experts ont décrit l'œuvre fameuse de Bryaxis « Le dieu... assis, :

droit et fier, un
on distinguait le modelé du torse... le
sur trône....
bras droit était baissé, étendu en avant et un peu vers le côté.... la
chevelure puissante formait une véritable crinière.... La barbe était
épaisse... et n'était pas partagée en deux moitiés symétriques... (4) »
L'analogie se poursuivrait en de plus caractéristiques détails si le bas
du trône et ses accessoires symboliques étaient conservés. Le bras
gauche manque également; mais, sauf erreur, il devait être levé et
tenir un sceptre on a pour en faire foi l'allure nettement relevée,
:

sur l'épaule, des « plis lourds de Vhimation qui, passant obliquement

1) GuTHE, ZDPV., II, 1879, p. 183 ss. avec un dessin peu sûr; Conder, QS., 1880,
Cf.

p. 7 1882, p. 147 s. avec un croquis; Survey, Mem., III, p. 25^. Voir maintenant
ss. ;

Mendel, Catal. des sculptures gr.,i-om. et byzant. du Musée de Constantinople, H (1914),


p. 332 ss., n''6il, avec un bon dessin au trait. Je dois ce volume et d'excellentes pho-
tographies du Sérapis à la libéralité de M. Macridy-bey.
(2) On n'y trouve aucune allusion, que je sache, dans l'Histoire du culte des divinités
d'Alexatidne, Sérapis, Isis..., de M. Lafaye, qui traite cependant avec une très vaste
érudition (p. 248 ss., 271 ss.i des monuments figurés de Sérapis « hors de l'Egypte ».
(3) S. Reinach, Répertoire de la statuaire grecq. et rom., II, i, p. 14, n° 6.

(4) W. Amelcng, Le Sérapis de Bryaxis; Rev. arch., 1903, II, p. 195 ss. Je ne vois
pas qu'il soit question du Sérapis de Constantinople dans la série d'environ quarante ré-
pliques passée en revue par M. Amelung. Sans doute l'omission est-elle due au fait que la
statue est classée sous la seule rubrique Zeus. Je crois pourtant que le type Sérapis est
mieux justifié. Le second siècle après J.-C, indiqué par Mendel comme date évidente, ne
fait pas pleine justice à cette statue.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. 175

derrière le dos, de l'épaule gauche à la hanche droite, se drapait sur


les genoux (1)... «

Si l'attribution du Sérapis de Gaza au temps hellénistique était


reconnue fondée, le rapprochement autorisé avec la création d'un
Serapaemn au port de Gaza, entre 260 et 255, et par répercussion le
sens donné au papyrus se fortifieraient d'autant (2). Il en résulterait
d'autre part une indication de nature à orienter l'exploration future
à la recherche de Gaza maritime, ou si l'on veut du port de Gaza.
Ce qu'on décore aujourd'hui de ce nom n'est qu'une barre rigide
entre la grève et les dunes de sable d'où émergent quelques ruines
médiévales, sans qu'on puisse néanmoins préjuger quels vestiges
plus anciens gisent sous ces buttes (3). Au lieu de cette rade étalée
sans la moindre protection contre la houle du large et les vents
dangereux, le mouillage antique se concevrait beaucoup mieux dans
une crique abritée, du moins sommairement. Pour en rencontrer une,
il faut descendre jusqu'à l'estuaire de Ton. Ghazzeh. Or c'est préci-

sément sur l'un ou l'autre des tells campés sur les deux rives de ce
large estuaire —
Tell 'Adjoul au N. et Tell en-Neqeiz au S. que —
fut trouvé le Sérapis qui nous occupe. Des fouilles déjà envisagées,
semble-t-il (i nous éclaireront peut-être bientôt sur la valeur de
,

l'interprétation donnée à la lettre du Pamphylien Zoïle.


Pour retrouver quelque explicite indication palestinologique dans
les précieuses Archives de Zenon, il faut passer au n" 12 de la série
publiée par M. Edgar. Le document est daté de l'an XXIX = 257/6,
et s'éclaire parle n" 14, de même date générale. Zenon est de retour
à Alexandrie. Un personnage appelé Krotos, que le n" 14 nous signale
comme présidant à des opérations de transit à Jaffa Kpi-oç èv —
'l;-ï) ïc-h >îsjAi;j.sv:r.... ï^xnz'-iKKyx y.yX z-ç>Lù\}.y.-.y. se réclame de son —
appui pour obtenir justice. Il a embarqué un chargement d'huile,
sans doute à destination d'Egypte. Le patron du cargo qui avait pris
livraison de l'huile contre la promesse d'un remboursement cautionné

1) Amgldng, op. L, p. 196.


2) Si notre Zoïle en fut vraiment l'instigateur, le choix du type de Sérapis assis, pour-
rait avoir été inlluencé aussi par le fait qu'il était le type apparemment en faveur à
Aspendos, sa ville natale, comme l'attestent les monnaies ; citations dans Gruppe, Grie-
chische Mythologie, II, 1579, n. 5.
3; Voir surtout la récente monographie de M. Mackenzie, The port of Gaza and exca-
ration in. Philistia; Q. S., 1918, p. 73-87.
4) Mackenzie, op. t., p. 84. Il n'est pas facile de discerner, soit dans les récits contem-
porains de la découverte, soit dans le folk-lore arnpliflé de nos jours, le site exact où fut
trouvée la statue, où l'on a chance par conséquent de mettre à jour un Serapaeum. Je
crois pourtant que les meilleures vraisemblances sont en faveur de Tell en-Neqeiz, en
contact plus immédiat avec le rivage. Cf. d'ailleurs Schuiacher, Q. S., 1886, p. 177.
176 REVUE BIBLIQUE.

par une esclave, n'a livré en fait ni largent ni l'esclave. Le mafiris-


trat local, Alexis, s'est borné à condamner en principe l'armateur de
mauvaise foi sans prendre aucune sanction contre lui et Krotos
demeure les mains vides. Ce n'est du reste point le seul cas où Alexis
ait fait preuve de mollesse il a tiré de prison un matelot nommé
:

Théron qui n'avait pas purgé sa condamnation et qu'on ne sait plus

où prendre.
On se demandera si le document n'implique pas l'extension à la
Palestine d'une institution très attestée à travers l'Ég-ypte : le mono-
pole des transports. A qui, en effet, aurait pu s'en prendre Zenon,
dans le port d'arrivée, pour retrouver des trafiquants marins cju'on
ne lui spécifie d'aucune manière, un vaisseau chargé d'huile pales-
tinienne pouvant voisiner avec d'autres cargos apportant d'ailleurs la
même denrée aux entrepots d'Alexandrie ou de Péluse? Au lieu de
se représenter l'expéditeur Krotos comme un particulier gérant à
Jaffa — où la spécialité se perpétue — un gros commerce d'huiles,
on le concevrait comme le fonctionnaire préposé au mouvement du
port. Si le monopole des huiles, beaucoup plus draconien en terre
égyptienne que chez nous l'ancienne gabelle, ne parait pas s'être
étendu aux provinces annexées, l'importation des huiles de Syrie,
spécialement réputées, demeurait soumise à une réglementation
strictement surveillée. On les centralisait à Péluse, où elles étaient

« déclarées... et acheminées sur Alexandrie... avec un ctùij.SsXov ou


laissez-passer...... elles étaient vendues par l'État, qui les achetait

aux marchands et fixait lui-même son bénéfice, étant seul acheteur


et vendeur en gros (1) ».
Tandis <\ue Krotos défendait à Jaffa les intérêts privés de son trafic
ou les prérogatives de l'Intendance égyptienne, un agent du nom
d'Heraclite ne fait pas preuve d'unmoindre zèle. C'est de lui qu'émane
la lettre n" iï, adressée à Zenon pour rendre compte de ses agisse-
ments et réclamer des instructions au tout-puissant contrôleur, qui
venait à peine de quitter la Palestine. Heraclite fait parfaite figure de
fonctionnaire subalterne dans un office qu'il n'est d'ailleurs pas
facile de préciser (2). A la façon dont il insiste sur les compliments
de bienséance et sur la fidélité persévérante de son souvenir — -/.-A

(7CJ o'.'x-zlou\j.z'/ ï'J. r.y.v-\ y.a'.poj y.'/tiy.v -rc.zJiiv^::, — on sent qu'il regrette

fl) BoucHÉ-LECi-Encfi, op. L, III, 265 n. 2, d'après un Tarif fourni par un papyrus daté
de 242.
(2) M. Edgar observe 1res judicieusement [Annales.... XVIII, 233)
que ce personnage a
bien des chances de s'identifier avec l'Athénien Heraclite fils de Philippe, mentionné parmi
les officiers d ApoUonios dans un document qui sera étudié plus loin.
L\ PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. 177

Tabsence de Zenon, qui eût sans doute appuyé de son crédit une
réclamation demeurée sans succès auprès d'un certain Nicanor qui
lui est manifestement supérieur dans la hiérarchie provinciale (1).

Heraclite sollicitait qu'on lui échangeât contre une monture utilisable


un petit cheval — ittttzc'.cv? — mis apparemment à sa disposition
peut-être par Zenon lui-même. Nicanor fait la sourde oreille. Il
semble que finalement la bête ait péri. Dans l'intervalle un agent
qu'on dirait de plus haute envergure, Apollophanès, « est arrivé en
Syrie ». Notre homme doit évidemment traiter d'affaires avec ce
personnage, car il se met en route croyant l'atteindre à Massyas, et
il le rencontre à Sidon —
y,7.1 y.~zlr,\j.z\)'mç r\\xi<.z v.z Ma^-jav 7jv/;v:w!j.£v |

y.'j-A') h -isojv.. —
Son but parait être de faire dirimer par Apollo-
phanès diverses difficultés concernant certaines expéditions que
Krotos a eflectuées de .laffa par voie de mer à Héraclée, et des Ktiges
douaniers soulevés par le transport de passagers et le cabotage que
Ménéclès, établi à Tyr, pratique entre Gaza et Tyr à/. —
TiÇr^z v.z
Tjp:v. L'intervention d'Apollophanès a l'air de n'aboutir qu'à enche-
vêtrer davantage des questions déjà compliquées et le malheureux
Heraclite, qui demeure dans im terrible embarras, en voudrait bien
être tiré par des instructions directes de Zenon. Mais c'est surtout
contre le Nicanor du début qu'il en a, car en vérité, conclut-il avant
la clausule de politesse, Nicanor abuse de moi comme on ne le ferait
même pas d'un ennemi —
Nf/.avojp vi? -/Ay^T-y.'. r,\v:) wr t> -:;
[j.ï-t

r/Opw -/pr,7aiTC.

Plus que parles doléances de l'infortuné fonctionnaire, pour légi-


times qu'elles aient pu être, nous sommes
intéressés par les échappées
qu'elles ouvrent sur le régime douanier alors en vigueur dans les
ports de Palestine et de Syrie (2) et par ses indications géographiques.
Gaza, .laffa. Tyr et Sidon sont des noms depuis longtemps familiers;

i; A supposer que Nicanorn"ait jias été lui-même un fonctionnaire, il paraît évident

qu'il était du moins de condition assez élevée pour tenir en échec un agent égyptien. On
n'ose pas songer à le rapprocher de ce juif alexandrin Nicanor dont l'hypogée familial a
été découvert au mont des Oliviers par Miss G. Dikson [Q.S., 1903 p. 326) avec une
curieuse inscription brillamment interprétée par M. Clermont-Ganneau {Q. S., 1003,
p. 125 ss.; Rec. arch. or., V, 334; cf. R. B., 1903, p. 490. La tournure de l'épigraphe
grecque, insolite quelque peu dans la langue funéraire palestinienne, et ses caractères
paléographiques la rapprocheraient assez sensiblement de nos papyrus; mais la person-
nalité historique de ce Nicanor semble bien appartenir à la période hérodienne. A moins
qu'on ne puisse remettre en cause la chronologie des données talmudiques? mais ce n'est
pas le lieu de le discuter. Cf. Dittenberuer, Or. gr., II, 296.
(2) On les dirait soumis à la même législation que l'Egypte elle-même, où le « transport

des marchandises était affaire privée », mais la navigation et l'utilisation des routes
grevées par des taxes au profit de l'État (cf. Boi ciié-Lei;lerco, op. l., III, 3è4 ss.}.
RKVUE EIELIOrE 1920. —
T. XXI\. 12
178 REVUE BIBLIQUE.

pas autant le poit dHéraclée, ni surtout Massyas, du moins en tant


que Parmi les villes au nom d'Héraclée qui foisonnent k
localité.
cette époque (l), le choix ne peut évidemment porter que sur une
Héraclée maritime de Syrie; encore semble-t-il en avoir existé
plusieurs, les g-éographes anciens nétant guère concordants et
nullement explicites. En coordonnant toutefois leurs indications, que
ce n'est pas le lieu de discuter en détail, on relève l'existence d'une
Héraclée située sur le littoral entre le mont Gasios djebel Aqra au =
nord, et Laodicée =
Lattakieh au sud ('2). Massyas, où Heraclite se
proposait de rejoindre Apollophanès, otlre surtout l'intérêt d'attester
que du Lagide Philadelphe s'étendait à ce moment sur
la suzeraineté
la joyau des provinces syriennes. C'est, en effet, au
Cœlésyi'ie, le

cœur même de la Cœlésyrie que nous introduit ce nom, connu surtout


comme la désignation d'une région comprenant des montagnes, des
plaines, un cours d'eau et des lacs, entre la Beqaa méridionale de
nos jours et la région de Hama, mais qui s'appliqua vraisemblable-
ment aussi à quelque localité de plus spéciale importance, aujour-
d'hui cependant difficile à déterminer (3\ Cette ville n'était jusqu'ici

(1 énumérées par Etienne dp. Byzance et on n'en trouvera pas moins de


vingt-trois sont
trente enregistrées dans Pailv-Wissowa, Reol-Enajclop. VIII. s. v" Hera/dea.
{2) Stuabon XVI, II, 8 s. (éd. Didot, p. 640) après les bouches de l'Oronte en .suivant
:

la côte vers le sud eIt* tb KdtTtov scpe??,; ôà Ilotjeiô'.ov v-rSiv/yr^ xa; 'H?à/.>.£'.a. Elta Aaooi-
:

y.i'.a... -/.i/'/io-Tx ïy-\.r;\xi'ir, y.ai £'ja:(a=vo; 7t6>t;. L'opposition entre cette splendide cité avec
son port excellent et les noms qui précédent semble suggérer qu'Héraclée n'était guère
qu'une bourgade, Tro/t/vy), à l'instar de Posidion. C'est au surplus ce que met hors de
doute le passage ultérieur, ch. 12 : tîi yàp Aaoôixcta TÙ:r,Q\6Xfi\ •Ko't.'.yyia., x6 xe IIoffEiôiov xa'i

-6 'lIpàx),£'.ov xaî Ta Tâ/^x'/x — ce dernier au sud de Laodicée. La variante 'Hpâx/eiov


•après i[ui ne saurait certainement s'opposer à l'identité de .<;ite, accuse mieux
'Uç^i/.'/.f.x,

encore peu d'importance de la localité. A prendre tout a lait au pied de la lettre la


le

distinction qu'Etienne de Byzance introduit entre une Héraclée de Phénicie n- 14 de —


sa liste —
et une autre de Piérie n° 15 — —
on se demanderait s il n'y a pas une seconde
,

Héraclée au nord du Kà^io; qui constituait apparemment la limite méridionale de la IHérie


proprement dite. Les vieux annotateurs Holstein et Thomas de Pinedo ont sans doute été
bien inspirés de rattacher cette « Héraclée de Piérie • à celle que Strabon fixe au sud du
Casios, adiuettant sans doute une limitation un peu Houe de la Piérie. La même situation
est définie mieux encore par Ptolémée. V, 14 (éd. Didot, p. 961 dont les coordonnées
géographiques déterminent la position de l'Héraclée maritime syrienne à égale dislance
entre Posidion et Laodicée, à quoi se soude parfaitement la donnée de Pune. Hist. Nat.,
V, 18 (éd. Didot, p. 222) joignant Héraclée à d'autres oppida, mais tous encadrés entre
Laodicea libéra et Posidium, ce dernier situé sous le promontoire de la Syrie d'An- f<

tioche ». On situerait donc volontiers IHéradée en question dans l'une des criques qui
entourent le Râs Klianzir, par exemple, vers l'estuaire du Xa/u- Kandil.
Ràs Isabey, ou le

Si éphémère pu être son existence, celle ville eut cependant un atelier


et eô'acée qu'ait

monétaire: cf. Bxbelom, Catal. des mon. gr.; Les rois de Syrie, p. clxxx. Voir au>si
rhiOYSEN, Hist. de l'Hell. (trad. fr.), II, 726.
(.3 Strabon XVI, it, 17 (éd. Didot, p. 643) décrit dabord une première partie de la
Cœlésyrie qu'il appelle Mâxpa;. ou Mâxpa tieo-ov. % 18 Mî-à ok tov M-i/.oav ÈTriv ô Ma^irja;.
:
L\ PALESTINE DANS LES PAPYRUS PÏOLÉMAIQLES DE GEUZA. 179

attestée que par la donnée laconique d'Etienne de Byzance (1). On


est peut-être en droit d'y ajouter désormais l'attestation du nouveau
papyrus, dont la tournure zl: Maj^jav sans article parait impliquer
une désignation moins floue que celle d'une région en général.
Mais un autre détail de la lettre d'iïéraclite est de nature à piquer la
curiosité, malheureusement plus qu'à la satisfaire. Quand il se voit
empêtré sans issue dans les conflits douaniers que soulève, entre les
négociants armateurs et les petits potentats locaux, le cabotage sur
la rade palestino-syrienne, il recourt à une autorité, qui sera mieux
obéie, pense-t-il, sans doute que la sienne : l'autorité d'Apollophanès.
Ce personnage pour l'heure, en mission à travers la Cœlésyrie.
est,

Sans perdre un instant Heraclite se met en devoir de l'y rejoindre,


mais c'est à Sidon qu'il l'atteint finalement. Dès qu'il l'a informé de
ce qui se passe, ApoUophanès intervient en effet, toutefois sans se
trouver en mesure d'agir par autorité, puisque le papyrus nous le

XaÀxiî, wffTrep iv.Çionohz toû Mxo'jûqj' à.v/r\ S'aOtoù AaoStxsia r;


s'xwv Tivà xal ôiEivâ, âv ol;
r,

TTpoîAigâvw. La région est habitée par les « Ituréens et les Arabes », aussi peu recom-
niandables les uns que les autres -• xazoùpyot îtâvTs; g 20 Tuèp oè toO MauT-jov — . :

è(j-iv ô xaÀo-jtJievos AviXwv [iad'.Àixè: y.xi i\malheureusement unèp ik est une


Aaiiaaxrivy) x^pa...
liaison vague qui peut signifier « plus haut », ou simplement » au delà, à la suite ». Plus
explicite est la description de Polvbe, Hisloires, V, 45 éd. Teubner, II, p. 160) —
... :

îl; TÔv xOXwva tov Ttpoaayopïvôjxevoi/ Mapaûav, ô; /.sTrat [j.£v [i£Taçù tt,; xaTà tôv Aî^avov xal

TÔv 'Avxt).{êavov Ttapwpeixr. (TovâysTai ô'sl; aievov Otto tûv TipoeiprifjiÉvtov opûv. 2-.ji,gai-c; oè
y.al toOto.v aùrbv tbv tôttov, -q aTSvwTaro; iai'., ôieîpysaôai TEvâyscn xai /.i(jivat<;, k\ wv ô
[AvOEi^txôç xsipî-rat xdtXatio;. 'ETîtxs'.Tai oè xoï? ttevoî; èx iJ.£v ôaTÉpo-j [xépov? Bpô^oc Ttpocrayo-
pî-.i6[j.£v6v Ti xwpîov, èx êè 6a7Épo-j Péppa, aTîvrjv à;io/,£Î7:ov-a Tràpoôov... [Le roi Antiochos se

dirigea: « vers la vallée dite Marsyas or cette vallée est située entre les versants des
,

chaînes du Liban et de l'Antilibaii. resserrée en manière de délilé par ces niontatfnes. Il


se trouve d'ailleurs ([u'au point où il est le plus étroit ce même défilé s'enchevêtre de
lacs marécageux dont on tire le roseau odoriférant. Dominant les gorges il y a d'un côté le
site appelé Brocchoi et de l'autre Geriha, ne laissant qu'une passe exiguë ». A lire tout
le détaildes combats qui se livrèrent à cet endroit entre Antiochus III et les armées du
Lagide Ptolémée IV Philopator (cf. la suite dans Polybe, V, 61 p. 181 bien analysé — —
par Boiché-Lecleucq, Ilist. des Lag.,
I, 29f3, 303; Hist. des Séleuc, p. 130, 143), on a

l'impression que Marsyas ou Massyas pourrait désigner tout bonnement la vallée de


rOronte inférieur, nnhr el-'Asy, et le défilé fermant ia vallée au sud serait à cheroher
dans la région de Ràs Ba'^albeU ou de Hermil par exemple, ou plus au sud encore.
M. Clermont-Ganneau [Rec. orch. or., IIl, 252, n. 1) rapproche très ingénieusement de
Brocchoi et Gerrha les localités modernes d''Ani el-Djarr indjarr) et KaraU-Nouh, non (

loin de Zahleh, dans le bassin supérieur du LiiOiiy. Voir dans un sens analogue :

Hoi-SCHER, Palustina in der persisch. iind hellen. Zeit 1903 , p. 8, n. 1. Essais moins
satisfaisants dans Drovsen, Hisl. de iHell., II, 735 s. Irad. fr.;, de situer au contraire la
passe à l'extrémité nord du Massyas, sur l'Oronte. à peu près à la hauteur de Tripoli.
FEppa de Ptolémée, V, 15 — p. 986 —, située dans la Batanée, n'a évidemment rien de
commun avec le tort mentionné par Polybe. Au gré de Pline, Marsyas ne serait que le nom
d'un fleuve, affluent syrien de l'Enphrate (//. N., V, 19, g 1— p. 223 — ; 21, § 1; 29, g 4).
(1) Map-jûa, uô/.i; <^olvcV.•/,:. On a. je crois, voulu rapprocher le nom moderne d'el-Ma-
sijad, dans le dj. Ansùrieh. ou montagnes des Xosa'iris.
180 REVUE BIBLIQUE.

montre essayant pour persuader le ïyrien Ménéclès que la


cruii biais
cargaison doit être franche de droits, passagers et marchandises
relevant directement de Zenon 7:apa7£vi;j.îv:c :jv 5 AzcAAiïïavrç robe
:

Tbv MznA^p ï<fr, -i ts jto;j-aT;z vS: -y. çzp-ix zy. thy.. Il n'est donc pas
investi d'une autorité décisive comme leùt été, en l'espèce, celle d'un

Fig. -2 A. - Le contrai de Zenon. Pliot. du papyrus communiquée par M. C Kdgar.

Zenon ou de quelque émissah-e direct de l'administration centrale,


mais doit cependant avoir quelque titre particulier à intervenir dans
Ce titre est suggéré dès qu'on se remet en mémoire la suze-
l'affaire.

raineté sidonienne établie sur Joppé-JaiTa depuis les jours d'Echmou-


uazar, en vertu de la donation de Darius (1 Il est vraisemblable .

:l.) Inscriptiott d'iichmounazar. lig. 18-19; Corpus ifiscr. semit., I, 3: ci. Lagra^ge,
J

I..\ PALESTINE DANS LlfS PAPYRUS PTOLÉMAIQUES DE GERZA. 18

qu'à travers les bouleversements politiques Sidon u"avait jamais


abdiqué ses droits sur cette ville et l'arrière-contrée, « bonne terre
de froment », comme s'en applaudissait Echmounazar. Les intérêts
rivaux des deux vieilles cités phéniciennes continuaient d'ailleurs
de se heurter, même en cette région, puisque l'antique Ascalon était
devenue vassale de Tyr dans la période hellénistique , au dire de
Scylax (1). On sait par ailleurs (2i que vers ce même temps une colonie

m
--^^

Fig. :• B. — Coiiie lie la seconde moitié du papyrus.

sidonienne s'était établie à Marésa, aujourd'hui Tell Sandahannah


non moins peut-être par le désir d'ex-
loin de Beit-Djebrhi, attirée
ploiter ces grasses terres de la Ghéphélah que par le souci d'exploiter,
par l'entremise des Idiiméens, les richesses du Négeb et celles beau-
coup plus lointaines encore de TArabie. Le chef de la colonie sido-
nienne de Marésa était dans ce district un représentant tout trouvé
pour l'auforité du Lagide récemment implantée sur la contrée; tandis-

I Indes sur les relig. sém., 2, p. 48:!, 487. Il n'importe heureusement pas à notre objet
présent d'aborder la célèbre question de chronologie de la dynastie sidonienne (cf. le
résumé du P. Lai.range, R. B.. 1902, p. 521 ss. L'inscription votive des Sidoniens de Jafta
(Laguakge, Jt. B., 1892, p. 275 ss.) est un autre témoignage des relations maintenues entre
Sidon et Jafta.
1) Périple, éd. Didot, p. 79, dans un passage malheureusement lacuneux, mais com-
plété avec assez de certitude par Strabon.
(2i VoirJ. P. Petern et H. TniEisscn, Painted Tombs in ihe Necropolis of Marissa^
p. 9 s., etc. Londres, 190.j. Cf. R. B., l!io2, p. 598 s. 190Ô, p. 317 ss. :
.

182 •
REVUE BIBLIQUE.

que Ptolémée Philadelphe installait un de ses anciens stratèges,


Philoclès, sur le trône royal de Sidon, il ne pouvait confier les intérêts
de son gouvernement en Pliilistie à quelque vassal plus sûr que le
chef sidonien de Marésa, auquel d'ailleurs n'était pas dévolue pour
autant une autorité bien étendue sur les autres groupements de la
proAince. Dès qu'on a rassemblé ces indices, il est impossible de ne
pas évoquer le ApoUophanès, fils de Sesmaios, ayant
souvenir de cet «

été à la tête des Sidoniens établis à Marisè pendant trente-trois ans,


et considéré comme le plus bienveillant et le plus dévoué de tous les
siens » (1), qui « mourut après avoir vécu soixante-quatorze ans, en
l'an... » L'irritante lacune qui a supprimé la fin de l'inscription

contenait évidemment une date qui nous serait ici particulièrement


précieuse. Il en est pourtant demeuré assez d'autres dans le splendide
hypogée de la colonie sidonienne pour nous permettre de constater
que le syrilpathique ApoUophanès a fort bien pu vivre à Marésa, sinon
gouverner déjà la colonie vers 257 avant J.-C. (2), par conséquent
être contemporain de l'infortuné fonctionnaire Heraclite et sa res-
source dans l'imbroglio administratif exposé par le papyrus.
Peut-être retrouverions-nous de ce funeste également la trace
Mcanor dont mauvais vouloir parait peser comme une hantise sur
le

Heraclite; mais son identité semble devoir être éclairée davantage


par l'un des documents qui nous restent à examiner fig. 2A et2B,.

3. La famille des Tobiades et les origines du palais


d' 'A rdq el-Ém ir

Bac.AEÛovTCç Y[-:z'/.î[j.y.(zj tcj ïl-o'MJ.y.itj /.y.': t:j j'.ij Tl-ù.z'^.yio'j ï-yj:

xai s'.v.C7T!:j, as [tpéM: AXsrâvriccj /.y. Oswv Aoea^wv, y.avr^^ôpi'j

'Apo-',v6'/;ç $iAao£A5CJ
Twv c;vT{i)v £V AAsravGpEta. ;j.-/;vbç Zavs'//.sj, àv Bip'x -qz 'A|j.;j.av{-:'.ocr.

a'rïÉocTO Niy.âvo)p Zîvoy.Ass'jç Kvicioç tcov Tcjcîcj '.-zeojv yXr,poj'/o:

5 Zr,va)vi 'Aypî03>o)vtcç Kauvûo twv r.izl 'A-;aa(Ôv',cv tov z'.ziy:r,-r,y

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i;vc;j.a ^î-pay'-ç w; ïTtov ïr.-y. z.py.'/[JM-^ ~vKr,y,0'ny..

[
jor 'Avavicj Ylipzr,: twv TcuStcj ''.-r.ihr/ yj:r,pz\i'/zz.

[i) Inscr. du P. La». range, Comptes rendus


funéraire d'Apollophanès à Marésa. Trad.
Acad. Inscr. Ce document est incorrectement attribué à MM. Bliss
et B.-L., 1'j02, p. 501.
et Macalister, dans Dittenbercep,, Orlentls graeci inscr. selectae, IF, 285.
(2) La plus liaute date demeurée lisible est 205 cf. Laoranoe, op. /.. p. 503). On voit
combien l'adaptation cbronologique est facile. Elle se pourrait renforcer d'une adaptation
artistique plus saisissante encore, que ce n'est pourtant pas le lieu d'entreprendre.
M. Tbiersch l'a d'ailleurs esquissée déjà dans Painted Tombs.... p. 81 ss.
.

LA PALESTINE BANS LES PAPYRUS PTOLÉMAlnUES DE GERZA. 183

yiàc-joi: cova z'.7.y.7-r^: "AvâOwv:; Ik'prr,;, OcAÉy.wv -tpaTojv:;


Ma/.£ca)v, ;'. sj: twv T:'j£{:'j '-TÉtov v.'/.r,ztjyz'.. T'.[j.:zz'/,\: B:tÉ(i)

M'.AV^7lOÇ,

10 'Ilpz/.AE'-Tcç 'ï^'.A'i-zcj "AOy;v:«T:ç, Zr.vtov T:j.7.py:j K:a:ço>v',:ç. Ar.yi?":-

paxcç
Ai;vj-{:u "AtttÉvg'.;;, :•. -iz~y.otz -Cri r.tz\ Xr.z'/JMy.Z'^ -rbv z:z'.v.r,'çj

Van '27 du règne de Pto/émée Ptolémée et de son fils


fils de
Ptolèniée, étant prêtre d Alexandre
dieux Adelphes et étant
et des

canéphore d'Arsinoé Philadelphe ceux qui existent à Alexandrie , au


tnois de Xanthicos, à Birtlid de l' Ammanitide , Nicanor fils de Xénoclès,
Cnidien,.clérouque d'entre les cavaliers de Toubias, a vendu à Zenon
fils d'Agréophon, Caunien appartenant au personnel du diœcète Apol-
lonios, une esclave dont il disposait, nommée Sphragis et âgée d'envi-
ron sept ans, 'pour la somme de cinquante drachmes. \_
]os fils

dAnania.^, Perse, clérouque cC entre les cavaliers de Toubias. Témoins :

le « dikaste » ona fils d'Agathon, Perse; Polémon fils de Straton,


Macédonien : Vun et Vautre clérouques d'entre les cavaliers: de Tou-
bias; Timopolis fils de Botéo, Milésien ; Heraclite fils de Philippe,
athénien; Zenon fils de Timarque, de Kolophon ; Démostrate fds de
Dionysos, dWspendée : tousles quatre du personnel du diœcète Apol-

lonios (1\

Ce document porte le n" 3 dans la série provisoire de M. Edgar et ne


parait d'abord rien offrir que d'assez banal dans les circonvolutions

un peu ampoulées de son Zenon, voyageant


style juridique. Notre
alors en Palestine a fait haltequelque part dans la province d'Ammo-
nitide. Un certain Nicanor, qui se trouvait avoir à vendre une petite
esclave de sept ans, la lui cède pour cinquante drachmes. La solen-
nité avec la juelle on évoque le protocole royal, l'année du règne, les
titulaires des sacerdoces dynastiques pour authentiquer l'acte, sanc-
tionné d'ailleurs par un grand luxe de témoins, fait un contraste sai-
sissait avec ce pitoyable troc d'une pauvre fillette. Ne plaignons, au

(1) Annales..., XVIII, 164 Le contrat est en double copie sur une même feuille de
ss.

papyrus. On se reportera, 1 état du texte, à


pour la transcription et aux diligentes anno-
tations du très distingué spécialiste. L. 2, l'absence des noms du titulaire du sacerdoce
d".\lexandre et des dieux Adelphes comme de la prêtresse d'Arsinoé est expliquée par le
fait que, ces dignitaires ayant été renouvelés au début de l'année régnale, leurs noms

n'étaient pas encore parvenus, au mois suivant, jusqu'à la lointaine province où s'écrivait
le contrat; le notaire s'en tire par la périphrase étant prêtre et canéphore « ceux qu'on a
:

installés et qui sont connus à Alexandrie >. Sur l'organisation de ce sacerdoce dynastique,
voir Bov«;.hé-Leclerc<., m's/. Lag., IH, .3:-48: IV, 331 ss.
184 REVLE BIBLIQUE.

surplus, pas trop la jeune Sphragis, dont le sort en Egypte, dans la


maison de son nouveau maître, l'agent ministériel Zenon, ne dut rien
avoir de trop durli. Il n'y. a plus à redire ce qu'étaient les clé-
ronqiies de 1 époque ptolémaïque colons militaires, ou plutôt vété-
:

rans de l'armée régulière à qui l'administration royale attribuait la


libre possession d'un lot v.Av;p:;) de 'terre dont
'
ils pouvaient vivre tout
en demeurant soumis à certaines obligations de service. L'armée sous
les Lagides étant surtout constituée par des mercenaires, grecs de

préférence, les vétérans qui devenaient « clérouques » demeuraient,


beaucoup mieux encore que les Égyptiens de race, à la dévotion du
pouvoir nouveau. Leurs groupes, habilement répartis à travers les
nomes du Domaine, y assuraient la police et fournissaient aux agents
du fisc l'appui utile dans leur laborieuse tâche. Plus opportune encore
était leur présence dans les provinces de récente annexion et dans
les colonies où ils prenaient le caractère d'une milice territoriale.
Aux marches du royaume surtout, la présence de ces garni-
lointaines
saires était une sécurité. Il ne déplaisait point à ces monarques de
souche macédonienne que d'anciens mercenaires grecs, macédoniens,
ou se disant tels, fussent en nombre prépondérant dans ce colonat
policier et militaire qu'administrait parfois un officier supérieur
délégué directement par le pouvoir central, mais le plus souvent une
autorité locale dont le loyalisme était garanti par les vétérans étran-
gers. Tel est, nous le verrons bientôt, le cas en Ammoni^de. Les
clérouques mis en scène dans notre document appartiennent tous à la
caste particulièrement noble des colons cavaliers — ce n'est pas
d'hier que la troupe montée s'estime d'ordre plus distingué que le
simple fantassin! —
Parmi eux Zenon pouvait reconnaître quelque
compatriote carien. Parmi les témoins .spéciaux de l'inspecteur égyp-
tien quelques-uns ont l'air d'appartenir comme lui au personnel
administratif hiérarchisé sous l'autorité suprême du ministre des
finances Apollonios 2). Entre les témoins de Nicanor le vendeur
figure un persan dont le nom est mal conservé, mais dont le père
portait le nom très hellénique d'Agathon (3). Le titre de z<//.y.--.r,:

(1) Sur la esclaves dans l'Egypte ptolémaïque, voir Boiché-Leclep.co.


condition des
op. /., Malgré son nom de physionomie grecque, la jeune esclave n'appartenait
IV, 118 ss.

vraisemblablement pas à quelque groupe de population heilénisante de la contrée. Par ce


vocable grer —
d'ailleurs très peu fréquent si 1 on en juge par le Dictionnaire de Pape —
le cléronque cnidien Nicanor avait dû chercher à traduire quelque nom nabatéo-arabe.

dérivant peut-être du fait que l'enfant avait clos [ ^•^\ la lignée de ses frères et sœurs,
ou exprimant un simple tatouage (ow«S('?«).
*

(2) Tel l'Athénien Heraclite, auteur probable de la lettre n' 14 étudiée plus haut.
(3) On ne saisit pas quel peut être le rôle de l'autre milicien perse mentionné à la 1. 7.
L\ PALESTINE ItAXS LES PAPYRLS PTOLE.\L\IQUES DE GERZA. 185

était visiblement protocolaire pour ce personnage, puisque le notaire,

qui l'avait d'abord omis dans sa rédaction a pris soin de l'écrire en


surcharge. L'analogie du jury célèbre de Crocodilopolis et peut-être
dun semblable à Héracléopolis i) suggère qu'il s'agit ici d'un « juré »
i

plutôt que d'un juge » ordinaire. Dans les institutions judiciaires


<.<

ptolémaïques et dans la langue des papyrus le c'./.xT:r,:-jw'é n'est


cependant pas l'espèce d'assesseur de nos tribunaux modernes. Les
spécialistes estiment qu'il était membre d'une sorte de commission ou
de '( conseil de guerre jugeant sans appel » les « différends surgis
entre militaires ou miliciens .-. Ils n'étaient d'ailleurs pas nécessai-
rement et pouvaient être « simplement des notables de la
officiers
région Le nouveau papyrus semblerait même attester que le
(2) ».
juré signalé en Âmmonitide était tout bonnement un clérouque (3).
A la tête de ces colons miliciens parfaitement étrangers dans la
contrée se trouve un Toubias que M. Edgar a très bien reconnu pour
« un chef indigène, To'Aixç ou TmcCx:; étant la forme grecque du nom
ammonite Tobiah (4) ». Si l'on pouvait hésiter à discerner en Tobiah
— ainsi que nous l'appellerons désormais le chef hiérarchique de —
la province d'après l'indication à déduire du seul contrat qui vient

d'être examiné, d'autres documents des précieuses archives de Zenon


lèveraient tous les doutes. Voici, par exemple, dans un même
papyrus, deux lettres de ce personnage. Le ministre des finances,
dont il relève, comme de juste, le plus immédiatement puisque
son rôle administratif essentiel consiste à assurer la levée des taxes et

Son nom est estropié, mais il est fils d'Ananie», vocable manifestement plus juif que
<

perse. Le notaire du contrat? Un témoin isolé ou le représentant spécial de Toubias?


(1 Testes réunis dans Boicué-Leclerco, op. L, III, 238-242.
(2) Bolciié-Leclercq, l. l., 240.
(3) Il se pourrait néanmoins qu'on eût affaire à quelque agent particulier de 1 adminis-
tration ptolémaïque. Des documents épigiaphiques datant précisément du règne de Phila-
delplie menlionnent des o'.-/.a<jTai dans un rôle qui paraît être celui d'experts juridiques
adjoints à un administrateur civil, ÈTiiTi-iTr,:, dans une province, ou spécialement envoyés
pour régler un difiërend. Dans l'inscr. de Cos (Dittexp.erger, Orieniis gr. inscr. sel.,
I, p. 67, n" 43 4 s., 14, 16), le nésiarque Bacchon f.TVJTaîo ô'./.a(7Tà; xal ô-.a/./.a/.T-ripa; toù;
ctaxpivoôvta; Ttîol tûv àfxs'.TgïiToviJLÉvtov a-v;j.oo/.a£wv, a demandédes experts et des arbi-
tres aptes à régler à l'amiable les actes litigieux et la ville de Cos a désigné des hommes
qualifiés et intègres (âvôoa; xa/oy; y.àYaôoO;;. Je regrette de n'avoir pas sous la main les
volumes du Bulletin de corresp. où M. IloUeaux a étudié ce
/lelléni'/ue, XVIII, p. 400,
t«xte, et XVII, p. 52 dans lequel il a commenté l'inscription de Théra (Dittenbercei;,
Or. gr..,, I. 6'J, n'- 44 7 s.^ où figurent aussi des ry:/.'3.i-'3.<. envoyés avec un È-isTâTr,;
pour résoudre un cas particulier ... y.'%\ vjv êraffrâtav -.z àTioTteî/.a; 'A-oXXôooxov /.aî
:

ô'./.afftâç...

(4) Edgar Annales..., XVIII, 165. Le ri''2T»2 de Néhémie dont nous aurons à parler
bientôt est rendu Ta)g{a; par les LXX, tandis que la recension de Lucien emploie couram-
ment To-^gia;.
186 REVUE BIBLIQUE.

impôts, la réquisitionné oflicieusement dans le but d'obtenir pour les


collections royales toutes les curiosités exotiques de sa province. Et
Tobiah de s'exécuter avec un zèle empressé :

Tobiah à Apolloûios. salut. Conformément à ce que tu m'avais écrit de (aire par-


venir... 'lacune], j"ai envoyé, le 10 de Xanthicos, X... Hacune. et en surcharge : « qui
fait partie de mon personnel »\ conduisant : deux chevaux, six chiens, un hémio-
nagre croisement d'ànesse, un couple de chameaux arabes blancs (1), deux rejetons
d'hémionagre et un d'onagre. Tous ces animaux sont apprivoisés. Je t'ai adressé en
même lemps la lettre que j'ai écrite pour le roi au sujet de ces présents, dont ci-joint
copie aûn que tu la voies.

Porte-toi bien. L'an 29. le 20 Xanthicos.


Tobiah au roi Ptolémée, envoyé deux chevaux, six chiens, un héraio-
salut. Je t'ai
nagre croisé d'ànesse, deux attelages arabes blancs, deux petits hémiouagres et un
petit onagre. Vœux de prospérité (2j.

Les spécialistes détermineront aisément sans doute cette zoologie et


feront ressortir son adaptation adéquate aux espèces animales carac-
téristiques de l'Ammonitide et des steppes désertiques de l'Arabie
limitrophe. Chevaux et lévriers — sloughis — y sont encore très jus-
tement réputés; l'onagre, apparemment le baqar el-md des bédouins
modernes, y est encore connu et le métissage varié se pratique tou-
jours. Les historiens documenteront avec prodigalité l'engouement
des premiers monarques Lagides, et de Philadelphe en particulier,
pour l'exotisme et le développement, dans leur jeune capitale, de jar-
dins d'acclimatation qui réunissaient les plus extraordinaires échan-
tillons du règne animal à travers le monde connu. L'archéolog-ie ne
saurait omettre d'évoquer, à propos des présents de Tobiah, la déco-
ration si originale des tombes de Marésa dont on a précisément essayé
tout à l'heure de déterminer l'origine exactement contemporaine et
qui sont en tout cas de même période générale. Sous le pinceau
humoristique et délié de l'artiste, chevaux, lévriers, onagres et autres
bêtes moins familières ont bien pu prendre quelque allure de fantai-
sie, mais ne représentent pas un monde animal chimérique (fig. 3).

Ce qui a pour nous le plus d'intérêt en ce moment, c'est de constater


les peines que se donne Tobiah pour flatter les caprices royaux. L'am-
pleur des cadeaux, l'empressement à réaliser la suggestion du minis-
tre en laveur, les nuances de ton dans la correspondance, le souci

(1) Traduction hypothétique. Ces ÛTroÇûvia 'Apaêt-xà /Ev/.à8-j6 sont littéralement « deux
bêtes de somme arabes, blanches, attelées « donc une paire. Dans l'Arabie moderne le
;

chameau « blanc » est toujours considéré comme un animal distingué. C'est en général la
monture du cheikh.
(2) Le texte dans Edo vr, op. l., p. 232. n' 13. avec d'eïcellentes annotations.
LA PALESTINE DANS LES PAl'VRUS PTOLEMAIOLES DE GERZA.

prudent de ne pas se risquer à côté de l'ornière hiérarchique et de


faire passerpar les mains du ministre le message destiné au roi,
pour que le ministre,
informé au surplus A
de son exacte teneur,
ôA^Arp/oc
choisisse l'instant le

plus opportun pour le


mettre sous les yeux
du monarque : autant
W^
de détails qui im-
pliquent bien pour
Tobiah une situation
de haut fonctionnaire
Fig. 3. Onagre peint en rouge et noir dans une tombe
dans sa province. liellénistique de Marésa.

D'autres documents
des archives de Zenon enregistrent, nous apprend M. Edgar, des
envois d'esclaves, des présents officiels pour l'anniversaire de la nais-
sance du roi ou de son couronnement —
à supposer que les -i-.z-.y--

yr,^op<.7. dont il est question ne représentent pas plutôt ce système des

(( couronnes » qui servait... à ménager lamour-propre des dynastes


et villes autonomes alliés de TÉgypte et à déguiser en dons volon-

taires le tribut qu'ils payaient à leur suzerain (1; ». 11 ressort, si je ne


me trompe, de ce faisceau d'indices que le Tobiah de nos documents
était officier supérieur quelconque dans la hiérarchie
non pas un
adniinistrative égyptienne, mais une notabilité locale choisie par le
Philadelphe comme gouverneur responsable de la nouvelle province.
Et ne suffit-il pas d'avoir entrevu ce fait pour que s'évoque aussitôt
en toutes les souvenir d'une dynastie locale fameuse dans
mémoires le

l'histoire biblique depuis les jours reculés de la restauration juive


sous Néhémie, après la captivité? Le Tobiah maudit, cette espèce
d' « esclave ammonite » qui régnait alors en maître sur l'Ammoni-
comparse du dynaste arabe, voire même
tide, se faisant l'inséparable
du gouverneur samaritain, pour contrecarrer l'entreprise de Néhé-
mie, se perpétuait en ung postérité non moins hostile au judaïsme
orthodoxe et qui semble avoir eu constam:uent de solides attaches
avec le judaïsme mauvais teint, toujours prêt à contaminer sa foi avec
des compromis politiques et des spéculations intéressées (2). Sans

(1) Bolché-Leclkrcq, op. L, lU, 336. Le tribut portait son vrai nom, çôpo;, seulement
quand il s'agissait des ^ contributions fournies par les possessions coloniales administrées
par des fonctionnaires égyptiens « 7. l.).

(2) Il serait à souhaiter qu'on entreprit de démêler par une critique attentive la peison-
188 REVUE BIBLIQLE.

essayer, de suivre au fil des jours la descendance du potentat de


i'Ammonitide, on peut se contenter de rappeler que bien longtemps
encore après la période où nous sommes, lors de la glorieuse res-
tauration macchabéenne, on constatera dans la région un état de
choses analogue à savoir une dissémination relativement considé-
:

rable de juifs £v -oXq To-joiz'j. « parmi les gens ou dans les domaines —
— duTobiade » (1) qui s'empresse de les massacrer dès qu'une nou-
velle intervention syrienne a ravivé les rancunes séculaires et reformé
contre eux la vieille coalition Édomite, Arabe, Ammonite 2).
Autour de 265, les populations du pays d'Ammon, constatant les

iialité même du "'^2- ou ""ZVJT éponyme et l'histoire de sa dynastie. Le même livre de


yi'Jiémie, qui a signalé dès le début (2, 19 le mauvais vouloir de Tôbiah et ne cessera de
l'accentuer cf. 3, 7s; 6, 1, 12, 14;. mentionne également (6, 17-19) la sympathie que
4.
i' « esclave 'ammonite » inspirait toujours à bon nombre de juifs marquants de l'entou-
rage même du zélé réorganisateur. Des alliances réciproques avaient resserré ces liens.
Les choses étaient même allées si loin que, mettant à profit une absence du réformateur
en voyage à la cour de Perse, le prêtre Eliachib, lié de parenté avec Tôbiah, n'avait pas
craint de lui réserver un pied à ferre dans les propres parvis du Temple, à la grande indi-
gnation de Xéhémie, qui dés son retour fit jeter dehors tout ce qui avait pu servir à
1" Ammonite et purifier le local 13, 4-9). On se demande d ailleurs quelle relation il pour-
rait bien exister entre ces Tobiades ammonites et la lignée des » fils de Tôbiah » men-
tionnée parmi ceux qui revinrent de la Captivité (7, 61 s.) et qui, lors du dénombre-
ment officiel en Judée, ne se trouvèrent pas en mesure de produire leur généalogie. N'y
avait-il pas d ailleurs, depuis les jours de l'installation en Canaan, quelques éléments
ammonites parmi les Israélites! cf. Jos. 18, 24. '^'ellhausea surpris de constater " que les
Ammonites Tobia et son fils Johanan VeV/., 6, 18; portent des noms juifs composés avec
le vocable divin lahvé », concluait de ce chef avec assez de fondement : « Ou bien ils

n'étaient pas d'authentiquesAmmonites, ou bien, dans le même temps où le paganisme


marqait son empreinte sur les Juifs, le judaïsme en retour avait déteint sur les païens »
and j'ddisclie Geschichte - '1895j, p. 156, n. 1).
[Israelit.
Le vieux commentaire de Grimmsur les Macchabées [Kurzrjefas. exeg. Bandbuch zu
;lj

den Apokr. des A. T., III, 81 dSSSi, sur / Mac. 5. 1.3) établissait que Tvj8;o-j doit être
préféré à la leçon excentrique d'un ms. Tovôîv. Il le comparait toutefois à la région de z^C
en Ammonitide.
(2) I Macch. 5, 1 ss., 13, etc. on ne voit pas qu'il y ait lieu, avec Ilolscher par exemple,
de s'arrêter encore (v. 13) à la mauvaise leçon v. .. bi zo'.; Toooiv pour se lancer à la

recherche dun nom de ville rondement Tôb de Jug. 11, 3 ss. et II Sam. 10. 6.
assimilée à
pour identifier le tout à Pella [Paldstina in der pers. und hellen. Zeit, p. 7.5). Dans
Juges il s'agit d'une « région » au nord de Galaad ;cf. Lagrange, Juges, in loc, p. 194^.
Dans Samuel, Job en relation avec Ma'acà = Ab'd, parait située assez loin au nord-ouest
(cf. DifORME, tH loc., p. 349). Les plus récents commentateurs n'en continuent pas moins à
reproduire les mêmes citations, quittes à suggérer des identifications topographiques pré-
caires. C'est ainsi que M. Charles [The Apocrypha... I, 83 (1913, sur I Mac. 5, 13} indique
la « région de Tubias » à « 12 milles au sud-est du lac de Galilée .Dans // Mac. 12, 17.
au cours de celte même lutte de Judas contre la coalition païenne reparaissent des
>£-;'ou.Évov: To-jêîtvov: [To-.>;i'.avo-J:'i 'Io,.oaîoj; qui représentent à n'en pas douter le même
groupe de population, sans qu on puisse clairement discerner si la narration n'est qu un
doublet de / Mac. 5, ou s'il s'agit d'une nouvelle campagne de Judas, comme paraît le
suggérer l'analyse de Charles, op. l.. I, 127.
LA. PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLÉMAIQLES DE GERZA. 189

embarras où se débattait la monarchie séleucide et sentant s'affermir le


pouvoir de Ptolémée II, avaient jugé prudent et avantageux d'accepter
franchement sa suzeraineté. L'antique Rabbath-'Ammon, abdiquant
le vocable ffui semblait pourtant consacrer son titre de capitale de la
contrée, se mettait par adulation sous le vocable tutélaire de la nou-
velle déesse dynastique, en prenant le nom de Philadelphie. Rien
n'entrait mieux dans du gouvernement Lagide et dans la
l'esprit
ligne de sa politique coloniale que de laisser aux nouvelles provinces
annexées presque tous dehors de l'autonomie sous le contrôle des
les
colons miliciens. Par le choix du monarque, ou par le succès de sa
propre surenchère, un descendant de Tôbiah continua d'exercer, en
vertu de l'investiture de Philadelphe et désormais pour le compte de
l'Egypte, le pouvoir dont il paraît lùen avoir été l'héritier en cette
contrée. Quelques vétérans furent installés dans sa province, autant
pour consolider son loyalisme que pour lui faciliter l'exercice de ses
fonctions administratives. Parmi les anciens mercenaires grecs de
toute nuance groupés maintenant sous l'autorité de cet 'Ammonite
teinté de judaïsme pour gouverner une province de protectorat plu-
tôt qu'une véritable colonie égyptienne, on n'éprouve aucun étonne-
ment à rencontrer des mercenaires perses, peut-être même un Perse
judaïsant si l'on serrait de près son patronymique Ananias. :

Avant de poursuivre cette sommaire enquête sur la fortune poli-


tique des Tobiades, il est opportun d'examiner en quel lieu le docu-
ment qui nous a remis sur leur piste parait situer leur centre d'ac-
tion, dans cette seconde moitié du m* siècle avant notre ère. On se
souvient que le contrat de si chétif objet est passé h .i'r"^ Ay.y.rzv-- ~'^i-.

T'.oïc, Cette B'OTa, aux allures de nom propre, ne saurait plus guère

donner le change en cette région. Sous son articulation araméenne


elle cache la désignation d'une « forteresse ));non pas, à vrai dire,
restreinte au sens moderne et précis d'un site exclusivement aménagé
pour les nécessités militaires d'une défense, mais dans l'acception sen-
siblement plus large d'une installation où peut évoluer la vie civile et
religieuse d'un poste de colons miliciens telle que l'impliquait par
exemple la nn^'z de Yeb, dans les papyrus araméens d'Éléphantine (1 1,

Une installation antique de ce type est depuis longtemps célèbre dans


la région en cause et le témoignage explicite de l'historien Josèphe
qui l'a, un peu plus tard, hellénisée en B-xp-.ç atteste qu'elle avait
conservé de son temps sa désignation primitive; elle était d'ailleurs
suffisamment caractéristique pour tenir lieu de nom propre. Tout le

(1) Cf. Lagrange, RB., 1907, p. 269 s; 1908, p. 348 ^.


190 REVUE BIBLIQUE.

monde a songé d'instinct aux ruines d'Ardg el-Emir, dont on n'at-


tend d'ailleurs pas ici la description détaillée. Après tant de remar-
quables études il n'y a plus à en retracer l'exacte physionomie; mais
surtout depuis les travaux de la mission archéologique américaine de
Princeton University que dirigeait M. l'architecte Butler (1) et qui
consacra, en 1904, à peu près une semaine à l'étude de ces ruines, on

''^"ï*

'^1 h

Fig. 4. —
Le ti'' s ir"Ar;'if|el Kmir. Vue du S. E., au bord de l'ou. essyr. au 1' i)laii,
qasr el-'Abd; lui IimhI la talaisc rocheuse ou sont percées les cavernes. Phot. Savignar.

ne saurait vraiment espérer en arracher mieux le secret sans entre-


prendre de très laiiorieuses fouilles. Une brève analyse répondra donc
suffisamment à notre but.
Tous les visiteurs ont insisté àlenvi sur l'impression grandiose que
produit cet amphithéâtre à flanc de montagne, bordé par le frais ruis-
seau chantant sous la jungle de Y ou. es-Syr et largement ouvert au sud
en une perspective splendide vers le Ghôr (fig. k). A l'extrémité sep-
tentrionaledu cirque naturel la montagne « est percée de deux étages
de chambres, mises en communication par un chemin couvert qui

(1) Princeton Univ. arc/i. Exped. io Syria. Di\. II: Ancicnt ArchUecture..., by H. C.
Butler, Sect. A, I, p. 1-25. Voir aussi Div. III, Inscriptions..., bj E. Littmann; sect. A,
I, p. 1-7. On trouvera dans cette publication (1907) toute la bibliographie utile, qui s'ali-

gnerait vainement ici.


L\ PALESTINE DANS LES PAPVULS PTOLEMAIQl.ES DE GERZA. 101

serpente daos la pierre, et par un couloir horizontal taillé dans le


rocher » (fig. 5). « Les chambres ne sont pas sépulcrales... les unes, ;

disposées avec soin, éclairées par de larges fenêtres, sont des salles
d'habitation; les autres, avec leurs mangeoires et leurs anneaux
taillés dans la pierre, sont des écuries ; d'autres, plus grossières, ont
servi de magasins enfinun bloc réservé sur le bord du chemin cou-
:

vert et percé de petites niches, est évidemment un colombier. Tout

Deux étages de cliambres. mises en communication, par un couloir taillé dans


le rocher •. Pliot. Savignac.

cet établissement a donc les caractères d'un lieu de refuge, mis à


labri d'une surprise par les larges tranchées qui l'isolent et par le
chemin étroit qui y mène, capable de contenir une nombreuse maison
avec une suite de cinquante chevaux au moins et des provisions pour
un long siège... A l'exception de deux salles au rez-de-chaussée, toutes
les grottes de cette étonnante ruche sont grossièrement taillées : tout
a été sacrifié à l'utile, aux besoins de la défense. Les salles qui s'ou-
vrent au preaiier étage sur le couloir horizontal sont des excavations
en partie naturelles, en partie artificielles, sans plan régulier; les
plus intéressantes sont celles qui ont servi d'écuries. Les deux salles
du rez-de-chaussée, réservées au logement du maître, sont plus soi-
192 REVUE BIBLIQUE.

gnées ; leur plan est lectauiiulaire, les parois sont layées, le plafond a
la' forme d'une voûte surbaissée qui s'appuie sur une moulure conti-
nue, sorte de doucine grossière. Une fenêtre, placée au-dessus de la
porte et largement ébrasée répand une abondante lumière ))(1). C'est

sur la façade sommairement aplanie de ces cavernes qu'est gravée


en deux endroits la courte épigraphe sur laquelle on reviendra bien-
tôt (2).Une spacieuse terrasse, mollement inclinée vers le ruisseau, se
relève à l'extrémité orientale en un petit tertre (fig. 4, a) qui porte
quelques ruines d'assez cliétive et moderne apparence. A peu près au
centre de l'hémicycle, le sommet d'une faible ondulation (fig. 4, b)
avait été aplani et déseloppé par des murs de soutènement en un
groupe de petites terrasses. On y peut observer encore quelques sec-
tions d'un aqueduc et les fondements d'un édifice carré de 6'", 80 de
côté. La diligente investigation des savants américains leur a fait
retrouver plusieurs débris d'un entablement dorique et divers mem-
bres d'architecture qui éclairent un peu sur le caractère général de
l'édicule sans permettre de discerner s'il fat un tombeau, un pavillon

de jardin, ou d'autre nature encore (3). Tout à l'extrémité méridionale


de l'esplanade, ou plutôt assez bas déjà dans la vallée, un puissant
barrage en maçonnerie est tendu d'un bord à l'autre, constituant une
sorte de cuvette au centre de laquelle émerge une plate-forme rec-
tangulaire, artificiellement soutenue par des murs de revêtement,
aujourd'hui dans un état fort ruiné. C'était du monument le
l'assiette
plus remarquable de tout cet ensemble (cf. fig. 4). Depuis les excel-
lents dessins de MM. de Saulcy (i) et de Vogué surtout (5), cette ruine,
désignée sous le nom moderne de Qasr el-'Abd, a été presque aussi
vulgarisée que la mémorable effigie du Sphinx ou les momies pharao-
niques. Les relevés de M. Butler, établis à l'aide de quelques sonda-
ges, en ont fourni une notion sensiblement plus précise quoique incer-
taine encore en divers points. I^'édifice, dont on connaît maintenant
les proportions exactes i^fig. 6), était un rectangle de 37'" x 18"", 50,

(1) De VoGïiÉ, Le Temple de Jérusalem, p. 38 et 42. Oii ne saurait donner une meilleure
vue d'ensemble que celle de l'illustre maître, qui, le premier, ot en dépit des diUicultés
imposées naguère à son exploration, recoonut l'importance et le vrai caractère de la belle
ruine, signalée par Irbyet Mangles en 1818 ou 1820.
(2) La meilleure vue générale des cavernes est encore celle du Survey of Eastern Pales-
Une, face p. 72. On trouvera aussi, face p. 84^ une excellente vue de la principale façade à
inscription.
(3) Butler, op. l., p. 22 s.
(4) Voyage en Terre Sainte, I, 211-234 (1865); mais surtout dans le Mémoire sur les
monuments d'Aâraq-el-Emyr, beaucoup moins cité, quoique plus technique : Mém. de
l'Institut de France, Âc. Inscr. et B.-L., XXVI, p. 83-117, avec 8 planches ln-4° (1867).
(5) Le Temple de Jér., pi. xxsiv s., in-folio.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRLS PTOLE.\L\IQLES FJE GERZA. 103

orienté de N.-X.-O. en S.-S.-E, avec une monumentale sur


entrée
chacun des petits côtés N. et S. entre deux groupes de pièces symé-
triques. Sur les côtés longs, des pilastres engagés et très saillants
supportaient apparemment une
galerie. L'ordonnance intérieure n'a
pu encore être mais on croirait volontiers à un grand
déterminée ;

espace central hypètre, environné de portiques. Le bénéfice le plus


précieux de l'exploration américaine est d'abord d'avoir fixé les
mesures du plan, retrouvé assez d'éléments pour une restauration
bien motivée des deux péristyles avec ordre inférieur et supérieur,
suggéré le caractère des superstructures, mais ensuite et surtout

— Le
*'' 25 80

57.00 ^
Fig. G. temple de Tôbiali. Plan restauré d'après Butler.

d'avoir mis à jour quantité de détails d'architecture et de décoration


qui autorisent un diagnostic archéologique plus positif. Avec son
sens e.sthétique si par une érudition toujours si judicieuse,
affiné servi
M. de Vogué se persuadait naguère que « le style... et les caractères
intrinsèques de l'ornementation, considérés en eux-mêmes, indi-
quent une époque comprise entre le siècle d'Alexandre et le siècle
d'Auguste. » (1) A qui trouverait cette détermination un peu large, il
faut rappeler la difficulté considérable de marquer des phases pré-
cises dans l'évolution de l'art palestinien d'époque hellénistique en
un temps où l'archéologie positive commençait seulement à se docu-
menter en cette contrée. Il y avait, à coup sûr, mérite et sagacité
à s'abstraire, en présence de la fameuse ruine, de la hantise de son
mégalithisme et de considérations historiques et religieuses déve-
loppées un peu plus tard avec un brio impressionnant par M. de

Le Temple..,, p. 41.
REVLE BIBLIOUE 1920.
194 REVUE BIBLIQUE.

Saulcy concluant à quelque très archaïque production de Farchitec-


ture religieuse « ammonite ». Entrela structure en blocs gigan-

tesques « appareillés avec une recherche d'eDchevêtrements et de


tenons intérieurs qui indique une certaine inexpérience » (1) et la
décoration sculpturale qui offrait, à côté de simples épannelages, des
pièces du fini le plus délicat surgissait une relative antinomie. Sans
doute les éléments ébauchés se pouvaient-ils justifier tant bien que

mal par l'hypothèse d'une construction inachevée, mais l'hypothèse


se heurtait elle-même à d'autres difficultés. Les sondages de la mis-
sion américaine complétant la minutieuse documentation graphique
de M. Butler ont exhumé de très précieux fragments décoratifs et
mainte pièce d'architecture très suggestive. Ces trouvailles ont révélé
le rôle important que les revêtements et les placages ont joué dans cet

édifice. Elles ont mis en relief avec une non moins opportune clarté
son caractère -spécifiquement hellénistique. Analysant avec soin ces
éléments nouveaux, Butler a fait ressortir que dans ce monument
d'exécution toute grecque se trahissent des influences aussi nettes que
variées. La recherche du mégalithisme, si visibledans les murailles
extérieures, dérive apparemment de la Phénicie d'époque grecque. La
grande frise courante de lions passants doit bien être d'inspiration
orientale (fig. 7). Les chapiteaux à doubles protomes de taureaux
adossés n'ont pas moins clairement leurs prototypes en Perse, tandis
que les revêtements, peut-être même des stucs peints, viennent pro-
bablement en droite ligne de l'art alexandrin. A se laisser guider uni-
quement par les données archéologiques, le savant américain aurait
choisi comme date la plus vraisemblable de l'édifice précisément ce
règne « de Ptolémée II (285-2i7 av. J.-C.) qui influença particulière-
ment les affaires » et celles de la région d'Araq el-Émîr peut-
de Syrie
être plus que toute autre (2).
Mais à rencontre de cette suggestion archéologique dont on ne
saurait trop admirer la fine pénétration, Butler ne pouvait pas ne
point subir l'obsession d'un témoignage littéraire qui pèse depuis
toujours sur cette discussion, obsession d'autant plus inéluctable
qu'elle dérive du récit de Josèphe qui a fourni la plus brillante iden-
tification des ruines (ï'Ardq el-Émîr avec la puissante Bxpiç érigée
pour la sécurité fastueuse d'un Hyrcan « fils de ïobie » de célèbre
mémoire dans l'histoire juive du second siècle avant notre ère.
L'intéressante narration des Antiquités judaïques (XII, iv, 11) ayant

(1) De VoGiiÉ, op. l., p. 40.

(2) Butler, op. L, p. 17.


LÀ PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLÉMAIQLES DE GERZA. 195

été traduite naguère ici même par le P. Séjourné, il serait superflu

de nouveau (1, superflu davantage encore de reprendre


la réciter à
la démonstration de coordonnées topographiques depuis
longtemps
rendues évidentes. Il découlait spontanément de ce bienheureux et

très pittoresque récit que le monument hyrcanien de You. es-Sijr


=
Tup:ç aurait dû dans la décade, ou plus strictement
être construit
encore dans les sept ans qui précédèrent l'avènement d'Antiochus IV
Épiphane au trône de Syrie, soit l'an 175/4 av. notre ère. Cette
:

't.-. ^^m^'m.'--

â -.- ^/ '-

Z:Zi:, TTîTr-T^:;;^;;s;^*»««"^.

— i

i
i

I^te:
l'ig. Débris de la frise des lions. Phot. Savi

limitation dans un laps de temps assez parcimonieux ne laissait pas


que d'être gênante, étant donné surtout que dans ce même intervalle
Hyrcan avait guerroyé sans trêve contre les Arabes. Cet Hyrean,
dautre part, était juif et lui pouvait-on imputer un tel laxisme que
d'avoir couvert ses édifices de représentations zoomorphiques répu-
tées prohibées avec rigueur par l'orthodoxie religieuse? A la vérité
nous savons aujourd'hui par d'assez catégoriques attestations monu-
mentales que la prohibition soutirait quelques accommodements et
s'était mainte fois mitigée. Le moyen pourtant de ne pas accepter

jusqu'au bout le témoignage de Josèphe, puisqu'on lisait sur les

(1) SÉJOtr.isÉ, R. B., 1893, p. 139 s.


196 REVUE BIBLIQUE.

rochers mêmes de la « forteresse ^ le nom de ce Tobiade auquel il

faisait honneur de la fondation?


En effet, on se souvient qu'en décrivant les cavernes nous avons
signalé la situation d'une épigraphe deux fois répétée aux entrées des
plus remarquables salles souterraines. On peut désormais négliger
tous les tâtonnements résultant d'observations trop hâtives, ou de
copies inexpérimentées. La lecture de ces deux groupes similaires de
caractères hébreux archaïsants (fig. 8) ne souffre depuis longtemps
aucune hésitation : c'est n'^zrc, Tôbiah (1). iMais tout comme elle avait

pesé sur le diagnostic archéologique, la perspective historique ouverte


par le texte de Josèphe pesait naturellement sur le diagnostic paléo-
graphique (2).
Dans l'amas d'opinions émises sur l'ensemble des ruines d'Âràq
el-Émir, deux théories seulement avaient un caractère de compétence
et d'originalité celle de M. de Vogué interprétant le groupe des
:

cavernes comme un véritable refuge, une forteresse, et le grand


monument construit comme un palais, tout étant rattaché à la fonda-
tion d'Hyrcan vers 175; celle de M. de Saulcy qui tenait le principal
édifice pour un très vieux « sanctuaire des Ammonites » depuis long-
temps abandonné quand le fugitif Hyrcan eut l'idée de s'en faire un
puissant refuge par une transformation habile mais hâtive de la
grandiose ruine, autour de laquelle il développa des jardins, quelques
édifices secondaires, après avoir transformé en abris pour sa suite
les grottes qui auraient constitué jadis les dépendances du sanctuaire,
peut-être aussi la nécropole des rois d'Ammon. Ce système compliqué
et fort précaire au point de vue archéologique s'étayait néanmoins
de certaines considérations d'histoire, de quelques faits matériels
aussi qui n'en soufl'i aient pas la pure et simple élimination, du moins
en ce qui concernait l'édifice principal. Après avoir soumis sur place
et à la lumière de ses découvertes les deux théories « palais du —
(1) Dès 1890 elle avait paru « certaine » au P. Lagrange [Au delà du Jourdain, p. 24;
extr. de La Science catholique). On trouvera d'ailleurs la très ample bibliographie de
ces petits textes dans Littmanx, op. L, p. 1.
(2) M. Clermont-Ganneau, Archaeol. Researches, II, 261 ,1896), n hésitait pas à dé-
clarer que la graphie est « encore apparentée au type ancien » — plutôt qu'à l'hébreu carré.
C'est uniquement à cause du texte de Josèphe relatif à Hyrcan, on le voit par la suite,

que le maître français date l'épigraphe de 175 seulement. M. Littmann (op. 1., p. 2 ss.)

est encore plus explicite et discute d'ailleurs plus en détail la question paléographique.
Les plus strictes analogieslui paraissent fournies par les stèles araméennes de Teimà,
Saqqarah, Carpentras documents du v'-iv* siècle. Et s'il conclut, lui aussi, à une origine
:

dans la première moitié du second siècle avant notre ère, c'est derechef en vertu de l'attri-
bution qui paraissait si fatalement s'imposer au Tobiade Hyrcan, d'après la narration de
Josèphe.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. 197

second siècle » ou « temple ammonite tardivement remanié en forte-


resse » —
à un contrôle très attentif, M. Butler s'est vu contraint de
laisser la question ouverte, que son collaborateur épig-ra-
tandis
phiste, M. Littraann, allant plus à fond dans la discussion d'ensemble,
se déclarait plus enclin à l'hypothèse d'un temple, mais ramené à
la fondation d'Hvrcan le Tobiade, vers 175 avant notre ère, alors que

.V^ii*^^'

.
mÊÊÊKÊSÉBÊOÊÊ.
Fig. 8. — Une des inscriptions de Tôbiali. Pliot. Savignac.

Butler eût voulu pouvoir reporter cette fondation environ un siècle


plus haut (1.
Ici paraît devoir intervenir avec la plus heureuse opportunité
l'humble contrat passé en 259/8 avant notre ère entre Zenon le haut
commissaire égyptien et le colon milicien Nicanor placé sous la
dépendance du stratège Tùbiah dans la birthd d'Ammonitide. Si
l'agent du ministre des finances Apollonios est venu jusqu'à ce lieu
écarté, il est naturel de penser que c'était en vue d'y rencontrer le
gouverneur responsable de la province. Or l'installation à'Ardq
el-Émîr ne répond-elle pas excellemment à ce que pouA^ait être la
résidence de ce Tùbiah que la faveur de Ptolémée II avait investi de
cette brillante et sans doute assez lucrative dignité? L'antique capi-
taleammonite, Babbath-'Ammôn, eût été manifestement un siège
mieux désigné pour le gouvernorat. Bien, au surplus, n'empêche de
penser que le siège officiel de l'administration ptolémaïque y demeu-
rait fixé. Même à travers l'ostentation de loyalisme égyptien qui lui

(1) BUTLEB, op. l., p. 17 S.: LiTTMANN, Op. l., p. 5 S.


198 REVUE BIBLIQUE.

faisait afficher le nom nouveau de Philadelphie, la vieille cité n'avait


certainement pas abdiqué son particularisme local et Tôbiah, qui
n'était pas de vraie race a ammonite », pouvait ne pas s'y estimer tout
à fait en sécurité, le jour où quelque soudain revirement de fortune
ruinerait l'autorité Lagide dont il était la créature. D'autre part, le
gouverneur avait été doté de la traditionnelle milice destinée à repré-
senter près de lui la force égyptienne. L'établissement de ces « clé-
rouques » étrangers était plus normal en quelque canton agricole
que dans la capitale officielle de la province et le gouverneur, stra-
tège, ou de quelque titre qu'il ait été pourvu, devait avoir au milieu
d'eux son poste de commandement et comme une résidence secon-
daire. Tandis que la région de Voit. es-Sz/r se prête excellemment à
des installations agraires, le site d''Af'dq el-Étnîr, au centre de cette
fertile campagne, olfrait le charme de sa végétation et de ses eaux,
la commodité et l'heureuse exposition de son cirque naturel, surtout
la sécurité des roches abruptes qui le bordent pour établir le poste
principal des colons miliciens. En homme avisé. Tôbiah se choisit au
milieu d'eux une résidence où il lui serait aisé de mettre ses biens
et sa personne à l'abri de toute éventualité fâcheuse. Son nom gravé
sur la façade des deux plus importantes cavernes atteste qu'il s'était
réservé dans ces abris la part proportionnée à son rang. Des cons-
tructions variées complétèrent peut-être l'installation; mais un édifice
religieux n'y pouvait guère manquer et les vestiges grandioses du
Qmr eWAbd trouvent évidemment leur plus satisfaisante interpréta-
tion dès qu'on les envisage de. ce point de vue. Ce n'est pas le lieu
d'en détailler la preuve. On notera seulement que ce temple, érigé
en pleine période hellénistique, au milieu d'une colonie de vétérans
gréco-asiatiques, par le fastueux Tobiade qui incarnait momentané-
ment dans la contrée le pouvoir royal égyptien, paraît être dérivé
d'un concept religieux aussi mixte que le milieu hétéroclite où il

surgissait (1). Si, comme


y a de bonnes raisons de le penser, le
il

Tôbiah de 259 était un descendant du turbulent contemporain de


Néhémie, son origine était juive, mais son judaïsme depuis longtemps
fort atténué ne se marquait apparemment plus que par des nuances
dans une culture hellénique alors très en faveur. Le poste ou la

(1)Le fait que ce temple ait été construit au milieu dune sorte de lac artificiel porte
à se demander si on ne l'aurait pas dédié à une divinité particulièrement en faveur sous
les premiers Lagides, cet Ammon antique du désert égyptien dont la légende de cour
faisait le père des rois. On se souvient en elfet que. par une assez singulière adaptation,
Ammon était devenu un Zeus des eaux et des fontaines dans la Syrie hellénistique; cf.
Perdrizet, R. B., 1900, p. 436 ss.
LA PALESTINE DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. 199

birthd de l'Ammonitidc apparaît ainsi très à l'instar de la birtJid

d'Éléphantine; mais tandis qu'il s'agissait icide miliciens juifs établis


en terre égyptienne pour y assurer la sécurité d'un pouvoir nouveau,
là au contraire nous trouvons des miliciens grecs installés au cœur
d'une province sémitique sous le commandement d'un ancien dynaste
local, peut-être un juif mâtiné d'ammonite, iduméen ou arabe. Sans
doute la birthd n'est ni une forteresse, ni un camp retranché au sens
moderne du terme ;
elle n'est pas installée en prévision de quelque
redoutable assaut par un ennemi du dehors. Elle n'en représente pas
moins un abri de toute sécurité contre quelque péril éphémère pou-
vant surgir à l'intérieurmême du pays (1) et la vie civile et religieuse
du gouverneur et de sa colonie territoriale y peut évoluer avec
autant de commodité que d'agrément. Le règne prospère de Phila-
delphe s'étant prolongé une vingtaine d'années après l'annexion de
la province et la paix n'y ayant d'ailleurs pas été troublée gravement
pendant les deux règnes qui suivirent, c'est plus de temps qu'il n'en
faut pour la réalisation du monument (V'Ardq el-Émir. Architectes
et archéologues sont délivrés du souci de rabaisser au milieu du
second siècle un édifice que tous ses caractères artistiques leur
suggéraient de classer au m". Les épigraphistes seront de en même
mesure de suivre l'impression résultant d'un examen paléographique
attentif des deux épigraphes en raccourcissant l'intervalle qui les
sépare des documents araméens du v' et du iv'' siècle où elles trouvent
leurs meilleurs éléments de comparaison. li est, je crois, assez peu
de cas où la topographie, l'archéologie et l'histoire concordent avec
une harmonie si satisfaisante et aussi spontanée.
Mais alors, l'assertion de Josèphe attribuant à Hyrcan, le fils d'un
ancien fermier général des impôts en Judée, la création de cette
même Bâp».;? Ce récit est d'autant moins oublié que, sans lui, la
localisation de la birthd de Tôbiah fût demeurée aussi précaire qu'il
la rend au contraire solide. Ceux pour qui les récits de Josèphe

(1) Sans parler de la facilité qu'il y avait de la munir de défenses avancées, sur les
points qui commandent les voies d'accès. De ce point de vue on se demandera si la
birthà de Tôbiah et de ses gens ne s'offre pas juste à point pour éclairer un récit biblique
ultérieur. Dans // Mac. 12, 13 ss., Judas qui vient de triompher des Arabes et d'anéantir
la garnison syrienne de Kxm^ivi — assez vraisemblablement Hesbân —
court à la déli-
vrance des To-^o'.avo'j; 'lojoaîoj; assiégés eî; tôv Xàpa/.a (v. 17). La tentative d'évoquer la
vieille capitale moabile, T'p, nmp, Xapazawoa, Kérak ne résiste pas à l'examen (cf.

déjà le com. de Grimm . En dépit de la distance de 750 stades — chiffre de tous points
invraisemblable —indiquée par rapport à KaT-eiv, on ne peut s'empêcher de songer au
ravin de la birthà de TJpo; =
ou. cs-Syr. Les troupes syriennes n'attendent d'ailleurs
pas l'armée macchabéenne victorieuse et se replient hâtivement vers le nord.
200 REVUE BIBLIQUE.

i^eprésentent une autorité sans appel, acceptée en bloc et dans le

plus menu détail de leur teneur, s'évertueront peut-être à une conci-


liation dans les faits sinon dans les mots. Au dire de l'historien juif,
cet Hyrcan est fils de Joseph, « fils de Tobie ». Entre l'année 184/3
av. notre ère où Hyrcan se réfugie à Tùpoç en ïransjoidane et la date
ronde de 2G0 où nous y avons constaté la présence d'un Tobie déjà
installé, il n'y a que quatre-vingts ans à peine le Tobie du papyrus ;

pourrait dès lors être précisément le grand-père d'Hyrcan et ce der-


nier aurait transformé fastueusement l'installation modique de son
aïeul. On n'est heureusement pas réduit à cette harmonisation déses-
pérée, et ce n'est pas user d'un éclectisme fantaisiste que d'opérer
un triage critique dans les données de Josèphe sur l'histoire ancienne
de son pays et de son peuple (1).
Ce n'est plus d'hier, en effet, qu'on a touché du doigt les plus
lourdes invraisemblances chronologiques dans la biographie mer-
veilleuse, passablement romanesque d'ailleurs, de cet Hyrcan et fait
ressortir son caractère nettement tendancieux (2). C'est l'origine d'un
problème mémorable dans l'histoire religieuse du judaïsme : les
titres de la famille des Tobiades au sacerdoce (3).
L'exposer même en raccourci déborderait par trop le cadre de cette
note. On retiendra seulement que Josèphe, écrivant cette histoire à
Rome vers la fin du
i"'" siècle après notre ère, ne pouvait qu'en
emprunter trame à quelque source dont l'original ne nous a pas
la

été conservé. Il y a de solides indices que cette source était samari-


taine et que l'auteur brodait, sur un canevas historique transposé

(1) On se souvient que les papyrus araméens d'Éléphanline ont déjà fourni un cas
analogue, où, tout en confirmant un récit de Josèplie, ils obligent à modiûer sa chrono-

logie; cf. Lagkange, R. B., 1908, p. 347, à propos de Sanaballat.


(2) On trouvera un excellent exposé de la question et toute la documentation utile dans
ScHUERER, Geschichte desjiid. Vollics im ZeitaUer Jesu Chrisli '*,
I, 183, n. 4; II, 99 s.,

n. 11 (1907).

(3) Un gros volume était consacré à ce difficile sujet en 1899 par M. A. Blechleii, Die
Tobiaden und die Oniaden im II Makkab. Bûche und in dei- verirandten jiid. —
liellen. Litterahir. concède sans trop regimber au radicalisme de Wellhausen {Israël,
Il

und jiid. Gesch:- (1895) p. 232) le radotage « naïf » des innombrables anecdotes (p. 97),
à commencer par Ihistoire « risible » (p. 99) et pas très reluisante de la naissance
d'Hyrcan; mais il estime avoir trouvé la panacée qui sauvera la valeur historique du
fond il suffit de situer toute la narration de Josèphe quelque peu plus
: haut, sous le
règne de Plolémée IV Philopator (221-204), ou V Épiphane (204-181), et il entreprend
courageusement (p. 100 ss.) d'en faire saisir l'efficacité. Il aboutit sans doute à ruiner
quelques-unes des attaques trop sarcastiques de Wellhausen et de Willrich [Jiiden und
Griechen vor der mak. Erhebung, 1895, p. 01 ss.), mais pas à mettre en évidence un
fond historique bien précis. Sur la lignée des Tobiades, cf. Schuerer, op. l., I, 195, n. 28,
ou les annotations de Chamonard dans la traduction française des Œuvres cotnpl. de
FI. Josèphe, sur Antiq. XII, 4, p. 82 du t. III.
LA PALESTI.XE DANS LES PAPYRUS PTOLEMAIQUES DE GERZA. 201

d'une ou deux générations, un récit qu'il s'efforçait tant bien que mai
d'adapter aux circonstances contemporaines de Ptolémée V Kpiphane
et Ptolémée VI Philométor, sans prendre toujours assez de soin pour
sauvegarder la vraisemblance et les synchronismes nécessaires avec
les monarques syriens. Josèplie lui-même semble avoir eu çà et là
conscience des imperfections et des impossibilités de sa source (1);
Il s'est néanmoins
guider jusqu'au bout par elle. Tout à la fin,
laissé
dans cet épisode de la retraite d'Hyrcan au delà du Jourdain, qui
produit d'ailleurs l'excellente impression d'une épave historique
dans la légende hyrcanienne, il a tout l'air d'écrire de son cru la
description si vivante et si pittoresque de la Bâris [birtliâ] qu'il
pouvait parfaitement avoir vue dans l'état où elle demeurait au début
du i"' siècle, sans doute encore avec son vieux nom araméen qui
s'hellénise naturellement sous la plume de Josèphe, tout comme la
désignation toponymique ancienne de ce « rocher » ("!lï } dont il fait

Tjpc;. La description du par souvenir d'une vue directe,


site, soit
soit du moins par ouï-dire, est donc un élément concret, nettement

recevable (2) sans qu'il soit nécessaire pour autant de prendre au


pied de la lettre l'attribution de tout cet ensemble magnifique à la
seule activité d'Hyrcan.
Après cela, c[ue le Tobiade en c[uittant la cour égyptienne se soit
réfugié dans la birthd et qu'il ait vécu sept ans en cet asile, guer-
royant contre les Arabes et défiant l'inimitié de ses frères qui détien-
nent les hautes charges à Jérusalem — où lui-même d'ailleurs aurait
déposé des trésors sous la sauvegarde du Temple rien ne s'y — ,

oppose en principe. On le trouvera même beaucoup plus facilement


vraisemblable dans la perspective résultant de l'interprétation donnée
au papyrus de Zenon. Au lieu de voir Hyrcan s'enfuir à tout hasard
en Transjordane et s'y trouver soudain, et comme dans un conte de
fées,en train de créer un palais enchanteur tandis qu'il bataille sans
trêve contre les Arabes, on constaterait que le rusé Tobiade, aban-
donnant ses frères à leurs querelles et à leurs ambitions autour du
Temple de Jérusalem, s'est retiré tranquillement dans le domaine de
son aïeul. Tout était préparé pour qu'il y trouvât, en même temps

(Ij Du moins si c'était lui qui a inséré dans XIF, 4, 1, § 158, après Ba<7Ù£'a lI-oAêfxaTov
ladétermination xôv Ejspyérriv, o; -^v itaxyip toC *i).o7ïâ-:opoç. Mais il y a longtemps (fu'on
soupçonne en ces mots une assez lourde interpolation.
(2) A condition, bien entendu, d'en élaguer ce qui ne saurait jamais faire défaut dans
les meilleures pages de Josèphe les adjectifs emphatiques et les mesures grandilo-
:

quentes; c'est-à-dire dans notre cas : le fossé « large et profond » qui entoure la « forte-
resse » et le développement des cavernes sur « plusieurs stades ».
202 REVUE BIBLIQUE.

qu'un asile somptueux, des éléments tout prêts à le seconder dans


sa lutte contre les populations du voisinage que le déclin de la
puissance des Lagides et les intrigues syriennes commençaient à
rendre provocantes (1). A Tavènement d'Antiochus Épiphane, jugeant
la lutte désespérée, Hyrcan se suicide. La narration de Josèphe, pour
autant qu'elle semble contenir de véritables éléments historiques,
gagne donc à s'éclairer par les documents ingénus récemment exhu-
més des sables du Fayoùm.
Est-il téméraire d'espérer que ces merveilleuses Archives nous
réservent d'autres surprises encore?

École biblique et archéologique — Jérusalem, le 8 décembre 1919.

L. H. Vincent, 0. P.

(1) La petite esclave Sphragis, objet du contrat qui nous occupe et les envois d'esclaves
dont il est question dans des lettres de Tobiah laissent supposer que
représentant de
le

l'autorité du Lagide Philadelphe et ses cavaliers clérouques ne se privaient pas de razzier


les Arabes des marches hauraniennes. Les pinjlarques de l'époque ptolémaïque étaient
certainement aussi habiles que le sont aujourd'hui les fils du Chérif du Hedjàz à exploiter
les rivalités de leurs puissants suzerains. Quand les Lagides dominaient la contrée, ces
Arabes ne devaient pas se faire faute d'afficher pour les Séleucides des sympathies qui
leur devenaient lucratives: aussi, les gouverneurs égyptiens étaient-ils bienvenus à
malmener le plus possible ces dangereux et turbulents voisins, et sans doute s'en était-on
fait une habitude dans l'entourage de Tôbiah. Son petit-fils Hyrcan prolongeait donc une

tradition déjà ancienne dans la birthâ quand il s'y réfugia. Mais les conditions politiques
étaient changées. L'Egypte en décadence depuis Antiochus III ne pouvait désormais plus
rien aux frontières de Syrie et les Arabes sauraient bien en profiter. Hyrcan le comprit et
n'attendit pas leurs représailles.
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL

Avec Ézéchiel, nous touchons au cœur du symbolisme prophétique.


Les symboles sont encore plus nombreux dans son livre que dans celui
de .lérémie et ils passent généralement pour être plus difficiles. Il est

certain du moins qu'ils entrentpour une bonne part dans la réputa-


tion d'obscurité qu'à tort ou à raison on a faite à Ezéchiel. Essayer
de les éclaircir, ce sera travailler à l'explication générale de ce pro-
phète.
Les difficultés des symboles d'Ézéchiel sont de nature très diverse.
Les questions de réalité ou d'historicité y occupent naturellement une
place de choix. Disons pourtant que, sur ce point, on constate
aujourd'hui une tendance accentuée vers l'accord. « Quant aux actions
symboliques, que Reuss envisage comme des figures de rhétorique,
écrit M. Lucien Gautier, on s'accorde toujours davantage à y voir des
faits réels, des actes accomplis sous les yeux des spectateurs afin de

les impressionner et de leur donner une leçon de choses. S'il en est,


dans le nombre, dont l'exécution soulève des difficultés, il faut en tout
ne s'attende pas
cas s'abstenir de parler d'impossibilités (1) ». Qu'on
cependant à voir tous ces problèmes résolus par acclamation. Dans le
monde des exégètes, il reste encore des dissidents, et l'on ne saurait
dire de leurs arguments qu'ils soient négligeables et ne méritent
point d'être entendus.
Mais il est deux sortes de difficultés spéciales à Ézéchiel : les unes
concernent sa personne, les autres l'état littéraire de son œuvre.
Quelles étaient les dispositions physiques du prophète au moment où
il exécutait les plus célèbres de ses actions symboliques? Se trouvait-
t-il dans un état normal de santé? On le croyait jusqu'à ces derniers

temps. Depuis une quarantaine d'années, les critiques ne se montrent


plus aussi assurés. Certaines théories ont été mises en cours. On a

(1) Introduction à l'Ancien Testament, 2« éd.. t. I, p. 423, 424.


204 REVUE BIBLIQUE.

parlé de pénibles infirmités, de troubles profonds, de névrose, voire


de catalepsie. On a fait le relevé minutieux des détails fournis par le
prophète sur ses diverses attitudes corporelles, sur ses divers états
d'Ame, et l'on a comparé ces résultats avec les observations consi-
gnées dans les rapports de médecins renommés. Bref, avant d'abor-
der l'étude de ses symboles, on se voit contraint aujourd'hui d'assis-
ter à une véritable consultation médicale, et, qui plus est, de prendre
parti.
Ce n'est pas tout. Après le diagnostic médical, vient la critique
littéraire. Ici encore, de nouveaux problèmes ont surgi de nos jours.
S'il était de tout temps manifeste que le livre d'Ézéchiel avait été
victime, dans sa transcription et sa transmission, de regrettables
négligences, les critiques s'accordaient du moins à reconnaître que
ces défectuosités n'atteignaient point la substance du texte. Ils procla-
maient que celui-ci avait du calame inspiré dans une magnifique
jailli

unité. Ils le citaient volontiers comme le modèle du genre. Mais voici


que des regards plus investigateurs ont été plus perspicaces on a ;

remarqué que le bloc, réputé intact, n'allait pas sans quelques fis-
sures; on a cru même y découvrir des pièces rapportées, en sorte que
le monolithe a, dit-on. plus d'un trait de, ressemblance avec les con-
glomérais. On parle de différentes recensions, partielles ou totales,
sous lesquelles l'œuvre d'Ézéchiel aurait d'abord été mise en circula-
tion. Puis serait venue la fusion de ces éléments divers, parfois hété-
rogènes, non sans causer quelque dommage à l'ordonnance générale
et introduire quelque confusion dans l'unité primitive. Avant d'ana-
lyser les symboles, ne convient-il pas d'examiner s'ils nous sont par-

venus tels qu'ils émanèrent du prophète?


Depuis quelques années, ces derniers problèmes sont à l'ordre du
jour dans les ouvrages protestants d'iVllemagne, de Suisse et d'Angle-
terre. Les catholiques ne peuvent les ignorer plus longtemps; c'est
pourquoi on a cru devoir profiter de l'occasion qui se présentait ici de
les examiner en détail.
La présente étude se partage donc en quatre paragraphes :

1° État du prophète durant la période symbolique;

2° État littéraire des principaux symboles ;

3" Visions symboliques;


4" Actions symboliques.
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES DÉZÉCHIEI>. 205

ÉTAT DU PROPHETE DANS LA PERIODE SYMBOLIQUE.

C'est M. Klostermann le premier qui a introduit la médecine dans


l'exégèse d'Ézéchiel. y était préparé d'une manière personnelle,
Il

assez rare parmi les commentateurs. Il nous confie discrètement à la


fin de son étude que des infirmités analogues à celles du prophète
l'ont mis à même de comprendre le cas de l'homme de Dieu. Long-
temps il s'est vu dans l'impossibilité de sortir, secoué qu'il était par

de très violentes convulsions (von den heftigsten Schûttelkrampfen).


Cette expérience, jointe à ses recherches scripturaires, lui permit
d'écrire un article retentissant, intitulé Ezéchiel : Une contribution
à une meilleure appréciation de sa personne et de ses écrits (1). Comme
les exégètes ne cessent de se référer à cette étude fondamentale, il
importe d'en rappeler au moins les grandes lignes.
Les renseignements que nous possédons sur la maladie d'Ezéchiel,
dit en substance M. Klostermann, remontent à sa trentième année.
Les phénomènes pathologiques avaient sans doute commencé avant
cette date. Malheureusement, nous ne possédons plus le début de son
ouvrage, car le récit actuel commence ex abrupto [i, i). Du moins
pouvons-nous suivre les vicissitudes du mal entre la trentième et la
trente-quatrième année du prophète.
A l'âge de trente ans, le cinquième jour du quatrième m'ois, il a
une vision qui ébranle violemment sa sensibilité il tombe la face ;

contre terre (i, 28j. Sur l'ordre d'une voix mystérieuse, il se remet
sur ses pieds (n, 1, 2), mais sans retrouver sa force première.
Désormais, il a le sentiment qu'une puissance étrangère s'est emparée
de lui et le guide (ii, 2). Bientôt, il éprouve des hallucinations de
l'ouïe et de la vue (ii, 3 ss. il a des sensations gustatives très agréa-
!
;

bles il lui semble qu'il avale un parchemin délicieux (ii, 8; m, 3). Un


:

jour, il est invité à se rendre auprès de ses compagnons d'exil et àleur


parler (m, 4). Il se met en route, comme porté par une force étrangère
(m, 12, li), non pas agité par des impressions d'amertume, comme on
l'a dit en se basant à contresens sur un mot du texte massorétique
(m, li : 'a, amer), mais décidé à tout, avec une indomptable énergie.
Le « courroux de son esprit » (mi-n'zn) dont parle encore le texte

(1) Ezéc/iiel : Ein Beitrag zu besserer Wiirdigung seiner Person iind seiner Scfitif't,
piru dans les Tfieologische Sludien und /.ritifier, 1877, pp. 391-439.
206 REVUE BIBLIQUE.

(v. 14), n'était la première de ce


qu'une excitation de sa volonté,
genre que le prophète eût encore ressentie: c'était la prise de posses-
sion de tout son être par une puissance supérieure.
Le propliète arrive à Tell Abib, où résidait une importante colonie
d'exilés. Là son émotion monte à son comble il reste sept jours sans
;

parole et immobile, als starre Figur (diciI/'ç, m, 15).


Au bout d'une semaine, nouvelle vision, où le prophète apprend
« qu'il n'aura plus le libre usage de ses membres
des organes de la et

parole » ; il maison réduit à un état de pénible


se verra dans sa propre
infirmité, qui l'empêchera de se rendre aux réunions de ses compa-
triotes.

De fait, le voilà bientôt frappé à' hémiplégie au côté droit, ce qui


l'oblige à se tenir trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté gauche;
après quoi, c'est le côté gauche qui est atteint, et le prophète reste
quarante jours sur le côté droit. Toutefois, continue Klostermann,
la paralysie devait suivre une évolution très capricieuse la partie ;

supérieure du corps se dégageait de temps à autre, si bien que le


prophète pouvait porter ses aliments à la bouche bien plus, il pou- ;

vait lui-même préparer sa nourriture et sa boisson, « sûrement avec


le secours de sa femme », jeden Faits unter dem Beistande seines

Weibes. En revanche, d'autres fois, nous le voyons raidi dans une


complète immobilité (iv, IG), ou saisi de violents tremblements (xii, 18).
Il arrive encore que son visage et son bras étendu gardent la même

attitude rigide pendant un temps considérable, dass er Gesicht und


ausgèstreckten blossen Arm lange in derselhen Richtung erhàlt (iv, 7).
Réduit à cet état pitoyable, le prophète est persuadé que Dieu le
tient chargé de liens, pour qu'il ne puisse changer à son gré de posi-
tion. Il est en outre affligé d'une aphasie totale, d'où il ne sort
que pour transmettre à ses compatriotes les communications du ciel
(m, 26,27).
Est-il étonnant après cela que l'attention des chefs fût attirée sur
l'homme de Dieu et qu'on s'assemblât autour de cette couche, théâtre
de phénomènes si bizarres viii, 1 xiv, 1 xx, 1)? Les assistants étaient
f ; ;

témoins d'étranges mimiques. Tantôt prophète battait des mains


le

(xxi, 19) ou frappait du pied (vi, 11), tantôt il était saisi de con-
vulsions et de tremblements (xii, 18j, tantôt il poussait des soupirs
(xxi, 22) ou jetait de grands cris (xxi, 17). Quand il pouvait dire
quelques mots, la violence de l'émotion donnait à sa parole un rythme
curieux, un caractère saccadé (xi, 14-22 et tout le chap. vu), qui
dénotait l'ébranlement de tout le système nerveux.
De tels symptômes amènent un mot sous la plume de M. Kloster-
LES SYMBOLES PROPHETIQUES D'ÉZÉCIIIEL. 207

mann : Ezéchiel, nous dit-il, était atteint de catalepsie. Pour achever


sa démonstration, le critique allemand cite de copieux extraits de rap-
ports médicaux où sont décrites les observations faites par des spécia-
listes hommes ou femmes rigidité des
sur des sujets cataleptiques, :

bras ou tendus, insomnie, immobilité, aphasie, demi-cata-


élevés
lepsie suivie d'une catalepsie totale, avec hallucinations de la vue, de
l'ouïe, du goût (1), aphasie qui dure des jours, des semaines, voire
sixmois entiers.
N'est-ce pas exactement le cas d "Ezéchiel?
« Après tout cela, conclut M. Klostermann, je tiens pour démontré

que nous devons considérer Ezéchiel comme un homme qui, déjà pré-
disposé à la catalepsie parun état de souffrance et de faiblesse, fut
soudain frappé de cette infirmité particulière, à la suite d'une vision
troublante qu'il eut durant sa trentième année 2i, » i

Il faut ajouter que Klostermann se défend de voir dans sa nouvelle


explication une atteinte au caractère divin du témoignage prophé-
ticlue. Si Ezéchiel était malade. Dieu utilisait ses infirmités pour des
enseignements salutaires, comme il avait déjà utihsé les événements
de la vie familiale d'Osée; on pourrait même dire, en ce sens,
que les
accidents pathologiques dont souffrait le prophète avaient une valeur
divine (3).

Il semble que la théorie de Klostermann n'ait guère d'abord été


remarquée. Quinze ou Adngt ans après seulement, on s'est aperçu
qu'on ne lui avait pas accordé toute l'attention méritée, et l'on s'est
alors hâté de réparer le temps perdu. En 1891, M. Lucien Gautier, qui
ne donne pas encore à la thèse nouvelle « un assentiment sans réser-
ves », estime du moins « avoir affaire à une opinion sérieuse, appuyée
sur des indices positifs [k) ». A ses yeux, la catalepsie d'Ézéchiel « serait
jusqu'à un certain point pendant de cette écliarde en la chair dont
le

parle saint Paul (5) ». Mais en 1897, iM. Bertholet, qui donnait le com-
mentaire d'Ézéchiel à la collection Marti, adhérait sans restriction à la
thèse de Klostermann. Comme ce dernier, il croyait que le prophète,
physiquement prédisposé à la catalepsie, était tombé dans cet état
morbide à la suite delà grande vision inaugurale. Il ajoutait, lui aussi,
que cette infirmité ne dégradait en rien le prophète, attendu que Dieu

(1) Celle-ci par exemple : Une femme cataleptique ne pouvait s'exprimer qu'en serrant
la langue contre les dents; la nourriture lui était un supplice, et parfois il lui semblait
qu'une corde lui descendait de la bouche dans l'estomac pour lui lier les viscères.

(2) Art. cit., p. 431.


(3) Ibid., p. 438.
(4) La Mission du prophète Ezéchiel, p. 60.
(5) Ibid., p. 61.
208 REVUE BIBLIQUE.

peut faire concourir à ses fins la maladie elle-même 1 Sur un point 1.

cependant, Bertholet lunove; c'est lorsqu'il prétend qu'après un com-


mencement fortuit d'immobilité cataleptique, Ézéchiel s'est autosug-
gestionné pour demeurer en cet état le nombre de jours voulus par le

symbolisme, cent quatre-vingt-dix sur le côté gauche, quarante sur


le côté droit (2). Le prophète fut assez heureux pour plier la nature
à ses desseins. Le symbolisme satisfait, il se trouva guéri de son
autohypnose et de son infirmité.
M. Kraetzschmar, qui, en 1900, a commenté Ézéchiel pour la col-
lection Nowack (3), n'a pas suivi Bertholet dans son hypothèse de
l'autosuggestion; il s'est contenté d'adopter purement et simplement
la thèse de Klostermann, avec lequel il se plait à relever chez le pro-
phète les divers symptômes de la catalepsie paralysie intermittente, :

hémiplégie, anesthésie, alaliefn. Cependant, ajoute-t-il, quiconque


n'était pas au courant de ces états pathologiques, devait prendre le
prophète pour un homme possédé de Dieu (5).
On voit que la critique est saisie du problème. Le silence de
Trochon dans la Sainte Bible de Lethielleux, de Knabenbauer dans
le Cursus des Pères Jésuites, de Davidson dans la Bible de Cam-

bridge (6) n'a pas été capable d'enrayer le mouvement. M. Lucien


Gautier lui-même semble avoir gagné en assurance depuis 1891. Il
écrit dans son Introduction : « La réclusion du prophète, astreint
à rester étendu dans sa maison pendant un temps prolongé iv, i-
17), a été mise en rapport avec d'autres passages de son livre, et l'on
s'est demandé si de pénibles circonstances de santé ont peut-être

fourni à Ézéchiel une représentation frappante des maux infligés


son peuple. Cette supposition, dont Klostermann est l'auteur, a
été mal accueillie au début par plusieurs, qui lai reprochaient de
transformer le prophétisme en un phénomène pathologique. Puis,
revenant de ces exagérations, on a mieux saisi le sens et la portée
de l'hypothèse, et on l'a prise en sérieuse considération (7). »
Il est intéressant de noter que la théorie de Klostermann n'a
presque pas été retouchée par ses nouveaux partisans. A l'exception
de rautosugg"estion dont Bertholet a cru devoir l'enrichir, elle est
demeurée à peu près telle qu'elle sortit en 1877 de la plume de son
(1) Dus Buch Hesekiel, 1897, p. 19.
(2) Ibid., p. 27.
(3) Das Buch Ezéchiel.
(4) Ibid., introduction, p. \i; p. 45 et pas.sim.
(5) Ibid., p. 'il.

((>) The Booh of the Prophet Ezéchiel, 1900.


(7) Introduction à l'Ancien Testament, t. I, p. 424.
LES SYMBOLES PROPHETIQUES D'ÉZECHIEL. 209

auteur. Fortune assez rare pour de pareilles hypothèses, mais qui


simplifie singulièrement la tâche de la critique.
Que faut-il donc penser de ce système? M. ïouzard, qui l'a signalé
naguère, a fait résumé de cette sage appréciation
suivre son rapide :

« Il n'y a pas en soi d'impossibilité à ce que Dieu se serve pour son

œuvre de quelqu'un dont le tempérament physique a subi des


atteintes;son action révélatrice ne subirait de préjudice qu'au cas
où tous ceux qui lui auraient servi d'intermédiaires donneraient des
signes inquiétants de débilitation. D'autre part, on voit à l'occasion
Dieu tirer parti en ses révélations des diverses circonstances qui se
rattachent à la vie personnelle ou familiale des prophètes les infor- :

tunes domesticjues d'Osée, le célibat de Jérémie deviennent symboles


de très hauts enseignements. Répugnerait-il davantage que le même
Dieu révélât à un prophète le caractère providentiel et la valeur
symbolique de telle ou telle de ses infirmités physiques, de telle ou

telle manifestation caractéristique d'un état maladif particulier? Nous


ne le croyons pas. Mais il reste que. pour le présent, la thèse de
l'état cataleptique temporaire dÉzéchiel n'est pas démontrée (1). »

Non seulement elle n'est pas démontrée, mais encore je ne crois


pas qu'elle puisse l'être. Klostermann a soig*neusement colligé dans
Ézéchiel tout ce qui de près ou de loin lui semblait avoir quelque
apparence d'un phénomène cataleptique. Mais, en suivant sa démons-
tration, on ne peut se garder de l'impression qu'il a introduit de
force dans son système des éléments que rien ne désignait pour cet
usage. Après vérification des textes, cette impression première devient
une certitude.
Les observations qu'appelle l'étude de Klostermann peuvent se
ramener à deux chefs :
1" sa démonstration trouve viciée par un
se
notable abus des textes; 2° si l'on examine sans parti pris le cas
d' Ézéchiel, on constate qu'il ne renferme aucun des caractères de
la catalepsie. Commençons par les écarts d'interprétation.
Notable abus des textes. Pour nous guider dans les enchevêtre-
1"

ments de ce diagnostic littéraire et médical, distinguons, à la suite


de Klostermann, les prétendus signes avant-coureurs de la catalepsie
chap. i-in), la crise elle-même (iv), enfin les reliquats pathologiques
de la crise principale 'vi-xxi).
a) Prodromes cataleptiques. Au cours de vision inaugurale
la
(i, 28, Vulgate ii, 1 ,
observe Klostermann, le prophète tombe la
face contre terre. — Mais qu'y a-t-il de cataleptique en cela? N'est-ce

(1) Revue Biblique, 1917, p. 92.


REVUE BlBLIQtE 1920. — T. XXIX. 14
210 REVUE BIBLIQUE.

pas en quelque sorte l'attitude classique des Juifs en présence des


manifestations de la divinité? Depuis Manué et sa femme 'Jug-., xiii,
20» jusqu'à Daniel iviii, 17; et Tobie (xii, 16), bien des personnages
bibliques ont eu ce geste de religieuse frayeur. Mais, ajoute-t-on, —
Ézéchiel se sent envahi par une force supérieure (ii, 2j. C'est —
indiscutable. Mais qu'y a-t-il encore de cataleptique en cela? On
observera que la personnalité du prophète n'est ni absorbée ni
diminuée; il garde la conscience de ses actes, il est en mesure de
se conduire. Même sous l'impulsion de cette force, il dit f allai :

(m, 14), et non je fus porté, je fus conduit. Et n'est-ce pas aussi
:

dans l'évang'ile que Zacharie, Elisabeth, la sainte Vierge, Jésus lui-


même nous sont représentés agissant sous l'impulsion du Saint-Esprit?
— Klostermann prête à Ézéchiel des hallucinations bien caractérisées
de la vue, de l'ouïe, du goût, qu'il rapproche des diverses halluci-
nations constatées chez les sujets cataleptiques. — Pour le dire en
passant, on ne voit guère le moyen de concilier cette interprétation
avec les formules où il se défend de rabaisser Ézéchiel et d'attenter
au caractère divin de sa mission prophétique. Si la vision dans
laquelle le fils de Buzi reçut son investiture i-ni n'est qu'halluci-

nation, s'il crut voir et entendre sans voir ni entendre effectivement,


d'où lui vint son autorité de prophète? Au reste. Klostermann a —
complètement omis de nous exposer les raisons pour lesquelles il
prêtait des hallucinations à Ézéchiel. Serait-ce parce que ces phéno-
mènes n'ont pas été perçus par les sens extérieurs? Mais personne
n'ignore que les hommes de Dieu ont diverses^ manières de voir et
d'entendre. Tous les traités de mystique distinguent soigneusement
lescommunications surnaturelles qui s'adressent aux sens extérieurs^
à V imagination et à V intelligence. Rien sans doute, dans le texte,

ne précise que les organes extérieurs d'Ézéchiel aient eu quelque


part à ces visions. Il est même certain que la manducation du par-
chemin n'eut rien de matériel. Mais il y a tout de même un abime
entre une hallucination de rêveur ou de malade et ces visions « ima-
ginaires ou intellectuelles ».

On abuse encore d'un autre passage de ce chap. ni iv. 15), où


il est dit qu'arrivé à la juiverie de Tell Abib, leprophète y resta sept
jours clans la stupeur [::'r2'd^ (1 ,
Septante àva^Tpsoiy.svsr Vulgate
.

mœrens). S'il faut en croire le critique allemand, nous avons moins

(1) Klostermann, Tôt. Kraetzschmar maintiennent le texte massorétique ''^SkT'p

D'autres, Cornill, Bertholet, préfèrent lire anlu^. Le radical est le même, et le sens ne

peut guère être modifié.


LES SYMBOLES PROPHÉTIQLES DEZECHIEL. 211

ici un prodrome de qu'un premier accès du mal,


la catalepsie
puisque le prophète, toute une semaine durant, garde une rig-idité
absolue ;als starre Figur). Les disciples rencliérissent encore sur les
assertions du maître. Pour Bertholet, Ézéchiel tombe dans la léthargie
(starr vor sich hinbrûtend) 1 pour Kraetzschmar, il demeure comme
;

('tourdi (betaubt), dans un état d'immobilité cataleptique. Mais —


pourquoi mettre dans le texte ce qui n'y est pas? Keconnaissons que
la traduction de la Vulgate^, mœrens, ne rend pas assez la prostration

du prophète; mais il est manifeste que les versions des exégètes


allemands disent trop, beaucoup trop. Le radical d'oiî le participe
hébreu dérive ne donne que le sens de stupeur muette, à' abattement,
de bouleversement ; et c'est ce que confirme le grec T/y."zzo^\j.i''

ver. De rigidité, de léthargie, de catalepsie il n'est pas question. Ce


sont là des concepts surnuméraires, arbitrairement introduits dans
les textes, et qui doivent en être éliminés. Quant à la stupeur authen-

tique dans laquelle se trouva plongé le prophète, elle s'explique


suffisamment par les émotions profondes qu'il venait d'éprouver,
sans qu'il soit nécessaire de recourir à la catalepsie. Des amis de
.lob il est dit également qu'ils restèrent sept jours et sept nuits,
assis à terre, sans proférer une parole ir, 13 ,

b) La crise principale. — M. Klostermann et ses partisans opinent


qu'à la suite de tous ces symptômes la grande crise se déclara par
une violente attaque de paralysie accompagnée ^aphasie totale. —
L'aphasie est indiscutable, car le prophète nous renseigne à ce sujet
avec une clarté qui ne laisse rien à désirer. Il ne recouvrait la parole
que par intervalles, lorsque le Seigneur le chargeait de transmettre
quelque communication au peuple. Hors de là, il se trouvait dans
l'impossibilité physique de parler. Le mutisme ne cessa que cinq ans
après, la onzième année de la captivité, lorsqu'un messager vint lui
annoncer la ruine de .Jérusalem (xxxiii, 21). Tous ces faits ne
sauraient être contestés. Ce qui est contestable, c'est l'interprétation
de Klostermann. Il traite l'aphasie du prophète comme un effet de
la catalepsie. On attend toujours ses preuves, et on les cherche en
vain dans le texte. Il est curieux de constater que le chapitre ivqui,

d'après tous les critiques modernes, forme U7i petit recueil indé-
pendant du chapitre m, ne fait pas la moindre allusion au mutisme.
Si l'immobilité du prophète dont il est parlé iv. i-8, n'est autre
chose que l'hémiplégie cataleptique, et si l'aphasie est elle-même
un des effets principaux de la grande crise, il est à tout le moins

(1) op. cit., p. 15.


212 REVUE BIBLIQUE.

étonnant que le texte n'en dise rien. Pour trouver le mutisme men-
tionné à côté de l'immobilité, Klostermann doit remonter jusqu'au
chapitre m
(v. 25, 26). Je ne sais comment le maître allemand s'arran-

gerait aujourd'hui avec ses disciples qui suppriment soit l'un soit

l'autre de ces versets. En tout cas, si, comme il le semble bien, les
deux versets sont authentiques, Klostermann devrait encore prouver
que les chaînes dont le prophète doit être lié sont une métaphore
pour désigner la. pa)'alf/sie cataleptique, et que le mutisme lui-même
provient de la catalepsie. En attendant cette double démonstration,
il est permis de se rappeler que Zacharie, père de saint Jean-Baptiste,
fut atteint lui aussi de mutisme, sans avoii' pour cela des crises de
névrose.
Revenons à la catalepsie d'Ézéchiel. Cette fois, Klostermann en
découvre jusqu'à trois preuves Yhéyniplégie, la rigidité du visage
:

et celle du bras.
Le prophète reste couché sur le côté gauche, sans pouvoir se
retourner sur le côté droit; puis il se couche sur le côté droit sans
pouvoir revenir sur le côté gauche. C'est donc, conclut-on, qu'il était
atteint d'hémiplégie. —
La conclusion n'est pas rigoureuse. Il y a
bien des raisons qui peuvent nous obliger à rester sur le côté. Sans
parler du cas où l'on serait étroitement garrotté, combien de maladies
ou d'infirmités, localisées dans une partie du corps, qui exigent la
stricte immobilité sur l'autre côté! En dehors même de toute infir-
mité, la volonté de Dieu ne suffirait-elle pas à clouer un prophète
dans une posture de pénitence durant un temps déterminé? Klos-
termann se donne ici un double tort il prend l'immobilité pour une
:

hémiplégie, et il interprète l'hémiplégie comme un phénomène


cataleptique. On peut être immobile sans être paralytique, et para-
lytique sans être cataleptique.
Le critique allemand ne respecte pas davantage les textes, lorsqu'il
affirme que le prophète maintenait son visage et son bras dans une

rigidité cataleptique. Ici encore, la rigidité et la catalepsie sont eu


trop. Pour s'en convaincre, il suffit de traduire littéralement le verset
en question. « Pour le siège de Jérusalem, y est-il dit, tu disposeras
ton visage et ton bras nu » (iv, 7, npiii'n ":*^7^ :ji32 ]''3ri). Où voit-on

que visage doive rester rigide avec des yeux fixes et hagards? Où
le
voit-on surtout que le bras doive demeurer bandé da?is une tension
menaçante? L'expression hébraïque mentionne seulement un bras
nu, dégagé, dégainé (1). On dégainait son bras pour le travail ou la

(1) La Vulgale et brachium luum erit extensxim exagère un peu dans le sens de Kloster-
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL. 213

guerre eu le dégageant des plis du manteau, comme le fout encore


les Orientfiux quand ils veulent s'assurer une plus grande liberté de
mouvements. Mais cette attitude est parfaitement compatible avec la

flexibilité, si même elle ne l'implique. Les textes refusent seulement


au prophète la faculté de changer de côté à son gré; ils n'affirment
pas que tout mouvement volontaire de la tête, des bras, même des
jambes et du corps entier, lui soit interdit. C'est leur faire violence
que de les interpréter avec une rigueur... toute cataleptique. Si je ne
me trompe, ce verset n'impose qu'un précepte à Ézéchiel : celui d'a-
voir toujours en face de lui la brique symbolique, sans jamais lui
tourner le dos, et de prendre une attitude d'assaillant clans la mesure
compatible avec son immobilité.
Au reste, Klôstermann est obligé d'apporter tout de suite un tempé-
rament à celte absolue rigidité. Il nous assure que le prophète
reprenait l'usage de ses membres supérieui*s, voire l'usage de son
bras, pour préparer ses aliments, encore que, dans cette besogne
culinaire, il fût charitablement assisté de sa femme. Mais cette reprise
des sens chaque matin, à point nommé, a tout l'air d'un Deus ex
machina amené pour sauver un système en détresse. Et la femme du
prophète, n'est-elle pas un autre Deus ex machina? L'infirmité du
prophète parait tout à la fois bien singulière et bien complaisante.
c) C'est encore dans les prétendus reliquats morbides que l'abus
des textes est le plus criant. Klôstermann n'est pas éloigné de penser
que le prophète ne fut pas quitte de l'hémiplégie, passé les 430 jours
de sa première réclusion (c'est le chiffre qu'il adopte). L'homme de
Dieu, dit-il, continuait sans doute d'être malade, puisque, à diverses
reprises (vin, 1 ; xiv, 1 ; xx, 1), les anciens d'Israël viennent le trouver
chez lui. — La preuve ne parait pas décisive. Voudrait- on qu'api-ès sa
réclusion forcée, le prophète lut toujours sur les chemins? D'ailleurs,
qu'eùt-il fait parmi les exilés, muet? Mieux valait
puisqu'il était encore
assurément qu'il restât chez que les chefs des juiveries vinssent
lui et
le trouver, s'ils avaient à lui exposer quelque affaire.
Klôstermann voit encore une attaque de catalepsie dans les trem-
blements qui accompagnent exceptionnellement le repas du prophète.
— N'y a-t-il que des névrosés à manifester de ces tremblements?
Quiconque a vu les Juifs des synagogues ou les musulmans des mos-
quées réciter leurs prières avec le balancement rythmique de tout le
corps, se représente sans peine que de tels mouvements puissent

inann, sans aller cependant aussi loin que lui. L'expression des Septante tôv gpayjovi do'-

dTcpîwaeiç est plus correcte.


214 REVUE BIBLIOLE.

relever du symbolisme liturgique. Plus simplement, avant d'inscrire


ces mouvements d'Ézéchiel au nombre des troubles pathologiques, il

faudrait voir s'ils de quelque émotion profonde,


ne seraient pas l'effet

analogue à celle qui accompagna la grande vision inaugurale. —


Quant au battement des mains ou des pieds vi, 11 xxi, 19), et autres ;

démonstrations analogues (xxi, 17), on croit rêver en voyant Klostec-


mann, tout à l'heure si grand partisfm de l'exégèse métaphorique,
prendre ici d'évidentes métaphores pour des actions réelles. Si ail-
leurs le prophète est invité à gémir jusqu'à « se rompre les reins »
(xxi, 11 . dans un but spécial, afin d'attirer l'attention des exilés
c'est

sur l'imminence des malheurs. —


Enfin, quand on découvre un der-
nier vestige de catalepsie clans le mouvement saccadé de certains dis-
cours, on a peine à retenir un sourire, en admirant la manière
inatteiidue dont la critique littéraire vient confirmer le diagnostic
médical. Et Ton se rappelle tel ou tel chapitre d'Isaïe ou de Jérémie,

au style nerveux Ton se demande si ces grands poètes


et elliptique, et
n'avaient pas aussi à leurs heures quelque émotion cataleptique qui
brisait leurs périodes et martelait leur diction...
Mais poursuivons notre examen.
B. Le cas d'Ézéchiel ne iJOS.'<ède aucun des caractères de la catalepsie.
Une remarque préliminaire s'impose alors même que le prophète
:

aurait été frappé de catalepsie, cette infirmité aurait toujours été


d'un ordre à part, toute à la disposition de Dieu. Les troubles fonc-
tionnels, en effet, ne devaient se produire qu'après avoir été annoncés
par lahvé (m, 2, 26). Le prophète devait rester tantôt sur le côté
gauche, tantôt sur le côté droit le nombre exact de jours marqué par
lui (iv, i-8|. Il ne devait parler que lorsque Dieu lui mettrait ses
paroles à la bouche (m, 27). Hors de là, il serait muet jusqu'à la catas-
trophe de Jérusalem. Encore est-ce " la main de lahvé » qui devait
lui ouvrir la bouche à l'annonce de ce malheur (xxxiii, 22).
Mais ces constatations ne suffisent pas. Allons plus loin; examinons
quels sont les caractères pathologiques de la catalepsie, et voyons s'ils

se fetrouvent dans les descriptions que nous a transmises le prophète.


La catalepsie, écrit le Docteur Vigouroux, est «une névrose intermit-
tente et sans fièvre, caractérisée par des accès de durée variable,
pendant lesquels le sentiment est anéanti, les muscles restent inertes,
rigides et con^^ervent la position qu'on leur donne... L'aptitude qu'ont
les cataleptiques de conserver pendant longtemps des poses très fati-

gantes, sans pouvoir les modifier eux-mêmes, est le caractère essentiel


de cette maladie... Si on imprime aux membres les mouvements les
plus difficiles, si on leur donne une attitude très pénible, ils conser-
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZECIHEL. 215

vent celle-ci pendant une heure, deux heures, selon la durée de l'ac-

cès. En du regard donne au malade une ressemblance


outre, la fixité
frappante avec les figures en cire... La plupart des malades n'ont
aucune conscience, pendant l'accès, de ce qui se passe autour d'eux;
les facultés intellectuelles sont suspendues, et on a vu des catalepti-
ques achever au réveil une phrase interrompue par l'accès... Dès que
l'accès est terminé, le cataleptique revient à lui. S'il ne parle d'abord
qu'avec une très grande difficulté, il reprend, en général, tout de suite
l'usage de ses mouvements. Il se trouve seulement brisé et se plaint

de douleurs de tête pendant près â'une demi-heure. L'accès dure de


quelques minutes à quelques heures et même à quelques jours (1) ».
En résumé, les caractères de la catalepsie semblent être la rigidité,
la passivité, V inconscience, Y aphasie temporaire. Ces caractères
sont-ils réalisés dans le cas d'Ézéchiel?
1. On a déjà vu que les textes interprétés sans violence ne suggé-
raient même pas l'idée de la rigidité cataleptique.
2. n'avait pas davantage la passivité qu'on lui prête.
Ézéchiel
Avant sa réclusion, il gardait la complète initiative de ses mouve-
ments; il allait et venait, se rendait à Tell Abib, dans la communauté
des émigrés. Le moment venu de subir l'épreuve divine, c'est lui qui
doit « se coucher » d'abord sur le côté gauche, ensuite sur le côté
droit; lui qui doit disposer son visage et son bras pour le siège, lui qui
doit surveiller le rationnement de sa nourriture et de sa boisson. Ce
sera encore lui qui bientôt devra choisir et mêler diverses substances
pour en composer son pain, lui qui devra raser ses cheveux et les

partager suivant des ordres précis,


3. Et, avec l'initiative, Ézéchiel garde toute sa conscience, toute sa
liberté morale, toute sa responsabilité. Ses actes sont des actes
humains. Il sait ce qu'il fait et qu'il est l'instrument raisonnable de la
volonté divine. Il dessine sur la brique symbolique un siège fort

compliqué; il a conscience du rôle d'assiégeant qu'il doit jouer, et du


châtiment qu'il endure pour les iniquités d'Israël et de Juda. Il a
conscience du temps qui s'écoule, et il saura à l'heure marquée
changer de position et modifier le dispositif du siège.
k. La durée, variable « de quelques minutes à quelques jours »,

que les médecins reconnaissent aux accès de catalepsie, ne concorde


pas davantage avec la durée de l'épreuve d'Ézéchiel. D'après le texte
massorétique, la grande crise aurait duré i30 jours; les Septante
disent seulement cent quatre-vingt-dix. Alors même que cette durée

(1.) Traité complet de médecine pratique, t. III, p. 98, 99.


216 PEVUE BIBLIQUE.

devrait encore être abaissée à cent cinquante jours, ainsi que le


veulent quelques critiques, cela ferait toujours cinq longs mois de
paralysie cataleptique. Les intermittences bénignes que Klostermann
veut bien concéder quotidiennement n'empêchent pas le cas patholo-
gique d'être exorbitant. Il faut ajouter à cet accès d'hémiplégie qui
dure une demi-année Faccès d'aphasie qui, à quelques intermit-
tences près, est absolue, et ne dure pas moins de quatre ou cinq ans.

Dairs les rapports des médecins analysés par Klostermann, il n'est pas
un seul phénomène anormal qui approche de ces durées exception-
nelles, il y a lieu peut-être de s'en étonner, car, depuis l'époque
lointaine [d'Ezéchiel, il semblerait que la dose de névrose soit plutôt
allée en augmentant dans la pauvre humanité.
5. Enfin, le prophète Ézéchiel avait-il vraiment un tempérament
de névrosé? Je sais bien qu'on ne saurait fonder un jugement définitif
sur les rares données personnelles éparses au cours de son livre. Pour-
tant n'est-ce pas de lui que Seigneur trace ce tableau Voici que j'ai
: ((

rendu ta face dure comme leur face (des Juifs obstinés), et ton front
dur comme leur front. J'ai rendu ton front comme le diamant, plus
dur que le roc. Ne les crains point, et ne tremble pas devant eux,
car c'est une maison rebelle » (iii, 8, 9)? Ce n'est pas Ézéchiel qui
maudit jamais le jour de sa naissance sous le coup de l'adversité,
comme il advint à l'impressionnable Jérémie (xx, 14). iMais c'est lui
qui enterra sa femme, « les délices de ses yeux » (xxiv, 16-18), sans
verser une larme. Est-ce là la conduite d'un homme dominé par la
sensibilité, prédisposé à des accès de nésrose et de catalepsie?
Concluons si Ézéchiel n'a du cataleptique ni la rigidité, ni la pas-
:

sivité, ni l'inconscience, ni le tempérament; si sa réclusion dépasse de

beaucoup la durée ordinaire de ces crises morbides, non seulement


la thèse de Klostermann n'est pas bien établie, mais encore elle ne
saurait l'être. Les épreuves d Ézéchiel n'ont de commun avec la cata-
lepsie que l'aphasie et l'immobilité. Ce n'est pas suffisant pour faire
du prophète un névrosé.
Qu'était-il donc? La solution dépend en grande partie de l'interpré-
tation donnée au symbole des cordes. On trouvera en son lieu les dis-
cussions techniques soulevées par cette question. Afin de présenter ici
un tableau d'ensemble, disons simplement qu'un fait est certain le :

prophète était immobile et muet, mais que la cause immédiate de ce


fait nous échappe. L'hypothèse de la catalepsie a été écartée. L'hypo-

thèse de chaînes ou de liens matériels, pour expliquer l'immobilité,


ne parait pas non plus devoir être admise. Il reste donc ou bien que
le prophète gardait bénévolement sa pénible posture pour obéir au
LES SY.MBOLKS PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL. 217

précepte divin — ce
qui n'est pas non plus conforme au texte ou —
que Dieu se servait, pour l'y contraindre, de quelque action phy-
sique dont la nature nous échappe. De toute manière, il est établi

qa'Ézéchiel n'était pas un cataleptique, un névrosé. C'était un homme


responsable et conscient, sardant toute sa lucidité d'intelligence, et
se prêtant avec toute la décision de sa volonté à d'héroïques péni-
tences pour l'instruction et le saint de son peuple.

II

KTAT LITTERAIRE DES SY.WBOLES.

XQn d'alléger l'exégèse des symboles, il a semblé préférable de


traiter ici à part littéraire. Possédons-
quelques questions de critique
nous aujourd'hui le texte original des symboles, ou bien le texte
actuel n'est-il qu'un résultat de combinaisons postérieures à la pre-
mière édition des prophéties? Et s'il y a eu combinaison, y a-t-il eu
fusion de recensions parallèles, ou seulement intrusion accidentelle
de quelques éléments étrangers, ou bien encore remaniement partiel
de matériaux qui à l'origine étaient classés différemment?
Ces problèmes relatifs au texte des symboles sont intimement liés à
ceux que soulève l'état général du livre d'Ézéchiel, ou plutôt ils n'en
sont qu'un aspect intéressant. De ce problème général il est néces-
saire de dire quelques mots, afin de bien situer les difficultés spéciales
qui doivent être envisagées. Il se trouve résumé avec cl irté dans un

ouvrage de M. Johannes Hermann 1), qui prend lui-même parti et


propose une solution personnelle.
.Jusqu'à ces derniers temps, dit en résumé M. Hermann, l'unité litté-
raire du livre d'Ézéchiel était un dogme
classique qu'on opposait à la
diversité universellement reconnue des livres d'Isaie et de .lérémie.
L'unité d'Ézéchiel avait pour garants des critiques de la valeur de
Gornill, Smend, Bertholet, Kraetzschmar, Lajéiak. Par contre, Hugo
Winckler soutt^nait qu'Ézéchiel ne contenait pas moins de remanie-
ments que les deux autres grands prophètes. Il prétendait même qu'on
pouvait y reconnaître diflérentes sources.
Hermann estime de Winckler exagérée et fausse. A ses
la thèse
yeux, Ézéchiel serait un recueil de petites péricopes indépen-
dantes, exactement comme Isaïe et Jérémie », eifw Sammlung von
Ideineren, selbstàndigen Abschnitten (2). On les aurait disposées

(1) Ezechielstudien, Leipzig, Hinrichs, 1908.


(2) Op. cit., p. 4.
218 REVUE BIBLIQUE.

d'après une certaine chronologie, ce qui ne veut pas dire que les ora-
cles compris entre deux dates remontent nécessairement à cette épo-
que. Chaque cas doit plutôt sexaminer séparément.
Si l'on relève au cours de l'ouvrage certaines hésitations ou incon-
séquences, elles tiennent à la manière morcelée dont Ézéchiela rédigé
ses oracles première rédaction ne s'est faite que peu à peu, par à-
: la

coups, et le prophète
l'a sans doute parfois remaniée dans la suite.

Les doublets ou textes parallèles, continue M. Hermann, méritent


une attention Kraetzschmar estimait qu'ils" étaient assez
spéciale.
nombreux pour permettre de conclure que l'ou-
et assez manifestes
vrage avait d'abord existé sous une double recension, avant d'être
refondu définitivement. L'une de ces recensions, rédigée à la première
personne, était plus longue et avait le prophète lui-même pour
auteur; l'autre, rédigée à la troisième personne, était plus courte et
était due à un auteur inconnu. Ln dernier rédacteur fusionna les deux
recensions avant que la version des Septante vît le jour, c'est-à-dire
au moins avant le second siècle.
Jahn a reproché à Kraetzschmar d'avoir trop vite généralisé, et
d'avoir conclu à une double recension sur la foi de quelques dou-
blets. Ces textes parallèles s'expliquent suffisamment d'après lui en
admettant que certaines péricopes furent ajoutées çà et là au texte
d'Ézéchiel dans lé but d'insérer une nouvelle rédaction tendancieuse-
ment modifiée des récits originaux. A quoi il faut ajouter la pertur-
bation causée parfois dans le texte par l'intrusion de quelques notes
marginales.
Hermann trouve trop forte l'expression nouvelles rédactions tendan-
cieuses. Il dirait plus volontiers que certains passages d'Ézéchiel exis-
itaient sous des formes différentes, qui furent amalgamées dans la

suite. Mais il se demande jusqu'à quel point ces éléments spora-


diques permettent de parler de double recension, comme le veut
Kraetzschmar.
Les recherches sur la composition du livre d'Ézéchiel en sont là.

Que faut-il en penser?


Ilva sans dire que l'opinion de Kraetzschmar n'a rien d'inadmissible
du point de vue critique; au point de vue catholique, l'hypothèse de
diverses rédactions fusionnées dans la suite se concilie également sans
peine avec le dogme de l'inspiration.
Pourtant, dans l'état actuel des études, elle ne semble pas suffi-
samment établie elle n'est pas davantage nécessaire pour expliquer
;

lesanomalies textuelles de l'ouvrage hésitations, reprises, doublets,


:

dont il ne faut exagérer ni le nombre ni la portée. M. Touzard, ayant


f,ES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCH1E[.. 21!)

dressé naguère la liste de ces variantes de fond et de forme, d'après


Steueriiagel (Ij, a été amené à faire des <> réserves expresses » sur
plusieurs des exemples allégués, « y aurait
sujets à discussion ». Il

lieu peut-être d'allonger la liste des réserves. On pourrait dire par

exemple cpie vi, 5', réputé le doublet de vi'', manque dans les Septante,
que XIII, li-16, tout en reprenant l'idée des vv. 11 et 12. lui donne
une expression beaucoup plus riche; que xiv, ï-ù concerne le pro-
phète, tandis que les vv. 6-8 contiennent un message analogue à
l'adresse d'Israël, etc.
Pour le nombre relativement restreint des cas où l'analogie entre
deux passages ne saurait s'expliquer par l'insertion d'une note mar-
ginale, d'une glose, ou parle simple procédé de la répétition orientale,
on se contentera avec Hermann d'admettre une deuxième recension
partielle, qui peut n'être qu'un remaniement du texte primitif, dû à
Ézéchiel en personne. Élargir l'induction et conclure aune seconde
recension générale, d'abord indépendante de la première, c'est

risquer une hypothèse complexe, inutile et, en somme, non justifiée

par les faits.


Voilà pour l'ensemble du texte d'Ézéchiel,
iMais la sagacité des critiques s'est exercée très spécialement sur les
symboles du chap. iv. C'est que l'on s'oc-
uniquement de ce chapitre
capera ici, les questions aux autres symboles
littéraires relatives
pouvant facilement être envisagées au cours du commentaire. Il
importe d'abord de se remettre les textes en mémoire.

Symbole du siège. IV. Et toi, fils de l'homme, prends une brique, place-la devant
toi et graves-)' une ville, Jérusalem. 2. Mets le siège contre elle, construis contre

elle un mur de circonvallation, élève contre elle des chaussées, dresse contre elle un
camp et dispose contre elle des béliers tout autour. 3. Et toi, prends une plaque de

fer et place-la comme un mur de fer entre toi et la ville : tourne ta face de son côté,
et elle sera assiégée et tu l'assiégeras. Ce sera un signe pour la maison d'Israël.

Symbole de Vimmobilité. 4. Et toi, couche-toi sur le côté gauche et mets-y l'ini-

quité de la maison d'Israël, et durant les jours que tu seras ainsi couché, tu porteras
leur iniquité. .5. Et moi, je t'ai donné les années de leur iniquité suivant le nombre
des jours, 'cent quatre-vingt-dix' jours, et tu porteras l'iniquité de maison d'Is- la

raël. G. Et quand tu auras achevé ces ijours\ tu te coucheras de nouveau sur le côté
droit, et tu porteras l'iniquité de la maison de Juda. quarante jours je t'ai donné :

un jour pour une année. 7. Et, de Jérusalem, tu disposeras ton visage et


pour le siège

ton bras nu, et tu prophétiseras contre elle. 8. Et voici que je t'ai mis des chaînes,
pour que tu ne puisses changer de côté, jusqu'à ce que tu aies accompli les jours de
ton siège.
Symbole du pain composite. 9. Et toi. prends du froment, de l'orge, des fèves, des

l) RB., 1917, pp. 99-101.


220 REVUE BIBLIQUE.
lentijles, du millet et de l'épeautre: mets-les dans le même vase et fais-t'en du
pain: durant tous les jours que tu resteras couché sur le côré, 'cent quatre-vingt-
dix' jours, tu le mangeras.
Symbole de la nourriture rationnée. 10. Et ta nourriture, tu la mangeras au poids,
vingt sicles par jour; tu la mangeras d'un jour à l'autre jour. 11. Et l'eau, tu la
boiras à la ration, un sixième de hin ; d'un jour à l'autre jour tu la boiras.
Sf/mbole delà nourriture souillce. 12. Et une galette d'orge, tu la mangeras, et tu
la feras cuire avec des excréments humains sous leurs yeux. 13. Et Jahvé dit C'est :

ainsi que mangeront leur pain souillé parmi les nations où je les chas-
les Israélites
serai. 14. Et je dis Ah! Seigneur Jahvé, jamais je ne me suis souillé, je n'ai jamais
:

mangé de bête morte ou déchirée depuis mon enfance jusqu'à ce jour, et jamais
viande impure n'est entrée dans ma bouche. 15. Et il me dit Vois, je te permets la :

bouse de vache au lieu des excréments humains : tu feras ton pain là-dessus.
Symbole de la nourriture rationnée (application). 16. Et il me dit : Fils de l'homme,
voici que je vais briser le bâton du pain à Jérusalem, et ils mangeront le pain au
poids et dans l'angoisse, et ils boiront l'eau à la ration et dans l'épouvante. 17. en
sorte qu'ils manquent de pain et d'eau, qu'ils dépérissent les uns et les autres et qu'ils
se consument à cause de leurs iniquités.

C'est Cornill le premier qui soupçonna des perturbations dans


l'ordre primitif des symboles du chapitre iv. Il divisa ces actions en deux
catégories; la première, appelée par lui la symbolique de texil [Exil-
symholik), comprenait le symbole de l'immobilité sur le côté ('i.-8,

le V. 7 étant élagué comme une


du pain composite (9), glose), celui
celui de la nourriture impure (12-15); la seconde, appelée la symbo-
lique du siège {Belagerungssymbolik), comprenait le symbole de la
brique (1-3) et celui delà nourriture rationnée (10-11, suivis de 16-17).
Cornill était persuadé que, dans la rédaction primitive, tout était bien
ordonné et que le groupe des symboles de l'e.xil précédait celui des
symboles du siège. En conséquence, il croyait devoir rétablir comme
il suit l'ordre des versets : V, 5, 6, 8, 9, 12-15 (exil), 1-3, 10, 11, 16,
17 (siège 1.

Toy lui fît observer quene cadraient pas du tout


les vv. 10 et 11
après le v. 3 ;
que pour un début de
le v. 4 passait difficilement
chapitre, attendu qu'il n'était pas accompagné de la formule ordinaire
d'introduction Et toi, fils de l'homme, et qu'en somme il ne fallait
:

pas être choqué outre mesure de voir ce mélange des symboles du


siège et de l'exil, puisque aussi bien le prophète semblait avoir eu le
dessein de les mêler (1). Toy estimait rétabli l'ordre primitif du
chapitre ivpar la seule inversion des vv. 11 et 12 (10, 12, 11, 13 etc.).
Il pensait également qu'on n'avait aucune bonne raison de supprimer

le V. 7.

(1) <( It seems to be the Prophel's purpose to combine Ihe two » [The Book ofthe Pro-
phet Ezehiel, 1899, p. 47).
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL. 2il'

Bertliolet se rencontre en partie avec Cornill, en partie avec Toy.


Avec ce dernier, il conserve 7 et ne voit aucun inconvénient à
le v.

maintenir la fusion des symboles du siège et de l'exil. Mais avec


Cornill il pense que le symbole de la nourriture rationnée (10, 11, 16)
se trouvait primitivement après le symbole de la nourriture souillée
(9, 12, 13, 14, 15\ ce qui l'induit à rétablir les versets de ce chapitre

dans l'ordre suivant 1-8, 9, 12-15, 10, 11, 16... (1).


:

Kraetzschmar juge arbitraire le système de Cornill et insuffisant


celui de Bertholet. Pour lui, la fin du chap. iv (vv. 9-17 représente
la fusion de deux recensions, d'abord indépendantes, dont la
première (9, 12-15) présageait la nourriture impure des exilés, et
la seconde (10, 11, 16, 17) prédisait la disette de Jérusalem à l'époque
du siège, 11 ajoute que la première recension n'est pas compatible
avec les symboles de la paralysie (4-8); il faut la placer avant ou
après la longue période de réclusion. De la sorte, nous aurions le
tableau suivant 1° le symbole du siège (iv, 1-3, 7; le v. 7 doit se
:

placer ici, ne cadre pas non plus entre les vv. 6 et 8, puisque
car il

le prophète 2" le symbole de la durée de l'exil


est alors paralysé) ;

(4-6, 8); 3° le symbole de la disette (10, 11, 16, 17); k° le symbole de


la nourriture impure (9, 12-15), qui ne peut être contemporain des
symboles de la paralysie, puisque Ezéchiel doit lui-même préparer sa
nourriture. Pour dissiper tout malentendu. Kraetzschmar précise (2)
encore quà ses yeux la deuxième recension (nourriture impure, (9,
12-15) n'appartenait pas originairement à ce contexte; c'était une
recension parallèle à la recension précédente; elle aura été intro-
duite à cette place après coup par le rédacteur final.
Hermann a naguère repris l'étude de ce chapitre. Voici ses conclu-
sions. Nous avons dans les huit premiers versets deux symboles qui
servent de type aux deux préoccupations principales d'Ezéchiel :

IV, 1-3 est le symbole-type du siège; 4-8 celui de lexil. Encore le

V. 8 (les liens du prophète) doit-il être considéré comme une glose


postérieure, non moins que m, 25 où il était question pour la
première fois de ces chaînes. —
La deuxième partie du chap. (9-17)
n'est plus aujourd'hui qu'un conglomérat chaotique de symboles se
rapportant à l'un ou à l'autre de ces types. Le v. 9'' (pain composite)
devait être un acte symbolique indépendant; on l'aura joint aux vv.
précédents au moyen d'une glose (9'^), faisant allusion à l'immobilité
du prophète. Les vv, 12-15 (symboles de l'exil) de^aient orieinaire-

(1) Op, cit., p. 27.

(2) Op. cit., p. 41-42.


^2-2 RKVUE BIBLIQUE.

ment suivre 9"; lorsque ces versets eurent été séparés par l'insertion
des vv. 10-11, l'interpolateur sentit le besoin de modifier le début
de 12 par la mention des galettes d'orge. Les vv. 10-11 qui contien-
nent un symbole du siège ont été alourdis chacun d'une glose (10"
et 11''), et de plus, ils ne sont guère intelligibles. Les vv. 16 et 17
vont très bien ensemble et se rapportent aussi aux épreuves du siège.
Hermann conclut que l'ordre actuel ne vient sûrement pas d'Ezé-
chiel.Le fils de Buzi avait sans doute rédigé lui-même tous ces actes
de 'son activité prophétique, et il va sans dire qu'il y avait mis un
ordre. « Comment le petit recueil a-t-il été brouillé, nous ne
saurions le dire (1 ). »

Voilà certes des opinions disparates. Est-il possible de discerner


un terrain solide au milieu de ces hypothèses mouvantes? Essayons-le
du moins.
De la théorie de Cornill il ne faut évidemment retenir que la dis-
tinction entre les symboles de l'exil et les symboles du siège. Il est
incontestable que le prophète pouvait se permettre de les entre-
mêler, car rien ne l'obligeait à en faire deux catégories sévèrement
triées. Bertholet et Toy ont le mérite d'avoir élucidé cette vérité
élémentaire.
De la théorie de Kraetzschmar, qui n'est qu'une application de son
système général de la double recension, il faut répéter qu'elle n'est
pas prouvée et qu'elle est inutile. Rien n'établit que tous les sym-
boles de ce chapitre, à l'exception de gloses éventuelles, ne puissent
remonter à Ezéchiel et ne doivent lui être attribués. Avec Hermann,
nous pensons que le prophète a lui-même rédigé le récit de tout son
ministère symbolique. Est-ce à dire que sa rédaction nous soit par-
venue sans retouches ni remaniements? Nous ne le croyons pas.
Toutefois, Hermann ne saurait être suivi sur plusieurs points
d'importance. Il n'a pas de bonnes raisons pour ranger parmi les
gloses des textes aussi nets, aussi concrets que m, 25 et iv, 8, qui nous
parlent des liens du prophète. Ces versets possèdent dans leur réa-
lisme même une saveur d'authenticité indiscutable. On ne partage
pas davantage ici son avis sur les gloses des vv. 10, 11, 12 et sur les

obscurités de ces versets; les passages incriminés cessent de créer


des difficultés dès qu'ils sont bien compris. Hermann ne semble pas
les avoir bien compris.
Par contre, il a raison de penser que le v. 9^ (pain composite) est
un symbole indépendant et 9'' une glose, que les vv. 10 et 11 ne sont

(1) Wodurch die kleine Samnilung in Unoninung kam, vermôgen wir nieht zu sagen
op. cit., p. I3j.
L1£S SYMBOLES PROPIlEriQUES DEZÉCHIEL. 223

pas actuellement à leur place et quils doivent se joindre aux av. 16

et 17, forment un seul tout (symbole de la nourriture


avec lesquels ils

rationnée), enfin que les vv. 12-15 constituent un autre symbole


indépendant, celui de la nourriture impure.
Dans cette critique, on ne se laisse pas guider par un sentiment
d'harmonie ou d'esthélique, comme serait la satisfaction de voir les
versets ainsi groupés prendre davantage un air de famille. A la base
de ces reconstructions se trouve un fait plus positif, à savoir que le

texte hébreu porte dans tous ces vv. 9-1 des traces non équivoques de
'*

remaniements. Ces indices ont en partie disparu dans les versions;


mais ils sont parfaitement reconnaissables dans l'original. Là se
trouve la preuve de la confusion et que ces versets n'ont pu être
ainsi mis côte à côte par le prophète. Ce fait établi, il est naturel
qu'on essaie de reconstituer Tordre primitif des symboles d'après
leurs affinités.
Toutes ces assertions valent qu'on explique dans le détail.
les
Voici d'abord les principaux indices
de remaniements. La seconde
moitié du v. 9 dit, en parlant du pain composite « Durant les jours :

que tu resteras couché sur le côté, trois cent quatre-A^ngt-dix jours


(TiM), cent cpiatre- vingt-dix jours (Septante), tu en mangeras. » Dès
qu'on litce texte avec attention, on y relève bien des choses surpre-
nantes. Comment se fait-il que le côté ne soit pas précisé, alors que
précédemment on distinguait avec soin le côté gauche et le côté droit
I
vv. 4-8 ? Dira-t-on que, dans cette formule, l'expression, étant géné-
rale, doit se prendre aussi d'une manière générale et convient aux
deux côtés indistinctement, comme l'expression française être couché :

sur le côté? Nous répondons que la précision des vv. 4-8 semblait
devoir exiger en cet endroit une précision semblable. Et puis, si la for-
mule est générale et désigne aussi bien le côté droit que le côté gau-
che, pourquoi lui accoler le chitfre 390 ou 190 qui, dans le symbole
précédent, caractérise uniquement l'immobilité sur le côté gauche
(vv. i, ô)? Les critiques qui ont envisagé ces difficultés, n'ont pas su
leur trouver des explications satisfaisantes. Devant ce fait, la
meilleure solution n'est-elle pas encore de regarder 9''
comme une
glose? La glose devrait s'attribuer au scribe qui, insérant à cette
place le symbole du pain composite, aura cru bien faire de le ratta-
cher au symbole précédent de l'immobilité. Il s'est servi pour le rac-
cord de formules empruntées vaille que vaille aux vv. 4 et 5. La
suture étant très maladroite trahit la main de l'auteur secondaire
qui l'a pratiquée. Peut-être cependant lisait-on quelque chose d'ana-
logue dans le symbole de la nourriture rationnée, et peut-être le
224 REVUE BIBLIQUE.

scribe n'a-t-il fait que transposer le verset en en modifiant quelque


peu l'expression. Mais ceci n'est qu'une conjecture.
Nous disions que le v. 9^ n'était pas primitivement à cette place.
On peut aisément s'en convaincre par l'analyse de son contenu :

« Et toi, prends du froment, de l'orge, des fèves, des lentilles, du

millet et de l'épeautre; mets-les dans un même vase et fais-t'en


du pain. » Venant aujourd'hui tout de suite avant le symbole de
la nourriture rationnée (10 et il), cette action devrait signifier
elle aussi les souffrances des e.xilés et les privations de la famine.
Mais l'énumération de ces divers éléments ne montre-t-elle pas
que ceux à qui ce pain est destiné ne sont pas encore réduits à la
dernière extrémité, qu'ils sont encore à mrme de se procurer
une nourriture assez variée? Puis, s'il ne s'agissait que d'écono-
miser le froment, ne sufflrait-il pas d'y ajouter quelques succé-
danés? Pourquoi tout ce mélange si bizarre? Par contre, si ce pain
est donné comme le If/pe de la nourriture impure, l'accumulation
de toutes ces graines hétérogènes s'explique par le fait que le
symbole est une charge. Qu'une telle nourriture soit impure, c'est
ce qui ressort des principes établis dans la loi mosaïque (Lev., xix,
19; Deut., xxii, 9) on ne pouvait ni confier deux sortes de
:

semences à un champ, ni confectionner un habit de deux étoffes


différentes. Pour le législateur, un pain dans la composition duquel
entraient jusqu'à six espèces de graines, devait être impur à plus
forte raison. Si l'idée d'impureté n'est pas mise en relief, c'est que le
symbole est visiblement incomplet. Tel qu'il est, il serait mieux à sa
place à côté des vv. 12-15 qui traitent aussi de la nourriture impure.
Est-ce à dire qu'il ne forme avec eux qu'un seul et même sym-
bole, comme semblent le croire plusieurs critiques (Cornill, Ber-
tholet, Kraetzschmar ? Non, car le prophète qui protestait contre
lemode^illégal de cuisson qui lui était prescrit, n'aurait pas manqué
de protester également contre l'impureté de la nourriture. Le fait
qu'aux vv. 14 et 15, Ézéchiel ne récrimine pas contre ce pain
mélangé nous invite à penser que ce symbole était primitivement
indépendant du symbole de la cuisson.
Continuons la série de ces observations. Le symbole de la nour-
riture rationnée secompose de quatre versets 10, 11, 16, 17) qui
se trouvent aujourd'huiviolemment disjoints; il suffit de les
replacer côte à côte pour s'apercevoir qu'ils cadrent parfaitement
et qu'ils demandent à n'être pas séparés. Les deux premiers cons-
tituent le symbole proprement dit, les deux autres l'application
symbolique. Il est remarquable que l'application reprenne les
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCIIIEf.. 223

termes mêmes du symbole : « 10. Et ta nourriture, tu la man-


geras au poids (Siptt^aa), vingt sicles par jour..., 11. et l'eau, tu la
boiras à la ration (nwaa), un sixième de hin... 16. Fils de
l'homme, voici que je vais briser le bâton du pain à Jérusalem; ils
mangeront le pain au poids et l'eau, ils la boiront à la ration. »
Tous les critiques récents se rendent à l'évidence de ce rappro-
chement. Néanmoins, Hermann se sépare de ses prédécesseurs
pour affirmer que la deuxième partie des vv. 10 et 11 n'est qu'une
glose. On peut en effet se demander quelle est la portée de cette
phrase, telle qu'on la traduit habituellement Tu mangeras ta :

nourriture au poids...; « tu en mangeras de temps en temps... tu \

en boiiYis de temps en temps (1) ». Mais Kraetzschmar a signalé le


sens talmudiqiie de cette formule qui signifie depuis im temps :

jusqu'à un autre temps, dans un temps déterminé, dans un délai


assigné, v. g. d'un jour à un autre, dans l'espace d'un jour. Dès
lors, rien ne justifie l'hypothèse d'Hermann.

L'indice le plus frappant du désordre est peut-être encore au


V. 12. Traduisons mot à mot l'hébreu massorétique « Et une :

galette d'orge, tu la mangeras, et elle, avec des excréments hu-


mains tu la feras cuire à leurs yeux ». Tu la mangeras... Le
pronom féminin la ne peut se rapporter grammaticalement qu'à la
galette d'orge. Les versions, Septante, Vulgate le rapportent, il est
vrai, à la nourriture rationnée dont il est question au v. 10 : -/.xl sa-
Yîsai-aj-râ, cotnedes illud, « tu mangeras cela sous la forme de galettes
d'orge {^ ». Mais outre que cet accord, réalisé par-dessus le v. 11
(eau rationnée) serait en hébreu une véritable gageure grammaticale,
on doit observer que le mot hébreu maakhâl (nourriture) est du
que
masculiïh, tandis le pronom est du féminin. Les versions tra-
duisent : fais cuire cela comme des galettes d'orge, -^v.p-joix^f y.piHv/z'/,

quasi subcinericium, sous la forme de galettes d'orge.


Mais il est à croire que, si l'hébreu avait voulu rendre cette
pensée, il l'aurait exprimée en termes intelligibles, tandis qu'il ne
le suggère même pas. Tel qu'il est, le texte massorétique ne parle
que d'un cas isolé, d'une galette déterminée,' à cuire un certain
jour, etnon de toute une série de préparations culinaires. Et tout
le texte des Septante est secondaire par rapport
porte à croire qu'ici
à l'hébreu, parce qu'on y surprend déjà un essai d'harmonisation
avec le contexte immédiat. L'hébreu, plus fruste, parait plus

11) C'est la traduction de Crampon.


('2) Trad. Crampon.
REVUE BIBLIQUE 1920. T. XXIX. "
1.5
226 REVUE BIBLIQUE.

ancien; il représente un stade littéraire antérieur à celui des


Septante. Par ailleurs, on sent également quelque embarras dans
îe début du verset hébreu et une galette d'orge, tu la mangeras.
:

Il est à croire que le texte primitif était plus coulant et développait


davantage la pensée. Mais Tembarras n'est pas tel qu'on soit obligé
d'attribuer ces mots au rédacteur final qui a compilé ce petit recueil

de symboles, ainsi que le fait Hermann.


En somme, si les observations relatives à ce Verset sont exactes,
il en résulte 1" que le symbole de la nourriture impure n'appar-
:

tenait pas nécessairement à ce contexte 2" qu'il ne s'agissait pas


;

pour le prophète de cuire son pain avec la bouse de vache durant


une longue série de jours ou de semaines. Ce ne fut là qu'une
épreuve transitoire, l'épreuve d'un jour, sans lendemain.
La deuxième partie du chapitre iv se partage donc en deux séries
de symboles les symboles du pain et de l'eau rationnés qui compren-
:

nent peut-être 9^ sûrement 10, 11, 16 et 17 et se rapportent au


cycle des symboles du siège; —
les symboles de la nourriture

impure, à savoir celui du pain mélangé (9\ symbole incomplet) et


celui de la galette cuite sur la bouse (12-15 .

Rien n'empêche que le symljole de la nourriture rationnée ait été


réalisé pendant la période d'immobilité la pénitence du jeûn€
:

ferait mieux ressortir la pénitence de la posture.


En revanche, semble bien que le symbole de la nourriture
il

impure n'est pas exactement de la même époque. Kraetzschmar est


le premier, je crois, qui ait fait observer l'incompatibilité de ces actes
avec l'immobilité d'Ézéchiel, il disait avec sa paralysie cataleptique.
Cette remarque parait fondée. Klostermann avait bien essayé de
parer à la difficulté, en prétendant que le prophète recouvra^ chaque

matin l'usage de ses membres supérieurs et qu'il se faisait assister


de sa femme. Mais qui ne voit la pauvreté de pareils expédients?
S'il y a une chose commune à tous les symboles prophétiques, c'est

le caractère personnel de leur réalisation. Dieu commande, et c'est le


prophète qui exécute. Rien n'autorise à donner des aides aux man-
dataires divins, lorsque Dieu ne les a pas lui-même désignés. Ce qui
faisait la pointe de ces symboles d'Ézéchiel, ce qui attirait sur eux
l'attention du public et leur conférait leur efficacité, c'est précisé-
ment qu'ils émanaient du prophète en personne. Que la femme du
reclus préparât les aliments de telle ou telle manière, qu'elle
ajoutât du millet ou des fèves à sa farine de froment, qu'elle cuisit
son pain avec de la bouse ou du bois, cela importait peu à la
communauté, puisque la prophétesse n'avait pas mission de Tins-
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES DÉZÉCIIIEL. 227

tiiiire. Et qu'elle fit tout cela sur Tordre de son mari, sur ses indi-
cations, voire avec son concours, ce n'était pas non plus la même
chose. C'est Ézéchiel en personne qui était chargé de prendre ces
diverses substances, qui devait les mêler dans un vase et en faire
son pain. C'est lui encore qui imité à cuire sa galette d'org'e
était

avec des excréments, en plein jour, au vu et au su de tout le monde,


« à leurs yeux », dit le texte (v. 12). Mais ces opérations nécessitent

l'entière liberté des mouvements. C'est une raison suffisante pour ne


pas situer ces actes symboliques — la même raison vaut pour le
symbole des cheveux au chapitre suivant iv — durant la période
d'immobilité rigoureuse. On ne peut à la fois être immobilisé sur
le côté et faire la cuisine, fût-ce la cuisine
élémentaire des Orientaux.
Ces deux choses n'eurent lieu qu'à des époques dilïérentes.
Kraetzschmar ne décide pas si les symboles de la nourriture impure
furent accomplis avant ou après la période de réclusion. Il semble

qu'ils lui furent postérieurs. La présomption


en faveur de ce est
sentiment, puisqu'ils ont été insérés après les symboles de l'immobi-
lité. On notera aussi pour la première fois au v. 12 la présence de

la formule générique à leurs yeux^ c'est-à-dire aux yeux des compa-

gnons de captivité, formule qui ne revient qu'au chapitre xn, « au


symbole du mur perforé », mais qui revient là jusqu'à cinq fois.
Simple coïncidence, si l'on veut, mais qui pourrait peut-être aussi
induire à retarder la réalisation de ces symboles. Il est en outre assez
curieux qu'en ce même chapitre xn on retrouve un vestige de svm-
bole relatif à la nourriture du prophète :

Filsde l'homme, tu mangeras ton pain dans l'agitation,


Et tu boiras ton eau dans l'inquiétude et l'angoisse (v. IS).

Sans vouloir pousser plus loin ces rapprochements, qui ne peuvent


dépasser l'ordre des hypothèses ou des probabihtés. concluons seule-
ment que les symboles de la nourriture impure ne sont pas contem-
porains des symboles de la réclusion, et qu'ils semblent leur être pos-
térieurs. Ils se placeraient vraisemblalDlement au cours des années de
mutisme qui, pour le prophète, précédèrent l'annonce de la ruine
de Jérusalem, peut-être à l'époque des faits racontés au chapitre xii.
Ils devaient constituer l'un de ces récits fragmentaires que
l'homme de Dieu rédigeait au jour le jour, suivant les occurrences.
Un scribe aura cru bien faire de les rapporter au chapitre iv, après
les symboles de la nourriture rationnée, avec lesquels ils avaient
d'apparentes affinités. Mais il est fâcheux que l'insertion n'ait pas été
opérée avec plus de soin. Il est regrettable que le symbole de la
228 REVUE BIBLIQUE.

nourriture rationnée 10, 11, 16, 17) ait été violemment partagé en
deux. Il est regrett;<bie surtout que le symbole du pain composite
ait été placé avant celui du pain mesuré et qu'on ait semblé ainsi
confondre deux symboles parfaitement distincts.

Voici en définitive comment on pourrait concevoir la reconsti-


tution de ce chapitre manifestement troublé : 1-8, 9" :?) 10, 11, 16,
IT, 9% 12-15.

Symboles du siège. Symboles de (exil.

Durant les jours que tu resteras


9^ 9'^ Et toi, prends du froment, de l'orge,
couché sur le côté..., [ ? jours, tu la des fèves, des lentilles, du millet et de
mangeras (glose.'"]. l'épeautre; mets-les dans le même vase
10. Et ta nourriture, tu la mangeras et fais-t'en du pain.
au poids, vingt sicles par jour; tu la 12. Et une galette d'orge tu mangeras,
mangeras d'un jour à un autre jour. et tu la feras cuire avrc des e.xcréments

11. Et leau, tu la boiras à la ration, humains, sous leurs yeux. 13 Et Jahvé


un sixième de hin; d'un jour à un autre dit C'est ainsi que les Israélites mange-
:

jour, tu la boiras. ront leur pain souillé parmi les nations


16. Et il me dit : Fils de l'homme, où je les chasserai.

voici que je vais briser le bâton du pain 14. Et je dis Ah! Seigneur Jahvé,
:

à Jérusalem, et ils mangeront le pain jamais je ne me suis souillé; je n'ai

au poids et dans l'angoisse, et ils boiront jamais mangé de bête morte ou déchirée,
l'eau à la ration et dans l'épouvante. depuis mon enfance jusqu'à ce jour, et
17. Afin qu'ils manquent de pain et jamais viande impure n'est entrée dans
d'eau, qu'ils dépérissent les uns et les ma bouche. 1.5. Et il me dit : Vois, je te
autres et qu'ils se consument à cause de permets la bouse de vache au lieu des

leurs iniquités. excréments humains : tu feras ton pain


là -dessus.

Cette reconstitution maintient l'authenticité de toutes les pièces


de ce petit recueil, en même temps qu'elle fait droit aux légitimes
exigences de la critique. Elle vient en outre confirmer une obser-
vation déjà ancienne, à savoir que les documents non datés ne
doivent pas nécessairement être rapportés à l'époque du document
leplus voisin qui porte une date. Chaque cas doit être examiné en
lui-même avec le plus grand soin. Il arrive que des résultats appré-
ciables récompensent l'effort de ces analyses, en nous permettant
de reconstituer certains récits ou certains faits dans leurs véritables
cadres historiques. Dans l'exégèse de Jérémie, ces vérités sont
devenues un lieu commun. Oe
dans le commentaire d'Ézéchiel.

[A suivre.)
Denis Buzv, S. C.
MÉLANGES

LE TEXTE DE L'EPITRE AUX ROMAINS


DANS LE COMMENTAIRE d'orIGÈNE-RUFIX

A l'exception d'un certain nombre de fragments conservés par la


Philocalie et par
nous ne possédons plus le texte original
les chaînes'^1),

du commentaire qu'Origène avait écrit après 2ii sur l'Épitre aux


Romains. L'ensemble de cet ouvrage nous est surtout connu par une
traduction latine due à Rufîn et remontant à l'année 40 i. Encore le
mot de traduction peut-il à peine être employé ici. Rufm avoue lui-
même, dans sa préface à Héraclius, qu'il a pris de nombreuses liber-
tés avec l'œuvre authentique du maitre alexandrin : à la demande de
son ami, il a consenti a l'abréger de près de moitié, de manière à
ramener à dix le nombre des livres qui était de quinze dans l'origi-
nal (2) ;
il a parfois aussi ajouté du sien pour combler des lacunes de
ses manuscrits et suppléera l'insuffisance du texte qu'il avait sous les
yeux (3). il a d'un mot fait tant et si bien que certains esprits, un peu

(1) Les iragmeals grecs du commentaire d'Origéne ont été récemment publiés par
A. Ramsboteiam, The commentary of Origen on t/ie Epistle to the Romans, dans le Jour-
nal of Theological Studies, t. XIII (1912). p. 209 ss.; t. XIV (1913).
(2) RuFi.N'i praefatio ad Heraclium P. G., XIV, 832
, « Addis autem, ne quid laboribus
:

meis desit, ut orane hoc quindecim voluminum corpus, quod graecus sermo ad quadra-
ginta fere aut eo amplius raillia versuum produxerit, abbreviem, et ad média, si fieri po-
test, spalia coarctem.
Par un heureux hasard, nous connaissons aujourd'hui le contenu de chacun des quinze
lis res dOrigène, et nous pouvons ainsi nous rendre compte de la portée des changements

introduits par Rufin dans la disposition de sa matière. Un manuscrit de l'Athos indique,


en elTet, dans des notes marginales au texte de l'Épitre aux Romains, le début de chaque
livre du comuientaire origénien. Cf. E. vox der Goltz, fùie textkrUische Arbeit des 10.
bezw. G.Jalirhvnderls, hrsgg.nach einem Kodex des Alhosklosters Lanra (T. U. N. F.
II, 4), Leipzig, 1899.
(3) loc. cil. « Super oranes autem dilB cul laies, est quod interpolati sunt ipsi
RuFi.v,
libri.Desunt eaim fere apud omnium bibliothecas (incertum sane quo casu) aliquanta
ex ipso corpore volumina; et haec adimplere atque in latino opère integram consequentiam
dare non est mei ingenii; sed, ut tu credis, qui haec exigis, muneris fortasse divini. » Ce
témoignage est précieux, puisqu'il montre combien était mal assurée, dés le commencement
230 REVUE BIBLIQUE.

chagrins, mais certainement respectueux de la vérité, auraient voulu


le voirmettre son nom en tête de cette adaptation et qu'il s'excuse
presqueM'y laisser malgré tout paraître le nom d'Origène (1).
La disposition matérielle du commentaire est pourtant, dans la tra-
duction de Rufm, celle qu'avait déjà adoptée Origène en tête de :

chacune des sections, nous lisons d'abord le texte du ou des versets,


dont l'explication va suivre; au cours du développement, ces versets
sont ensuite repris l'un après l'autre selon les besoins. Telle était la
méthode ordinaire d'Origène nous pouvons nous en rendre compte
:

par [commentaire sur l'Évangile de saint Jean, dont une grande


le

partie nous est parvenue dans l'original; et dans le commentaire de la


lettre aux Romains, le maître avait suivi ce même procédé, comme le
prouvent les fragments conservés en grec par les chaînes.
Nous avons donc, dans rada^îtation de Rufin, un texte complet de
l'Épître aux Romains. Quelle est au juste la nature de ce texte? Rufin
l'a-t-il traduit directement, et, sous son costume
y retrouvons- latin,
nous les leçons propres à Origène?ou biensimplement servi s'est-il
d'une version toute faite, de celle qu'il employait le long de sa vie
quotidienne, qui était adoptée de son temps à Aquilée, de manière à
s'épargner la peine d'un inutile travail? La question vaut qu'on s'y
arrête un instant; car, dans le premier cas, nous aurions un important
témoin du texte grec dont Origène faisait lui-même usage; dans le
second, —
dont on peut dire tout de suite qu'il est le vrai nous —
du v siècle la conservation des œuvres d'Origène. Les volumineux commentaires du
maître effrayaient les copistes aussi bien que les lecteurs. Rufin avait déjà de la peine à
trouver un manuscrit complet du commentaire sur lÉpître aux Romains. La traduction
abrégée qu'il composa eut un tel succès ([ue sans doute elle contribua pour sa part à la
disparition du texte Le nombre des manuscrits qui nous ont transmis l'adapta-
original.
tion de Rufin est très considérable on en trouvera une liste, dressée par E. Preusghen,
:

dans A. Haknack, Geschichte der altchristllchen Literatur : Die Ûberlieferiing ; ^. 4t30.


L influence de Rufin également sensible dans les commentaires postérieurs d'origine
est
occidentale ; Pelage, parexemple, ignore le teste grec d'Origène, mais utilise fréquem-
ment la version latine de son adaptateur; cf. A. J. Smith, Tlie commentary of Pelagius
on Romans compured wit/i that of Origen-Rufinus, dans le Journal of Tlieoiogical
Studies, t. XX (1919), p. 127-177.

(1) RcFiNi peroratio ad Heraclium;


P. G., XIY, 1293-1294. «... Novum quippe apud eos
culpae genus subimus. Aiunt enim mihi ; in bis qaae scribis, quoniara plurima in eis lui
operis habeatur, da titulum nominis tui/et scribe Rulini, verbi gratia, in epistolam ad
:

Romanos explanationum apud auctores, inquiunt, saeculares, non illius qui


libri; sicut et
ex graeco translatus est, sed illius qui transtulit nomen titulus tenet. » Ce passage nous
renseigne sur certaines habitudes littéraires en usage du temps de Rufin. Nous savons gré
cependant au traducteur de sa modestie c'est bien Origène, qoi, comme il aime à le
-.

reconnaître, « fundaraenla operis iecit et constituendi aedificii materiam praebuit r>.

Sous le vêtement que lui a donné Rufin, on retrouve bien encore le plus souvent la pensée
d'Origène.
MÉLANGES. 231

avons affaire à une vieille recension latine, dont il peut être intéres-
sant de déterminer le caractère.
Dans la traduction du De principiis, qui avait paru en 398, Rufin
avait suivi assez exactement le texte biblique cité par Origène il ne ;

s'était pas contenté de reproduire le sens sénéral des citations, en

faisant appel, pour le détail, à une version latine; mais il avait tenu,
d'une manière habituelle, à traduire lui-même les citations faites par
l'auteur (1). On peut donc comparer les uns aux autres les passages de
rÉpitre aux Romains qui se rencontrent à la fois dans le De jrrinci-

piis (2) et dans le Commentaire comparaison permettra du


: cette
moins de mesurer la différence des méthodes employées par Rufin
dans les deux cas.

Comment. {P. G. XIV). De princ.

II, 4 (874 B) sustentationis et patientiae (203, 26 ss.j patientiae ac longanimi-


tatis.

ignoras ignorans
5 (875 A) tibi ipsi tibi

opéra eius (mais souvent en d'au- opéra sua


tres endroits. Rufin traduit sua,
qui est d'une lecture fréquente
cliez S. Jérôme, S. Augustin,
Ambrosiaster, Sedulius).
8 (879 C s.) qui diffidunt quidem qui non credunt quidem
optemperant creduut
9 iudaei prinium et graeci. iudaeo primum et graeco
VIII, 20 (1107 Bji subieciteara in spe (271,29s.) subbiecit in spe; cf. p. 91,

13; 275,9; p. 171, 19 : subiecit in spem.


21 quoniam et ipsa (271,29 s.) quia et ipsa; cf. p. 91, 13.
22 oranis creatura congemiscit et (91, 13 ss.) ipsa creatura congemiscit et
condolet usque adluic (dans le condolet usque nunc.
texte du commentaire, 1109 D-
1110 A, Rufin cite de nouveau
le texte de la même manière,
puis ajoute cette remarque : vel

ut in aliis liabetur exemplaribus


congemiscit et parturit usque
adhuc; cF. 1 1 12 C : si vero, ut in
aliis exemplaribus invenitur, ita

legamus, congemiscit et partu-

rit).

(1) Cf. G. Bardv, Les citations bibliques d' Origène dans le De principiis, dans Revue
Biblique, 1919, p. 106-135.
(2) Le texte du De principiis est oité d'après l'édition de P. Koetsch\u, Origenes'
\yerlùe, t. V ; Leipzig, 1913.
1

232 REVUE BIBLIQUE.


VIII, 38 (1133 A) confido enim (2.53, 15) certus sum autem
neque principatus, neque prae- neque principatus neque potestates
sentia (cf. 1054 A) neque praesetitia
neque virtutes neque virtus
39 neque creatura alia neque alia uUa creatura
IX, 11-12 (1142 AB), i\am cumnondinn (170, 20) Cuni enim nondum nati fuis-
nati fuissent aut aliquid egis- sent neque egissent aliquid boni vel mali,
sent boni vel mali, ut secun- utpropositum, quodsecundum electionem
dum electionem propositum Dei Dei factura est, permaneret, non ex ope-
maneat, non ex operibus sed ex ribus, sed ex eo qui vocavit dictum est,
vocante dictuni est ei, quia niaior quia maior serviet minori.
serviet minori.
IX, 19 (1143C) dicis itaque {= S. Germ. (235, 24) dices ergo
Vg.).
quid ergo adbuc (t( ouv In BDEF quid adbuc irt hi xAKLP)
G) S.Germ. Vg
resistit (S. Germ. Vg.)- resistet.
20 (1147 B) homo tu quis es etenim vero, o bomo, tu quis es (ete-

nim vero, om. p. 240, 15 s.).

21 an aut
aliud quidem vas in bonorem in bonorem vas [v.ç xlixr^v ctxeuo;)

(S. Germ. Vg.)

aliud vero (S. Germ. Vg.). alrud autem (cf. p. 206, 15 ss.;243, 19s.
X, 6 (1160AB)ascendit (S.Gerni.) (57,6) ascendet (Vg.l àvaSrjasTat
boc est (id.) id est (Vg.).
7 descendit (id.) descendet (Vg.) /.aTa6r;5£Txi
reducere (id.) revocare
8 prope est (ii.) prope te est [ît!'^'^ ^°'>^)

verbum (id., DEFG def g) verbum + valde

Le rapprochement de ces deux séries de passages est assez iostriic-


tif.D'une part, dans le De 'prmcipiis, nous avons affaire à une tra-
duction directe du grec. De Tautre, dans le commentaire, nous
sommes en présence d'un texte plus homogène, dé|à fixé sous la
forme où le présente Rufin nous suffise pour Finstant d'attirer
: qu'il
l'attention sur les derniers fragments que nous venons de citer. Les
leçons présentées par le commentaire sont constamment d'accord
avec celles du cod. Sangermanensis sans attacher plus d'importance
:

qu'il ne convient à cette constatation, il faut cependant la signaler


comme étant de nature à fournir une piste intéressante.
Il n'est pas nécessaire d'ajouter que les indices recueillis jusqu'ici

ne suffisent pas à former une opinion décisive. Il n'y a pas davantage


à espérer d'un rapprochement entre le texte de TÉpitre aux Romains
tel que le cite le commentaire, et les fragments mentionnés par Rufin

le long de ses œuvres personnelles. J'ai essayé de faire ce travail, qui


MELANGES. 23:1

ne m'a donné aucun résultat digne d'être mentionné. Si RuPm a


beaucoup a consacré le meilleur de son activité littéraire à des
écrit, il

traductions ou à des adaptations d'auteurs grecs. Il a peu produit de


son propre fonds; et dans ses écrits originaux, ou rencontre trop peu

de citations scripturaires, pour pouvoir se faire d'après elles une idée


exacte de la Bible latine en usage à Aquilée au temps où il écrivait. Si
le commentaire de l'Épitre aux Romains nous a conservé dans son

ensemble un texte italien, il faut l'examiner en lui-même pour en


reconnaître la nature.
Heureusement, nous trouvons à plusieurs reprises, au cours de l'ex-
plication de la lettre de saint Paul, des remarques précieuses. Ces
remarques d'ailleurs ne peuvent pas, le plus habituellement, re-
monter à Origène. Celui-ci attachait, on le sait, la plus grande
importance à la pureté du texte biblique; il notait avec soin les
variantes qu'il avait rencontrées dans les divers manuscrits; il écartait
les leçons qui lui semblaient suspectes. Mais ses préoccupations ne
dépassaient pas beaucoup le champ du texte grec il n'avait pas :

une connaissance très approfondie de l'hébreu et ne devait pas s'in-


téresser aux premières versions latines qui commençaient à circuler
de son temps.
Dans le Commentaire sur l'Epitre aux Romains, au contraire, il est
souvent fait appel au texte latin, aux manuscrits latins qui sont com-
parés les uns aux autres, et parfois opposés à l'original grec. Cela
est dû à Rufin, et Ton peut tirer de ses remarques d'utiles indications.

Rom. I, 2 (8i8 C-8i9 A), la plupart des exemplaires latins portent


la leçon praedeslinatus; cependant saint Paul a écrit : destinatus, et
tel est en eîfet le mot exigé par le véritable sens. Rufîn s'excuse de
faire cette remarque : u Nemo putet nos de hoc sermone curiosius
quam res patitur j erscrutari ». Mais d'ailleurs, dans le te.xte de la
péricope qui précède le commentaire, c'est le participe praedestina-
tus qui figure, conformément à l'usage latin.
Rom. II, 8 ;879C) se lit : '< qui diflidunt quidem veritati ». Le com-
mentaire (885 A) note que, dans l'Écriture, le verbe diffidere a le
sens de non credere, ou bien de non obtemperare, de sorte que le
traducteur latin (latinus interpres) aurait mieux fait sans doute
d'écrire : qui non obediunt veritati, sed obediunt iniquitati.
Rom. III, 4 (91 V A) : « fiat autem Deus verax ». Fiat est le mot qui
figure dans les exemplaires grecs; les latins lisent sit au heu de f]at(l)

(l) La lecture généralement employée par saint Amcroise. Sai.xt Cïprie.x, Ambro-
si< est
siASTER, SAJNT AUGUSTIN lisent Bst, qui est aussi le levle de notre Vulgate. La plupart des
•234 REVUE BIBLIQUE.

(918 C D). Il est remarquable qu'ici la leçon acceptée dans le texte soit
celle que le commentaire indique comme adaptée directement du grec.
Rom. 111,5 (921 G) « numqiiid iniquus Deus qui infert iram? secun-
:

dum horainem dico. Absit. » Telle est la lecture des textes latins et de
quelques-uns parmi les grecs. Mais il faut savoir que dans un certain
nombre d'exemplaires grecs, la ponctuation est placée différemment,
ce qui change le sens du texte : numquid iniquus Deus qui infert iram
adversum hominem (923D-924A) (1).

Rom. m, 10 introduit, comme on sait, une citation assez compo-


site, plus ou moins littéralement empruntée aux Psaumes et à Isaie.
A ce sujet, Rufm donne les explications suivantes (929 B) lllud enim :

necessario ducimus admonendum, quod in nonnullis latinorum, ea


quae subsequuntur testimonia in decimo psalmo consequenter
tertio
ex integro posita inveniuntur; in graecis autem poene omnibus non
amplius in tertio decimo psalmo quam usque ad illum versiculum ubi
scriptum est non est qui faciat bonum, non est usque ad unum (2).
:

Rom. m, 19 « et subditus fiât omnis mundusDeo(937C) ». Ailleurs


:

(alibi), Rufin a trouvé le texte obnoxius fiât omnis mundus Deo, ce


:

qui, ajoute-t-il, concorde mieux avec les exemplaires grecs (939 D).
Rom. m, 25 « quem proposuit Deus propitiationem per fidem
:

(946 A) ». La leçon propitiationem n'est pas très sûre ici, et les éditeurs
notent la variante propitiatorem. En d'autres passages, la citation
du même texte porte propitiatorium, vel propitiatorem (946 G);
propitiatorium (947 B, 949 G). Rufin explique du reste que les apôtres
donnent au Ghrist, avec un seul et même sens, les noms légèrement
différents de propitiatorium ou propitiatio, ou, suivant la lecture la
plus fréquente dans les manuscrits latins, de propitiator. Mais il im-
porte peu de lire propitiator, ou propitiatorium, ou propitiatio, ou
même exoratio, puisque chez les Grecs c'est toujours un seul et même
mot qui est employé (951 A) (3).

manuscrits grecs portent ytvsCTÔw; G a ït-w, mais on peut se demander si ce n'est pas là
une leçon corrompue pour esto.

(1) On ne trouve aujourd'hui presque plus de traces de cette dernière leçon. Cf. PmL\s-
TRius, Haeres. 51 : numquid iniustus Deus. qui infert iram suam hominibus.
(2) Actuellement, un très grand nombre de manuscrits grecs ont introduit dans le texte
du Psaume \iii 3 le centon de Saint Paul, Rom. m, 10-18; cf. H. B. Swete, The old Tes-
tament In (jreeh, ad h. l. Saint Jérôme note à ce sujet « non tam aposlolum de psalmo
:

tertio decimo sumsisse, quod in liebraico non habetur, quam eos qui artem contexendarum
inter se scripturaruni apostoli nesciebant, quaesisse aptum locum ubi assumptura ab eo
ponerent testimonium, quod absque auctoritate in Scriplura positum non putabant [in Is.
lib. 16; P. L., XXI V, 548; cité par le R. P. LAGKA^(.E, l'Êpilre aux Romains, p. 70). »

(3) Propitiatorem est la leçon de S. .\mbroise, De fuga saec. 3; d'AsiBBOSiAsiER, in


Rom. 3; d'OiiosE, cont. Pelag.; de S. Jkrùme, Cont.Pelag. I. Saint Augustin, De pecc.
MÉLANGES. 235

Rom, V, li : a Sed reg-navit mors ab Adam usque ad Moysen, in eos


qui peccaverunt 1003 D) ». Le commentaire discute ce texte. Après en
avoir donné l'explication, Rutin ajoute : Si vero, ut in nonnullis
exemplaribus ha])etnr etiam in eos qui non peccaverunt in similitu-
dinem praevaricationis Adae, mors ista, idestquae in inferno animas
detinebat, régnasse dicatur, etc.. (1019 A;. Il semble donc que la
négation n'existait pas dans la plupart des manuscrits qu'il connais-
sait, ou du moins dans la recension qui lui était familière. Saint

Augustin confirme cette manière de voir, en disant que la plupart


des codices latins de son temps lisaient sans la négation in eos pec- :

caverunt. Presque tous les Grecs au contraire portaient le mot con-


troversé, qui figure aujourd'hui dans le plus grand nombre de no*s

textes grecs ou latins (1 .

Rom. VI, 11 : « ita et vos existimate vos mortuos quidem esse peccato
(105i C) »; et la correction suit immédiatement le texte : quod melius
quidem in graeco habetur : cogitate vos mortuos esse peccato (id.).

Rom. VII, 6 : (( soluti sumus a lege mortui in qua detinebamur


(1069 R) ». D'autres exemplaires écrivent : a lege mortis; mais, selon
Rufin, Texpression mortui est plus vraie et plus exacte (1075 R). Mor-
tui, qui traduit exactement le participe àzsOavivt;;, reflète la leçon de
la plupart des manuscrits grecs (xARGKLP). Mortis, qui figure dans
l'ancienne latine et dans la Vulgate, est déjà employé par Tertullien
et représente ainsi la tradition occidentale (2).
Rom. VII, 13 « ut fiât supra modum peccator ipsum peccatum per
:

mandatum (1076 C) ». Cette traduction a besoin d'être expliquée et


que Rufin fait en ces termes dans le commentaire
justifiée, ce :

Quod autem diximus peccatum peccator, maluimus vitium sermonis


recipere, quam sensum ApostoU non intègre exprimere quia in :

latino sermone angustavit nos nomen peccati, quod neutro génère


declinatur in graeco vero femininum est, et ideo peccatorem eum
;

nos appellavimus nam ibi peccatrix appellari potest (108i BC). On


:

peut conclure de là que Rufin a traduit ici directement le grec, sans


parvenir d'ailleurs à trouver une fornmle satisfaisante. L'ancienne
latine et la Vulgate emploient l'une et l'autre l'expression peccatum
peccans.

>»«/'. I, et de Spir. et lUt. lit propiliatoriuia. Notre Vulgate porte propitiationem, tandis
que le texte grec a le mot r/a-jr/ipiov.

(1) Dans le De peccat. mer. I, S. Alclstin s'explique longuement à ce sujet; cf. aussi
Ambrosiaster, m h. l.

(2) Seuls les manuscrits latinisants DEFG ont introduit dans le texte grec la traduction
de cette leçon : toO vôfiou toj ôavâroj èv To ; cf. R. P. Lagrange, op. cit., p. 164.
236 REVUE BIBLIQUE.

Rom. VIII, 3 de peccato damnavit peccatum in carne (1093 B) ».


: «

Le grec porte plus exactement pro peccato damnavit (1094 C). :

Rom. VIII, 22 « scimus enim quoniam omnis creatura congemis-


:

cit et condolet usque adhuc (1107B) ». D'autres exemplaires con-

naissent un texte différent: congemiscit et parturit (1109 D-1110 A;


1112C)(1).
Rom. IX, 31 : « Israël autein sectans legem iustitiue in legem non
pervenit (1153 A) Le commentaire s'exprime ainsi sur ce passage
». :

Et hic locus... in uno eodemque versiculo diverse nominat legem.


Certum est enim quia Israël sectabatur legem iustitiae secundum lit-
teram, sed in legem non pervenit quam legem? sine dubio spiritus :

(1155 B). Un grand nombre de manuscrits grecs n*ABDEG lisent le

mêine texte que Rutin, qui n'a aucune hésitation sur sa formule.
Cependant la plupart des latins, S. Jérôme et S. Augustin par
exemple, comme aussi notre Vulgate, ajoutent iustitiae cà legem 2**,
Rom. xii, 2 « ut probetis quae sit voluntas Dei quod bonum et
:

beneplacitum et perfectum (1203 A) ». Telle n'est pas la leçon du


grec, où il y a ut probetis quae sit voluntas Dei bona et beneplacita
:

et perfecta. Mais comme le sens esta peu près pareil, Rufin consent
à suivre ici la coutume des Latins (1205 C) (2).
Rom. XII, 3 h Dico enim per gratiam quae data est mihi omnibus
:

qui sunt inter vos non plus sapere quain oportet sapere. sed saperead
sobrietatem (1208 A) ». Ce texte appelle de la part de Rufin plusieurs

remarques. Tout d'abord là où les Latins lisent omnibus qui sunt


inter vos, il y a dans le grec omni qui est in vobis(1208 A). D'autre
:

part, le mot sobrietas rend le terme grec 70)9po!7jvr; telle est la tra- :

duction ancienne (in nostris codicibus hoc est in scripturis divi-


nis..., amajoribus interpretatum) mais les savants préféreraient le

terme temperentia qui rend mieux la force du grec !'3) 1210 C).

(1) Les divers auteurs sont partagés S. Amiîroise, de jide I. 14, lit congemiscit et com-
:

parturit usque nunc Sedilils, in Rom. VIII


; congemiscit et comparlurit et dolet; mais
:

un peuplas bas congemiscit et condolet; S. Aiglstin, in Rom. VIII, congemiscit et dolet.


:

(2) Les explications d'A.Mi'.RosiASTEu sur ce passage sont tout à fait analogues à celles
de Rufin : « Si secundum hoc legamus quod in latinis codicibus invenimus, hic erit sen-

sus..., si vero secundum hoc quod diximus apud giaecos haberi, id est : ut probetis quae
sit voluntas Dei bona et beneplacita et perfecta... »

(3) Sedilils donne ici la même explication que Rufin : « quod in graeco dicitur rjut-^çiodwri

in nostris codiciitus, hoc maioribus interpretatum est:


est in scripturis divinis, sobrietas a
ab aliis tamen eruditis viris temperentia ponitur [P. L., CIII. 111 A). » C'est une citation
évidente de Rufin. Tout le commentaire de Sedulius dépend d'ailleurs beaucoup de celui
de Rufin. On voudrait savoir qui sont ces savants dont parle Rufin. Dans le Contra lovin.
I, 37 (écrit en 392-393), S. Jérôme écrit « ad pudicitiam, non ad sobrietatem, ut maie in
:

lilinis codicibus legitur. » Rufin fait donc allusion à d'autres qu'à S. Jérôme.
MÉLANGES. 237

Rom. XII, 6 : « sive prophetiamsecundum rationem fidei (1212 C) ».


Ratio traduit le mot grec àva/.ivia, qui signifie plutôt, selon Rufin,
mensura.competens. L'usage latin sera pourtant conservé (1213 A) (1).
Rom. XII, 11 Domino servientes 1219 G) ». Rufin connaît certains
: '< 1

manuscrits latins qui portent tempori servientes. Ce texte, malgré :

les parallèles ou les commentaires apostoliques qu'on en pourrait


donner, moins convenable (^1220 A) (2).
lui parait
Rom. usibus sanctorum communicantes (1220 R >'. Plu-
XII, 13 : «

sieurs manuscrits latins ont un autre texte memoriis sanctorum :

communicantes. A quoi bon troubler l'usage courant, ou préjuger de


la vérité, puisque les deux formules servent également à l'édifica-
tion (1220 R) (3)?
Rom. XV, 16 : « sanctificans evangelium Dei (1267 R) ». Telle est la
traduction latine; mais comme elle rend mal la magnificence et la

plénitude du texte grec : îspojpvcjvTa zz £J7.yysX'.:v t:j Oecj, qui serait


mieux exprimé par la formule, à peine suffisante d'ailleurs : sacrifi-

cans evangelium Dei (1268 R). Cette dernière formule, que propose
Rufin, ne se rencontre d'ailleurs pas dans la tradition latine la leçon :

sanctificans est très généralement admise, et l'on trouve seulement


chez saint Augustin et chez Vigile de Thapse une autre expression :

consecrans evangelium Dei.


Rom. XV, 30 « ut adiuvetis me in orationibus ad Deum (1276 A). »
:

Ici encore Rufin regrette la pauvreté de la formule latine Quod nostri :

posuerunt : adiuvetis me in orationibus, magnificentius legitur apud


Graecos jjvxvojviTacrOa'.. in quo hoc est quod indicatur, ut adiuvetis me
in agone orationum ad Deum (1276 C) (i). Malgré ces regrets, Rufin
ne songe pas à modifier le texte reçu; il reste fidèle à l'usage de son
Église, et se contente de noter dans le commentaire quelle doit être
la véritable interprétation de la pensée apostolique.

(1). s. JÉRÔME, Cont. lovin. ii, 22, traduit aussi : secundum mensuram fidei. Cf. R. P.
LACiiASGE, ojî. cit., p. 298.

(2) S. JÉRÔME, Ep. 21 ad Marcellam écri1, dans le même sens que « Latinorum
Rufin :

codicum viliositatem ad graecam originem se voluisse revocare... Ilii legant spe gau- :

dentes, tenapori servientes; nos legainus domino servientes. « Ambrosiaster au


: contraire
défend la leçon des Latins Tempori servientes in graeco dicitur haberi sic
: « Dec ser- : :

vientes, quod nec loco ipsi competit. Quid enim opus erat summam hanc ponere totius
devotionis, quando singula raembra quae ad obsequia et servitia Dei pertinent memo-
rat? »

(3) Ambrosiaster, S. Hilaire {Contra Const. 27), lisent : memoriis. S. Augustin et


Sedllils ont les deux leçons : celui-ci les commente lune après l'autre, sans se prononcer

sur leur valeur.


(4)Vigile de Tiiapse, De Trin. XII, exprime très exactement le sens indiqué par Rufin ;

'( concertamini mecura in orationibus meis pro me ad Deum. » Mais dans l'ensemble les
Latins restent attachés au texte traditionnel : adiuvetis me.
238 REVUE BIBLIQUE.

Rom. XVI, 5 : « Salutate Epheuetum dilectum meum, qui est iiiitium


Asiaein Christo (1279B) ». Le terme initium correspond à un mot grec
qui serait mieux traduit, au dire de Rufin, par primitiae (J27i)B Il est .

remarquable que la leçon initium est propre à Rufin. Notre Vulgate


emploie l'expression primitivus; l'ancienne latine écrit in primiti- :

bus. Nous ne savons donc pas d'où vient l'emploi dinitium, encore
que, selon son habitude, Rufin semble se référer à une traduction bien
connue de ses lecteurs. A propos de la pairie d'Épénète, le commen-
taire note seulement : appellavit eum primitiae Asiae, sed et in alia
epistola dicit de quibusdam quia sunt primitiae Acbaiae. Cette
réflexion peut être d'Origène, et n'implique pas nécessairement la
présence dans notre verset de la variante Achaiae.

Ce n'est pas, faut-il le dire, pour le stérile plaisir d'accumuler des


fiches, que je viens de rappeler cette série de témoignages. De l'en-
semble des textes cités ressortent, en effet, un certain nombre de con-
clusions qui peuvent intéresser l'historien de la Bible latine. D'abord,
le texte de l'Épitre aux Romains, que nous avons dans le commentaire
adopté par Rufm, n'est pas celui d'Origèue; ce n'est pas davantage
la traduction directe d'un texte grec. Aous avons affaire à un texte
continu, à une version latine, traditionnelle dans le milieu où écrivait
Rufin, et dont celui-ci tient à s'écarter le moins possible. iMême
lorsque le grec présente des leçons préférables —
ce qui arrive assez
souvent — Rufin se refuse à modifier le texte qu'il a sous les yeux, et il

ne donne pas d'autre raison de sa fidélité que l'attachement à l'usage

des ancêtres.
Il est d'ailleurs possible, et même probable, que le manuscrit du

Nouveau Testament dont se servait Rufin, était un manuscrit bilingue ;

c'est de là que viendraient la plupart des expressions qu'il cite

directement d'après le grec, et non pas du texte même d'Origène. La


version latine qu'il emploie, d'autre part, paraît avoir été infiuencée,
en quelques-uns de ses détails, par le grec qui lui était parallèle,
bien que, dans l'ensemble, elle conserve exactement sa physionomie
originale (1).
On peut dès lors se faire une idée de la méthode de travail de
Rufin. Prié par Héraclius de présenter en latin le commentaire d'Ori-

^1) Ces conclusions ont déjà été indiquées par Westcott, art. Origenes, dans Smith and
Vf ACE, Dictionanj of Christian biographij: <iRufinus had probably adopted tlie latin text of
a graeco-latin copy, Avich had been in some détails inlluenced by the greek, but wich
preserved essentiallyits original coraplexion. The continnous latin text cannot however be

quoted as representing Origen's reading. » Cf. C. H. Turner, Greek patristlc cornmentaries


on the Pauline epistles, dans Hastinos. A Dictionary of the Bible, Extravol. p. 490 s.

I
y'
MELANGES. 239

gène sur FÉpitre aux Romains, il cherche moins à faire laborieuse-


ment œuvre de traducteur qu'à rendre accessible aux lecteurs occi-
dentaux l'énorme interprétation de l'exégète alexandrin. De son
modèle il garde la manière; il conserve le plus souvent les pensées
ou les formules essentielles. Mais il abrège il adapte il supprime les ; ;

trop longs développements; il ajoute parfois des explications à l'usage


de ses comiDatriotes latins. Plutôt que de traduire à nouveau le texte
de l'apôtre d'après son manuscrit d'Origène, il trouve plus commode
et plus utile de le transcrire sur la version latine qu'il emploie d'or-
dinaire.
Ainsi nous conserve-t-il un texte de l'Épitre aux Romains qui a
pour nous la plus haute valeur. Le seul examen des leçons les plus
caractéristiques du premier chapitre suffira à nous convaincre de'
l'intérêt de ce témoignage pour l'histoire des traductions latines du

Nouveau Testament (1).

I, 2. qui secundum carnetnex semine factus est David. L'ordre des mots est boule-

versé de manière assez insolite.


praedestinatus. Lecture conforme aux versions latines; le grec lu par Ruûa
portait ôv.uGivToç. CL sup. p. 233.
7. om.
vocatis sanctis :

quoniam quia ^\'. W.


8. :

9. quomodo g (-'oç G quod VV. AV. (w; graee. pleriq.


: : .

M. aliquod tradam vobis donum spiritale. Te.vte particulier à 0. R. ; ut aliquid


irapertiar gratiae vobis spiritalis W. W.; aliquid imperliam gratia vel donum
vobis spiritale g.
confirmaudum : conûrmandos W. W., ceteri l'z-.r^zvi^r^iv.i).

12. consolari : simul consolari W. W., cet. (;juv-xfQf/Xr,6f;va'.;.

15. quod in promptus sum D de; Ambrosiaster, Ambr.. de fv.g.scwc. 3;


me est :

Sedul. (semel;quod in me proraptum est W. W. (tb xa-:' hxi 7:p68j;a.ov).


;

qui Romae estis 858 A; om 860 B, et de même g ^G.).


17. iustitia enim dei om. in eo (âv xjtw;. :

quia iustus syr. harcL om. quia W. W., cet.


: ;

ex 6de mea sic LXX ad Hab. II 4; syr. harcl., Hieron. VI 612: om. mea
:

W. W., ceter.
vivit W. W., Ambros., August., Ambrstr, Pelag., SeduL (rr;asTa;).
:

18. in omnem d*eg. ^ibstr., August.; super omnem W. W. (Ir^i)


:

iniquitalem iniustitiam W. W. (ioi/.fav;.


:

hominum ivOpoJr.wv graeci pleriq. add. eorumW. W. itôjv àvOpoi-wv D*G>. :

in iniquitate August. X 719; in fniustitia W. W., ceter.


:

19. propterea quia quod oioTi to graeci pleriq. om. propterea W. W.. lat.
: :

20. eius Dg: Ambros., Ambrstr, Hil. Priscil. ipsius W. W. :

(1) LaVulgateest citée d'après l'édition de H. Wordswortu-H. J. ^N'ithe Novum Testa- :

mentum... latine secundum editionem S. Hieronymi... Vol. II, fasc. I, Epistola ad Ro-
manos, Oxonii, 1913. Cf. R. P. Lagrange, Le texte latin de l'Épitre aux Romains, dan.?
Rev. Bibl. 1916, p. 225 ss.
240 REVUE BIBLIQUE.

et sempiterna : d* e-. sempiterna qiioque W. VV.


ac divinitas : Aoibr., Aug. (saepe) : et W. W.
ut sint c d e C F G, August. (serap.), Vigil
: praeest : ita W. W.
21. magniQcaveruut DFLd*, Tychon., Ainbrstr, August. ;
glorificaverunt W, W.

contenebratum est : CL intenebratum est. Faust., Col. Carthag.; obscuratum


est, W. W. (bx.oTîa6r,;.

22. dicentes enim ora. enim graec. :

23. immutaverunt, 864 A; commuta veruni, 863: immulaveruDt, August. saepe;


mutaverunt W. W. (v-Xaçav, ou rjXXâ^av-o).
24. propterea : propter quod AV. W.
tradidit eos : R, Hieron. IV 294: illos W. W.
desideriis, Hieron. (Iv -aïîlTîtOuaîaiç); desideria W. W.
2-5. iu meDdacium.BCDG*etc... Ambros.,Ambrslr, Hil., Pelag.;iamendacio W. W.

in saecula : August., Hil.; add. Amen W. W.


26. nam et feminae: etenim. al. [y.''X-i yàp) : om. et W. W.
qui extra naturam est : qui est contra naturam W. W.
27. accensi sunt : Hieron. ; exarserunt W. W.
in desiderium sui : Hieron.; cf. desiderio suo û*eg l-fi à^rl^îi «jtwv); in desi-
deriis suis, W. W.
in semetipsis (èv éavrore), W. W. : in seraetipsos GDFG etc..
28. in notitiani W. W., lat. pleriq. : in notitia de g (èv ïta'^wmzîi).

ut faciant ea quae : cde, Ambstr; om. ea W. W.


29. iniquitate malitia fornications nequitia avaritia : avaritia nequitia W. W . (Sœ-
pissime mutatur hic ordo in mss.,\
homicidiis : Ambrstr.; homicidio W. W. (-fo'vojv G. sed -.sovou graeci pleriq.).
sussuratores : D g, Cypr., Ambrstr, Lucif. ; sussurones W. W.
30. obtrectatores : deiractores W. W.
31. absque foedere om. permult. mss. graec. etlat., Ambrstr, Pel., sed hab.
: W. W.
qui faciunt : cd-eg, Cypr., Lucif., Pelag., om. qui W.W. :

iila : Fd, Lucif. ; ea W. W.


qui consentiunt : cd^eg, Lucif., Pelag. ; om. qui W. W. (oj aovov aura zoiouaiv

Plusieurs des leçons de Rufîn lui sont particulières; mais dans un


assez grand nombre de cas son texte se trouve d'accord avec celui de
saint Ambroise et de l'Ambrosiasfer ces rencontres ne sont pas pour :

nous étonner. On sait les relations étroites qui unissaient les deux
Églises de Milan et dAquilée, et il est très naturel que l'une et l'au-
tre aient fait usage d'un même texte du Nouveau Testament. D'un
autre coté, l'Ambrosiaster et le commentaire de Rufîn présentent entre
eux assez de ressemblances, pour que l'on puisse songer à une in-
fluence de l'un sur l'autre sans qu'il soit facile de dire en quel sens
s'est exercée cette influence (Ij.

(1) On trouvera quelques indications sur les rapprochen^ents entre l'Ambrosiaster et Cri-
b

MÉLANGES. 241

Les indicatioas qui précèdent ne visent pas à être complètes ou défi-


nitives.Nous avons simplement voulu ramener l'attention sur un
important témoin du vieux texte latin de l'Épitre aux Romains, et
rappeler l'utilité que pouvait présenter une étude du commentaire
d'Origène, non seulement pour la connaissance de Féxégèse du
maître d'Alexandrie, mais aussi, grâce à l'adaptation de Rufin, pour
Ihistoire des versions du Nouveau Testament.
Gustave Bardy.
Lille.

II

CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ DES VERSIONS COPTES DE LA BIBLE

[Suite]

TOBIE

A
Collpction Borgia

Z. 11 IV, 16a*, 16b-v, 9b' "


(Ci. 1)
XI, 15b*, 10-xiv (fin du livre)

B
BlljUothèque Nationale, Paris

BN 129' fol. 143= Z. 11 i. l-7b* (Masp. 1)


15N 129» ff. 144-7 = Z. 11 i, 20b-, 21-iii
IV, l-3a', 3b-6a*

BN 129» fol. 148^= Z. 11 iv, 6a', 6b-I6a* (Gas.)


BN 129' ff. 157, 150-156 vi, 15b', 16-17b', 18' (Masp. 1)
VII, lab*, 2-5b*, 6-1 Ib', 12-13b*,
15% 16-17 (fin)
*
VIII, la'b,2% 3a', 3b-5a', 5b-6, 8-
14b*, 15-17a-, 17b-21 (fin)
IX, l-5b', 6a'

gène-Rufin dans les articles de A. J. Smith, The latine sources of ihe Commentary of
Pelagius on the Epistle of St Paul ta the Romans, publiés par le /our/ia^ of Theological
Studies, t. XIX p. 162 ss., t. XX (1919), p. 127 ss. Le problème de l'auteur
(1918),
et de la date de l'Ambrosiaster n'est pas encore définitivement résolu, malgré les travaux
de Dom Morin de M. Souter. Peut-être une comparaison attentive des deux commen-
et
taires, celui de Rufin et celui de l'Ambrosiaster, jelterail-elle un peu de clarté sur la question
REVtE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. jg
242 REVUE BIBLIQUE.

1-4, 5*. 6-7b-, s-10, ir, 12ab-


l-5b% G-lOa*, 101>I4b-, ISa',
15b-17a% 17b-19 (finj

l-2b*, 3a*, 3b-Ga-, 6b-8b*, 9-

Ub-, 12-, 13a*. 13b-14b-,


16% 17% 18-19a*, 20b-, 21-
22 (fin)

XIII, lab'
BN(Katam) = Z. 32 XIV, 7a', 7b-ll (Masp. 1)

Autres collections

BMC = 20 Z. 32 IV, 13b% 14a-, 19ab- (Win. 2)


1>.MC938 = Z. 11 VI, 12b-14b-, 15-16a', 16b-18(fin) (Scli. 2)
VII, la'
CIF = Z. 32 XII, 6ab' (Lac. 1)

Citations

Rud. XII, 1-5. 15 (Tulvi) p. 401


XII, 12-14 p. 118
XIII, 10 p. 485
XIV, l-3a p. 4G2
XIV, 4b-, 5b p. 486
XIV, 11b p. 403
XIV, 12ab- p. 414
XIV. 14 p. 463

OSEE

Collection Bonjia

Z. W CA IV. 1-9 (Ci. 2)

V, 13a-, 13b-vi, 3
VII. 13-16b'
viii, 1-2

Z. 32 X, 2-10

G(l)
Autres collections

Berl. MI 180 v, 8 Leip. 2)


BMC 56 CA VI, 6b*, 7-lOa' (Sch. 1)

BMC 171 X, la (cit.) (Biidge 5), p. 82


XII, 6b (cit.) p. 60
BMC 57 XIV, 4b'. 5-8 (Sch. 2)

(1) Rien ù la Bibliothèque Nationale de Paris.


MELANGES. 243

AMOS

A
Collection Borgia

Z. 30 vir, 14b-ix (fin du livre) (Ci. 2)

B
Bibliothèque Natidnale, Paris

BX 1293 ff. 215-6 = Z. 30 ii, lia', llb-n', 9b' (Masp. 1)

C
Autres collections

Bodl. (Hunt. 5j III, l-6a (Erman)


VIII, 9ab-. lOa-b. lM2b-
BM or. 6783 V, 13a (cit.J (Budge 4), p. 180--

Berl. MI 180 VIII, 4-8a (Leip. 2)

MICHÉE

A
Collection Borgia

Z. 30 u 1-iv. 7b- (Ci. 2)


Z. .32 VII, 1-7

B
Bibliothèque Xationak, Paris

B-\ 129^ fol. 220 I, 1-lDb- (Masp. 1)

C
Autres collections

BMC 954 I, i-r> :sch. 2)


BMC 171 VI, 8 (cit.) (Budge 5), p. 8
Bodl. (Hunt. 5) VII, lb',2-5b-, 6% 7-8, 9% 'Erman)
10a-,10b-20 (fin du livre)

JOËL

A
Collection Borgia

Z. 99 CA H, la-, lb3a, lOa', lOb-il ,Ci. 2)


244 REVUE BIBLIQLE.

B
Bibliothèque Nationale, Paris

BN 1293 ff. 217-220 II, 19a', 19b-iii (fin du livre) (Masp. 1)

C
Autres collections

BMC 954 I, 13-10 (Sch. 2)

ABDIAS

A
Collection Borgia

Z. 32 8-18 (Ci. 2}

C (1)

Autres, collections

Rud. la- (oit.) (Tuki), p. 470

JONAS

A
Collection Borgia

Z. 99 CA I, 10-11, 10 (Ci. 2)

C(2)
Autres collections

BM or. 7594 . 1, l-5b% f>7a-, 7b-16 (fin) (Budge 1)


II, l-5a% 5b-6c*. 7a% 7b-ll
(fin)

in, l-3a% 3b-10 (fin)

IV, l-8b', 9-11 (fin du livre)

BMC 954 m, 5-10 (Sch. 2)

(1) Rien à la Bibliothèque Nationale de Paris,


(2) Rien à la Bibliothèque Nationale de Paris.
MÉLANGES. 24S

\AHUM

A
Collection Borgia

Z. 32 I, l-12a
_
(Ci. 2)

B
Bibliothèque Nationale, Pari.s

BX 13F I, 15b (cit.) (Lefort)

HABACUC

A
Collection Borgia

Z. 32 I, 2-1 la (Ci. 2)

C (1)

Autres collections

BMC 58 m, 2-7a (Sch. 1)

BMC 59 III, 9b-13c (Sch. 2, Win. 2)


SER 258 III, 5a', 6a-b-,6c-10b,ill-14)*, (Wess. 4j
(lGb-17)', 19a-bcd

SOPHOME
A
Collection Borgia

Z. 99 CA I. 14-11. 3 (Ci. 2)

C (2)

Autres collections

SER 21 I. 14a-, 14b-18 (fin) (Wes.s. I)

II, 1-2. 3-, 4-9a-

1) Rien à la Bibliothèque Nationale de Paris.


•2} Rien à la Bibliothèque Nationale de Paris.
246 REVUE BIBLIQUE.

AGGEE
A
Collection Bovgia

Z. 32 II, lb-1» (Ci. 2)


Z. 31 II, 10-23a'

C (1)

Aut)'e& collections

Eud. j, la (Tuki), p. 100, 451

ZACHARIE

Collection Borgia

Z. 32 I, 12-lOb- (Ci. 2)

z. 31 ni, 9b- V, lia*

z. 32 IX, 9-14a'

z. 99 CA IX. 14a-b-
XI, 12-13
XII, ll-xiii, 4
z. 32 XIII, 5-xiv, 4a
z. 09 CA XIV, 5b-ll

B
Bibliothèque Nationale, Paris

BX 129' ff. 188-9 II, 10-13 (fin) (Masp. 1)

III, 'l-3a% 3b-7a% 7b- 10 (fini

IV, 14b-, 5-9a'

Autres collections

BMC 171 II, 8b (cit.) (Budge 5), p. 28


SER 258 II, 10-13a* (Wess. 4)
BMC 953 IV, 14a-b (Sch. 3)
Rud. VII, 1 (cit.) (Tuki), p. 203
VII, I (Am. 1)

BMC 954 VIII, 18-22 (Sch. 2)

(I) Rien à la Bfbliothéque Nationale de Paris.


MÉLANGES. 247

MALACUIE

G(l)
Autres collections

BMC 171 II, 13a (cit.) (Budire 5), p. 61


III, Ib, 2a (cit.) p. 38
III, 8, 10 (cit.) » p. 59

ISAIE

Collection Borgia

Z. 99 CA I, 1-9, 1(V20 (Ci. 2)

III, 8-26 (fin)

V, 18-25
XII, 2-6 (fin

XIII, 2-4a
Z. 32 XIII, 4b-14 »

Z. 2G XVI, 6a-, 6b-7, 8'. 9-14 (fin) »

XVII, l-6b\ 7a', 7b-10b-, lia',


llb-14 (fin)

XVIII, l-7a", 7b (fin)

XIX, 1-21, 22*, 23a-, 23b-24a-,


24b-25 (fin)

^
XX, lab-, 2-, 3a-, 3b-6 (fin)

XXVII, 13a-b (fin)


2-, 7*, '
XXVIII, 1. 3a-, 3b-6, 8a*,
8b-12a*, 13*, 14-15b*
XXIX, 5b*, 6-24 (fin)

XXX, l-12a*
Z. 98 XXXI, 9b (fin) >

XXXII, l-5b-, 6-16b-


Z. W (A XL, 1-5, 9-31 (fin)
Z. 32 XLI, lab-
Z. 99 CA XLVIII. l-6b-
Z. 94 L, 2b-llb*
Z. 99 CA LU, 13-LIII
LV, 1-3. 12-Lvi, 1

LVIII, l-Ua
LIX. l-17a
LXI, 1-7

LXIII, 1-7
Z. 32 LXIV, 4b*, 5-12 (tin) »

LXV, l-2a
1, Rien dans la collection Borgia ni à la Bil)Iiothèquc Nationale de Paris.
•248 REVUE BIBLIQUE.

B
Bibliothèque Nationale, Paris

BN 1293 fol. 162= Z.26 l. 4-. 5-, 6a*, 8-, 9- (Heb.)


BN 13r fol. 77 = Z. 26 II. 19-, 20*. 21 (lin) »

III. la*. 2b*, 3-, 4-5, 7', 8a*, 8b-


9b*. 10b*, llab', 12a*b,
13ab*, 14a*
B.\ 129' fol. 142 = Z. 26 m, 16a*, 16b-18, 23-, 24ab' »

IV, la*, lb-2a*, 4b*, 5


BN 1293 fol. 14.3 -^5 6a-, 6b-8, 9*, 10- 19b*, 20*. (Lac. 1)

21a*
BN 1293 fol. 144 ^J 21b-xi, 5b* iMasp. 1)

BN 1293 fol. 145= Z.26 XI, 14b*. 15-xiii, 12b* »

BN 129^ fol. 146 = Z. 26 XIH, 13*, 14-, 18", 19a*b. 20*, (Heb.)
21a*
XIV, Ib-, 2a*, 2b-3a*
BN 129^ fol. 147 XVI, 10b*, ll-14b* (Masp. 1)

XVII, 1-lla* »

BN 129^ fol. 148= Z.26 XXI, 1-xxii, 2b* »

BN 129-' ff. 149-154 XXVI, 6-xxx, 5 »

BN(Katam) = Z. 32 XXXIII, 5-13 »

BN 1293 ff. 155-6 XLIV, 13b*. 14-16b*, 17-18, 19*, (Heb.)


20a*. 20b-23b-, 24-26b*
BN(Katam.) = Z. 32 LUI, 3a*, 3b-12 (fin) (Masp. 1)

BN 1293 ff. 157-161 = Z.26 LV. 9a*, 9b- 13 (fin) (Heb. )

LVL 1-Lx. 8b*


BN (Katam.) = Z. 32 I.VIII. 7-1 la (Masp. I)

Autres collections

Bodl. (Hunt. 5) I 2-9 (Ennan)


IH, 9b*, 10*, 11-15
SER 33 V, 11b*, 12-17a*, 17b-18, 19', (Wess. 1)

20a*, 20b-23b*, 24* ,25-


27b*
BMC 43 = Z. 26 V, 17a-, 17b-vi. 2b* (Sch. 1)

GIF = BN 129' ff. XI 5b*,6-xvi. 10b* (Lac. 1)

144, 147
BodL (Hunt. 5) XII, 2-6 (fin) (Erman)
XIII, 2-10
SER 220 X.XII, 2b*, 3-6b-, 7*. 8-20, 21-. (Wes.s. 4)
22-24, 25*
XXIII, l-12a*, 12t)-14b*. 15
BMC 44 XXV, la- (Sch. 2)
CIF = Z. 32 XXVI. 2b*, 3-10 (Lac. 1)
MÉLANGES. 24

Hodl. (Hunt. 5) x.wni, 6a'. 6b-15 (Erman)


BMC 45 CA xx.\, lia-, llb-14 (Sch. 1)

BMC 953 XXXI, 9b* (Sch. 3)


x.xxii, 1-4

GIF = Z. 26 XXXV, 2a', 2b-xxxvi, 8b' (Heb.)

BMC 43 = Z. 26 XL, 24a*, 24b-31 (tin) (Sch. 1)

xu, 1-8, 9*, 10a


xui, 6a*, 6b-7, 10*. 11-12
BMC 46 XLiii, 4a*, 4b-6a* (Win. 2)

BMC 47 XLV, 16*, 17-18b', 19a*b, 20a* (Seh. 1)

SER 220 XLV, 21b-24, 25a* (Wes.s. 4)

XLVi, la*, lb-4b*, 5*, 6-8b-, 9a*,


9b- 13a*
BMC 46 xi-vii, 3*. 4*, 5', 10' • (Win. 2)

BMC 954 xux. 5-7a' (Sch. 2)


Bodl. (Hunt. 5) i„ 4-5b', 7-, 8-9b* (Erman)
BMC 48 L. Ua'b (tin) (Sch. 1)

M, l-3a', 3b, 4', 5ab'. 6'. 7*,


8a*,8b-9b*, lO-Ua*, 11b-
13b*, 14*, 15*
SER 25 LU, 13-Liii, 3b* (Wess. 1)

Bodl. (Hunt. 5) LUI, 7a*, 7b-12 (fin) (Erman)


SER 258 Lvi. 6b*, 7* (Wess. 4)
BMC 9W Lviii, 2-5a*, 5b-6b*, 7a' (Sch. 2)
SER 258 i.x, 2*. 3*. 4a'.4b-5a*, 8', 9'. 10- (We.ss. 4)
12a'
BMC 49 i.xi. Ib-, 2',3ab- ;Heb.)
Bodl. (Hunt. 5) LXIH, 1-7 (Erman)
SER 25 Lxiii, 7a*, 7b-ll (Wes.s. 1)
l'.MC 48 Lxiii, 15a*, 15b-Lxiv (Sch. l)

i.xv. M5b*, 16-25 (fin)

Lxvt, la* •

Citations

BM or. 7027 .. 14. 15 (Budge 3i, pp. 115.


116
BMC 171 IV, 2a (Budge 5), p. 92
BM or. 7029 V, 8a (Budge 3), p. 482
BM or. 7028 VI, 3 p. 307
BMC 171 IX, 2 (Budge 5), p. 130
Rud. XXX, 22b (Tuki . p. 211
xx.xvi, 12 , p. 127
xxxvii, 36a » p. 451
Nan. frag. vi SLI, 16 (Ming.), p. 115
Bl\ XLir, 16 (Guérin), p. 19
BMC 171 xLiii, 25 (Budge 5), p. 17
BN XLV, 2, 3 (Guérin\ p. 19
BM or. 7027 XLV, 14. 15 (Budge 3), p. 101
2oO REVUE BIBI.IQLE.

BMC 171 XLViii. 13 iBudge 5), p. 107


XLix, 15 « p. 25
LXVl, 1 » p. 107
BM or. 7024 lxvi, 2 (Budge 6). p. I6'J

BM or. 7027 lxvi, 7, 8 (Budge 3), p. 105

JÉRÉMIE

A
Collection Borrjia

z. 9'J (A XI. is-xii, la (Ci. 2)


z. 27 XII, lb-14b-
z. 32 XVIII, lis-23b'
XXXIII, 8b-15b'
z. yy CA Péricope apocryphe des trente » p. 260
deniers

B
Bibliothérjue Nationale, Paris

BN 120^ fol. 163 II, 31a-,31b-35 Masp. 1)

BN 120' fol. 168 III, 17a-, 17b-20. 21*


BN 12<J' fol. 170 =Z. 26 ix, 23b% 24-26 fini

X, 1-5, y, 5, 11- 18b*


BN XI, 18-xii, 4a' »

B.\ 129' fol. 171 XUK 6b-llb- (Bour. 1)

BN 129' fol. 172 = Z. 26 xv, Sb*, 4-19b- (Masp. 1)


BN 129Mf. 17.3-4= Z. 27 xvi, 10b*, 11*, 13b*, 14-15a*,
16b*, 17-I8a, 20*, 21*
x\ii. 5ab*
BN 12'.iMf. 17.j-6= Z.27 xviii, 14b-xix, 5a
XXI, 4a*, 4b-lla*, 12a*, 12b-14
(fin)

XXII, lab*, 2-4b*


BN 129' lî. 177-8 xxiv, 2b-4, 5*, 6-7b*, 8a*, 8b-
9b*, 10 (fini
XXV, l-2b*, 3a*
XXVI, 8a*, 8b-9, 10", ll-i3a*,
13b-19b*
BN 129» fol. 180 = Z. 26 xxvii, 4a*, 4b-17b*
BN 129» fol. 181 = Z. 26 xxviii, 59-xxix, 4b* »

BN 131' fol. 36 XXX, 2b*, 3-8, 9*, 10-1 la* (Sdi. 3)


BN 1292 fol. 179= Z. 26 xxxii, 23b*, 24-xxxiii, 13a (Masp. 1)
BN 1293 fol. 182 = Z. 26 xxxiii^ 13b-xxxiv, 3a (Deiber)
BN 129^ if. l>S4-5 = Z. 26 i., 6b*, 7-12b*, 13ab' (Masp. 1)
Li, 1*. 2a*, 2b-4, 5*, 6*, 7a*,
7b-25b*
MELANGES. 2ol

Autres collections

BMC 953 I, 9-13b- (Sch. 3)


BMC 50 CA II, 4-5b* (Sch. 1)
BMC 953 m, 14b-16b% 17a' (Sch. 3)
BMC 51 =Z.94(?) IV, 22a-, 22b-26a%28a'b, 20% (Sch. 1)
30b*, 31 (fin)
Y. la% 3b', 4ab', 5*, 6;i'

Bodl. (Hunt. 5) IX, 7-11 iErman, Ci. 2)

Non. frag. m =: Z. 27 XIII, 14a', 14b-27 (fin) (Ming., Ci 2)


XIV, l-19b*
CIF=Z. 32 XVII, 19-25a (Lac. Ij

Bodl. (Hunt. 5) XXII, 29-xxiii, 6a (Erman, Ci. 2)


SER 221 XXIX, 3b-23a- (We.ss. 4)
SER 26 = 32 Z. xxxviii, 6b*, 7-8a*, 10-14 (Wess. 1)
BMC 47 XXXVIII, 31-33b' (Sch. 1)
JRC 8 = Z. 26 xxxix, 42a*, 42b-XLiii, 7a' (Erman, Ci. 2)
SER 221 XXXIX. 3b-23a' (Wess. 4)
SER 26 = Z. .32 XLii, 5-10, 1 2-1 6a' (Wess. 1)
Bodl. (Hunt. 5) Péricope apocryphe des trente (Erman)
deniers

Cita lions

BMC 171 (Budge 5), P- 108


BM or. 6799 II, 13 (Budge 3), P- 186
BMC 171 III, 12, 22 (Budge 5), p. 62, 13
BM or. 6799 V. 14 (Budge 3), P- 198
BMC 171 viii. 4. 22 (Budge 5), p. 13, 12
IX. 1 »
P- 36
IX, 21a »
P- 32
BM or. 7026 XVII, 5, 7, 8 (Budge 6), P- 99
Rud. XX, 4 (Tuki), p. 295
Nan. frag. vj XXXI, 10a (Ming.), p. 113
BM or. 6799 XXXVIII, 29b (Budge 3),^P- 219

LAMENTATIONS

B(l)
Bibliothèque Nationale, Paris

BN V>\i'> If. 104-167 II, I7b-22(fin) uMasp. 1)

m. 1-20, 21-, 22', 23*, 24ab*


BN 129= fol. 186= Z. 26 V, 9a*, 9b-14, 15', i6-22 (fin
du livre)

Rien daus la collection Borgia.


252 REVUE BIBLIQUE.

LETTRE DE JE RÉ MIE

B (1)

Bibliothèque Nationale. Paris

B.\ 129"' fol. 180 = Z. 26 Titre ; l-6b', T (Masp. 1}

ÉZECHIEL

A
Collection Borrjia

Z. 28 IV, 14b-, 15-17 (fin) (Ci. 2)

V. l-3a*, 3b-10a\ lOb-17 (fin)


VI (Complet)
VII, l-12a-. 12b-26b-. 27 ifin)

Vlll. l-3b-
Z. 29 XVIII. 21-25a-, 25b-32 (fin)

MX. l-3a-, 3b-14 (fin;

XX (complet)
XXI, l-20a-, 32a*b (fin)
XXII. 8b- 16a-. 31b-
1-fSa*.

xxiir. r.2-, 3-14a-, 14b-18b-, 19-


28a', 28b-32a-. 32b-44.
45-, 46-49b-
XXIV. la', lb-7a, 8b', 9-14. lô',
16-19
XXVI. 20b-, 21 (fin)

XXVII. 1-xxx. 13b'


XXXII, 13b-, 14-32 (fin)
XXXIII, l-2a-, 2b-3b', 4'. 5-61)-, 7-.
8-1 Ib*, 12-14. 15-, 16a-.
16b-18, 19'. 21a', 21b-
25. 27-28, 29a-, 29b-31b-,
32ab', 33 (fin)
XXXIV, l-2b-, 3a', 3b-7b-
Z. 99 CA XXXVI. 25-29a
Z. 29 XL, la-, lb-7, 9-49 (fin) ,

XLI (complet)
XLII. 1-7, 9-20 (fini
XLIII. l-3b-
Z. 32 XLVI, 1-7
Z. 99 CA XI.VII. 2a-, 2b-9

[i] Rien dans la collection Borgia.


MELANGES. 253

BihUol'hèque Nationale. Paris

B\ 1293 fol. = Z. 28
190 I, la*, lb-2a*, 2b-3a-, 3b-10b' Masp. 1)
BN 1293if. 191-2 = Z. 28 m. 23a-, 23b-25b-, 26-27 (fin)
1^^% l-2a% 2b-4b-, 5", 6a-, 6b-
7b-, 8-14b-
BX 1293 ff. 193-198 \i. 17a', 17b- 19a-, 19b -21b-,
22-24a-, 24b-25 (tin)
\n. l-2a-, 2b-7b-, 8a-, Sb-lOb',
11- 16b-, 17-28 (fin)
Mil, 1-lla-, 11b- 13b-, 14- 17b-
BN 129Mî\ 200-203 = Z. XV, 6a-, 6b-8
,
(fin)

29 XVI, M9a-, 19b-24b-, 25-63b-


B.\ 1293 fol. 205 XXVII, 6a*, 6b- 15a-
BN 1293 fol. 206 XXIX, 8a*, 8b-16b*
.

Autres collections

SER 23 = 29 Z. iij 6a-, 6b-iii, 10b- (Wess. 1)


SER 24 = Z. 29 10b-, 11-, 12-14b-, 15b*, »

16-, 17*

V, (2-6)-, 7a-
Bodl. (Hunt. 5) XXI, 14-17 (Erman)
XX VIII, 1-19
SER 22 = Z. 29 XXXIV. 20a*, 20b-26, 27',28-29b-, (\Vess. 1)
30*, 31a-b (fini
XXXV, l-5b*
Bodl. (Hunt. 5) XXXVI, 16-23 (Erman, Ci. 2)
BMC 953 XXXVII, 21a-, 21b-25a- (Sch. .3)

AXXVII, 1-14 (Am. 1) (1)


BMC 54 XUI, 2b*, 3a*, 3b- 4a-, 4b-5b*, (Sch. 3)
6a-, 6b-7a, 9b*, lOa*,
lOb-lla-

Citalions

BM or. 6799 XVIII, 2b (Budge 3j, p. 219


BN XXXVI, 26, 27a (Guérin), p. 16

DANIEL

A
Collection Borgia

Z. 32 m, 21-33, 52b*, 53-63 (Ci. 2)


Z. 99 CA vu, 9-15

(i; Sans indication du ms.


254 RKVLE BIBLIQUE.

Z. 13 VIII, 18-27 (fin) ^Ci. 2)


IX (complet) (Ci. 2, Mùn.)
X, la- (Ci. 2)

Z. 32 X, 4-11

B
Bibliothèque Xationale, Paris

BX 1293 foi_ 208-209 = i. 4a% 4i>5a% 5b-7a", 7b, S", (Masp. 1)

Z. 13 9-lOa, 12-15b-, 16-21 (fin)

II. l-4a*
B.\ 129' fol. 211 III. 36b% 37, 38". 40b-, 41a-.
41b-43b-. 46b-52a-
BX 1293 fol. 212 = Z. 13 V. 30b-, 31-vi. 10b- »

C
Autres collections

Berl. MI 179 m, 52-57, 59, 58, 60-68, 71. (Leip. 2;


72, 70
Berl. MI 165 iv, 10b% lia*. llb-l-2b-, 17,
18b-19a-
Berl. MI 166 xi, 35b*, 36-39a-, 39b-xii. la'

Citations

BM or. 7028 viii, 16 Budge 3', p. 305


BMC 171 X, 2a, 3b (Budge 5), p. 31
BM or. 7597 x. 21b / (Budge 3). p. 178

SUZAXNE

B(l)
Bibliothèque Nationale, Paris

BX 129' fol. 21 la-. lb-8a, 11, 12-, 13-. 14, (Masp. 1)

BX 1293 fol. 214 8b-li, 12-, 13-, 14, (15-


18)*, 19-22a

IV ESDRAS
C
Autres collections

Berl. MI P. 9090 xiii. 30-. 3V. 32a*, 32b-33b-. (Leip. 1)


39*. 40-. 41b-. 42*, 43-.

44-45b*. 46a-

(1) Rien dans la collection Borgia.


, MÉLANGES. 255

II

NouvEAi Testament.

Il nest peut-être pas hors de propos de rappeler ici que le cadre

de notre travail ne comprend que les fragments qui ont été publiés
tels quels et, en général, accompagnés dune description paléogra-
phiqiie qui permette au lecteur de se faire, pour ainsi dire d'un coup
dœil, une idée plus ou moins précise du manuscrit auquel ils ont
appartenu et de la recension qu'ils représentent. 11 exclut donc de
nombreux fragments qui ont été utilisés par M. Horner 1) tant pour
le texte que pour l'appareil critique de son édition complète des
Évangiles Sahidiques, sans avoir jamais été publiés séparément et
dans leur forme originale.
Nous avons, en général, réparti les différentes collections en quatre
colonnes A, Collection Borgia, B, Collection de l'archiduc Rainer
:

de Vienne, G, Difïérentes Collections, D, Glarendon Press (édition de


Woide).
Aux sigies mentionnés ci-dessus, ajoutez les suivants.

SIGLES DES COLLECTIONS

GUAM = Musée de l'Université Catholique d'Amérique, Wash-


ington .

Frib. Br. = Bibliothèque de l'université, Fnhourg en Brisgau.


Louvre ^ Musée du Louvre, Paris.
P. Lais =r Papyrus Lais [2).

SIGLES DES PIBLICA.TIOXS

Am. 3 =: E. Amélineau. Fragments coptes du Nouveau Testament


dans le dialecte thébain (Recueil de Travaux, etc.,
Vj, Paris, 188V.

(1 1 (G. Horner), Tlie Coptic Version of (he Neu- Testament in the southern dialect other-
wise called sahidic and thebaic with critical apparatus, literal english translation, register
of the fragments and estimate of the version vol. I, The Gospels of S. Matlhew and
:

S. Mark; vol. 11, Luke; vol. III, The Gospel of S. John, Register of the
The Gospel of S.
fragments, etc., facsimiles, Oxford, Glarendon Press, 1911.
(2) Papyrus trilingue acquis à Louqsor (Egypte) en 1891 par le P. Lais, vice-directeur

de l'observatoire du Vatican.
256 REVUE BIBLIQUE.

Am. 4 = E. Amélixeau, Fragments inédits du Nouveau Testament


(Zeitschrift furAegyptische Sprache etc., XXIV-XXVI),
Leipzig, 1886-1888.
Bal. = P. J. Balestri, Sacroruiu Bibliorum fragmenta copto-
sahidica Musei Borgiani vol. ; ill, Xovum Testamentum,
Rome, 1904.
Ben. = l'. Benigm, Un papiro copto-greco inedito con frammenti
biblici (Bessarione, A. IV, vol. VI) Rome, 1889 V. =
Benigni, Spicilegium Copticum, III (Miscellanea di
storia ecclesiastica e studi ausiliari, VI), Rome, 19Q0.
Bour. 2 = V BoLRiANT, Fragments de manuscrits thébains du Musée
de Boulaq (Recueil de Travaux, etc., IV), Paris, 1883.

Bour. 3 = U. BouRiAXT, L'éloge de FApa Victor, fils de Romanos,


(Mémoires de la Mission archéologique française au
Caire, VIII), Paris, 1893.
Chaîne = M. Chaîne, Fragments sahidiques inédits du Nouveau
Testament (Bessarione, série II, vol. VIII), Rome,
1904-1905.
Ch. = J. Clédat, Fragments d'une version copte de l'Apocalypse
de S. Jean (Revue de l'Orient Chrétien, IV), Paris, 1899.
Del. 1 = L. Delaporte, Matthieu vu, 4-27, d'après un papyrus de
la Bibliothèque Nationale, (Revue Biblique, n. s.,
XIII), Paris, 1916.

Del. 2 =: L. Delaporte, Fragments thébains du Nouveau Testa-


ment (Revue Biblique, n. s., II), Paris, 1905.
Del. 3 = L. Delaporte, Fragments sahidiques du Nouveau Testa-
ment Apocalypse, Paris, 1906.
:

Del. G = L. Delaporte et H. Guérin, Fragments sahidiques du Nou-


veau Testament Évangile de Saint Jean, Paris, 1908.
:

Geor,oi = A. A. Georgi, Fragmentum evangelii S. Johannis graeco-


cdpto-thebaicum, Rome, 1789.
Gil. = J. E. GiLMORE, Fragments of tlie Sahidic Version of the
Pauline Epistles, etc. (Proceedings of the Society of
Biblical Archaeology, XX), Londres, 1898.
Heer = J. M. Heer, Neue griechisch-sahidische Evangelienfrag-
mente (Orièns Christianus, Neue Série, Band II),
Leipzig, 1912.
Hyv. 2. = H. Hyvern'AT, Ln fragment inédit de la version sahidique
du Nouveau Testament, Eph. I, 6-II, 8b (Revue Bi-
blique, IX), Paris, 1900.
Lemm 5 = 0. von Lemm, Sieben sahidische Bibelfragmente (Zeits-
MÉLANGES. 2.7

chiift fur Âegyptische Sprache etc. XXIII;, Leipzig-,


1885.
Masp. i = G. Maspero, Fragments coptes (Recueil de Travaux, etc.,

VI-VII), Paris, 188Ô-1886.


Pist. =z PisTELLi, Un fragment de S. Luc dans les Studi Religiosi,
Rome, 1906.
Reicli ^=^ N. Reich. Koptische Manuscripte aus der kgl. Hof-und
Wiener Zeitschrift fiïr
Staatsbibliothek in Mtlnchen
Kunde des Morgenlandes, XXVI), Vienne, 1912.
die
Wess. 6 = Carl Wesselv. Die Wiener Handschrift der safiidischen
Acta Apostolorum Sitzungsberichte der kais. Akade-
mie der Wissenschaften in Wien, philosophisch-his-
torischeKlasse,Rand 172, 2 Abliandlung), Vienne, 1913.
Woide = G. G. Woide, Appendix ad editionem Novi Testamenti
graeci e cod. MS. alexandrin© a Carolo Godofredo
Woide descripti in qua continentur fragmenta Xovi
Testamenti iuxta interpretationem dialecti superioris
Aegypti cpiae thebaica vel sahidica aj^pellatur. e
codicibus oxoniensibus maxima ex parte desumpta,
cum dissertatione de Versione Bibliorum Aegyptiaca,
quibus subiicitur codicis vaticani collatio. Oxford,
1799 Édition achevée par H. Ford).

S. MATTHIEU

A
Collection Borr/ia

Z. 33 I. 22b', 23-25 (fin) (Bal.)


II, 1-5, 6*, 7-, 8a*, 8bT0, 11".

12*, 13-20b*, 21-23b-


III. r. 2*. 3-5b% 6-. Ta*. 7b-
Ilb*
Z. 05 IV. 23ab-
Z. 34 IV, 23b-, 24-25 (fin)

V, 1-14
y.. 'tS V, 15ab*
Z. 35 V. 22b*, 23-29, .30*, 31.32b-.
(.33-37 1*. 40a*, 40b-4Db-,
46*, 47-, 48-

VI, 1*, 2b*, 3-9b'


Z. .36 VI. 0])*, 10-34 (fin)

VII. I-3a*. 4a*. 4b-7, 8*, 9-29


(fin

REVUE BIBLIQLE 1920. — T. XXIX. 17


558 REVUE BIBLIQUE.

VIII, l-4a'

Z. 37 VIII, 4a:, 4b-34 (tin) (Bal.)


i.\, l-2b% 3-21, •22a\ 22b-38
(fin)

X, l-12a*
Z. 3«J X, 12a% I2b-28b*, 29-34a\ . »

34b-42b'
XI, l-25a*
XII, 30b% 3I-32b*, 33', 34a% '

34b46, 48ab*, 49a*, 49b-


50 (fin)
XIII, l-14a*,14b-17a%17b-29b', '

30a*, 30b-32a*, 32b44b*,


4548b*, 49-58 (fin)

XIV, l-3b*,4-8b*, 9-22b*, 23-26b*,


27a*, 27b-36 (fin)
XV, l-5a*
Z. 40 XV, 28a*, 28b-31a*, 31b-33b*, »

34b-38b*, 39b*
XVI, l-2a, 4a*, 4b-7a*

Z. 41 XVI, 19b*, 20-24b-

Z. 42 XVI, 24b*, 25-28 (fin)


XVII, 1-20, 22-27 (fin)
XVIII, 140, 12-35 (fin)

XIX, 1-xx, 7
Z. 44 XX, 25a*, 25b-34 (fin)

XXI, l-9a*, 9b-31b*


z. 38 XXI, 31b*, 32-46 (fin)
xxn, l-13b*
z. 45 XXII, 13b*, 14-46 (finj
XXIII, 1-lOa
z. 99 CA XXIII, 14- 15a*

z. 4i) xxiii, 15a*, 15b-39 (fin)


XXIV, 1-xxv, 19b'
z. 99 CA XXV, 19b*, 20-4 la*
z. 47 XXV, 41a*, 41b46 (fin)
XXVI, l-6a*, 6b-67b*
z. 99 CA XXVI, 67b*, 68-75 (fin)

xxvii, l-45b*
z. 48 XXVII, 45b*, 46-53b-, 54a', 54b-56,
57*, 58-66 (fin)

xxviii, 1-lOb*

{A suivre.)
A. Yaschalde
CHROMOUE

I. NOTES d'ÉPIGRAPUIE. II. LE FRAGMENT VIII


DE l'ÉDIT byzantin DE BERSABÉE.

M. le professeur Burkitt a publié dans le Quart. Statem. de jan-


vier 1920, p. i6--2-2, quelques inscriptions relevées à Bersabée par le

capitaine Douglas Blair, en février 1918. Ces documents comprennent


quatre épitaphes, dont trois sont écornées, allongeant la série déjà
notable des textes cimitériaux du Sud-palestinien. Il est donc exagéré

de leur trouver un « intérêt considérable ». Le n*' 1 est daté de Tan 570


de l'ère de Gaza, ry-y. VyZyMz-jz) notée dans plusieurs inscriptions
analogues (/?/>., 1920, p. 120). Le n° 2 présente le nom d'un 'KoâwY;;
Z:... qui paraît appartenir au clan des Zonainos [RB., 1920, p. 117).
Bien que la mention y.y-y. 'EAsjOîpzcA'Taç en soit absente, ce texte

comme semble daté de l'ère d'Elenthéropolis. Par leur gra-


le n" \

phie ces deux textes se rapprochent beaucoup du groupe où cette ère


est explicitement indiquée et que nous avons publié ici en 1904

(p. 266-2701 (1 1.

La restitution du n*^ 7 parait inacceptable sur plusieurs points,


telle que la conçoit M. Burkitt.

Mac:JuOa : •j.y:/.y.^{izz)

.... i£ zz z\y.v,Z'izz /.yr.i

r.xr^...

En nous aidant de la construction de textes similaires nous propo-


sons cette lecture :

7 'EvTaJUOa z ;;.a-/.âp(icç)

n£T]po(ç) 5â[y.]ovoç y,o,-z-

~iHr^\ h Tf, '.î' t;j \}:r-

vbç Aj-cAAÉ:^ •.vc('.7.-:'.wvcç)

z-:zzr,z V
,1) Cf. RB., 1902, p. 438; 1903, p. 275; 1906, p. 86. QS., 1903, p. 172.
2G0 REVUE BIBLIQUE.

Ici fou Pierre, diacre, fui déposé le 15 du mois d'Apelheos, en la


8" indiction.

'EvTajOa au lieu de èvOâ;; n'est pas inusité .(1;. De plus le nom pro-
pre se trouve généralement à la suite de l'épithète [j.a/.âpicç. Ici il se
termine en p:'ç\le sigma final ayant pu être omis par inadvertance
comme le •/. de c',iy.;v:r. L'épigraphie populaire offre d'ailleurs plus

d'un cas de lînales apocopées. L'espace restreint à combler convient


plutôt à un nom tel que Iii-ç,zz qu'à un vocable plus développé
comme le Avec l'adverbe de lieu àvTajOa. hHi/.zz ce
serait Qizzb^ç.zz.
sont les verbes y.y-i-ibr,
-/.tX-:^'. que l'on rencontre, marquant la
ou
déposition. La mort indiquée par àvs^râr^ n'est mise en relation qu'avec
la circonstance de temps. Ky-i-xr, est une rareté que rien ne justifie.
La remarque de M. B. sur l'indiction ne manquera pas de surprendre
quiconque est habitué à ce genre de littérature « Si 8*^ était l'an- :

née de l'indiction, il aurait été au neutre pour s'accorder avec ï-.zc


sous-entendu et non au féminin, s'accordant avec r.'j.épy.. » Même si
nous n'avions pas d'autres cas où le chiffre de l'indiction est écrit en
toutes lettres nous n'éprouverions aucune difficulté à faire accorder
h';zôr,: avec -.vc wv:r. Dans le texte présent ce nombre ordinal est
'./.-'.

pour nous le mot unique placé par symétrie au milieu de la dernière


ligne. Jamais dans la scriplio jjlena de l'indiction. le chiffre ne se
trouve au neutre. Voir RB., 1920, p. 120 ho. ozv.i-r,:\ 191V, p. 113 : :

ypô^M'f ï/.-r,: -.vc.; Waddingto', I/îsc. de Syrie, n" 1917 yp'z-/. li/.y.-.r^z :

Il nous semble qu'il était inutile de rééditer (p. 22) l'inscription de


Mcirinosdu linteau de Qiriat es-Sa'ideh dont on a de bons fac-similés
Survey of W. Pal. Memoirs, III. p. 13i, RB., 1893, p. 209, QS., 190i,
p. 251.

II

Le morceau le plus intéressant de la série publiée par M. Burkitt


est un fragment de l'édit byzantin de Bersabée dont
sans contredit
nous connaissons déjà sept fragments énumérés plus haut RB., 1920,
p. 123). Ce 8'' se juxtapose assez exactement à la seconde colonne du
premier fragment, comme l'a bien vu l'éditeur, qui d'ailleurs ne
semble pas connaître l'existence des autres débris du fameux texte.
Ce, nouveau morceau qui mesure 0™,355 sur 0",265 ne nous ayant pas
été accessible (2), est dessiné ici d'après QS., 1920, p. 19, et rap-

(1) RB., 1904, p. 269, n° 6, fragm. I.

(2) Nous n'avons trouvé à la collection de St-George's Collège que trois des épitaphes
signalées au début.
CHROMQL'E. 2C1

proche du fac-similé du fragment I exécuté d'après la photographie


de BB., 1903, p. 276. Ce premier fragment a été l'objet d'une étude
approfondie de M. Clermont-Ganneau (1). L'appendice qui vient d'être
découvert peut apporter quelques nouvelles lumières dans l'interpré-
tation de la première pariie connue de ce document officiel.

FILA.GMEXT Vlll. — Eu prenant les têtes de ligne avant la cassure du

^4 O hT
ukkkmn

fragment I, nous donnons au fragment VIII l'interprétation suivante

v(i;j.'.s;j.aj...

vf ctji.(7,y-aTa)..,

(•/.al) Tîîç oz6k[o'.:} v(5;j.',7;j.a) a'

à(-b) -oj 'I]opcâv:u v(o!;.{7[;.aTa)'r'

y.xl (toi)ç gouA(:i?)

][j....'ASâpojv

L. 2. — Que l'on perçoive une taxe (probablement Yadœratio de


l'anaone des Umitanei) même
dans les milieux militaires de l'arrière,
c'est ce que nous a montré le fragment VI [BB.. 1909, p. 99. Où
placer ce « Château-Neuf » ce Né;v Ki.z-c.zt qui semble appartenir aux

[\] Recuei'..., V, p. 13>147. Q.S., 1302, p. 209-282. Cf. RB.. 1909, p.


202 REVUE BIBLIQUE.

agglomérations faiblement taxées? Tout d'abord notre attention est


attiréepar ce -/.iz-zzi élevé en 531-532, sur l'ordre de Justinien solli-
cité par saint Sabas, pour la protection des diverses fondations de ce
dernier qui s'étendaient des bords du Cédron à Jéricho. Nous avons
émis précédemment (p. 12'n que l'édit en question pourrait bien
dater de 53 i. Ainsi l'épitiiète Nscv serait pleinement justifiée. Il faut
croire qu'au détachement signalé dans la Notitia digni-
vi'' siècle le
tatum [Orient, xxxiv) entre Jérusalem et Jéricho avait été relevé
puisque, l'insécurité de la région pousse saint Sabas à réclamer la
construction d'un fort destiné à abriter un poste militaire (1;. Ou bien
l'insertion dans \si Notitia de la Cohors prima salutaria, inter Aeliam
et Hiericunta ne daterait-elle que de l'époque de Justinien qui
ordonna de prélever mille pièces d'or sur le fisc de Palestine 'j-ïz
z\v.zlz\j.f,z y.i7-:pz-j. Lors du siège de Jérusalem par les Perses en 614-, le

patriarche Zacharie envoie Modeste, higoumène de Saint-Tliéodose,


rassembler les hommes de l'armée byzantine qui se trouvaient à
Jéricho '2;. Le Ns;v Kâj-sov pourrait se situer soit à Néby-Mousa, soit
au Bon Samaritain Qala'at ed-Bam) où les Templiers n'auraient fait
que relever ses ruines. En tout cas de même que les laures du désert
de Juda avaient des procures ou des hôtelleries à Jéricho, la nouvelle
garnison dut avoir quelques possessions dans la même oasis, d'où il
résultait qu'elle n'était pas exempte de toute contribution. L'attrait
de la ville des Palmiers finit par s'exercer si vivement sur elle
qu'elle s'y trouvait fixée au début du vii^ siècle. On pourrait cepen-
dant penser à quelque autre camp de la Moabitide, mais avec moins
de fondement.
L. \. —
Nous n'hésitons pas à reconnaître dans la mention
estropiée qui se restaure si aisément en à-rrb t:j 'lopâvcj la garnison
de soldats-colons mentionnée en ces termes dans la Notitia dignita-
tum Orient. XXXI Vj Cohors secunda Cretensis, iuxta Jordanem
:

fluvium. Le Tell el-Medes avec ses arasements de constructions et ses


débris attestant une installation militaire est tout à fait en situation
pour représenter ce poste. A 35 minutes en amont du gué el-Ghôra-
niyeh sur la rive orientale du Jourdain, à l'issue de route de 'Amman
et de l'ouâdy Nimrîn dont les eaux arrivent jusque-là surtout si elles
sont canalisées, ce tell occupe une position stratégique importante 3 ,.

(!) Cyrille de Scytii., Vie de S. Sabas, c. 72, 73.


* (2) Antiochos Stkatégios, -Aaw<7'.;... '^trad. Calliste), p. 9 .-
otÉTa$Ev a-JTÔv va... c-jvaôpoio-i!;

îtvSpar iv. xovi L'armée grecque monta en effet, mais, dès le


èv 'lEp-./oOvTt 'EX).r;vi/.oj (jTcxTovi.

premier contact arec les hordes persanes, elle prit la fuite. Les Arabes pouvaient venir!
(3) Voir la description de ce tell dans Béthanie au delà du Jourdain, du R. P. L. Féderlin,

p. 9 s.
CHROMQLE. 263^

Il est vraisemblable qu'en plus de ce casernement les soldats aient


eu la jouissance de quelques terres irriguées près de la localité de
Bethnambris, Ximrin biblique.la
L. 6. — Le nom
au génitif 'Acâco>v qui semble joint à d'autres
localilés suppose un nominatif "Aoapa. Or cet Adam (au neutre), qui
n'est ni Odh/'oh déjà paru dans notre document sous la forme
'A$p:a (1), ni Deraat, 'Xzpxx de l'Onomasticon, se trouve clairement
indiqué dans Etienne de Byzance comme un gros bourg de la troisième
Palestine entre Gharakmoba (Kérak) et Aréopolis, l'antique Rabbat-
Moab, aujourd'hui Rabba 2 M Thomsen (Loca Sancta, p. 16) .

propose, mais avec un doute, d'identifier cet Adai^a avec Odhroh.


Notre document s'y oppose autant que la donnée localisatrice
d'Etienne de Byzance.
Il n'y a pas cependant à chercher, beaucoup pour trouver à cet
'Asapa de l'édit byzantin qui est celui d'Etienne de Byzance un répon-
dant exact entre Kérak et Babba. A une heure et demie au nord-est
de Kérak, dans la direction de Ledjoùn, à deux kilomètres à droite
de la voie romaine qui se dirige sur Rabba, le voyageur '3) rencontre
un champ de ruines assez étendu ofTrant quantité de blocs taillés avec
soin, des restes de fortes constructions et un grand nombre de citernes.

Le vrai nom de ce khirbeh est Adar ,:;' qui dans l'usage s'affaiblit

parfois en Ader. Il figure dans l'énumération des localités traversées


par Saladin descendant sur Kérak de 'Amman et de Zizah Ledjoùn^ :

Adar, Rabba du pays de Moab Personne ne refusera de recon-


i-).

naître dans ces mines les vestiges de notre Adam byzantine, vm[j.t^

L. 7. — La' restitution i'-:) 0TE8 serait à envisager à l'aide d'un^


rapprochement avec les ruines du camp à'el-Ftiijàn à 1.500 mètres
au nord-est de Ledjoùn (5 .

Fragment I. —
Sur quel principe sont établis les groupements

(1) Avec les doctes éclaircissement.s de M. Cl.-Ganneau dans RB., 1906, p. 417 ss.
(2) S. T° 'Aôàpo-j itôXtç... £(rc'. oè xai 'Aôapx ovôeTS&o);. zw[jLr, nsvcicÀr, Tpixr,; Ila/awïivïi?

Xapaxiiwowv xal 'A'peouô/.ew;.


u.cTal'j

3Quelques-uns des explorateurs qui ont noté l'existence des ruines dont nous pailons
-ous les formes orthographiques Oeddr, Ader. Addar, Adar sont mentionnés par
1jku.\\ow et DoMASZEwsRi, Die Provincia ArabUi, II, p. 41, qui s'en tiennent à la trans-
cription Addir, sans soupçonner la relation de ce khirbeh avec YAdara d'Etienne de
Byzance.
(4) D'après leLivre des Deux Jardim, Rec. des histor. des' Croisades, Orientaux,
IV, p. 253 s. m; Musil qui cite ce texte à propos de la description sommaire de cet em-
placement iArabia Petrxa, I, Moab, p. 27 s., 56] ne somje pas à enrichir sa documenlar-
tion du texte d'Etienne de Byzance.
5> Cf. Mlsil. op. L. p. 36.
264 REVTE BIBLIQUE.

géographiques de ces listes officielles, c'est ce qui nous échappera


tant que Ton n aura pas recouvré au moins la majeure partie des
fragments. Nous ne pouvons éviter de constater ici l'absence d'ordre
géographique. Lç mélange des localités du fragment VIII nous autorise,
je crois, à récupérer dans le fragment I un certain nombre de villes
appartenant à la région moabite incluse dans la troisième Palestine.
11 est, certes, hors de doute, comme l'a fait justement remarquer

M. Clermont-Ganneau, que pour Sébaste (col. A, 1. 5), Diocésarée


(ibid., 1. 8), Gischala (col. B, 1. 6) la lecture est certaine. Et cependant
Sébaste relevait de la Palestine I, tandis que les deux autres villes
relevaient de la Palestine II. Rien de surprenant donc que l'on trouve
entremêlés dans ces registres des localités de la Palestine III. Sous le
bénéfice de cette observation je proposerai les identifications suivantes
pour quelques noms du fragment I.
Col. A, 1. 2. Aréopolis =: Rabba, vaste champ de ruines à une
douzaine de kilomètres au nord de Kérak, et à neuf au nord-nord-
ouest de Adar.
L. 3. Betoàrous identique au Ba-.-rappQj;, gros bourg de la Pales-
tine III, d'après Etienne de Byzance
au Betthoro dont la Notitia (1) et
dignitatum (2) fait le siège du Préfet de la iv" Légion Martia, et qui
s'identifie très vraisemblablement avec Ledjoûn (3).
L. 4. —
La terminaison d'un génitif en tova siérait parfaitement
au nominatif 'Apvo)v5ç (4). « Or, lisons-nous dans l'Onomaslicon, on
montre jusqu'à présent un site très escarpé et dangereux nommé
Arnonas s'étendant au nord d'Aréopolis (Rabba) dans lequel veillent
de tout côté des postes militaires à cause des périls de la région (5). »

La Notitia confirme ce renseignement Cohors terti'a Alpinorum, :

apud Arno7ia, dont le cantonnement se trouvait à la descente de


l'Arnon vers Mhattet el-Hâdj.
L. 6. — - Nous ne partageons pas les scrupules de M. Cl.-Ganneau
qui n'a pas cru devoir s'arrêter définitivement à la lecture [xoD Tupai-

Twjp'ou Moor,vwvsuggérée par l'inscription découverte il y a cinq lustres


à Qsoùr Bsei)', où se lisent à la cinquième ligne ces mots Castra :

Praktorii Moreni (6). On ne proposera jamais une meilleure restitu-


tion du texte que zpaiTtopicu McSr^vwv désignant le Praetorium Mobenum

(1) p. 102. Cf. Thomsen, Loca Sancta, p. 31.


(2) Orient., XXXVIF, suh dispositione viri spectabilis ducis Arabise.
(3) Cf. BrDnnow et Domaszewsri, Die Prov. Arahia, II, p. 3*3.
(4) Cf. Ottomasticon (Klostersunn), p. 10 : totto; to-j 'Apvwvâ.
(5) Ibid., TOTioç... ô 'Apvwvà; 6voiJ,a!^o[jL£vo;.

(6) RAO., V, p. 137 s. QS., 1895, p. 225. RB., 1898, p. 430. Mu N. DPV., 1897, p. 39.
Échos d'Or., 1897, p. 37. On pourra compléter cette bibliographie par Brunnow et Domas-
,

CHRONIQUE. 26b

créé sous Dioclétien et dont les monuments encore debout en partie


forment Qsoàr Bseir, situés au nord-est de Kérak à T heures de
les
cette ville et à 3 heures et demie de Ledjoùn.
Col. B, 1. 1. —
Pour Abad on pourrait penser au kh. 'Abde à
20 kilom. au sud de Kérak,
L. 2 et 3. —
Le sigle représentant un croissant barré signifie ù-ép
comme dans certains papy ri des vi- et vu® siècles (1). L'expression
v.x\ 'j-ïp -zj '^v/.y.pizj serait équivalente à y.aî -m ,3'.v-ap''w que l'on ren-

contre au fragment YI [RB., 1909, p. 91). D'ailleurs à lai. 9. delà


col. A, la préposition parait avoir été écrite jjlene [ùTCèjp t;j "^v^xpiz-^
« pour le bénéfice du Vicaire (2) ».

L. 8. — Le début que soit la terminaison casuelle,


Aeiv..., quelle

semble appeler une identification avec le village à'el-'Alna bâti dans


des ruines entre Dat-Ràs et l'ouàdv el-Hesà. A la ligne suivante nous
rejoignons la section expliquée avec le fragment VIIL

TU. — ORGANISATIONS SCIENTIFIQUES A JÉRUSALEM.

Après avoir assisté à la réunion tenue à Londres du 3 au 6 septem-


bre 1919 par la Royal Asiatic Society et la Société Asiatique où
Y American Oriental Society et la Scuola Orientale de l'Université de
Rome W. Worrell et A. T. Clay son!
avaient leurs représentants, MM.
arrivés à Jérusalem pour remettre en activité l'École américaine de
recherches orientales, le premier comme directeur, le second comme
professeur. Le Rév. D"^ J. P. Peters est, pour un semestre, attaché au
même institut comme conférencier. Entre l'École américaine et l'École
Biblique se sont renouces les bonnes relations d'avant-guerre et
l'estime mutuelle ne fait que s'accroître (3).
Sur l'initiative de l'assyriologue bien connu, M. le professeur Albert
T. Clay, un certain nombre d'orientalistes de Jérusalem se sont
entendus pour fonder une société ayant pour but le développement
et la publication des recherches dans le domaine de l'ancien Orient.

zEwsKi, op. L, p. 58, qui publient une élude du site avec des plans et des photographies,
ainsi que le relevé de l'inscription, p. 49 ss. Cf. Musil., op. L, p. 30 ss. 57.

(1) Greek papyri in the British Muséum, III, p. 345, col. 1. Dans ces
Ke>'vo>! et Bell,
documents la forme de l'abréviation est tout à fait celle que nous voyons ici.
(2) Constatation que M. Cl.-Ganneau n'avait pas manqué de faire, RAO, V. p. 142.

(3) M. Montgomery, directeur de l'École anréricaine au moment de la déclaration de

guerre, a cru devoir manifester cette estime dans la revue Art and Archaeology, 1918,
p. 177, en des termes dont nous le remercions malgré ce qu'ils ont de trop flatteur « the :

French Dominican Couvent of St. Stephen, ^^hich may claim to be the greatest school of
biblical archaeology in the \\orld ».
260 REVLE BIBLIQUE.

La réunion constituante de la Société Orientale de Palestine [The Pales-


tine Orieiital Society) qui s'est tenue le 9 janvier 1920 dans la grande
salle de l'École Biblique comprenait des savants anglais, américains,
français, belges, Israélites, grecs et arméniens. Quand les statuts de la

société naissante furent établis et approuvés article par article, le


P. Lag-range fut élu président par acclamation et le bureau fut consti-
tué de la façon suivante : Vice-présidents, M. Clay et M. John Garstang,
directeur du futur institut britannique de Jérusalem; secrétaire,
M. Nahum Slousch; trésorier, M. Herbert Danby; directeurs : M. le
colonel R. Storrs, M. Ben-Jehoudab et R. P. L. Dressaire. Les meetings
auront lieu en janvier, mars, mai et novembre et se tiendront à tour de
rôle dans les diverses grandes écoles archéologiques de la Ville sainte.
Le français et l'anglais seront les langues officielles. Établir un trait
d'union entre les savants versés dans les mêmes études, répandre
parmi le public cultivé du pays le résultat de leurs travaux, atteindre
les milieux intellectuels des autres continents qui s'intéressent aux
questions de l'antique Orient, tel est le but que se propose cette société
en publiant un bulletin périodique contenant les articles lus aux
réunions et les décisions prises par le bureau. A cette fin a été créé
un composé de trois membres le R. P. P. Dhorme,
office éditorial :

M. David Yellin, Rév. H. Danby.


On attend sous peu l'ouverture de l'École archéologique anglaise.
Son staff àé]k constitué comprend M. le prof. J. Garstang, directeur;
M. Phythian-Adams, assistant; M. L. Woolley, conservateur du musée;
M. Mackay, inspecteur des antiquités.
Le comité Pro Jérusalem^ dont la fondation a été annoncée ici-même
en 1918, p. 551, poursuit méthodiquement son œuvre qui ne fait pas
double emploi avec celle de la Société Orientale de Palestine, son but
étant non la recherche et l'étude de l'antiquité, mais la conservation
de la sainte cité telle que l'ont faite les siècles avec ses dehors arabes
et turcs, ses monuments du moyen âge, ses industries locales, sa
ceinture de tombeaux creusés dans le roc, ses sites déjà bien enlaidis
dans les vingt années qui ont précédé la guerre. Une ^-igilance active
n'arrive pas toujours à prévenir des actes de vandalisme tels que
l'excision dune sculpture au fronton d'un \-ieux sépulcre ou l'arra-
chement de quelques degrés d'un escalier romain, ni à empêcher à
temps l'exhibition d'un toit en zinc ou d'un gourbi déplaisant en zone
prohibée. Les amendes dont les délinquants sont menacés et les
rondes de police devenues plus fréquentes aboutiront sans doute à
enrayer le mouvement de destruction et de contamination. Le déblaie-
ment des décombres et la suppression de certaines boutiques qui sont
,

CHROMO LE. 2a:

des foyers de pestilence se lieurtent à l'inertie d'une municipalité


inintelligente que le comité a bien du mal à galvaniser. Quand on
aborde nettoyage d'une masure appartenant aux Waqoufs, l'obs-
le

truction est complète; les cerveaux musulmans se montrent alors


décidément réfractaires au progrès, pour ne pas dire au bon sens.
Tant que le Comité n'aura qu'un caractère officieux, il verra son
cbamp d'action se restreindre de plus en plus sous l'influence de
considérations politiques et de ménagements peureux. Il est des cas
où l'hygiène et la propreté doivent s'imposer énergiquement à la
routine niaise et malsaine, en particulier dans une agglomération où
le grand nombre aspire au bon air et à la lumière. Fait-on grâce, au
régiment, au troupier crasseux qui refuse de passer à la douche? La
couleur locale, loin de perdre à des travaux d'assainissement, ne fera
qu'y gagner. Sous Hérode. sous Hadrien, sous Justinien, Jérusalem
fut une belle \il\e elle n'en restait pas moins Jérusalem. Au temps
:

du psalmiste, les rois de la terre étaient, à sa vue, frappés d'admira-


tion (Ps. XLVii). Aujourd'hui elle n'évoque guère en beaucoup d'en-
droits que ce passage des Lamentations amplexati sunt stercora. :

La série des conférences données à l'École à la fin de l'année 1910


comprit les sujets suivants 26 nov. Fouilles d'Éléonte {Dardanelles)
: :

par le R. P. Dhornie; 3 déc. La mer Morte [avec projections), par le


:

H. P. Abel: 10 déc. Les amis Gallo-Romains de S. Jérôme, par le


:

R. P. Génier; 17 déc. A travers l'Ai'abie avec projections), par le


:

H. P. Jaussen. Le mercredi 7 janvier 1920, le R. P. Lagrange donna


en l'honneur et sous la présidence de S. E. le cardinal Dubois, une
conférence sur 5/c« et le Golgotha.
F. -M. Abel, 0. P.

IV. — LA RESTAURATION DE l'ÉLÉONA.

Au terme de l'étude très pénétrante où il a fait la preuve que les


Annales d'Eutychius décrivaient la ruine de VÉléona et non celle de
la Néa comme on l'avait trop couramment admis, le T. R. P. Rurtin
écrivait naguère « Vraiment l'Éléona est morte
: Constantin, Chos- !

roès! C'est entre ces deux noms que tient toute la gloire de l'admi-
rable sanctuaire bâti par la pieuse Hélène sur celle des trois « cavernes
mystiques », où le Christ... instruisait ses disciples (1) ». En ce
temps-là du moins subsistaient, pour fixer la mémoire de l'église
('jolie à souhait » qui ravissait la pieuse pèlerine Éthérie, des ruines

(i; RB., 1914, p. 423.


268 REVUE BIBLIQUE.

parfaitement expressives. Mais après les funestes années de guerre?


Une note mélancolique du P. Âbel a dit les déprédations lamentables
brutalement infligées à ces émouvants débris (1 Etiam periere .

ruinae.
De sa cendre tant de fois ])0uleversée l'auguste sanctuaire va
pourtant ressortir. Par une matinée radieuse où un soleil de fête
mettait dans la nature et dans les cœurs des espérances et la douceur
de vivre, le 2 janvier dernier, Son Éminence le cardinal Dubois,

archevêque de Rouen, posait en toute solennité la première pierre


de la restauration du vénérable monument constantinien. Et le
caractère de cette cérémonie était, en vérité, profondément impres-
sionnant. De la même main discrète et savante qui avait une première
fois écarté les plis du linceul pour faire apparaître le squelette intact

de les PP. Blancs avaient patiemment cherché à


l'édifice antique,
ressaisir, dans
pauvre ruine saccagée, les vestiges échappés au van-
la
dalisme utilitaire que l'on sait. Précisément parce qu'il avait été
surtout utilitaire, ce vandalisme ne fut point aussi radical qu'on le
pouvait craindre. Dégagés du remblai, les fondements incrustés dans
les tranchées de roc reparaissaient avec toute la clarté désirable.
Jusque dans la crypte, pourtant maltraitée avec de particulières
attentions, une fois écartés les éboulis du plafond rocheux de la
vénérable caverne, on avait eu la joie de ressaisir intégralement
l'ordonnance primitive et les assises inférieures providentiellement
oubliées de l'absidiole (2). C'est là, au cœur même du vieux sanc-
tuaire, cérémonie du 2 janvier.
que s'accomplissait la
Comme jadis à l'invitation de l'archidiacre de Jérusalem pour la
solennelle commémoraison du jeudi saint omnes in ecclesia quae—
est in Eleona conveniamus —
toute la société catholique de la Ville
Sainte avait répondu, se pressant sous les élégantes galeries du
cloître du Pater. Sur ce sol français, nul ne s'étonnait qu'un prélat de
l'Églisede France, assisté de plusieurs évèques français, entouré
d'un imposant cortège de prélats orientaux, du Délégué de France et
de hauts officiers des armées de terre et de mer et très délicatement
honoré par l'évèque de Jérusalem qui se désistait pour lui de ses
droits, exerçât les fonctions hturgiques en cette solennelle circons-
tance. Aussi bien, l'idée de cette restauration est née de la piété
française, dans les angoisses de la guerre. Alors que sévissaient sur
le monde la dévastation et la mort, de nobles âmes avaient voué.

1, RB., 1918, p. 555 s.

(2) Cf. RB., 1911, p. 240. lig. 5.


CHRONIQUE. 209

quand serait rétablie la paix de la Justice et du Droit, de rendre à sa


splendeur première le monument qui consacra jadis le site où le
Sauveur Jésus avait enseigné au monde, en la personne de ses
premiers disciples, la fraternité chrétienne dans le culte et l'amour
du Père qui est dans les Cieux. Si l'œuvre est d'origine française, elle
n'a donc cependant pas le moindre caractère étroitement restreint de
particularisme national, bien moins encçre de prétention ambitieuse.
Elle esf* catholique dans la plus large acception du terme. Ainsi
d'ailleurs l'avaient fort bien compris tous les représentants officiels
des Puissances chétiennes présents à la cérémonie et les groupes de
fidèles de toute nationalité et de tout rite. L'unique primauté que la
France voudra revendiquer sera, une fois de plus, celle de son
inlassable charité pour les Lieux Saints, dont la basilique du Mont
des Oliviers fut un des premiers joyaux.
Splendide est la tâche qui s'offre maintenant à ses architectes et à
ses artistes. Si profonde qu'en soit aujourd'hui la dévastation, le véné-
rable édifice constantinien marque suffisamment encore sa majes-
tueuse empreinte sur le sol. La basilique de la Nativité à Bethléem,
qui lui fut contemporaine, demeure assez intacte sous nos yeux pour
guider à coup sur dans une restauration où le sentiment archéolo-
gique le plus éclairé s'alliera sans effort au sens esthétique et au clair
génie de la France.
Après une période longue d'oppression et de ruine, les Lieux
si

Saints vont donc connaître enfin une ère nouvelle de paix prospère
et de liberté. Tandis que se prépare une renaissance somptueuse du
sanctuaire constantinien de l'Éléona, au pied de la montagne des Oli-
viers, sur le site de l'Agonie de Notre-Seigneur, on se souvient que
les PP. Franciscains, gardiens séculaires des Lieux Saints, ont inau-
guré déjà la restauration dune autre basilique non moins vénéra-
ble, des premiers siècleschrétiens(l i. Le rêve serait-il trop présomp-
tueux désormais de voir restituer au sanctuaire par excellence, le
Saint -Sépulcre, un état plus digne 'à la fois de son incomparable
caractère et du nom chrétien ?

V. A PROPOS DK TitTHSKMA-M.

Critique et acribie sont décidément des qualités trop dédaignées


par certains de ceux qui se donnent la mission, d'informer leurs con-

(1) La première pierre de cette restauration a été posée le 17 octobre 1919, par Son Érni-
nence le cardinal Giustini. Cf. RB., 1920, p. 137.
270 REVUE BIBLIQLl^-

temporains sur les événements du globe. La restauration du sanc-


tuaire de TAgonie, à laquelle il vient d'être fait allusion, en fournit

un exemple déconcertant. Il vaut d'être signalé à l'adresse de ceux qui


shypnotisent sur une documentation écrite acceptée les yeux fermés
et sacrosainte à leur gré parce qu'elle est écrite depuis de multiples
siècles dans une rapsodie de pèlerin tels les computs de pas entre
:

Saint-Sépulcre et Calvaire, je suppose, dans les narrations de Tlieo-

dosius et de ses congénères, ou mieux encore les fameux « plans »

insérés dans le récit d'Arculfe sous la forme indirecte où nous les a


conservésun de ses auditeurs monastiques.
Au témoignage d'un journal égyptien (1), « La London Press avait
annoncé dernièrement, sur la foi d'un correspondant, que le maré-
chal AUenby avait l'intention d'ériger un monument dans le Jardin
des Oliviers, ce qui constituerait aux yeux des catholiques comme
une sorte de profanation ». Je ne me charge pas de débrouiller en
quoi le correspondant hiérosolymitain de la London Press, qui avait
pu être témoin de la pose de la première pierre de restauration à
Gethsémani, faisait ou ne faisait pas confusion avec les projets plus
ou moins officiels de quelque monument commémoratif de la libéra-
tion de Jérusalem. Toujours est-il que les lecteurs du journal s'ému-
rent. Un membre du personnel administratif anglais, le major Nor-
man Coates, estima utile d'adresser à la London Press « un démenti
officiel » ainsi libellé, d'après La Réforme : « ... il n'est nullement

question d'élever un monument quelconque dans le voisinage du


jardin de Gethsémani Comme représentant du comité du " Pales-
tine Mémorial », je proteste énergiquement contre la nouvelle qu'un
monument quelconque serait élevé dans le jardin de Gethsémani. ou
même dans son voisinage. » On ne saurait être ni plus ferme, ni plus
explicite.
Le major N. Coates avait évidemment compris qu'on voulait parler
de quelque Mémorial civil. Son démenti officiel est bien fondé sur ce

point, puisque le site envisagé dans ce but est tout à fait à l'extré-
mité opposée de la ville. Il n'en est pas moins erroné, puisque les

lecteurs de la London Press ne manqueront pas de comprendre que


rien n'a été touché à Gethsémani et qu'on n'y projette aucun édifice,
alors cju'un cardinal romain inaugurait la restauration de la vieille
basilique, voici plusieurs mois déjà, dans une cérémonie à laquelle

La Réforme, n» du 2 janvier 1920.


CHRONIQUE. 271

abonnés du journal, à Londres ou en Australie, sauront-ils démêler


rimbrogiio?
Il s ag-issait, à vrai dire, d'un monument catholique et d'une simple
restauration et le major N. Coates pouvait n'y pas prendre un spécial
intérêt, voire même n'en avoir pas été informé. Avec un périodique
catholique, Le Pèlerin, d'ordinaire très documenté sur les petits
événements de Jérusalem où il a de multiples correspondants, voici
une beaucoup plus pittoresque méprise. Ou a pu récemment y lire
ceci(l) « ... l'Institut biblique de Rome désirait depuis longtemps
:

avoir à Jérusalem une école d'applications pratiques où les élèves


spécialisés dans l'Écriture Sainte pourraient sur place approfondir...
cette science sacrée par des voyages, des levés topographiques, des
excursions archéologiques, etc. Ce projet vase réaliser. Notre photo-
graphie... représente le cardinal Giustini bénissant et posant la pre-
mière pierre de la nouvelle école... près de la route de Bethléem,
non loin de la... ville... Elle sera confiée aux Pères Jésuites. En foi •>

de quoi une photographie, qui a pour légende « Le cardinal Giustini


pose à Jérusalem la première pierre d'un Institut biblique », étale
nettement au regard les ruines de Gethsémani et le cardinal Giustini
posant la première pierre de restauration de la- vénérable basilique !

On pourrait croire à quelque substitution accidentelle de cliché pho-


tographique. Mais le plus plaisant est que le cardinal Giustini n'a béni
aucune autre première pierre que celle-ci à Jérusalem. Le correspon-
dant du Pèlerin a donc été victime d'une amusante hallucination.
Elle procède visiblement de son zèle pour la promotion " d'une étude
rigoureusement scientifique » de la Bible, ainsi que l'atteste le cou-
plet final de son article. Sans doute les travaux de l'ancienne école
navaient-ils pas son assentiment, car il s'applaudit d'en voir enfin
une nouvelle aborder, « sous le contrôle de l'Église », une étude
laissée trop longtemps comme domaine de recherches scientifiques
aux Anglais protestants et aux savants d'outre-Rhin qui. sous prétexte
de critique..., essayaient de saper l'authenticité des Livres Saints »
(/. /.). Que d'emphase imprudente pour compléter une inconsciente

mystification Et un peu de " critique » sera-t-il de trop pour démê-


1

ler le brouillamini de cette information journalistique? Sans attendre


le recul de plusieurs siècles, j'appréhende que d'ici quelques décades
seulement il ne faille beaucoup de critique très pénétrante aux
« élèves spécialisés » de la « nouvelle école » pour discerner que ce

1 Le Pèlerin, n' 2230, du dira. 21 déc. 1919, p. 5, sous le titre : Une nouvelle école
l'ihlique à Jérusalem.
'"'-
REVUE BIBLIQUE.
document écrit si catégorique et le document photographique dont il
s'illustreconstituent une double méprise de ce témoin
oculaire et
concernent non la fondation de leur Institut, mais
la restauration du
sanctuaire de Gethsémani...

L. H. VixcEXT, 0. P.
Jérusalem, le 4 février 1920.

A
RECENSIONS

I. —A brief description of the Holy Sepulchre. Jérusalem and other


Christian churches in the Hohj City, par M. l'architecte G. Jefferv. In-S*^ de
x.ii-233 pp.. avec 56 illustrations. Cambridge, University Press, 1919.
II. — Mater ecclesiarum, Die Grabeskirche in Jérusalem. Studien zur Ges-
chichle der kircld. Baukanst und
Ikonographie in Antike und Mitelalter. par
M. K. ScHMALTZ. In-40 de xi-.5tO pp.. avec 14 planches. Strasbourg, Heitz et
Mùndel, 1918.
III. — Antike Synagogen in Galilaea, par MM. H. Ivohl et C. Watzixger.
Gr. de vii-2ol pp., avec 306 flg. et 18 planches. Leipzig, Hinrichs, 1916.
in-4'^

Ps*5 29 des Public, scientif. de la Deut. Orient-GeseUschaft.

l. — M. l'architecte G. Jeflfery a eu l'heureuse idée de rendre plus accessibles


ses articles sur le Saint-Sépulcre dans
le Journal of the Royal Insiitute of the

British Archifects en donc repris la documentation, en a un peu


1910. Il en a

remanié le te.xte enrichi de « quelques détails sur les imitations médiévales du


Saint-Sépulcre qui existent encore en Europe », aboutissant ainsi à l'élégant volume
que les presses de Cambridge viennent d'éditer.
Une partie historique initiale traite succinctement du sanctuaire aux premiers
siècles chrétiens, à l'époque médiévale etdans les temps modernes. La description
du monument est la partie centrale de l'ouvrage. Le plus attrayant chapitre est
celui que M. J. consacre aux « Vestiges antiques » (p. 47-07) pour autant qu'ils lui
ont été accessibles en diverses nous avons pu, le P. Abel et moi, donner
visites. Si

dans .Jérusalem une notion plus développée de ces « vestiges », c'est qu'un contact
permanent avec le monument nous mettait en mesure de l'interroger de plus près;
mais du moins les éléments enregistrés par M. J. l'ont-ils été avec beaucoup de
goût, encore que leur détermination archéologique soit insulfisamment approfon-
die ;i), par endroits même erronée Pour décrire « l'église dans sa condition
(2^.

actuelle », il a pris pour base les du Survei/ et de Schick, ce qui devait


plans
entrahier de fatales inexactitudes-, mais on retrouve le coup d'œil juste et le sens
afQné de l'architecte de grand talent et d'érudition étendue dans la restauration
qu'il propose du sanctuaire médiéval et les pages consacrées à déflnir les attaches

artistiques du monument. De la façade, qui a provoqué tant de doctes excentricités,


il fait ressortir une certaine originalité d'ordonnance n'excluant pas son étroite
parenté avec les thèmes occidentaux du xir siècle; il établit à nouveau, sobrement

(1 Par exemple en ce qui concerne la façade orientale et les propylées (p. 56-62), cf. Jéru-
so.lem, II, 40-88.
[i) Telles les absidioles indiquées (Gg. M, p. S.")) confime éléments intrinsèques de la rotonde
du iV siècle; cf. Jérusalem, II. 107 ss).
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 18
274 REVUE BIBLIQUE.

mais^vec la clarté du techniciea qui opère sur des faits et ue se dupe pas de mots,
que le caractère général de l'orueuieutatiou est celui de la décoration sculpturale
dans le midi de la France (p. 95). Peut-être le trouverait-on seulement un peu
trop sévère pour le clocher dont il déclare le « plan défectueux... tout à fait dénué

d'harmonie avec la vénérable façade (1) ». La monographie du couvent des cha-


noines qui desservaient le sanctuaire médiéval serait excellente, n'était la confusion
de Sainie-Marie-Latine qu'on y annexe et qui se mêle à l'antique Sainte-Marie
dans i\u brouillamini déplorable.
La IW partie traite des sanctuaires secondaires de la Ville Sainte. M. J. avait
surtout en vue de compléter sur quelques points les relevés et la description que
M. de Vogué en a fournis naguère et de montrer en quel état sont aujourd'hui
ces édifices. Les annotations sont très correctement informées, trop sommaires
néanmoins pour être bien utiles, surtout aussi dénuées qu'elles le sont de graphiques
archéologiques. Des groupes aussi importants que le couvent arménien et l'église
Saint-J,icques sont discutés en une page sans le moindre graphique, malgré le
remarquable intérêt de la curieuse église et de ses annexes. Aucun plan non plus
de Saifit-JeanBaptiste.
Parmi les imitations du Saint-Sépulcre en Occident, Saint-Etienne de Bologne
occupe naturellement une place prépondérante (2), mais l'on s'étonne de ne pas
voir figiu-er la plus nette peut-être de ces copies architecturales, du moins pour
le sanctuaire d'époque médiévale, dans ce qui est aujourd'hui le prieuré des Hos-
pitaliers à Londres (3).

De bonnes tables groupent la chronologie religieuse et politique ainsi que les


événements les plus saillants dans l'histoire de Jérusalem depuis l'ère chrétienne
jusqu'à 1908. Une très soigneuse table des matières, due à la collaboration de
M'"^ J< fft^ry, ajoute son utilité pratique au charme de ce joli petit ouvrage, d'autant
plus assuré d'un bon accueil qu'il est présenté avec plus de bonne grâce comme
un simple stimulant pour « intéresser autrui aux plus fameuses reliques chrétiennes »
(préface).

II. — Cette un mérite dont M. Schmaltz a pris soin


réserve pleine d'élégance est
de dépouiller son gros non sans avoir d'abord, tout au frontispice, poussé
livre,

un gémissement pittoresque « Sur l'église du Sépulcre... flottent les drapeaux de


:

l'Entr-cite; les saints Lieux sont aux mains des ennemis... »! Ceci est daté de

« juillet 1918 », à Schwerin en Mecklembourg, où M. S. est pasteur. Tant d'émoi

parce que Jérusalem a été libérée de la tyrannie turque ne laisse pas que d'être
assez piquant chez ce bon chrétien, énergique d'ailleurs à stigmatiser un peu plus
tard (p. 478) « le fanatisme de l'Islam » qui a « pour jamais » réduit « en pous-

sière » le monument incomparable dont il a réussi, lui, à reconstituer l'image aupa-


ravant méconnue. Car, et l'Introduction se consacre à l'accentuer, le Saint-Sépulcre
« demeure une énigme obscure » dont les aspects essentiels n'ont été encore élu-

(1) p. 10.^. Cf. Jérus., II, pi. XXV, et p. 13:2 et s., 284.
(2) RB., 1913, p. 339 ss.
Cf.
RB., 1020, p. 133. On a mainte fois signalé avec plus ou moins de détail ces imitations
(3} Cf.
du Saint-Sépulcre en divers pays d'Occident. Voir pour la France en particulier, Enlart,
Manuel d'arch., I, 21G ss. De Lasteyrie, L'archit. relig., p. -276 ss. En rendant com|)te dune
moaograpliie de G. Dalman sur le Saint-Sépulcre de Gôrlitz, M. G. Stuhlfautli rassemblait
naguère les indications utiles sur la bibliographie du même sujet en Allemagne {Thcolog.
Literat., 1916, n° 22, col. 466 s.). Cf. aussi la curieuse église espagnole dite el Seputcro de
Terres, étudiée par Georgiana G. King, Americ. Journal ofArchaeoL, 1918, p. 139 ss.
RECENSIONS. 27a

cidés par personne. « Vincent et Abel


au surplus, qu'à se louer du trai-
», n'ont,
tement de faveur qui leur est accordé dans l'universelle hécatombe. Ils n'ont que
« peu ou pas du tout abordé les problèmes « fondamentaux, ni « dépassé en quoi
que ce soit » les éléments superficiels seuls ressassés jusqu'ici; leur livre toutefois
a fourni « un certain matériel très estimable » dont il a lui-même tiré parti, d'ailleurs
avec un souci généralement (1) très correct d'indiquer ses emprunts.
Voyons-le donc à l'œuvre. Il a choisi pour sous-titre
Études sur l'histoire de :

l'architecture et de r iconographie dans l'antiquité et le moyen âge,


ecclésiastiques
et c'était plaisir d'apprendre, par un article du directeur de l'Institut évangélique

allemand d'archéologie à Jérusalem, où S. était étudiant en 1911, que le Saint-


Sépulcre était enfin situé à sa vraie place « dans l'histoire de l'art chrétien » et
que le sujet avait été « approfondi sous tous ses aspects beaucoup étant abordés —
pour la première fois —
avec une étonnante richesse d'information en des domaines
très dispersés (2) ». Or on a tout de suite même sonne
l'impression que le titre
faux. M. S. le sait; il a passé outre parce que ce vocable répondait mieux à sa
conception historique du monument: il caractérise sa méthode chercher dans des :

textes —
que l'on croit avoir approfondis quand on a divagué longuement à leur
propos —
une image théorique de l'édifice 3;. l'adapter ensuite aux réalités archéo-
logiques en ayant soin d'y opérer un triage éclectique impitoyable à tous les faits

(1) Bien qu'on puisse trouver des cas non sans importance où une citation manque.

r2) Dalmax, ZDPV., 1910, p. UiS, 170. II conclut « Si, parmi les fruits imprévus de la guerre
:

mondiale devaient se réaliser les conditions préalables à une résurrection du Saint-Sépulcre


arraciié à la tombe où l'a enfoui la bôtise des Grecs, il ne saurait être dépourvu de signiflcation
que ce soit un pasteur protestant allemand qui, durant cette guerre et avec un amoureux
enthousiasme, a discuté si bien tous les problèmes relatifs au sujet, que limage est maintenant
ferme à laquelle cette résurrection devra donner réalité ». M. D. abandonne donc sa resti-
tution précaire dans Palâstinajahrbuch, IX, 1913, face p. 105 (cf. RB., 1014, p. 310 .s.;/ Il
ajoute enfin (p. 170) il ne sera pas dépourvu de sens que cette révélation ai-tistique ait pu
:

être éditée dans « une librairie de Strassburg allemande ».


3) C'est le cas pour Eusebe, source fondamentale. On voit passer des discussions contre les
interprétations de celui-ci et de celui-là, mais peu de philologie. Que si d'aventure on s'arrête
à rechercher le sens d'un terme technique d'après l'usage grec, par exemple celui des célèbres
irapaffTàSî; (p. 40 s.), on s'en tient à peu prés exclusivement à - Vincent », non sans flétrir
vigoureusement aussitôt après ip. 43) » l'étrange légèreté avec laquelle il a passé à pieds
>

joints sur des divagations architecturales de M. Heisenberg. J'ignore si Heisenberg sera très
flatté que ses interprétations architecturales aient été si amplement prises au tragique par
Schmaltz que celui-ci en perd tout à fait le souci de soigner la correction de son grec. Heisen-
berg peut bien faire de l'archéologie défectueuse, mais il se révèle un assez vieux routier
de la philologie grecque. Il ne faut pas souhaiter qu'il entreprenne de critiquer le grec de
son contradicteur, car il aurait la partie par trop belle. Je ne parle pas de l'accentuation,
qui est une sorte de jeu de massacre — une bonne douzaine de taules assez criantes dans
le seul texte d'Eusèbe cité p. 13 s. et combien d'analogues, d'un bout à l'autre du livre dés
qu'interviennent quelques mots de grec! v. g. a-j/.i^ [io), àva^a6[i.oïi; (31), /iitXo-jiJ.£Vfj> (35),
:

upôdwTTov (43), itàvxa et 3 ou 4 analogues {:>[', ëto; fOS), et ainsi de suite. Plus gênantes que
les minuties d'accents sont les non-formes du tyi)e oô; o-j; I6). si^Éopat = é^s'ôpai ('2l>, =
'A-jaTtdcCTcW? et vTTîpIxoyTa (20), TrpoxipÉffci = npox'.pé<;v. (33), àoîSsç = â'^îôs; (53), a-jrâ-s
i.-JO et bH\ TrpoTzovoîjiJ.cv (00 , téxt); =
Et xr/vr)? conséquent dans sa négligence
(-219;. le livre est
;(ce sujet, car en l'ouvrant au hasard vers la fin on ti-ouve xsçàXatov toO Tiavrô; (478) deux —
accents faux dans trois mots et eIoô/wv — =
elSwXwv (480). L'orientalisme ne vaut pas mieux.
A propos d'un texte des Plérophories —
cité en français avec une faute d'orthographe, d'après
Nau —
S. éprouve le besoin de remplacer deux mots syriaques par deux transcriptions en
hébreu et produit deux petits logogriphes qu'il serait oiseux de reconstitueu (p. 66). A la p.
suiv. on approfondit un autre texte des Plérophories au moyen d'un nouveaij rébus hébreu
compliqué d'un lourd contresens sur 1' « église de l'Ascension » dont on veut faire « le
Saint-Sépulcre ' (!) et des coquilles àvy.A-/)[X|!i; pour àvx).-/i[x<l't; et Pleropltien. P. 01, S. omet
de dire d'où il extrait le curieux texte de Photius qu'il émaille de trois ou quatre formes
inconnues à la source que citait le P. Abel. De telles négligences ne donnent vraiment pas le
sentiment <iue S. ait quelque maîtrise des textes qu'il doit mettre en couvre.
2:6 REVUE BIBLIQUE.

rebelles; (iaaiement épuiser manuels et répertoires en quête de rapprochements sans


contrôle bien rigoureux.
Rien ne s'oppose, en principe, à ce que le sujet soit abordé par les documents
plutôt que par les faits, à condition d'examiner les uns et les autres avec indépen-
dance, suivant des lois critiques autres en archéologie qu'en philologie, pour
aboutir à la confrontation serrée des résultats acquis par cette double voie.
M. S. n'imprime guère la notion lucide du sujet dans l'esprit du lecteur. Tandis
qu'il discute, 160 pages durant, des sources fort disparates, on ne sait à quoi rac-
crocher ses conclusions puisqu'il n'a même pas présenté l'édiGce moderne. Et le

bénéûce de disserter sur les particularités graphiques des ampoules de Monza, de-
la mosaïque de Màdaba, des ivoires, miniatures, etc., pour éblouir le lecteur sur la

ScHMALTZ :
* Mater Ectlesiahuw*, HJI

REcaNSTRucnoN DES ÈnincE? constantiniene au Saint -Sêpjlcrîl, .

portée pratique de leur traduction d'un monument dont on ne lui a pas fourni la
moindre idée concrète ?^ans doute le lecteur peut d'abord faire crédit. Mais quand
enfin le monument est abordé, il ne l'est ni par le commencement ni par la fin,
mais en plein milieu de son évolution : l'édifice médiéval, encore étudié par lam-
beaux, sans aucun graphique intégral. Il faut chercher en vingt endroits comment
S. conçoit le sanctuaire aux jours de Constantin Monomaque et de Modeste, car
il n'a pas estimé utile de les traduire par le moindre croquis. Le monument cons-
tantinien, objet essentiel de la docte investigation, finit par apparaître à la p. 346 et
il n'absorbe pas beaucoup d'espace. Voici donc surgir la révélation artistique (1).
A l'arrière d'une place déblayée de tout ce qui gênerait son large développement

(V Cette fois du moins on voit enfin apparaître un scliéma pi. ii) simple tracé dépour\Ti —
car c'est de meilleur goût artistique: —
de tout raccord direct avec le texte. Ce diagramme
est fixé en transparent sur le plan du • Saint-Sépulcre et ses environs » par Scliick-Mommert.
Mais comme il n'est pas à la même échelle, on ne devine aucune utilité à cette affectation de
s'attacher au sol. Au lecteur de se débrouiller pour savoir que le tracé pointillé représente
les travaux des « fils de Constantin , et même d'autres choses encore, puisqu'on fait à Vincent
le crédit d'avoir démontré que les absidioles sont de geconde main dans la rotonde (p. 264 s.;.
Et qu'eût été Ijienvenu le plus sommaire diagramme' d'élévation car on verra plus loin que
:

M. S. a des convictions très définies en architecture et ne nous a-t-on pas annoncé que son
]dan devrait servir de base à la restauration du Saint-Sépulcre? Mais le docte auteur estime
si peu utile de multiplier et de préciser sa documentation graphique qu'il brouille même ses
légendes dans la liste des planches. On s'y reconnaît au surplus assez vite, car le matériel
n'est pas l>ien coi)ieux. excepté quelque peu dans les pi. xu, xin et xiv consacrées à documenter
théoriquement la basilique à coupole, qui est ici un contresens archéologique.
KECENSIONS. 277

à travers le khàn cz-Zeit, la basilique de Constantin dresse sa façade sur le grand


mur inclus dans l'Hospice russe. Avec un petit narthex tout de guingois elle se

développe sur 70 m. de long et 37 de large. Les bas-côtés extrêmes butent à


l'ouest contre un mur aveugle; les intermédiaires''communiquent avec le parvis
intérieur moyennant un perron. L'abside, dans la nef centrale, a un chevet com-
pliqué laissant place à un boyau de communicatiou. Devant cette abside une travée
de choeur, qui s'inspire du transept sans en être un, fournit la base d'une coupole
à tambour qui est censée représenter 1' « hémisphère » d'Eusèbe. A l'occident un pa-
rallélogramme irrégulier n'est qu'une cour entourée de portiques, avec le site de la
Croix dans l'angle sud-est et le bloc équarri du Sépulcre en plein air devant le por-
tique occidental. La rotonde de l'Anastasis? un mythe vaillamment anéanti. Elle date
seulement des « fils de Constantin » et s'implante, à l'insu de tout le monde, les

« fils » ayant tout à coup jugé bon de bouleverser la mirifique création paternelle.
]N'en demandez pas au jeune savant plus qu'il n'a bien voulu en communiquer sur
les sources positives de sa trouvaille. y a cependant gros à parier que cette fan-Il

taisie architecturale dérive moins des textes et des ruines que de spéculations
novices sur les représentations numismatiques du téménos à Byblos et ailleurs (1).

Quant à l'agencement d'une coupole sur le Martyrion. elle met en évidence la fer-

tiUté imaginativede M. S., voire un certain souci des conséquences structurales;


mais une création gratuite à laquelle s'opposent l'harmonie très normale du texte
c'est

d'Eusèbe, létat connu du site, l'analogie des basiliques contemporaines, pour ne


pas alléguer d'autres objections. Peu importait à S. le caractère hybride et les
bases caduques de son édifice : le voilà en possession, dès l'époque constanti-
nienne, de la « non pas celle connue dans les vieux erre-
basilique à coupole », —
ments de l'histoire de l'art, qui suppose une croisée de nefs, c'est-îi-dire un tran-
sept tel quel —
mais une basilique du pur type primitif, avec un coupole sur un carré
,

découpé dans les travées de la seule nef centrale devant l'abside. Là dessus, course
à travers le monde, ou du moins à travers les répertoires. Pauvres historiens vieux
jeu qui ont tant peiné pour expliquer la genèse de l'architecture religieuse, les ap-
ports orientaux à la constitution de lart byzantin et le reste! La « terre mater-
nelle », c'est l'Egypte, spécialement l'art alexandrin: d'aucuns l'avaient soupçonné
déjà, mais pas à la manière forte de S., qui découvre là une infinité de thèmes nou-
veaux (2) librement utilisés d'ailleurs par les artistes constantiniens. Ceux-ci, d'où
sortent-ils au juste? On fait mine de s'en préoccuper, mais pas outre mesure, tant
est grande la hâte de montrer réblouissante fortune de l'église-type qu'on leur
attribue. N'est-elle pas devenue « la vraie, la grande mère des églises » de toute
variété.? On estime avoir fait la preuve que ses derniers aboutissants sont aussi
bien « les églises à cinq coupoles de la sainte Russie » que la « giguntische lienais-
sancebau de Saint-Pierre de Rome », sans parler de ses ramifications dans l'art

musulman, « depuis les colonnes d'Hercule jusqu'aux lointaines régions de l'Inde


merveilleuse > : vitalité stupéfiante de cette Mater, qu'on oppose aux « basiliques
de Rome... demeurées stériles et sans enfants ». Et Schmaltz paraît presque s'é-

tonner lui-même d'avoir ouvert de si « vastes perspectives... dans l'espace et dans

(! Voir le chapitre sur les éléments de la religion antique dans l'édince de Constantiu •

(p. 470 s.;. 11 rappelle Yeorcursus de M. Oalman [PaUistinajahrbuch, IX, 103) .sur l'Aphrodite
de Golgos et le Golgotha, qui avait du moins l'avantage d'être assez court.
(2) Naturellement la iriconquc ou le plan tréflé comme tout le reste (p. 409 ss.;. J'espère avoir

hientôt l'occasion de traiter ce sujet de manière à montrer que le ravaudage de M. S. n'atteste


vraiment pas 1' < étonnante information dont on lui a tait lionneur.
»
21H RE\TE BIBLIQUE

le temps » (p. 478 Trop vastes, en vérité! K'v a-t-il pas


. à craindre que des spé-
cialistes rompus aux recherches d'histoh-e de l'art comme pas en il n'en manque
Allemagne, les \\ uiff et les Strzygowski par exemple, renvoient sévèrement ce
jeune maître à Pécole? Je m'abstiens d'apprécier l'érudition dont il s'est vainement
grisé vainement, car sa basilique à coupole n'a d'existence qu'en son imagination. Ce
:

que Constantin érigea devant la rotonde du Saint-Sépulcre était, comme à Bethléem,


comme à l'Éléona une de ces bonnes vieilles basiliques latines dont Schm. plaint la
« stérilité sans enfants ». L'analogie qu'il cherche à Bethléem lui échappe, malgré
la ferme confiance qu'il affiche dans la méprise architecturale de Weigand (1).

L'appui décisif escompté de la représentation en mosaïque de Madaba est fallacieux,

puisque ce tableau s'expUque avec beaucoup plus de naturel dans un sens tout
autre, la coupole étant celle de l'Anastasis et non pas cette lanterne sur plan carré
que le mosaïste n'eiU pas faite aussi large que les jcinq nefs de l'église et dont on
devrait voir le tambour sous un autre aspect s'il coupait la perspective du toit basi-
lical. Libre à S. d'appeler en témoignage, pour étayer sa chimère, le sarcophage
du Latran qu'on a depuis longtemps éliminé du sujet (2). Quant à son argument de
résistance, la copie architecturale de la basilique constantinienne dans la mosquée
el-Aqsa, je laisse à d'autres le souci de le réfuter en détail, aimant mieux croire que
S. ne s'est pas pris lui-même trop au sérieux en risquant avec brio ce déconcertant
paradoxe.
Puisqu'il estime avoir attaché son roman architectural aux vestiges archéologiques,
je voudrais lui soumettre quelques difficultés qui me paraissent de nature à com-
promettre son édifice dont il reconnaissait, au surplus, non sans une pointe d'inquié-
tude, la « complication en plan et en élévation » p. 394;.

D'abord le « premier atrium » d'Eusèbe. Il le transforme en une vaste place, con-


fondue avec Vi-;oçA dont Eusèbe l'avait distingué avec soin, et qu'il dilate à travers
le quartier très dense de khdn ez-Zeit où il n'y a pas le moindre vestige apte à

justifier l'extraordinaire ordonnance architecturale qu'il imagine et quembarras-

seraient beaucoup certains détails de niveaux dont il fait bon marché. Ou plutôt
si,on trouve en cet endroit quelques débris antiques les colonnes qui s'alignent :

en avant du grand mur de l'Hospice russe. Comme elles sont gênantes à agf-ncer,
on les supprime, pour les classes à l'oratoire tardif d'Omar (3) au nom même de la
mosaïque de Màdaba, dont cette colonnade centrale est pourtant un des traits les

plus expressifs. Or l'alignement des colonnes de l'Hospice russe, prolongé au nord


et au sud par des débris en place, prouve que la colonnade d'Aelia passait là.

Que deux siècles plus tard, l'architecte constantinien se trouvait en face d'un
si.

petit problème à résoudre pour harmoniser la façade de ses propylées à cette colon-
nade, on peut penser qu'il n'était pas pris aussi au dépourvu que M. S. (4 Le jeune .

(1) Il peut se convaincre dans RB., iWJ, p. 297 ss. et l'erratum p. 600 que nos objections à
l'hypothèse de \yeigand n'ont pas été aussi radicalement « pourfendues » qu'il le suppose
(p." 371).
(2) RB., 1913, p. o3o n. 1 ; 1014. p. 'M.
(3) P. 359, 361. La ferme adhésion de Dalman ZDPV., I01!i, p. 167, ne consolide en rien la
caduque hypothèse de son élève.
(4) J'ai pris soin de décrire ces colonnes {Jérus.. II, 66 ss.i d"une manière un peu plus
approfondie que M. S et de discuter (ibid., 84 s., pi. vni> leur adaptation aux propylées constan-
linieas. II pouvait donc s'y référer, au lieu de renvoyer seulement aux diajiiammes de
restauration —
d'ailleurs avec citation fausse: —, pour ajouter la grotesque imputation que
je « déplace tacitement les colonnes » afin de les faire correspondre aux portails p. 338).
Je n'ai jias l'iiabitude de saccager les ruines avec le sans-gêne du jeune maître allemand.
La plaisante énergie de son verdict sur VUnding —
quelque-chose comme une absurdité ou
RECENSIONS. 279

savant se satisfait à bon compte en considérant le vieux seuil de porte dans l'Hospice
russe comme le vestige d'une des exèdres constantiûiennes de l'atrium.
Ce seuil fait
partie du même grand mur à bossage dont il veut bien, au bout du
système que le

compte, reconnaître l'antériorité probable aux travaux constantiniens (p. 356). En


dépit de toutes ses arguties il reste que l'hypothèse de S. supprime gratuitement les
propylées, les aJÀctoi nûXai et rxjXr, ~,''^"'; d'Eusèbe. La place fictive qui leur e>i substi-
tuée est contre-indiquée par le Forum d'Aelia, dont l'entrée toute voisine n'a pas eu
la chance de fixer l'attention du jeune maître qui estime s'en être débarrassé eu trois

mots « c'est complètement obscur (i Le motif de camper la façade du Martyrion


: >• i.

sur le grand mur remanié est de réaliser un édifice gigantesque. Ce faux point de
départ entraîne la création d'un narthex, pour sauvegarder certaine ligne structurale
connue. Si je comprends bien le vague diagramme (pi. i) et le texte, ce narihex est
intérieur et non pas, ainsi qu'à Bethléem (depuis le yv s.), uq corps de bâtiment
avancé sur la façade basilicale Ce narthex est inconnu dans les textes comme
{i).

dans les autres églises constantiniennes. Son tracé bizarre, avec deux côtés longs
divergents, pose d'ailleurs une question générale sur Torieutement des lignes archéo-
logiques mises en œuvre, question à laquelle se soude celle non moins importante
des, niveaux et des proportions ,
'3). En décrivant les ruines S. m'a l'air de patauger
laborieusement.
Puisqu'il a opéré lui-même, on est surpris de ne pas l'entendre en appeler à cette
" autopsie » qu'il invoque parfois ailleurs (v. g. p. 238 pour quelque détail que nul ne
pouvait songer à lui contester. Or sur le terrain où son « autopsie » eût du se faire
absolument fondamentale, on doit se rendre à l'évidence quelle a été terrible nent
superficielle. Le plan d'ensemble est emprunté à Schick-Mommert. On donne bien
un plan spécial (pi. \). correct à un détail près, des ruines de l'Hospice russe et du
couvent copte (4 , d'ailleurs dénué de tous raccords précis avec le texte; mais il est
curieux de voir que sou auteur demeure comme embarrassé devant le beau graphique.

une ehiiiiére — que


représenterait ma colonnade (p. 3S8; atteste surtout que ce l)atailleur n'est
guère plus au de rarcliitecture que de l'arcliéologie.
fait
(i; vnklar (p. 364 n. 1). Pour M. S., c'est bien possible, car on a souvent l'impression
Isl vollig
qu'il demeure embarrassé devant des vestiges archéologiques. Ceux-ci en tout cas méritaient
d'être re.gardés de plus près par le jeune technicien qui est censé avoir étonnamment appro-
fondi tous les aspects de son sujet. Il est d'ailleurs plaisant d'observer çà et la combien
volontiers S. se réfugie en de catégoriques sentences en face de quelque détail un peu laborieux
à éclaircir. Rencontrant p. '22, cf. .332; la question du « second mur », qu'on ne lui demandait
d'ailleurs pas d'élucider, il prononce : • Du second mur il n'a pas encore été trouve jusqu'à
ce jour une seule trace certaine. Toutes les hypothèses sur son tracé floUent complèt-^ment
en l'air ». C'est olympien; malheureusement cela ne fait ressortir que l'ignorance ou se tr<mve
M. S. sur la question; et si l'étudiant de l'Institut évaagélique allemand d'archéologie ne faisait
(lue rélléter quelque aphorisme qu'il y aurait entendu, cela ne changerait encore rien à l'alTaire.
Il y a par bonheur dans l'archéologie palestinienne d'autres détails sûrs que ceux authentiqués

en ce milieu.
(-2) Comme l'interprète Dalman, ZDPV., 1919, p. 168.
(3) Il faut féliciter M. S. de tenir à l'étude des proportions et de s'y appesantir volontiers
(V. g., p. 207, 333, 352 ss., 368, 373. tout le ; Zahl und Mass p. 37i ss. Je cite au hasard les pas-
sages oii j'ai essayé de suivre les calculs. L'auteur devrait seulement prendre garde que ce
sujet est (Pune manipulation délicate, exigeant beaucoup de précision et de rigueur. On en
trouve aussi peu que possible dans ses aiialyses. Le sysicme babylonien » a toute sa prédi- •

lection, .le n'entends pas y contredire en ce moment. Mais un édifice est une unité. Si l'on
veut découvrir un pied babylonien dans la hauteur d'assise constantinienne à Bethléem (« 0™,37 >•;)

on fera bien de dire à quoi répondent, dans ce système, les assises du narth. x, et aussi
l'ordonnance générale du plan. Le plus inquiétant est de voir ici ou là M. S. découvrir le canon
de proportions dans les assises d'un mur dont il ne sait pas la date et qui a été plusieurs fois
remanie...
(4) U ne peut que m'étre flatteur de constater que le jeune savant a vu de même sorte que
moi certains éléments essentiels parmi ces ruines... seulement il travaillait à Jérusalem en 1911
et ces éléments étaient détruits depuis longtemps...
280 REVUE BIBLIQUE.

11 a fermement dessiné un angle intérieur ouvert, à la jonction des deux grands


murs (angle sud-est). Sans doute l'avait-il relevé ainsi; mais finalement (p. 3-17) il

n'est sûr de rien et ne sait plus départager entre Schick qui a relevé cet angle obtus

et Vincent qui Ta relevé droit 1 . Pratiquement enfin il opte pour Schick.


L'orientement axial de Vincent pour l'ensemble de l'édifice servant son éclec-
tisme il le préfère à celui de Schick pour situer la chapelle Sainte-Hélène, mais
il rendra la préférence à Schick pour le placement du Sépulcre et de la rotonde (2).

Même loterie (p. 332) quand il fait argent comptant d'une assertion très imprudente
de Schick sur des niveaux rocheux, quitte à saccager âprement ailleurs ce même
Schick, inculpé sur je ne sais quoi de s'être, <' comme tant d'autres fois, aban-
donné à des illusions » (p. 263). Je n'ai jamais traité Schick avec la désinvolte
sévérité de ce jeune maître. J'ai 'seulement dit 3) pourquoi, éliminant ses plans,
dont l'imprécision était depuis longtemps notoire, nous avions repris d'ensemble
un levé un nivellement dont la base a été soigneusement indiquée en
et surtout

vue de faciliter le contrôle à qui voudra bien l'entreprendre. Mais quand on y a


consacré, avec l'outillage approprié, plus de semaines que M. Schm. n'a proba-
blement employé de jours à se promener à travers ce chaos, évaluant çà et là
quelque niveau par diflérence ou addition de mesures quelconques, son tri capri-
cieux ne vaut même pas qu'on s'attarde à lui en montrer l'inanité [4^.
Malgré sa confiante assurances, n'était pas suffisamment équipé pour se fourvoyer
dans le thème épineux de la reconstitution archéologique du Saint-Sépulcre
constantinien. L'était-il beaucoup mieux pour le commentaire esthétique? Je
laisse à d'autres d'en décider. Il me parait seulement que l'histoire de l'art archi-
tectural et iconographique suppose, avec un sentiment juste des formes, un examen
minutieux des éléments à comparer, par conséquent une certaine documentation
graphique. Pour disserter copieusement sur les mosaïques du sanctuaire médiéval
s. a le champ libre: on ne pouvait guère lui demander de documenter autrement
que par les livres un cycle iconographique dont nous n'avons plus guère idée que
par des livres (.5 Mais quand il s'agit de définir les attaches de la façade actuelle
.

avec l'Aquitaine, ou qu'on prétend démontrer l'origine antique des pièces employées
dans la corniche médiane, pourquoi toujours de simples enfilades de noms propres

(1) Ce que faisant pour le contrôle final du plan de Jéivsalem (II, pi. iii^cf. p. 49 et
Si j'y ,

apportais d'autant plus d'attention que la constatation de cet angle droit m'imposait de me
corriger moi-même fcf. iîB.,1902, p. 43 et i-i]. Au gré de M. Dalman ZDPV,, lOli", ii. ViS j'ai .

fait erreur de nouveau —


j'attendrai qu'on me dise de combien de degrés et de minutes et le —
plan d'Arculfe contredit mon angle droit {op. 1. 170) —
c'est fâcheux mais très indiilérent, car
en l'espèce, queUjue instrument précis vaut sans doute mieux que toutes les pages d'Arculfe.
(2) P. 3.S4. On aurait pu croire (p. 333, que S. avait relevé lui-même cet axe central dont il tii-e
si bon parti d'après Vincent par la suite.
Jérusalem, II, p. 97 s.
(3)
Ce n'est pas davantage faire progresser la question que d'alléguer à la cantonade que
(4)
« plans de Vincent pour l'état actuel ne répondent pas partout à la réalité » 'Dai^ian,
les
Theol. Liieralurz., 1916, n" 15, col. 343). Je suis le premier à soupçonner que j'ai pu errer en
des opérations qui ne vont pas sans quelque complication dans la zone du Saint-Sépulcre.
Il sera toutefois utile d'indiquer sur quelles bases ont été établis les plans correcteurs
annoncés.
(3} Encore étrange que son
est-il autopsie » ne lui ait fait constater aucune des traces
..

intéressantes qui en subsistent, sur rarcluvolte de l'ancienne porte et dans une voûte du
Calvaire, ainsi qu'au tympan du portail méridional. Il en connaît l'existence seulement par
M. de Vogïié. Ses théories d'autre part inspirent par endroits une certaine inquiétude. Pour
documenter certains types iconographiques dans l'ère de Justinien, il cite volontiers Heisenberg
qui date de cette période la décoration de l'église des Sainis-.\poires à Constantinople réalisée
par Eulalios et décrite par Nicolas Mésaritès; voir par ex. p. 251, 278, 288. 302, 32G. Or il semble
assez bien établi, par N. Bées, que cette décoration, dans son ensemble, ne date que du xn«s.
Cf. 'Stihifaitii. Theolofj. Liierat., 1918, n" 14, col. 17C s.
RECENSIONS. 281

et jamais le moindre croquis ni la plus minime photographie de comparaison i;?


L'érudition scientifique n'est pas un banal classement de fiches libellées tant bien
que mal à travers de hâtives lectures, mais suppose un peu de critique et surtout
le plus possible de précision. L'érudition de M. S., qui a visiblement beaucoup kb
ne se révèle manifestement pas assez soucieuse de simple précision matérielle pour
inspirer une bien solide confiance dans l'acribie de sa critique (2;. Son volumineux
ouvrage sera donc, au total, beaucoup plus encombrant qu'utile.
M. Dalman le tient, au contraire pour < un ouvrage monumental, digne de la

(I) Je ne doute pas que tout lecteur allemand u'ait la claire vue île ce qu'est la saillie des
portails romans dans les écoles de Poitou. Saintonge et Guyenne dés qu'il a lu la kyrielle
• so... in Petit Palais, Escliillois, Civray, Aulnay, Orcival. Loupiac, Gensac... > (p. -208). Même
après un contrùle laborieux dans les répertoires, je ne suis pas très persuadé que S. ait aligné
ainsi les exemples le mieux caractéristiques. Tout se peut comparer à tout par cette l'orme
trop peu « approfondie •>. Et peut-on faire ainsi crédit absolu au diagnostic de l'auteur quand
on le voit naïvement bourrer certaine documentation érudite avec une documentation qu'i
déclare lui être demeurée inaccessible? Voir par exemple p. i'H, ioi}, 40", ce qui n'empêclie pas
de citer titre,volume et page!
(•2; Voici, à simple Dn d'écliantillonnage quelques spécimens de titres estropiés relevés au
liasard. P. o, Uistorical reviev [lis. review]. — G, Itinera Hierosolymatana, qui a pour pendant,
[). i4o. Ilia. Hiersol. —
7. Rec... de mémoires. — 3i. La ptise de Jér. par les Perses en i6li
[lis. 0141. — 4.J, Echo de l'Orient [lis. Échos d'Orient]. — 89, bibliographie des Croisades. — 108,
Mommert, Golgatha, et p. 164 Golgotha. — lOi», Rec. des voy. et de mémoires. — M", Kapelle
Sancto Sanctorum racheté, p. 300, par trésor du Sancta Santorum. — 164, Horn, Ichnorjraphia .

et Icknographiae. — 2-23, Jérusalem..., dont le défaut d'accent est compensé, p. i3l, par L'archit.

religieuse, et p. 256, 280, Un Musée Palestinien. — 207, Publikalions of an Amerikan...; cf. 378,
Public... of an Amerikan. —273, ZDPZ, et 348, M. u. X. S. sont de petits rébus allemands pour
ZDPV. et M. u. X., S[eite]. —286, Rassegna Gregoriane. — 288, Hist. de l'ot byz. — 314, Omont,
Évang. avec miniat. byz. de rXI*" siècle. — 347, A travers de Jérusalem. — 36.^, The Site... Iwly
Sépulcre [lis. Sepulchre]. —380, Bulletino di archéol... — 400, The sociely for the promotion
of Hellenie studies. —
4.50, George,... Church of Sle Irène [lis. of Saint Eirene. — 438, Ebersolt,
Le gr. Palais... et le livre de cérémonies. — 472, Rosintal, Pendentifs, Trompen und Salaktiten.
— 483, Altar, israelit. in Religion. — i87 Syrie Contrale. — 489, Die Menastadt, Kaufmann
écrit, sauf erreur, Die Menassiadt. — Un des li\Tes le plus cités est Diehl, Manuel d'art byzan-
tin; mais par un sort fatidique attestant bien que Sclimaitz n'y regarde pas de si près, il
devient généralement Manuel de l'art byzantin — ce qui n'est plus du tout vrai! — et p. 221,
Manuel de l'art byzantine. —
Comme de juste, les auteurs n'ont pas un meilleur sort que les
livres. P. m, Heisenburg est pour Heisenberg. — 93, Leskin = Lesken. — 89, Qu'est-ce que
Le Quin/ — P. 137, ScliOnewolf et Schonewulf. — 171, Horn devient Horus, et p. 180, Hores. —
174, Le Comt Durieu manque d'un e que Cabrole ip. 32i) a de trop. — 360, Gèrmer-Durant
[Durand] et p. 438, Quichérat se reconnaissent tout de même. — 379, Benziger = Benzinger.
— 411, 468, 47i, Strzykowski et 413, Lankoronski sont des nouveautés, mais assez claires. —
«3.J. Bosset = Brosset. — 439, Tierscli = Thierscli. — 481, Pietscliann = Pielsclimann. Le plus
malchanceux est ce pauvre anglais Hasluck, travesti en Husack (p. 4.j,j) pour devenir Haseluck
p. 464) et Haseluk dans la Table, qui d'ailleurs n'a qu'un renvoi a cet auteur. Mais il en
manque tant d'autres dans ces Tables! et que d'autres découvertes fera celui qui y prendrait
intérêt! Bien entendu, lé texte est à l'avenant de la documentation. Par ex. : p. 71, hewn aut.
— 200, Domaine Royale. —209, traveauc — 220, art Muselman, cf. 38-5. — 348, churche et
Bedeutnng. — 352, In =
in?. —
a53, Gol-:} est un petit rébus où le 3 doit passer au chitTre de la
page. — 374, hâte n'est-il pas pour halte? — 407. Christeutum. — 430, byyantinischen. — 4.31,
eider = leider, et Denkmdier doit être Denkmdler. — 459, Massigkeit n'est-il pas pour Mâs-
sigkeit? \ebensehiffe =
Xebenschiffe. On trouve quantité de noms sous des (ormes bizarres,
du type Si Philibus de Tournus [>. 201), Xotre-Dame-des-Domes in Avignon (p. 212;, Baabek
p. 228), Aelia Capilelina (p. 3.52). Biubirkilisse (p. .388) qui est compensé par Buibirkilisse
p. 't2l , Backhus (p. 421 et Bakchos (p. 466;. jsis p. 480, doit être pour Isis; mais le calife Moy
p. 88 ,
qui le connaît? Je soupçonne Mo'iz. Plus déplorables encore sont en général les trans-
criptions de l'arabe. Ou je me trompe fort, ou M. Dalman, qui excelle là dedans, n'est pas
très fier de son pupille sur ce point. Sans raffiner, on trouvera que des formes telles que
Abu-Rosch (183), Kalat Sirnan (possim). Cm mes-Seetun 473), ou quelque terme commun
tel que mighrab (469, 470, 471) sont de beaucoup les pires qu'on puisse adopter. Des lapsus
du genre Grabeskirche in Belhlehem (p. 2-32; ne sont pas assez rares et je ne sais si la valeur
littéraire de ce livre allemand est accrue par l'incroyable quantité de mots français qui
émaille une inûnité de pages, parfois sous des formes un |)eu inattendues, v, g. tendenziôs (71),
eklatant (15.5), Konservierung l\G'), prekâre flOl), flankieren (220), etahlieren (364), stabilen (384),
postulierl (393), Domâne (407). Mais à quoi bon choisir? Ils sont trop! et ceci reprâsentiert (401)
uu phânomen (S'il; linguistique speciell (482) dont la raison m'échappe.
.

2S2 REVUE BIBLIQUE.

Mère des églises et de l'Allemagne, très honorable aussi pour l'Institut évangélique
allemand d'archéologie à Jérusalem (1 »... Affaire de goût!
III. — Quand Tarchéologie est traitée, en Allemagne, par de vrais hommes du
métier, elle est singulièrement plus remarquable. L'ouvrage de MM. Kohi et Wat-
zinger sur Les antiques synagogues de Galilée a tout ce qui manque à Mater eccfe-
siarum, un beau livre, attrayant et utile. Depuis trois quarts de siècle
et c'est

ces remarquables monuments avaient retenu l'attention des explorateurs. Des relevés
partiels et des descriptions plus ou moins compétentes en avaient vulgarisé la

notion sans que nulle recherche systématique ait enregistré leurs restes avec la
précision voulue pour éclairer sur leur exacte nature et leur caractère esthétique.
En 1905 la Société orientale allemande envoyait en Galilée une mission scientifique
composée de MM. Rohl et Hiller architectes et de M. le prof. Watzinger pour
l'étude archéologique. Des fouilles assez développées à Tell Houm, achevées ensuite
par les PP. Franciscains possesseurs du terrain, permirent un relevé fondamental

de ce qui semble bien avoir été sinon le type, du moins le plus monumental édiûce
de tout le groupe. Dix autres synagogues galiléennes (2) furent examinées et déblayées
dans la mesure nécessaire pour ressaisir leur ordonnance générale et enregistrer

les éléments caractéristiques de leur architecture. En 1907 Kohi et Watzinger


complétèrent par une rapide exploration nouvelle leur première documentation.
Un text-e limpide, technique autant qu'on le pouvait souhaiter pour ne rien laisser
sans explication dans les faits archéologiques, mais exempt de toute spécialisation
affectée, commente
très copieuse illustration
la —
relevés excellents de Kohi et
phot. de Watzinger. La grosse moitié de l'ouvrage (p. 1 à 137^ met ainsi sous les
yeux le détail complet des monuments.
Le commentaire artistique et historique est fourni par AV. dans la seconde partie.
Situation, ordonnance générale, éléments de structure et formes décoratives font
l'objet de monographies très attentives et informées d'une manière impeccable. A
l'exception peut-être de synagogue d'Oumm el-Qawît'ir, située à Torient du lac de
la

Tibériade et qui semble se distinguer par quelques traits particuliers, toutes les
synagogues proprement galiléennes constituent un groupe d'une homogénéité par-
faite. Formes architecturales, motifs ornementaux et composition décorative portent
l'empreinte manifeste de l'art païen dans la Syrie romaine à l'époque des Sévères.
Une discussion extrêmement précise et documentée de manière à forcer la convic-
tion autorise même AY. à définir plus strictement cette époque en la réduisant aux
règnes de Septime-Sévère et Caracalla. c'est-à-dire entre la dernière décade du

second siècle premier quart du nie ap. J,-C. L'examen de la tradition littéraire
et le
judicieusement critiquée apporte au surplus son utile appoint aux conclusions dédui-
tes des faits artistiques.
Le groupe entier a surgi dans l'espace d'une génération (3), réalisé par des maîtres
d'oeuvre locaux et des ouvriers juifs sur les plans d'un architecte syrien qui emprun-
tait ridée fondamentale de son type à la basilique hellénistique et qui s'était initié
aux formes classiques sans en posséder toutefois le sentiment profond. La physiono-

1) Dalmas, ZDPV.. 191t), p. lOG.


(-1) KérO.zeh, Irbid. Oumm el-'Amed, Meiroun, Kefr Bir'im, Xébratehw el-Djis, ed-Dikké,
Oumni el-Qanâtir et kh. Semmâqah.
(3) En quelques sites seulement il y a eu des inteiTuptions et des reprises
qui rendent compte
des nuances de style. A ïell l.loum en particulier, le portique est probablement une addition
du ni'- siècle ;p. 173;. Mais dans l'ensemble ces édifices attestent une étroite parenté avec les
temples de Sanamin, Moviennef. 'Atil, Qanawâl, palais de Ctiaqqa. édifices qui datent tous
des derniers Antonins et surtout de Septime Sévère et Caracalla cf. p. I6i
RECENSIONS. 283

mie eu quelque sorte toute païenne de ces édifices avait frappé depuis longtemps:
elle éclate avec une beaucoup plus vive intensité depuis les travaux de la mission

allemande et M. W. a pu accentuer qu'absolument rien ne trahit ici l'évolution quel-


conque d'un art autonome^uif, ni aucune forme architecturale particulière (p. 172 s.)
et le fait est à retenir une bonne fois. D'autre part, dans le répertoire ornemental

assez varié, à côté des éléments en quelque sorte vides de caractère religieux strict
et que la symbolisme juif pouvait facilement adopter —
rosettes, figures géométri-

ques, palmier, couro:mes, aigle, lion, —


ou d'emblèmes nationaux caractéristiques
— chandelier à sept branches, vase à huile, éerin de thorah « les figurations — ,

humaines occupent un rang étonnamment considérable » (p. 199); on y trouve même


quelques scènes empruntées au cycle dionysiaque 200). Le caractère connu du
judaïsme galiléen ne permet pas d'expliquer cette contravention à la prohibition reli-

gieuse par le laxisme de communautés trop hellénisées, qui auraient estimé pouvoir
tourner la loi moyennant quelque interprétation symbolique. De cette réelle anti-

nomie \y. fournit une solution très satisfaisante. Le groupe des synagogues a une
origine en quelque manière officielle. C'est sur l'ordre et probablement aux frais du
gouvernement impérial que les communautés juives galiléennes ont été dotées de
ces monuments religieux dont elles n'eussent apparemment pas été en mesure elles-
mêmes de la dépense et qu'elles ne pouvaient, eu tous cas, ériger sans
couvrir
une autorisation administrative. Un architecte impérial a donc dressé les plans et
la main-d'œuvre locale juive a dû s'y conformer, non sans s'offusquer probable-

ment en silence des éléments anti-religieux, du point de vue légal juif, que l'ar-
tiste n'avait pas pris garde d'éliminer. Du mêiue coup est expliquée en toutes ses

caractéristiques d'aspect disparate l'architecture des synagogues, comme aussi la

mutilation intentionnelle et probablement, dans une très large mesure, antérieure à


l'islamisme, de toutes les représentations animées dans la décoration sculpturale.
Aussitôt disparue la dynastie impériale à qui on était redevable des somptueuses
fondations, l'orthodoxie chatouilleuse des communautés juives de Galilée supprima,
plus ou moins radicalement suivant les milieux, tout ce qui la choquait dans ses édi-
fices religieux fp. 203). En un chapitre final extrêmement suggestif est rapidement
examiné le rôle qu'apu exercer le type « synagogue » dans la constitution de la
basilique chrétienne La synagogue était ,1a première adaptation de la basilique
(1).

hellénistique aux exigences religieuses d'une communauté non païenne. Les nuances
qu'elle avait fait introduire dans l'ancien thème classique étaient imposées par les
usages auxquels elle allait pourvoir. Quand, un siècle plus tard environ, le christia-
nisme triomphant aurait à se pourvoir de monuments en rapport avec son culte, le
problème que ses architectes allaient avoir à résoudre était singulièrement analogue
à celui d'où était résultée naguère la synagogue. Et pourquoi ne pas admettre que la
solution déjà depuis longtemps réalisée put exercer son iulluence sur la solution
chrétienne ? Ceci ne devint pas la copie quel(]ue peu modifiée de cela; mais pour
modifier à son profit l'ordonnance de la basilique classique l'architecte constantiuien
put se guider, et vraisemblablement se guida sur la transformation qu'en avait
opérée l'architecte des synagogues. L'analyse très pénétrante de Watzinger montre

(11 Comme s'il avait |>révu qu"il serait lu avec plus ou moins d'attentive compréhension,
Watzinger insiste à dire dés le début (p. 219;, qu'il ne s'agit pas de faire dériver la basilique
chrétienne en droite ligne de la synagogue. Schmaltz (Mater.... p. 40;i). qui connaît cette théorie
seulement de seconde main, ne manque pas de l'interpréter en ce sens et de ferrailler conU-e.
En recourant à ce beau livre, paru deux ans avant le sien, il eut pu apprendre, avec la vraie
nuance sur ce point de détail, ce qu'est la vraie méthode archéologique e beaucoup d'autres
informations directement utiles à son sujet.
284 REVUE BIBLIQUE.

le lien étroit qui rattaclie au thème hellénistique primordial, ou plutôt tel que l'avait

réalisé Tart syrien de l'époque des Antonins, d'une partie monument juif du temps
des Sévères, d'autre part l'édiûce chrétien de l'ère constantinienne sous la double
forme de la basilique sans galeries supérieures du type Bethléem avant le rema^—
niement du vi^ siècle —
et avec un ordre supérieur et des galeries du type Mar- —
tyriam au Saint-Sépulcre. La synagogue intervient ainsi comme une sorte de chai-
non dans une évolution artistique beaucoup plus normale et plus humaine. Ce ne
sera pas le moindre mérite de ce remarquable ouvrage d'avoir donné un solide fon-
dement technique à ce point de vue déjà envisagé théoriquement à diverses reprises,
quand on a cherché les origines de la basilique chrétienne (1).

Jérusalem, 15 décembre 1919.


L. H. VINCE^T. O. P.

(li Voir par exemple G. Leroux, Les origines de l'édifice hypostyJe..., j). 33-2, qui l'attribuait

déjà à M'' Ducliesne dès 1893. Avec la seule documentation scientifique alors accessible sur les
synagogues, Leroux se montrait peu impressionné par leurs relations structurales d'une part
avec la basilique hellénistique, d'autre part avec la basilique clirétienne [op. L, p. 234 s., 3-22 s.).
S'il n'avait malheureusement été victime de la guerre, on peut s'attendre qu'il modifierait
aujourd'hui son point de vue. Peut-être même nuancerait-il sa très fine distinction d'un double
type basilical grec : —
développé en longueur et oriental — —
développé en largeur [Les ori-
gines..., p. 280 ss.\ qui semble déjà pratiquement mitigée dans sa monographie sur Les égalises
syriennes à jjortes latérales... {Mélanges Holleaux, 1913, p. 115 ss.). Watzinger lui oppose en

effet [Synag., p. 178, n" ) que la double lorme se pourrait justifier par une simple conséquence
de placement par rapport au Forum par exemple. En ce qui concerne les anciennes basiliques
chrétiennes, cette ordonnance imposée par le site est absolument évidente dans la basilique
eudocienne de Siloé (cf. RB., 1897, p. 300), qui n'a pas ou la chance d'attirer l'attention dans
cette discussion. Mais ce n'est pas le lieu d'y entrer et il s'agissait uniquement de donner quel-
que aperçu de la variété des questions étudiées et de la richesse des informations fournies par
Watzinger. —
Je n'ai observé que trois inexactitudes dans ce livre dont l'exécution matérielle
n'est pas moins parfaite que sa haute tenue scientifique. P. 91 1. 1 nTrTH IpUJn, lire rnn :

^Pïl?n. —p. 138, n. I, 1. 3 : iMastermann. lire Masterman. — P. l".';, I. 10 d'en bas • Pausanias
vi .;, 2, lire Pausanias X, ."i, 2.
BULLETIN

L'exégèse biblique en Allemagne durant la guerre. — Je dois confesser


tout d'abord que je dois beaucoup de renseignements à la Theologische Literalurzei-
luiig, fondée par MM. Emile Schùrer et Adolphe Harnack, et qui n'a pas déchu sous
la direction de MM. Arthur Titius et Hermann Schuster. Le développement consi-
dérable des études exégétiques ou eu général bibliques leur vaut une grande place
dans les recensions, et leur assure aussi des recenseurs compétents. L'objectivité des
analyses est très sûre. Ce n'est pas que je m'en croie autorisé à juger personne sur la
parole d'autrui; mais le recenseur étant souvent un maître, son impression n'est pas
moins un signe des temps que les oeuvres elles-mêmes, qui sont parfois des débuts.
Dans le croisement des idées, avec un renouvellement constant des systèmes, il est
difflciie à un étranger de s'y reconnaître, encore plus de tracer des limites exactes.
Je n'aurai pas cette prétention, sans renoncer à orienter nos lecteurs sur les princi-
pales tendances.
La Theologische Literaturzeitung a naturellement souffert de la guerre. Le nombre
des colonnes, de 688 en 1914, a passé à 560, 400, enfin 240 en 1918. A partir du
9 juin 1917 elle a paru ornée (?) d'une sorte de symbole qui me paraît être une
réduction graphique du monument de Leipzig. Ce signe a disparu après l'armistice.
11 est juste de dire que les recensions n'ont presque rien laissé paraître de l'état de
guerre. La tenue en est demeurée parfaitement digne. Il semble même que les catho-
liques ont bénéficié quelque peu de l'union sacrée qui a régné aussi là-bas. Au même
dédain suprême de leurs conclusions, qui sont censées dictées d'avance et dénuées de
toute originalité, les recenseurs ont affecté de joindre les considérations les plus
courtoises sur les bonnes intentions des auteurs, leur compétence philologique, l'exac-
titude des détails.
Xous avons eu notre littérature de guerre, qui a produit d'admirables livres, les
lettres surtout des combattants, celles d'un Pierre Maurice Masson, d'un Cochin,
d'un Jean Saleilles, de tant d'autres qu'il y ait eu beaucoup de
: mais je ne crois pas
sermons de guerre imprimés, bonne raison que l'autorité ecclésias-
et cela pour la

tique engageait à soutenir et à consoler les âmes sans faire des prédications de
guerre ex professo. Elles ont été si prodigieusement abondantes en Allemagne, sur-
tout chez les protestants, qu'elles ont créé uu genre qu'il a fallu étudier lui aussi,
selon le goût de la race pour les classifications. C'est ainsi que dès l'anuée 1915
M. Koehier a pu étudier huit cents prédications de guerre protestantes [i).

1. Die deutsche protestant ische KricQspredigt, Giessen,


286 REVUE BIBLIQUE.

L'année 1917 étant celle Réforme, une abondante


du quatrième centenaire de la

littérature a gloriûé Luther, regardé par l'incarnation du


les protestants comme
génie religieux national. Les catholiques ont répondu eu montrant la dispersion des
idées luthériennes, équivalant à la négation de son symbole par la majorité des pro-
testants. El comme l'année 1919 amenait Tanniversaire de la Réforme suisse de
Zwingli, ce fut un déluge de brochures, sermons, conférences à la louange des réfor-
mateurs.
D'ailleurs on ne se montrait pas exigeant sur la doctrine.M. Zurhellen, mort à la
guerre, a publié sous le nom de Héros et Saints du protestcmtisme l), une histoire
(

de la piété évangélique en discours religieux. Les guides spirituels du protestantisme


sont Luther, Calvin, Paul Gerhardt, ïersteegen, Lessing, Schiller, Schleiermacher,
Wichern (2). On croit rêver en lisant Schiller, et surtout Lessing. Le recenseur.
M. Nicbersall de Heidelberg, ne trouve pas mauvaise cette macédoine « Ces prédi- :

cations sont donc le triomphe du protestantisme moderne qui se sent à l'aise partout
dans la vie religieuse et qui se dégage de toute étroitesse dogmatique. » Alors pour-
quoi exclure Goethe, la seconde incarnation da génie allemand, et certes plus révé-
lateur de beauté que Luther? On y est venu. M. Jaeger a écrit sur le christianisme
de Goethe (3), et a su accorder lepanthéisme du grand païen avec le théisme de
Jésus.
Dans cette explosion de foi protestante, on eût eu mauvaise grâce à nier l'exis-
tence de Jésus. M. Arthur Drews était retourné déjà à ses études de philosophie (4;.

Cependant le bouddhsme n'a pas désarmé, et je me demande — simple parenthèse,


et question de pure curiosité, — pourquoi ce qui regarde l'Inde est toujours au
premier rang dans les colonnes de la Th. Lit.-Zeitung?
Tout cela soit dit — sans parler de la guerre elle-même — pour expliquer que la

production biblique a sensiblement dimiimé. Et disons aussi que la qualité surtout est
inférieure, sans même entrer ici dans l'examen des doctrines. Aucun mouvement nou-
veau, aucune découverte sensationnelle, aucune étude faisant époque. Chacun est resté
sur ses positions, et au lieu de les soutenir ou de les porter en avant au moyen de gros
livres, on s'est plutôt préoccupé de répandre dans le public les opinions de l'école.
De sorte que, si je ne me trompe, le nombre des brochures ou des livres à la quantité
de pages restreinte a plutôt augmenté, ou du moins s'est maintenu tel qu'il était avant
la guerre, car alors ce procédé de vulgarisation était déjà fortement en train.

1. Écrivains catholiques.

La- maison Herder de Fribourg-en-Brisgau a continué la publication de la


Biblische Zeitschrift, sous la direction de MM. Gdttsberger pour l'A. T. et Sicken-
berger pour le Nouveau. On sait qu'elle est notablement plus progressiste que les

Biblische Studien, dirigées par Ms"" Bardenhewer, qui ont aussi fourni quelques
monographies.
A Paderborn, on semble s'occuper surtout des origines chrétiennes. La maison
Schôningh a édité d'excellents travaux. De M. Wohleb, un peu avant la guerre, une

(1) Helden und Heilige des Protestantismus, Tïibingeu, 1013, recensé année lOKJ, c. -2S1-28-2.
(2) Parmi ces noms, ceux de Tersteegen et de Wichern, les moins connus iieul-ètrc de nos
lecteurs, sont assurément les plus recommandables.
(.3) Das Christentum Goethes, 1916.
(4) Gtschicltte der Philosophie, Band VII, Berlin, 1!)13.
BULLETIN. 287

étude sur la traduction latine delà Didaché (l); il ne la croit pas plus récente que le

iii« siècle, mais, révisée arbitrairement, elle n'aurait pas grande importance pour
l'établissement du texte. M. Schermann a traité de l'ancienne discipline de l'Église (2).

Il faudrait citer tout ce qui a paru dans les Recherches relatives à la littérature chré-

tienne et à l'histoire des Le fascicule 3 du vol. XII contient « la doctrine


dogmes (3).

des anges chez les apologistes grecs du second siècle, et ses relations avec la démo-
nologie gréco-romaine », par M. Andres^4). L'ouvragé a été loué très explicitement
par M. Geflfcken qui était ici sur son terrain. L'exégèse proprement dite est repré-
sentée par commentaire de la Genèse, par le R. P. Dier, des Frères Prêcheurs,
le

assez malmené par M. Holtzinger, quoique le recenseur ait été déridé par une cita-
tion du R. P. Hetzenhauer sur Gen. 48, 15 Angélus non est Angélus Custos sed ipse
:

Deus qiiemadmodum S. Chrysostomus, Dillmann, Hummelauer, Hohinger aliique


docent (5).

Mais le foyer le plus actif des études bibliques progressistes paraît bien être à
Munster. Deux collections sont éditées par la maison Aschendorff. Les Biblische Zeit-

fragen, que je ne sais comment traduire (actualités bibliques?) se sont succédé rapi-
dement, et traitent en peu de pages de tous les problèmes controversés dans l'exé-
gèse protestante. Des spécialistes distingués ne dédaignent pas de rédiger ces tracts,
évidemment destinés à prémunir les cathohques contre l'influence de l'exégèse
indépendante. Nous ne saurions en dresser le catalogue. Les noms de MM. Dausch,

Nikel. Faulhaber, Euringer, SL-huiz, Meinertz, Sanda, Heinisch, qui ne sont pas
inconnus de nos lecteurs, les recommandent assez.
A côté et on peut dire au-dessus « de ces questions bibliques controversées de
notre temps » une double série contient des traités sur l'Ancien et sur le Nouveau
Testament, sous la direction de M^I. Nikel et Bludau. Ces dissertations s'étendent
M, Stummer une étude très soignée sur le
aussi sur les matières voisines. Citons de
texte araméen d'Éléphantine contenant des fragments de l'histoire d'Ahikar (6). Les
lectures de M. Sachau ont été revisées sur les originaux. M. Stummer admet une
origine assyro-babylonieune, ce que M. Kœnig confirme par le nom même de Nadan,
le neveu ingrat. M. Monse a abordé la comparaison de la doctrine de saint Paul avec

celle de saint Jean (7) dans le sens de la conciliation, tout en mettant en lumière les
dilTérences,
Nous aurons plus tard occasion de signaler plus longuement d'autres travaux impor-
tants(8). Le lecteur curieux nous pardonnera aisément d'insister surtout sur l'exégèse

indépendante. L'esprit humain est ainsi fait qu'il préfère le récit des accidents et
autres faits divers à la description d'une vie tranquille. Incontestablement la hberté
d'allure qui s'est fait jour au sein de l'orthodoxie protestante a sa séduction. L'explo-
ration, les aventures, au risque de s'égarer, ont leur charme, et c'est l'attrait qui
s'exerce encore très puissamment en dépit des expériences fâcheuses que chacun de
ces chercheurs constate chez son voisin. Cette liberté est la loi des études où suffit
l'exercice de la raison. Mais si l'on a compris que pour connaître de la vie divine ce

(1) Die lateinische Uebersetzung der Didache, 1913.


(2) Die allgemeine Kirchenordnung, frûhchristliche Lilurgien uad kirchliche L'eberUefcrung,
1914.
(3) Forschuageti zur christ. Literatur-und Dogmengeschichte.
(4) Die Engellehre der griechischen Apologeten des zweiten Jahrhunderles.
(5) Die Genesis, ûberselzt tind erkldrt, 1914.
(6) Der krilische Wert der altaramdischen Achikartexte aus Elephantrine, 191 i.
(71 Johannes und Paulus, Eia Beitragzur neutestainenlliclie T.heologie, 19l.j.
;8) En particulier la Collection Die heilige Schrift des neuen Testaments de Bonn.
:
288 REVUE BIBLIQUE.

qui est nécessaire au salut on a besoin du secours et de la lumière de Dieu, on pré-


fère une voie plus sûre qu'on trouve dans l'Église. Encore est-il que l'exégèse catho-
lique allemande pourrait faire plus d'efforts pour connaître mieux les systèmes de
nos adversaires. Cela lui serait plus facile qu'à nous. Or il ne semble pas qu'elle ait
marque sa voie dans l'ordre pureraeut historique ou philologique de ces travaux qui
forceraient l'attention générale. Signalons cependant un certain empressement dans
le domaine des recherches orientales, où MM. Karge et Mader '1 viennent de
prendre une place honorable et dans les études assyriennes où se distinguent les
E.R. PP. Witzel (2i et SchoUmeyer Si le R. P Landersdor-
des Frères-Mineurs, et
ier[4], de l'orire de Saint-Benoît. Ce dernier a essayé d'utiliser pour la Bible la
question sumérienne -41.
Je n'ai pas nommé M. l'abbé et Docteur Miisil (-5 infatigable explorateur des
,

régions* arabiques, parce que ses travaux sont antérieurs à la guerre. Il appartenait

à l'Autriche. A Vienne on a continué la publication du commentaire succinct et


scientifique de l'A. T. qui parait sous la direction de M?' Schafer et de M. E. Nagl.
Le livre de Josué de M. Schenz a paru en 1914 (6).
Une autre collection a débuté à Vienne en 191.5 sous la direction du R. P.Schlœgl (7;,

dont nos lecteur? connaissent les études sur la métrique hébraïque (8). Il a édité

en 1915 les Psaumes et Isaïe. Mais ici nous n'avons guère que la traduction avec
des introductions. Le R. P. Schlœgl soutient l'authenticité de tout Isaïe, sauf
quelques légères additions.
Il va sans dire que l'exégèse autrichienne est encore plus conservatrice que celle
des Allemands catholiques.
Avant de quitter ces derniers, il faut encore rebatlre les oreilles du public
français de ce mot d'organisation, qui devrait le faire réfléchir au lieu de l'exas-
pérer. Les travaux de IMM. Karge et Mader ont été entrepris grâce aux libéralités

de Gorres-Gesetlschaft, qui ne se contente pas de fournir les fonds nécessaires


la

pour les études et les voyages, mais qui édite les livres ou du moins y coopère,
même en dehors du domaine religieux catholique (9). L'Autriche avait la Leo-
Gesellschaft.
Rien de semblable en France? JNIais si, il existe qui la connaît? —
une société —
d'encouragement pour les études du Clergé, fondée, si je ne me trompe par l'ini-
tiative du Card. Perraud, et dirigée actuellement par M. Pautonnier, directeur du
collège Stanislas et M. Jordan, professeur à la faculté des Lettres de Paris. Mani-
festement nous sommes menacés de la crise du livre sérieux, surtout du livre muni

1) La R.evue reviendra sur ces travaux.

[-2) Keilinschinftliche Studien. In zwangloser Folge crscheinende Abliandlgn. aus deni


Gebiete der Keilscluift-Literalur, insbes. der Sumeriol ie, Heft. L Leipzig, dlMS.
^

(3; Sumerisch babylonische Hymnen und Gebetc an Saniai, Paderborn, 1912.


(4) sumerische Frage und die Bibel, Miïnster, 191". Moins prudent que la Revue biblique.
Dif.
ie P. Landersdorier a pris pour argent comptant l'interprétation et la lecture de M. Langdon
sur le déluge et la chute, du premier homme.
;5) Uevenu à Jérusalem pendant la guerre, M. Musil n'avait pas le loisir de poursuivre des
explorations scientifiques. Je prends cette occasion de reconnaître' que l'intervention des
Autrichiens à Jérusalem a constamment été favorable aus intérêts catholiques auprès des
Turcs leurs alliés.
(6) Das Buch Josua eikUirt, dans le Kurzget'asster vviss. Koœmentar zu den
hl. Schrilten des

A. T. I, -2.

(-) Die heiligen Schriflen der Allen Bundes, unter Mitwirkung von Fachgenossen hrsg.
V. Prof. Dr. Sivard Joh. Schloegl, G. Cist. III Band 1. Die Psalmen, 1915: IV Band Jem-ja, 19ir,.
(8) RB., 1914, 30i.
(9] Par exemple Studien zur Geschichle und KuHur des Allertums.
:
im Auftrage und mit
L'nterstutzung der Goerres-Geselisciiart lierausgegebeu.
BULLETIN. 289

des illustrations nécessaires. J'avoue que je plaide un peu pro domu, car si nos
publications ont été jusqu'à présent assurées par la faveur du public et les plus
coûteuses par les subventions de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
nous entrevoyons un avenir menaçant. Et enfla ily a les débutants qui ne pourraient
compter que sur une société bénévole. Si le, public aidait cette société, et si elle-
même était sévère quant au choix des livres à imprimer, on pourrait en attendre
un notable progrès des études ecclésiastiques en France. Elle pourrait même étendre
ses libéralités à l'étranger, comme a fait l'Institut biblique pontifical, qui a donné
les moyens de publier leurs ouvrages à des auteurs français, italiens, allemands et
autrichiens qui sans cette subvention auraient dû les garder en portefeuille.

2. Écrivains juifs.

L'événement des dernières années est l'essor pris par l'exégèse juive dans le sens
le plus conservateur. Jusqu'à présent les Juifs qui s'occupaient de la Bible, formés
dans les milieux universitaires non catholiques, figuraient assez souvent parmi les
critiques radicaux (t). Il était même assez difficile de les distinguer. Les Juifs
Talmudistes concentraient leurs efforts sur lamidrachîm et autres
littérature des
ouvrages rabbiniques, essayant même d'initieraux charmes de la
les profanes
poésie juive depuis le moyen âge. Ils continuent, et nous leur demandons de con-
tinuer. Ils y sont d'autant plus obligés en conscience qu'ils reçoivent assez mal
ceux qui essayent de pénétrer dans leur maquis. Il n'est surtout pas facile de
suivre l'histoire de leur liturgie.11 faut donc remercier M. Elbogen d'avoir traité

ce sujet, pour lequel on en était réduit aux volumes de Zunz [2). Son ouvrage, qui
a eu la meilleure presse, a été édité par la Société pour promouvoir la connaissance
scientifique du Judaïsme. Encore une société!
Mais les Juifs ne peuvent cultiver comme ils le font maintenant avec tant de
passion leur sentiment national sans s'attacher davantage à leurs livres saints. Les
temps de l'assimilation sont passés, pour tous ceux qui rêvent du Sionisme. Même
ceux d'entre eux qui n'ont aucune foi positive sont bien obligés de se conformer
aux pratiques religieuses du judaïsme. On s'est donc retourné avec ardeur contre
la critique nouvelle qui mettait en pièces les saints livres. M. Jacob (3) combat

énergiquement la distinction des sources dans le Pentateuque, et son zèle va jusqu'à


soutenir que Joseph n'a pas été vendu par ses frères, non pas en révoquant en
doute le récit biblique, mais en sauvant l'honneur des patriarches par une trop
ingénieuse philologie. Tel financier leur reprocherait plutôt de Lavoir vendu trop
bon marché. Mêmes tendances chez M. Jakob Neubauer (4) qui soutient comme
authentique la prononciation Jehovah pour le nom divin. Après cela on ne s'étonne
pas qu'il fasse remonter les signes voyelles avant notre ère. La grande synagogue
aura encore de beaux jours.
Jeschunm (5), une nouvelle revue mensuelle fondée en 1914. s'occupe de l'exégèse
de l'A. T. M. Dav. Hoffmann y a attaqué en 1917 la critique des sources, ce qui

(1) C'est ainsi qu'en France M.


Maurice Vernes a dépassé toute l'Allemagne au jeu de rajeunir
les prophètes. Il est revenu depuis sur cette opinion.
(2) Der jûdische Gottesdiensl in seinev geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1913.
(3, Qwellenscheidung und Exégèse hn Pentateuch, Leipzig, 4916.
4: Bibelwissenschaftliche Irrungen. Ein Beitrag znv Kritik der alUestamentL Bibelkritik an
der Hand e. gerichtl. theolog. Gutachtens. Berlin. 191".
[h) Monatschrift filr Lehre und Leben im Judentum. éd. Dr. J. Walilgemutli, à Berlin.
REVUE BIBLIQUE 1920. —
T. XXIX. 19
290 REVUE BIBLIQUE.

n'empêchait pas ce bulletin de manifester le patriotisme allemand le plus intransi-


geant de stigmatiser l'hypocrisie sacrilège du président Wilson.
et

Le judaïsme, si puissant à Vienne, a voulu rivaliser avec Berlin, et a fondé la


revue mensuelle « le Juif» (1). Ce bulletin reconnaît M. Ginzberg pour le fondateur
ou du moins le il proclame que la renaissance du
chef du Sionisme spirituel; peuple
juif n'aura lieuque dans sa patrie historique. A quoi un juif de New-York répon-
dait qu'un nègre Américain retournant à Libéria ne va dans la direction du progrès
ni des lumières. Peu flatteur pour nous Palestiniens! Mais nous nous demandons,
comme les autres, en quoi le peuple juif a contribué au bien de l'humanité, si ce n'est
par sa religion, et s'il prétend l'imposer au monde soit dans son état ancien, soit

enrichie par les commentaires talmudiques.? Le monde moderne va à l'utile, aux


sciences qui transforment la vie, et qu'il veut apprendre vite; il n'a pas perdu tout
attrait pour la beauté. Et Ton nous ofTre le Talmud On nous promet
! des ouvrages
scientifiques eu hébreu!

3. Parmi les protestants ou les indépendants.

A. Les conservateurs protestants forment un groupe assez distinct et toujours


actif. Dans le domaine de l'Ancien Testament les vieux maîtres Koenig et Rittel
tiennent bon, rééditent leurs ouvrages et en composent de nouveaux. Ce n'est pas
qu'ils refusent d'admettre les conclusions littéraires de Wellhausen. Koenig lui-même

y a adhéré dans une large mesure. Mais il se préoccupe énergiqueraent de maintenir


la valeur de la tradition et la portée de la religion de l'Ancien Testament. C'est donc

im conservateur comme Koenig qui a réfuté les attaques de Dahse (2) contre la cri-
tique des sources dans une monographie sur la critique moderne du Pentateuque C3).

Et cependant il a publié une seconde édition de son histoire de la religion de l'An-


cien Testament (4), ce qui prouve que ses idées ont encore la faveur d'une partie du
public. L'infatigable exégète a fourni aussi le commentaire du Deutéronome à la série
qui paraît sous la direction de M. E. Sellin (ô), sans modifier la position qu'il avait
prise dans son Introduction en 1893.
Kittel a, lui aussi, réédité son histoire du peuple d'Israël, et pour la troisième fois (6).

M. Nowack (7) hii fait compliment d'avoir tiré profit des fouilles faites au pays de
Canaan. Le commentaire des Psaumes (8) est une contribution nouvelle, des plus
considérables, sur laquelle nous attendons l'appréciation de M. Podechard.
M. Yolz appartient au même groupe, très érudit, mais relativement traditionnel. 11

a donné un important ouvrage sur les antiquités bibliques (9). On peut être certain
qu'il a déployé une extrême diligence. Le chiffre de 97 illustrations ne serait pas

assez, si elles n'étaient accompagnées de 32 tables.


Faute de renseignements plus précis, je place ici la tentative de M. Eichrodt, qui
défend contre les théories critiques de Eerdmans (10^ l'analyse des documents selon la

Der Jude, Eine Monatsclirift éditeur Dr. Martin Buber, Vienne, 1910.
(1) ;

RB. 1919 p. 283, où un prote s'est obstiné à mettre partout Dakse.


(2) Cl".
Die moderne Pentaleuchkritik. Leipzig, 1914.
(3)
(4) Geschichte des AUlestamentlichen Religion, Giitersloh, 191o; la première éd., en 1912.
(5) Dos Deuteronomiitm, Leipzig, 1917. On pourra comparer Hempel. Die Schicliten des Deute-
roiomiums, Leipzig, 1914, qui fait remonter au temps de Salomon le noyau du Deutéronome.
(G) Geschichte des Volke& Israël, Gotiia, 1917.
(7) Theol. Lit.-Zeit. 1918, c. 290.
(8) Die Psalmen, 1914.
(9) Die biblischea Altertûmer, Calw et Stuttgart, 1914.
(10) RB. 1910, p. 619: 1913, p. IH.
BUIXETTN. 291

méthode de Wellhausen (l). Le zèle pour ces sortes de travaux paraissait se refroidir,
aussiM. Holziuger se félicite que « dans la jeune géuéralion on trouve de la volonté
et de la patience pour conduire plus loin tout ce pénible travail (2). » —Ne vaudrait-il
pas mieux renoncer à déterminer avec une précision impossible à réaliser ce qui
revient à chacune des sources qu'on fait toujours plus nombreuses?
C'est encore pour défendre
des sources que M. Baumgàrtel a étudié
la théorie
l'emploi du mot Élohim en dehors du Peutateuque (3). On sait que la première
esquisse du système, due au médecin français Astruc, distinguait les documents selon
l'emploi de Élohim ou de lahvé. Tout le monde 'n'a pas le courage de M. Hoberg (4)
qui trancherait le nœud en supprimant lahvé du texte massorétique. Depuis longtemps
on objecte à la critique qu'elle n'est pas assurée de son fondement parce que les
Septante n'ont pas la même répartition des noms divins et parce que chacun peut
avoir sa raison d'être. Il fallait donc distinguer les cas où Elohim est appellatif et
signifié la divinité, de ceux où il est employé pour le Dieu d'Israël. Cela fait, la cri-

tique pourra attribuer au lahviste même des passages comme Gen. 6, 1-8 où entrent
en scène des Bnê-Elohim.
Dans la sphère du Nouveau Testament, l'école conservatrice suit la bannière de
Zahn, le chef vénéré de la doctrine d'Erlangen. Son commentaire de l'évangile selon
saint Luc a paru en 1913. (-5) C'est un ouvrage de 770 pages très compactes, sur
lequel il faudrait s'arrêter longuement. Et dès maintenant nous aurions à faire con-
naître le commentaire des Actes des apôtres, dont la première partie vient de
paraître (6).
La du N. T. sera donc bientôt terminée. Zahn a pris la part du lion, Matthieu,
série
Luc, Jean, les épîtres aux Romains et aux Galates. M. Wohlenberg, qui avait déjà

donué en 1910 le commentaire de Marc, a donné en 1915 celui des deux épîtres de
Pierre et de l'épître de Jude (7). Il déclare que les trois épîtres sont authentiques :

la 1» Pétri adressée à des chrétiens de la gentilité a été écrite par Silvanus, mais
Pierre qui était alors à Rome, a fourni les pensées. La 2^ Pétri serait antérieure,
environ de l'an 63, et écrite en hébreu à des chrétiens de Galilée. L'épître de Jude,
dépendante de cette dernière, aurait été écrite peu après 70. La seconde épître —
aux Corinthiens ayant été étudiée en 1917 par M. Bachmann (8), il ne reste plus
guère à publier dans cette collection que l'épître de saint Jacques, les trois épîtres de
saint Jean et l'Apocalypse. Cet ensemble a droit assurément aux sympathies des
catholiques pour son respect de la tradition, et nul ne conteste l'éteodue étonnante
de l'érudition de Zahn dans le domaine des écrits chrétiens. Mais l'interprétation
dogmatique est souvent plus éloignée de la nôtre que celle de tel exégète qui rajeu-
nit beaucoup plus les textes, et on souhaite plus de rapprochements avec le monde
somme a paru le christianisme.
extérieur dans lequel en
Bernard Weiss a survécu à son fils Johannes, mort à cinquante ans en 1914.
Moins résolument conservateur que Zahn, on ne peut cependant le ranger ailleurs.

1) Die Quellen der Genesis, von neiiem untersuclit, Giessen, 1910.


(-2;Theol. Lit-Zeit., 1918, c. 70.
(3) Elohim ausserhalb des Pentateuch, Grundlegung zu e. Untersucliung iiber die Gottesnamen
im Pentateuch, Leipzig, 1914.
''(i) Liber Geneseos, rextum liehraicum emendavit. latinum vulgatum addidit Godofredus
Hoberg.
2<^ éd. Fribourg-en-Brisgau, 1917.

(o) Das Evangelium des Lucas, ausgelegt von Tlieodor Zalin, Leipzig, 1913.

(6) Die Apostelgeschichte des Lucas, Erste Halfte Kap. 1-1-2 ausgelegt von Theodor Zahn
Leipzig, 1919.
(7) Der l. und 2. Petrusbrief iind der Judasbrief.
(8;- Der 2. Korintherbrief.
292 REVLE BIBLIQUE.

Il donnait encore en 1914 pour le grand public un exposé sur saint Paul et ses églises,

ou, comme ils disent, ses communautés (1).

JB. L'école que nous nommons libérale, et qui se nommerait plus volontiers l'école

historico-critique formait, il y a quelques trente ans, le gros de l'exégèse allemande


du Nouveau Testament. Pour l'Ancien Testament le libéralisme était plutôt radica-
lisme avec Wellliausen, si bien que la même appellation ne convient pas aux deux
domaines différents. IS'ous ue parlerons ici que de la nouvelle alliance.
Le que l'école libérale est en déroute. Elle s'est trouvée com-
fait éclatant, c'est

promise par le radicalisme de SVellbausen, allié dangereux, qui transportait sur un


terraiu nouveau pour lui ses habitudes de dissection des documents.
Défendant contre lui les déclarations messianiques du Sauveur, elle s'est vue
accusée d'inconséquence et presque de duplicité par les eschatologistes, tandis que
l'histoire des religions menaçait et sa critique littéraire et ses conclusions dogma-
tiques trop rationalistes. Depuis la mort de Henri .Iules Holtzmann il ne s'est trouvé
personne pour reformer les rangs.

M. Paul Wernle, qui d'ailleurs est Suisse, est un maître toujours écouté. Il a écrit
un livre intitulé Jésus (2). Mais ce n'est pas une vie de Jésus. Même pour lui, l'his-
toire se dérobe. Placé, comme le dit agréablement M. Troeltsch (3) avec des substan-
tifs abstraits qui feraient violence à notre langue, « entre la lièvre froide de la moder-

nisation et la fièvre chaude de l'eschatologisme » —


je voudrais éviter Eschatologi-

sicrvn[/. —
il voudrait se frayer un chemin, conserver quelque sentiment religieux
dont Jésus soit un peu l'objet, du moins comme inspirateur, du moins comme modèle.
De même M. Weber, qui a dédié à la Faculté de théologie de l'Université de Halle :

L'étude script uraire historico-critique et la foi biblique (4). Dieu, qui est bien un
Dieu transcendant, s'est révélé dans la personne et l'œuvre du Christ, d'une façon
transcendante à l'histoire; mais la critique historique garde ses droits et l'Église doit
en tenir compte, le surnaturel ne que la gêner.
fait

Peu de chefs suivent Ceux qui veulent quand même garder Jésus comme
cette voie.

idéal religieux, et même comme objet de la foi, sentant que l'histoire est impuissante
à le leur fournir après qu'elle s'est laissé anéantir par la critique, renoncent carré-
ment à l'histoire et se réfugient dans la foi. C'est, je pense, le parti qu'a pris M. le
pasteur Peisker (5) en assurant la foi sur l'expérience, et aussiM. Loofs avec son
livre Qui était Jésus-Christ (6)? Ce passé « était » en dit
:
long. Dans la critique libé-

rale, chacun entend Jésus à sa manière. Il n'y a donc qu'à le déclarer inexplicable
et à le saisir p^r la croyance, quand on peut.

C'est bien ce qu'on a nommé du modernisme un conservatoire sentimental du


:

christianisme. Les esprits qui se piquent d'une indépendance plus complète objec-
tent que le sentiment catholique a les mêmes droits à créer l'objet de sa foi. et
pour eux, ils renoncent à cette illusion. Si haut qne soit l'Évangile dans la sphère
religieuse, ils refusent de s'y absorber, au détriment de la culture, venue des Grecs,
poursuivie par l'esprit moderne, en Allemagne surtout. Le travail de la critique n'est
évidemment pas terminé, l'école historico-critique n'a pas le droit d'imposer ses

conclusions, et s'abandonner au sentiment seul, c'est risquer de tomber dans l'esprit

étroit des sectes : méthodistes, armée du salut.

(1) Paulus and seine Gemeinden, herUo. l'Mi.

(2) Tïibingen, 1916.


(3) TheoL Lit.-Zeit., 191C, c. r.a.

(4) Historisch-kritische Schriftforschung und Bibelglaube, Giitersloli. 1914.


(3) Die Geschichtlichkeil Jesu'Christi und der ckrisUiclie Glauhe, Tùbingen, 1913.
(6) Wer was Jésus CInistus? Halle, 191G.
BULLETIN. 293

Ce sont du moins ou peu s'en faut les réflexions que l'ouvrage de M. Wernle a
suggérées à M. Troeltsch (1).

Si M, Volter avait réussi à prouver que tous les passages où le Fils de l'homme
a un aspect messianique et eschatologique u'appartienneut pas à l'ancienne tradi-
tion (2), il aurait épargné à l'école libérale l'embarras le plus sérieux.
Mais c'est précisément sur ce terrain que les eschatologistes prétendent constater
sa défaite. En tout cas le procédé qui expulse les textes désobligeants marque trop
de sans gène.
C. La méthode dite d'Histoire des religions.
Depuis plus de dix ans, écrivait M. Windisch en 1917, les recherches sur le Nou-
«

veau Testament sont de nouveau sous le signe de l'eligionsi/eschichtlich ;3) ». Le


mot est difficile à traduire en français, l'idée est claire. On est las de construire des
théologies fondements délabrés de la critique histo-
du Nouveau Testament sur les

rique. Il ne reste plus qu'à regarder le christianisme comme une religioii quelconque.
Et si ses origines ont suivi les lois ordinaires, si rien n'est venu du ciel, c'est donc
sur la terre qu'il en faut chercher les éléments. L'n second postulat, c'est de réduire
au minimum l'action personnelle de Jésus. Alors il faut trouver dans le monde gréco-
romain, dans l'ancienne Egypte, à Babylone, dans l'Inde, les traits caractéristiques
même de ses paraboles. Et, phénomène assez étrange, c'est du côté de la religion
d'Israël et de ses maîtres juifs que l'on cherche le moins volontiers. C'est évidemment
une entorse à la méthode; elle s'explique apparemment parce que ces recherches
sont censées avoir donné ce qu'elles pouvaient fournir, et surtout parce qu'elles sont
abstruses. Beaucoup de peine et peu de profit, cela n'a rien d'attrayant.

Naturelleraent il faut appliquer les mêmes principes à l'Ancien Testament, ou


plutôt c'est par là qu'on a commencé. Mais j'ai peine à parler ici d'école : die reli-
fjionsgesddcMlkhe Schule; car une école suppose une certaine unité dans la doc-
trine, sinon l'autorité d'un maître ou d'un initiateur, et je ne vois ici que des ten-
dances plus ou moins actives, plus ou moins débridées. A s'en tenir an protocole,
les deux chefs, pour l'Ancien et pour le ]\'ouveau Testament, sont MM. Gunkel et

Bousset, puisqu'ils sont les éditeurs de la collection qui met au jour les productions
animées de cet esprit (4).

Mais il est évident qu'une partie de leur tâche consiste à retenir les enfants terri-
bles du que Gunkel semble avoir tenté en publiant diverses études et
parti. C'est ce
dissertations qui réunies forment comme un programme de la méthode (.5). A Jensen
qui a fait sortir de l'épopée de Gilgamech une bonne partie de l'Ancien Testament et
de l'histoire de Jésus, il reproche d'avoir comparé des détails sans tenir compte de
l'ensemble organique des récits. Et tout au contraire, mais non moins justement,
il refuse d'appliquer à Samson l'explication mythique parce qu'il faudrait alors rap-

porter au soleil tous les traits assez divers que la tradition attribuait à un héros
national populaire. Cependant Gunkel lui-même voit dans l'Egypte le principal
modèle de la composition des psaumes, ce qui est bien étrange si l'on compare les

titres de l'Egypte à ceux de Babylone. Ce savant a donné une leçon meilleure, parce
que c'est une leçon de choses, à propos du palais de Suse où s'est déroulée Thistoire
d'Esther. Il a consulté M. Koldewey, si autorisé par ses fouilles en Babylonie, et a

(1) L. i.

-2; Jésus der Menschensohn oder das Beiufsbewusslsein Jesu, Stasbourg, l!»li.
3 Theologisch lijdschrift, 1917, p. 2-28.
l Forschuiigea zur R-iUgion und Literatur des Allen und Neuen Testaments, Gotlingeu.
(•"j Reden und Aufsâtze, GoUingci), 1913.
294 REVUE BIBLIQUE.

communiqué au public ce verdict : « Ce qui caractérise le plan de Siise est l'exis-


tence simultanée d'un Chilâni {\^ et dun aj)(alâiut^\^ ; cela ne se trouve nulle part
ailleurs, ni à PersépoîtsTni à Babyloue, ni nulle part. Les deux bâtiments sont men-
tionnés dans le livre d'Esther. Il en résulte avec certitude que l'auteur du livre a eu
connaissance de ces bâtiments de Suse, et que très vraisemblablement il les a vus

lui-même ». Voilà un bon avis aux critiques littéraires convaincus sans avoir quitté
leur cabinet que tous les palais orientaux se ressemblaient! M. Gunkel l'applique
avec un grain de sel attique : « Peut-être les critiques de l'A. T. voudront-ils bien
examiner de nouveau le préjugé courant, que le livre d'Esther a été écrit en Pales-
tine et se rapporte à la persécution religieuse d'AntidcliUS Épiphane ^3) ».

Si la méthode religionsgeschichtUch éla'il toujours employée de la sorte, nous


n'aurions qu'à applaudir; peut-être même aurions-nous le droit de rappeler que feu
Winckler avait sigoalé aux Allemands les services rendus dans, ce sens par la Revue
biblique. Mais à vrai dire ce n'est alors que la méthode historique et archéologique,
qui, loin d'expliquer la Bible comme un dépotoir de légendes, aboutit au contraire à
faire constater sa transcendance au-dessus du milieu mieux connu.
Il est vrai que quelquefois on fait prendre l'offensive à la Bible ou plutôt au.K
Israélites. M. Haury est convaincu que la fête des Tabernacles et celle d'Eleusis ont
la même origine (4), par où il n'entend pas que toutes deux viennent d'Egypte,
mais que les Grecs ont imité les rites d'Israël. Je laisse à M. Bauer le soin d'expliquer
à Haury que lah s'est difficilement transformé en lakchos, et je vénère comme il

convient le caractère sacré de la fête biblique. Mais le problème posé ne louche que
l'apparence extérieure.
Je revois après quelques semaines les petites huttes de branchages sur les ter-
rasses, les Juifs enthousiasmés, portant haut la tête avec leurs rouflaquettes, j'entends
encore le son des trompettes sabbatiques, les vulgaires flonflons du cinéma notre
voisin, — et tout en admettant que la renaissance sioniste n'est pas à la hauteur de
l'antiquité, — je me demande ce que les Athéniens pouvaient envier à cette pompe.
De pareils excès sont rares. Mais on n'est pas mieux justifié à rabaisser le contenu
divin de lévangile au niveau des antiques superstitions. Qu'on découvre ailleurs le

même langage, les mêmes images, les mêmes manifestations humaines du sentiment,
nous saluons une avance du travail vers une intelligence plus parfaite de l'Ecriture,
mais qu'on y regarde à deux avant d'y transporter des légendes toutes faites.
fois

M. Gressmann n'a pas eu cette réserve quand il a regardé Luc 2, 1-20 comme
une légende spéciale, venue d'Egypte (.5} et quand il suppose entre la naissance

d'Osiris et la nativité de Jésus un intermédiaire juif, qu'il faut bien postuler pour
combler la distance, mais qui n.'existe pas.
Cependant la méthode a cela de bon qu'elle ne se scandalise pas de trouver du
surnaturel —
elle dit du merveilleux —
dans les textes, et elle respecte l'authenticité
de la conception virginale (Le. 1, 35-38) qui est le point central du divin.
La même Gressmann croit avoir trouvé en Egypte un conte, mêlé aux temps
hellénistiques de motifs orphiques, transporté en Judée où nous le voyons apparaî-
tre sous les apparences de la parabole de Lazare et du riche (6). C'est dommage que

(1) Sorte de forteresse précédée d'un très liaut portique, la porte du roi.
(2) Résidence du roi avec une grande saUe des fêtes.
(3) Theol. Lit.-Zeil., 1!)J9, c. 3 s.
(4) Das Eleusisehe Fest ursprùnglich identisch mit dem Lav.bliùltenfcsl der .Jur/en, Mùnchen.
1914.
(5) DoLS Weihnachts-Evangelium auf Ursprung und Gescliiclite untrsuclit. GiUtinsen, 1914.
(6) Yom rcichen Mann und ai-iucn Lazarus, Eine LiterargescliicliUich Seudie, Berlin, 191G.
BULLETIN. 295

forme jndéo-préchrétienue du conte ne nous ait pas été conservée!


cette fois encore la
M. Gunkel est de nouveau obligé de protester doucement ne sufflt-il pas d'indiquer :

une parenté générale des thèmes?


Le plus curieux c'est que la restauration de Gressmann reconnaît l'unité de la
parabole. L'allusion à la résurrection était, d'après Técole libérale, une addition
évidente pour reprocher aux Juifs de n'avoir pas cru à la résurrection de Jésus.
Gressmann la retrouve dans son thème égyptien. Nous nous contentons d'en conclure
qu'elle venait assez naturellement pour compléter la parabole. Tandis que la réserve
de Gunkel le conduit à cette audace étrange de refuser la parabole à Jésus. Elle ne
venait peut-être même pas des cercles chrétiens! Serait-ce donc que Luc était reli-

y ionsgesch ich tl ich ?


M. Bousset qui est chez lui dans le Nouveau Testament n'irait sans doute pas
aussi loin. Lui aussi joue le rôle de modérateur. Voici des paroles fort sages à pro-
pos d'un ouvrage de M. Walih. Haupt sur les paroles de Jésus et la tradition de la

communauté [V, : « L'auteur ne marche pas dans les chemins battus de la critique

sj'uoptique; essaye de faire un nouveau et hardi travail de pionnier, et il faut lui


il

en savoir gré. Mais malheureusement la critique doit mettre un gros point d'interro-
gation derrière tous ces nouveaux essais de conquérir un pays nouveau pour la criti-

que synoptique, tels que ceux de Spitta, Joh. Weiss, \Yendliag et maintenant aussi
de Haupt. Les essais se dressent les uns contre les autres: chaque critique va son
chemin çà et là il semble qu'on ait fait des observations exactes, mais elles se per-
;

dent dans le tourbillon des hypothèses qui se pressent. Le maître qui nous conduira
vraiment plus loin dans la critique synoptique est encore à venir '2) ».
La dernière grande œuvre de Bousset. Kyrios Christos a paru trop peu de temps
avant la guerre (3) pour que nous ayons pu eu rendre compte dans la Revue. J'y ai
faitallusion dans Le sens du Ch7-istianisme '4 L'auteur a précisé sa position dans .

une brochure nouvelle (.5). C'est une des pratiques les plus usitées de la science
allemande. Quand quelqu'un a traité un sujet, celui qui vient après est tenu sich
auseinandersetzen. de marquer la différence des positions. Naturellement les recen-
seurs font de même et on leur répond. Peut-être aurons-nous l'occasion d'en faire

autant. Nous avions cru pouvoir regarder comme le trait caractéristique de l'exégèse
allemande détre einseitig, trop systématique, trop unilatérale. C'est précisément ce
que Gunkel reproche à l'école libérale (6), et M. Rud. Knopf de Bonn à M. Bous-
set (7). Il est einseitig, c'est-à-dire que « Toute la présentation de Bousset est trop
rectiligne et enprend fortement l'aspect d'une construction ». Si cela est vrai d'un
maître relativement modéré et très bien informé, que penser des autres!

L'ouvrage de ^I. Mac Neiil sur l'épître aux Hébreux i8 ne pouvait qu'être sym-
pathique à Bousset à cause de la part qu'il fait aux mystères. Mais l'Américain n'a pas
été assez conséquent, c'est-à-dire sans doute pas assez einseitig. Il eut dû, cette notion
acquise, revenir sur premiers chapitres de son livre et les écrire de nouveau. Et
les

il faut dire encore combien la nouvelle méthode est parfois d'une exégèse très
sûre, précisément parce qu'elle ne répugne pas à rencontrer du merveilleux « Je :

(Il Worte Jesu und GemeindeûberlU'ferung, Leii)zig, 1913.


(-2) Theol. Lit.-Zeit. 1915, c. -2-2-2.

(3) GôUingen. 1913.


(4) P. 276.
(3) Jésus der Herr. Naclitriige aad AuseinanderseUungen zu Kyrios Christos, GOltingeu, 1916-
(6) Theol. Lil.-Zeil. 1919, c. 100.
J Theol. Lit.- Zeit. 1913, c. 491.
(8) Cf. RB. 1919, p. 2(>6.
296 REVUE BIBLIQUE.

ne puis que répéter », déclare Bousset « que je me défie de tous les systèmes
qui admettent une Christologie adoptioniste dans la chrétienté primitive, car elle me
semble avoir presque dès le début appliqué au Christ le mythe du Fils de l'homme
préexistant, et que, selon moi, le titre de Fils de Dieu n'a presque rien à faire avec
la conception messianique juive, et a été entendu dès le début purement au sens spé-
culatif métaphysique » 1). Sauf le mot de mythe, et le premier « presque », cela est
excellent.
Par où nous ne voulons pas dire que le titre de Fils de Dieu ait été emprunté à
l'hellénisme! C'est l'erreur deM. Gillis Welter (2), qui n'a pas réussi à trouver dans
le monde ancien un culte assez assuré de fils des dieux qui soient en même temps
des Sauveurs,
Quant à M. Erbt qui met Capharnaûm au bord de la Méditerranée, apparemment
pour faciliter le contact avec la Grèce, et qui recourt à la mythologie astrale, il ne
paraît pas faire partie de la confrérie. Et pourtant lui aussi jette sa pierre à l'école
de Strauss : « La « bouche des gens » à laquelle on a recours ne produit rien. Une
poésie populaire n'existe que dans l'imagination des hommes-à-table-de-travail. Si
quelqu'un du peuple compose, à tout le moins cherche-t-il anxieusement à suivre le

modèle des personnes cultivées '3) ».


Quoi qu'il en soit d'ailleurs des tendances divergentes, la méthode d'histoire des
religions forme un groupe pour la propagande. A côté de la série déjà ancienne des
For<ichungen, on a répandu des tracts populaires, Reli'jions^/eschidttlidte Yolksbù-
cher, et le système est appliqué à l'exégèse de l'Ancien Testament, il est vrai seule-
ment dans des extraits (4;. On y voit groupés les noms de MM. Hugo Gressmann,
Herm. Gunkel, M. Haller, Ilans Schmidt, W. Staerk et P. Volz. Le hasard des
lettres alphabétiques, cette fois bien inspiré, a mis aux deux extrémités MM. Gress-
mann et Volz. Bertholeta reproché à l'entreprise trop de subjectivisme (5); c'est
beaucoup plus grave que si le reproche venait de nous.
D. La méthode d'histoire des religions s'étend très loin vers la droite. M. Clemen
lui est moins réfractaire qu'autrefois (6;. Mais à mesure qu'elle s'étend, elle perd

tout à fait son caractère d'école pour devenir un mouvement qui porte les critiques
allemands vers de nouvelles régions, nouvelles souvent en réalité, à la suite des
découvertes, nouvelles aussi parce qu'ils s'étaient trop claquemurés dans la critique
littéraire et dans les opinions protestantes. Les conceptions dogmatiques sont plus
éloignées des nôtres, ou plutôt elles ne comptent plus, ce qui nous permet, cette
réserve suprême bien entendue, de nous trouver d'accord sur bien des points. Qu'on
pousse à fond la recherche dans les documents et d'après les monuments, nous ne
saurions le trouver mauvais. L'un des esprits les plus distingués dans cette manière
positive est assurément M. Hans Lielzmauu. Aussi n'a-t-il pas hésiié, à rencontre
des anciens dogmatistes protestants, à conclure à la grand? vraisemblance de la venue
à Rome de saint Pierre et de saint Paul. Le titre même est siguificatif : Pierre et

Paul à Rome : études liturgiques et archéologiques (7 ,. Donc les livres liturgiques de

(1) Theol. Lit.-Zeil., lOlii, c. 431.


2) « Der Sohn Gottes, » Eine Untersucliung iiber den Cliarakter und die Tendenz der Hei-
landsgestalten der Aniike, Gôuingen, 191G.
(3) UiUersuchung zur Geschichte der Hebrâer. 2 Helt. Jésus, Leipzig, 1914.

(4) Die Schriflen des Allen Testaments im Auswahl neu uberselzt u. liir die Gegenwarl
erklârt, Gôttingen.
(o; Tfieol. Lil.-Zeit., 1916, c. 428.
(6) Die Reste der primitiven Religion im âllesten Clirislentum, Giessen. 1016.
(7) Petrus und Paulus in Rotn. Liturgisclie und arcliaeologische Sludlen. Bonn., 1013.
BULLETIN. 207

l'ancieune église catholique, les catacombes ne sont plus terra incognita. Le manuel
du Nouveau Testament, édité chez ilohr à Tùbingen (1) par Lietzmann, groupe des
savants distingués qui prolongent le religionsgeschichtlich jusqu'au poiut où l'on
rejoindrait les libéraux. A MM. Gressmann et Heitmiiller qui ne sont
côté de certes
pas les collaborateurs principaux, on rencontre MM. W. Bauer iv« évangile), Dibe-
lius (les petites épitres de saint Paul). Erioh Rlostermann ,Tes trois synoptiques),
Preuschen (les Actes), Windisch (épitres catholiques et aux Hébreux). M. Paul
Wendland, mort durant la guerre, avait tracé la synthèse du milieu gréco-romain
et esquissé les formes littéraires du N. T. M. Rademacher a écrit dès 1911 une
grammaire inférieure à celle de Blass pour la quantité des renseiguemeuts, mais plus
claire et plus méthodique. On nous promet l'Apocalypse pour 1920, sans nous dire
qui en est chargé.
Le goût de Lietzmann pour les sources, ou plutôt sa conviction qu'elles sont néces-
saires pour former les débutants s'est manifesté par une riche collection de petits
textes )2;. Nous contiuuoas à applaudir une publication qui va du canon de Muratori
et des anciens martyrologes aux papyrus d'Assouân et aux traités rabbiniques.
Nous n'avons point encore parlé de M. Harnack. Nos lecteurs français ont dû
s'en étonner, car aucun nom n'était parmi nous plus connu, ni même plus popu-
laire que le sien depuis que ses travaux sur saint Luc ont marqué un si net coup
de barre dans le sens de la tradition. Sa sotte adhésion au manifeste des 93 intel-
lectuels allemands au début de la guerre a sans doute refroidi bien des enthou-
siasmes, mais peut-être était-elle exigée par sa haute position ofûcielle, et, en le

plaçant après les autres, notre intention n'était pas de le mettre en pénitence, mais
une école.
plutôt de relever sa personnalité qui équivaut à toute
Comme donné pour les soldats une édition spéciale
ancien chef des libéraux, il a
de son Essence du Christianisme. Mais on sait qu'il s'applique surtout aux études
positives, poussant droit devant lui, pas toujours avec bonheur, mais nullement
einseitig. D'ailleurs il semontre l'adversaire résolu des outrances de la méthode
histoire des religions, comme lorsqu'il revendique 3) pour saint Paul contre les
prétentions de Reitzenstein (4) la formule foi, espérance, charité.
11 a été mêlé aussi à une polémique sur le passage de Josèphe {Ant. XVIII, m, 3)
sur le Christ, et s'est élevé contre purement négative de Norden )5).
la critique
Depuis, M. Goethals a même été assez osé pour accuser Eusèbe d'avoir lui-même
commis une falsification (6). A ce propos j'apprends de M. A'^'indisch (7) qu'un pur
philologue se prononce pour l'authenticité. D'après M. Al. Slijden « Tous les :

manuscrits ont ce témoignage ; il serait impossible qu'on l'ait introduit après coup
dans tous les mss., et cela était spécialement impossible après Eusèbe, car vers l'an
300 Josèphe était déjà beaucoup lu, d'autant que déjà avant Eusèbe les mss. se
divisaient en deux familles d'inégale qualité, Eusèbe lui-même ayant reproduit la

plus mauvaise. »

1) Handbuch zum Xeuea Testament.


(-2) Kleine Texte fur theologische und pltilologische Vorlesungen und Uefuingen, Bonn.
f3) Preuss. Jahrbûcher ;1916), p. 1-14.
(i) Nachricht. d. (iciU. Ges. d. Wiss. 1916, p. 387-416.
(5) M. Corssen est intervenu Die Zeugnisse des Tacitus und Pseudo-Josephus ûber C/uistus,
:

dans la Zeit. fiir die neut. W'ss., 1914, p. 114 ss. Comme Norden (contre Harnack) il ne croit
pas que Tacite dépende directement de Josèplie. mais il admet une dépendance indirecte. Il se
prononce pour la lalsification par un chrétien avant l'an -200.
Si] Le pseudo-Josèphe {Antiquitis xviii. § 03-84!, Bruxelles et Paris, t0i4.

(7, Dans Theol. Lit.-Zeit., 1017, c. 101, citant Mnemosyoe, 1914, 96-100.
298 lŒVLE BIBLIQUE.

De toute façon on doit donner gain de cause à M.


Harnack sur la dépendance
de Tacite par rapport Gorssen qui soutient avec tant d'autres celle de
à Josèphe.
Luc envers l'historien juif n'en demande pas tant !

Harnack fait encore figure de conservateur dans l'approbation qu'il donne à notre
Vulgate latine des épîtres catholiques (1).

Mais sa réaction conservatrice ne va pas jusqu'à admettre l'authenticité complète


de la parole du Christ à Pierre (Mt. 16, 17 s.). Voici à quoi il se résout (2). Le

Christ parlait à Pierre et c'est à sa personne que s'adressait la prophétie il n'était :

pas question de l'Eglise. Il y avait donc seulement « Tu es Céphas, et les portes :

de l'Hadès ne prévaudront point contre toi. » L'insertion sur l'Église se fit à Rome
sûrement, et vers le temps d'Hadrien. A cela NVindisch répond que le nom de
::3j

Céphas, pierre, appelle nécessairement l'idée d'un bâtiment. Mais il lui semble qu'en

rattachant %\i-r]: a la pierre (et non à l'église) ou en remplaçant aù-^ç par aou, on
obtiendrait cette idée qui lui plaît : Pierre est constitué le représentant du Christ
pour le temps qui précédera la parousie, temps assez court pour que Pierre ne soit
pas pris avant par la mort. La prophétie ne se serait pas réalisée. Mais aou est —
une correction parfaitement arbitraire, et le pronom féminin serait bien mal choisi
pour désigner Pierre, même par l'intermédiaire d'une pierre. D'ailleurs pourquoi
tant d'assauts donnés au texte? —Parce que c'est une pensée choquante de regarder
Pierre et non le Christ comme le rocher de l'Église. — Scrupule admirable! Dire
que Pierre et non le Christ est le rocher, la pierre angulaire, serait en effet
un blasphème dans la bouche de l'un de nous. Mais quand le Christ parle, se
réservant le rôle plus glorieux d'architecte, où mal? Si ces savants n'étaient
est le
des critiques si avisés, on serait tenté de dire : Sanda
simplicitas! Il doit donc y
avoir autre chose. Ce texte est pour le protestantisme une véritable obsession (4).
Le mot de la fin sur l'exégèse. M. Spitta tient encore pour la survie du Christ
afin d'expliquer sa résurrection. C'est plutôt la survie des vieux systèmes qu'on
croyait mis à mort par Strauss.
E. Catholiques et protestants se rencontrent dans le champ de la critique textuelle
et les groupes s'y forment sans tenir compte des confessions.
M. Erwin Preuschen (-5) approuve fort la méthode de Vogels qui fait dériver du
Uiatessaron deTatien les leçons harmonisantes des mss. syriaques sinaïtique et Cure-
ton. Et il maltraite fort Mrs Lewis qui avait maintenu contre Vogels l'antériorité de
la version sur Tatieu. Je ne puis que renvoyer à ma longue recension de la thèse

de Vogels (g;, que les arguments de Preuschen ne rendent pas meilleure. Qu'on en
juge par un cas qui a paru décisif à ce critique. Le texte grec critique est pour
Me. 10, 21 u-ayE, Scîx "s/si? -coXyitov, pour Lc. 18, 22 TiavTa ojx 'e^siç -oiXrjaov, pour

(1) Zur Révision der Principien der neuleslamenllicheii Texlkrilik. Die lîedeutung der Vulgate
fur den Test der katliol. Briefe u. der Anteil des Hieronymus an dem Uebersetzungsweik,
Leipzig, 191G.
(-2) Der Spruch ûber Petrus cils den Felsen der Kirche, Berlin, 1918.
[S] Theol. Lit.-Zeit.. tiilO, c. 197 s. Les arguments censés traditionnels de Harnack sur l'omis-
sion supposée par Ephrem Mœsinger), un païen dans Macaire et Origéne avaient été réfutés
d'avance par M. Dell dans la Zeitschrift fur die neulest. Wiss., 1914, 1-49. Ce savant tient après
Dibelius |iour l'authenticité dans le texte de Mt., mais Jésus ne saurait avoir prononcé ces
paroles, emiiruntées à des conceptions populaires les portes de l'enlér ne prévaudront pas
:

contre l'Éiilise des patriarches au moment de la descente de Jésus aux Limbes, Pierre pourra
lier et délier les incantations des esprits, etc. De la sorte M. Dell n'a pas à imputer à l'église
romaine une falsification qu'elle n'aurait pu faire prévaloir en Orient.
(4) Die Aufersiehung Jesu, Gôttingen, 1918.
(5) Theoh Lit.-Zeit., I91.J. c. 30.-;.
iCj RD.. 1012, |). -2^4--29V.
BULLETIN. 299

Mt. 19, 21 Gnays -ojÀr^aiv aoj -t. j/iâp/ovTx. L'ancienne version syriaque a dans les

trois cas 1) O-ays, -ojÀr.jov n<£vTa Sî7. É/Et; '2). Elle a donc harmonisé quelque peu,
et cette leçon est celle du Diatessaron arabe. Mais voici ce qu'allègue M. Preuschen :

Ephrem a lu j-ays, -ojXyiiov -«vtx t* ûnap/ovra aou. Voilà une leçon vraiment
harmonisante, et ce serait celle du Diatessaron! — Si cela était, Preuschen aurait
prouvé que la version syrienne ne s'en est pas inspirée! Quant à la cause de la légère
harmonisation de l'ancienne syriaque — au détriment de Mt. — il n'y a pas à la
chercher bien loin. 07a à lui tout seul peut être traduit par « tout », par exemple
Mt. XIII, 44. Du moins Preuschen a-t-il refusé de conclure à l'influence du Diates-
saron sur D et les latins, et prié Vogels de tenir compte de ce fait que Tatien s'ap-
puyait sur des textes existants qui ont pu laisser des traces ailleurs.
On apprend avec regret que l'édition du >. T. que Gregory semblait tenir toute
prête n'existait même pas à l'état de travaux d'approche dans les manuscrits qu'il

a laissés, et qui ont été déposés à la bibliothèque de ITiniversité de Leipzig.


On serait en revanche bien aise de savoir que M. Lietzmann a quelque chose
à nous donner, car il est intervenu avec beaucoup de vigueur, quoique d'une façon
énigmatique, en faveur des citations des Pères et des anciennes versions (3). Toute
la critique a fait fausse route depuis Lachmann; Soden a été victime des faux
principes régnants. Allons-nous assister à une réaction générale en faveur des textes
occidentaux? 11 est très facile de vanter leur antiquité, leur saveur primitive. Nous
attendons au pied du mur celui qui essaiera de bâtir avec ces éléments discordants (4).

M. Alfr. Rahifs poursuit toujours l'entreprise commencée d'une édition des Sep-
tante.11 a publié un catalogue des manuscrits grecs, avec une description (5;.

Dans la pure philologie. La grammaire de Blass a beaucoup gagné à être revue


F.
par M. Albert Debrunner 6). 11 admet moins d'hébraïsmes, mais surlout il a mis un
peu d'ordre dans ce chaos, très riche assurément, mais à la condition qu'on y fasse
des fouilles. Désormais il est plus aisé de s'y reconnaître.
Le dictionnaire grec-allemand pour le N. T. de M. Heinrich Ebeling (7) indique
beaucoup plus qu'aucun des précédents les sources récemment exploitées, papyrus
et inscriptions. A la vérité c'est avec un appareil de signes des plus rébarbatifs. Et

le plus singulier c'est qu'il n'en tire pas toujours la conclusion qu'il faudrait, comme
lorsque SixaaTrjç est simplement juge {Richter) et ôvi/.6c meule
traduit supé-
rieure, etc. Mais c'est beaucoup que d'être renvoyé aux bons endroits. On se
débrouille ensuite.
La RB. a marqué des réserves (8) sur la découverte par M. Hrozny d'une langue
indogermauique sous les cunéiformes de Boghaz-Kani. découverte qui avait excité
tant d'enthousiasme. M. Bartholomae l'a mise en question (9;.
Cette revue rapide ne saurait donner une idée du travail très actif qui s'est fait en
Allemagne, mêuiie pendant la guerre. Je me suis efforcé de l'écrire sans aucune ani-

I) Dans Le. par erreur « vends-nous ».


-2) Cependant îi;ta-;c est absent dans Le.
Theol. Lit.Zeit. 1910, c. 341 s.
;à)
(l) A i)ropo3 de critique textuelle, que veut dire M. Debrunner {Theol. Lit.Zeit. l'Jlo, c. 400)
avec son Codex D Claromontanus des Actes? D pour les .Vcles comme pour les évangiles est le
Codex Bezae.
(3 Verzeichnisder griechischen Handschriften des Allen Testaments, Berlin, IsHi.
(0) Friederich Blass' &rammatik des neutestamentlichen griechisch, vierte, vôUig
neugearl)ei-
tete Auflage, GoUingen. 1913.
C') Griechiscli-deulsc/ies WiJrterbuch tum Neuen Testamente, Hannover, 1913.
(8) 1917, p. 317, noté -2.

9; Dans Woclienschrilt fur klassisclie Philologie.


300 REVUE BIBLIQUE.

mosité nationale. Mes amis d'Espagne m'ont reproclié d'avoir été injuste envers les
Allemands dans les conférences sur le Sens du ChrisUanisme. Ce serait une mauvaise

excuse de dire que la préface en a été écrite le malin où Paris était bombardé pour
la première fois par une pièce à longue portée. Je ne crois pas que cet attentat ait
inlîué sur ma pensée. Je disais seulement que les Allemands s'étaient montrés vrai-
ment trop dédaigneux de ce que font les autres. Nous avons toujours rendu compte
de leurs ouvrages, et c'est un fait que nous passions en France pour leur être beau-
coup trop sympathiques. Ce n'est pas que l'école biblique de Jérusalem soit incon-
nue en Allemagne. Mais vraiment le dédain est de trop quand il n'empêche pas
l'emprunt [L.].

Questions générales. — Dans son Apologétique (1), M. l'abbé Verhelst, docteur


en philosophie et licencié en sciences physiques, devait rencontrer les questions
relatives à l'origine et à l'exégèse des livres bibliques, surtout du Nouveau Testament.
Il les a abordées avec clarté et méthode, avec tact aussi dans le choix des opinions.
Sa Dogmatigue a exposé brièvement tout ce qui concerne l'Inspiration. A la Revue
on ne peut qu'être de voir présenter comme doctrine commune ce qui a
satisfait
d'abord excité pas mal de protestations. Il importe peu que les articles de l'année
1896 ne soient pas cités. Les idées font plus d'impression quand elles sont appuyées
par des autorités distinctes que dans leur synthèse.
Et les citations du R. P. Durand S. J. sont en particulier très nettes (2).

L'auteur a pris soin de renvoyer aux ouvrages qu'il citait. C'était indispensable.
Nous croyons qu'il eût pu faire plus. Si bien conçus et exécutés que soient ses
ouvrages, ils ne peuvent assurément satisfaire ceux qui auraient le goût et le loisir
d'étudier les thèm.es plus à fond.
Ne lui a-t-on pas demandé souvent ces indications spéciales? Il semble que ce serait
rendre un service que de dresser sur chaque sujet important une liste d'ouvrages,
non pas tirée des catalogues ou rédigée dans une bibliothèque, mais une liste des
livres qu'on estimerait vraiment utiles.

M. Rendel Harris ennemi des paradoxes, et il sait les appuyer sur des
n'est point
conjectures (3). que les premiers chrétiens ont
C'est ainsi qu'il suppose avec raison
dû avoir de très bonne heure un symbole de foi, qui les distinguât du judaïsme.
Rien n'empêchait qu'il fût écrit. Et il est possible qu'il ait existé de très bonne heure
un recueil de prophéties ^Témoignages) destiné à prouver que Jésus-Christ avait été
annoncé dans l'Ancien Testament. Où M. Rendel Harris entre dans la fantaisie,
c'est lorsqu'il soutient que le premier recueil de ce genre entendait prouver avant
tout que Jésus était la Sagesse de Dieu. D'où ce nouveau paralogisme que la pre-
mière foi des chrétiens ignorait complètement la Trinité.
Il était vraiment superflu de proposer tout cela au peuple chrétien comme un

résultat sérieux et certain d'études d'ailleurs intéressantes. Cependant nous constatons

(l) C'est tout un Cours de religion. Apologétique, avec une Préface de S. Ém. le Cardinal Mer-
cier; petit 8° de vin, 3"6 pp. Bruxelles, Dewit, 1913. —
Dogmatique, 640 pp., li)18; de plus, Précis
d'apologétique, lU pp., 1917; La divinité de Jésus-Christ. in-)i> de l.'iS p|i., 1919.
(!2) € Que dirions-nous d'une généalogie ainsi conçue Roljert le Diable engendra Guillaume
:

de Normandie: Guillaume de Normandie engendra Angleterre; Angleterre engendra Royaume-


Ini et Royaume-Uni engendra Washington? Elle serait calquée sur celle qui se lit dans la
Genèse, x, G-17 », (Dictionn. Apol..., t. I, col. 397).
(3) The original' the doctrine of tfie Trinitg, a popular esposition, gr. 8^ de 41 pp. Manches-
ter, Longmans, 1919.
BULLETIN. 301

en passant que la Trinité est clairement enseignée dans Je Nouveau Testament. Que
l'ouvrage anti-juif des Témoignages soit attribué par Papias à Matthieu l'apôtre, c'est
une nouvelle explication de Papias qui n'a guère chance de prévaloir.

Nouveau Testament. —
Le commentaire de M. Erich Ivlostermann sur l'évan-
gile de saint Luc 1) Venu après ceux de saint xMatthieu
a été retardé par la guerre.
et de saint Marc, il marque, semble-t-il, un progrès dans l'emploi des sources grecques
à peu près contemporaines. C'est une excellente explication philologique, très claire,
malgré une extrême concision, mais à la condition de prendre son parti de cette
brièveté qui exige une constante attention. 11 n'y a pas d'introduction, et il faut le
regretter. M. KIostermann nous renvoie à Wendland Die urchrist lichen Literatur-
:

formen, avec lequel il est d'accord pour l'essentiel. C'est plus que maigre comme
référence, et M. KIostermann aurait sûrement traité les questions avec plus de modé-
ration et de nuances. Il ne faut que comparer ce qui est dit des deux parts de l'épi-
sode de la pécheresse ^I.c. vu, 36 ôo;. Sans avoir rien d'un apologiste, xM. KIoster-
mann n'est pas de ceux qui jettent à la tète de Luc limputation d'erreurs lourdes,
il justement reconnu l'existence d'un Lvsanias d'Abila, autre que celui de
a très
de Josèphe [2]. 11 eût pu citer la nouvelle inscription si péremptoire produite par la
Revue biblique. Mais ce n'est pas son habitude de citer des auteurs étrangers à la
Kultur (3). En revanche Dalman, par exemple, est cité (p. 603; pour deux ou trois

lignes insigniflantes, à propos d'Emmaiis, alors qnon eût pu alléguer des travaux
plus complets et spéciaux. Il arrive même que deux écrivains allemands sont
cités (p. .567; à propos de Le. xxi, 18, tandis que leurs articles ont pour objet
le V. 30.

L'auteur se débarrasse trop aisément des difficultés en retranchant ce qui le


gêne, par exemple -/.où uîoî aîa-v OsoG (xx. 36), sur la très médiocre autorité du
ms. syriaque du Sinai, si porté aux omissions. Sur le sens de -cdc77ctv (m. 131, il
eût pu rappeler le Tarif de Paimyre, si topique. Page 607. la citation d'Euripide Or, :

1494 se rapporte à Hélène et non à Iphigénie.


La collaboration de M. Gressmann relative au prototype araméen n'ajoute rien à
la valeur très sérieuse du commentaire.

Ancien Testament. —
Exode. La question de l'itinéraire des Israélites à la sortie
d'Egypte a un pas, car M. J. Clédat semble bien avoir découvert le site de
fait

Filw.khiroth ^4). Chargé d'une mission archéologique dans la partie voisine du Canal
de Suez, qu'on peut appeler le désert syro-égyptien, M. Clédat a d'abord relevé les
stèles déjà signalées, entre autres deux stèles de Rasmsès II. L'une d'elles était située
au sud-est de la station Genefeh du chemin de fer d'Ismaïlia à Suez. Non loin de là,
et toujours sur ce sol rocailleux que les Arabes nomment Abou Has'^a, près de la
route des caravanes qui va du sud au nord-ouest, le distingué explorateur a su
reconnaître à certains ressauts de terrain l'existence d'une construction. Les fouilles
ont mis au jour les ruines d'un ancien édifice rectangulaire qui couvre environ

(1) Handbucli zum neuen Testament, Zweiter Band, Die Evangelien, Lukas. Tiibingen. 1919.
p. 3S'J-61-2.
(-2)La note sur le recensement de Quirinius est Iteaucoup moins trancliante que la disserta-
tion de Schïirer.
(3) Cependant Vincent, Canaan, est cité p. 434.
;i) Notes sur V isthme de Suez, extrait du Bulletin de Vlnstitut français d'archéologie orien-
tale, t. XVI, p. -201-228. Du même auteur Pour la conquête de l'Egypte, même volume, p. 189-
:
302 REVUE BIBLIQUE.

200 mètres carrés, et qui avait servi de temple et de poste fortilié. C'est doue un monu-
ment d'un haut inte'rêt, antérieur à Ramsès II. Ce qui nous regarde, c'est qu'il était
consacré à la déesse Hathor, et que M. Clédat y voit le nom égyptien Pn-Haijtjierit,
« la maison de la déesse Hathor », qui peut sans difficulté être Pi-IIakhirôt. Déjà

M. Spiegelberg (Aegyptische RanJglosseii, p. 2ô ss.) avait montré que le nom de


Piheheret proposé par M. ?saville ne répondait pas à la transcription hébraïque.
M. Clédat le rejette à son tour.
Cette identification confirme naturellement celle qui place Migdol au Sérapeum.
M. Clédat appuie cette conjecture par la description d'une vaste construction rectan-
gulaire, d'environ 150 mètres de long et 60 de large, située au nord des Lacs amers,
à El-Ambak, exactement derrière la gare de la Compagnie du Canal, appelée le
«

déversoir ». C'était un castrvm romain, mais dans une situation antique. « On y a


trouvé de nombreuses monnaies juives. . . Ce sont les ruines les plus importantes de toute
la région et celles répondant le mieux à la position du Migdol biblique» (p. 218).
La position de Ba'al Saphon est toujours inconnue; M. Clédat le place après le
passage de la mer, qui aurait eu lieu, si je comprends bien, vers la pointe sud des
lacs Amers. « Ce sont peut-être les petites ruines que l'on signale au nord de la route
des pèlerins, à cinq ou six kilomètres du canal maritime » (p. 220).

Voici maintenant comment M. Clédat comprend l'état des lieux au temps de Moïse.
Le seuil de Chalouf, " contrairement à l'opinion émise, ne barrait pas entièrement
l'isthme ; il s'arrêtait, avant le percement du canal, au bord occidental de la dépres-
sion isthmique, laissant un étroit chenal permettant aux eaux de la mer de péné-
trer dans les lacs. On voyait encore dans la première moitié du xix'^ siècle, avant le

percement du canal, les fortes marées couvrant d'eau, jusqu'aux lacs, les terres

basses de l'isthme. La surface couverte, d'après la carte manuscrite de 1859, de l'in-

génieur Larousse, était de plus de deux kilomètres au passage de la route du pèleri-


nage. Si l'on admet, eu outre, un ensablement progressif de la dépression, occa-
sionnée par les laisses de la mer. on voit que ces eaux pouvaient acquérir une-
certaine hauteur au moment des marées, et peut-être couvrir le sol d'une manière
permanente. Cette hauteur d'eau était suffisante pour rendre le passage dangereux,
sinon impossible. Mais, d'autre part, elle était assez peu profonde pour que l'action
du vent du sud-est [Exode, xiv, 21) se fasse sentir et mette les terres à nu. C'est
un phénomène que j'ai observé plusieurs fois dans le lac Baudouin. Il dure quelque-
fois plusieurs jours » (p. 222 s.).

Il M. Clédat de ses remarquables découvertes, et de l'attention


faut remercier
qu'il adonnée au problème biblique, bien persuadé que les lieux mentionnés dans la
Bible ont existé, et qu'il faut « s'en prendre à notre ignorance si nous éprouvons de
grandes difficultés à reconstituer la topographie ancienne » (p. 213).
Qu'il veuille bien nous permettre de lui soumettre quelques observations. Le site
de Migdol est bien celui que nous avions indiqué (1), nous appuyant sur l'autorité
de Maspero. >'ous faisons notre profit du nouveau Pihakhirot, n'ayant pas su où placer
ce lieu. Maisil nous paraît difficile de placer Ba'al Saphon de l'autre côté de la mer.

Pourquoi Moïse n'aurait-il pas mis là une première station? Il semble plutôt que ce
lieu aide seulement à fixer Pihakhirot en deçà de la mer. Inclinant toujours à dresser
un Ba'al sur une hauteur, j'indiquerais volontiers le pic du Djebel Chalouf, que les
Hébreux auraient laissé à droite.
Mais c'est surtout à propos d'Etham qu'il me paraît difficile de suivre M. Clédat. Il

(1) L'ilinéraire des Israélites du pays de Gessen aux bords du Jourdain, RB., l'jOO, p. 63 sp.
BULLETIN. 303

le situe àZalou ou Zarou, aujourd'hui el-Qantara. Mais c'est précisément encore la


granrie route directe d'Egypte en Syrie, et c'est aussi celle que Dieu avait interdite
aux Israélites (Ex. \ni, 17.. Je pense donc toujours qu'il faut se rabattre sur le
seuil d'El-Guisr ;
pas plus au sud, puisque c'est là que se produisit le changement de
direction qui ramena les Hébreux en deçà de la mer.
La mer franchie, M. Clédat conduit les Israélites tout droit à Nakhel. qui est
Mara, Mais l'eau de Nakhel n'est point amère. D'autant que M. Clédat ne parait pas
du tout renoncer au Sinai traditionnel, où les Israélites se seraient rendus de Nakhel.
3Iais, sans parler des autres difficultés, où placerait-on sur cet itinéraire la station

de la mer (Num. 33, 10; ?

Mais les discussions sont trop souvent stériles, les découvertes procurent des points
acquis, et c'est de quoi il faut rendre grâce à l'heureux et habile archéologue [L.].

Le titre de « Cantiques de Sion (1) » évoque le souvenir des chœurs d'Esther et


d'Athalie, des aimables pensionnaires de Saint-Cyr. On est étonné de voir dès la

préface que le traducteur de quelques cantiques de la Bible est très au courant des
travaux sur la poésie biblique et qu'il a même mis à profit les anciennes versions pour
corriger le texte massorétique. Précisément parce qu'il a commencé par établir les
lois des strophes et du parallélisme, il n'eût pas du mettre en tête de ses cantiques
le récit sublime, mais en prose, de la création du ciel et de la terre. L'a-t-on jamais
chanté à Sion?
Et comme le cantique de David sur Saùl à Jonathas est le dernier dans l'ordre
chronologique, on se demande pourquoi non pas ces cantiques sont ceux de Sion et
simplement d'Israël. La traduction est soignée et l'auteur est assurément compétent.
Les notes sont insuffisantes, même pour expliquer les partis embrassés. Et, quelle
que soit la compétence de l'auteur, il est beaucoup de sens qu'il n'eût pas trouvés s'il

ne les avait lus quelque part. Alors pourquoi ne pas le dire (2}?

Langues sémitiques. — Le beau travail de Knudtzon sur les lettres d'el-Amarna


est déjà familier aux lecteurs de la Revue Biblirjue (3). II a servi de base à la série
d'études que nous avions publiées, avant la guerre, sur la géographie, l'histoire et la
langue des populations qui se disputaient les pays d'Amourrou et de Canaan avant
l'invasion des Hébreux (4;. Xous nous servions alors des premiers fascicules de la

(1) H. Pérennès, Professeur au grand séminaire de Quimper; 8° de 11-43 pp. Paris. Beaucliesne,

(2) Pour le détail. On ne


voit pas d'après quels principes certains mois sont soulignés par des
caractères gras. Si c'est parce qu'ils ont des intentions métriques, il eût fallu en noter d'autres
qui sont aussi répétés. Et Dieu dit... Et Dieu fit, etc. sont les formes les plus élémentaires de la
construction sémitique. Dans la bénédiction de Jacob (Gen. 49), venir est souligné au v. 10. 11 y
a plus, cruauté au v. 3 est censé répondre à cruauté au v. 7. Ici le désir de faire du parallé-
lisme a égaré le traducteur, car dans le second cas l'Iiébreu a un adjectif, et dans le premier
cas rien ne justifie le sens de cruauté. —
Dans le cantique de Moïse la division en strophe ne
tient pas compte du refrain comme la pierre, comme fe plomb, comme la pierre, qui termine
:

les trois strophes. Le verset U est manifestement le commencement de la strophe qui suit. —
Dans le maschal d'Hésébon, il eût bien fallu se garder de faire disparaître les noms proiires -kr,
Nopiiah. La traduction des Septante révèle seulement une faute fréquente chez les traduc-
teurs, de prendre les noms propres qui ne leur disent rien, pour des noms communs. Dans le
cantique de Débora, « depuis le Sinai » (Jud. 5, 3) ne peut être le sens de l'hébreu; au v. H on
ne comprend guère les justices de Dieu envers les campagnes. Budde avait du moins mis les
campagnards.
(3 .1, A. Knudtzon, Die El-Amaraa Tafeln, -2 vol. in-8 (VII + 1614 pp.). Leipzig, Hinrichs, 1908-
191.J.

,4 RB. 1908, oOO SS.; 1909, iiO SS., 368 SS. ; 191.3, 3G9 SS.
304 REVUE BIBLIQUE.

publication, qui ne contenaient encore que la transcription et la traduction (en alle-


mand) des précieuses lettres. Par un phénomène singulier, nos articles, spécialement
en ce qui concerne la géographie, ont été utilisés et cités dans la suite de l'ouvrage
lui-même, de sorte que nous n'avons pas à regretter de n'en avoir pas attendu la fin
pour eu faire profiter nos lecteurs. Aujourd'hui, l'édition est complète. Elle com-
prend deux parties bien distinctes. La première (pp. i-viii -\- pp. 1-1007) est due
tout entière à Knudtzon. La deuxième (pp. 1009-1614) est due à la collaboration de
MiM. O. Weber et E. Ebeling; mais Knudtzon lui-même y a mis la main, en parti-
culier pour les additions et corrections des pp. 1.584-160.3. Ajoutons que l'auteur prin-
cipal est mort très peu de temps après avoir achevé son œuvre. On peut la considérer
comme couronnement de sa carrière assyriologique. C'est lui qui a transcrit et
le

traduit toutes les lettres. Les annotations dont il émaille sa transcription prouvent
avec quel soin il avait revu tous les originaux. La liste des signes douteux ou diffi-
ciles à lire, qu'il a voulu reproduire autographiquement à la fin du vol. I (p. 1001-

1007), montre à quel degré de scrupule il en était arrivé, dans son souci de l'exacti-
tude. C'est un exemple que feront bien de suivre les éditeurs de textes. Et pourtant,
çà et là, quelques signes ont pu encore être rectifiés. Une édition des originaux con-
servés au Musée de Berlin (1; a permis à M. Schrœder de faire des corrections (mais
combien rares!) aux lectures de Knudtzon. On les trouvera dans VOrientalistische
Literatur-Zeitunçi, 1915, col. 231 s.; 1916, col. 138; 1917, col. 105. C'est dans la

même revue (1916, 181 que M. Ungnad a publié quelques rectifications à la tra-
ss.)

duction. Elles ne font pas double emploi avec celles proposées par Ebeling dans la
seconde partie de l'ouvrage p. 1584 ss.). Si l'on compare l'interprétation de Knudtzon
avec celle que Winckler avait donnée "en 1896 (dans Keilinschriftliche Bibliothek.
vol. Vi, on saisit sur le vif les progrès de l'assyriologie en ces vingt dernières années.

Peu de passages se montrent encore rebelles à l'interprétation .'Le st3le de cette cor-
respondance entre les Pharaons d'Egypte, les monarques de Babylone, les roitelets
de Syrie et de Palestine, est admirable de pittoresque, de vie et parfois de bon-
homie. Ces traits sont bien rendus dans la traduction. Tous les textes alors connus
ont été étudiés. Mais, depuis l'apparition de l'ouvrage, voici que des textes nou-
veaux ont été acquis par le Louvre et seront incessamment livrés au public par
M. Thureau-Dangin (2). Ils apporteront certainement des précisions à notre connais-
sance de l'histoire et de la langue de Canaan. Déjà les remarques de AVeber, dans les

pp. 1009-1357, tirent des lettres tout ce qu'elles recèlent d'intéressant pour la géogra-
phie et l'histoire. Les derniers travaux parus sont mis à contribution avec un rare
souci de ne rien laisser dans l'ombre. La dissertation sur l'empire du Mitanni
(p. 1039 ss. et p. 1070 s.) sera certainement complétée par l'exploitation des maté-
riaux contenus dans les textes de Boghaz-keuï dont la publication est en bonne voie (3).

Ces documents jetteront encore un jour nouveau sur l'exposé de l'histoire des Hittites
telle qu'elle est reconstituée dans les pp. 1086-1092. Weber évite parfois de donner

sa propre opinion. Il a pour méthode de citer la bibliographie sur le sujet, d'opposer


les avis contradictoires, en laissant le lecteur juge entre les divers partis. Mais sou-
vent aussi il opte pour l'une ou l'autre des thèses en présence et son choix est guidé
par un sens historique très sûr. 11 doit beaucoup à Ranke pour les renseignements
tirés de l'égyptologie. L'index, très complet et très utile, des noms propres est dû

(1) 0. ScHR(«DEu, Die El-Amarna Tafeln, 11<= cahier des Vorderasiatische Schriftdenkmûley
1013).
(2) Cf. Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1918, p. 10'» s.
(3) Keilschrifltexte aus Boghazichdi, fasc. 1-3, par Figilla et Weidnek, Leipzig. Hinriclis, 1910-1019.
BULLETIN. 305

également à Weber, qui a groupé ces noms en trois catégories : noms de personnes,
noms géographiques, noms de divinités. A propos des noms de dieux signalons que,
dans une lettre ds Rib-Addi de Byblos (n" SI, 1. .03-, vol. I, p. 40fi s.), les syllabes
transcrites A)i-da-mu-ia (sans traduction) doivent être lues
(ilu) Da-mn-ia mon «

àïtwBamu Tammouz(l\ Dans le nom de ville Bit-Nin-ib nous avions


«^ c'est-à-dire
proposé déconsidérer nin-ib comms un idéogramme et de lui donner la v a\eur Antu
(qu'il possède dans une liste de noms divins , afin d'aboutir à n:y~n'i2. Sclirœder,
partant de la même hypothèse, propose pour nin-ib l'équivalence Lahamu (qu'il
possède dans la même listej et obtient ainsi nnST^i^, Bethléem (2). Nous hésite-

rions aujourd'hui à garder notre première lecture ou à adopter celle de Schrœder.


Le scribe écrivait pour être compris. Or, quand il s'agit d'un nom géographique, il

ne pouvait laisser à son correspondant le choix entre une série de valeurs qui
sont, d'ailleurs, des
identifications proposées par les théologiens. Le malheur est
que nous ne sommes pas encore absolument sûrs de la lecture phonétique de l'idéo-
gramme Nin-ib. Suivant l'hypothèse la plus probable pour le moment, cette lecture
devrait être nanmrla. S'il y avait eu un "laiTT^n, Beth-Nemrod, à proximité de
Jérusalem, nous en posséderions l'équivalent exact dans Bit-Namurta. Remar-
quons, en passant, que notre lecture Bat-ru-na (Batroun), au"*li"eu de Be-ru-na, est
maintenant admise définitivement. Il a fallu à Ebeling une grande patience pour
cataloguer alphabétiquement tous les mots qui se rencontrent dans les lettres. Son
index sera un auxiliaire précieux pour l'étude de ces formes verbales et nominales
(babylonien mélangé de Cananéen), qui sont parfois accompagnées de gloses emprun-
tées à la langue de Canaan. Non content de nous donner un véritable dictionnaire
d'el-Amarna, Ebeling a groupé, sous des rubriques spéciales, tous les mots cana-
néens, égyptiens, mitannites ou hittites. On ne négligera pas les quelques corrections
signalées à la p. 1609, non plus que les dernières suggestions de Knudtzon à propos
de la liste des noms propres dressée par Weber (p. 101.3 s.).
L'ouvrage, ainsi remis vingt fois sur le métier, se présente dans les meilleures
conditions et répond aux exigences les plus sévères de la science philologique. Il

fait honneur à la Vorderasiatische Bibliothek. Cette collection, destinée à supplanter


la Keilinschriftliche Bibliothek de Schrader, contient déjà un certain nombre d'excel-
lents ouvrages. Nous n'avons malheureusement
rien de comparable en anglais ou
en français. La crainte de repasser par les chemins battus a toujours empêché les
maîtres de l'assyriologie française de fournir au grand public ces instruments de
travail qu'il se voit forcé d'aller chercher outre-Rhin.

Ce n'est pas sans émotion que nous avons reçu la thèse de M. G. Ryckmans sur
« Les formes nominales en babylonien » qui a valu à son auteur le grade de docteur
en langues sémitiques de l'université de Louvain (3). Cette thèse avait été achevée
avant la guerre. Mais M. Ryckmans, chassé de sa ville d'Anvers par l'invasion et
remplissant,dans l'armée belge, ses fonctions de prêtre et de soldat, avait dû
abandonner son manuscrit à des mains amies qui en prirent soin et réussirent à

yl) ScuROEOF.R, Orientalisiische Lileralur-Zeiluag. 1913, col. i)i s.


(2) Ibid.., col. 294.
Les formes nominales en babylonien. Élude de grammaire sémitique comparée, disserta-
(3)
tion présentée pour l'obtention du grade de docteur en langues sémitiques à l'université de
l.ouvain, par G. Ryckmans, docteur en philosophie, ancien élève de l'École biblique de Jéru-
salem. Paris, Imprimerie nationale, 1919. In-8' de "8 pp.
REVUE BIBLIQUE 1920, — T. X\IX. 20
306 REVUE BIBLIQUE.

le transporter à Londres. Cette série de circonstances en a retardé l'impression.


La dédicace au Cardinal Mercier « en témoignage de profond respect et de filiale
affection montre que, chez l'éminent prélat de Malines, l'attitude héroïque durant
laguerre se conciliait avec le désir de promouvoir les fortes études dans l'université
de Louvain. Ce qu'a voulu M. Rycknians, c'est étudier le nom babylonien ou assyrien
non plus en lui-même, comme le font les grammairiens des langues cunéiformes,
mais à la lumière des autres idiomes sémitiques. Au lieu de dresser un catalogue
sec et plus ou moins collèrent des formes nominales, il les fait rentrer dans les cadres
que la philologie comparée a réussi à reconnaître sous les aspects divers que ces
formes présentent en arabe, en hébreu, eu araméen ou en assyrien. Ce sont les
théories de Barth, de Lagarde et de Brockelmann, qui sont confrontées, contrôlées,
critiquées les unes par les autres. L'auteur en tire un système très objectif, qui
permet d'établijMa liliation des noms par rapport aux verbes, grâce aux modifica-
tions intrinsèques des thèmes qfdnJ, qatil, qatal, grâce aussi aux modifications
extrinsèques (par l'usage des préformantes, des informantes et des afforiuantes).
C'est -doiK? une véritable genèse du nom babylonien à laquelle nous assistons eu
quelques pages. La tâche du philologue était d'aligner, en les expliquant, les exemples
qui illustrent chaque rameau de cet arbre généalogique. La documentation est
empruntée àj/âgejd'or du babylonien, c'est-à-dire à la période de Hammourabi.
Le code du grand monarque (édition Scheil), les contrats datés du temps de sa
dynastie (1), sans négliger les documents de l'époque postérieure i^koudourrous
kassites, inscriptions néo-babylonniennes), autant de sources d'information qui dis-
pensaient de recourir à l'assyrien pour retrouver tous les types de formation nomi-
nale. L'intéressant est de constater comment la forme, appliquée à la racine, fait

pressentir le sens du mot. C'est naturellement dans les que la théorie


trilittères

trouve sa meilleure application. Un chapitre est cependant consacré aux bilittères


proprement dits, en particulier les noms de
qui constituent les noms primitifs,
parenté et ceux qui indiquent une partie du corps.En appendice, un aperçu des
formes verbales employées substantivement, des formes plurilittères, des noms
empruntés au sumérien, et enfin des noms composés. Ces listes pourraient s'allon-
ger encore, mais l'auteur ne les donne que comme un hors-d'œuvre, tandis que le
fond de sa thèse est consacré aux formes dérivées directement de qatid, qatil,

qatal. Xès schémas, qur*j!ifëludent à chaque chapitre, sont une synthèse de cette
dérivation. On voit ainsi clairement comment du thème qatula (forme verbale
arabe) se déduiront les formes qatul, qatùl, qutul, qutûl. qitul, qatl et qull. La
logique des langues sémitiques est bien mise en relief. Il ne s'agissait pas,
pour l'auteur, de rechercher le sens de tel ou tel mot babylonien (c'est l'affaire de
la lexicographie, mais de faire toucher du doigt comment le sens du mot était
une conséquence de la forme adoptée. C'est essentiellement une « étude de
grammaire sémitique comparée ». Elle fourDiTa" un guide sérieux aux étudiants
qui voudront pousser un peu leurs études de philologie comparée. De plus en
plus, la connaissance de l'assyriendu babylonien devient indispensable aux
et

exégètes de l'Ancien Testament. Il à souhaiter que M. Rycknians n'aban-


est

donne pas cette branche pour laquelle il possède, comme le prouve sa thèse, les
qualités de précision et d'investigation qui sont requises. Il faut qu'il renoue la

chaîne avec le -3 juin 1914, date à laquelle il signait la préface de sa thèse, dans

1) Uecueillis dons Scuonr;, Urkv.nden des AUbabyl. Ztvil — u.nd Pro:,ess)-echls, Leipzig.
Uinriclis, 1913.
nir.LLTIN. 307

sa chambre de l'École Biblique de Jérusalem, où il se sentait si bien chez lui.

Qu'il nous soit permis de féliciter chaudement M. Michel T. Feghali pour son
très bel ouvrage sur « Le parler de Kfar Abida ». Le titre (1) ne doit pas donner
le change. Si le savant linguiste a étudié, de préférence, le dialecte de ce petit
village maritime, situé à 2 kilomètres au nord de Batroun, c'est parce que c'est son
village natal et parce qu'il était à même d'en mieux connaître l'idiome. Mais, en
réaUté, les constatations phonétiques et morphologiques, entassées avec une grande
impleur d'information, valent pour tout le Liban et, bien souvent, pour la Syrie,

\ compris la Palestine. Plus on étudie les différences qui caractérisent les parlers
de Damas, de Beyrouth, d'Alep et même de Jérusalem, plus on s'aperçoit que ce
sont des différences accidentelles. Il existe un arabe syrieû, parlé dans les milieux
citadins, un arabe des campagnes, parlé chez les fellahs, un arabe du désert, parlé
cîîez les Bédouins. La divergence est plus considérable entre la langue d'A'in-karim
et celle de Jérusalem qu'entre la langue de Jérusalem et celle de Beyrouth. C'est
principalement dans la prononciation que cette divergence est sensible. Les gens de
Bethléem et de Saint-Jean pfemotjcent le k (Mf comme un tch, ce qui les rend
ridiculesaux gens de Jérusalem. Ceux-ci prononcent le q [qdf] comme un '{hamza)
exactement comme à Beyrouth et à Alep, tandis que le Bédouin de la Transjordane
le prononcera q. rejoindra ainsi le nomade de l'Iraq-el-'Arab et rappellera la plus
ancienne prononciation du q à Babylone, où l'on disait gaggadu pour qaqqa'lu etc..
La prépondérance des musulmans à Bagdad, Mossoul et Damas a sauvegardé davan-
tage la prononciation qu'on pourrait appeler coranique. La Syrie occidentale, la
Phénicie et la Palestine, plus accessibles à la pénétration étrangère, surtout dans
les villes, ont certainement une langue commune et c'est celle que nous recon-
naissons très facilement dans l'arabe de Kfar Abîda. Voilà pourquoi le travail de
M. Feghali dépasse la portée de son titre modeste. Ce n'est pas seulement un « essai
linguistique sur la phonétique et la morphologie d'un parler arabe moderne », mais
un exposé didactique des transformations subies par l'arabe classique dans la langue
syrienne d'aujourd'hui. Une
connaissance de l'arabe vulgaire (sa langue
parfaite
natale) et de l'arabe littéraire, une idée très précise des influences syriaques sur
les dialectes actuels, d'excellents principes de grammaire comparée, dus surtout à

1 influence de M. Albert Cuny, professeur de langue latine et de grammaire comparée


à la faculté des lettres de Bordeaux, enûn une bibliographie assez nourrie sur le
sujet, autant de moyens qui ont permis à l'auteur de traiter à fond son sujet. La-
phonétique s'attache surtout à la constitution de la syllabe par le jeu des consonnes
et des éléments vocaliques. Après avoir montré les diverses transformations des
consonnes et des voyelles de l'arabe classique, M. Feghali met en relief le.yôle
de l'accent. Il n'hésite pas à trouver des analogies dans les langues modernes,
même slaves ou germaniques. Il termine en soulignant « une fois de plus, que la

phonétique du parler de Ivfar Abîda, comme celle de tout parler caractérisé, forme
un système rigoureux où tout se tient ^doctrine de Meillet] » (p. 132). La morpho-
logie traite successivement du verbe, du nom et du pronom. Nous aurions préféré
voir traiter le pronom avant le verbe, à cause du rôle que jouent les préfixes
pronominaux à liniparfait et les afîormautes pronominales au parfait. Le type du

(1) Le parler de Kfar 'Abida (Liban-Syrie), Essai linyuislique sur la phonétique et la iHor-
phologie d'un parler arabe moderne par Michel T. Fei;hàli, docteur es leUres, professeur
(l'arahe à l'Institut colonial tle iîordeaux. In-8 de xv -f- 307 pp. Paris, Leroux, 1019.
308 REVUE BIBLIQUE. .

verbe sémitique se trouve à l'impératif et au parfait. L'imparfait dérive de l'im-


pératif. L'auteur a parfaitement raison de considérer l'infinitif et le participe comme
des noms plutôt que comme des verbes. Voici comment nous aimerions voir traiter

le verbe : d'abord l'impératif (expression du besoin, du désir, de la volonté), avec


ses quatre formes :
2"^ p. m. s.. S"" p. f. s., 2"-
p. m. pi., 2« p. f. pi. De là nous
tirons l'imparfait (à sa forme aoriste) par l'usage des préfixes pronominaux et des
terminaisons de genre ou de nombre. Le parfait (expression de l'action ou de l'état,

selon sa vocalisation) est, à ses S*^^ personnes, le type parallèle à l'impératif (le sujet

n'exprimant plus le besoin, le désir, la volonté, mais simplement le fait). Les autres
personnes du parfait se constituent alors par la simple adjonction des pronoms
personnels comme terminaison, ces pronoms se substituant au sujet de la 3^ personne
et faisaiit corps avec le verbe. De même pour
le nom, nous aurions aimé à ce que

la dérivation, traitée dans les pp.^ 227 commençât par les thèmes à transfor-ss.,

mation purement vocalique et les ramenât aux schémas généraux tels qu'ils sont
reconstitués dans la thèse de M. Ryckmans signalée ci-dessus. Nous aurions pu
suivre ainsi le mot depuis sa naissance à l'état de verbe jusqu'à sa maturité à l'état
de nom simple et enBn~jus'qïi"'â" ses rejetons^ que nous trouvons dans les formes
avec âffbrmantes, informantes et préformantes. C'est le vrai processus logique, car
il ne s'agit pas de ranger les formes chronologiquement, puisqu'elles ont toujours
coexisté. Pour terminer, disons que ce qui nous a le plus déconcerté dans cette
utile et savante grammaire, c'est la multiplicité des lettres employées pour les
consonnes et les voyelles. Nous avons compté 14 signes spéciaux pour les voyelles
brèves non accentuées. Ajoutez-y les voyelles brèves accentuées, les voyelles longues
(avec ou sans accent) et vous aurez une idée de l'effort que doit faire le lecteur
pour ramener à un son connu la voyelle écrite. Sans doute on peut s'y familiariser.
Mais les massorètes, qui sont nos meilleurs guides pour le vocalisme hébreu (peu
différent du vocalisme de l'arabe syrien ou palestinien), se tiraient parfaitement
d'affaire avec un système moins compliqué. Vouloir arriver aux dernières nuances
possibles de la voyelle e ou o par exemple, c'est oublier que la prononciation des
voyelles se différencie non seulement de ville à ville, mais même d'individu à indi-
vidu. Il nous semble qu'on peut ramener les sons de l'arabe vulgaire à des types
voisins de la ponctuation massorétique : a, â, é, è, ê, i, î, o, ô, u, ù, sans oublier e
(le sewa). Inutile alors de faire composer des signes spéciaux qui déroutent le lecteur
aussi bien que le typographe. Quant aux consonnes, remarquons que les aspirées
sont bien rendues par la transcription ordinaire; mais l'auteur distingue deux n,
deux r, deux 1, rend le son ph par un f (spirante labiodentale sourde) ou par un o
(p syriaque spirantisé), multiplie les indices au-dessus ou au-dessous des lettres et

aboutit à une transcription dont la complication rappelle celle de Brockelmann


dans sa grammaire comparée des langues sémitiques. Ce scrupule presque maladif
de faire dire à une lettre non seulement le son qu'elle exprime, mais encore le
pourquoi de ce son, n'est certainement pas un encouragement pour celui qui veut
s'initier à une langue ou à un dialecte. Ici encore on peut revenir, sans préjudice

pour la science, à plus de simplicité, en prenant pour base l'alphabet arabe clas-
sique et en indiquant, une fois pour toutes après chaque lettre, les modifications
que la prononciation vulgaire fait subir à l'ancienne. C'est le parti auquel s'était
résigné Wahrmund dans son Praktisches Hcmdbuch, si utile et si commode pour
Nous voudrions que M. Feghali
étudier l'arabe de Syrie. s'inspirât de ce volume
pour nous donner un bon manuel de l'arabe syrien. Il est mieux qualifié que
n'importe qui pour ce travail. Il pourrait alors laisser de côté l'apparat scientifique
BULLETIN. 300

de ses publications antérieures. La protection française, officiellement reconnue en


Syrie, amènera de nombreux officiers, fonctionnaires, industriels et commerçants,
qui auront besoin d'une teinture de l'arabe du pays. Il y a place poutun excellent
manuel en M. Feghali peut le fournir.
français.
Les mêmes qualités que nous avons constatées dans le gros ouvrage ci-dessus,
nous les retrouvons dans une autre étuJe de M. Fegbali sur les parlers arabes du
Liban (1). Cette étude a paru avant celle que nous venons d'analyser, mais elle est
l'application à un tbème particulier des idées générales contenues dans l'essai lin-
guistique sur le dialecte de Kfar 'Abîda. L'auteur recherche les emprunts, ou plus
exactement les survivances syriaques, dans l'arabe que parlent les montagnards
du Liban et les riverains de la côte phénicienne '2). Après une introduction sur la
diffusion ancienne et la disparition du syriaque dans le Liban, il recherche les

critériums phonétiques grâce auxquels on peut .reconnaître si un mot de la langue


actuelle est une survivance du syriaque. Même travail pour la morphologie et la

syntaxe. En appliquant ces critères au vocabulaire et à la grammaire actuels, on


reconnaît des survivances indéniables. M. Feghali a eu l'heureuse idée de les cata-
loguer sous deux rubriques, dont l'une comprend
les mots exprimant des idées

mots empruntés à la vie domestique, pastorale


religieuses ou cultuelles, l'autre les
ou-agricole. Il est remarquable que le plus grand nombre des survivances (les trois
qnarts) appartiennent à cette seconde catégorie. Enfin, ces termes, qui ont surnagé
dans le naufrage du syriaque comme langue parlée, sont presque tous des termes
techniques. La documentation de M. Feghali est très riche. Elle n'hésite pas à
remonter, en dernière analyse, jusqu'au mot grec ou latin qui se dissimulait sous
son enveloppe syrienne. On sent que l'auteur appartient à la belle génération de
savants maronites qui, comme Assémani, ont étudié le syriaque con amore. Son
ouvrage est dédié ^< à Sa Béatitude M?'' Elias Pierre Hoyek, patriarche maronite
d'Antioche et de tout l'Orient ». Prier en syriaque, parler en arabe, penser et
sentir en français, tel a toujours été l'idéal
du Liban. Cet idéal est définitivemenl
consacré. Nous pouvons nous attendre à un nouvel effort intellectuel des populations
affranchies enfin du joug de l'Islam. Les études syriaques et arabes en profiteront
beaucoup.

P. Dhorme.

Palestine. —
Le Pi. P. Jérôme Golubovieh, O. M., poursuit avec diligence sous
forme de chronique l'étude des sources et des faits relatifs à l'action des Franciscains
en Terre Sainte et dans tout l'Orient 3 Le tome III dont la guerre avait retardé la
.

publication comprend une période assez restreinte (1300-1332 à cause du vaste


horizon embrassé par l'auteur qui nous conduit de la Crimée à Pékin par la Perse
et les Indes, de la Grèce à l'Egypte par Rhodes et Chypre. Associés aux Frères
Mineurs nous rencontrons souvent dans ce volume les Frères Prêcheurs non moins

Etude sur les cmprunls syriaques dans les~parlers arabes du Liban par MicHF.r. T. Feghali
i;

i 11-8 + 98 pp. Paris, Champion, 1918.


de XVI -

Nous ferons remarquer [p. 1, n. 2) que l'ancienae forme de Botrys (aujourd'liui Batroun)
yi]
nesi pas Bozruna, mais bien Batruna dans les lettres d'el-Amarna cf. ci-dessus le compte :

rendu de l'ouvrage de Knudtzon'.


(3) Biblioteca Bio-bibUografica délia Terra Santa e delV Oriente Francescano, III; in 8^ de
\ ioii pp. Quaracclii près Florence, Colk-gc de Saint-Bonaventure. 1919.
310 REVUE BIBLIQLE.

ardents à répondre à la vigoureuse impulsion que les papes d'Avignon imprimaient


aux missions d'Orient. En ce qui concerne la Palestine, il est à relever que les pre-
miers religieux latins pour lesquels Jacques II d'Aragon obtint du sultan d'Egypte
la garde et l'administration du Saint-Sépulcre ainsi que la jouissance des logements

du patriarcat latin adossés au nord de la rotonde étaient des Dominicains. De fait,


douze Prêcheurs catalans se rendirent à Jérusalem en 1323: mais, pour une raison
demeurée inconnue, leur séjour }• fut assez court, car dès 1327, le même prince
obtint les susdites concessions en faveur des Franciscains. Ceux-ci ne devaient s'éta-
blir définitivement dans les locaux attenants au Saint-Sépulcre qu'en 1333, grâce à
l'intervention du roi de IVaples, Robert, petit-fils de Charles d'Anjou.
Les pages de cet ouvrage qui relèvent plus particulièrement de notre ressort sont
celles qui ont trait à la littérature palestinienne. Ainsi p. 36), le P. G. refuse d'attri-
buer au Franciscain Philippe Busserjus de Savone la Descriptio Terrae Sanctae que
lui attribue Rôhricht et le LiheUus de descriptione T. S. publié sous son nom par le

P. de Civezza dans Le missioni francescan (III, p. 325 s.) Ces itinéraires, en consé-
quence, pourraient être assignés à quelques années plus tard que la fin du xm" siè-
cle.Leurs dates cependant ne seront guère fixées avec certitude que lorsque les
rapports de ces compositions avec Marino Sanuto et le texte attribué jusqu'ici à
Odoric de Pordenone arriveront à être nettement établis. Il faut ajouter en efïel que
l'itinéraire que nous avions l'habitude, depuis l'édition de Laurent, de citer comme
l'œuvre d'Odoric ne serait en réalité qu'une copie remaniée par ce Franciscain d'un
texte de la seconde moitié du xiii<^ siècle qui lui aurait servi de guide lors de son
pèlerinage. L'auteur en voie de rectifications supprime en 1310 et en 1328 deux
gardiens du Mont Sion qu'il avait introduits dans sa Série chronologique des supé-
rieurs de T. S. sur la foi du peu critique Calahorra. D'autre part il revendique

pour Raymond Etienne O. P., qui devint évêque d'Éphèse, la paternité du Bii'ec-
lorlum ad passaghim faciendum (1), projet de croisade adressé à Philippe VI
de Valois, en 1332, par un dominicain qui avait été longtemps missionnaire en
Arménie. L'itinéraire de fr. Pépin de Bologne O. P. retient quelque temps l'attention
du P. G., à cause de l'indication des sanctuaires où les Latins pouvaient dire la
messe en 1320. Mais c'est à tort qu'il croit que ce document a été publié pour la
première fois par le comte L. Manzoni en 1896. car nous le trouvons chez Tobler
{Dritte Wandertmg nach Palastina, p. 400-12) qui l'a édité en 1859.
Le présent volume réédite les itinéraires qui sortent sans conteste d'une source
franciscaine. On y lira en entier le pèlerinage d'Antoine de Crémone à Jérusalem
(1327) et au Sinaï (1330, ; c'est la troisième édition de ce texte. Mais la perle de ce
tome III de la Bibliothèque bio-bil)liographique est sans contredit l'itinéraire jusque-
là mal édité du franciscain irlandais Syraon Semeonis qui se place en 1323 et non
en 1332 comme le veut Rôhricht {Bihl. geogr. Palaest., p. 72 A l'exemple du pèlerin .

de Bordeaux, le voyageur signale les stations de son trajet à partir du point de


départ, non sans quelques observations dénotant un esprit curieux et averti, qui sait
exprimer ses impressions. Si cela n'était pas hors de notre cadre nous insisterions
sur la description de Londres, que est. incUtissima et opulentissima infer omnes civi-
tates que solis ambitu contînentnr, sur celle de l'illustre cité de Paris que est popu-
losissima inter omnes civitates que fidem diristiannm confitentiir. L'éditeur se

1) Publié flans le tome II des Historiens arméniens des Croisades sous le nom de Brocard.
Kohler qui a fait justice de cette attribulioa tiendrait pour Guillaume Adam, évoque de Sulta-
nieh, mais le P. G. met en avant une bonne raison p. iOS. vi. '^i pour donner la préférence à
Raymond Etienne. Cf. ROL., XII, p. 10'* ss.
BULLETIN. 311

demande jamais un étranger a loué à ce point la gloire et la splendeur de cette


si

ne connaissons pas davantage parmi les anciens récits de pèleri-


capitale (1,. A'ous
nage une description aussi vivante et aussi précise des mœurs de la Basse Egypte
que celle de fr. Symon. Le pittoresque y abonde, mais dépourvu du verbiage de
Fabri. 11 reste malheureusement peu de choses pour la Palestine, l'unique manus-

crit contenant une copie interrompue au beau milieu de la visite de Jérusalem. La


voie ferrée qui facilite maintenant le passage du désert entre Palestine et Egypte ne
doit pas nous faire oublier les misères des anciennes caravanes. A Katieh, l'émir a
un stratagème pour découvrir ceu.K qui passent en fraude sur son territoire à la
faveur des ténèbres de la nuit. La veille au soir, il fait ratisser le sable sur une
longueur de six ou huit milles au moyen d'une natte ou d'une barque traînée par un
cheval. Dès qu'au matin ses janissaires découvrent une trace i-écente de pas. les

transgressenrs des ordres du sultan sont poursuivis et punis gravement. Le même


système fut mis en vigueur, en 191.5, le long du canal de Suez pour dépister les
Bédouins qui venaient subrepticement poser des mines dans l'eau pour le compte
des Turcs. Ajoutons enQn que le récit en question permet d'affirmer la réalité de la

mission de Guillaume Bonnesmains, en 1.327, sous Charles IV le Bel. dont le but


du sultan d'Egypte la protection des chrétiens et des LieuxSaints de
était d'obtenir
son empire. M. Langlois dans l'Histoire de France de M. Lavisse devra donc se
rétracter.
Tout ouvrage qui fait avancer les problèmes historiques vers une solution certaine,
comme celui du P. Golubovich. sera toujours bien accueilli des travailleurs.

Le Lagrange se promenant un jour sur une terrasse de l'École où s'accu-


P.
mulaient de menus fragments recueillis dans les fouilles de la basilique de Saint-
Etienne, aperçut un morceau de calcaire couvert de caractères hiéroglyphiques. Il
s'empressa de le publier dans la Reçue biblique (1892, p. 116 s.;. Quel ne fut pas
son étonnement quand M. le chanoine Moramert sollicita comme une faveur singu-
lière de voir le précieux débris, s'étonnant qu'on ne l'eût pas soigneusement dissi-

mulé! On le lui montra sans défiance et il ne marqua pas moins de satisfaction


quand on lui lit observer dans la pierre qui était à la place de l'autel les rainures
destinées à l'écoulement des eaux. Yn autre fragment, i)robab!e.uent un ossuaire et

peut-être un reliquaire, mit le comble à sa joie. — Que présageait cette soigneuse


enquête? On ne le sut qu'à l'apparition du livre Saint-Étienne et ses sanctuaires à
Jérusalem (2). M. Mommert transformait la basihque en « un sanctuaire thermal de
Set >>, — un dieu égyptien reconnu par le P. Scheil sur le fragment hiéroglyphique:
le reliquaire devenait un « autel d'offrande pa'ieii» p. 265;, le dessous d'autel byzan-
tin un '< autel de libation égiptien (sic « fp. 260^ et le tout était attribué « sans aucun
doute » Hadrien dont Set était 1' « un des dieux protecteurs » (p. 291).
à l'empereur
Pour porter coup plus sûrement contre une maison française, le livre était écrit...
... nous ne saurions dire en français, mais enfin telle était bien l'intention du chanoine

allemand. On en rit beaucoup à Jérusalem, sauf les quelques personnes qui pren-

li; p. 219 : 1)1 ipsa nanique cicilale summe ciget scientia théologie" et phiiosophica. quum
ipsarum nutrix est, H aliariim artium liberalium mater, et magistia justitie, ulique libéra
morum nonna, et Oreviter omnium virtutum moralium atque theologicarum spéculum et
Jucerna.
2 ' Avec xir planchas, par l'abbé Cliaries Mommert, docteur en théologie et chanoine du
-épulcre à Jérusalem, missionnaire apostolique et commandeur de l'Ordre S. et M. du Sainl-
- Iiulcre. •.
312 REVUE BIBLIQUE.

nent les injures pour des arguments (1). Le bon chanoine avait esquissé uue sorte
de triple alliance, qui ne lut pas plus solide que l'autre (2). Les Israélites étaient
appelés à la rescousse; ils se dérobèrent (3).
Voilà encore trop de lignes sur ce sujet. Mais quoi ! On nous accuserait de faire la

conspiration du silence. Nos lecteurs pourront d'autant plus facilement se procurer


cet ouvrage qu'une souscription importante a permis, au début, de le distribuer
gratis. [Vincent.]

Une critique diligente et une information relativement étendue caractérisent la


brochure du prof. Schmitzberger sur L' authenticité du Golgotha
J. et du Saint-

Sépulcre; examen nouveau d'un vieux frohlème (4). Son but restreint est de recher-
cher si du sanctuaire actuel est vraioient celui de la Crucifixion et de la
le site

sépulture du Sauveur, quelle que puisse être l'authenticité du Tombeau et du


Calvaire précis que le monument renferme aujourd'hui. Au bout de son enquête,
M. S. conclut :« Il est donc certain que le Crucifiement et la Résurrection du Sei-
gneur se sont accomplis au lieu où s'élève de nos jours l'église du Saint-Sépulcre »
(p. 106). La démonstration « par l'histoire est assez bien menée. On sent que
->

l'auteur a quelque pratique des textes, et même dans les cas où leur discussion
pourrait être plus serrée y a plaisir à retrouver du sens commun dans une
(5), il
enquête que les romans mythologiques des Heisenberg, des Kuemmel, des Schmaitz
et de tant d'autres ont encombrée à profusion. La discussion « topographique » est
plus précaire, parce que les observations directes de l'auteur ont été fatalement
limitées aux éléments assez rares demeurés accessibles aux époques où il visitait

Jérusalem. Sa judicieuse monographie lui demeure néanmoins honorable et vaut


mieux que les très gros livres qu'elle a pris à partie.

On attache [évidemment, en Allemagne, une importance considérable à discuter

(i; M. Tliomsen, tout en déplorant « un certain parli-pris » dans ce livre qu'il trouve d'ailleurs

circonspect [umsichtùj), utile (nûtzlich) et plein de résullats fort appréciables Wertvolle Ergeb
nis), lui consacre une très grave recension dans la Zeilschr. des deut. Pal. Vereins, xxxvii-
lt>U, p. -20i ss. Pour une réfutation mctliodique et patiente, voir la longue série d'articles de
M. l'abhé Heidet dans la revue du Verein calJiolique de Cologne, Dus heilige Land, des années
VM-> ss.
(2) On
se peut renseigner là-dessus dans le pittoresque chapitre intitule « Protestes motivés, :

de pari des Franciscains, des Jésuites et des Augustins... > Franciscains et Jésuites sont globa-
la
lement représentés par le » P. Fiorowicli S. J. », dont on soupçonnait peu la spéciale compé-
tence. Quant aux Augustins, ils auraient déposé les armes pour ne pas exposer leur « sanc-
tuaire... de S. Pierre » (p. 208). Le seul P. S. Vailhé demeure un champion désintéressé du
« rocher traditionnel •. Il ne peut qu'être llatté d'être si laigement exploité et solidarisé avec

Momniert, Fiorowicli et > l'Église grecque de Jérusalem. •, chaudement applaudie d'avoir marqué
sa foi par " la construction... d'un oratoire » (p. 282 s.) authentiqué par la i)etite supercherie
qu'on omet seulement de rappeler: cf. RB. I!)07, p. 607-011. Voici d'ailleurs un renfort inespéré
a cette Triplice. Grâce à « La Providence... un nouveau champion, le R. P. Nunzio, 0. F. M...
entra en lice avec une brochure anonyme en italien » {p. 211). On l'a connue et elle ne déparait
pas cet arsenal, pour rester dans les métaphores militaires dont raffole le chanoine silésien. —
Si le P. Nunzio ne paraît pas avoir été assez fier de son f'actum pour le signer, son allié tient
fermement à y épiiigler son nom (voy. p. riO, 72, l't5, 146, 211) à tout propos.
(3) Pour éclairer le problème du lieu où les Juifs auraient lapidé les condamnés, le bon
chanoine s'est donné le soin d'adresser une supplique au « Très Révérend Grand-Rabbin des
Juifs de Jérusalem ». Et comme il y avait mis des formes. —
« Mon Très Révérend Père... Je Vous

prie... de vouloir bien... >, —


M. Chaim Berlin, ober Rabbiner, dont la lignée ancestrale est, je
crois, assez courte à Jérusalem, « eut la bonté de » répondre, sous son seing et l'autorité de la
Bible... qu'il n'en savait rien.
(4) Die Ëchtiieit Golgothas imd des heil. Grabes. Neue Untersuchung einer alten Frage. In-8"
de 107 pp., Imprimé < comme manuscrit. » Munich; 1914.
(3) Les citations semblent parfois faites de seconde main et pas toujours avec une suffisante
exactitude.
BULLETIN. 313

par le menu l'étrange conception que s'est faite naguère M. Heisenberg du Saint-
Sépulcre constantinien. Il y a lieu de l'estimer avantageux quand cette préoc-
cupation fait naître un ouvrage tel que celui de M. A. Baumstark sur Les cdifices
de Modeste et de Constantin au Saint-Sépulcre de Jérusalem (I). Un sous-titre très
explicite avertit que ce livre va s'employer tout entier à « un contrôle des résultats
auxquels ont abouti les recherches de Heisenberg ». L'archéologie n'intervenait pra-
tiquement à peu près pour rien dans ces « recherches •
. Or comme le problème est,

avant tout, une question archéologique, il suffisait d'opposer à ce laborieux écha-


faudage philologique et historico-religieux quelques faits très positifs pour en faire

ressortir l'inanité. Mais pour la catégorie des lecteurs qui saisissent mal la valeur
des données matérielles, ou qui ne s'intéressent pas à des vestiges d'architecture ou
à des éléments de topographie fatalement minutieux et délicats à manier, les spécu-
lations littéraires deHeisenberg pouvaient demeurer impressionnantes aussi long-
temps qu'on ne les aurait pas montrées caduques. Et c'était une tâche d'autant plus
lourde que la thèse était réellement érudite et que la réfutation d'un sophisme ou
d'un paradoxe exige toujours plus de développements que ce paradoxe ou ce
sophisme. C'est fortune qu'elle n'ait pas effrayé M. B., car nul n'était mieux que lui
en mesure de la mener à bonne fm. Rompu à la critique des textes et parfaitement
informé de cette documentation où des sources excellentes se mêlent à de siniples
racontars de pèlerins et à de la rhétorique tendancieuse, il reprend avec une patience
imperturbable tous les textes auxquels Heisenberg avait trop souvent fait violence
pour les plier à sa théorie, ou qu'il interprétait à la légère. Non content d'ailleurs
de démonter ainsi pièce à pièce tous les appuis de cette théorie, Baumstark éclaircit
en maint endroit des données littéraires qui n'avaient pas encore été suffisamment
approfondies et verse au débat quelques informations nouvelles. L'écueil d'une telle
étude est de tomber parfois en arrêt devant une phrase ou un simple mot pour en
une donnée que son auteur soupçonnait apparemment fort peu (2). Mais
faire sortir
quand on il ne reste vraiment rien debout de toutes les
a lu attentivement ce livre,
arguties de Heisenberg. Ce qui n'empêchera manifestement pas son malencontreux
ouvrage d'encombrer longtemps encore le sujet dans certaines écoles où la fantaisie
mythologique est toujours prise d'emblée pour de l'archéologie et de l'histoire cri-
tiques. On s'étonne que M. B. n'ait pas inséré dans sa remarquable étude un plan
des monuments de Modeste et de Constantin qui en faciliterait grandement la
lecture.

Sur l'initiative des hommes éminents qui la dirigent, la Chambre de commerce de


iNIarseille organisa naguère un Congres français de la Syrie qui s'est tenu à Marseille
dans les journées du 3-.> janvier 1919. Malgré l'extrême rapidité d'une improvisation
limitée à quelques semaines, en un temps qui semblait d'ailleurs peu propice à une
telle entreprise, l'importance de ses travaux a été très remarquable et non moins la

célérité avec laquelle a été réalisée leur -publication (3). La section d'archéologie,

(1) Die Modeslianischen und die Konslantinischen Baulen am heil. Grabc zu Jérusalem,
dans les Studien zur Gescli. und Kultur des Attertums, t. Vil. In-8" de xi[-n4 pp. Paderborn ,
Schoningh, 1915.
(2) C'est le cas en particulier du petit chapitre p. 136-141) où B. clierclie ù déduire d'un passage
où Éthérie parle du rassemblement des fidèles in basilica, quae est loco iuxla Anastasim,
foras lamea, l'existence d'une sorte de « salle d'attente où commence la psalmodie nocturne
•>

avant que les portés du sanctuaire soient ouvertes. De même, p. 14" s., dans les computs de pas
chez divers pèlerins.
,3) Coiifjri-s français de la Syrie. Séances et travaux: fascic. gr. in-S"; I. Section éeono-
't
314 REVUE BIBLIQUE.
histoire, etc., présidée par M. Babelon, a été particulièrement active et le volume qui
enregistre ses travaux comprend une vingtaine de mémoires pleins d'utiles infor-
mations. Citons seulement au liasard : L. Bréhier, Les oritjincs des rapports entre
la France et la St/rii'. Le protectorat de Charlemagne [p. l-S-SS); M. Piliet, Les pre-
mières recherches historirjues dans la région de Mossoul. — Les sites antiques et les
monuments historiques (p. 40-62); E. Duprat, Les relations de la Provence et du
Levant, du V' siècle aux Croisades (p. 75-98} M. Clerc, Souvenirs d'un séjour en ;

Syrie en... 1882 (p. 126-130; C. Huart, Les frontières naturelles de la Syrie (p. 139-
;

(144;: R. Dussaud, Simyra et l'importance de la côte Nord de Syrie dans l'antiquité


p. 145-148) F. Macler, té-.s- Arméniens en Syrie et en Palestine (p. 151-168); V. Cha-
;

pot, La question d'Orient en Syrie dans r Antiquité et à l'heure actuelle (p. 170-173);
L. et P. Murât, Les ruines franques en Syrie et en Palestine (p. 188-195; : Babelon,
Trois voyageurs archéologues en Syrie : le duc de Luynes,Louis de Clercq, le mar-
quis de Vogfié (p. 217-224). Le vol. contient une bonne Carte des intérêts français du
Levant en I91i.
La publication est complétée par un beau vol. de M. P. Masson. Eléments d'une
Bibliographie framais'' de la Syrie (1;, présenté avec une modestie charmante dans
l'espoir « qu'il stimulera les curiosités et qu'il donnera une nouvelle impulsion aux
recherches de tout ordre »... (p. xvu. On saura
iiré au savant qui affrontait la

tâche de réaliser un tel ouvrage en peu de mois d'avoir lourni un aussi utile ins-
trument de travail, sans s'efl'arer que des critiques moroses lui puissent chercher
chicane pour quelques lacunes, aussi fatales que peu regrettables dans la plupart
des cas.

Le bulletin de mars-avril 1919 (2) des Comptes rendus de l'Académie des Inscrip-
un important mémoire de M. Clermont-Ganneau sur
tions et Belles-Lettres contient
La mosaïque juive de 'Ain Douq 'd. RB. 1919. p. 532 ss.). Le texte est ainsi traduit :

Soit en bon souvenir le pharnas Benjamin fds de Joseph (Yôseh). Soient (aussi) e)i
hon souvenir quiconque prête assistance et (quiconque) a donné, ou donnera pour ce
Lieu Saint, soit or, soit argent, soit toute [mitre) valeur. — Qu'ils ne (?)... ent
pas leur redevance? pour ce Lieu Saint. — Amen! — Le Lieu Saint est considéré
comme la synagogue de la localité et cette localité ne serait autre que Noorath
bibhque, laxwjAY, >=apâ de Josèphe, No'oran du Talmud et No:po: des auteurs hagio-
graphiques. La mosaïque est datée de l'époque byzantine, 111--1V siècle. Tant que
subsistera quelque espoir de voir enfin déblayer avec méthode ce monument curieux
et si plein de promesses, il serait prématuré de discuter plus à fond ce qui demeure
encore hypothétique dans l'interprétation des éléments connus.

On trouvera dans le même bulletin 01 une notice du prince M. Soutzo sur L(,'.<

origines et les rapports de quelques poids assyro-chaldéens ramenés au grain de blé


ou d'orge comme unité fondamentale. Cette étude très suggestive parait fixer solide-
ment les diverses séries pondérales chaldéo-babyloniennes à formation sexagésimale
régulière, la dérivation du talent lourd d'Antioche et de Suse, celle du talent

inique^: H Arcfiéologie, histoire, géograpliie, etlinojraphie: lU, Enseignemenl: IV, Mé'leciu


fujgiine publique. Paris, Champion et Marseille, Chambre de commerce, lon».
i) Grand in-S" de xix-528 pp.: 4334"'" et d'excellentes taliles.

(-2, Parvenu à .lérusalem le i-2 janvier 1920.


'V P. i:;o ss., séance du 11 avril 1010.
nULLETIN. 315

hébraïque (= 864.000 grains chaldéens. ou 40 kilogr. 625), et « l'existence d'un lien


originel entre les unités pondérales romaines "eTIéspoTns «"orientaux.

Sons le titre La cité de David M. il. Weill vient d'inaugurer, dans la Revue des
études juives (t), le « Compte rendu des fouilles exécutées à Jérusalem, sur le site
de la ville primitive. Campagne de 1913-1914 ». Cette première partie ne comprend
que r « Introduction archéologique et documentaire >>, consacrée à définir le site

initial de Jérusalem sur la petite colline orientale, l'évolution graduelle de ses rem-
parts, les installations hydrauliques dont elle fut successivement pourvue, les « loca-

lisations illusoires » de la nécropole davidique. enQn l'état de l'information archéo-


logique au moment où s'ouvrit la nouvelle fouille. Les lecteurs de la RB. retrouveront
dans cette très diligente monographie l'ensemble des faits et des interprétations qui
leur ont été soumis à diverses reprises et que groupait naguère en très grande partie
le fasc. P'' de Jérusalem.
Sur quelques points toutefois M. W. adopte des vues divergentes. C'est surtout le
cas pour la localisation de Milio. Jérusalem I, p. 182 proposait de situer ce Terre-

plein à l'angle nord-ouest de l'acropole davidique, sur l'évasement du Tyropœon, au


sud-ouest du Temple, qui fournissait un accès de plain-pied sur l'esplanade de Sion.
M. Weill préfère l'établir à l'opposé, dans la ligne orientale du rempart, à l'angle
nord-est de << hauteur de la source d'Ournm ed-Baradj. Il reprend à son
Sion », à la

compte une sorte de gorge, incisée dans le plateau », qui aurait mis
l'existence d' «
«en liaison le haut des pentes des deux vallées » Tyropœon et Cédron (2;. Si les
bases topographiques de Millo en cette situation sont bien précaires, dans l'état
actuel de nos connaissances, les déductions exégétiques destinées à le corroborer le
sont beaucoup plus encore. « Fermer la brèche », dans le texte hébr. de I Rois xi,
27 est déclaré dissemblable des LXX et de la Vulgate. Le coaequavit voraginem
de Vg., qu'on traduit rempart » (?
« il é(.jalisa, p. 27) et le grec tjvéxXs;-
unifia le —
•7£v on en déduit • l'existence d'une ver-
TÔv opayuiôv sont estimés plus techniques et
sion hébraïque perdue qu'ils auraient eue sous les yeux, et qui, en place de « fermer
la brèche », portait « parachever la clôture de l'enceinte » (p. 27}. Ceci ne relève

plus d'aucune exégèse et d'aucune philologie. Les termes yiD et vorayo, pour ne
rien dire de çcayiAÔç. s'équivalent à peu près aussi exactement que possible, dût la

théorie que l'allemand Schlucht ne veut dire ni ravin ni vallée s'en trouver com-
promise. Sur la nomenclature des canaux qui captèrent successivement les eaux

(1) T. LXIX, 1919, pp. 1 à 85.


(2) p. 13 s. et le croquis topograpliique p. 3. Ce « petit col... écljancrure incisant la crête et
limtant cou)me un fossé la plate-lorme mcridionale » (p. 13 entoure d'abord de toutes les
;

réserves précautionneuses que de droit, est parfaitement conforme aux éléments topograpbiques
connus. Dans cette proportion il correspond au plissement du coteau et au dénivellement des
terrasses signalés dans Jérusalem l, p. 190. Seulement, par la suite on est amené à exagérer
cet « étranglement naturel de la crête » (p. -2', pour justifier l'énorme importance du Millo
« grande chaussée... pont massif sur remblai > :jbid.). C'est revenir éqaivalemment à la fameuse

« vallée » de Gulhe, communication » vraisemblable » entre le Tyropœon et le Cédron; cf.


Jérus., I, 190 n. 6. M. ^Yeill estime que Gutbe a parlé seulement d'un " sillon de crête » et que
Vincent outrepasse injustement sa pensée propre » (p. 14(. Le texte de Gulhe auquel il juge
..

qu'on doit « se reporter • est précisément ZDPV., v, 1882 p. 31", où Guthe allègue la vraisem- >

blance dass ursprvngUch eine das Tyropôonlhal mît dem Kidronthal verbindende Schlucht...
durchschnilten hat. C'est Gutbe lui-même qui a souligné son assertion. Si le terme allemand
Schlucht veut dire « Rien autre chose que... sillon de crête, et nullement, à e«up sûr, une
• vallée » transversale reliant ïyropœon et Cédron au travers de la colline (WnL!., op. l., p. li >•

n. I), il suffit de s'entendre. On demande seulement alurs une traduction qu' ne ferait pas
injustice à la phrase intégrale de Guthe.
316 REVUE BIBLIQUE.

de Gihon — Ouinm ed-Baradj, il y a lieu d'attendre les données positives de la


fouille (I}. Les difficultés de détail que peut soulever cette introduction documen-
taire laissent certainement intact le mérite et l'intérêt de la nouvelle documentation
archéologique avidement attendue.
Le grand archidiacre Kléopas]Koikylidès publie dans la Néx Siojv (2) quelquse
nouveaux textes récemment découverts dans les ruines de César ée simples épi- :

îaphes dont il serait cependant désirable d'avoir des fac-similés tels quels, au lieu
de transcriptions typographiques pas toujours assez sûres. ]N"" I -j- Qr^v.-t\ 'kiotLpou
o'.vo-pafaToj] x(ai) ^MaToo'vxï Ya[x=-?;; ctjv TÉxvot;, Tombeau d'Isidore le marchand de vin (?)
et de Matronas sa femme avec {leurs) enfants. — N" 2 : T. 4», 'Iepwvup.£ -/priatè xal
aÀj-s yaTpE. 'Etôjv y.6'. C'est la formule des épitaphes d'époque hellénistique ou
romaine. La suivante paraît de nouveau chrétienne, n" 3 Qr^/.r^ à6x ©sotsV.vou : +
Sia/.(ûvoj) -xpafxovapi'oj —. Si la lecture est à l'abri d'incertitude l'expression i^j.

suggérerait que le sacristain Théotecnos était moine et peut-être d'origine égyp-


-'^ 6»]y.rj Mâpoj /.a\ E'J(j£o;o'j xai Kjp!).).o-j /.al Kupà: è.c,iK-z,C^)^ ^-,
tienne. N'^ 4 : Maros
et Kuras sont des noms peu fréquents en Palestine. — Les deux fragments El Al
XPHMA et TO TAAANTON THC OCIAC MAPIAC sont inutilisables.

P. E. Fund, Quart. Stat.. oct. liJiy. — P. Baldensperger


J. : L'immuable Orient
(suite;; notes d'hist. nat., les serpents. — Capit. D. P. Blair : Jotes sur queh/ues
autels de pierre en Palestine; pierres à cupules; marques dans le roc. « Autels »

et cupules n'ont rien de très caractéristique. Plus intéressantes sont les marques
en forme de grandes lettres V et E gravées sur une paroi rocheuse au 52Mvilom.
sur la route d'Hébron à Ddherii/eh. Le V rappelle des marques semblables à Jéru-
salem et aux environs, à Tell es-Sâfyeh, etc.: des groupes analogues ont été trouvés
en Grèce par exemple, quoique l'époque n'en soit pas facile à préciser. — J. Offord :

Plaii d'un migdol, découvert par M. J. Clédat non loin des Lacs Amers, sur la rive
sinaïtique. Cette découverte éclaire très utilement sur la structure et l'ordonnance
de ces fortins de type asiatique dont les Egyptiens avaient appris à connaître les
avantages et qu'ils surent utiliser pour couvrir leur frontière orientale. Le migdol
renfermait une chapelle au couple divin Sutek-Hathor = Ba'al et Astarté, à l'usage
du poste cantonné en ce lieu. — E. J. Pilcher : Sceau avec inscription en hébreu
archaïque, lue : isn "''jTN p cV^yS.. A Chalom fds d'Adoniah Kkeper, le dernier
mot demeurant sans explication ferme après diverses hypothèses : [fils de] Kheper.
le Khépérite, etc., fort peu satisfaisantes. Le sceau est en la possession de M. RalTaeli,
qui l'a lu : lai ~i:"iN p nSilS. On reconnaît tout de suite le document signalé
naguère avec de si mirifiques commentaires {RB . 1920, p. 136). Comme 11 n'est pas
au-dessus de tout soupçon, mieux vaut attendre que son authenticité ait pu être
contrôlée pour s'attacher à en discuter la lecture. — J. Ofîord : Notes arch...: le

nom. sémitique de Pithom = i"ix, lion. — Nouveaux papyrus palestiniens, titre


un peu amphibologique pour signaler les « Archives de Zénou dont 11 est question <>

La « contradiction ou... lacune dans les renseiajnemenls « qui embarrasse Aveill lop. l. p.T8,
(1)
n. dans les relevés de Vincent pour le canal II est d'une solution élémentaire. Les 7:2 métrés
3)
du canal II furent déblayés en 190.'>, malgré des difficultés exceptionnelles. La galerie latérale

qui vient recouper ce canal à 33 mètres seulement du point de départ dans la caverne de la
•<

source >, bien que soupçonnée en 1009. ne put être déblayée que dans les derniers jours de
la campagne de lOii. Les circonstances ne permirent point alors de reprendre et de pousser
plus avant le dégagement du canal II qu'elle aurait singulièrement facilité.
(2 T. XV, 19-20, p. 145.
BULLETIN. 317

dans la Revue. — St. A. Cook : Qadès de Nephtali et Ta'unwik, se range à la


théorie de J. Morgensteia qui a renouvelé récemment la vieille hypothèse de deux
batailles dans Juges 4 et 5 (cf. Lagraxoe, Le livre des juges, in (oc).

Zeitschrift des DP Vereias, XXXVII, 1914, n°= 3-4. H. Klein, Le climat de Palestine
sur la base des anciennes sources hébraïques. — M"'^ L. Einsler, La poterie fabriquée

à la main par les paysannes de Ramallah


et des environs. Schumacher, Nos —
travaux en Transjordane. —
P. Dieckmann, La voie de raccord Afouleh-Jerusalem '

dans le chemin de fer duHedjûz. —


P. Lohraann, L'assainissement de Jérusalem. —
G. Dalman, A propos de lavage et de bain dans l'archéologie talmudique de S. Krauss.
— J. E. Dinsmore, Compte rendu de Vexploration botanique de Ui Palestine dans

les dernières années. —


Graf, Vindustrie de la nacre à Bethléem. G. Dalman, —
Les fleuves du littoral palestinien au sud de Césarée. — Rectifications au sujet de la
Carte d'excursion de Jérusalem et de la Judée centrale. — Th. Nôldeke, Remarques
sur quelques inscriptions. — Blanckenhorn, Les pluies de 1913-i. — Biblio-
l'hiver
graphie.
XXXVIII, 191.5. — G. Sternberg, Bétfiel. —
H. Gulhe, Contributions à la topo-
graphie de Palestine :Naaraj Neara, localisé « près de la source du nahr el-'Aoudjeh
contemporain ». — H. Moller, Le site de Gaba'a de Benjamin tell el-Foid. = —
L. Bauer, Observations sur le « calendrier des fellahs palestiniens y> du Dr. Cana'an.
— .]. Reil, Compte rendu d'archéologie chrétienne : L'Éléona. — S. Krauss. et
G. Dalman, discussion au sujet de Imstration et bain dans le Talmud. — E. Wei-
gand, L'église constantinienne de la Nativité à Bethléem; cf. RB., 1919, p. 297 ss.
-— G. Schumacher, Nos travaux en Transjordane : revision de la carte du Qadâ
ez-Zi'di. — R. Kittel, Deux sculptures énigmaiiques de Transjordane, considère
comme du Louvre (trouvé au Chihân en Moabitide qui représente
hittites le relief
un guerrier, et un autre découvert par Dalman dans le Djaulàn. Blanckenhorn, —
Observ. météorol. d'oct. 1913 à déc. 191i. G. Bergstràsser, Atlas linguistique —
de Syrie et Palestine : étude comparée des dialectes arabes modernes, avec 4.3 dia-
grammes. —
F. Bleckmann, Trois inscr. gr. du Haurdn : 2 de Sathad et 1 de
Soueida; construction d'un sanctuaire, tomb. d'un vétéran de la Lég. III cyré-
naïque, liste de personnages héroïques ou divins. Compte rendu de l'épigraphie —
gréco-latine en 1913-i. —
Lauffs, Sur le site et l'histoire de Qiryath Ye'arim,
localisé sur la colline de Deir ech-Cheikh, à l'orient de Deir el-Azhar. — Biblio-
graphie dans chaque fascicule.
XXXIX, 1916. La revue, notablement diminuée, parait désormais en deux fas-
cicules numérotés 1 et 2, 3 et" 4. — S. Killermann. Tables de détermination de la
flore palestinienne. — Se Krauss. Naara, Neara, Noaran, spéculations mytholo-
giques d'après les sources rabbiniques sur l'origine de ces dénominations. —
H. Duensieg, Les Abyssiths à Jérusalem. K. Wigand, Disjecta membra Palaes- —
tinmsia, 2 Torse de Nikè en marbre, provenant de Deir el-Qala'a (Liban), au
:

musée de Villach en Carinthie; époque impériale. Blanckenhorn, Rapport sur la —


situation des stations météorologiques du DPVereins en Palestine à la fin de 1915.
— Pluies de l'hiver 1914-5. — E. Baumann, Sagesse populaire de Palestine,
624 proverbes et dictons arabes traduits et commentés. — B. Meissner, Représenta-
tions de villes palestiniennes de l'époque de Teglatphalasar IV (74.3-727) : 'Astaroth
Qarnaïm et Gézer, d'après des reliefs du British Muséum (2 pi.). — A. Alt, Tenni,
localité palestinienne mentionnée à l'époque de Thoutmès III, mais dont le site
318 REVUE BIBLIQUE.

demeure inconnu. Alt inclinerait à le chercher dans le sud de la Palestine. —


Bibliographie.

XL, 1917. — P. Thomsen, D^s unlliaires romains des prormces de Sijric, Arabie
et Palestine (avec cartes); revision et synthèse d'un matériel dispersé à l'infini;

ce travail rendra de précieux services. — Blanckenhorn, Pluies de l'hiver 191Ô-G.


— G. Schumacher. travaux en Transjordane, revision de la carte du Djaulàn
lYo.s

occidental. —
G. Richter, Le Tpalaia rof/al salomonieu. élude exégétiqne visant à se
compléter par le « matériel archéologique et topographique existant ». Le texte
de ï Tlois 7 1-12 n'est guère étudié à fond; comparer par exemple la critique
superficielle du y 6, à propos de la Salle d'attente du trône avec RB., 190.5, 2.58 ss.

L'archéologie et la topographie n'ont guère un sort plus heureux. Quand M. R.


inculpe les restaurations antérieures d'être « monstr«>s » sur le papier et d'impliquer
une réalité « monstroser » —
ce qui doit vouloir dire en allemand « plus mons-
trueuse encore » — , il qualifie excellemment ses trois « planches » et la réalité
qu'elles feraient supposer. — E. Haddàd, La vengeance du sang en Palestine. —
J. Aharoui, A
propos de l'existence des mammifères en Palestine et Syrie. —
H. Guthe, Deux itinéraires de Jérusalem à Constantinople en 19i5 et 1916. —
E. Wiedemann, A propos du miracle du feu sacré, d'après les sources arabes. —
Blanckenhorn. Pluies de l'hiver 1916-7. — Bibliographie.
XLL 1918. —
G. Richter, Les bassins roulants du Temple salomonien, étude ou
l'art n'est guère plus favorisé que l'exégèse. * —
F. Ulmer, Coiffures sud-palesti-
niénnes. — R. Hartmann, Coniribution à l'histoire de la « Via maris », d'après
les sources arabes. — Poznanski Yellin, Notes sur et les inscr. hébr. publiées
en 1914 par Dalman. — Klein, Les rases-Neyarôth
S. « •> da7is la Michna, ne sont
pas des vases de Néara, comme l'a cru S. Krauss, mais des « vases en papyrus »,
ou peut-être d'une localité de liij = », comme on dit
IlaTiupwv, « lieu des papyrus
ailleurs des « vases nii"n^ = Thomsen, Compte
lydiotes », ou de Lydda. — P.
rendu des travaux palestinologiques topographie et archéologie —
de 191i à —
1917. —
P. Lohraann. Choses archéologiques de Nébij Samwil, décrit les ouvrages
dans le rocher où Kittel estimait naguère avoir découvert l'installation cul-
taillés

tuellecananéenne de iMaspha. Sa description fort enchevêtrée n'est pas complète-


ment éclaircle par des graphiques assez sommaires. Il abandonne fort judicieusement
le paradoxe de Kittel au sujet de Maspha pour se rallier à l'idée que Néby Samwîl

est le haut-lieu de Gabaon (cf. RB.. 1892, p. 4.55). Mais on ne voit pas du tout
qu'il ail une notion claire de ces fameuses installations dans le roc, apparemment
beaucoup plus tardives que tous les sanctuaires cananéens possibles. P. Schwartz, —
Néby Sama-'il dans une description de Mouqaddasy (cf. RB., 1912, p. 269). —
E. Wiedemann, A propos du prodige du feu sacre. G. Seybold, Diplôme de —
pèlerinage délivré par le Gardien de Terre Sainte au bénédictin suédois B. Oxens-
tierna, le 29 mai 1613. H. Guthe, — A propos de l'ivraie dans le froment. —
Blanckenhorn. Pluies de l'hiver 1917-8. — Bibliographie.
XLII, 1919. —
H. Fischer, Géographie économique de Syrie, avec d'excellents
diagrammes cartographiques. — K. Schmaltz, Les trois cavernes mystiques du
Christ : la Nativité, renseignement aux disciples, le Sépulcre, ressasse du déjà vu. —
G. Dalman, « L'église du Saint-Sépulcre » d'après K. Schmaltz. A. Alt, Vnc —
inscr. funéraire de Bersabée. — Lient' E. Schaffer, Carte des environs de Damas et
BULLETIN 319

l'icinarques sur cette carte qu'il a dressée en 1913 pour servir aux manœuvres de
l'armée turque. — Bibliographie.
bas Laïul dcr BIbel. — Cette publication, inaugurée en 1914 par la Société
allemande de Palestine cf. BB., 1914, p. 624 s. , sous la direction de M. le prof.
G. Hôlscher, s'estnombreuses monographies. On en a signalé
enrichie d'assez
naguère le caractère et la méthode. Dans le vol. I, fasc. 3, M. Schwôbel achève
son utile esquisse physique de la Palestine (i;. I. 4. ]>L R. Hartmann, La —
Palestini' -^ous les Arabes, 632-1.316 (2): précis bien informé et très pratique. I^nc
excellente amélioration est constituée dans ce fascicule par la présentation de
quelques notes bibliographiques essentielles, groupées dans les dernières pages. —
I, 5-6. M. S. Killerraann, Lk fleurs de la Terre Sainte « échantillons botaniques
d'un voyage de printemps à travers la Syrie et la Palestine >> [o); caractérise à
grands traits la botanique particulière au Liban, à la région Damas-Haurân, à la

Galilée et au Carmel, à la plaine de Saron. aux districts de Jérusalem, Jéricho,


littoral de mer Morte. En Galilée, M. K. s'étonne de n'avoir pas retrouvé le
la

fameux lis le Pi. P. Fonck décrivait poétiquement naguère comme fleuris-


blanc que
sant le bord des chemins en toulTes spontanées. Il se demande si l'espèce n'aura
pas été anéantie, du moins dans les endroits fréquentés, depuis les jours oii le

P. Fonck herborisait p. 2.5); tant de choses se transforment dans le mobile Orient!


II, 1, M. le prof, P. Thomsen, Monuments de Palestine contemporain^^ de Jésus (4),

cherche à évoquer la physionomie monumentale de la Palestine, surtout de Jéru-


salem, au temps du Sauveur, après les grands travaux hérodiens; pages écrites
avec tact et bonne information, mais dont l'intérêt est fort diminué par l'absence
radicale de graphiques. N'y a-t-il pas un lapsus à la p. 29, où la Porte dorée de
l'enceinte du Temple est datée du « vii« siècle ap. J.-C. »? A qui en est donc
attribuée la construction? —
II. 2-4. M. P. Mickley, Arculfe... traduit et com-

mente 15); notes sobres et en générai assez au courant. II, 5. M. le prof. —


H. Gu^he, Les villes grcco-romaines de la. Transjordane, décrit l'origine, l'aspect
d'ensemble, l'organisation civile et religieuse et l'évolution de ces cités aux temps
hellénistiques et sous la domination romaine, jusqu'à leur déclin après la conquête
arabe. — II. 6. Dr. C. R. Grégory, A pied dans les pays de la Bible (6), rapide
aperçu d'un voyage à travers l'Egypte, le Sinaï et le désert entre l'Egypte et la
Palestine au printemps de 1906.
III, 1-2. Gf/v .«'/ de M. le prof. II. Guthe (7), vise à concrétiser par le meilleur

type qui en subsiste physionomie d'une des nombreuses villes gréco-romaines


la

de Transjordane. Grâce à la variété des édifices groupés dans cette impressionnante


ruine et aux nombreuses inscriptions qu'on y a relevées on en peut suivre l'entière
évolution, depuis les jours de sa plus brillante splendeur, apparemment sous
Hadrien, jusqu'à l'arrivée des Turcs.

JNoTE. — Le deuxième article du P. Dhorme concernant - les traditions babylo-

(1) Die Lo'ndesiiolvr Poliislinas; zweitei- Teil; .j2 pp. Ifili.

(-2) Palustina v.ntcr den Araljern. G3-2-lol6, .>3 pp. 1015. ;

(3) Die Blumen des tieitigen Landes: ii -j- 33 pp. et 10 fig., I!il3.
(4) Dentimuler PaUistinas aus der Zeit Jesu, 3!) pp., l'JlG.
(o) Arculf. Eines Pil'jers Reise nacli dem fieil. Landes [ton C70)... ûbers. tend erldart. i-2 -4-

Oi PI)., 4 plans el 2 fig., 1917.


{(.) Zu Fuss in BibeUanden. Tiré des papiers de l'aïUeur; préface de M. Guthe, 44 pp., V.n'.K

(7) m p., avec 8 illustrations. IMIO.


320 REVUE BIBLIQUE.

niennes sur les origines (cf. RB.. 1919. p. 350


> était imprimé, lorsque sont par-

venus à Jérusalem nouveaux textes relatifs à la création publiés par Ebeling dans
les

Keilschrifttexte ans Assur religiosen Inhalts (Leipzig. 1915-1919. Afin de faire


profiter de cette documentation toute récente les lecteurs de "la Revue biblique,
l'auteur s'est vu contraint de retarder la publication de ce deuxième article.

[\. D. L. R.]

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmiu-Didol et. O".


L ANCIENNE VERSION SYRIAQUE
DES ÉVANGILES

Le Nouveau Testameat de M. v(^n Soden n'est pas une édition de


tout repos. Les partisans du texte de Hort et Westcott apprécient le
concours qu'il apporte eu somme à l'édition anglaise. xMais un ama-
teur rigoureux des précisions comme M. Hoskier déclare que c'est à
pleurer. Et en Allemagne même, M. Lietzmann regarde avec compas-
sion son compatriote comme une victime des préjugés. Ce qui renait
c'est la grave question du texte dit occidental. Soden ne l'a pas mieux
traité que Hort. On le lui reproche et la déception est grande, au
lendemain du jour où Blass avait en quelque manière canonisé ce
texte — du moins pour les ouvrages de Luc, —
puisqu'il ne serait
autre qu'une recension émanée de la plume de Luc.
Il est vrai qu'en revanche Gregory le traitait de délestahle. Au

second siècle, chacun aurait remanié les textes à sa façon, surtout en


complétant les évangiles les uns par les autres. Et cette liberté, cette
licence, se produisant partout, avait amené des résultats ditïerents,
avec des airs de parenté.
Cependant, -^ quoi qu'on pense du système de von Soden, — il est
incontestable que depuis ses travaux et ceux de son équipe, on peut
serrer la question de plus près. La recension antiochienne est mieux
délimitée, avec ses groupes et ses sous-groupes. La petite compagnie
rare et choisie qui gravite autour de B est plus nettement rattachée
à l'Egypte. Il masse polymorphe qui déroute
reste toujours cette
l'investigation. Soden en aucune preuve, le résultat d'une
a fait, sans
recension palestinienne. Faut-il y voir, comme semblent le penser
MM. Gousset et Lietzmann, un texte datant du second siècle, un véri-
table rival du groupe B. riche en leçons originales? Et si c'est un texte
dépravé, quelle est l'origine de ses leçons?
Le secret de celte énigme doit se trouver dans l'étude de l'an-
cienne version syriaque (syr.-vet. .

La ressemblance de syr.-vet. avec le Codex Bezae (D) et les mss.


KEYLE BIBUniE 1920. — T. .VXIX. 2t
322 REVUE BIBLIQUE.

des anciennes versions latines, africaine et italienne, a été reconnue


dès la découverte du mss. Cureton (Cur). Elle a été soulignée par
Mrs Lewis qui dans ses annotations similia in aliis codicibus à propos
de sou manuscrit (Sin) a chargé ses notes de références à D et aux
mss. latins. Notons qu'il y a là un peu d'exclusivisme. Plus d'une
fois la leçon de D est en même
temps antiochienne, de sorte qu'elle
n'indique pas entre D et syr.-vet une parenté spéciale. Mais il en reste
assez pour établir ce rapport. Nous n'en donnons pas ici de preuves,
le fait étant constant il en viendra dassez bonnes dans la discussion
;

qui va suivre.
Gomment expliquer ce fait, qui est précisément Ténigme de toute
la critique textuelle?

.4) M. Burkitt semble maintenir le caractère occidental des leçons


communes à D, aux latins et à syr.-vet. Le passage de l'Occident à
l'Orient s'est effectué par Tatien, qui a pris à Rome les mss. ou le
ms, dont il pour son harmonie. D'ailleurs si la leçon de
s'est servi

syr.-vet. n'est pas celle de Ta, elle n'est pas pour cela à qualifier de
syro-latine ; il faut plutôt se demander si elle n'est pas originale.

L'accord de k avec syrvet est particulièrement grave, puisque Car-


thage et Edesse, à défaut de l'intermédiaire de Tatien, n'ont pu
du ii^ siècle. La leçon a donc bien
s'entendre sur une leçon à la fin
des chances d'être originale, surtout si elle est dans Clément
d'Alexandrie.
B) Soden et M. Vogels ont tout attribué à Tatien. Pendant que le
diatessaron syriaque agissait sur syr.-vet., le diatessaron grec et peut-
être un diatessaron latin très ancien exerçaient la même influence en
Occident. Ce système repose surtout sur le caractère harmonisant des
deux quantités à comparer.
C) Le ms. Freer (W) a introduit une nouvelle donnée. Il est égyptien
et du V* siècle. Son éditeur, M. Sanders, et M. Hoslder, ont mis en
circulation un nouveau terme pour désigner le bloc I de Soden. Il
faut tout rapporter à une certaine tradition des versions, c'est-à-dire
un certain mélange qui s'est opéré par l'action des mss. bilingues et
même trilingues. Il faudrait même dire quadrilingues, du moins '

dans l'ordre du temps. C'est ainsi que d'après M. Sanders « : W


représente la colonne grecque dun ms. trilingue, venue en Egypte
sous la forme gréco-latin-syriaque; mais la colonne syriaque a été
remplacée par une version copte » (sahidique) (1 Déjà M. Chase 2), .

(1) The Washington manuscript of the four Gospels, p. 74.

(2) The syro-latin Texl of the Gospels, 1895.


LANCIENNE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. 323

attribuait une grande influence aux mss. syriaques. On parle cou-


ramment de linflaence du syriaque sur k et e, qui représentent la

version de S. Cyprien, quoique altérée, surtout dans e, et de la


fam. 1 et de la fam. 13 (Ferrar comme de mss. syriacisants.

La séduction de ce système, c'est qu'il parait assigner à des mss.


polymorphes une cause polymorphe. Le brouillamini des leçons
s'expliquerait bien par la confusion résultant nécessairement du
mélange des leçons grecques avec celles des versions. Et l'action des
versions latines sur D et W
ne parait pas contestable.
Entre le système ^1) et les deux autres, il y a d'ailleurs cette difl'é-
rence que le premier laisse une certaine latitude aux copistes et aux
traducteurs dans l'usage de leur libre arbitre. Il y a des copistes qui
ont introduit délibérément des changements, et surtout des traduc-
teurs qui ont traduit librement. Dans les autres hypothèses, Tatien
seul aurait fait ses combinaisons à sa manière. Tout le reste se sefait
déroulé par une sorte de déterminisme. Toute leçon suppose un
original semblable. Les fautes qui sont des lapsus sont naturellement
mises à part.
J'aurais voulu me dispenser de prendre parti dans cette question
difficile. Ma conviction étant faite depuis longtemps sur le caractère
secondaire des textes de D et consorts, je pensais me contenter d'une
sorte d'éclectisme exégétique allant de Hort à von Soden. N'étant pas
spécialiste de critique textuelle, ce parti me paraissait le plus sage.
D'ailleurs je ne voyais pas de solution. Les autorités citées par M. Bur-
kitt, surtout celle des Actes de Thomas, me paraissaient décisives
pour assigner à l'ancienne version syriaque une haute antiquité. Si
elle représentait des leçons antiochiennes du ii" siècle, peu importait
en somme qu'elle fût ou non antérieure au Diatessaron. Et D étant
une sorte de grandeur isolée, s'il me paraissait peu vraisemblable
qu'il ait subi beaucoup l'influence de Tatien, je voyais encore moins
comment il eût pu agir sur syrvet.
Tout s'éclaire, j'ose le dire, si l'on constate que syr.-vet. ne peut être

antérieure au iv" siècle, et par l'apparition aux côtés de D d'un frère


aine, le ms. Freer (Wi, et d'un frère cadet, le ms. de Koridethi
(0).
Reprenant la question, ou plutôt l'abordant pour la première fois,
avec ces données nouvelles, je crois pouvoir proposer une nouvelle
solution.
D) Les mss. Sin et Gur représentent une version syriaque antérieure
à la Peschitta, mais qui ne date que du iv" siècle. Elle contenait de
nombreux tatianismes, qui se trouvent surtout dans le ms. Cur, et
qui sont comme son certificat; d'origine. Mais un grand nombre de
324 REVUE BIBLIOLTE.

ses leçons harmonisantes ne viennent pas de Tatien, et ne sont pas


non du traducteur. Ce traducteur les a
plus l'œuvre trouvées, du
moins en grande partie, dans un texte grec, du type de W dans Marc,
de D, de 6, de lorig-inal des versions latines, de i'am. 1, de fam. 13,
et autres consortsdu g-roupe I de von Soden. L'origine du texte poly-
morphe est un peu partout, mais spécialement à Alexandrie qui fut,
elle aussi, un foyer d'harmonisations. On peut l'expliquer en partie
par des actions indépendantes, animées du même esprit, mais on doit
reconnaître une action spéciale puissante, quoique le résultat ne s'en
trouve nettement condensé nulle part.
C'est dans le dessein de rendre cette proposition plausible que je
reprends des points déjà bien connus, mais placés dans une pers-
pective nouvelle. La clarté exige qu'on commence par le Diatessaron.

I. — Le Diatessaron de Tatien.

Tatien, que nous trouvons d'abord à Rome, disciple de saint Justin,


puis chef d'école, est l'auteur d'une apologie du christianisme écrite
en grec, d'une haute tenue littéraire, d'un ton convaincu et même
passionné. Il déclare à la fin qu'il était né au pays des Assyriens, et
il entend par là en même temps qu'il n'était pas d'origine grecque.
S'adressant à des gentils, c'est-à-dire à des Grecs, il n'était pas fâché
de leur montrer ce qu'un barbare savait faire (1). Le pays des
Assyriens n'est pas la Syrie, mais la haute Mésopotamie des anciens.
Il avait sûrement pour métropole Édesse ou Nisibis plutôt qu'Antioche.
C'est là que Tatien retourna lorsque l'Église romaine se vit obligée
de le regarder comme hérétique, en l'an 172 après J.-C. (2). Son
hérésie se rattachait à celle des Encratites, partisans d'une ascèse
exagérée, qui condamnaient le mariage. Il ne renonça pas à sa doc-

trine, le renom d'hérétique en Orient, mais peut-être les


le suivit
Orientaux comprirent-ils d'abord moins clairement la nature et le
danger de son erreur. Toujours est-il qu'il réalisa une œuvre qui
s'imposa à tout le monde. Son nom est resté attaché dans l'Église
syrienne à la composition d'une harmonie des quatre évangiles.
Eusèbe, le plus curieux des Pères grecs, après Origène, et mieux
informé que lui, plus soucieux de transmettre des notions précises
sur la littérature chrétienne, Eusèbe en a entendu parler, mais ne
la connaissait pas. Il reproduit l'opinion d'Irénée qui range Tatien

(1) Ta-jô' ûfj.ïv, avSpcç "E/.^rive;, 6 xoc:à papgàpo-j; ç;i),oa03Ûv TaTiavô; cvviTaça, yevvr.O-i;
(ikv £v TT) Tà>v 'Aaavpitov y^ (Discours aux Grecs, c. XLII).
(2) Épipu. Ilaer. XLVI, 1 Jérôme,
; Chronique, éd. Scboene, p. 173.
LANCIEXNE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. 325

parmi les grands gnostiques. Mais ce qui intéresse Eusèbe davantage,


comme étant peut-être plus dangereux pour son temps que les mytho-
logies cosmogoniques, c'est l'attitude de l'école de Tatien par rap-
port aux Écritures. Elle avait pris le nom d'un Sévère, qui sûrement
avait beaucoup dépassé le maître en audace. Ces Sévériens n'admet-
taient ni les épitres de Paul, ni les Actes des Apôtres. « Leur [i)
premier initiateur, Tatien, ayant composé, je ne sais comment, un
rapprochement et un groupement des évangiles, lui donna le nom de
« L"à travers quatre » (Diatessaron), qui est encore entre les mains de
quelques personnes. Quant à l'Apôtre, on dit qu'il sest permis de
transformer certains mots, sous prétexte d'en améliorer la construc-
tion grammaticale » (2). Puis vient l'éloge du discours aux Grecs.
C'était le principal titre de gloire de Tatien dans la littérature chré-
tienne, et c'est aussi le seul ouvrage de lui que nous possédions en
original. Nous reviendrons sur le succès complet du Diatessaron dans
les églises d'Édesse et de Nisibis, et parmi tous les chrétiens de langue
syrienne. Nous en avons une preuve dans les efîorts mêmes des évê-
ques pour le faire disparaître. La lutte décisive s'engagea au com-
mencement du v" siècle. Rabboula (3), évêque d'Édesse de ill à i35,
fît là-dessus un canon exprès « Que les prêtres et les diacres aient
:

soin qu'il y ait dans toutes les églises un évangile des distincts (ou
séparés), et qu'il y soit lu (i). »

C'était indirectement proscrire le Diatessaron, en le remplaçant.

Rabboula laissa le souvenir d'un adversaire convaincu de Nestorius.


Théodoret, évêque de Cyr, d'environ i20 à 457, beaucoup moins
hostile, sinon tout à fait sympathique à Nestorius, même ligne
tint la
de conduite : « Celui-ci (Tatien) composa l'évangile nommé Diates-
saron, ayant retranché les généalogies et tout ce qui montre le
Seigneur descendu de la race de David selon la chair. S'en servaient,
non pas seulement ceux de sa secte, mais aussi ceux qui étaient
attachés aux dogmes des Apôtres; ne pénétrant pas la malice de
cette composition, ils s'en servaient en toute simplicité comme d'un
livre abrégé. Moi-même j'en ai trouvé plus de deux cents exemplaires
honorés dans nos églises; je les ai tous enlevés en masse, et j'ai
introduit à la place les évangiles des quatre évangélistes (5). »

Donc, quoi qu'il en ait été d'abord, Tatien passait en Orient pour un

(t) Des Sévériens el non pas des Encratites (contre M. Hjelti.

(2) H. E., IV, 29.


(3) Sur cette puissante personnalité, cf. nos Mélanges d'Iiistoire religieuse, p. 185-226.
(4) OverbecI;, p. 210.
(5) Haer. Fab., I, 20, P. G. LXXXIII, c. 372.
326 REVUE BIBLIQUE.

hérétique, ayant gardé des disciples formant toujours une secte


séparée. Cependant tous s'étaient attachés au Diatessaron parce qu'il
donnait sous un moindre volume la substance abrégée des quatre
évangiles distincts. Quoique Théodoret ne dise pas que ces exem-
plaires fussent en langue syriaque,on doit le conclure de la diffusion
de l'ouvrage syrien, alors qu'Eusèbe ne connaissait pas le texte grec.
Nous ne suivrons pas les destinées du Diatessaron; il ne disparut
pas d'un seul coup, et il était sûrement encore apprécié quand il a
été traduit en arabe.
Ses premières origines nous touchent bien davantage. Il date donc
des environs de lan 172. Tatien l'a-t-il composé en grec ou en
syriaque? Zahn tient pour le syriaque, mais son opinion est demeurée
isolée.Le nom de Diatessaron rappelle les originaux grecs. Le nom
syrien est « évangile des mélangés », et si l'on a adopté Diatessaron,
:

c'est comme un nom étranger qu'il fallait expliquer (1). Si, comme
nous le pensons, il n'existait pas alors de traduction syrienne des
quatre évangiles, la question ne se poserait même pas, car Tatien
n'aurait pas tout traduit pour faire son choix et négliger le reste. Et
l'onne conçoit pas non jdIus qu'un homme comme lui, chef d'école à
Rome, esprit supérieur et très épris de sa supériorité, se soit mis à la
remorque d'une traduction syriaque et n'ait pas travaillé d'après les
originaux. Celui qui prétendait améliorer le grec de saint Paul enten-
dait bien manipuler directement les quatre qu'il voulait mettre en un
seul. Aujourd'hui encore, qui voudrait composer en français une
synopse sérieuse, devrait d'abord grouper les passages d'après le
grec. Et Tatien pensait, écrivait en grec. Qu'il ait fait ou non la
traduction lui-même, il parait plus que probable qu'il a travaillé '

d'après les originaux, ce qui suppose un premier brouillon en grec.


Mais cela ne veut pas dire qu'il ait lancé son ouvrage en grec dans
le monde grec. Un esprit aussi entier, intransigeant dirions-nous,
beaucoup plus âpre dans ses attaques que l'excellent Justin, a dû
un adieu plein d'amertume. Conjecture. Mais il est
dire à l'Occident
du moins certain par Eusèbc que le Diatessaron grec n'a pas eu de
retentissement dans le monde grec chrétien. A côté d'évangiles
authentiques, toutes ces synopses ne peuvent avoir qu'un débit très

(I)La traduction de Yllistoii-e d'Eusèbe en syriaque, qui date du iv° siècle, s'exprime
ainsi « Ce Tatien donc, leur premier chef a groupe et mélangé et composé un évangile,
;

et la nommé Diatessaron. C'est celui des mélangés, celui que beaucoup de personnes ont
jusqu'aujourd'hui. » On croit voir le choix des passages, leur rapprochement, les sutures.
Le traducteur ne dit pas comme Eusébe : « Je ne sais comment. » Il est témoin de la dif-

fusion de l'ouvrage. Déjà les séparés sont connus, puisque le Diatessaron est l'évangile
des mélangés. Mais nous sommes à la fin du iv° siècle.
L'ANCIENNE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. 327

restreint. Pourquoi donc Soden a-t-il imcaginé de lui faire une part si
grande dans la transformation des textes? C'est que cette hypothèse
lui est nécessaire pour soutenir sa thèse. Ses recensions H, I, K doivent,
par leurs éléments communs, le ramener à un texte H-l-K régnant
au m" siècle, encore très pur, et il faut bien trouver une cause aux
altérations que l'on constate dans les manuscrits. Comme ces altéra-

tions sont surtout dues à l'influence des passages parallèles, il lui a

paru rationnel d'en chercher l'origine dans un ouvrage qui serait,


par définition, un eroupement des passages parallèles, et cet ouvrage
serait le Diatessaron de Tatien.
Enfin, comme les textes latins les plus anciens portent déjà des
traces d'harmonisation, M. Vogels en ^st venu à supposer que la pre-
mière traduction latine des évangiles, comme la première traduction
syriaque, avait été un Diatessaron.
Mais on ne trouve d'abord en Occident sur ce point aucun texte,
fùt-il aussi vague que celui d'Eusèbe. Saint Jérôme, si intéressé à la

question, n'en souffle pas mot. Il faut descendre jusqu'en 530 environ,
au temps de Victor, évoque de Capoue, pour entendre parler de
Diatessaron.
Il tomba sous les yeux un ouvrage de cette sorte, à ce qu'il
lui

semble en latin, mais sans aucune indication d'origine. Et comme


il avait lu Eusèbe, il se demanda si cette harmonie était celle d'Âm-

monius ou celle de Tatien. D'après Eusèbe (1 s Ammonius avait intro-


duit les trois autres dans le cadre de Matthieu. Victor jugea que l'har-
monie qu'il avait sous les yeux était une fusion plus complète, et se
]^rononça pour Tatien. Les modernes lui donnent raison, mais on
aurait tort de citer l'édition de Victor de Capoue comme l'ouvrage
de Tatien. Le Diatessaron latin s'écarte en beaucoup d'endroits du
Diatessaron arabe dont nous allons parler, non seulement quant au
texte, ce qui va de soi, mais quant à l'enchaînement des passages. Si
Tatien a servi de type, on a prétendu perfectionner son œuvre; en
tout cas on l'a refondue.
Victor recopia, peut-être de sa main, l'harmonie qu'il avait sous les
yeux, et qui avait été faite d'après la revision de saint Jérôme, car il
ne dit pas qu'il ait changé le texte, et cela aussi est l'indice d'une
entreprise nouvelle. Ce ms. qui appartint ensuite au monastère de
Fulda est le codex Fuldensis 2).

L'histoire des anciens Diatessarons occidentaux n'a point encore été

(1) Lettre à Carpianos.


(2) Code.r Fuldensis, Novura testamentum latine interprète Hieronynio ex manuscripto
Yictoris capuani edidit... Ernestus Ranke, 1868.
328 REVUE BIBLIQUE.

faite; on peut dire cependant qu'on n'en a signalé aucun qui soit sur
un type différent du Fiddensis, dont l'influence peut passer pour
négligeable si on la compare à celle du Tatien syriaque.
Nous n'avons plus le Diatessaron syrien, et le ms. Fulcleusi.'< n'en
est pas la reproduction. Heureusement nous en avons une traduction
arabe, par un nestorien du xi*" siècle, Abou-1-Faradj fils de af-Tayib,
publiée par le Cardinal Ciasca (1;, d'après deux mss. égyptiens, A du

xii'' siècle, et B du XIV^ Le premier contenait les généalogies à leur


place, le second les renvoyait à la fin de l'ouvrage; malheureusement
Ciasca ne les a pas publiées. Sa traduction latine doit toujours être
contrôlée. Quelques feuillets, découverts en Syrie, ont été publiés
par les Pères Jésuites de Beyrouth (2).

Quand la publication du Card. Ciasca serait meilleure, elle ne pour-


rait avoir la prétention de représenter tr.'^s fidèlement l'original syria-
que. La traduction arabe —
une traduction
c'est a déjà élé altérée, !

comme le prouvent les variantes nombreuses des deux mss. Le texte
syriaque avait auparavant une longue histoire, et il avait naturelle-
ment subi assez profondément l'influence de la version régnante, la
Peschitta.
Néanmoins cette harmonie est si ingénieuse, et on peut dire si par-
faite en son genre, qu'on n'a aucun motif d'en récuser à tout le moins
la disposition générale, l'enchainement et même le choix et l'accord
des petits fragments (3). Très probablement le texte de Tatien n'indi-
quait pas à qui avait été pris le petit cube de sa mosaïque, puisqu'il
entendait bien faire uu évangile, et les indications de l'édition Ciasca
ne sont qu'approximatives. Le découpage était souvent beaucoup plu^
ténu. Quant au texte lui-même il s'écarte assez de la Peschitta pour
qu'on puisse, du moins dans les cas de désaccord, le traiter comme
l'original de Tatien.
On a d'ailleurs une pierre de touche dans les écrits d'Aphraate,
qui écrivait près de xMossoul de 337 à 3'p5 et après (i). Il cite l'Écriture

(1) Taliani evangeliorum Harmoniae arabice, nunc piimum ex duplici codice edidit
et translatione latina donavit P. Augustinus Ciasca, Romae 1888.
(21Die Ueherlieferung cler arabischen Ueberselzung des Diatessarons von Dr Sébas-
tian ELniNGEB. —
Die Beirutcr Fragmente, herausgegeben und ùbersetzt von Dr Georg
Graf, dans les Biblische Sludien, XVII, 2 (1912).
(3) Dans The Journal of Iheol. Studies, XII (1911), p. 268 ss., dora Connolly a
voulu
prouver que Talien a confondu dans un même récit le malade de Bethesda et le paralyti-
que de Capharnaiim, confusion que ne commet pas l'arabe. Mais la confusion était tout
au plus, dans l'esprit de Jacques de Sarug dont l'bomélie compare l'humanité à un para-
lytique elle doit être sauvée par le bapléme, ce qui amène le malade de la piscine.
;

(4) Il est cité ici d'après la Palrologia sijriaca, vol. I et IF, édition de M»' Graffin,
Paris, Didot, 189i. La traduction latine de dom Parisot manque parfois de précision.
LWNCIENNE VERSION SYRIAQUE DES EVANGILES. 329

très abondamment, et souvent dans uae certaine suite. Saint Éphrem


(V 378) est un témoin plus copieux,
puisqu'il a commenté le Diates-
saron et le cite textuellement. Mais on n'a qu'une traduction armé-
nienne de ce commentaire, et il ne m'est accessible que dans une
traduction latine (1). M. Burkitt a soigneusement dépouillé ces

ouvrages et d'autres encore, et indiqué les références dans son édition


de l'évangile des séparés (^î. On a maintenant quelques allusions posi-

tives au texte du Diatessaron dans Commentaires d'Isho'dad 3). Plus


les

on étudie la littérature syriaque, plus on trouve de traces de son action.


Rien de tout cela n'est suffisant pour reconstituer l'œuvre de Tatien.
Mais s'il appert de la contre-épreuve que la traduction arabe a été
purgée des éléments trop en désaccord avec la tradition antiochienne,
il en reste assez pour que l'étude du Diatessaron ait un objet et soit

très rémunératrice. C'est, peut-on dire, un excellent témoin de la


tradition vers la moitié du ii^ siècle.

Les discussions de détail où se complaît la critique textuelle ne


doivent pas rejeter dans l'oubli des faits clairs et significatifs.
Le Diatessaron contenait des passages, omis par Ba et qui ont dû
nécessairement attirer l'attention. Ce sont la lumière au baptême :

(Mt. m, 16); le signe dans l'atmosphère (Mt. xvr, S^-S); l'esprit nou-
veau (Le. IX, 51-56) (ï) l'ange et la sueur de sang (Le. xxii, 43-4i)
; ;

le pardon de Jésus (Lc.xxrii, 3i); l'ange de la piscine (Jo. v, i) la ;

finale de Marc (Me. xvi, 9-20), tous passages attestés non seulement
par la version arabe (5), mais encore (6) par les citations des anciens
Pères syriens. Ces passages faisaient assurément partie du texte lu
par Tatien, et ils se trouvent tous dans les textes occidentaux au sens
propre, c'est-à-dire D et les versions latines, ou du moins dans quel-
ques témoins.
Sur ces points, que vaut le témoignage de Tatien? Est-il seulement
un écho de lOccident, ou un témoin de l'église d'Antioche ou
d'Édesse? Le premier endroit est le plus significatif, précisément
parce que le passage n'est pas authentique. Il faut que Tatien l'ait

(1) Evangelii concordaïUis exposUio fada a Sancto Ephraemo doctore syro in lati-
num translata a H. P. loanne Baptista Alcuek mechitarista, cuius versionem emendavit»
adnotationibus illustravit et edidit Dr Georgius Moesixger, Venetiis, 1876. — Cité Moes.
avec la page.

(2) Voir plus bas, p. 332.

(3) Voir page suivante.


(4) D'après l'arabe et Cur, quoi lue Sin om. On ne peut rien tirer d'Ephrern (Moes. 95)
ni d'Aphraate.

(5) Sauf le premier.


((i) Sauf ce qui vient d'être dit pour Le. ix, 54 s.
330 REVUE BIBLIQUE.

pris en Occident, ou que les mss. latins l'aient pris à Tatien ou qu'il

ait été antérieur. Voici le fait : add. p. c-'auTov et ciim baptizaretur


lumen ingens {g magnum) circumfidsit [g fulgebat) de aqua ita ut
timerenl omnes qui advenerant [g congregati erant) a g. Le texte
même de Tatien n'est pas connu, car il n'a pas été commenté direc-
tement par Éphrem ni traduit en arabe, mais Éphrem y fait allu-
sion(1), et Isho'dad nomme le Diatessaron (2). Soden ose concluie
que le latin a subi (comme toujours!) l'influence de Tatien. Et
cependant Justin a écrit : -/.aôsAGiv-rc; tcu '1-/;c-îD ïr.l xl iioo^p xai -^zûp

3-77^967; h). -M 'Iipoâvy; (3). N'est-il pas plausible de conclure que Justin
lisait ainsi à Rome dans le texte de saint Matthieu? Son disciple
Tatien puisait aux mêmes sources. aura emporté en Syrie un ms.
Il

romain. Nous aurions donc ici un indice évident que le texte de


Tatien était occidental. Mais il faut regarder de plus près. Justin
construit sa phrase de telle sorte qu'il n'applique l'autorité des écri-
tures apostoliques qu'à la colombe, nullement au feu. Ce ne peut
être qu'intentionnel. Il ne lisait donc pas le trait du feu dans son
ms. Mais un lecteur un peu distrait pouvait le croire, et les latins
ont pu emprunter ce trait à lui, ou à d'autres, tandis que Tatien de
son côté l'insérait en Orient.
Asupposer que cette rencontre soit indirecte ^4), ayant peut-être
été sugg'érée à un apocryphe par la parole de Jean sur le baptême
dans l'Esprit-Saint et dans le feu (Mt. m, 11), il est d'autres ressem-
blances assez frappantes entre le Diatessaron et les textes vraiment
occidentaux.
Par exemple le mot « jeune homme » est répété deux fois (Le. vk,
14) dans le Diatessaron [Aphraate, et dans D a et ^. Dans Éphrem)
Mt. XXVI, 73 /.y.', yy.p dans Tat.-ar. Sin, D et les
y; XaA'.a 7::y ovo'^.yZz'. est

latins. On trouvera d'autres exemples dans l'édition de Cureton par

(1) Quumque ex lumine super aquas exorto et ex voce, etc. (Moes., p. 43).
(2) « Et incontinent, comme l'atteste le Diatessaron, une grande lumière brilla, et le

Jourdain fût entouré de nuages hlancs et l'on vit plusieurs troupes d'êlres célestes chanter
des louanges dans l'air; et le Jourdain s'arrêta tranquillement dans sa course, ses eaux
n'étant pas troublées, et il en sortit une odeur parfumée. » Isho'dad de Merv (vers 850),
dans Horae semiticae, v, édité et traduit par Mrs Gibson, Cambridge, 1911. Il est diffi-
cile de penser que tout cela se trouvait dans Tatien. Ailleurs on ne trouve guère que la

lumière -/.al s.Wj; T.£Ç)ié'/.'X[i.'hi tôv tôttov ^ùç ixiya 'Hvang. des Ébionites, d'après Épiphane,
:

Haer., \xx, 13); cum haptlzarelur. ignem super aquam esse vlsum (dans \a Praed.
Pauli, d'après le Pseudocyprien de rebaptismale, c. 17). Rien de plus significatif que ces
variations d'un trait apocryphe, comparées à la stabilité relative des textes authentiques
(Cf. Zahis, Forschungen, i, 67-125; Gesch. des nevles. Kan., i, 450).

(3) Dialogue, lxxxviii, 3.

(4) On trouve aussi un miracle dans le baptême de Rabboula au Jourdain (Overbeck).


LANCIEiNXE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. 331

M. Burlîitt(l); mais plusieurs d'entre eux ressortissent au texte ori-

ginal. Déjà M. Rendel Hanis avait entrepris de prouver que le Dia-

tessaron était sous l'influence de textes latins ou latinisés (2). Dans


chaque cas, on pourrait éluder l'argument, mais non sans peine.
improbable après tout que Tatien ait emporté en Orient un
Est-il si

manuscrit romain, peut-être un Codex gréco-latin, ou un manuscrit


où déjà des leçons latines avaient pénétré, quelque chose comme un
ancêtre du Codex Bezae? Que si cependant l'influence latine parait
décidément improbable à une époque aussi haute, on s'en tiendra
à l'hypothèse d'un ms. occidental. Même excommunié, Tatien ne
pouvait méconnaître l'éclat de l'église de Rome qui l'avait d'abord
attiré. Le texte plenior de Tatien avait donc cours à Rome au milieu
du u" siècle. C'est pour lui une importante garantie. Mais on peut
ajouter que si personne à Édesse n'aurait cherché querelle à Tatien
sur les détails de son texte, il lui eût été difficile de faire accepter

des passages qui attiraient vivement l'attention s'ils n'eussent pas été
admis par l'église régulatrice d'Antioche.
Il faudrait donner ici quelques échantillons du procédé de Tatien.

On les trouvera plus loin.


On a essayé de découvrir dans son œuvre quelques traces de son
ascétisme rigide. L'omission des généalogies était par
dénoncée
Théodoret comme un indice fâcheux. C'est sans doute pour
aussi
cela qu'il a tenu à dire que Marie était la fiancée, non la femme de
Joseph. On l'a cru apparenté à Marcion. D'après Vogels(3), il aurait
écrit deux fois « au lieu de ~ziq îSvec-'.v (Mt. xx, 19; Me. x,
au peuple »,

33); Jésus livré aux Juifs et non aux Gentils, pour rejeter la faute
sur le peuple d'Israël. Mais il n'est pas certain que Sin représente
ici Tatien. Ce ne serait pas une contradiction de marquer de l'aver-

sion pour une nourriture impure Sans être judéo-chrétien, un Orien-


taléprouve un dégoût invincible pour certains aliments. C'est ainsi
que Jean-Baptiste ne se nourrissait pas de sauterelles, mais de lait [h).
Et peut-être Tatien a-t-il voulu montrer le prodigue au dernier
degré de l'abjection quand il mangeait des aliments impurs (5).

(1) Introduction, p. 191 ss.

(2j A StucUj of Codex Bezae, dans Texts and Studies, vol. II, Cambridge, 1891.
(3; Bibl. Stud., xn, 5, p. 48 s. Vogels cite encore y^oxpirat de Cur, au lieu de aâvt/.o!.
(Sin), Mt. M, 7.

(4) Isho'dad, sur Mt. m, 5 « Le diatessaron dit


: Sa nourriture était le miel et le lait
-.

des montagnes », cité par Rendel Harris, Introduction, p. xxviu.


(5) Addition de Cur (mais non de Sin) à Le. xv, 13. Gressmann
suppose bien inutile-
ment une confusion de aêpoTTi; avec aêowtoî. Le texte est parfaitement traduit, mais il y
a addition.
332 REVUE BIBLIQUE.

Toutefois il n'est pas certain que ce trait lui ait appartenu. Nous
trouverons dans Sin une aversion pour la nudité qui s'explique peut-
être par un scrupule encratite. Et n'est-ce pas pour .cela que Jésus
était debout (1) en parlant à la Samaritaine?

II. L'ancipnne version syriaque.

Elle est représentée par le ras. Cureton, édité par M. F. Crawford


Burkitt (2), et le ms. sinaïtique, édité par Mrs A. Smith Lewis (3),
deux admirables publications.
Le ms. Cureton vient du monastère de Sainte-Marie Deipara, en
Nitrie, à l'ouest du Caire, où il avait été apporté, on ne sait d'où,
pour servir aux moines syriens.
Le ms. Lewis, palimpseste, vient du monastère de Sainte-Cathe-
rine au Mont Sinaï. L'écriture qui le recouvre date du huitième
siècle, et, d'après le colophon iv, a été copiée dans un monastère
voisin d'Antioche.
Les deux mss. comprenaient les quatre évangiles distincts. Cur a
l'ordre Mt. Me. Jo. Le, et contient Mt. i, 1-viii, 22; x, 32-xxiii, 25";

Me. XVI, 17''-20; Jo i, 1-42'; m, 5"-viir, 19^; xiv, 10''-12', 15''-19\


21''-24% 26"-29% Le. ii, 48"-iii, 16'; vu, SS^-xv!, 12; xvii, 1^-xxiv,
44". Le ms. Sin est beaucoup plus complet il manque Mt. vi, 10- :

VIII, 3; XVI, 15-xvii, 11; xx, 24-xxi, 20; xxviii, 7; Me. i, 12; Me. i,

44-11, 21; IV, 17-41; V, 26-vi. 5; Le. i, 16-38; v, 28 -vi, 11; Joi, 1-25; i,

47-11, 15; IV, 38 -V, 6; v, 25-46; xviii, 24; xviii, 31-xix, 40. L'édi-
tion de Mrs Lewis est notablement en progrès pour certaines lectures.
On attribue généralement le ms Cur au v"" siècle, assez tard. Le
syrsin serait plus ancien, peut-être même de la fin du iv^ siècle.

Le seul que chacun des deux mss. ait pu être noté en variantes,
fait

sous le texte de l'autre, indiquecombien ils sont rapprochés. C'est la


même traduction, marquée par les mêmes caractères de liberté et la
même langue, pure et expressive, et, quoique M. Hjelt ait proposé

(1) Sin, mais non Cur ajoute « se tenant debout » [et parlant]. Eplirera semble gloser
cette leçon : ut nos doceret, in verilate firmiter consistentem, conturbari non posse
(.1/065. 140).

(2) Evangelion da-Mepharreshe, The Curetonian Version of the four Gospels, wilh
the readings of Ihe Sinaï Palimpsest and the early Syriac Patristic évidence, Vol. Text; I

vol. II Introduction and notes, Cambridge, 1904.

(3) The old syriac Gospels or evangelion da-Mepharreshc, being the text of Ihe
Sinaï or Syro-Antiochene palimpsest, including the latest additions and emendations,
with the variants of the Curetonian text, corroborations frora many other mss., and a
list of quolations from ancient authors, London, 1910.
F.'ANC1ENNE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. ;J33

plusieurs auteurs (1), on s'accorde à tenir pour l'unité. Les critiques


sont aussi d'accord sur l'antériorité de cette version par rapport à la
peschittâ. Comme traduction, elle est, à la vulgate définitive de
l'église syrienne, ce que sont deux versions
latines par rapport à la
les

vulgate hiéronymienne. Une traduction assez lâche a été remplacée


par une traduction plus littérale. L'évolution, en pareil cas, procède
toujours ainsi. On se contente d'abord de bien rendre le sens, puis
on s'attache aux mots et même
aux particules. C'est ainsi que la
version philoxénienne-harcléenne est encore beaucoup plus stricte
que la peschittâ, de même qu'Aquila renchérissait sur les Septante.
Or la version Lewis Cureton n'est pas du tout pointilleuse, ce qui
ne veut pas dire qu'elle n'émane pas d'un homme très cultivé. Avec
cette largeur, il lui était plus aisé de mieux épargner sa langue,
qu'il savait très bien.
Ce point acquis nous pouvons désigner la version des deux mss.
comme l'ancienne syrienne fvet; en continuant à distinguer les mss
comme Sin et Cur.
Est-elle ancienne cependant par rapport au Diatessaron, c'est-à-
dire antérieure à l'an 170 environ? Ce fait aurait une immense
portée, surtout si on regarde Sin comme représentant le mieux
l'ancienne version, car Sin est de tous les textes le plus porté aux
omissions. Mrs Lewis a noté les plus importantes. On en compte deux
cent dix, seulement dans Ce serait peu par rapport au texte reçu,
iMt.

mais toutes ces leçons se trouvent dans Hort (2), le plus court des
textes critiques.
Or beaucoup de critiques ont un penchant pour les textes courts,
penchant en partie justifié par la tendance bien connue de compléter
les évangiles les uns par les autres. Si donc on regarde Sin comme

un représentant plus sur de Vet que Cur, et qu'on soupçonne Cur


d'avoir été revisé d'après Tatien, non seulement Sin aura splendide-
ment donné raison au texte critique de Hort, mais il faudra aller
beaucoup plus loin dans la voie des retranchements. Et il ne s'agit
pas seulement de ces mots ou de ces petits membres de phrases
qu'un traducteur omet comme superflus ou parce qu'il ne comprend
pas, ce sont des versets entiers qui devraient disparaître : Mt. v, 30;
VI, 5; IX, 3V; xii, 47; xvi, 2; xxi, ii; Me. xvi, 9-20; Le. xii, 9; xiv,

(1) Die altsijrische Evangelieniibersetzung und Tatians Diatessaron besonders in


ihrem gegenseitigen Verhiiltnis untersucht, Leipzig, 1903. M. Hjelt a seulement montré
qu'un même mot n'est pas toujours traduit de même. Mais celte liberté est un des carac-
tères de la traduction.
(2) Sauf xvi, 2 entre doubles crochets.
334 REVUE BIBLIQUE.

27; XXII, i3-44; xxiii, 10-12; 3i; xxiv, 40; Jo. v, 3^4 (dans une
lacune de Sin, mais trop courte pour admettre rinsertion;) 12; xii,

8; XIV, 10.11-14.
Ces omissions ne sont que le trait principal. Il y a des transposi-
tions propres à Sin, des additions, grand nombre d'harmoni-
un très
sations. Enfin c'est toute la critique textuelle qui prend un autre
cours si Ton admet comme Merx que le texte de Sin est celui qui nous
rapproche le plus des originaux (1), et il sera difficile de contester
son autorité s'il représente un texte antiochien antérieur au Diates-
saron.
Le Sin aura encore un très grand poids si on le tient comme le

meilleur représentant de Vet, même si l'on croit cette version plus


récente que Tatien. Lorsque, avec M. Burkitt, on la date des environs
de l'an 200, il faut la considérer comme un représentant autorisé de
l'ancien texte antiochien, vers la fm du ii^ s.

Or les critiques sont encore partagés sur la question de savoir si la

version est antérieure au Diatessaron ou en dépend. A côté de


si elle

Mrs Lewis et de Hjelt, récemment encore Gressmann se prononçait pour


l'antériorité de la version. De même S. B. M"' Rahmani. Mais M. Bur-
kitt a passé dans l'autre camp, beaucoup plus nombreux aujourd'hui.

D'ailleurs la question a changé de face en peu d'années. Quand on


n'avait que le ms. Cureton, Baethgen avait paru prouver solidement
l'antériorité du Diatessaron parce que Gur abonde en tatianismes et
qu'il semble sous l'influence dogmatique de Tatien par les précau-
tions qu'il prend pour défendre de tout soupçon la conception virgi-
nale. Ces arguments n'ont plus la même valeur depuis la découverte
de Sin, qui a été bien à tort interprété comme niant la virginité de
Marie, mais qui enfin n'a pas les mêmes scrupules. Et Ton a constaté
aussi que Sin s'éloigne beaucoup plus de Tatien que Cur. Si c'est Sin
qui représente le mieux l'ancienne version, il est beaucoup moins
clair qu'elle ait dépendu de
Tatien. Les preuves qu'il y a dans son
texte de§ harmonisations empruntées à une harmonie ne touchent
même nullement ceux qui ne voient dans ces passages que des re-
touches d'après Tatien.
Cependant il demeure un argument que je crois pour ma part
décisif. Si la version avait existé comment le Diates-
avant Tatien,
saron l'aurait-il si complètement rejetée dans l'ombre? Comment même
aurait-il pu prévaloir? On peut répondre que la version était de-

(1) Merx, Die vier hanonischen Evangelien 7iach ihrem altesten behamiten Texte...
Berlin, 1897.
L'ANCIENNE VERSION SYRIAOLE DES ÉVANGILES. 335

meurée cachée, ignorée. Mais alors quelle preuve a-t-on de son exis-
tence? Un pareil travail n'avait pas été fait pour demeurer sous le

boisseau.
Les arguments qu'on oppose sont tirés de la valeur du ms. Sin, car
c'est bien lui qui est en cause dans l'état actuel de la question (1).

Nous les retrouverons donc. En attendant nous admettons, pour la


raison que nous venons de donner, l'antériorité du Diatessaron, que
toute notre étude mettra en lumière, comme une icorking hypothesis,
ainsi que disent les Anglais. Nous avons seulement à rappeler les
preuves fourmes par M. Burkitt de cette domination exclusive du
Diatessaron, mais nous en tirerons des conclusions assez différentes
sur l'âge même de la version.
Le texte le plus intéressant est celui de la doctrine d'Addaï. C'est,
sous sa formeun document des premières années du
actuelle,
v' siècle. Qu'elle renferme des éléments qui remontent au m" siècle,
nous l'admettons volontiers sur l'autorité de MM. ïixeront et Burldtt.
Mais toujours est-il qu'à la fin du iv" siècle on ne songea pas à mo-

(1) Après avoir suggéré quel'e pouvait être du temps d'Eusèbe, Gressrnann linit par
admettre l'ordre syrus velus, Tatien, Sin-Cur, Pes; cf. Siudien zum sijrischen Tetra-
:

evanrjelium, dans Zeltscfirift fiir cite neut. Wiss. 1905, p. 135 s s.


En faveur de l'antériorité de syr. vet. Mrs Lewis argumente de son excellence dans
certains cas, par exemple dans les transpositions. E( il est incontestai)le que l'arrange-
ment de Le. de Me. xvi, 3. 4 est plus coulant que le texte critique. Mais, dans
I, 63 s. et
le premier cas, l'arrangement de D est différent. On voit que chacun a résolu la difficulté

à sa manière. Nou^ reviendrons sur Me. xvi, 3. 4. Quant à Jo. xviii, 15-25, Sin a trouvé
le moyen de mettre Jo. d'accord avec les synoptiques par une légère transposition. C'est

si simple et si satisfaisant que l'on est fort tenté d adopter ce texte (CL Comment, du

P. Calmes). Mais s il avait existé avant Tatien, pourquoi aurait-il choisi une autre har-
monie? Car il a suivi Jean selon son ordre ordinaire et regardé la séance chez Anne
comme la séance de nuit, bloquant Me avec ML et Le. pour mettre au matin la séance chrz
Ca'iphe.
.
A supposer donc que Sin représente l'ordre original, il l'a trouvé quelque part et em-
ployé pour améliorer Tatien.
Qu'il y ait dans Sin ([uelques leçons très séduisantes, on ne le nie pas. Mais elles ne
sauraient prouver qu'il est antérieur à Tatien.
M. Gressrnann (p. 151) a penché dans ce sens, déterminé par l'argument de M. Hjelt :

quelques traductions de Sin-Cur sont moins bonnes ([ue celles de Tatien, conservées sou-
vent par la pes. Or les traductions vont normalement en s'améhorant par l'abandon des
contresens, des à peu près, etc. M. Gressmann cite ziar.y.o-^afir, vj ôer^aiç, cov (Le. i, 13;,
:

parfaitement traduit par Ta. e.iaudila est deprecalio tua, comme en fait foi Aphraate. Cette
traduction une fois écrite, comment aurait-on eu l'idée de traduire comme Sin : « Voici,
Dieu a entendu la voix de ta prière >.? C'est cependant bien simple. La « voix de la
prière » est fréquente dans les psaumes (xxvn, 2, 6 etc.), elle est venue sous la plume de
Sin. Cela, je le confesse, est assez pou fidèle; mais c'est le cachet de la traduction,
le sens étant sauL Et qu'une mauvaise traduction puisse remplacer une bonne, on le voit
dans Pes. sur ML xiv, 19 s'asseoir par terre », bien rendu » sur l'herbe » par Ta et
; <(

svr. vet.
336 REVUE BIBLIQUE.

difier ce qui était dit de rancienne église d'Édesse : « Us se rassem-


blaient et venaient à la prière du service (divin), et pour TAncien
Testament et le Nouveau du Diatessaron. » Lors donc que la doctrine
parle simplement de l'évangile, elle entend l'œuvre de Tatien : « La
Loi et les Prophètes et l'Évangile, dont vous lisez chaque jour devant
le peuple, et les Épitresde Paul que Simon Céphas nous a envoyées
de la ville de Rome, et les actes des douze Apôtres, que Jean, le fils
de Zébédée nous a envoyés d'Éphèse de ces livres lisez dans les —
Églises du ne lisez rien de plus (Ij. »
Christ, et
Le Diatessaron était donc le livre liturgique des Syriens, à lui seul.
Et en effet les rass. SinetCurne portent aucun signe d'emploi liturgique.
Or l'usage liturgique était le principal motif qui obligeait à tra-
duire le Nouveau Testament en langue vulgaire. Nous exagérons,
semble-t-il, —
et peut-être par suite d'un préjugé protestant, la —
nécessité pour tous les fidèles de lire l'Écriture. On la leur lisait dans
le service divin, et ils devaient pouvoir la comprendre, mais quand
on possédait un évangile des quatre qui passait pour contenir tout ce
qu'il y avait dans les séparés, où était l'urgence d'en posséder des
versions distinctes? D autant que le thème de la prédication était le
texte de la liturgie, et nous voyons qu'en effet la prédication ne
connut pas d'autre texte que le Diatessaron, tant qu'il demeura en
usage, c'est-à-dire jusqu'au début du v*" siècle.
Ou aurait une preuve positive de l'existence de la version des
séparés au début du iv^ siècle, si elle avait servi aux citations du
traducteur syrien de la Théophanie d'Eusèbe, car cette traduction est
probablement peu postérieure à l'an 350. Et en effet Gressmann fl,
a cru reconnaître une certaine ressemblance des citations, de préfé-
rence avec le ms. Cur. Mais en définitive il n'ose conclure, car le
traducteur d'Eusèbe a probablement traduit lui-même de nouveau,
et c'est aussi l'opinion de M. Burkitt.
Le savant anglais a étudié très soigneusement les citations
d'Aphraate et de S. Éphreni. Son but était surtout de montrer qu'ils
ne tablaient pas sur la Peschitta. Il s'est demandé en même temps si

ces citations supposaient la connaissance d'une version des séparés,


spécialement de celle des mss. Sin et Cur, en tant que distincte du

Diatessaron. La conclusion est purement négative pour Éphrem, plus


réservée pour Aphraate : « Les rapports de Éphrem avec Sin et
S.

Cur sont explicables dans la supposition qu'il se servait du Diates-


saron )) — ce qui est d'ailleurs un fait bien constaté par son com-

(i; BurkiLt, op. l., p. 174.

(2j Article cité.


LANCIENXE VERSION SY tU'.;)UE DES EVANGILES. 337

meiitaire — ... « Aphraate semble s'être servi du DiatessaroQ habi-


tuellement, sinon exclusivement (1 1 ».

La restriction repose sur ce fait que des allusions vagues du


très
sage persan, recoanaissables sans être des citations, ont paru à
M, Burkitt avoir été rangées dans l'ordre de Mt. plutôt que dans l'ordre
de Tatien [-l).

Mais cela est plus que contestable, attendu que ces allusions vont
de Mt. IX à Mt. xiii, puis à Mt. vu et v, et que Tatien (arabe) suit le
même mouvement ascendant et descendant.
Ou serait plutôt tenté d'attribuer à Aphraate la connaissance de
textes évangéliques syriens autres que Tatien parce qu'il cite la
généalogie de Mt. qui n'était pas dans le Diatessaron. Mais peut-être
avait-on suppléé à cette lacune évidente, comme c'est le cas du ms.
A du Cardinal Cîasca, et en tout cas le texte dAphraate se rapproche
plus de la Pescbilta que de celui de Sin, puisqu'il lit avec elle
-iV2s et pli- au lieu de n:uN et pi-i-.
Mrs Lewis (3) a considéré comme évident qu'Aphraate a cité
Mt, xxiii, 13 d'après Sin, lorsqu'il a écrit (vu, 11) :« Écoutez encore,

vous aussi qui tenez les clefs des portes du ouvrez


ciel et cjui les
portes aux pénitents » ;
mais c'est une simple allusion à Mt. xvi, 19,
et non point à un texte où l'on tient les portes fermées. Lorsqu'il
écrit : c( La clef t'est remise et tu fermes la porte; tu n'entres pas et
tu ne laisses pas (entrer) ceux qui viennent pour entrer », Aphraate
ne cite pas d'après Sin qui a : « Vo:is tenez les clefs du royaume des
cieux devant leshommes », etc. (4). Il a paraphrasé largement.
Il que M. Burkitt a cru trouver un terrain solide dans les
est vrai
Actes de Thomas. Il a eu le mérite apris quelques indications de ,

Noeldeke, de prouver que ces Actes ont été écrits en syriaque, et


ensuite seulement traduits en grec. On les attribue au uf siècle.
Bardenhewer, entre autres, les placerait même dès le milieu du
m" siècle. Or, d'après M. Burkitt, ils font clairement allusion à un
évangile des séparés, et cet évangile ne peut être que notre ancienne
version. Le cas de l'oraison dominicale serait particulièrement signifi-
catif. Le texte de Cur (Sin hia/] coïncide avec celui des Actes en s'éloi-

(1) Op. L, II, p. 148.

(2) Eod. loc. p. 186.

(3) Op. l, p. \x.

(4) Nous avons bien7plulùt icFun cas de mauvaise correction de Cur par Sin. En effet
Cur lisait « Vous qui fermez », employant le verbe ~r!N qui, plus ordinairement signifie
:

« tenir ». Le copiste de Sin l'entendant ainsi a ajouté « les clefs » pour aboutir à un non-

sens. Un indice de l'antériorité de Cur c'est qu'il dit royaume de D'eu avec Ta (arabe, au
lieu de royaume des cieux, corrigé d'après le grec.
REVUE BIBLIOLE 1920. T. XXIS. — 22
338 REVUE BIBLIQUE.

gnant de la Peschitta. Mais cela n'exclut pas le Diatessaron, et je ne sais


pourquoi cette fois M. Burkitt n'a pus fait la contre-épreuve. Le seul
passage que j'aie trouvé dans Aphraate, la demande dimitte nobis...
(Dem. II, 15 et iv, 13) ressemble plus à Thomas que celui-ci à Cur (1).
Le second argument sur la Tentation serait facilement retourné, car
la combinaison de Mt. iv, -2 et de Le. iv, 2, qui est de Tatieu, a pu
être enrichie de la mention des nuils.
Mais c'est VAchilles de M. IKirkitt qui confirme avec éclat la thère
contraire. L'argument est très bien posé, et conclut logicpiement. Je
ne pouvais qu'y adhérer, ce qui m'arrêta longtemps.
Mais la base était fragile. Tatien confondait en un seul récit le diner
de f.c. XIV, 16-23 et les noces de Mt. xxii, 1-14. Or les Actes de Thomas
les distinguent expressément ils suivaient donc un texte des évan-
;

giles séparés! — Sans doute! miis ce texte des Actes suivi par
M. Burkitt est de cinq siècles postérieur à celui (du v* s.) dont
Mrs Lewis a retrouvé des fragments au Sinai. Or dans le palimpseste
du Sinaï, le souper et la noce sont absolument mélangés, comme
dans Tatien. Voici ce texte décisif « Au souper j'ai été invité et je
:

suis venu, et je me suis dégagé du champ, du négoce et de la charrue ;

que je ne sois pas expulsé du festin de la noce, pour m'empêcher d'y


goûter. Au souper j'ai été invité, car j'avais mis un vêtement blanc :

pnissé-je en être digne, et qu'on ne lie pas mes mains et mes pieds,
et que je ne sois pas jeté dans les ténèbres extérieures (2). » On aura

noté le négoce, emprunté à Mt. xxii, .5, étroitement fondu avec les
excuses de Luc, exactement comme dans Aphraate (Dem. vi, 1) :

« Celui qui aime les champs et le négoce », ou encore « Celui qui

s'excuse de la noce ne goûtera pas au diner ». « Celui qui se prépare


au dîner, qu'il ne s'excuse pas et pe soit pas marchand ».
Les Actes de Thomas, comme Éphrem, comme Aphraate, ne con-
naissaient donc pas l'ancienne version, ou du moins ne l'employaient
pas! Ces Actes ont simplement été revisés dans la suite en tenant
compte de la distinction des évangiles.
Nous avons un autre indice du peu de succès de la version dans le
succès de la Peschitta. Jérôme avait revisé les évangiles par ordre
d'un pape. Et cependant sa revision eut peine à prévaloir. Durant
longtemps les leçons de l'ancienne latine encombrèrent les mss.
hiéronymiens. Il y en a encore dans la Vulgate Clémentine. Rien de

(1) Aphraate ne commence pas la deuxième partie comme Cur par sicut. 11 n'a pas et
nos péchés, mais c'est une addition propre aux Actes.
[2] Horae semiticae, Acta mylhologica apostolortim ; n° Ili, textes, p. 219; n" IV, tra-

duction de Mrs Lewis, p. 236 s.


L'ANCIENNE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. 339

elle porte des traces de l'ancienne version, c'est parce que le traduc-
teur Fa consultée ; ce n'est pas parce qu'elle avait un peu partout des
racines qui seraient venues au jour. Si donc nous parlons de l'an-
cienne version, pour faire comme tout le monde, c'est que nous la
croyons en elTet antérieure à la Peschitta, mais rien ne serait plus
faux que d'imaginer deux versions qui auraient eu cours successive-
ment, comme ce fut le cas pour les Latins. Officiellement nous ne
connaissons en Syrie que le Diatessaron et la Peschitta.
Cela n'est pas pour faciliter la solution de la date de la version
ancienne. Puisque le ms. Sin peut remonter à la fin du iv*' siècle, ce

sera donc un tenninus a quo (éventuellement le V siècle), auquel il

faudra ajouter un certain temps pour expliquer les changements


entre syrsin et cur, plus ou moins considérable selon qu'ils seront le
résultat d'une évolution ou d'une intervention critique.
M. Burkitt a songé à l'épiscopat de Palout, vers l'an 200; c'est une
pure conjecture. d'une date aussi haute, il faudra
Si la version est
supposer qu'elle est restée longtemps cachée dans un milieu assez
restreint. Mais le plus simple n'est-il pas de penser qu'elle ne date
que du iv" siècle? C'est certainement ce qui expliquerait le mieux
l'attitude d'Aphraale et d'Éphrem. Cette attitude n'est pas purement
négative, surtout pour Éphrem qui a composé un commentaire du
Diatessaron. Si la version des séparés répondait à un besoin, c'était
surtout au besoin de ces Syriens cultivés auxquels s'adressait un com-
mentaire. Même dans ce cas, le Diatessaron a suffi. Sur cinquante
citations d'Éphrem, M. Burkitt n'en a noté que huit qui s'explique-
raient mieux par la Peschitta. C'est déjà quelque chose. Cela ne l'a
pas empêché d'attribuer la Peschitta à Rabboula. L'ancienne version
n'a pas même cette maigre attestation positive et exclusive. Nous en
sommes réduits à conjecturer qu'elle a été composée en dehors de
la terre de langue syrienne, pour ces communautés de moines qui
formaient des corps distincts près d'Antioche, en Palestine ou en
Egypte. Dans ces milieux, les Syriens avec leur Diatessaron étaient
dans un état d'infériorité dont ils ont voulu sortir. En tout cas Cur
était bien à l'usage d'un de ces groupes syriens en Egypte.
Il est clair que si l'ancienne version des séparés ne date que du

iv^ siècle, son témoignage perd beaucoup de sa valeur. Mais il faudrait


quand même poser le problème de ses relations avec Tatien et du
rapport des deux mss. entre eux.
Les tatianismes de la version ne sont pas contestés. C'est d'abord
la même langue et la même manière de traduire certains mots. La
340 UEVUE UIBLIQUE.

preuve en est dans les citations d'Aphraate et d'Éphrem. Il est certain,

et c'est surtout M. Burkitt qui l'a prouvé, qu'ils ne citaient pas la


Peschitta et qu'ils avaient constamment sous les yeux ou dans la
mémoire le Diatessaron. Sans ce fait il serait clair qu'ils ont cité l'an-

cienne version, tant les citations coïncident ordinairement, le plus


souvent contre la Peschitta. C'est donc que syr. vet. et Tatien ren-
daient les mêmes termes de la même façon. Il y a des traces sem-
blables dans le Diatessaron arabe. Quand il s'écarte de la Peschitta,
et par conséquent quand il a conservé la leçon de Tatien, il est eu
général d'accord avec syr. vet. On peut donc affirmer que cette ver-
sion ressemblait plus à Tatien comme style qu'elle ne ressemble à la
Peschitta, version distincte.
Quant aux tatianismes par harmo:iisation, ils sont nombreux et
incontestables. Il a seulement été constaté qu'ils sont moins fréquents

dans Sin que dans Cur. Si la version était antérieure au Diatessaron,


Tatien lui aurait naturellement emprunté sa lang-ue, si même il n'en
était pas l'auteur. Quant aux harmonisations, il faudrait nécessaire-
ment les attribuer à des retouches d'après Tatien.
du Diatessaron. Dès lors deux
Mais nous avons admis l'antériorité
hypothèses peuvent être suggérées pour les expliquer. Celle de
M. Burkitt procède avec une parfaite rigueur et le tact le plus délicat
dans le maniement des textes.

Sin et Cur sont la même version, qui date des environs de l'an 200.
Sin est antérieur, parce qu'il est le plus court. Peut-on concevoir une
communauté syrienne qui eût retranché d'une version existante des
textes aussi importants que l'ange et la sueur de sang (Le. xxii, 43-i4),
le pardon de Jésus sur la Croix (Le. xxm, 34) et la finale de Me. (xvi,
9-20), tous textes qui se trouvent dans Cur comme dans Ta? C'est donc
Cur qui a ajouté ces textes, non pas à la vérité d'après Tatien —
M. Burkitt le prouve très ingénieusement —
mais d'après le grec.
D'autres fois encore Cur a été revisé d'après le grec. Mais beaucoup plus
souvent encore il a été retouché d'après Ta., d'où les interpolations
harmonisantes.
Quant à Sin, il n'a pas été retouché d'après le grec, du moins à peu
près pas, et si ressemble plus à Ta que Cur, c'est que lui
parfois il

aussi, mais bien plus rarement, a été retouché d'après Ta. A part cela,
il représente un texte antiochien de la fin du ii'' siècle.

Tout cela est très logique et la pénétration de textes anciens popu-


lairesdans une version nouvelle n'est point pour étonner ceux qui
connaissent l'histoire de la recension hiéronymienne. Encore est-il
que la revision de Jérôme portait sur les mêmes évangiles distincts.
I/ANCIEXNE VERSION SYRIAQLE DES EVANGILES. 341

Ce n'élait pas le cas en Syrie. Nous reconnaissons avec M. Burkitt que


la version n'est pas seulement une dissection de Tatien reconstruit eu
évangiles séparés. Manifestement il a fallu recourir à des mss. grecs,
ne fût-ce que pour y retrouver les fragments qui manquaient au
Diatessaron et l'ordre de ces fragments dans les textes originaux.
Mais, puisque le traducteur suivait Tatien pour la langue, n"était-il
pas porté, dans ces premières origines, à le ménager un peu dans ses
combinaisons (1)? Tandis que les copistes, conscients de posséder un
évangile des distincts supérieur à celui des mélangés, devaient être
moins poussés à revenir en arrière. Est-il bien naturel d'admettre ce
phénomène du Cureton tantôt conformé au grec, et tantôt à Tatien?
Enfin que vaut cette préférence donnée au texte le plus court?
L'argument de M. Burkitt sur l'antériorité de Sin du fait de ses
lacunes importantes est aussi celui de Mrs Lewis pour l'antériorité
de la version sur Tatien! C'est aussi celui qui m'a fait hésiter long-
temps à admettre que Tatien fût le plus ancien. Et cependant
M. Burkitt ne s'effraye nullement que Sin ait retranché des textes qui
étaient dans Tatien, lequel cependant occupait déjà une place domi-
nante...
Le fait des retranchements existe pour tous ceux qui n'admettent
pas l'antériorité de la version. Il n'est point si extraordinaire à la
condition de retirer le mot de communauté. Qui peut parler de
communauté, quand il s'agit de Sin, à moins qu'on n'enîende par
là une petite école ou un monastère? D'ailleurs, en pareil cas, ce
qui est difficile, ce n'est pas d'oser faire des retranchements, c'est
de les faire adopter. Or ceux de Sin ont échoué en Syrie, rien de
plus certain. Ce qu'il a hasardé contre Ta, il a pu le hasarder contre
l'ancêtre de Cur, d'ailleurs sans plus de succès.
Il faut même affirmer résolument que jamais Sin n'a pu trouver
f n Syrie un ms. autorisé par l'opinion à lui inspirer ses textes courts.
M. Burkitt, qui place la version vers l'an 200, est obligé de conclure
à (( une grande rupture de continuité entre les textes grecs anciens
et récents courants à Antioche (2) ».
Cette faille aurait dû l'arrêter. Lorsque Tatien fait adopter son

Diatessaron, il contient tous ces textes. Ils ne choquent personne.


Et cependant ils sont d'importance, et de nature à attirer l'attention.
Il faut, croyons-nous, distinguer deux ordres distincts. Alors, comme

(1) N'ous modifions ici, et nous estimons corriger, ce que nous avions dit de trop absolu
en sens contraire, RB. 1912, p. 286.

(2) Op. l., p. 225.


342 REVUE BIBLIQUE.

aujourd'hui, l'Église n'intervenait pas dans les menues questions de


critique textuelle. Les évêques laissèrent même trop aller au début.
C'est vers la fin du iv'' siècle à Rome, au v" siècle à Édesse ,
que
l'autorité ecclésiastique s'occupe des revisions. Mais il serait invrai-
semblable qu'alors comme aujourd'hui elle ne se soit pas inquiétée
de certains retranchements ou de certaines additions.
A Ântioche, une revision se fit dès la fin du m'' siècle. Elle aboutit,
comme on l'admet depuis Hort et Westcott, à un texte plenior. Ce
texte aurait-il prévalu, du moins sans protestations, si Antioche avait
d'abord donné son suffrage à des mss. du genre de Sin? Et même
d'où serait-il sorti? N'est-il pas beaucoup plus vraisemblable c[ue
Sin a été revisé daprès un système ou un ms. grec apparenté pour
ses grandes lacunes à B, venu comme lui d'Egypte ou venu de
Palestine et d'un milieu critique, d'une critique entièrement opposée
à celle d'Antioche? En d'autres termes, Sin nous paraît être une
revision critique de l'ancienne version. Ce n'est pas que son texte ne
soit. beaucoup plus pur, et — sauf beaucoup d'omissions — bien
supérieur à celui de Cur, mais une revision ne se fait pas nécessai-
rement comme celle d'Antioche en combinant les textes. La revision
de Jérôme est un nettoyage insuffisant des textes anciens. Son texte
est plus pur, quoiqu'il soit plus récent que l'ancienne latine.
On voit que les arguments de M. Burkitt ne sont pas assez forts
pour nous obliger à admettre une si étrange rupture dans la tradi-
tion antiochienne. Il nous paraît plus naturel d'expliquer les faits
anciens comme les faits nouveaux, par un éloignement progressif de
Ta en se rapprochant de plus en plus du grec, d'un certain grec.
Les tatianismes seraient plus nombreux à l'origine, c'est-à-dire

que Cur, en cela, représenterait mieux l'état ancien. Le traducteur


aurait été dans l'état d'esprit de Jérôme qui ménagea rancienne
latine, lorsque le sens ne lui parut pas intéressé. Le Diatessarou
avait une telle autorité, —
c'était comme un cinquième évangile —
que telle de ses leçons ou de ses combinaisons dut passer dans la
traduction elle-même.
Le traducteur a pu y voir une condition de succès, ou croire de
bonne foi qu'il suivait le bon texte. C'est par un progrès incessant

que l'on se rapprocha toujours plus du grec, jusqu'au moment où la


Peschittà fît le pas décisif. D'ailleurs, depuis la traduction jusqu'à
la fin du V siècle, les ancêtres de Cur ont pu aussi se surcharger
d'harmonisations qui ne sont point des tatianismes.
Venons maintenant au détail.
L'ANCIENNE VERSION SYRIAQUE DES EVANGILES. 3i3

l. — S in rapproché du grec.

Le travail de rapprochement avec le g-rec s'est fait d'une manière


indépendante dans la série Cur et dans la série Sin(l). Tantôt l'un,
tintôt l'autre a conservé la leçon de Tatien. Nous ne songeons pas à
établir ce bilan exactement. Si nous ne parlons pas de Cur, c'est
qu'il est considéré sans contestation comme un ms. retouché. Dans
de la critique, ce qui importe, c'est de montrer que loin
l'état actuel

de posséder toujours ou presque toujours des leçons originales ou


plus anciennes, Sin fait au contraire figure d'un texte rapproché du
grec, et dans le même sens que la Peschittà. Nos indications sont
relatives à deux ordres de faits.

a) L'antériorité de syr.-vet. par rapport .à la Peschittà repose sur


son caractère de traduction libre, sans se soucier de serrer le grec
de trop près. Qu'en est-il de Sin et de Cur?
Mt. IV, 2 Ta et Cur « Satan », dans Sin « l'accusateur », o o'.a6:A:;.

Mt. VI, 7 C. uToy.pt-iai S. sOvr/.su


Mt. VI, 1 Ta et Cur supposent sscriv qui se trouve en efïet dans n"*.
C'est probablement une simple traduction trop large de sa£y;;j.s7jvy;v,
le texte antiochien. Sin suppose o'//.aî,oTuvY;v, c'est-à-dire qu'il serre de

plus près un texte grec avec n' BD, etc.


Le. viii, 3 Cur « De ce qui était à elles »
: Sin, pes « de leui^ ; :

possessions. »

Le. \\u, 24 Cur : « Notre-Seigneur », Sin : Rabban, rabban (pes'i,

£-i7TaTa(2) [bis).
Le. VIII, 31 y.ar, Trapey.aXcuv tj-z^; v/y. [j.r, s-riTa;-/; ajTOf-ç v.: rr;v xo'jiyio'/

xTTsXOs'.v : Cur : « Et ces démons le priaient de ne pas les envoyer


dans Géhenne et de ne pas les chasser », Sin et pes
la « Et ils le :

priaient dene pas leur ordonner d'aller dans l'abîme », en parfaite


conformité entre eux et avec le grec. Il faudrait donc supposer que
Tabime qui rend bien le grec a été remplacé dans Cur par l'expres-
sion populaire de Géhenne, d'après Ta. Éphrem {Moes. 75) Et :

daemones coeperunt precari, ne eos ex hoc loco expelleret eosque ,

ante tempus in gehennam mitleret. La parenté est évidente, mais


Tordre de Ta est bien meilleur. Comment voir dans Cur une cor-
rection réfléchie d'après Ta?

(1) C'estdans ce sens qu'il faut entendre souvent ce qui est dit de tel ou tel ms.
(2) Le. V, 5 Sin et pesrabbi (Cur hiat); viii, 45 Sin Cur pes rabban; ix, 33 Sin pes
: : :

rabbi (Cur h.); ix, 49 Sin pes rabban, cm Cur; xvii, 13 Cur Sin pes rabban. Ainsi pour
: :

ce mot propre à Luc, que nous ne trouvons traduit ni dans Moes. ni dans Aphr., Sin et
pes sont toujours ensemble dans leurs divergences !
344 REVUE BIBLIQUE.

>Lc. XII, 30 Cur : les nations^ « de la terre » ;


Sin « du monde »,

Le. XIX, 44 Tr,ç z-\Gv,zT.r,ç 7cu, « ta grandeur », dans Ta et Cur,


traduction large au point d'être inexacte. Sin et pes : « ta visile ».
Qui aurait eu l'idée de revenir à Ta? N'est-ce pas pour des cas sem-
blables qu'on juge pes postérieur?
Le. XX, 20 Cur : « au jugement et
au gouverneur. » Sin et pes : «

à l'autorité du gouverneur r,. On remar-


» -r, y.^yr, /.ai ty; srojs-.a -.

quera l'accoi-d de pes et de sin sur « jugement » pour rendre xpyq.


Le. xxii, 37 Cur emploie deux fois le même verbe (xSa), tandis que
Siu (pes a ua autre verbe pour t£"a;ç tyz'.. v. 38 Cur « Nous avons — :

ici deux glaives » Sin (pes) « il y a ici deux glaives » d'après le


; :

grec. —V. 52 Cur « à eux »; Sin (pes) « ceux qui étaient venus
: :

contre lui ». —
v. 58 Ciir « et après un peu de temps), un autre
:

aussi le vit et parla de même et Céphas dit Je ne suis pas de ceux-


; :

là. » Sin « Et après un peu de temps, un autre aussi le vit et lui


:

(lit :Toi aussi, tu en es. Lui donc lui dit Laisse, ô liomme; je ne :

connais pas », réparant ainsi la négligence de Cur. v. 61 Sin —


ajoute zÇM, d'après le grec, que Cur n'avait pas jugé nécessaire pour
le sens : « il sortit. »

Le. XXII, 26 Cur : « comme le serviteur, et non comme celui qui


est à table. -'Carquel est le (plus) grand, celui qui est à table ou
celui qui sert? Ne suis-je pas parmi vous comme le serviteur? » Si
Ton s'étonnait de cette liberté dans un texte ancien, il suffirait de
citer le ms. e : 27 guis enim niaior est magis, qui minutrat aut qui
recumbit? in gentibus quidem qui re{c)umbit, in vobis autem non sic,
sed qui winistrat. ego autem sum inmedio vestrum quasi mînistrans.
Sin a retranché l'addition du v. 26 et le tout a par'aitemeiit rendu le
grec, quoique laPeschittà le serre de plus près pour l'ordre des mots,
et qu'elle ait ajouté des termes qui la rendent moins coulante. Nous
avons ici comme deux degrés de revision.
Le. XXIII, 43 Ev -0) -apaoî'.TOj Cur et Ta : « dans le jardin d'Éden »,

expression savoureuse et populaire : Sin et Pes : <> dans le paradis. »

Jo. V, 7 Cur « me descende »; Sin et Pes « me jette » i^aAr,.


: :

Jo. VII, 51 Cur avait mal compris le rôle de -.z TrpoTsciv est-ce que' :

la loi juge un homme d'avance? etc. Sin a corrigé; c'est Nicodème


qui était venu précédemment.
Il faut le reconnaître dans ces cas les manières de Cur sont pré-
:

cisément celles qu'on alléguerait volontiers comme une preuve


d'antériorité par rapport à la Peschittà. Pourquoi ne pas tirer la
y

I;aNCIE.NNE version syriaque des EVANGILES. 34:i

Il est vrai cjiion peut citer des cas où Cur a des termes grecs qui

ne sont pas dans Sin. \ous conclurions simplement qu'alors c'est Cur
qui a été retouché. Car nous ne soutenons nullement l'antériorité
absolue de Cur, nous relevons seulement quelques-uns des indices
que Sin a été revisé. Encore la situation ncst-elle pas tout à fait la
même. Dans Mt. v, 15; Mt. xiv, 1 xviii, 7; xviii, 10, Cur a introduit ;

des transcriptions du g'rec [j.zo'.oz, -z-pxzyr,:, y:)y.^ç/:r^. r:33C7oj-:v pour se


rapprocher du grec, et c'est aussi ce qu'a fait la pes, sauf pour \).zz'.zz.
Mais la transcription de ctcay; Mt. v, 36) pour vyxv.z^t, et de -xiz^zv.z
pour (7t:«c7'.ç Le. XXIII, 25) dénote plutôt de l'embarras, et dans ces
cas pes a autre chose. Cur ne sert pas de transition.
h) nombreux dans Cur, et il fallait s"
Les tatianismes sont plus
attendre on les tient pour caractérisant la version elle-même dont
si

Cur aurait mieux gardé l'aspect primitif. Il semble que c'est un cercle
vicieux de les alléguer, puisque la question est précisément de savoir
s'ils sont primitifs ou adventices. Nous citerons cependant quelques

cas où il serait particulièrement étrange d'avoir corrigé un bon texte


d'après Tatien, surtout après que nous avons constaté que les mss.
avaient passé par les mains de copistes qui cherchaient à les rap-
procher du grec. M. Burkitt concède largement ces tatianismes pour
Cur, et c'est surtout chez lui qu'abondent ces instriisions moins
explicables, une fois la séparation accomplie et les limites marquées
entre une harmonie et des séparés.
Voici d'abord un exemple que M. B. allègue en sa faveur. Il est

insigne, puisque c'est le Pater d'après Le. xi, 2-4. Sin a le texte court
des critiques, qui est incontestablement le bon, tandis que Cur a en

plus : « aux cieux », « mais délivrez-nous du mal »,


qui êtes
emprunts fails à Mt., donc au Diatessaron. Soit! mais nous disons :

dès l'origine de la version. Autrement il faudrait prononcer que la


re^ision de saint Jérôme est plus ancienne que les mss. latins qui oijt
les mêmes additions. Et comme elles se trouvent aussi dans la recen-
sion grecque antiochienne, A etc. et dans D, il est très naturel de les
trouver dans Ciir, même sans Tatien, tandis que les bonnes leçons
courtes de Sin indiquent une autre origine critique.
Le. XXII, il Cur : « mon père, si c'est possible », comme dans Mt.
XXVI, 39, avec Aphr. (ii, 30) « mon Père, si c'est possible ». Mais Sin
et pes : « Père, si tu veux », texte critique, et satisfaisant pour l'om-
nipotence divine. Aurait-on eu l'idée de le changer pour revenir en
arrière?
Le. XXII, 43 Cur : om. « du ciel » avec Éphrem (Lamy i, 233).
Sin omet +3 et \\. Si l'omission totale était primitive, n'aurait-on
346 REVUE BIBLIQUE.

pas suppléé dans Cur au moyen du grec, comme le dit M. Burkitt


de la finale de Me? Or Ta paraît être le seul qui ait omis de cCelo. Cur
tient donc le v. de Tatien, mais à titre de traducteur.
Ce que nous tenons à prouver, c'est que les tatianismes soit dans
Cur, soit dans Sin, sout les plus anciens. Nous pouvons donc prendre
un exemple dans lequel Sin a le vieux texte, emprunté à Ta.
Jo. V, 10 Sin : « et lorsque les Juifs le virent, ils lui dirent ». « le
virent » est dans Ta ar. et dans e : cura vHissent autem illum iudaei
dicebant. Cur a seulement « les Juifs lui dirent. » On ne peut sup-
:

poser qu'on chercher dans Ta après coup ces mots superflus,


soit allé
Sin étant d'ailleurs si porté aux omissions qu'on a laissées béantes.

2. — Omissions de Sin.

Les omissions de Sin sont son meilleur titre à l'estime des critiques.
Et certes nous ne pouvons que l'approuver d'avoir éliminé beaucoup
d'harmonisations ou de tatianismes. Il est certain aussi que ni lui ni
Cur d'ailleurs ne contenaient cerlainesadditionsfàcheuses. Parexemple
dans Mt. v, ii Sin et Cur om. sjacy-'-î ~^'^i /.xTapw.asvijç 'j;j.aç et y.aXtoç
r^oiv." Tojç [v.Qcrnxz uixaç et £-::r,p£aCovTwv \>'^.7.z, y^-., qui avaient fait leur
chemin dans Tatien (Aphr. avait la première et la troisième) dans
D et dans plusieurs à Antioche, et même en Egypte avec W. Il
latins,
se pourrait que le ms. grec de l'ancienne syriaque ait été pur de
cette conformation à Le. vi, 27 s. Mais si quelques non-interpolations
sont louables, on ne peut méconnaître le penchant de Sia aux omis-
sions, penchant communaux traducteurs, et que M, Sanday a reconnu
dans k, sur lequel on voudrait appuyer les omissions de Sin. « C'est,

dit-il, naturellement un phénomène assez commun dans les mss. de


toutes sortes de sauter des motsou des phrases qui semblent super-
flus. si la tendance
Mais la question peut bien être posée de savoir
dans k ne va pas un peu plus loin. Il semble qu'il y a une certaine
impatience de tout ce qui a la nature d'une répétition. On affecte
l'asyndeton : et il y a un goût de réduire la pensée à sa forme la plus
simple et la plus nue, sans aucune de ces expressions à relief qu'on
trouve dans beaucoup d'autres mss. (1 .. »

On dirait que dans ces lignes M. Sanday décrivait d'avance le faire

de Sin.
Il faut se mettre en garde contre les harmonisations, surtout d'un
évangile à l'autre, mais il faudrait changer toute la critique, non

(1) Old-Lalin Biblical Texts, n» II, Oxford 1886, p. 121.


I.ANCIENNE VERSION SYRIAQUE DES EVANGILES. 347

seulement textuelle mais littéraire, si l'on supprimait les doublets.


Dans son désir de montrer la pureté de Sin, Mrs Lewis a noté avec
soin les passages omis dans Sin et qui étaient équivalemtnent ailleurs.
En ce faisant elle a, semble-t-il, bien plutôt dénoncé la cause de ses
omissions. Il n'a pas voulu dire deux fois la même chose.
Par exemple : Mt. iv,De même k.
17 Sin om \j.t-y.^fzv.-i et ^ap.

Mi Burkitt a dÉdesse e?de Carthage, auxquelles il asso-


vu là l'union
cie Clément d'Al. Clément ne cite pas textuellement. Sin, Cur et k
n'ont peut-être pas voulu répéter Mt. m, 2. Dans ce cas cependant
l'accord de Sin et de Cur donne à penser.
Mt. V, 30 Om. Sin et D d, mais non Cur. Se retrouve Me. ix, 43;
Mt. XVIII, 8.
Mt. V, 47 om. Sin et k, mais non Cur. N'ajoute qu'une modalité au
V. précédent.
Mt. VI, 5 om. Sin seul. La substance de l'enseignement est donnée
VI, 2.

Mt. IX. 34, om. Sin D a d k Diat. ar. — Mais cf. Mt. xii, 24: Me. m,
22 ; Le. XI, 15, etc. etc.
Les expressions pittoresques ou un peu redondantes sont naturel-
lement surtout omises dans Me.
Me. 1, 32 C'V.aç ce 7£v:;jL£vr,ç.
V, 4 Taç a).u3-s'.ç xa'. Tar r.iz-j.:.

V, 1.5 Tcv £(jyT;ycc3c -z^' Xîy'.ojvj:.

VI, 25 \xz-y. (j-suo-/;;.

VI, 33 7,ai -pir/AOev auTcuç.


VI, 39 c7u;j.7:oj'.a C7j;j.7:07ia OU plutôt -zy.-'.y.'. t.zxt.'v. (voir plus loin).
IX, 3 z\y. yvaçEJÇ — Asiixava', etc.

Comme exemple de récit réduit au nécessaire on peut citer .Jo. xxi,


15 : om. TTAîOV TÎJTWV... <7J ZÎzy.Z CT'. oÙM GS, V. 16 7J C'.CaÇ CT'. 'z/.Uh^ 7S.

Cette rapidité peut être plus élégante, mais ne s'éloigne-t-elle pas du


style de Jean?
Un certain nombre d'omissions ont pour but d'éviter des difficultés :

Mt. I, 25 7.X', cj/. îY',vojj7.£v aj-r,v scor :j.

II, 16 £::'. A5r,a6:zp ap-/'-^f ^^ç.

VIII, -26 cX'.vîT-rj-c,.

Le. vn, 7 SIS cjos t\i.y:j-z^) y;;'.(.)7x -p:ç 7£ sXOe-.v difficilement en harmo-
nie avec Mt. viii, 5.

Omission de mots difficiles à traduire :

Me. VII, 1 t.j-[\j:c,. XII, 4 £7.£9a"A'(.)7av. XIV, 41 y.r.v/z'..

Le. VI, 40 7.aTY;pT',7;x£Vc;ç /.. -.. "/,. XI. 28 ;j.sv;jv. XX, 31 /.y.', 'j'.z: £'.7'.v Ozz'j.

Menues omissions : '.zz-j, -aA-.v. v/.t'.. £jO'jr (dans Me), roA/.a, •:TavT£ç
3i8 REVUE BIBLIQUE.

(dans Le.}. Naturellement les explications des mots araméens, et quel-


que homoioteleuton.
Il serait étrange que Sin ait écarté les mentions de la nudité. En

fait il omet Me. xiv, 51 sn 7j;j.v:j (fam. 1. c k)\ Jo. xxi, 7 r,v -;y.^
:

vj;j.v;r, et dans Me. x, 50 l'aveugle prend ses vêtements, au lieu de les

ôter, comme le dit Éphrem [Moes. 181) avec tout le monde.


Enfin les omissions inexplicables, dont la plus considérable est
Le. XXIII, 10-12; cf. celles de Jo. xiv, 10 et 14 pour ne parler que de
celles où Sin est seul.
Un certain nombre de ces omissions peut être attribué au traduc-
teur. Cependant lorsque Cur. en est exempt et que rien ne les sug-
gère, comme dans les derniers cas cités, il semble bien que c'est un

phénomène propre à l'histoire du ms. lui-même.


Mrs Lewis a écrit « Je serais désappointée si, après une étude
:

diligente de ma liste des phrases omises, quelques lecteurs ne sont


pas frappés de ce fait que le style littéraire des évangiles distincts
est réellement amélioré par leur absence (1). »

Hélas! il n'est que trop vrai! Mais c'est ce qui rend ces omissions
suspectes. L'amélioration d'ailleurs est dans le sens d'un style coulant,
mais plat. Avec Sin, il faut opter. Ou bien ce ms. représente un texte
bref indemne de toute surcharge postérieure ou bien c'est une traduc- ;

tion trop souvent par àpeu près, encore réduite par des copistes. On
n'harmonise pas seulement par des additions, et une traduction n'est
pas toujours une paraphrase. Sin s'en est tiré en omettant, et la
recette a paru bonne à ses copistes ou reviseurs.

3. — Arrangements.

Voici un exemple caractéristique dfs libertés que prend Sin, qui


paraît bien représenter ici l'ancienne version, car quel copiste aurait
prisde telles libertés sans pouvoir s'appuyer sur un document?
Dans Jo. vu, 3i Jésus dit à ses adversaires
(Cur et Sin) « Je m'en : :

vais vers celui qui m'a envoyé, et vous ne me trouverez pas, et au


lieu où je vais vous ne pouvez pas venir. »
Les Juifs se disent (v. 36) qu'a-t-il voulu dire « Vous me cher-
: :

cherez et vous ne me trouverez pas, et là où je suis, vous ne pouvez


pas venir? » Cur a traduit à peu près exactement, « vous me cher-
cherez et vous ne me trouverez pas, et au lieu où je [vaisj (2) vous ne
pouvez pas venir ». Mais Sin a cru préférable de reprendre les paroles

(1) Op. l., p. vn.


(2) Je suppose un mot omis par le scribe. M. Buikitt sous-entend « suis ».
L'ANCIENNE VERSION SYRIAQLE DES ÉVANGILES. 34»

mêmes de Jésus, en les abrégeant toutefois, et il s'exprime ainsi : « ,1e

m'en vais et vous ne me trouverez pas, et ce qu'il a dit : au lieu où je


vais vous ne pouvez pas venir. »
Me. vi, 22-23 (Cur hiat) « Et le roi dit à : la jeune fille : demande-
moi, et je te donnerai, jusqu'à la moitié de mon royaume : et il le lui
jura par serment ». Le va-et-vient de Me. est ainsi mis en ordre; de
même dans fam. 1.

Me. IV, 1 Sin (Cur hiat) : « Et il descendit (1), s'assit dans la barque
dans la mer, et toute la foule se tenait debout contre la mer. » De
cette façon Sin évite de dire que Jésus était assis dans la mer, et —
que la foule était sur la terre, ce qui allait de soi (cf. D et latt coddu
Voici ua tout petit changement, mais significatif. Sur Mt. t, 20^
Tatien avait traduit littéralement le texte incontesté : -z -^xp sv y:j-r,

Y£vvy;0£v £y. r.vvj[}.oc-z: î'tiv ayicj. Isho'dad (2) qui nous l'apprend nous^
dit en même temps combien les Syriens étaient embarrassés de -S*pn
qu'ils traduisaient : « ce qui est né ->.

Comment né avant de sortir du sein de sa mère?


l'enfant était-il
Sin et Cur se sont rapprochés du grec en mettant le participe, et
ont mis « né de toi », au lieu de « né en toi », ce qui est un non-sens,^
mais pour échapper à une difficulté. C'est en même temps un indice
décisif que Ta est antérieur. Même correction dans pa, b c /
g / -.
Sans gêne Jo, v, 21 cur Oeas-.. Sin et Cur t:jç -'.7T£u:vTxr ev xjto).
:

seuls.

i. — Ce qui regarde Marie dans l'évangile de l'enfance.


Tatien ayant éliminé les généalogies, il était très naturel qu'il
rattachât Jésus à la lignée de David par Marie. Et c'est même très
probablement pour éviter tout soupçon d'une part prise par Joseph
à la naissance de Jésus qu'il a supprimé les généalogies.
Nous savons par Aphraate, et par Éphrem, qu'il avait introduit
dans Luc que Marie aussi descendait de David [Moes. 16) eadem :

Scriptura dixit, utrumqiie, Josephiun et Mariam esse ex domo David.


Il suffirait d'une transposition dans le texte pour faire constater cette
origine par l'autorité du recensement. C'est ce que contient le texte
de Sin (Cur hiat) Le. ii, 4 et 5 : « Et Joseph aussi monta de Nazareth,
ville de Galilée, vers la Judée vers la ville de David qui est nommée
Bethléem, lui et Marie sa femme, qui était enceinte, afin d'y être
recensés, car tous deux étaient de la maison de David ».

(1) Correction de Mrs Lewis.


(2) Trad. anglaise, p. 13.
3o0 REVUE BIBLIÔLE.

Cet habile arrangement doit sans doute être attribué à Tatien, si


ce n'est qu'il a écrit« sa fiancée (1 et non « sa femme », d'autant •>

que Sin est seul à dire « sa femme » tout court.


Décidé à admettre les généalogies, l'auteur de l'ancienne version
n'était pas pour cela dans la disposition de rompre avec le dogme
de la conception surnaturelle. Tout son texte le prouve. Mais d'autre
part il était* résolu à tirer de la génécilogie toutes ses conséquences
légales. Joseph étant le mari de Marie était légalement le père de
Jésus. C'est du moins ce que Sin a fait avec beaucoup de rigueur.
Tatien semble avoir évité soigneusement de donner à Joseph le nom
de mari : Mt. i, 18 et antequam data esset viro (Moes. 20). — Cur et

Sin se sont rapprochés du texte grec, Tvptv y; 7uv£X6e',v ajTiuç, en rem-


plaçant cependant le par la simple expression de ce qui n'avait
t^ç>\v

pas eu lieu quils ne s'étaient pas approchés l'un de


: « Alors (2)
l'autre », scrupule qui montre bien que Sin n'entendait pas s'éloi-
gner du dogme de l'Église.
Au V. 19, Tatien avait dit « Joseph » tout court. Cur s'en tient là,
mais Sin ajoute « son mari », avec le grec. Au v. 20, d'après Éphrem :

Ne timeas accipere Marlam (Moes. 23 , mais il n'a peut-être pas tout


cité. Cur (seul) : « Marie ta fiancée ». Sin : « Marie, ta femme », avec
le grec. Cur (seulj : « a été conçu » ; Sin avec le grec « est ».

Au Cur et Sin seuls supposent -tzi-oLi Se ao», utcv, mais si ce


v. 21, :

az<. par une réminiscence de Le. i, 13, il faut avouer que


est ajouté
cette réminiscence est calculée pour attribuer Jésus à Joseph, quoique
autrement que Jean à Zacharie. Marie conçoit du Saint-Esprit, mais
pour Joseph. D'autant que la même pensée reviendra au v. 25, mais
dans Sin seul ; « elle lui enfanta un fils ».

V. 21 Sin : « tu appelleras... » « son peuple » avec tous. Cur :

« sera appelé (3) » , « le monde » , seul. Cette universalité de la


rédemption est-elle le fait d'un copiste, ou n'est-elle pas plutôt le fait

de Tatien?
V. 22 Sin et Cur ajoutent « Isaie », après « le prophète » avec D et
quelques latins.
V. 2i et s. Nous retrouvons Tatien et sumpsit eam... in sanctitate
:

habitabat cum ea, donec peperit prirnogenitum (i).

(1) Aphraate, xxui, 20 : losepli cum Maria desponsata sibi, ambo de domo David.
(2) nS 13 leçon de Mrs Lewis contre Burkitt nS ~".
(3) Avec pa'-s
(4) Moes. 25. Il y avait je ne sais quel trouble dans je ne sais quel texte, car l'auteur
lisait aussi : habitavit cum ea in sanctilate et sumpsit eam, et s'étonnait de cet ordre
renversé.
I.ANCIENNE VERSION SYRiAnlE DES EVANGILES. 3ol

Cur suivait Taticii de près : « et il prit Marie et demeurait en


il

pureté avec elle, jusqu'à ce qu'elle enfanta le fils, donna


et elle lui

le nom de Jésus ». Il semble que « en pureté » n'a point été imaginé


entièrement par Ta, et qu'il a ainsi rendu ;j/. sY'.vwjy.sv aj-r,v, om. :

par Sin, avec k. Tatien ne suppose donc pas cette omission comme
veut M. Burkitt. Plutôt Sin constatant que " en pureté » n'était pas
dans le texte na pas voulu non plus de cette incise qui pouvait être
mal interprétée par rapport à la virginité future de Marie, comme if
avait changé le -p-.v du v. 18. De plus il remplace eam ou Marie par
« sa femme « avec le grec. Mais fidèle à son thème généalogique, il

écrit « elle lui enfanta », conformément au v. 21.


: On aura —
noté que Sin et C'ir ont j-cv contre Ta et Antioche, qui ajoutent a'^-r,z

-.zt zpo)T;TC7.:v.

Après cela il est plus aisé de s'expliquer la célèbre leçon du v. 16.

Tatien manque, puisque c'est le dernier anneau de la généalogie.


D'après tout ce qui précède, il est clair que Mt. a écrit t:v a/cpa
Map'-aç, et non w [AVYjTtîuÔsiTa -napOevcç Mxp-.a. a bien dû En effet Mt.
mentionner que Marie n'était que fiancée la concep- au moment de
tion; mais depuis que Joseph l'a prise chez lui, elle est devenue légale-
ment sa femme, comme le texle le disait tout uniment. C'était aussi ce
qu'il fallait dire à la fin de la généalogie, pour lui donner un sens :

Jésus descendait de David par Joseph, à son titre d'époux de Marie.


La leçon o) ;xvr,sTîjO£'.T3c /.. t. a. est donc due à un scrupule de piété
envers la virginité de Marie c'est celle de et du groupe Ferrar et
:

de plusieurs latins anciens k d {ç^i sans doute D mais il manque),


:

a ^ c. Le ms è ayant ajouté erat. a dû reprendre virgo autem Maria...


pour é\'iter que Joseph ne devînt le sujet. Mais cet erat était à peu
près inévitable en syriaque. Dès lors Cur a suivi le même parti que
b, il a repris le sujet : « elle qui enfanta ». Au contraire Sin, selon
son dessein, déjà entrevu dans de la conception surnatu-le récit
relle, d'accentuer la parenté légale de Joseph, Sin a appliqué z-^vi-

•rr,7v> à Joseph, et repris son nom, pour plus de clarté, au lieu du

pronom.
C'est bien, je crois, ce qu'explique M. Burkitt. Mais il prétend que
Sin, qui aurait écrit d'après le texte du groupe Ferrar, serait en
même temps la source de Cur. C'est presque contradictoire. Car si

Sin vient du texte et Ferrar, Cur en est certes plus voisin, ayant
rendu littéralement o> par « lui à qui ». C'est donc Sin qui a rem-
placé ce pronom par Joseph, et qui ensuite a pu croire qu'il se rap-
prochait du grec en en faisant le sujet de t-(z-rrr,ziv.
Nous avons ainsi la série des déformations :
332 REVUE BIBLIQUE.

c A£Yc;j.£vcç '/pi7Tc;, texte authentique.


autre texte destiné à mettre en relief la virginité de iMarie,
Un
devenue naturellement le sujet du verbe suivant, pour éviter le
bizarre (}... Map-.atj., èE r,:... donc :

Ix/.MO ÔE £Y£VV^ff£v Tov Ioj7y;ç;, to ;j.vr,7T£jO£'.7a 7:y.pHv/zz Mapia;A £Y£vviq3£v


Iy;7:'jv 0, tam 13. De même k d a g c; d'où Cur
-ov X£Y5;j.£vov -/p'.TTsv :

Jacob engendra Joseph, celui à qui était fiancée la Vierge Marie, elle
qui enfanta Jésus-Christ. De même e. (Jésus-Christ (Messie) tout court,
avec k, selon la manière brève de l'ancienne syriaque). Enfin Sin :

<(Jacob engendra Joseph Joseph auquel était fiancée la Vierge Marie,


;

engendra Jésus, qui est nommé le Christ » (Messie i.

Tel qu'il est ce texte ne peut être authentique. On peut même être
assuré, d'après la pratique constatée de Sin, qu'il n'aurait jamais
mis « fiancée » s'il n'y avait été obligé par la tradition représentée
par Cur. 11 faudrait donc aller plus loin, si on voulait retrouver sur
cette piste le texte primitif, et laisser seulement « Jacob engendra :

Joseph, Joseph engendra Jésus ». Mais on serait en pleine fantaisie.


il semble bien que le texte de Sin est celui que vise Bai-
D'ailleurs
salibi dans un passage cité par M. Burkitt (1) « Et quand il vient à :

Joseph, il dit qui engendra le Messie ». Barsalibi qui cite large-


:

ment, renvoie à ce qui suit pour comprendre le sens de l'évaiigé-


liste, lequel avait en vue une conception surnaturelle.

De toute cette comparaison il résulte bien que Cur est plus que Sin
conforme à Tatien. En pareil cas faut-il supposer que Cur a été déli-
bérément éloigné du texte syriaque et des textes grecs pour être assi-
milé à Tatien? ou n'est-il pas plus conforme à tous les autres faits
de regarder les leçons anormales comme découlant du premier con-
tact avec Tatien? De ce principe d'ailleurs il faudra conclure que Sin
est plus original que Cur dans son addition plus conséquente de « à
toi » et à lui » (21 et 25), qui n'était ni dans Ta ni dans le grec,
(1

mais qui avait pour but d'accentuer la valeur de la généalogie.

[À suivre.)

Jérusalem.
Fr. M.-J. Laguange.

fl) T. II, p. 266. Je vois un indice de la même tradition dans le passage cité aussi par
Burkitt du ras. A du Gard. Ciasca « Jacob engendra Joseph, mari de Marie, qui d'elle
:

engendra Jésus-Christ. »
LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL
[.mite).

III

VISIOXS SYMBOLIQUES.

1. Le rouleau mangé : ii, 8 -m, 11

« 8. Et toi, Ois de l'horame, écoute ce que je te dis; ue sois pas rebelle. Ouvre
la bouche et mange ce que je vais te donner. 9. Et je vis, et voici qu'une main se
tendait vers moi, et elle tenait un rouleau écrit. Et il le déroula devant moi et il

était écrit sur le recto et le verso, et il contenait des lamentations, des mëdita-
tioDS et des plaintes, m. 1. Et il me dit : Fils de l'homme, maniie ce que tu
trouves, mange ce rouleau et va, parle à la maison d'Israël. 2. Et j'ouvris la
bouche et il me ût manger ce rouleau. 3. Et il me dit : Fils de Ihomme, que ton
ventre se repaisse et que tes entrailles se remplissent de ce rouleau que je te
donne. Et mangeai et il me fut dans la bouche d'une douceur de miel. 4. Et
je le
il me dit Fils de l'homme, va vers la maison d'Israël et tu leur diras mes pa-
:

roles... 10. Et il me dit Fils de l'homme, toutes les paroles que je te dirai, mets-
:

les dans ton cœur et écoute-les de tes oreilles. 11. Et va, rends-toi auprès des

exilés, auprès des fils de ton peuple et parle-leur. Tu leur diras : Ainsi a parlé le
Seigneur Jahvé, soit qu'ils écoutent soit qu'ils ne le fassent point...

Symbole. —
Personne ne s'est mépris sur le véritable caractère
de la scène. Tous les commentateurs reconnaissent que l'événe-
ment s'est passé en vision et que le prophète n'a pas eu à manger
réellement un authentique rouleau.
Remarquons toutefois que le caractère irréel de l'acte ne se
déduit pas de son impossibilité historique. Il n'est pas impossible
après tout qu'un homme absorbe un rouleau de parchemin. La
véritable raison est que ce tableau fait partie de la grande vision
inaugurale qui décrit la vocation d'Ézéchiel au ministère prophé-
tique. Du moment que les chérubins, les roues, le char, le trône,
la gloire de Jahvé ne se montrent qu'en esprit, la scène du livre
ne se passe non plus qu'en vision. « Personne ne prendra au sens
matériel cette saveur ni cette nourriture, dit Théodoret. De même
KËVLB BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 23
354 REVUE BIBLIQUE.

qu'il contemplait en esprit cette vision, c'est également en esprit


qu'il goûtait cette saveur (1). » Non reipsa, sed spiritu comedi, dit
succinctement Maldonat (2).
Symbolisme .
— Le sens de la vision est expliqué aux versets 10
et 11. Dieu a voulu marquer d'une manière sensible au prophète
qu'il lui mettrait à la bouche les paroles qui devaient être trans-
mises aux fils d'Israël. A Jérémie le Seigneur s'était contenté de
dire :

Tu iras vers tous ceux à qui je t'enverrai,


Et tu diras tout ce que je t'ordonnerai (i, 7).

Jérémie, de son côté, disait métaphoriquement au Seigneur :

Dès que vous m'avez communiqué vos paroles, je les ai dévo-


rées (xv, 16). Mais ici, la métaphore s'est développée en un symbole
allégorique. Il semble à Ezéchiel qu'il dévore le rouleau où sont
écrites les paroles de Jahvé. Il en goûte la saveur mystérieuse,
comme s'il l'avait réellement consommé à l'état de veille. Il

retiendra la leçon, et y puisera à l'occasion le courage dont il


il

aura besoin pour exécuter son mandat.


Ainsi qu'on le disait plus haut, cette scène fait partie de la vision
inaugurale, dont le but est d'expliquer au fils de Buzi sa voca-
tion nouvelle. La notion de prophète implique toujours trois
choses : le Dieu qui envoie, le peuple vers qui on est envoyé, et
le message qui doit être transmis au peuple de la part de Dieu.
Jahvé commence par donner à Ezéchiel la plus haute idée de sa
puissance et de sa majesté, en lui apparaissant sur le char aux
roues merveilleuses, traîné dans l€S espaces par les prodigieux
chérubins (i); il lui signale ensuite les fâcheuses dispositions du
peuple maison rebelle, quil doit évangéliser (ii, 1-7); enfin,
d'Israël,
il lui donne l'assurance qu'il lui communiquera en temps opportun

les messages à transmettre. De la sorte, l'acte de la vocation se


déroule en trois scènes, à la suite de quoi Ezéchiel est réellement
préconisé prophète il est équipé pour le combat;
: suivant son
expression, il peut commencer auprès de la maison d'Israël sa
faction de sentinelle (m, 17).
Tous les commentateurs conviennent de ces enseignements sym-
boliques. Quelques anciens pensaient en outre que la nature commi-
natoire des oracles futurs s'y trouvait indiquée. Le rouleau, remar-

(l)In Ezech., m. 3 : Migne, P. G., t. 81, col. 844.

(2) Comment, in Ezech., in h. 1.


LES SYMBOLES PROPHETIQUES D'EZECIIIEL. 353

quaient-ils, laissadans la bouche du prophète une saveur de miel;


mais mention exclusive de la bouche ne permet-elle pas de
la
supposer que les entrailles furent remplies d'amertume? Maldonat,
Calmet, qui partagent cette opinion, se réfèrent à un passage de
Jérémie (xvi, 18 qui, à la vérité, ne prouve rien, et à un autre de
,

FApocalypse (x, 9-10, (1 qui ne prouve rien non plus pour le


j,

passage actuel d'Ezéchiel. Il faut s'en tenir au texte des symboles.


Le fils de Buzi ne parle pas d'amertume, parce qu'il ne voulait pas
mettre en relief les souffrances inhérentes à ses fonctions. Il ne
signale en cet endroit que la douceur du livre, parce qu'il veut
symboliser uniquement le caractère bienfaisant, la saveur surnaturelle
des messages divins. Le fait que l'auteur de l'Apocalypse a trouvé
son rouleau amer ne prouve pas quEzéchiel ait trouvé au sien cette
même saveur. Le même symbole n'a pas toujours la même portée.

2. La chaudure : xxiv, 1-1 i.

C'était la neuvième année de Sédécias, le dixième jour du


dixième mois (janvier 588), au moment où Nabuchodonosor com-
mençait le siège de Jérusalem qui devait aboutir à la ruine de la
cité sainte.

Fils de rhomiiie, 3. propose une parabole à la maison rebelle et dis-leur :

Ainsi a parlé le Seigneur Jahvé : Dispose la chaudière, dispose-la et verses-y de


l'eau. 4. Amasses-y 'des' morceaux, tous les bons morceaux, la cuisse et l'épaule,
remplis-la des meilleurs os. h. Prends ce qu'il y a de mieux dans le troupeau,
entasse le bois' sous la chaudière, fais-la bouillir à gros bouillons et que les os
qui sont dedans cuisent aussi.
6. C'est pourquoi, ainsi a parlé le Seigneur Jahvé : Malheur à la ville de sang,
chaudière qui a du vert-de-gris et dont le vert- de-gris na pas été été! Vide -la
morceau par morceau : le sort n'est pas tombé sur elle. 7. Car le sanrj qu'elle a
versé est au milieu d'elle... etc. (7 et 8).
9. C'est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Jahvé Malheur à la ville de sang! :

Moi aussi, je vais dresser un grand bûcher. 10. Accumule le bois, allume le feu,
retire la viande, 'répands la sauce' et que l'es os soieiit consumés (glose?;. II. Puis
dispose la chaudière vide sur les charbons, pour qu'elle s'échauffe, que son cuivre
s'embrase, que sa souillure se foude au dedans et que son vert-de-gris s'en aille.

12. Mais masse de vert-de-gris ne s'en va pas, le vert-de-gris ne s'en va pas par
la

le feu. 13. Ton impureté est excessive; puisque je t'ai puriflée et que tu n'es pas

devenue pure, tu ne seras pas purifiée de tes impuretés, que je n'aie assouvi sur toi
mon courroux. 14. C'est moi, Jahvé, qui ai parlé; cela arrive, je le ferai; je ne
lâcherai pas, je n''épargnerai pas, je ne me repentirai point; on te jugera d'après
tes sentiers et tes œuvres, oracle du Seigneur Jahvé.

(1) Où il est dit i[ue le rouleau, absorbé par saint Jean, fat doux à sa lou:/ie et
amer à ses entrailles.
356 REVUE BIBLIQUE.

Symbole. — La première question à élucider concerne le texte


du symbole, qui porte des traces visibles de remaniements, com-
parables à celles du chapitre iv.
La parabole se partag-c en deux tableaux, suivis chacun de son
application celai de la viande cuisant dans la chaudière (3-8), et
:

celui du vert-de-g-ris résistant à l'action du feu (9-15). Mais, dans le


texte actuel, on relève cette surprenante particularité que chacune
des deux parties empiète sur l'autre, d'où la complexité qui a si
fort embarrassé les exég-ètes.
Dans le premier tableau (3-5), le prophète re(;'oit ordre de dis-
poser la chaudière et d'y faire bouillir les meilleurs morceaux. A
s'en tenir aux règles habituelles du symbolisme, on s'attendrait à
trouver dans l'application l'annonce que les grands de Jérusalem
seraient englobés dans la ruine de la capitale. Ils y sont englobés
effectivement, mais au lieu de périr sous les ruines de la cité et
du sanctuaire, ils Vide-la morceau par morceau;
sont déportés :

le sort n'est pas tombé sur


pour distinguer ceux qui doivent
elle,

périr de ceux qui doivent être épargnés (6''). Première anomalie,


qui suffirait à rendre suspecte cette application. Mais, de plus, on
commence à nous parler du vert-de-gris, dont il n'a pas encore
été question dans le symbole, et qui fera le sujet de la deuxième
partie. Suit un développement (7-8), qui tranche lui aussi sur la
simplicité du thème original et ne se rattache que peu ou point au
verset précédent (G).
Le deuxième tableau nous représente les efforts du ptophète pour
faire disparaître le vert-de-gris (11-12); et ce tableau serait parfait,
même au point de vue littéraire, s'il n'était accompagné d'une
répétition (9-10), à nos yeux bien inutile, où Ton nous montre à
nouveau les viandes cuites dans la chaudière.
Ces anomalies n'avaient pas tout à fait échappé aux commenta-
teurs; mais semble qu'ils aient pris facilement leur parti. Ber-
il

tholet lui-même, en 1897, notait simplement que le thème initial


de la viande dans la chaudière recommençait au v. 9. Kraetzschmar
a été le premier à serrer de plus près le problème; il a réussi, je
crois, à supprimer l'anomalie des vv. 9 et 10, grâce à une légère
modification du texte, qui, du reste, est suggérée par les Septante.
Au V. 10, au lieu de lire avec l'hébreu massorétique : Fais fondre
la viande, fais bouillir la bouillie, il lit : Enlève la viande (1),

(1) Pour cette traduction nouvelle, il n'a pas eu besoin de modifier le texte; il lui a
suffi de donner au verbe hébreu le sens authentique qu'il possède en d'autres endroits,
vg., Ez., xxn, 15, ôter, mettre de côté.
LES SYMBOLES PROPHETIQUES DEZECHIEL. 3o7

répands la sauce que les os soient consumés par le feu (2).


(1) et

Mais il ranomalie du premier tableau.' Cette fois,


restait toujours
c'est à Heruiann que revient le mérite de nous avoir mis sur la voie

de la solution véritable. Il constate que le v. 6" ne cadre guère avec


le contexte. Il serait beaucoup mieux, pense-t-il, après le v. 12, où
cependant il risque de faire double emploi avec le v. 13. Quant à
6", il peut être authentique, à condition de signifier que la viande
doit être enlevée morceau par morceau. En revanche, les w. 7 et 8,
qui contredisent 10-1 V, doivent être regardés comme des gloses.
Dégagée de ces éléments adventices et rendue à l'agencement primi-
tif de ses diverses parties, la parabole parait mieux équilibrée et
plus belle.
Cependant, tout n'est pas irréprochable dans cette critique.
Hermann relègue le v. 6' après le v. 12. Mais, on ne voit pas pourquoi
les Malheur ci la ville de sang, ne seraient
premiers mots du moins :

pas à leur place. pouvaient amorcer une explication aujourd'hui


Ils

disparue, ou, s'il n'y avait pas d'explication, ils étaient de nature à
la suppléer, étant donné surtout que la figure de la chaudière et de

la viande était déjà familière aux auditeurs d'Ézéchiel cf. xi, 3, 7) (3).
De plus, à rencontre de Hermann, la fin de ce v. 6 Vide-la :

morceau par morceau ne peut être tenue pour l'application de la


parabole précédente. D'abord, parce que l'application ne cadrerait
pas avec le tableau, comme on le disait ci-dessus; ensuite, parce
qu'il y aurait une sorte de contradiction entre les deux parties de
la parabole, le tableau demandant ({ue les Hiérosolymites importants
soient consumés avec la ville, et l'application les envoyant simplement
en exil.
Nous nous retrouvons d'accord avec Hermann pour regarder les
vv. 7 et 8 comme un développement étranger au sujet.
Seulement, tandis que le critique allemand semble ne voir dans
les vv. 6-8 qu'un conglomérat de gloses, réunies peut-être par hasard,
il est permis de croire que ces versets sont de la main d'Ézéchiel.

Composés dans une circonstance différente, ils auront été insérés en


cet endroit par un scribe, séduit par l'analogie des sujets. Il se
trouve précisément que le v. G*" Vide-la morceau par morceau
:

envisage le même châtiment que xi, 7, où il était ([uestion pour la

(1) En lisant plÇH "ï^")^ d'après les Septante qui ont : È/.aTTwflrî ô î;waô;, pour que
la sauce diminue {op. cit., p. 195).
(2) Peut-être est-il préférable de tenir pour une glose ces derniers mots, ([ui manquent
dans les Septante Hermann
(ita ).

(3) Ajoutons que Hermann compromet gratuitement l'authenticité du v. 13.


338 REVUE BIBLIQUE.

première fois de viande et de chaudière : Ils sont la viande et elle


est la chaudière, vous fera sortir de son sein. Peut-être les
et il

deux fragments appartenaient-ils primitivement au même contexte.


On se souvient qu'une solution analogue a été proposée pour les
problèmes littéraires du chapitre iv.

En bénéficiant des observations précédentes, les deux tableaux qui


composent la parabole se trouvent dégagés de tout alliage le :

premier développe exclusivement l'allégorie de la viande dans la


chaudière (1-5), peut-être avec une amorce d'application 'G*); le
second est exclusivement consacré à l'allégorie du vert-de-gris lO-li).
Sur le caractère purement paraboHque de la scène, il n'y a que
fort peu de chose à dire. Le qualificatif mâchai suffit à nous avertir
qu'elle ne sort pas du domaine imaginaire des paraboles. Les exégètes
sont unanimes sur ce point, à quelques exceptions près (1).

[A suivre.)
Denis Bdzv, S. C. J.

(1) V. gr. Troction, dans la Sainte Bible de Lethielleux.


MÉLANGES

MISSION ÉPIGRAPHIQUE A PALMYRE

(juillet 191i)

Au printemps de 1911-, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres


avait confié aux Pères Jaussen et Savignac, professeurs à l'École
Biblique de Saint-Etienne, une mission à Palmyre en vue de la pro-
chaine publication du Corpus des Inscriptions palmyréniennes.
L'excursion fut fixée aux vacances. Le lundi 29 juin, nous quittions
Jérusalem et le mardi à 5 heures du soir, nous étions à Damas.
C'était pour l'époque un record de vitesse.
A Damas, deux journées entières furent consacrées à organiser le
voyage à travers le désert. Les « Eqeil » avaient d'abord promis des
chameaux, mais craignant une razzia de la part des bédouins du
Djebel avec lesquels ils étaient en guerre, ils refusèrent ensuite de
marcher. Finalement, on s'arrêta au mode de transport le plus rapide
et, somme toute, le moins coûteux et le moins fatiguant, les voitures.

En contrat en règle fut conclu; l'argent déposé entre les mains d'un
tiers, et, le vendredi 3 juillet, à 1 h. 10 du matin, nous nous met-

tions en route.
La dernière dépêche venue d'Europe nous avait appris l'attentat
de Sarajeivo; nous étions loin de soupçonner alors quelles seraient
les premières nouvelles que nous recevrions un mois plus tard en
rentrant à lloms.
Jusqu'au village de Duma, la route ne fait guère que traverser des
jardins; au delà, la campagne moins bien plantée, quoique encore
fertile, tend peu à peu à devenir déserte.
A 5 h. 30, nous passons auprès du Khân el-Asâfîr où l'on remarque
une élégante coupole isolée. Ici commence une longue montée sur le
flanc oriental du massif que couronne le pic de Tenyet abou'l 'Ata.
A droite, la plaine s'étend au loin et semble en partie propre à la
culture, du moins au premier plan. Ene piste que les voitures pour-
3(30 REVUE BIBLIQLb:.

raient suivre, nous dit-on, traverse cette plaine et se diriee à l'est

sur Demer.
A 6 heures, nous laissons au bord du chemin, à droite, une citerne
avec un escalier pour y descendre; la porte est surmontée d'une
inscription arabe donnant le nom du pieux haigi qui a fait creuser
cette citerne. Nous rencontrerons le long- de la route plusieurs
citernes analogues, aujourd'hui mal entretenues, bâties par de riches
et charitables musulmans.
A 7 heures, nous avons
atteint le sommet de la montée où se trouvent
les ruines informes du Khàn Matnah el-Ma'louleh avec une citerne et
de l'eau. La route descend à travers une vallée large de deux à
trois kilomètres dans laquelle est situé le village de Qeteifeh; nous

y parvenons en une demi-heure de trot.


Qeteifeh est un gros village pouvant compter dans les deux
mille habitants. Les maisons sont construites en briques crues. Il
n'y a d'autre monument tant soit peu remarquable qu'un grand khân
en belles pierres de taille mais presque abandonné. On l'attribue à
es-Snan Pacha qui aurait fait bâtir une série de khàns sur la route
de Damas à Bagdad. Celui-ci n'a point d'étage, mais seulement une
chambre au-dessus de la porte d'entrée. Il forme un carré d'une
soixantaine de mètres de côté avec une cour au centre sur laquelle
donne une galerie bâtie en avant des chambres, salles ou écuries. Le
khân est précédé d'une autre grande cour au fond de laquelle se
trouvait une double rangée de boutiques avec une mosquée d'un
côté et un bain de l'autre, A l'est du village, s'étendent des jardins
où poussent des vignes, des figuiers, des pommiers et d'autres arbres
fruitiers.
De Qeteifeh, le chemin direct pour Palmyre oblique au nord-est,
passant par el-Mou'addamyeh, Djeroud, etc. Nos cochers aiment
mieux faire le détour de Nébek et, à 10 h, 7, nous continuons sur la
route de Homs vers le nord, dans la direction de la montagne.
A 10 h. 32, le chemin tourne à l'ouest et s'engage dans un défilé
large d'une centaine de mètres. L'entrée du défilé était gardée par
une petite forteresse ou khàn fortifié en assez bon état quoique
abandonné. C'est le Khàn el-Ma'azeh, construit avec de gros blocs bien
appareillés. Au-dessus de la porte d'entrée se trouve une inscrip-
tion arabe de trois lignes surmontée d'une seconde comprenant une
seule ligne.
Au bout de trois kilomètres environ, la route s'incline de nouveau
vers le nord tandis que le chemin de Ma'loula, praticable nous
dit-on pour les voitures, continue tout droit au nord-ouest. A
MÉLANGES. 361

11 h. 10, nous passons devant les ruines du Khàn el-Wrous situées


en contre-bas au bord de la route, à Test.
A trois minutes au delà du Kliân el-'Arous, la route franchit sur
un pont la vallée qui tourne à l'ouest. A côté se trouve un moulin à
eau abandonné. Il était jadis actionné sans doute par les eaux de 'aïn
et-Tineh que nous laissons à un quart d'heure environ sur notre
gauche. Ces eaux ont dû être dirigées ailleurs, car en ce moment, la
vallée est complètement à sec. Le voisinage de la source est annoncé
par quelques %'ignes et quelques arbres fruitiers.

Repartis à il h. iO. A 12 h. 25, nous quittons la route pour


prendre à travers champs. La route carrossable est tracée jusqu'à
Nébek mais pas encore achevée. Nous circulons entre de hautes
collines généralement stériles. Çà et là on rencontre quelques lopins
de terre ensemencés promettant une maigre récolte, mais il n'y
a point d'arbres.
A 2 h. 7, nous laissons à gauche le chemin de Yabroud, l'antique
lebruda, et, à 2 h. 30, nous nous arrêtons aux puits de Qastal creusés
au pied de ce village qui peut compter une vingtaine de maisons.
L'eau est bonne et abondante ; la nappe est à huit mètres de profon-
deur en moyenne. A partir de Qasfal s'ouvre une petite plaine large
de trois a quatre kilomètres, analogue à la vallée de Qeteifeh. Elle est
bordée à droite et à-igauche par de hautes collines. Derrière les
sommets de l'ouest, émerge la chaîne de l'Anti-Liban. Nous mettons
1 h. 5 pour aller de Qastal à Nébek.

Nébek est une petite ville de 7.000 habitants, nous dit-on 'le chiffre
nous parait un peu exagéré sans compter les 2.000 qui ont émigré
,

en Amérique. Les chrétiens sont nombreux. Il y a une mission amé-


ricaine et une importante paroisse grecque catholique dont le curé
nous ottre l'hospitalité dans sa maison grande et très propre. Nous
arrivons pour la distribution des prix aux élèves de ses écoles. Il
a organisé une petite séance présidée par le gouverneur local et qui
fait honneur aux élèves et aux professeurs.

La ville est située sur le versant septentrional d'une colline. Au


pied s'ouvre une large vallée arrosée par un ruisseau que bordent de
nombreux jardins où poussent des pommiers, des poiriers, des
abricotiers, etc. y a beaucoup de vignes avec quelques champs de
11

blé et d'orge. Ce qui faisait naguère la fortune de Nébek, c'était le


transport des marchandises à dos de chameaux sur la route de
Damas-Homs-Hamah. Un chameau de charge pouvait rapporter un
millier de francs par an. La construction du chemin de fer de Rayak-
Alep a luiné ce commerce et Nébek en même temps.
362 REVLE BIBLIOUE.

Les maisons, généralement bâties en briques séchées au soleil,

sont blancliies à la chaux et ont un aspect assez coquet. L'encadre-


ment des portes et des fenêtres est le plus souvent en pierres de
taille très tendres. Les linteaux des portes, ou une ligne de pierres
quand la porte est cintrée,
d'appareil placée au-dessUs de l'arceau
sontfréquemment décorés de rosaces avec des dessins géométriques.
A chaque extrémité est sculpté un poignard analogue au chibrieh
que les bédouins portent à leur ceinture. Ces poignards prennent
aussi parfois desformes fantaisistes. Nous en avons noté certains
dont lame ressemblait fort à une fleur de lis héraldique allongée.
la

Un grand khàn bâti à l'entrée du village et tombant en ruines avec


une mosquée voisine, abandonnée elle aussi, constituent les seules
constructions anciennes de Nébek.
Samedi, i juillet, à 5 h. 10 nous partons par un brouillard épais
à travers la plaine, où il mais un simple
n'existe plus de chaussée
sentier. Nous suivons toujours le chemin de Homs que nous quittons
définitivement à 5 h. 55. Nous nous dirigeons alors vers l'est, sur le
gros village de Deir 'Atyeh où nous entrons à 6 h. 15. La population
se compose de Chrétiens et de Musulmans. Aux abords du village se
trouvent quelques champs ensemencés et des jardins plantés d'arbres
fruitiers; les vignes surtout abondent. Au nord, dans la plaine, à
trois quarts d'heure de distance, on nous montre le village de 'Arah.
Repartis à 6 h. 30, dans la direction N.-E., nous longeons d'abord
les jardins que nous traversons ensuite. Au bout d'un quart d'heure,

les jardins cessent et nous voilà de nouveau à travers la plaine


déserte, plus accidentée qu'au sortir de Nébek, mais ne présentant
néanmoins aucun obstacle à la marche des voitures.
A 7 h. 55, on s'arrête au bord d'un canal rempli deau. à quelques
minutes du petit village de Hemeirah. A une centaine de mètres en
amont du canal, un petit tertre produit l'impression d'un ancien
tell analogue aux tells si nombreux de la plaine de l'Oronte ou de la
vallée du Nahr el-Kebir.
A 8 h. i5, nous sommes de nouveau en route, laissant sur notre
gauche le Nous allons à l'E.-E.-N., sur un pla-
village de Hemeirah.
teau fermé tout près, au S.-E., par de hautes collines; au N.-O.,
la ligne de collines est beaucoup plus éloignée. A 10 h., nous avons
à i kilom. environ, au N.-O., le village de Hafar. A 10 h. 32, on
aperçoit du même côté, à la distance de 7 à 8 kilomètres, le village
de Sadad entouré de verdure. Nous cheminons sur un terrain inculte
où poussent seulement quelques touffes d'absinthe.
A 12 h., arrêt auprès de l'eau à l'entrée du village de Muhin. Il y a
Fig. i. — Qaryateix : Statue d'un [lersonnage crio|ilioie.
364 REVIE BIBLIQUE.

là deux sources voisines l'une de l'autre et, à côté, un maqâm en


l'honneur du Khader. Un certain nombre de jardins paraissent aban-
donnés depuis longtemps; les autres, bien clôturés, ont comme à
Ma an de toutes petites portes hautes seulement de 0'",G0 à 1 mètre.
Nous remarquons dans le cimetière et dans le village un ouély et
plusieurs autres constructions modernes ayant aux angles de la ter-
rasse des demi-créneaux en escalier, semblables aux demi-créneaux
qui couronnent certains autels votifs et qu'on retrouve également aux
angles des tombes nabatéennes à créneaux.
Départ à 1 h. 10. Nous tournons tout à fait à l'est et bientôt même
à l'E.-E.-S. A 2 h. 25, nous rejoignons le chemin de Ijoms à Qarya-
tein, dans un bas-fond d'où l'on sort 8 minutes plus loin par un col
dominant à l'est une vaste plaine fermée de tous côtés. Dans cette
plaine, devant nous, à trois ou à quatre kilomètres, est situé le gros
village de Qaryatein où nous faisons halte pour la nuit.
Qaryatein, Nezala des Itinéraires et Nazala des Inscriptions,
compte près de 500 maisons. Il y a un moudir avec un commandant
militaire dont dépendent les soldats de Palmyre et d'el-Beida. Pal-
myre, en efïet, qui faisait partie jadis du sandjak de Deir ez-Zôr, a
été rattaché depuis deux ans au qaymaqamyeh de Homs. Plus du
tiers de la population de Qaryatein est chrétienne. 11 y aurait deux

cents familles chrétiennes appartenant presque toutes au rit syrien.


On compte quatre-vingts familles de syriens catholiques desservies
par trois prêtres et possédant une école. Il y a également une pa-
roisse jacobite et une mission protestante.
Les principales curiosités de Qaryatein se trouvent réunies chez le
cheikh qui a décoré sa médafeh avec des inscriptions, des bustes, et
différentes sculptures apportées de Palmyre. Nous avons estampé
toutes les inscriptions et photographié les autres monuments. Parmi
ces derniers, y a à signaler deux reliefs et deux statues qui méri-
il

teraient une étude spéciale. Les reliefs représentent; l'un un bœuf à


bosse couché (0"',38 x
0"\31), l'autre une panthère accroupie (0™,36
X 0"','27). Les statues sont celles de deux personnages imberbes (des

prêtres?) debout, portant : le premier (fig. 1), un chevreau ou un


agneau décapité ; le second, un plateau chargé d'une ofîrande dont
il est difficile de déterminer la nature. Les deux sont vêtus d'un
caleçon et d'une tunique tombant jusqu'aux genoux serrée à la taille

par une corde ou une simple lanière de cuir nouée sur le devant.
Ces costumes richement décorés ressemblent à ceux des personnages
à demi étendus sur le devant d'un sarcophage ou sur une couche
funèbre dans les tombes de Palmyre. A travers les rues du village,
MELANGES. 365

on rencontre quelques épaves archéologiques gros blocs d'appareil, :

fragments d'inscriptions grecques, tronçons de colonnes, etc. Dans


la cour de la maison d'un membre de la famille du cheikh, sur un
tronçon de colonne, nous estampons un fragment de dédicace « au
grand di^u de Nazala » -0600 MGrAAGO NAZAACON- t^ont le nom
propre ne nous est pas donné. Ce texte est à rapprocher de celui de

Fig. 2. — Qasr ei.-iif.ir; vue générale de la tour.

Waddington, n'' 2571, quoique les inscriptions soient certainement


différentes.
A un quart d'heure au sud du village, se trouve une source très
abondante avec un tell et des ruines à côté. C'est, on ne peut en

douter, le site d'une ancienne localité disparue depuis longtemps.


Peut-être le poste de Nazala était-il situé à cet endroit. Le nom actuel
de « Qaryatein » ne proviendrait-il pas de ce qu'il y a eu à un certain
moment deux localités?
Dimanche 5 juillet, départ à 5 h. 30. Jusqu'ici, la monotonie et
l'aridité du désert ont été constamment interrompues de distance en
distance par des villages avec des sources et des jardins. Maintenant,
jusqu'à Palmyre, ce sera le véritable désert. Nous ne trouverons pas
366 REVLt; BIBLIOLE.

une goutte (Veau avant le soir et il faut emporter de quoi faire boire
les chevaux en cours de route. Au sortir du village, on fait un
détour vers le nord pour éviter un passage difficile à travers le lit
d'un ouàdy. La plaine s'étend très loin au nord; au sud. une chaîne
de montagnes ininterrompue se dresse à plusieurs kilomètres de
peu à peu pour se rapprocher de nouveau en
distance, et s'éloignera
arrivant à Palmyre. Sauf en quelques rares endroits, le chemin est
excellent.
A 10 h. 25, nous nous arrêtons auprès des ruines de Qasr el-Heir
(fig. 2) où Ton peut reconnaître les restes d'un poste romain. Il y a
encore un pan de mur debout, haut d'une douzaine de mètres, ayant
appartenu à une tour de deux ou trois étages. L'appareil est monu-
mental et bien soigné. Voici la hauteur de quelques assises 0'",55, :

0",58, 0"^,60 ; certains blocs


ont même 0"',70 et O^jSS
de haut, sur 1™, 10 et l'",75
de long. L'édifice était di-
visé en trois salles ou nefs
Fis. 3. - Qasu EL-HEir,. Plan de ce qui reste de la tour. (fîg. 3) larges de 3'", 50 en-
viron. Les deux murs pa-
rallèles qui le partageaient doivent mesurer à la base 1" d'épaisseur
et au sommet 0™,70. Dans le haut, toutes les pierres ont l'air de
traverser et d'être à double face. Les murs extérieurs, épais à la base
de 1™,35, possèdent également des pierres qui traversent d'un côté
à l'autre. La monotonie de la partie de la façade qui subsiste encore
est rompue, à 2"^ du sol, par un retrait en biseau et à 5 ou 6™ plus
haut par une jolie corniche dont la dernière pierre, à l'angle sud-
est, porte une croix; à i-'" environ au-dessus de cette corniche il y
en avait une seconde en partie détruite. Les étages sont marqués sur
les murs intérieurs de séparation par une assise débordante formant

comme une console sur laquelle venaient s'appuyer les poutres,


dalles ou voûtes supportant ou formant le plafond.
Dans de la première assise au ras
la paroi méridionale, au-dessus
du on voit .un système de clefs de voûte superposées faisant
sol,

croire à une porte en dessous (1) (ûg. 4). Sur le devant de la clef de
voûte centrale était gravée au trait une croix aujourd'hui martelée.
Le bloc d'au-dessus entaillé au ciseau portait peut-être une inscrip-
tion ou un ornement quelconque. Un fragment de corniche gisant à

(1) Cette porte, très visible à l'intérieur où elle est surmontée d'un arceau, peut mesurer
l'",lO de largeur.
MELANGES. 367

l'intérieur du monument, vers l'angle sud-ouest, porte une double


croix (fig. 5i; lune formée par quatre arcs intersectés dans un
cercle, et dessinés simplement au trait l'autre gravée profondément;

--^
\ \

1M~
Fig. i. — Qasi; el-IIeip.. Voussoirs au-dessus d'un linteau de porte.

au milieu des moulures. Ces croix doivent remonter à l'époque


byzantine et l'on serait tenté d'attribuer à Justinien la construction

ou la réfectionde Oasr el-Heir. L'empereur qui fit restaurer et for-


tifierPalmyre dut également s'occuper de la route qui y conduisait.
Près des débris de la tour dont nous venons de parler se trouvent
d'autres ruines informes au mi-
lieu desquelles émerge le sommet
de l'encadrement d'une grande
porte, très finement sculpté. Ces
o
sculptures paraissent antérieures
à Justinien et appartiennent vrai-
semblablement à l'époque de la

grande
^ floraison artistique de
-^
Fig. ti. — QAsn EL-HEir.. Fragment de corniclie
Palmvre. avec deux croix.

château d'el-Heir, nous n'avons point constaté de trace d'ancien


puits, maissemble qu'il y en avait un, avec un birket à cùté, à un
il

kilomètre environ, au nord, où l'on aperçoit une petite ruine.


Départ à 11 h. iO, A midi, nous laissons au nord, à la distance de
cinq à six kilomètres, un qasr qui de loin ressemble à celui d'el-
Beida où nous passerons la nuit. A 2 h. 40, nous nous arrêtons cinq
minutes pour examiner une colonne dégagée de la terre, à une cen-
3Ô8 REVUE BIBLIQUE.

taine de mètres du sentier et qui porte de nombreux waseais. Elle


fait penser à un milliaire, mais on ne distingue aucune trace d'an-
cienne inscription.
Le sable durci sur lequel nous marchons vaut la meilleure route
de France; nos chevaux trottent presque tout le temps. A 3 h. 33,
nous arrivons à Qasr aïn el-Beida après avoir parcouru en moins de
neuf heures, depuis ce matin, la distance approximative de 90 kilo-
mètres.
Aïn el-Beida est un point d'eau très important dans ce désert;
aussi le gouvernement ottoman a côté pour le garder un
établi à
petit Le qasr comprend une enceinte
poste de deux gendarme^.
carrée de dix-neuf pas de côté construite en briques séchées au
soleil avec des soubassements en moellons noyés dans la boue.
Contre l'enceinte sont établis à l'intérieur quelques réduits pour les
hommes et les bêtes. Au-dessus de la porte d'entrée, est une petite
chambre destinée aux voyageurs. A une quinzaine de pas en avant
du château se trouve le puits très grossièrement bâti et profond dune
vingtaine de mètres. L'eau est bonne et abondante.
Le lundi 6 nous quittons aïn el-Beida. Bientôt la
juillet, à 5 h. 15,

plaine devient sablonneuse; pendant une demi-heure, nos bétes


avancent péniblement au pas; le sol se raffermit ensuite et nous
pouvons reprendre le trot. Ce désert n'est pas absolument stérile;
il
y pousse beaucoup d'herbes pouvant nourrir les chameaux, et
de la soude en quantité. Les gens de Palmyre exploitent cette
herbe de soude, la brûlent sur place et vont vendre le résidu aux
fabricants de savon de Homs ou de Damas. Les gazelles abondent
dans la région. Nous perdons une demi-heure pour aller en ramasser
une tuée par un heureux coup de fusil tiré sur un troupeau à un
kilomètre de la route (1).
A 7 h., nous apercevons à dix-huit cents mètres environ, au
nord du chemin, les autels signalés par Waddington sub N° 2627) et

(1) Les habitants de la contrée emploient pour la chasse à la gazelle un procédé que
nous rencontrons pour la première fois. Sur le penchant dune colline ou dans un col
où ils facile de rabattre un troupeau de gazelles, ils construi-
estiment qu'il leur sera
sent en pierres sèches deux murs en forme de V, d'abord assez éloisnés, puis se rappro-
chant peu à peu. Quand ils sont sur le point de se rencontrer, ils s'ouvrent de nouveau
en éventail et forment un enclos arrondi, d'une cinquantaine de mètres de diamètre. Au
fond de cet enclos qui paraît ouvert, en face le débouché entre les deux murs, est
creusée une fosse large de deux à trois mètres et profonde de deux mètres environ. Le
troupeau de gazelles rabattu entre les deux murs poursuit sa marche devant lui et,
chassé vivement au dernier moment, se précipite vers la fosse dans laquelle tombent
toujours plusieurs unités.
MÉLANGES. 369

depuis lors par beaucoup d'autres voyageurs. y Il en a deux com-


plets avec la base d"un troisième (%. 6); tous les trois portent une
inscription grecque et palmyrénienne. Nous en découvrons un qua-
trième, plus petit, enfoui à une quinzaine de pas au sud des précé-

dents; il possède un texte palmyrénien, toujours le même. Nous


estampons les inscriptions, photographions et mesurons les monu-
ments. Les gens de Palmyre et quelques Roualas campés dans les
environs donnent à ces autels le nom d'el-Kerâsi et appellent l'en-
droit Qasr Kharàbeh. Au retour, nous ferons déblayer la colonne
située à deux cents mètres environ à l'ouest des autels et qui porte

Fig. 6. — Groupe de trois autels sur la route de Palmyre.

l'inscription grecque N" 2627 de Waddington. Nous relèverons une


inscription palmyrénienne au-dessous du texte grec et nous décou-
vrirons que nous avons affaire à un milliaire palmyrénien, le qua-
torzième mille à partir de Palmyre. Au-dessus de l'inscription
grecque il y a quelques lettres latines suivies du chitfre XIII. Ces
caractères latins, dans lesquels nous avons cru pouvoir reconnaître
le début du protocole des milliaires de Valérien et de Dioctétien,
seraient postérieurs d'une vingtaine d'années à l'inscription gréco-
palmyrénienne; en les gravant, l'on aurait même effacé le com-
mencement du La différence des chiffres, XI|I dans
texte grec.
le latin et XIV dans le palmyrénien, provient sans doute de ce

que le point de départ de la numérotation n'est pas exactement le


même (1 .

Nous mettons 1 h. .55 à parcourir la distance qui nous sépare

(1) Voir plusloin, letude de M. Clermont-Ganneau.


REVUE BIBLIQUE 1920. —
T. X5IX. 24
370 REVL^ BIBLIQUE.

encore de Palmyre. A mesure qu'on avance la plaine se rétrécit. La


fin pourrait en être marquée par un lég-er ressaut de termin que
nous franchissons juste une demi-heure avant d'arriver. Au delà de
ce seuil, le sol est encore assez uni. Bientôt les deux lignes de

collines, au nord et au sud, se rapprochent à se toucher. Elles ne


sont plus séparées que par une étroite vallée s' échappant au nord-
est et par un col qui termine le plateau à l'est. Sur la rive gauche de
la vallée, plusieui-s tours funéraires visibles depuis quelque temps
annoncent l'approche de l'antique cité tandis que plus loin, sur un
;

pic dominant la rive droite et toute la région, se dresse une cita-

delle de l'époque arabe. Dans le col à travers lequel nous nous


avançons se trouvent de nombreuses tombes, la plupart fort ruinées.
L'une d'elles encore en assez bon état, avec une inscription sur la
face nord et une autre au sud, porte, à cause de sa forme élancée,
le nom bien mérité de « Qasr et-Taouil ». Un mur qui fit peut-être

partie autrefois d'un système de fortification de Palmyre, à l'ouest,


dévale sur le versant de la colline à notre droite. Du col où nous
sommes, descend vers l'est un petit ouâdy, l'ouâdy Seraysir avec de
nombreuses tours funéraires sur ses deux rives, et auquel on a donné
pour cela le nom de « ouâdy el-Qebour » ou « vallée des tom-
Ijeaux ». Il va se perdre quelques kilomètres plus loin dans une vaste
plaine déserte qui s'étend devant nous à l'infini. Palmyre est à nos
pieds, à l'extrémité ouest de cette plaine que nous dominons d'une
cinquantaine de mètres.
De maigres jardins avec quelques maisons éparses autour d'un
vaste quadrilatère rempli de masures arabes, c'est toute la Tedmour
actuelle; elle peut compter environ trois cents habitants. Le quadri-
latère renfermant presque en entier le village moderne n'est autre
chose que la vieille enceinte du grand temple de Palmyre. A quel-
ques centaines de mètres, au nord-ouest de ce temple, se trouvent
les ruines de la ville de nombreux monuments renversés au milieu
:

desquels émergent quelques rares édifices en partie debout, et sur-


tout, des centaines de colonnes éparses ou dressées à la file qui
donnent à ces ruines leur caractère particulier.
Notre séjour à Palmyre a duré trois semaines. Nous nous sommes
appliqués durant ce temps à rechercher tous les textes signalés par
nos devanciers, à les localiser, à vérifier les lectures proposées et à
estamper de nouveau les inscriptions douteuses. Un certain nombre
d'inscriptions déjà connues ont été brisées ou emportées; d'autres
sont enfouies sans doute et ont échappé à nos investigations. Par
contre, nous avons eu la bonne fortune de découvrir plusieurs textes
MELANGES. 371

inédits, principalement des textes religieux gravés sur de petits


autels votifs (1).
Les inscriptions de Palmyre se divisent en trois catégories : a)

Inscriptions honorifiques; b) Inscriptions votives ou religieuses; c)


Inscriptions funéraires. Les premières se trouvent presque toutes sur
les anciennes voies publiques ou dans l'enceinte du grand temple.
Elles sont gravées sur les colonnes ou sur le devant des consoles
adhérant aux colonnes et qui supportaient jadis les bustes ou les
statues dont fait mention le texte. Le plus grand nombre ont été
relevées le long de la grande voie à colonnades qui traversait Pal-
myre du sud-est au nord-ouest et qui est un des éléments les plus
pittoresques des ruines actuelles.
Les textes religieux sont gravés presque tous sur de petits autels
hauts en moyenne de 0™,50 à 0^^,60, qui jadis devaient être
votifs,

dressés dans le péribole du temple. Par suite de leurs petites di-


mensions, ces ex-voto ont tous été déplacés. On les trouve actuel-
lement dans des maisons particulières et surtout à travers les cime-
tières modernes où les musulmans les emploient comme stèles aux
extrémités de leurs tombes.
Les inscriptions funéraires comprennent de tout petits textes ac-
compagnant des bustes ou gravés à côté d'une sépulture et des
textes plus longs relatifs à la construction ou à la propriété d'un
tombeau. Il y a des bustes funéraires palmyréniens un peu partout,
dans les musées publics et dans les collections privées. Palmyre
n'en possède plus que quelques fragments difficiles à emporter ou
en trop mauvais état pour être enlevés et vendus avec profit. Le
vandalisme stupide et fanatique des musulmans de la localité s'est
exercé d'une façon incroyable sur tout ce qui pouvait subsister de ces
sculptures à l'intérieur des monuments. Les grandes inscriptions fu-
néraires sont pour la plupart en place ou dans le voisinage de leur
site primitif. On les rencontre encastrées dans les façades des grandes

tours-tombeaux encore debout, gravées au-dessus des portes des


tombes ou bien sur des linteaux gisant au milieu des ruines des
monuments détruits. Un nombre assez considérable de ces textes a
été aussiemporté surtout quand ils étaient gravés sur des plaques
de marbre ou des dalles faciles à enlever.
Les tombes de Palmyre, quoique bâties un peu partout peuvent
néanmoins, au point de vue topographique, être réparties en quatre
groupes principaux 1) Les tombes de l'ouest ou de l'ouàdy el-
:

1) Voir plus loin quelques-uns de ces textes donnés par M. l'abbé Chabot.
372 HEVLE BIBLIQUE.

Qebour; ce sont les plus nombreuses et c'est aussi le long de cet


ouâdy que se trouvent les plus belles et les mieux conservées. 2) —
Les tombes situées au nord de la ville et dont quelques-unes sont
comprises dans l'enceinte actuelle. —
3) Le groupe de l'est comprenant
une série de tombes bâties dans la plaine, à l'est, au nord-est et au
sud-est du grand temple; ces monuments sont tous ruinés; certains
ont disparu entièrement et le site des autres n'est plus marqué que
par quelques assises de pierres ou par un petit tertre de ruines. 4) —
Le groupe du sud, au sud de la source, où nous rencontrons deux
genres de tombes complètement difTérents. Il y a d'abord quelques
tombes bâties en forme de tours, puis à côté de celles-ci, à l'ouest,
tout un ensemble de grottes funéraires creusées dans le roc sur le
flanc de la colline.
A de tombes appartient le monument
cette dernière catégorie
appelé Moghârat abou Suheil, ou Moghârat el-Djedideh, connu
depuis longtemps et célèbre par ses inscriptions et par ses peintures.
Nous l'avons étudié avec un soin particulier et nous en avons refait
le plan qui est très important à connaître pour l'interprétation des

textes gravés sur la porte d'entrée. Il existait déjà deux plans de

cette tombe, mais très différents; l'un dressé par Otzen en 1899 et
l'autre par les membres de l'Institut archéologique russe de Constan-
tinople en 1900. Le premier, reproduit par Sobernheim (Beitrâge
fur Assyr., IV, p. 215) et par Strzygowski [Orient oder Rom, p. 12)
est faux malgré les cotes qui y sont inscrites et qui pourraient donner
le change. C'est ainsi,, par exemple, que de la porte d'entrée au
fond du corridor, ou au fond de la pièce qui l'ait face à l'entrée,
il y a plus de 22'" alors que le susdit plan porte seulement 13™.

La grande tombe de Qasr el-Arous a fait, elle aussi, l'objet d'une


élude spéciale de notre part. Nous avons rapporté une bonne photo-
g aphie 18 X 2i de l'intérieur de la salle du bas et localisé tous les
textes qui se trouvent dans cette salle. Nous avons découvert aussi
dans la salle d'au-dessus une inscription nouvelle. Malheureusement
cette tombe comme la précédente est de plus en plus saccagée par
les gens du pays et par des visiteurs sans scrupule désireux d'em-
porter un souvenir. C'est ainsi qu'on a détérioré nombre de pein-
tures et d'inscriptions dans la grotte d'abou Suheil. On peut se
demander ce qu'il va rester de ces peintures après le passage des
troupes turco-allemandes qui ont séjourné à Palmyre en 1918.
A une bonne demi-heure au nord-ouest du château arabe, se

trouve une ancienne carrière où de grandes parois verticales de


rocher seraient très propres à recevoir des inscriptions. Nous avons
MÉLANGES. 3:3

visité cette carrière dans l'espoir d'y découvrir quelcjues graffites;


mais notre espoir a été déçu; pas une ligne! Décidément les Palmy-
réniens ne semblent pas avoir eu la manie de graver leurs noms
partout où ils passaient comme faisaient leurs frères les Nabatéens.
Malgré la grande chaleur (à certains jours iO° au courant d'air
dans notre chambre), la visite des ruines de Palmyre pendant l'été
est chose très faisable, à condition néanmoins de travailler à l'ombre
aux heures du milieu du jour. Il souffle presque constamment une
forte brise d'ouest qui rafraîchit la température. Ce vent a été même
un sérieux obstacle pour l'estampage des inscriptions en plein air.
Fréquemment on était obligé de s'abriter derrière une couverture
tenue par deux hommes; à plusieurs reprises, il a fallu même aban-
donner le travail.
Vers la fin de juillet, notre exploration de Palmyre terminée,
nous avons gagné Homs avec l'intention de poursuivre jusqu'à Alep
où on nous avait signalé un certain nombre de bustes palmyréniens.
Mais en arrivant, nous apprenons les graves nouvelles d'Europe
auxquelles nous étions complètement étrangers depuis près d'un
mois. L'Autriche et la Serbie se battaient; la Turquie mobilisait sous
prétexte de grandes manœuvres dans laBéqa'aet tout faisait prévoir
un conflit général. Au lieu de continuer vers le nord, le 3 août, nous
redescendions prudemment sur Damas et Jérusalem. Le 8 août, après
beaucoup de nous parvenions à atteindre Jérusalem avec
difficultés,
tout notre butin archéologique.
Il nous fut impossible de trans-

mettre aussitôt ces documents à l'Académie. Nous les déposâmes en


un lieu sûr où nous avons eu la chance de les retrouver intacts à la
fin de la guerre.
La nécessité de livrer le plus rapidement possible tous nos estam-
pages ne nous a pas permis d'étudier à fond les inscriptions nou-
velles. Mais M. l'abbé Chabot, membre de l'Institut, chargé d'éditer
le Corpus palmyrénien, veut bien donner à la Revue la primeur de

quelques-unes. Nous lui eu sommes très reconnaissants ainsi qu'à


l'Académie qui a si libéralement autorisé la publication de ces
textes.

Jérusalem, 20 janvier 1920.

M. R. Savigivac.
3'i REVUE BIBLIQUE.

n
Pour répondre au désir du R. P. SaWgnac je donne l'interprétation
de quelques textes inédits rapportés par lui et par le R. P. Jaussen
de leur fructueuse mission à Palmyre.
La plus intéressante de toutes ces inscriptions nouvelles est celle
qui est gravée sur une borne miliaire (1). Elle nous fait connaître
le nom du père de la reine Zénobie, Antiochus. Comme ce texte est
l'objet, de la part de M. Clermont-Ganneau, d'une étude approfondie
et très développée, je m'abstiendrai d'en parler ici.

Parmi les inscriptions religieuses, deux surtout paraissent dignes


de retenir l'attention. Elles s'écartent de la formule banale répétée
sur tant d'autels votifs recueillis à Palmyre : a^z^vh ~^'C "imS, A celui
dont le nom est béni pour l'éternité.
La première est gravée sur le fragment d'un tout petit autel. Ce
fragment mesure 0"',26 de haut sur 0™,18 de large. Le sommet était
orné de deux volutes (voir la figure ci-jointe).
L'écriture, quelque peu cursive, en partie effacée, n'est pas facile
à déchiffrer. Avec de la patience on peut cependant arriver à recon-
naître presque toutes les lettres. Voici la lecture qui parait certaine :

Kw T2nc 1:2
"i^
n

NnS[x]

Les deux derniers signes de la 1. 2, appartiennent au dernier mot de


lai. 1. Ils ont été rejetés là faute de place. Le nom est à lire x*^*"icn,

contraction usuelle en palmyrénien pour *irc*J7iDK, ainsi que le


prouve la transcription grecque 'Ajj.pisay.jcç (Vogué, Palmyre, n" 2).
A la fin de la 1. 3, on voit, dans l'image, un signe qu'on retrouve
souvent sur les tessères de terre cuite recueillies à Palmyre. Plusieurs
archéologues l'ont considéré comme le symbole du dieu Bel. C'est
une simple conjecture que notre inscription ne favorise pas.
Le dieu Vj;^n, 'Arsu, auquel fut dédié ce petit monument, n'est pas

(1) Déjà signalée par Waddington [Recueil, n" 2628); mais les premiers mots grecs
seuls étaient alors visibles.
MÉLANGES. 375

un nouveau venu dans le panthéon palmyrénien il figure déjà dans ;

un texte publié par M. Sobernheim en 1899. La dédicace y est faite


aux dieiLV Arsu et 'Azizu (1).

Rabèl, auteur de la dédicace, appartenait à la tribu des Si2n*2 ^:i.

Fragment d'autel recueilli à Palmyre.

«n grec çuXf, MaôOaSwXtwv (2) (Waddixgton, Recueil, n"' 2579,


262i, etc.). C'est, avec les Xo;j.apr;vci, la tribu le plus souvent men-
tionnée dans les inscriptions.
La traduction de ce petit texte sera la suivante :

Obtidit Rabèl^ films AmrUi-,


qui {est) e Mattaboliis,
aram hanc -ro) ' Arni
deo.

(1) Beitnifje zur Assyriol., IV, p. 212 . Cf. Rép. d'épigr. sém., n"' 30, 131.

(2) La forme Mavôagw/.eîwv, qui se lit dans une autre inscription (Vogué, Journ. as.
1883, I, p. 243) rapppelle mieux l'étymologie du nom propre': SlS~3n'2, contrarté en
376 REVUE BIBLIQUE.

L'autel votif sur lequel est gravé la deuxième inscription a été


recueilli dans Benê-'Amaymir. Il est mutilé à la
le cimetière des

base la largeur de la corniche est de 0™,26 celle du centré de O'^jlS.


; ;

L'inscription commence par une ligne gravée sur la plate-bande de


la corniche il y avait ensuite une autre hgne sur le biseau qui relie
;

la corniche au tronc de l'autel; l'estampage n'a malheureusement


pas porté sur cette ligne on y reconnaît à peine une letlre ou deux.
;

Suivent trois lignes gravées sur le tronc. Il y avait probablement


encore deux autres lignes, emportées par la cassure, qui donnaient
la date.
Ce qui reste du texte semble pouvoir se lire ainsi :

nS "ilp "5- -1 . . . 3

UV2 Nnnn 5
in:r 1 6
[ 7

La formule par laqiielle débute ce texte est nouvelle et, juaqu'à


présent, unique à Palmyre.
L. 1. Devant les lettres s"w, qui sont absolument certaines, on croit
distinguer les restes d'un n. On obtient ainsi un substantif, dérivé
du verbe araméen n'jXD « raconter, narrer », analogue au syriaque
)[^o^L « récit ». — Les mots suivants n'Itd et Kyiat' sont des adjectifs se
rapportant au nom précédent, xyinur doit avoir ici, non pas le sens
strict « d'entendre », mais le sens plus large de « célébrer », faire
entendre les éloges ou les louanges.
Venaient ensuite le nom ou la désignation de la divinité à laquelle
l'autel avait été voué, et ceux des dédicants, au nombre de deux au
moins (1), comme l'indiquent les verbes au pluriel. Ces verbes sont
écrits ici nS "i"'p et "jij::;, c'est-à-dire « ils l'ont invoqué », et « il les

a exaucés ».

L'emploi de cette formule est fréquent dans les inscriptions votives


de Palmyre; la forme p::y, qui pouvait jadis paraître suspecte, est
maintenant établie par quatre ou cinq exemples, sans compter son

(1) 11 est rossible qu'il n'y eût qu'un seul nom exprimé, la dédicace pouvant être faite
par ( un tel et ses enfants ».
.

MÉLANGES. 377

synonyme y.i^TJ (1). L'intérêt de notre inscription réside dans les


compléments circonstanciels des verbes. Ordinairement, la formule
« il l'ainvoqué, il l'a exaucé » est employée d'une manière absolue.
au contraire, pour la première fois, nous trouvons une formule
Ici

plus développée. Les mots qui la composent ne sont pas faciles à


déchiffrer; une étude prolongée de l'estampage m'a conduit à la
lecture proposée plus haut. —
ap'j ne peut être autre chose que le
substantif signifiant « angoisse, tristesse, affliction », en syriaque \J^,

et, plus souvent, à l'état emphatique \k^. — Le premier mot de la


5* ligne est légèrement endommagé par une cassure je lis xm"!, ;

c'est-à-dire « espace, dilatation ». On obtient donc le sens suivant :

Fama hona et celehranda tw

.... ejus; quia invocaverunt eum


in angustia, et exaudivit eos
in lalitudine. Mense
f
anni ]

L'analogie de celte formule avec certaines expressions des Psaumes


ne peut manquer de frapper le lecteur.
Pour ma part, je ne doute pas qu'elle soit due à lintluence juive,
dont on a des traces certain-es à Palmyre. Sans doute, la tradition
qui fait de Zénobie une prosélyte ne mérite guère créance; elle
repose uniquement sur le fait qu'elle accorda sa puissante protection
à lévêque d'Antioche, Paul de Samosate, accusé lui-même de judaïser
et déposé par un concile. La phrase souvent citée de saint Athanase :

« Judaea erat et Pauli Samosateni patrona » (2), ne signifie, à mon senti-

ment, rien de plus. Au reste, Paul de. Samosate était un personnage


plus politique que religieux, et la politique commandait à Zénobie de
ne pas s'aliéner cet influent fonctionnaire 3\ Mais l'existence des Juifs
à Palmyre est attestée par les monuments. L'inscription Vogiié 65,
nous apprend qu'en avril 212 de notre ère, un grand tombeau a été
bâli par « Zebida et Samuel, fils de Lévi, fils de Jacob, fils de Samuel »
On a aussi trouvé des inscriptions hébraïques (i) qu'on peut

(1) Ce suffixe l^Z (du pronom '["ij\x) est la forme régulièrement usitée clans le Targoum
d'Onkelos.
(2) Hist. Arianor., cap. 71. L'ouvrage est postérieur de près d'un siècle à la chute de
Zénobie.
(3) Voir le résumé de la situation dans L. Dlchesne, Hist. ancienne de l'Église, t. I,
chap. xxn.
(4) Cf. Rép. d'épigr. sémit., u'^' 1279-1281.
378 REVUE BIBLIQUE.

reporter à Tépoque où la Aille était florissante. Et d'ailleurs serait-il


vraisemblable que les Juifs eussent été absents d'un centre de com-
merce aussi important que Palmyre? Le Talmud tourne en dérision
les et déforme malicieusement le nom de la ville
gens de Palmyre
(en écrivant au lieu de "^rzTr (1) mais les négociants Juifs ne
-•?2"^r, ) ;

devaient point éprouver de dédain pour les avantages commerciaux


de cette opulente cité. On peut croire que la communauté israélite
y était assez nombreuse. Il n'est pas étonnant que les usages juifs,
voire même la lecture des écrits judéo-araméens, rédigés dans un
dialecte très voisin du palmyrénien, aient fait sentir leur influence
parmi les habitants de Palmyre.
Nous ne savons pas à quelle divinité fut ofTert l'autel qui porte
notre texte, ni quels en furent les dédicants. Rien n'empêche de
croire qu'un Palmyrénien ait trouvé bon d'emprunter aux Juifs une
formule dont il appréciait l'élévation, et, peut-être plus encore, l'élé-
gance littéraire, reposant sur l'antithèse du parallélisme. Entre la
formule qu'on lit dans notre inscription et le v. 5 du ps. cxviii
(Vulg. cxvii) y a seulement une légère ditférence, et cette difîerence
il

s'évanouit pour ainsi dire dans la version syriaque qui saccorde


presque mot à mot avec notre texte ; elle porte : -n ^ ^;^û\ b^-^ pji,of ^
/^-ov3 [..po de tribulatione invocaii Dominwn et exaudïvit me in lati-
tudine Domimis. Au lieu de Pj.\o;, la version dite chaldaïque emploie
le même mot que notre inscription : m "nnp .xnp!; \:2 (2).

Une inscription grecque copiée en 1885 par M. Sterrett, et publiée


par lui ( 3 , offrait des difficultés d'interprétation qu'on était tenté
d'attribuer à l'inexactitude de la copie. L'excellent estampage rap-
porté par les Pères, enlève tout doute à ce sujet.
est gravée sur un tambour de colonne ayant fait
L'inscription
partie de lagrande colonnade, gisant à terre, à peu près à mi-chemin
entre le quadrivium et l'extrémité nord-ouest de cette colonnade.
L'autre côté du même tambour porte l'inscription n° 2591 de Wad-
dington, datée de nov. 158 de notre ère; elle se rapj^orte à l'érection
d'une statue. L'inscription nouvelle est ainsi libellée :

(1) Cf. Nelbauer, Géofjraphie du Talmud, p. 301.


(2) Lagaude, Hagiographa chaldaice. p. 69.
(3) The Wolfe Expédition to Asia Minor. (Papers of the American School of classical
Studies at Athens, t. III; Boston, 1883) n" 638. —
Cf. Ciermont-Ganneau, Rec. d'Arcli. or.,
t. V, p. 92.
MÉLANGES. 379

4)A AioreNHC

OYPANlOYGNTHeAYTOYAOnCTIA
THNnACANCTerHNMHTPGONH
THCAGTHCCTOACeKnAAeOON
XPONGON(î)0APICANCYNnANTI
KOCMCOeniCKCYACACKATeCTH
CGNMHNirOPniAIGOTOYOAX
GTOYC
Là date correspond au mois de septembre 328 de notre ère. Il pou-
vait sembler étrange que la ville, ruinée en 272 par Au rélien, fût à
cette époque la résidence d'un /.:Y'.77r,; ou ciimtor urbis. En réalité,
la destruction de Palmyre ne fut point aussi radicale qu'on s'est
plu à le répéter. Nous savons que Dioclétien y établit un camp; et les

chrétiens, qui certainement ne formaient pas la majorité de la popu-


lation, étaientcependant assez nombreux pour avoir à leur tète un
évêque. Parmi les signataires au concile de Nicée (325) figure Mari-

nus de Palmyre.
La plus grosse difficulté résidait et réside encore dans finterpré-
tation du dernier mot de la 3' ligne. M. Sterrett en avait fait un véri-
table rébus en écrivant ;r^Tpo)v/;. L'estampage montre qu'il faut lire
|jLr,Tpwv ri . Dès lors la phrase devient claire. FI. Diogènes, étant cura-
teur de la ville, a fait restaurer dans la colonnade l'entablement de
« huit travées ». du moins le sens que le contexte suggère pour
C'est
le mot y.r.Tpwv, qui est évidemment un génitif pluriel, employé ici
dans une acception technique particulière. Mais quel est le mot ainsi
décliné ^.r,-r,p? 'j.r-.^x'l [lé-.pzv, devenu ;j.r,Tp;v par iotacisme? Il appar-
:

tient aux hellénistes de résoudre ce petit problème.

IV

Dans la maison d'un nommé Ahmed Rahraan, attenante au mur


nord de la mosquée, sur une pierre encastrée dans un mur au fond
de la cour, les Pères ont découvert une inscription funéraire bilingue,
gravée dans un cartouche large de 0",415, dont la partie supérieure
est détruite. Du texte palmyrénien, qui occupait le haut de l'inscrip-
tion, il ne reste de bien lisible que la dernière ligne ainsi libellée :

370 T\:u jD'': -•T2 Au mois de Nisan de l'an 370.


Cette date correspond au mois d'avril de l'an 59 de notre ère.
L'inscription est une des plus anciennes de Palmyre. Le texte grec
comprend sept lignes en caractères assez petits et partiellement
effacés. Voici ce que j'ai pu tirer de l'estampage :
'

380 REVUE BIBLIQUE.

TOMNHMATOYTOKAITOCnHAAIOHO)
KOAOMHCEN TOYNOY
PBHAOYTOYAK MOY(t) C • • •

MArePHNGONGICTHNeAYTOYTei
MHNKA!0rHA0YT0YAAeA4)0YAY
TOYKAITGONYICONAYTOONeiCTON^
AIGONAMHNOCZANAIKOYeTOYCOT
Te [vrr,iJ.y. tsjt: v.x: -z 7--/^Aa'.c v) ù)v.zzi[j.r,7iv tsu N:'jpcr,/,:j -zX>

Ay,...[).ou ç;['jay;Jc MaYspr/^wv" sic -ç/ iauToy -.ev^:r,'f /.al 'Oyv.cj tcO
aoôAscj ajTv^ '/.ai twv uîojv ajTwv v.z -'zv aitova' [J.r^vbç Savot7.su e~C'jç ct .

A la 1. 1. la pierre porte jz-^Xaisr, II pour N). — Le nom du per-


sonnage qui a fait ériger le tombeau est illisible. Le nom propre
Ncup6r,AC!j(en palmyrénien S^-^i;) est précédé de l'article -z\j. Or,
l'usage, dans nos inscriptions, est de ne pas mettre l'article devant
le nom du père, mais seulement à partir du grand-père. Donc, non

seulement le nom de l'auteur a disparu, mais aussi celur de son père.


Impossible de rétablir le nom de l'arrière-grand-père qui com-
mençait par 'A-/.... et finissait (au génitif) en y.;j. — Ces gens
appartenaient à une tribu qui n'est pis connue par ailleurs, celle
des Ma7£pY;v;':. Le mot, de môme que Xs;j,apr,v^':, Za6oi5ojX',s'-, est la
transcription grecque d'un nom palmyrénien; mais ce nom ne s'est'
pas encore rencontré dans les inscriptions; on peut s'attendre à
trouver un jour ou l'autre une forme telle que taa ou ^'J12• L'arabe
jxj' « couleur rougeâtre » est propre à fournir un nom de personne,

anaIo2:ue à nos noms Lerour ou Rousseau.

En dehors des inscriptions nouvelles qu'ils ont recueillies, les


P. Jaussen et Savignac ont rapporté les estampages d'un grand
nombre de connus que par des copies laissant
textes qui n'étaient
souvent à désirer. Leur mission aura l'avantage non seulement
d'enrichir l'épigraphie palmyrénienne de textes inédits, mais aussi
de permettre de contrôler, et bien souvent d'améliorer, les lectures
proposées parleurs devanciers. En voici un exemple.
Parmi les estampages qu'ils nous ont adressés se trouve celui d'une
inscription bilingue, gravée sur le linteau de la porte d'un monu-
ment funéraire totalement ruiné. Cette tombe est située dans la région
sud-est de la ville; du groupe de ruines que les
elle fait partie
indigènes appellent aujourd'hui Qesour el-' Aynein. Le linteau mesure

actuellement 2°',30 de long. L'inscription comprend trois lignes :


MELANGES. 381

deux lignes de grec gravées sur la plaie-bande supérieure, et une


ligne de palmyrénien sur la plate-bande inférieure.
Le texte grec est passaldement mutilé. Nous proposons la lecture
suivante. Les lettres placées entre crochets sont emportées sur la
pierre.
'^

1. Mvr,;j.£Tjv -rasEcoviL? wv-^-^î-'-'l'îv >'-j3t[ij às'.s'^pwTEv -/.jal \.t7a;j.7C=

Ncyp]§r;Aou Toy Mo['/.z(]\).ou [tcJo 'Ov-rjXiu -cO 'Ay.-

2. 7.t[x[.A]ou sl[ç -ici;j.r,v] 3£jt[oj] te -/.a'. 'MxKycj uiloj a jtiJS y.[a\ ul'.wv

a[jTà)]v y.xi èy,7cvwv" ;r^v' Ax'.tu.) zvj £tc'jç.

Cette inscription grecque était totalement inconnue. Il n'en est pas

tout à fait de même de Finscription palmyrénienne. M. Ed. Sachau


en avait copié le début en 1879 et l'avait publié (1).
Le texte écrit, comme nous l'avons dit, sur une seule ligne, est à
lire ainsi d'après l'estampage :

iwS^ ip^S" r^y^b T2px *S';v ^i -^^pa in Snii: ii »i7acS n:2 n:-i xi^p

C'est-à-dire :

Sepulcnim hoc aedi/icavit Lisamsus, filius Nurbeli, filii Mocimi


fdii Ogili Akkimal; in honorem siium et in honorem Malichi, filii
sui, et pro filiis eoriim et pro nepotibus eorum in aeternum. Mense
Sivdn \anni C CGC LUH].
Il est probable que les derniers signes de la date se trouvaient

gravés au milieu du linleau sur une ligne inférieure. Le grec nous


la donne intégralement; elle correspond au mois de juin de l'an li3
de notre ère.
De ce texte palmyrénien, M. Sachau n'avait copié et publié que la
première partie celle qui comprend les noms propres; il s'était borné
:

à une transcription en lettres hébraïques, dans laquelle il avait écrit


Sm: au lieu de s^ii: et n:ST'>* au lieu de [S;2p]s 'S-ij". Depuis bien-
tôt quarante ans, on s'est évertué à chercher l'étymologie des deux
noms indûment mis en circulation par M. Sachau. Avec la garantie
de l'estampage, nous pouvons définitivement rayer ces deux npms du
lexique palmyrénien. Il faudra, par contre, y introduire le surnom
SîZpN*, qui se trouve ici pour la première fois, et ne reWent pas ail-

leurs. Le grec nous donne la vocalisation 'Ay./.i;j.[;lAir, mais le sens et


l'étymologie nous sont inconnus. Le mot paraît d'origine arabe plutôt

;l) Paltivjrenisc/ie lascliriften [Zeitschr. d. de'ilsch. mo'-genl. Ciesellschaft, t. XXXV,


p. 747;.
382 REVUE BIBLIQUE.

qu'araméenne. Il doit sans doute être rattaché à la racine J^s


a bourgeonner prendre de lembonpoint » de cette racine vient aussi
: ;

le nom d'un insecte, sorte de teigne. Or, chez les Sémites, et en parti-

culier chez les xVrabes, les noms des insectes ont souvent fourni des
noms propres de personnes. Cette dérivation, moins fréquente chez
les Grecs et les Latins, ne leur est cependant pas inconnue : comp.
les noms Tj/./.:ç, Pidex, etc.
.T.-B. Chabot.

III

ODEINAT ET VABALLAT

ROIS DE PALMVRE, ET LEUR TITRE ROMAIX DE CORRECTOR (1)

Au mois d'août de l'an 582 de l'ère des Séleucides, correspondant


à l'année 271 J.-C, deux hauts personnages palmyréniens, Septimius
Zabdà et Septimius Zabbaï, l'un, général en chef (2 ,, l'autre, général
commandant la garnison de Palmyre (3), érigèrent de concert deux
statues : l'une à leur souverain défunt, le roi Odeinat ; l'autre à leur

souveraine, encore vivante, la reine Zénobie, qui avait succédé à


son époux Odeinat et régnait alors au nom de son fils Yaballat. Les
deux statues faisaient la paire et devaient occuper la place d'honneur
dans la grande colonnade consacrée aux gloires de Palmyre.
A défaut des statues elles-mêmes, leurs dédicaces respectives,
dûment heureusement parvenues jusqu'à nous. Relevées
datées, sont
jadis par Waddington et par Vignes, elles ont été publiées par notre
regretté confrère M. de Vogué (4).
La dédicace de la statue de Zénobie est bilingue palmyrénienne :

et grecque. Elle nous a révélé la forme sémitique originale, assez

Ce mémoire a été communiqué eu partie à l'Académie des Inscriptions et Belles-


(1)
Lettres, séance du 14-5-20.
(2) "O u-iya; cTpaTv.cxTr,;, Xm nS^H IX
(3) 'G iv6àe£ (7Tpair,/.«ir,;, Ti:2~n i~\ ixSin ::^.

centrale, Inscriptions sémitiques, p. 28, n°= 28 et 29.


(4) Sij7-ie
CL Waddington, Inscr.

Syrie, n° 2611, pour la partie grecque de la dédicace à Zénobie.


MÉLANGES. 383

imprévue, du nom de la fameuse reine Bat-Zabbal Ce nom est : .

précédé du gentilice romain Septimia et accompagné des épithètes


de style Ky.\}-zz-.y-r, et t^j^iir,:, correspondant aux titres romains
: :

clarissima, pia, titres exactement traduits dans la partie araméenne


par les mots xmin: et xnp"", « l'illustre » et la pieuse ». Le premier c<

de ces titres, clarissima, revenait de droit à Zénobie, alors que son


mari, le futur roi Odeinat. n'était encore que consularis {Kx\j.-pô-y.-o:
•jT.a-w.zz, NDt-cE" N"i'~:) et, comme tel, clarissimus, étant de ce chef
classé dans l'ordre sénatorial de Rome même, ordre
auquel son frère
aine, Septimius Hairan, avait appartenu effectivement (Xav-pi-raT::
z-jr/.\r-v/.zz. nIm: xp-c-^pir) (1). ainsi que leur père Odeinat, premier

du nom 2). Quant à son second titre, pia, il paraît être emprunté
textuellement au protocole des impératrices romaines aux-
officiel

quelles la reine de Palmyre prétendait s'égaler. Les deux auteurs de


la dédicace l'y qualifient officiellement de reine, '^xGÙ.'.aGoi, Kn^'^^c, et
l'appellent « leur maîtresse » (tv/ Urr.zvrjM, p-m*2). Ils s'y octroient
à eux-mêmes le titre de Azy.-.'.z-.z'. =
egregii), et, cette fois, le mot
grec n'est pas traduit en palmyrénien, mais transcrit, lettre à lettre,
avec la plus rigoureuse précision. Je crois devoir insister sur ces
quelques détails parce qu'ils nous montrent jusqu'à quel point ce
texte est pénétré d'éléments gréco-romains, fait dont j'aurai à tirer
parti tout à l'heure.
La dédicace de la statue du roi Septimius Odeinat, faisant le pen-
dant de pas bilingue. Peut-être avait-elle sa contre-
celle-ci, n'est

partie grecque; en tout cas, si celle-ci a jamais existé, elle n'a pas
été retrouvée. Nous n'avons qu'un texte palmyrénien.
Ce texte reproduit littéralement — mutatis mutandis, bien entendu
— la teneur de la dédicace à Zénobie. Les dédicants y qualifient,
symétriquement, Odeinat de •-"z « leur maître » =r Tbv $=c77r6T-/;v) ;

seulement ils ne se bornent pas à lui donner le simple titre de « roi »,


ils l'appellent le « roi des rois » (k-ic "îS^.
Ce titre pompeux est visiblement emprunté au protocole royal
arsacide et sassanide. Odeinat dut s'en parer, comme d'une sorte de
trophée de guerre, à la suite de sa victoire sur Sapor (en l'an 362),
le deu.xième roi de la dynastie sassanide, victoire qui avait sauvé la

(1) Cf. la bilingue Wadd. n° 2602 =


Vog. n' 23 (datée de l'an 258 J.-C), ellautre bilingue
Wadd. n» 260O = Vog. n" 22 (251 J.-C). Un simple membre du sénat local de Palmyre,
un décurion, était appelé ^oJ-e-^Tr;; na)(j..,pv/6;, X^"1?2~r X"J:T712 (Wadd. 2604. Vog. 20).
•>; Bilingue, Vog. n" 21 = Wadd. 2621. Ici, a-,,v/."/.ïiT'.-/.6; est transcrit "pV^SpD, avec
l'assimilation du noun au qoph redoublé, et le palmyrénien omet l'épithète Nl^lj, équi-
valent ordinaire de '/i^T-'Afx-oz.
384 REVUE BIBLIQUE.

chose romaine fort compromise en Orient par la défaite tragique de


l'empereur Yalérien tombé entre les mains des Perses.
Il ne serait pas impossible qu'Odeinat ait été incité à arborer ce

titre iranien de « roi des rois » par certains partisans de la dynastie

des Arsacides, récemment déchue (en 227), protestant contre l'usur-


pation sassanide. Ce parti semble avoir eu des représentants à Pal-
myre même, et y avoir constitué un groupe de réfugiés politiques,
caressant peut-être quelque vague espoir de restauration. Ainsi
s'expliquerait l'existence de cette famille puissante à laquelle appar-
tenait Septimius Ouorodès, personnage occupant à Palmyre les plus
hautes situations, à en juger par nombre d'inscriptions bilingues de
cette ville (1). A ses divers titres, complaisamment énumérés (/.ca-

Ti(7Tcç, i~i-pCT.oç, osuy.r,vapicç, oiy.y.i.ooo-r,ç) . il joignait celui de ccp-yy-i-r,:

(xTonMix), qui est spécifiquement iranien. Le nom même de Ojopwov;;,


Oiiorôd a la même marque d'origine; il apparaît à plusieurs
reprises dans la lignée royale des Parthes arsacides, sous les formes
'Opo')cr,ç, Orodes des sources grecques et latines (2).

Il est, d'ailleurs, à noter que, malgré leur alliance éphémère avec


les Romains et leurs luttes contre les Perses, les Palmyréniens sem-
blent avoir toujours gardé avec ceux-ci certaines accointances plus
ou moins suspectes. Cela est assez conforme à la politique à double
face toujours chère aux Orientaux. Avant de se déclarer pour Rome,
Odeioat avait essayé^de lier partie avec le roi de Perse sans succès ;

du reste, et c'est pourquoi probablement, ses avances ayant été


rebutées, il passa du côté des Romains. Peut-être que son père lui-
même, Odeinat l'ancien, membre du Sénat romain, inclinait déjà
vers la Perse et que c'est pour cette raison qu'il fut mis à mort
par le commandant ou légat impérial Rufinus, l'accusant de méditer
une révolte. Plus tard, c'est vers les Perses que se tournera Zénobie

(1) Cf. Wadd. n°^ 2604, 2(j06, 2006 a, 2607, 2G08, 2609, 2610, et, pour les coulre-parties

palmyréniennes, les n"^ correspondants de Vogiié.


(2) C'est peut-être un de ces
Ouorodès palmyréniens qui est l'auteur de la grande
dédicace grecque, malheureusement très mutilée, copiée autrefois à Palmyre par M. Bertone.
La copie, publiée par M. Chabot {Journ. Asiat. 1898, ii, 96) a été étudiée par moi (Rec.
Arch. Or. m, 194-201). Elle est un « roi des rois » (padO^sT pacrOeor/) qui est peut-
faite à

être Odeinat, et, semble-t-il, à un autre personnage qui lui est associé, un Septimios
Herodianos (peut-être son fils, le Herodes des historiens?), par un dédicant dont le nom

me paraît devoir être restitué en Idulios Aurelios Septimios Ouorodès. Cette dédicace
caractéristique a pu être faite à l'occasion des campagnes victorieuses d'Odeinat, assisté

de son fils, contre le roi Sapor. Dans cet ordre d'idées, je serais tenté aujourd'hui de
restituer en [Trepl^ix^v le mot énigmatique du début de la deuxième ligne; l'expression
pourrait se rapporter, soit à l'expédition militaire, soit à la prise de possession du titre
iranien transféré au vainqueur palmyrénien. — Sur Palmyre et les Perses, cf. infra, p. 419.
MÉLANGES. 385

aux abois. Elle les appelle à son secours dans Palmyre assiégée.
Quand elle fuit vers l'Euphrate, c'est dans l'espoir de rejoindre leurs
contingents, dont l'intervention fut d'ailleurs infructueuse, ou tout
au moins de chercher un refuge en Perse. L'influence perse à
Palmyre se manifeste encore dans le costume, tant masculin [anaxy-
rides) que féminin, ainsi que dans le mode d'armement et l'organi-
sation militaire {cHbanarii [\), cataphractarii).

Immédiatement après ce titre, de « roi des rois » essentiellement


oriental, vient une expression dont la lecture matérielle est certaine,

mais dont le sens avait tout à fait échappé à M. de Vogiié. Il tradui-


sait ainsi le passage en question :

roi des rois, regretté de la patrie tout entière.

Ce qui a pu contribuer à l'induire en erreur, erreur bien excu-


sable si l'on a égard à la connaissance fort imparfaite qu'on avait

alors du palmyrénien, c'est le fait qu'il s'agit incontestablement ici


d'une statue p:)sthume. En effet, l'érection, comme je l'ai dit plus
haut, a eu lieu au mois d'août 271, c'est-à-dire environ quatre ans
après l'assassinat du
roi, tombé sous les coups de son propre cousin,

Maeonius. Il faut avouer, toutefois, que l'expression de ce deuil


national ainsi formulée rentrerait dans un ordre sentimental auquel
l'épigraphie ne nous a guère habitués.
Aussi, de divers côtés, proposa-t-on de rectifier l'interprétation de
M. de Vogué (2). On reconnut avec raison dans le mot en litige
N::pra, —
non pas un dérivé congénère du verbe, purement hébraïque,
p'-p, « prononcer un thrène », mais bien un dérivé d'une des formes

du verbe ^pn, qui existe aussi bien en araméen qu'en hébreu et v a


lesens fondamental de mettre, ou remettre en ordre, redresser ».
<(

Grammaticalement parlant, le mot, qui est k Yocsiiiser 7netaçqenand,


doit être considéré comme un substantif à l'état emphatique, tiré
régulièrement, moyennant l'addition de la désinence an, du participe
pael de ce verbe metaqqen : « celui qui met ou remet en ordre ».
:

On l'a généralement regardé comme un équivalent du mot grec /-J.'j-rz


« fondateur », titre qui appartient au protocole hellénique des Arsa-
cides et qui aurait été emprunté à celui-ci comme l'a été le titre de
« roi des rois ». C'est encore aujourd'hui l'opinion qui jjrévaut (3).

(1) Cf. mes Archa&olorjical Reseurche^, I, 366.


(2) Ewald, J. Derenbourg, Ntx'ldeke, Mordtmaan, etc.

(3) Par exemple dans les manuels de Cooke et de Lidzbarski.


REVLE BIBLIQUE 1920. —
T. XXIX. 25
386 REVUE BIBLIQUE.

A ce compte, Tensemble de Texpressioii serait à traduire, selon


c[u'on prend dans une acception large ou étroite le mot >{n"~'2 :

le fondateur, ou le restaurateur, de la cité, ou de la patrie, ou de l'État tout


entier (1).

Il y a une vingtaine d'années, jai été amené à traiter la question


de mon côté. Je l'ai fait en me plaçant à nn point de vue sensible-
ment différent de ceux que je viens de rappeler. Par suite de diverses
considérations, d'ordre à la fois philologique et historique, qui sont
exposées tout au long dans l'étude que je consacrai alors à ce petit
problème (2), j'arrivais à la conclusion suivante c'est que l'expres- :

sion en litige ne constituait pas un simple qualificatif, plus ou moins


protocolaire, de nature vague ou purement laudative, mais qu'elle
devait cacher un titre précis, technique, ayant un caractère de per-
manence répondant à quelque dignité, charge ou fonction parfai-
et
tement défmie. Ce titre me paraissait devoir être cherché dans la
nomenclature administrative romaine, parmi ceux qui pouvaient
faire rentrer Odeinat dans la catégorie des grands fonctionnaires
impériaux. Déjà, une autre inscription de Palmyre (3), biling-ue
celle-là, que j'ai citée sommairement plus haut (V), nous le montrait,
en avril 258, en possession du titre et de la charge de consularis :

autrement dit :

{virum) clarissimum consularem

L'expression est rendue fidèlement dans le texte palmyrénien, mi-


partie en traduction, mi-partie en transcription :

Comme l'a fort bien montré autrefois Waddington , le titre de con-


sularis impliquait, en Syrie, non seulement l'attribution des insig-nes
du consulat honorifique, mais les pleins pouvoirs de légat consulaire
de la province, en l'espèce la province de Syro-Phénicie.

(1) J. Derenbourg (Notes épigr., p. 98) : traduit : « restaurateur de tout son État ».

Cooke ; Text-book, p. 290 : « restorer of the whole city ».

(2) Ree. d'Arch. Orient., III, pp. 134 et suiv., 200, 349.
(3) Waddington, n" 2602 = Vogué, n« 2-3.

(4) Cf. supra, p. 383 note, 1.


MÉL.\.NGES. 387

En conférant à Odeinat cette haute magistrature, l'empereur Valé-


rien voulait sûrement, devant la nienace grandissante de l'invasion
perse, gagner définitivement à sa cause un auxiliaire précieux.
L'empereur Gallien, persévérant dans cette voie politique ouverte par
son infortuné père, alla même encore plus loin, au dire des auteurs
àeYHistoire Auguste. En récompense de ses brillants succès sur les
envahisseurs perses et des services signalés qu'il avait ainsi rendus à
la cause romaine, Odeinat fut fait, en 264, imperator, aj-oxpâ-rop,
de toutes les provinces orientales de l'empire :

Ohtinu't tôt lus Orientis imper ium '\].

Trebellius Pollion revient à plusieurs reprises sur la chose :

... qimm Odenatvs jara Orientis cepisset imperium (2)


... totiusprope igitur Orientis factus est imperator (3)

Il prétend même que Gallien aurait été jusqu'à associer Odeinat au


pouvoir suprême, en lui concédant le titre de Augusttis, ce qui aurait

mis celui-ci sur un pied d'égalité complète avec lui-même :

Odenalum, participato imperio, Augustum vocavit(4).

Ce dernier point a fait l'objet de nombreuses controverses que je


laisse de côté pour plus de brièveté. Si nous avons la certitude f]ne
son fils et successeur Vaballat a réellement porté le
titre de Auguslus,

la chose reste encore à prouver en ce qui concerne Odeinat (5). Ce que


nous pouvons, du moins, retenir de ces témoignages fournis par
l'épigraphie et par l'histoire, c'est qu'au point de vue de la hiérarchie
romaine, Odeinat n'en était pas à nn titre près, et que le roi de
Palmyre, tout en s'intitulant emphatiquement « roi des rois », à la
mode orientale, ne dédaignait pas de bénéficier des titres et dignités,
des avantages et privilèges, qu'il pouvait recueillir en acceptant de
prendre place dans ce cadre hiérarchique.
Telles sont, en résumé, les considérations qui m'avaient conduit
à me demander si, parmi tous ces autres titres romains, il n'y en

(1) Histoire Auguste, Trebellius Pollion, éd. Panckoucke, t. I, p. 322.


(2) Op. C, p. 306.
(3) Op. C, p. 308.
(4) Op. C, p. 326.
(5) Pour ce ([ui nous avons désormais, en double exemplaire, un docu-
est de Vaballat
ment deux bornes milliaires, découvertes entre Bosra et Amman (il"" et
décisif, ce sont
36"" mille) par le regretté P. Germer-Durand (Rép. d'épigr. sémit., n° 562). Elles con-
tiennent au grand complet la pompeuse titnlature de celui qui se posait en compétiteur
de l'empereur romain Im. Cœsari L. Iulio Aurelio Septimio Vaballatho Athenodoro,
.-

Persico maximo, .Arabico niaximo, Âdiabenico maximo, pio, felici, invicto Au.
.

388 REVUE BIBLIQUE.

aurait pas un pouvant répondre avec précision à notre expression


palmyrénienne énigmatique. Je constatais que celle-ci, traduite lit-
téralement, équivalait mot pour mot, à l'expression latine corrector
totius provinciœ.
Le verbe teqan, avec ses dérivées a, en exactement le sens de
effet,

coiTigere ; nous le trouvons, par exemple, employé en araméen pour


rendre les verbes grecs oicpôouv, izictcpecjv, 7.aT:p6ojv. et, en particu-

lier, EIlANOPBOrN, dans la traduction syriaque de divers docu-


ments grecs 1 ) (

Quand au mot forme contractée bien connue de medînetd,


jiiecUtta,

qui a passé ensuite au sens vague de -a-rp-'ç et, finalement, au sens

étroit de « ville, cité », je faisais remarquer que son sens primitif et


positif, indiqué d'ailleurs par l'étymologie même, était celui de

grand territoire, soumis à une même juridiction, à un même gou-


vernement, autrement dit ce que les Romains appelaient une
provincia. Le mot est employé à plusieurs reprises dans la Bible
pour désigner par exemple, une province, ou satrapie, telle que
celles de Babylonie, de Médie, de Judée, etc.
Il n'est pas jusqu'à l'expression medittn KOLAH : corrector de la
province tout entière, qui ne trouve son analogue dans la formule
latine corrector totius Italiœ, que nous voyons apparaître en Occident,
justement vers la même époque, en 268 (2).
Nous en percevons encore comme un écho dans les passages de
Trebellius Pollion que j'ai cités plus haut et où il est dit qu'Odeinat
avait obtenu Vimperium, ouavait été fait imperator totius Orientis,
ou totius prope Orientis. Dans deux autres passages, le même au-
teur(3j, sans donner explicitement à Odeinat le titre de corrector, lui
en attribue implicitement le rôle dans des termes assez frappants :

rem romanam prope in pristinum statum reddidiU

et ailleurs :

composito igiiur magna ex parte Orientis statu...

... ille plane cum uxore Zenobia non solum Orientera quem jam in pristinum
refovmavernt statum. sed omnes omnino totius orbis partes reformasset [4).

(1) Cf. le Thésaurus syriacus dePayne Smilh, s.v. '^yî^-

(2) Cf. l'inscriplion grecque de Rome mentionnant Pomponius Bassus comme l7iavop6w:f,;

7tà(7r,; 'lTa).iaç, SOUS les régnes de Gallien et Claude (cil n° 38.36; cf. C. JuHian, Les trans-
formations politiques de l Italie, p. 149).

(3) Op. c, p. 302, 380, p.

(4) L donne un aperçu de l'étendue des visées méga-


expression est curieuse, car elle
lomanes d'Odeinat, auxquelles sa mort tragique est venue couper court, et qui semblent
avoir été reprises dans le programme politique de Zénobie et de son fils Vaballat.
MÉLANGES. 389

11 ne faudrait pas croire, en se laissant influencer par l'acception

singulièrement rétrécie de notre mot correcteur que le titre de correc-


tor fût peu de chose et, partant, indigne de l'ambition d'Odeinat.
Point n'est besoin d'insister sur les attributions bien connues des
fonctionnaires appelés correctores; elles ont été, dans le temps,
étudiées en détail et discutées magistralement par mes savants con-
frères M.Gagnât (1) et M. Camille Julliani 2). Ces attributions, qui ont
varié selon les temps, les lieux et les circonstances, étaient considé-
rables; elles conféraient, à celui qui en était revêtu, des pouvoirs
extraordinaires (comportant ïimperium aile droit aux faisceaux pou- ,

voirs beaucoup plus étendus encore que ceux du légat impérial pro-
prement dit. Le « roi des rois» dePalmyre, qui avait passé, comme nous
l'avons vu, par le grade de û-ativiç, de légat consulaire, était donc
loin de déroger en acceptant celui de corrector; en réalité, il obtenait
ainsi de l'avancement et, l'on peut dire, un bel avancement; c'était
un pas de plus dans son cursus honorum, le rapprochant du but qu'il

avait secrètement en vue, — but qui ne devait être pleinement


atteint, d'une façon bien éphémère, du reste, que par son fils et suc-
cesseur, YAugustus Vaballat : à savoir la puissance suprême en Orient,
Tadmor balançant Rome en Occident.
Je terminais cet exposé de ma thèse, reproduit ici en substance, par
les lignes suivantes que, pour les besoins de la cause, je demande
la permission de citer textuellement :

« Il n'est pas impossible, disais-je, qu'on découvre un jour à Pal-


myre une inscription grecque relative à Odeinat... Si mes conclusions
sont justes, on peut s'attendre à y voir le roi de Palmyre, " le roi des
rois ). Odeinat, y porter le titre de c-.ofOwtY^c, ou EnANOP0QTHv
^tjç

r.y.zr^z —
ï-y.z'/v.xz » traduction régulière de corrector totius provinciœ.

III

Ces prévisions, qu'on pouvait taxer alors de témérité, et qui avaient


en ou indifïérents, de bons juges en la matière,
effet laissé sceptiques,

telsque M. Cooke, M. Lidzbarski et autres orientalistes de marque,


viennent de se réaliser, non pas dans leur entier, sans doute, mais
du moins en partie, et cela pour un point essentiel de ma thèse,
grâce à l'apparition d'un document épigraphique dont la primeur

(1) Dicl. des Antiq. de Saglio, s. v. corrector. Cf. E. de Ruggiero, Di:^. epigr., pp. 1242
et suiv.

(2) Voir, outre son ouvrage cité plus haut (pp. 147, 166), sou article de la Reo. hislor. 1882,
pp. 339-340.
390 REVUE BIBLIQUE.

revient de droit à notre Compag-nie', car c'est le fruit, récolté avec


beaucoup d'autres, d'une mission épigraphique exécutée à Palmyre
sous ses auspices et à laide de ses subsides.
On se rappelle, qu'en 1914, sur les instances de la Commission du
Corpus Imcriptionum semiticarum qui allait aborder la publication
des inscriptions palmyréniennes, nous avions décidé de confier cette
mission aux Pères Dominicains Jaussen et Savignac, qui avaient déjcà
fait leurs preuves de la façon la plus brillante dans nombre d'explo-

rations archéologiques en Syrie et en Arabie.


Dans notre séance du 18 juillet de lan dernier, les savants mission-
naires sont venus nous rendre compte très succinctement des excel-
lents résultats de leur mission, en déposant les matériaux recueillis
par eux, matériaux mis à la disposition de mon savant confrère,
M. l'abbé Chabot, à l'infatigable acti\ité de qui est dévolue la tâche
de publier la section palmyrénienne du Corpus.
Parmi les inscriptions dont ils nous apportaient, soit des estam-
pages, soit des photographies, ils en signalaient une sur la valeur
de laquelle ils insistaient avec raison, car elle nous révèle le nom,
jusqu'ici inconnu, du père de la reine Zénobie; nous savons mainte-
nant qu'il s'appelait Antiochiis.
Mais cette inscription présente encore, comme je vais essayer de
le montrer, un intérêt d'un autre genre qui ne le cède pas à celui-ci;
elle va,en efïet, nous ramener directement à la question que j'avais
essayé autrefois de résoudre dans la direction et dans les conditions
exposées plus haut.
Cette inscription est gravée sur
lune de ces nombreuses bornes
niilliaires qui
jalonnent encore les grandes voies antiques, à l'inter-
section desquelles s'élevait Palmyre, lieu de transit et entrepôt
principal du commerce de l'Orient passant par la Mésopotamie. A
vrai dire, elle était déjà connue, mais très partiellement. \Yaddington
avait copié, et a publié, sous le n" 2628, trois lignes d'une inscription
g-recque qui y est graA'ée au-dessous d'autres caractères très mutilés,
grecs et latins, plus ou moins entremêlés. 11 y avait déchiffré le début
d'une dédicace en l'honneur de Zénobie; malheureusement il n'avait
avec lui, comme il le dit, aucun moyen de dégager le bas de la
borne et de l'inscription enfouie sous terre. Entre temps,
le reste
en 1895, revu par l'explorateur autrichien Musil, qui
le milliaire fut
réussit à copier une ligne de plus, du texte grec; mais il ne put aller
au delà (1), bien qu'il ait dû apercevoir au moins quelques traces de

(l)Voir le fac-similé de la copie de Musil, avec le commentaire de Kalinka Ja/ireshefle


MÉLANGES. 301

l'inscription palmyrénienne, qu'il déclare « voUig unleserliche ».


C'est aux PP. Jausscn et Savignac, qu'était réservé l'honneur de
dégager entièrement le monument ;
l'honneur, et aussi la bonne for-
tune, car leur récompensé par une véritable découverte,
eli'ort fut
celle d'une belle inscription palmyrénienne de sept lignes, gravée
au-dessous de l'inscription grecque.
Ils prirent de l'ensemble du texte, ou plutôt des trois textes, car

en réalité le milliaire est trilingue, un estampage aussi poussé que


le permettait l'état fâcheux de dégradation dans lequel est la

pierre (1).

IV

Dans la note descriptive qu'il a remise à la Commission du Corpus


le P. Savignac a établi un premier état de déchiffrement, générale-
ment satisfaisant dans son ensemble, à part certains endroits où sa
sagacité semble avoir été quelque peu mise en défaut. Je prendrai cet
essai de lecture comme base de transcription, après y avoir intro-
duit toutefois quelques amendements, compléments et suppléments

que me parait suggérer l'examen attentif de l'estampage (2); j'en


rendrai compte au cours du commentaire.

DN
AYr<. VAL DIOCLE
V COI PA
XIII
A ....... .

THPIACCenTIMIACZHNO
BIACTHCAAMnPOTATHC
BACIAICCHCMHTPOCTOY
B ACIAGCOC ex .... Y ... .

des oesterreich. archaeol. Institut in Wien, 1900; Baad III, Beiblalt, col. 24-25, a° 10)
J'aurai à en reparler plus au long tout à l'heure, ainsi que de deux autres fragments du
même groupe de milliaires, relevés également par Musil (n"' 11 et 12).

Je rappellerai <[ue notre milliaire avait été revu, peu auparavant, parPost [Palest. Expl.
Fund, Stat. 1892, p. 322), qui se borne à le décrire. Il a échappé à l'attention de Slerrett,
qui a relevé, â l'ouest de Palmyre plusieurs autres inscriptions de milliaires plus anciennes
que la nôtre Wolfe Expcd., p. 446, n°^ 648, 649, 650, 651), et, dans la direction opposée
route vers l'Euphrate), d'autres encore [id. n"» 632-636) ; cf. monRec. d'Arch. Or., iv, 69,

(112).
(i) D'après leurs relevés, la borne, en forme de colonne arrondie au sommet, mesure, à

sa partie supérieure, un diamètre approximatif de O^sSS et un pourtour de l'",10; à 0"',6a


plus bas, le pourtour est de 1=^,35. Elle a été dégagée sur une hauteur de l^.SO.
(2) Voiries gravures photographiques figure 1, p. 392, et fig. 2, p. 393.
392 REVUE BIBLIQUE.

^^^

II 1 s
I

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\

MELANGES.
393

v.;-> '

î'^-:? -: v.^

v^l

-:-^.;,,;4 ,
394 REVUE BIBLIQUE.

D-iV2i-c£D [n. . . . -T? m^]n S:? i

-'"'"2
N-S'2 N(Tn: DjmzDN nSz.T 2

Syi N^Sa -pc rir'ÎN 2i['''2^]t:£D i

Nrn%-i; i27"n2 n-î^vcec " mn 5


(uacfl?) njSq -jSî2 !- n!2N Nn^S^ 6

A. — Inscription latine. — Tout en haut, quatre lignes très frustes,


caractères mal gravés. On y discerne pourtant encore (1. 1) les sigles
D[omino) N{ostro), et (I. 2) les éléments essentiels des noms de l'em-
pereur Dioctétien — Aur{eliiis) Val[erius) Diocle[tianiis]\ ceux-ci sont
suivis 1. 3) des mots mutilés : Co[l]{onia) PdAmijrd A . la 1. 4, isolé
au centre, le chittreXIII. marquant la distance de Palmyre.
h'alpha qu'on distingue encore au milieu de la 1. 5, totalement
détruite sauf cette unique lettre, appartient vraisemblablement au
texte grec apparaissant au-dessous.
B. — Inscription grecque. — Immédiatement au-dessous, cinq lignes
faisant partie d'une inscription grecque dont on a plus tard effacé le
début, plus ou moins adroitement, pour faire place à l'inscription de
Dioclétien. La perte peut être évaluée à 5 ou 6 lignes. La partie qui
subsiste a quelque peu souffert, mais elle est, somme toute, suffi-
samment lisible, sauf les derniers mots. Il se pourrait que l'ins-

cription grecque elle-même ait été gravée par-dessus un texte, peut-


être latin, plus ancien et incomplètement ravalé; on croit, en effet,

saisirencore çà et là sur l'estampage quelques très légères traces


de caractères, d'un modèle un peu plus petit, interférant avec
ceux du grec. Je ne serais pas étonné que la borne ait reçu succes-
sivement trois inscriptions différentes d), les deux dernières à
l'époque de Zénobie, puis de Dioclétien, la première peut-être bien à
l'époque de Septime Sévère et de Caracalla, sous le règne desquels
on a procédé aux travaux et au bornage de la route allant dans la
direction de Hamath^piphanie, ainsi que l'attestent plusieurs mil-
liaires inscrits à leurs noms, relevés sur cette branche du réseau
routier de Palmyre (2). Quoi qu'il en soit, voici ce qu'on peut lire
dans ce qui reste de l'inscription grecque :

'1) Ces superpositions d'inscriptions officielles sur les milliaires n'est pas chose rare à
la fin de l'Empire; cf. à ce sujet Gagnât, Cours d'épigr. lat., p. 176.

(2, Sterett, op. c, n°' 648-651. Cf. Musil-Kalinka, op. c, n° 9. Les dates nous reportent
à la période 198-212 J.-C.
MÉLANGES. 395

[vS'. ij-ïp G(ji]-

6''aç, -zfiq Ky/^j-pc-x-riÇ

3 otJiXÉcoç???????????...

Tout le début qui manque pourra être restitué à l'aide du palmy-


rénien heureusement conservé. Il y avait proljablement quelque
chose comme :

'Yr.ïp ziji-r,pix: I:j/.''cj Ajpr,Ab'j — S7:ti;j.cc'j Oja6aA/,7.0;u


'A6rjV;o(ôpcy. tcj Aa;x7:pcTâ-:o'j (ia-iAEwr ;
.jaj'.Xswv?) 7.3:\ (1)
Après le titre royal venait peut-être un autre titre que le palmyré-
nien va nous révéler et dont je réserve pour le moment la restitution.
La dernière ligne, fort maltraitée, est d'une lecture difficile. Elle
déJDute par le mot très clair : Ce mot présente toutefois une
jiasiAfwç.

particularité curieuse; le B, oublié peut-être tout d'abord par le


lapicide, a été gravé hors de l'alignement vertical, en marge. C'est
ce qui explique l'aspect de la copie prise par Musil et discutée par
Kalinka, copie qui omet ce B initial. Kalinka restituait la lettre de

toutes pièces nous voyons aujourd'hui qu'elle existe réellement sur


;

la pierre et qu'il suffit de la faire rentrer dans le rang. Cette copie,


dont il n'est pas inutile de donner ici la reproduction, ayant été exé-
cutée sur le vu même de la pierre, devrait, semble-t-il, nous aider à
déchiffrer sur l'estampage, malheureusement très obscur en cet
endroit, les lettres qui suivent le mot ^xtiaéw^ à la dernière ligne.
Kalinka lit ainsi :

rVirsp vEiV/iç xai (70)-]


THPiÂCCeïïTI M(A(Z HF/0 "
.,p;«, Vs..tu(a, z.vo-

B lACTHCAAMnPOTATH ( péaç -t?iç X«a7rpoTaTr,;

eaatX(;:^r.ç ar.z^oç [xou


BA(lAI((HCMHT?OClff#

'A67;v[oôcôpou.

On est quelque peu surpris, si l'on admet cette lecture, de l'absence


du nom national de O'j-AxKAy.h::. Faut-il croire qu'il aurait été

(1) En tout cas, il faut sûrement écarter la restitution proposée par Kalinka pour le
début, ne fut-ce qu'à cause de l'ordre insolite dans lequel elle présente les deux mots
vsixY); jca'i cwTTipi'a; (au lieu de -Twxïjpia; y.at vjîxr,;). C'est probablement pour cette même

raison que Ditteaberger (OGI, n" 649), tout en reproduisant sans observation, et par
conséquent en adoptant la lecture de Kalinka pour le reste du texte (y compris celle de la
dernière ligne cependant si sujette à caution], en a du moins éliminé tacitement les mots
nous avons désormais
vcfxïî; xxî. D'ailleurs, la certitude que la lacune initiale comportait
une partie beaucoup plus étendue.
396 REVUE BIBLIQUE.

gravé à la suite, dans une autre Jigne, disparue sans laisser de


traces, après son équivalent hellénique 'AOr^vioo)?:?? Mais alors il iie

serait pas à sa place protocolaire. Normalement il ne doit pas suivre


celui-ci, mais le précéder, en vertu de la règle constante qui, comme
nous le verrons, est observée dans la partie palmyrénienne elle-
même. A prioi'i, on serait tenté de le chercher immédiatement après
fiafffAswç. et de lire : OYABAAAA0OY, précédé, comme d'habitude
du gentilice I!£-Tf.[;.(oj, plus ou moins abrégé. Mais cette lecture serait
en désaccord avec la donnée formelle de la copie Musil. Seulement
celle-ci est-elle exacte et n'aurait- elle pas été influencée par quelque
idée préconçue du copiste? Elle m'inspire les plus grands doutes.
Elle est en tout cas, ce qui est plus grave, inconciliable avec les
vestiges de lettres qu'on croit discerner çà et là sur l'estampage,
très défectueux en cet endroit. Je dois avouer, d'ailleurs, que celui-ci
n'est guère plus favorable à la restitution OjaSaXXâOoj.
Il remarquer que, dans le passage correspondant, la contre-
est à
partie palmyrénienne dit simplement « mère du roi des rois », :

sans répéter à nouveau le nom du roi qui a été suffisamment men-


tionné, avec tous ses titres et qualités, au début de l'inscription. On
pourrait se demander en conséquence s'il n'en aurait pas été de
même dans le grec, et si, là aussi, il n'y avait pas l'expression : '^.r-.po:

Tcj ,3a7'."AÉco;, au plus, soit de iâajtÀswv, soit simplement de


suivie tout
quelque autre titre complémentaire, tel que xj-cv.py-zpz:, zza-zb-oo,
voire quelque épithète de style, telle que sjtj'/sjç, xr—r^'xcD,

7.v'.v:r-,o'j etc. 3Iais il est bien difficile, je le reconnais, de concilier

cette façon de voir avec les apparences de l'estampage et celles de


la copie Musil, apparences qu'il est, d'ailleurs, non moins difficile de
concilier entre elles. Peut-être faut-il considérer, au contraire, la
phrase principale comme s'arrètant net à ^acriXÉojç. « mère du roi »,
expression complète en elle-même; viendrait alors un nouveau
membre de phrase nous faisant entrer dans un autre ordre d'idées.
En s'appuyant sur les indications du palmyrénien, qui va nous
donner sous cette forme le nom du père de la reine, on pourrait
penser à restituer le tout :

\rr-.pzz Tîj j3a7'.AÉa)ç, (OuY^Tcbç) ['Av-riô'/cuj.

Mais, là encore, l'estampage ne se prête guère à cette lecture.


Même en admettant l'interférence d'éléments graphiques sous-jacents
appartenant à quelque inscription latine antérieure, il paraît im-
possible d'en dégager les cinq lettres H-j-;%-fzz. J'incline à croire,
malgré tout, que le mot de l'énigme est à chercher dans cette direc-
MÉLANGES. 397

tion, palmyrénien lui-même


indiquée par filiation de Zénobie.
le :

Peut-être pourrons-nous y arriver par une voie détournée dont


je parlerai plus loin quand j'aurai à faire intervenir dans le
,

problème certains autres éléments dont l'examen serait prématuré


en ce moment parce qu'ils soulèvent une autre question qui vient
encore compliquer celle-ci.

G. — Inscription palmyrénienne — Immédiatement . au-dessous de


l'inscription grecque, vient l'inscription palmyrénienne, qui compte
sept lignes. Elle a, elle aussi, gravement souffert par endroits; mais
heureusement, à part les lacunes et les mutilations qui n'intéressent
que les parties centrales du texte, elle forme un ensemble complet.
Voici comment je la lis (voir la transcription, p. 39+; cf. fig. 2,

p. 393 :

• Pour la vie de Septimios Ouahballat Atiiénodôros, (le clarissime), roi des


rois, et corrector de toute la province (?), fils de Septimios Odeinat, roi des rois ; et

pour la vie de Septimla Bat-Zabbaï, la clarissime, la reine, la mère du roi des rois,

fille d'Anliôchos. — M ille) XIV.

— L. 1. par moment on croîtrait pouvoir lire


p- ,ni]n Sy;

\-ivn palmyrénien emploie l'une ou l'autre orthographe pour le


;
le

suffixe dans ce mot. « Pour la vie de », équivalent ordinaire de la


formule j^àp (yM-r,p[x:. La tournure pléonastique « pour sa vie de » :

devait être employée ici, comme elle l'est plus bas (11. ï-5, et l. 6).
J'ai démontré autrefois que ce mode de construction, fréquent en

syriaque, existait aussi en palmyrénien (1). En voilà donc de nouveaux


exemples.
A partir de là, jusqu'au mot certain, dii^v^2î:c, qui termine la ligne,
s'étend une lacune qui devait contenir de sept à huit lettres on n'en ;

discerne plus eà que quelques vestiges informes. La restitution


et là

ne « notre maître » est trop courte pour la remplir. .J'avais pensé


tout d'abord à y loger les autres prénoms et gentilices de Vaballat
[Julius Âurelius), transcrits plus ou moins j^lene ou defective :
(dIiISii et (diiS)"!"!?* (2). M. Chabot propose de restituer [^- nm3i(^T), :

« et (pour) la victoire de », restitution très plausible qui a l'avantage


de tenir compte des deux lettres(ti) dont on croit discerner encore

les restes; elle entraînerait naturellement, dans la partie grecque,


celle de la formule consacrée : j-èp aw-Yjpuç -/.y). vzi-Ar,: (3).

(1) Rec. d'Arch. Or.. I, .300; II, 177. Cf. deux autres exemples dans l'inscription de
Tomi [RES, n° 3607).
(2) Nous avons en palmyrénien des abréviations de ce genre, à la mode romaine et grecque ;

cf. surtout : "llN* Si"', loOX. k'jç{-(\l:o',] dans


IIP (bilingue) d'Oxford (Vogiié, op. c, p. 74).
la

(3) Celte fois, avec les deux termes dans leur ordre normal. Nous avons vu [supia.
p. 6, n. 5.) combien Vaballat tenait à faire figure de vainqueur, s'adjugeanf, à l'instar des
398 REVUE BIBLIQUE.
«

— Le i est en partie visible.


L. 2. D(i)iT:nN'.
n(ii-:). Les quatre premiers caractères ont beaucoup souffert, mais
il semble bien que c'est ainsi qu'ils doivent être restitués. Il est
remarquable que Vaballat, tout en se déclarant « roi des rois », ne
renonce pas à ce titre, ou plutôt à ce grade de \oi[j.r.ç,z-7.-z:;^ claris-
simiis, qui le rattachait encore au cadre hiérarchique romain '1).

C'est un indice de plus que son milliaire doit être antérieur à la


révolte palmyrénienne de Tan 271, antérieur par conséquent à la
dédicace de la statue posthume élevée en cette même année, à son
père, le roi des rois Odeinat; dans celle-ci, en effet, le protocole royal
est expurgé de ce titre qui sentait trop l'inféodation, et dont pourtant
Odeinat ne faisait pas fi jadis, alors qu'il n'était qu'un simple consu-
laris [2).
— L. 3. N'cniîx*. Bien que les caractères soient assez endommagés
pour avoir donné le change au P. Savignac (3), ma lecture, vérifiée
sur l'estampage, peut être tenue pour tout à fait certaine. C'est la
transcription rigoureuscunent exacte, lettre à lettre, de iTcavopOwtr,;,
corrector. Je reviendrai tout à l'heure sur ce mot, qui présente ici un
intérêt capital. Il est suivi de la particule t-, très claire, puis, de cinq
lettres très mutiléesoù je crois pouvoir reconnaître le mot nmi-^ (4),
en m'appuyant, comme on le verra, sur l'expression correspondante
de la dédicace de la statue d'Odeinat.
— L. i. Remarquer qu'Odeinat (ainsi d'ailleurs que son fils Vabal-
lat) ne porte ici que le seul gentilice de Septimius, comme dans la

dédicace de sa statue. Bien que fort maltraités, les mots qui suivent
sont à restituer sans conteste : (-jS"2 n:nx).
— L. 5. — Lire : i- -in; la 3"^ lettre est sûrement un n, et non pas

empereurs romains qu'il singeait, les titres grandiloquents de Persicus, Arabicus et


Adiabenicus maximus.
(1) On notera qu'il en est de même dans les deux papyrus
que je ci<e plus loin
[infra. p. 405, n. 2). où Vaballat est encore qualifié de ô /.auTtpoTaTo; fla(7'.>£-jç.
(2) Voir la bilingue,
Wadd.. 2602 = Vogué, 23.
(3) Il lisait : N.mjlX, et se demandait si ce ne serait pas une transcription du latin
lionoratus.
(4) Ou peut-être, vu l'étendue
assez grande de l'interralle disponible xni'iTZ, la :

forme non contractée qui apparaît dans d'autres inscriptions palmvréniennes ? Le mot
X'il'^în, è7:ap-/;a. auquel on aurait pu penser aussi, répond moins bien aux vestiges de
lettres qu'on croit saisir cà et là.
On sait que les deux formes, Nn3''~'Q, et sa contraction ND'i'îa, apparaissent concur-
remment—peut-être avec quelque différence de nuance —
dans l'épigraphie palmyrénienne;
cf. Vogiié, n°^ 1, 15, 16, 124; Gratid Tarifa passim. Les bilingues nous montrent que le

mot équivaut au grec vôIk, a entendre, non pas au sens étroit de « ville », mais bien,
tout comme le latin civifas, au sens large, de « état, pays », sens d'un emploi fréquent,
par exemple dans l'expression : r. ccôv 'PojpLaîwv 7:6)1:, « l'empire romain ».
MELANGES. 399

un X. Même construction pléonastique du génitif qu'à la 1. 1 pour


: «

sa vie (à elle) de ». Le protocole royal de Zénobie est le même que


celui qui figure dans de sa statue érigée en 271.
la dédicace bilingue
Il en diffère toutefois sur un point qui n est pas à négliger ici, :

la reine est seulement nfiim:; l'épithète (xlnp-T fait défaut. Zénobie


était donc à ce moment —
et elle le restera plus tard simplement —
clarissima, \y.'^-pz-i-T^ elle n'avait pas encore osé ajouter à ce titre
;

relativement banal, celui de pia, e-jazè-qq grâce auquel elle allait,


en 271, faire figure d'impératrice romaine.
— — Ll. littéralement,
6. 1- sa mère du roi des
n?2N, « rois »;
même tournure du génitif pléonastique qu'aux lignes 1 et i-5.
— — Le mot nz, au début de ligne, précédé, à la
L. 7. la est fin
de la 1. 6, d'un blanc où, semble-t-il, il n'y a jamais rien eu de gravé
et qui, en tout cas, serait tout à fait insuffisant pour avoir pu con-
tenir le nom même de Vaballat. On s'est donc borné à le désigner par
son titre caractéristique de « roi des rois », dont la majesté rejaillis-
sait snr sa mère Zénobie.
L'inscription se termine par la lettre v, surmontée d'une barre,
— abréviation du mot (Si)^2, [j.Ck'.ov. Cette sigle est suivie de cinq
chiffres parfaitement conservés, formant le nombre XIV et indiquant
la distancede Palmyre en milles romains. Or, l'inscription latine au
nom les chiffres XIII, non moins bien conservés.
de Dioctétien porte
Le P. Savignac explique ingénieusement ce désaccord en supposant
que le point de départ de la route avait pu changer (1) entre l'époque
de Zénobie et celle de Dioctétien, après la ruine de Palmyre; il aurait
pu passer, par exemple, des environs du grand temple du Soleil
(dans l'est de la ville) à l'extrémitéopposée, dans les parages du
monument dit de Dioclélien. A ce compte, il aurait été reporté d'un
bon mille romain dans l'ouest-nord-ouest, raccourcissant d'autant le
tracé de l'itinéraire auquel appartient ce milliaire XIV, devenu XIII.

Maintenant que nous avons une idée générale de l'ensemble de


l'inscription, je re\dens sur le passage, jusque-là énigmatique, de la
1. 3, que j'ai laisséen suspens dans le commentaire, après en avoir
établi la vraie lecture sur l'estampage et escompté la traduction :

(1) Une question analogue se pose pour le point d'où partait la voie romaine se dirigeant
de Jérusalem (Aelia Capitolina) vers Naplouse (Neapolisj; cf. Rec. d'Arch. Orient. I, 282.
4C0 RE^'UE BIBLIQUE.

nS^ (1) Nrinn n Nt:ni;£Ni


et l'epanorthôtès de la province tout entière

Le voilà donc, notre titre de corrector, apparaissant dans le proto-

cole royal de Palmyre, cette fois sous la forme que j'avais prévue, de
l-jravcpOw-fjç. Le mot grec est transcrit en palmyrénien', lettre à lettre,

avec la plus scrupuleuse fidélité. Il est plus que probable qu'il


figurait sous sa forme originale dans la partie du texte grec au-
jourd'hui détruite — [-/.ai l-avcpôwtcj rA'::r^z à-apy^eîaç].

Sans doute, le titre est porté ici, non par Odeinat, mais par son fils

Vaballat; celui-ci l'avait, selon toute vraisemblance, hérité de son


père, comme le titre de roi des rois (2). Ce qui achève de le démon-
trer, c'est l'identité des deu.v formules; elle saute aux yeux, si on
superpose celle d'Odeinat (A) à celle de Vaballat (B) :

nSs Nni-'Z • N"i2r"^:£N i x:S'2 "Sa B

Il en résulte mathématiquement l'égalité ;

N;:pn?2 = n'ûjTIZîn = corrector.


Cette égalité entraine, par voie de conséquence, l'interprétation
probable des mots complémentaires ri^z Nn*7'2 i-, par totius pro-
vinciœ.
J'ajouterai que l'intervention du • conjonctif, placé de la même
façon dans les deux cas, implique pour le mot K-ipnD le même rôle
grammatical que celui de N-::n-i:ï:x; c'est un véritable substantif à
l'état emphatique, désignant une fonction effective. « le correcteur »,
et non pas une simple épithète congratulatoire.
Mais pourquoi, peut-on se demander, avons-nous, dans le premier
cas, la traduction, d'ailleurs fort exacte, dans le second cas, la trans-

cription même du titre de epanorthotès, équivalent du titre


officiel

de corrector? La chose peut s'expliquer, je crois, parla différence de


date qui existe, selon moi, entre les deux inscriptions.
La borne milliaire a dû être élevée à un moment où Vaballat et sa

(1) Avec la réserve indiquée plus haut (p. 398, n. 4) sur l'orlhographe du mot.

(2) Si tant est que ce dernier titre n'ait pas été attribué rétroactivement à feu Odeinat
fils l'apparence d'un précédent
par ordre de Zénobie, désireuse de donner à celai de son

héréditaire en accentuant le caractère de légitimité.


Il semble, d'ailleurs, que Vaballat n'ait rien voulu laisser perdre, sous le rapport
protocolaire, de la succession paternelle. Il en a même retenu, sur certaines de ses mon-
naies le litre moins reluisant de consularis (jTraT-./.ô;). Ici même, tout roi des rois qu'il
est, il garde encore le qualilicatif de clarissimus, si c'est bien Nl^HJ qu'il faut lire à la

1. 2.
MELANGES. 401

mère Zénobie, qui venaient de succéder à leur père et époux, mort


aux environs de Tannée 266-267, n'étaient pas encore sortis ouver-
tement de leur attitude de loyalisme vis-à-vis de Rome.
Au contraire, la dédicace de la statue posthume élevée à Odeinat,
exactement datée du mois d'août 271, nous reporte juste au moment
critique où la reine de Palmyre et son fils allaient secouer le joug et
lever l'étendard de la révolte. Peut-être a-t-on voulu là atténuer le
caractère tropmarqué de dépendance que pouvait présenter la trans
cription littéraledu titre gréco-romain. On ne l'a pas, toutefois,
entièrement rejeté, car il contenait encore comme une parcelle d'au-
torité; pas plus qu'on n'a rejeté, d'ailleurs, l'épithète de N'::cr!-ip,

y.pxTisTciappliquée aux deux généraux, auteurs de la dédicace, Zabdâ


et Zabbaï, lesquels ont peut-être fortement poussé au conflit. En tout
cas, ce sont précisément eux qui allaient prendre la direction des opé-
rations militaires contre les Romains, surtout Zabdâ, qui a joué un
rôle historique depremier plan, en attachant son nom à la conquête
de l'Egypte et aussi, malheureusement pour lui, à la défaite finale
d'Emèse où succomba pour toujours la fortune de Palmyre.
Zénobie elle-même, la véritable instigatrice du soulèvement pal-
myrénien, ne se fait pas scrupule, dans la dédicace de sa statue, de
garder ses titres protocolaires gréco-romains Xay.-poTxr/;, sjjsoYi;. :

Pour ce qui est du titre de corrector, donné à son époux, on s'est


contenté de le laver de la tache originelle, en le déshellénisant, si je
peux dire, et en lui substituant une traduction, qui, tout en étant du
reste parfaitement adéquate, présentait peut-être l'avantage de prêter
à une certaine ambiguïté favorable à des prétentions encore dis-
simulées qui étaient sur le point de se manifester au grand jour.
Dans ces variations protocolaires mêmes, si légères qu'elles soient,
ainsique dans quelques autres indices du même ordre que j'ai signalés
plus haut, il y a comme des symptômes prémonitoires du coup d'État
que préparait l'ambitieuse Zénobie. Qui sait même si ces petites mani-
festations tendancieuses n'ont pas contribué à hâter le conflit avec
Aurélien à qui elles avaient pu être rapportées et donner l'éveil?

VI

Quand, et par qui, ce titre de corrector a-t-il pu être conféré à Odeinat?


Il est difficile de le dire au juste. Les vraisemblances historiques sont
en faveur de Gallien, à qui le maître de Palmyre avait rendu tant
de services. Il est à noter que c'est vers cette époque que l'institution
de la correciiira paraît avoir eu la grande vogue. J'ai cité plus
REVUE BIliUQ'JE 1920. — T. XXIX. 26
1 1

402 REVUE BIBLIQUE.

haut (1) le cas du corrector Pomponius Bassus, dont la promotion en


268 a dû suivre de près celle d'Odeinat. L'n peu plus tard, en 273,
immédiatement après la chute définitive de Paimyre et la disparition
du peu chanceux corrector royal Vaballat, nous voyons lempereur
Aurélien pousser résolument dans cette voie administrative où il
s'était engagé dès 270. Il réorganise lltalie, en y créant d'un coup

huit régions, réparties entre des légats impériaux ayant l'autorité


militaire sous le nom de correctores (2). Il va même, chose quelque
peu étrange, jusqu'à confier la eorrectura de la Lncanie à son ancien
compétiteur, l'usurpateur Tetricus (3).

Il y a un document épigraphique qui serait bien intéressant pour


la question, si on pouvait en déterminer la date, car il nous ramène

une inscription gravée sur


tout droit sur notre terrain oriental. C'est
un piédestal de porphyre provenant d'Alexandrie. On y lit :

I ! 1 1 ! 1 1 1 1 1 1 1 1
^^^^^^^

Avant le mot jsca-tcj il y a une lacune dont l'étendue n'est malheu-


reusement pas précisée par l'auteur de la découverte et premier éditeur
du monument, le regretté Néroutsos-bey (i). A en juger par la justifi-
cation des autres lignes, telles que les présente sa transcription, elle
doit correspondre à li ou 15 lettres. Elle est le résultat d'un marte-
lage intentionnel. Elle devait contenir au moins l'année de règne de
cet Augustus, voire même son nom; mais ce dernier point n'est
pas prouvé, car, vu l'exiguïté de l'espace disponible, ce nom, pur et
simple, n'aurait pu être accompagné d''aucune de ces indications
complémentaires qu'on est habitué à trouver en pareil cas.
Tont ce que nous apprend ce texte, qui se classe paléographique-
ment dans la seconde moitié du m*' siècle, se réduit donc à ceci :

c'est qu'il a été gravé un 18 juillet, sous un certain Claudius Firmus,


qui éiSiit clarissimus et i-avcpOtor/iç, c'est-à-dire correclor, tout comme
Odeinat et Vaballat. Mais qui était-il au juste?
Certes, on serait bien tenté, à première vue, de l'identifier — et

(1) Cf. supra, p. 388, n. 2.


'
(2) Goyau, Chronol. de l'Empire romain, p. 327. Cf. JuUian, op. c. et Rev. Hist.A- 19>

p. 340.
(3) Jullian, op. c, p. 172.
(4; Rev. Arch. 1887, IT, p. 209, n» 48.
MELANGES. 403

c'est ce qu'a fait Néroutsos-l>ey, —


avec l'un des trois Finnus
homonymes qui, s'il faut en croire Vopiscus (1), auraient joué en
Egypte, sous le règne d'AuréUen, des rôles politiques et militaires

bien différents : l'un, préfet d'Egypte; l'autre, clux Umitis Africani


etproconsul le troisième enfin, qui, ayant embrassé le parti de Zé-
;

nobie contre les Romains, défendit vaillamment sa cause à Ale^xandrie,


même après la défaite des Palmyréniens à Émèse. S'agit-il ici d'un de
ces trois personnages, et, dans ce cas, lequel d'entre eux
est en cause?

La question a exercé de nombre de savants, qui sont loin


la sagacité

d'être d'accord. M. Dittenberger (2) la tranche un peu vite par une


fin de non-recevoir absolue, déclarant que le document n'est pas de

l'époque d'Aurélien, mais de celle de Dioclétien. Ce jugement, qui


coupe court à tout rapprochement, est vraiment bien arbitraire, et il
faut avouer que les considérations sur lesquelles il se fonde n'ont
guère de consistance.
Néroutsos-bey croyait que son inscription concernait le Firmus
préfet d'Egypte, lequel aurait été nommé, ou plutôt surnommé
ï-y.vo^()M~.r,z (3) par Aurélien, pour avoir rétabli l'ordre dans ^Ég^q)te

reprise parProbus, en 271, sur les Palmyréniens. Le nom de l'empe-


reur (7£sa"oj), ainsi que son année de règne, auraient été martelés
lors d'un retour offensif à Alexandrie de l'autre Firmus, le partisan de
Zénobie.
Pour M. P. Meyer (4), Claudius Firmus aurait été une sorte de gou-
verneur, représentant d'un hypothétique empereur indigène, d'ori-
gine Blemye, lequel serait le Sébastos inno;né. Ayant momentané-
ment délivré l'Egypte du joug romain, il aurait reçu le qualificatif
de èTavcsOwTv^ç, c'est-à-dire « restaurateur de 'la liberté nationale ».
M. Homo (5), au contraire, inclinerait à croire que notre Claudius
Firmus n'est autre que le propre partisan de Zénobie. J'estime pour
ma part qu'il a raison sur ce point.
Il n'est pas inutile de rappeler

le rôleimportant joué en Egypte, lors du dernier acte de la tragédie


palmyrénienne, par ce personnage, riche négociant originaire de
Séleucie et établi depuis longtemps à Alexandrie. Il y avait toujours
soutenu les intérêts palmyréniens avec lesquels les siens particuliers

(1) Vita Firmi, 3, 5.

Orientis Grxci inscr., t. II, n" 711, où Ion trouvera les références nécessaires en
(2)

ce qui concerne les principales opinions contradictoires mises eu ligne.


(3) Néroutsos-bey ne seruble pas avoir saisi la valeur technique de l'expression- il en

donne un équivalent vague illustrissimus restaurator.


:

(4) Hernies, 1898, pp. 268-270.


(5) Homo, Essai sur le règne d' Aurélien, pp. 112-115.
404 REVUE BIBLIQUE.

étaient probablement daccord (Ij. Ami et associé de Zénobie, il

mit à la tête du soulèvement


avait pris fait et cause pour elle; il se
populaire contre l'autorité romaine qui venait d'être rétablie en
Ég-ypte par le général Probus. Il assuma le commandement des
troupes insurrectionnelles, et se rendit maître d'Alexandrie mais il ;

ne tarda pas à succomber [2], et finit misérablement (3 ;.


Si c'est bien de ce Firmus qu'il s'agit dans l'inscription d'Alexan-

drie, quel peut être alors au nom martelé (i de qui il


le Sébastos, ,

tenait ses pouvoirs de Naturellement tout empereur


corrector (5)?
romain est hors de cause (6). M. Homo suppose que ce pourrait être
cet Antioebus qui fut proclamé roi à Palmyre, lors de la seconde
révolte, après la défaite et la capture de Zénobie (7). J'ai de grands
doutes à cet égard. Cette royauté précaire, enfantée à l'instigation
d'Apsœus dans un sursaut désespéré de réaction nationale, dut être

(1) commerciale des Palmyréniens ea Egypte est attestée par le curieux


L'activité
fragment bilingue, grec et palmyrénien, de Dendera, que j'ai fait connaître autrefois (flec.

d'Arch Or., V, 300). D'autre part, leur activité militaire nous est révélée par une inscrip^
tion grecque, de l'an 216 J.-C, concernant un corps darchers montés palmyréniens qui
tenaient garnison à Coptos, dans la Haute-Egypte quelque 53 ans plus tard, celte unité
;

palmyrénietine a pu fournir un appoint précieux à ses compatriotes envahissant l'Egypte


sous la conduite de Zabdà, le général en chef de l'armée de Zénobie {Rec. d Arch. Or., II,
118).

(2) Voir le récit de Vopiscus (/.


c.) « Tertius iste, Zenobiée amicus et socius qui
:

Alexandriam, Aegyptiorum incitatus furore, pervasil, et quem Aurelianus solita virtutum


suarum felicitate contrivit... Hic ergo contra Aurelianum sumpsit imperiura ad defen-
dendas partes quœ supererant Zenobi*. «

Cet imperium ne comportait que le pouvoir militaire; Firmus n'a jamais fait figure
d'usurpateur, quoi qu'en dise l'auteur de sa Vita (2, 1-3); il ne prétendait point au litre
et aux insignes d'empereur, c'est ce qu'affirme nettement la Vita Aureliani (32, 2) :

« sibi Aegyptum sine insignibus imperii, quasi ut esset civitas libéra, vindicavit » La
véritable raison de cette réserve c'est que Firmus avait un maître, au nom et pour le
compte de qui il agissait en bon et fidèle serviteur, le czoo-n-ôz inconnu de l'inscription.

(3j « Multi dicunt laqueo eum vilain finisse » JVopiscus, /. c).

(4) Ou peut-être omis à dessein, si le martelage, peu étendu, s'est borné à supprimer une
date régnale qu'on avait intérêt à faire disparaître à un moment donné?
(5) Je d'is et je répète
corrector, car tel est bien le sens précis, technique, auquel il

faut prendre le mot £7iavop6o3Trj:. On est un peu surpris de voir que des savants qui se
sont occupés de celte inscription, M. Homo lui-même, n'aient pas accordé à cette indica-
tion,pourtant catégorique, l'atlenlion qu'elle mérite, et qu'ils aient prêté au mot des sens
vagues, s'accordant plus ou moins bien avec leurs conjectures historiques.
(6j A moins d'admettre, ce
qui serait de la dernière invraisemblance, qu'.^urélien aurait
accordé au rebelle Firmus le même traitement de faveur qu'a son ex-compétiteur Tetricus
et les choses une fois rentrées dans l'orJre, l'aurait nommé corrector sur le théâtre
même de ses anciens exploits.
(7) Zosirae, i, 60; Vopiscus, VUa Aurel., 31. Cf., sur cet épisode, les observations de
AVaddington dans son commentaire sur les inscriptions n" 2582 et 2629. J'aurai à revenir
un peu plus loin sur la personnalité de cet Antiochus qui soulève une autre question
d'histoire également importante.
MÉLANGES. 405

bien éphémère, car, quelques semaines plus tard, Âurélien, accouru


le coup de grâce à Palfnyre agoni-
à marches forcées, revenait donner
sante. Il me semble que ce fantoche d'Antiochus, ainsi affublé in
extremis de la pourpre royale, n'aurait eu guère le temps de cons-
tituer à Alexandrie un corrector en règle. Il devait avoir, dans de
telles conjonctures, bien d'autres soucis en tète.
C'est pourquoi, tout bien considéré, je me demande si le Sébastos
en jeu ne par hasard, tout bonnement notre roi Vaballat
serait pas,
qui, toujours —
cela va de soi —
sous la tutelle de sa mère Zénobie, a
été maître effectif de l'Egypte pendant près de deux ans, avec toutes
les prérogatives de la souveraineté, et y a sûrement porté, au moins
à un certain moment, le titre de Augiistus. En ce qui concerne ce
dernier point, ses monnaies, frappées à Alexandrie et allant jusquà
l'an V de son règne (270-271 J.-G.) font foi (1). Sur celles qui corres-
pondent à la courte période finale d'indépendance absolue, on lui
donne formellement, on lui prodigue même le titre de Augustus et
de SscaaTîç, ce qui est pleinement d'accord avec la teneur du texte
gravé sur les deux milliaires syriens de la route Bosra- 'Amman que
j'ai cités plus haut (p. 387, n. 5) (2),

Or, n'oublions pas que le roi Vaballat —


nous en avons aujourd'hui
la certitude grâce au milliaire de Palmyre —
a porté lui-même le
titre de corrector. Il ne s'est pas fait scrupule de le garder alors

même qu'il prenait, à l'instar des monarques orientaux, le titre plus


pompeux de « roi des rois ». Mais le jour où, se posant en adversaire
déclaré d' Aurélien, et franchissant le dernier degré de la puissance
suprême conçue à la romaine, il s'octroya celui à' Augustus, la situa-
tion devenait tout autre. Il ne pouvait pas décemment se dire à la

fois Augustus et corrector, la correctura étant, par définition, une


délégation qui, logiquement, émanait de V Augustus lui-même. Il
y

(1) On trouvera reproduites dans l'ouvrage de M. Homo [op. c. pp. 67-68, et 82-83) les
principales données relatives à ce monnayage palmyrénien d'Alexandrie, qui forme un
ensemble très compliqué.
;2) Au contraire, dans deux papyrus grecs dÉgypte (mentionnés par M. Homo, op. c,

pp. 21 et 67), qui contiennent, au grand complet, semble-t-il, la litulature de Vaballat,


on constate l'absence du titre suprême uESotaTÔ;; le roi, en tant que roi, y est simplement
qualifié de > ajiTrppoTaTo; ''^y.nù.v'j;, qualificatif dont le premier terme sent encore sa prove-
nance romaine et qui, ainsi que nous l'avons vu, se maintient également dans le protocole
du milliaire bilingue de Palmyre. Le fait s'explique facilement, et par la n>ème raison que
pour le milliaire de Palmyre. Les deux actes égyptiens, datés des années de règne
conjuguées (II et V) d'Aurélien et Vaballat, correspondant au mois de février 271 J.-C,
ont été libellés dans la période antérieure à la grande révolte, alors que Vaballat et
Zénobie n'avaient pas encore ouvertement rompu en visière à Aurélien. Mais cela n'allait
guère tarder.
406 REVUE BTBLIQLE.

avait entre les deux titres une sorte d'incompatibilité choquante,


d'ordre hiérarchique. C'est ce titre de correclor, devenu ainsi dispo-
nible par la force des choses, qui a pu alors, avec le qualificatif de
clarissiimis qui y était attaché, passer à Claudius Firmus, au partisan
dévoué corps et àme à la cause paimyrénienne, soit quïl l'ait pris
proprio motii pour fcicihter son action politique en tant que chef
du soulèvement, soit qu'il l'ait reçu de Vaballat, lequel n'était
peut-être pas fâché d'avoir cette occasion de jouer à son tour à
VAugustus, ayant le pouvoir de faire des correctores. En tout cas,
ce serait au nom et pour le con^pte de son maître Vaballat que Clau-
dius Firmus apparaît en qualité de corrector dans linscription
d'Alexandrie, dont la date, malheureusement effacée — à dessein,
devait nous reporter tout à fait vers la fin du règne éphémère du
nouvel Augustus, rival oriental d'Aurélien. Dans ces conditions, et
sous le bénéfice de l'observation matérielle faite plus h-airt sur
'étendue possible de la lacune de la première hgne (1), seraii-il
trop téméraire d'envisager une restitution dans le genre de celle-ci :

[lc;oyabaaaa0Oy:c€bactoy, ;(stoj;)T'Oùaea>;Aio=j]ss5a^=j.
A compte, Chiudius Firmus aurait été eucore corrector le
ce
20 Epiphi
de l'an 6 de l'Augustus Vaballat correspondant au ,

18 juillet 27-2 J.-C, date cjui n'est pas en désaccord avec celle de
273, qu'on admet généralement pour le dénouement de la tra-
gédie d'Alexandrie marqué par la prise du Bruchium et la mort de
Firmus (2;.

Telle serait alors la dernière étape de la transmission de ce titre

d'allure bureaucratique, spécifiquement romain, dans le miheu


palmyrénien.

VII

Il y aurait encore à tirer de ce document précieux, si heureusement


découvert par les PP. Jaussen et Savignac, d'autres informations
intéressantes tant pour l'histoire que pour la connaissance de l'orga-
nisation politique et sociale des Palmyréniens. J'aurai, je l'espère,

(1) A supposer que cette ligne n'ait pas été précédée d'une autre, coalenaHtiin protocole
plas^ développé.
<!« Vaballat,
(2) D'ailleurs, on pourrait à la rigueur restituer l'an s' au lieu de l'an r'-
ce qui nous reporterait an 18 juillet 271 .T.-C. Sur lépoque à laquelle Vaballat s'est pro-
clamé indépendant en Egypte (entre le 23 février et le 29 août 271 J.-C, cf. Homo,
op. c, p. 82, B° 1 et p. 8^5, n° 2.
C'est par une simple induction très arbitraire que quelques auteurs (Vogiïé, op. c,
p. 32 et p. 36; Goyau, Chronol.p. 324) font mourir Vaballat avant le mois d'août 271.
MÉLA^•GES. 407

r occasion d'y revenir. Je me bornerai pour Finstani à toucher som-


mairement quelques points qui devront faire l'objet d'une étude par-
ticulière plus approfondie.
L'essentiel, c'est que voilà la science débarrassée définitivement
d'une hypothèse spécieuse, mise jadis en avant par A. von Sallet (1),
reprise ensuite et développée par Wadding-ton (2) et maintenue encore
aujourd'hui dans des ouvrages qui font autorité (3). Se fondant sur
une analogie onomastique, superficielle, ces savants avaient supposé
que le père de la reine Zénobie ne devait être autre qu'un cer-
tain personnage palmyrénien, loulios Aurelios Zénohios, surnommé
Zabdilas, qui apparaît dans une inscription bilingue (4) de 2i2-243
J.-C, comme ayant été stratège de la « Colonie » lors de la visite à
Palmyre de l'empereur Sévère Alexandre en 229, puis agoranome, et

ayant, comme tel, rendu de grands services à sa patrie, ^'ous savons


maintenant qu'il n'en est rien et que le père de Zénobie répondait
simplement au nom d'Antiochus.
Il est à supposer, malgré le silence de notre milliaire sur ce point,

que cet Antiochus palmyrénien devait avoir en outre un nom sémi-


tique du ci^u. Peut-être bien ce nom était-il lE-'-n, Khallphi (5) si tou-
tefois l'on peut faire état de la bilingue palmyrénienne de Rome
(GIS 3602), datée de 236 J.-C, où il correspond effectivement à

(1)Die Fiirsien von Palmyra, p. 31.


Op. c, pp. 598 et 604, dans ses commentaires sur les n"" 2598 et 2611.
(2i

(3) Prosopogr. m, n" 355. Dittenberger, op. c, II, p. 347, n» 640. Celui-ci, renchéris-
sant encore sur 1 hypothèse, ajoute même que le Zénohios en «[uestion devait appartenir
à la même famille que le chef de caravane loulios Aurelios Zeheidas, mentionné dans
l'inscription Wadd. n" 2599 == Vog. 4). Inutile de dire que cette hypothèse du second
degré est toute gratuite.
(4) Vog. b" 15 (Wadd. n» 2598). Il est à noter que le texte palmjrénien omet le nom
hellénique de Zénobios, et ne donne que ce que le grec présente comme son surnom (tôv
•/.ai) et ce qui est en réalité son véritable nom
Zabdilà.
national :

Le nom de Zénohios semhle, d'ailleurs, avoir été assez répapdu dans l'onomastique pal-
myrénienne. Nous le retrouvons à Nazala (Wadd. 2571), porté par un grand prêtre; à Pal-
myre même (Wadd. n» 2571 C;, par le père d'un épimélète de la source sacrée d'Ephca;
enfin dans trois bilingues (W. n- 2571 b =
Vog. n" 123 a m; W. 2617 REl, 2153, cf.; =
Rec. d'Arch. Or. vu, 24; et W. 2619 =
Vog. n'' 65 (cette dernière émanant d'une famille
notoirement juive). Dans ces trois cas, le nom de Zénobios correspond uniformément à
celui de nT'IT, Zebidà.
De la racine ï^Sn « remplacer » qui a donné naissance à de nombreux noms propres
(5)

de formes variées, tant en palmyrénien qu'en nabatéen et en hébreu, dérivant de cette


idée de « remplacement, substitution « (d'un mort par un vivant). Cf. par exemple la
bilingue Vog. 123 a m, où NJlE'^n = 'Avriuocxpo;; peut-être croyait-on, à tort ou à raison
trouver quelque idée analogue dans le nom similaire 'Avrio/o;. Mais il ne faut pas vouloir
trop presser ces rapports sémantiques entre doubles
noms sémitiques et grecs; ils ne sont
pas toujours rigoureusement observés, témoin celui du Nabatéen 'Avtioxoç ô xal lâtisâo;
de l'inscription Wadd. n° 2216.
408 REVUE BIBLIQUE.

'Av-by;;. Ce nom de Khalîphî apparaît déjà, à trois reprises, en 153


J.-C, dans une inscription de Palmyre môme :'l).
Sans doute, il ne serait pas impossible que le père de Zénobie ait

appartenu à quelqu'une de ces familles où le nom de Khalîphî semble


avoir été en faveur. xMais nous venons de voir à l'instant combien
il faut être prudent dans ce genre d'induction historique opérant
sur de simples rapprochements onomastiques.
Il est pourtant un rapprochement d'un autre ordre, d'ordre histo-
rique, quime semble mériter d'être pris en considération. Il existe
un Antiochus qui a joué dans l'histoire de Palmyre un rôle consi-
dérable, bien qu'épisodiqae et très court, dont j'ai déjà parlé plus
haut (2) et qui peut se résumer ainsi. Après la défaite et la capture de
Zénobie. Aurélien avait laissé dans la ville conquise une garnison
commandée par Sandarion. A l'instigation d'un certain Apsa^us '3),
lequel avait déjà eu sur eux une influence néfaste, les Palmyré-
niens vaincus se soulevèrent à nouveau, en 273, massacrèrent la

garnison et son commandant, et, après avoir essayé en vain de


pousser à la trahison MarccUinus qui gouvernait la Mésopotamie

au nom
de l'empereur, afiablèrent de la pourpre impériale un
personnage dont le règne improvisé ne fit pas long feu. Zosime
(i, 60,61) l'appelle .4/i/zocA2^5 (4). Vopiscus {Ai(r. 31) l'appelle à tort
Achilleus, par suite de la confusion à laquelle j'ai fait allusion tout
à l'heure 5); mais il ajoute un détail intéressant, qui prend au-
jourd'hui une valeur singulière, c'est que l'usurpateur étaitparens
Zenobiœ.
Généralement on a pensé jusqu'ici qu'il fallait entendre par là un
un proche quelconque, et non pas le pore, de Zénobie, bien
palpent,
que ce soit là le sens originel et classique du mot parens. C'est ce
qu'admettent, implicitement, Sallet et Waddington, puisqu'ils croient

(1) Vog. n" 9. Malheureusement, elle est sans contre-partie grecque. Il aurait été inté-
ressant de voir si le même équivalent grec 'Avt;o/.o; était encore attaché au nom
palrjjyrénien.
(2; Cf. supra, p. 404. On trouvera les renseignements nécessaires, avec renvois aux
sources et discussion des textes, dans les excellents commentaires de Waddington n'" 2582
et 2629.Voir aussi mon Rec. d'Arch. Or., VI, p. 292, où j'examine la question an point de
vue de la confusion commise dans l'Histoire Auguste entre les usurpateurs respectifs
d'Alexandrie et de Palmyre, Achilleus et Antiochus, en envisageant des hypothèses dont
quelques-unes doivent être écartées.
(3i Waddington croit en retrouver le nom dans son inscription n° 2.582, malheureuse-
ment non datée, mentionnant un ltn-z{i[i:o::) 'A'I/aTo:, qualifié de rpoTToéir,; (patronus,
'

^^rp). '

(4) Le renseignement concorde avec celui de Polemius Silvius.


(5) Avec l'usurpateur alexandrin de ce nom; cf. supra, note 2.
MELANGES. 409

que Zénobie était la fille d'un Zénobios; et explicitement, la plupart


des auteurs qui les ont suivis et qui tiennent Antiochuspour un simple
« parent » de Zénobie (1).

vu la donnée nouvelle apportée par la découverte de


iMaintenant,
notre milliaire, une question se pose, pour ne pas dire s'impose. Cet
Antiochus ne serait-il pas le propre père de Zénobie? En désespoir
de cause, et en raison même de son étroite attache à la dynastie
déchue, les insurgés palmyréniens n'auraient-ils pas installé sur
le trône vacant de sa fille et de son petit-fils, vaincus et prisonniers,

le père et grand-père survivant au désastre? Peut-être même la chose


se fit-elle contre son gré, et ne fut-il qu'un instrument aux mains
d'Apsa?us, le véritable fomentateur de la révolte. Cela pourrait
expliquer alors dans une certaine mesure la mansuétude bien sur-
prenante dont, au dire de Zosime, l'empereur Aurélien aurait fait
preuve à l'égard du misérable vieillard à qui l'on avait peut-être fait
jouer le rôle d'usurpaleur malgré lui.

Assurément, ce n'est là qu'une hypothèse; mais on avouera que


la coïncidence entre les deux indications, historique et épigraphique,
est pour le moins singulière. Je crois devoir la mettre en ligne, sans
me dissimuler qu'elle pourra soulever des objections. Une des princi-
pales est celles de l'emploi du mot parens gardant son sens classique
de « père » dans la langue tardive des auteurs de V Histoire Auguste.
Mon érudit confrère M. Th. Reinach, avec l'acuité coutumière de son
chargé de la mettre aussitôt en
esprit critique toujours en éveil, s'est
avant (2 ,
et dans ce milieu littéraire,
en soutenant qu'à cette époque
parem avait tout à fait perdu le sens de pater et était pris constam-
ment dans l'acception, rétrécie ou élargie, selon le point de vue
auquel on voudra un degré quelconque.
se placer, de « parent », à
Cette assertion parait bien absolue. de jeter un coup d'œil Il suffît

dans l'ouvrage classique de Lessing (3) pour constater l'existence de


nombre de passages de l'Histoire Auguste où parens a gardé son sens
de pater i), en dehors de l'acception courante de propinquus. Nous

verrons tout à l'heure, au surplus, qu'il y avait peut-être, dans le


cas de Zénobie une raison particulière d'employer le mot parens

(1 Kalinka. l. c: Goyau, op. c, p. 326; Homo, op. c, p. 326; Prosopogr., nr, 217,

Q" 355; Inscr. </?. — romana, m, n" 1033; elc...


(2A la séance suivant celle à laquelle fut faite la présente communication.
Scripiorum historùc AugusUv lexicon,s. vv. Parens, Pater.
(3)

(4) Voire même de mater, sens qui est normalement conforme à 1 efAmologie. A noter,
entre autres, le passage de la lettre de l'empereur Gallien (T'iï. Prob. 6, 2) où les mots pater
et parens sont curieusement mis en parallèle.
410 REVUE BIBLIQUE.

plutôt que celui de pater, pour définir le lien filial qui la rattachait
à Antiochus.
Mais, auparavant, il me faut parler d'autres documents palmyré-
Diens congénères où apparaît encore le nom d'Ântiochus, et ce,
dans des conditions qui, à première vue, semblent venir compliquer
étrangement la question. Ce sont également des inscriptions, ou des
fragments d'inscriptions de milliaires, jalonnant la même route (de
PalmjTe à Homs) que celle où a été relevée notre trilingue.
C'est dabord le n' 2G29 de Waddington, borne découverte par
lui, en même temps que son n° 2628 (notre trilingue), à environ

5 h. 1/2 de Palmyre, par conséquent à environ 2 heures plus


loin (1). Restes d'inscriptions frustes, latine et grecque; une partie
de celle-ci encore enfouie sous terre. En haut, débris de quatre
lignes latines mentionnant le nom de Dioclétien et la Colonia
Palmyra. Au-dessous :

Pe.TOY
TITOBANTIOXOY
(2)

Waddington, ayant cru y reconnaître après coup, le nom de


l'usurpateur Antiochus, regrettait de ne pas s'en être aperçu au
moment où il la copiait, parce qu'autrement il aurait pu, dit-il, en
mi meilleur parti. C'est d'autant plus regrettable que ses suc-
tirer
cesseurs ne semblent pas l'avoir retrouvée et paraissent en ignorer
même l'existence (3). Il ne pouvait pas se douter qu'il avait en réalité
découvert le nom du père de Zénobie.
Ce sont ensuite deux autres fragments de milliaires copiés ou estam-
pés par Musil, l'un (= Kalinka n° 11), à 20 minutes à l'ouest de son
n" 10 (= W. 2628); l'autre (Kalinka n° 12), à 30 minutes à l'ouest de
K. il. De sorte quCj si nous y comprenons notre trilingue (W. 2628 =
K. 10), nous avons un groupe d'au moins quatre milliaires apparte-
nant à une même série et portant vraisemblablement les mêmes ins-
criptions plus ou moins mutilées, c'est-à-dire des bilingues grecques

(1) Je ne mentionne que pour mémoire, et pour être complet de ce chef, un autre

fragment de milliaire découvert, une heure plus loin, par Waddington (n" 2630), qui n'a
pu y copier que ces quelques lettres, latines, semble-t-il CIMXIRRACC.
:

(2) Nous verrons tout à l'heure {infra, p. 414) comment on peut essayer de restituer ces
quatre lignes dont, à première vue, la lecture semble être désespérée.
(3) Dittenberger a omis —
en quoi il a eu grand tort —
de l'immatriculer dans son
recueil [op. c], et il n'en souille pas mot, bien qu'elle soit, comme on va le voir, un élément
essentiel de la question historique discutée par lui sous ses n°' 649, 650.
1

MÉLANGES. 41

et palmyrénieniies. Ces bornes ont dû subir le même traitement


et recevoir de nouvelles inscriptions à la même époqme; c'est ce
que montre clairement la comparaison de notre borne W. 2628) avec i

le.n" W. 2629, où l'on trouve, de part et d'autre, la mention de Dio-


cléiien et de la Colonia Palmyra 1). En autre, comme on va le voir,
leurs inscriptions grecques respectives otirent, toutes les quatre, cette
particularité de présenter lenom de la reine Zénobie sensiblement,
pour ne pas dire exactement, à la même place vers la fin et — —
engagé dans un contexte qui, selon moi, doit être identique, malgré
certaines apparences contraires qui ont conduit Kalinka, et Ditten-
berger qui lui emboîte le pas, à des lectures diverg-entes fort invrai-
semblables.
J'ai déjà donné plus haut (p. 595) le fac-similé de la copie de Musil
pour le n" 10 (= notre borne), avec la restitution de Kalinka qui
est, comme je l'ai fait remarquer, en flagrant désaccord avec notre
estampage. Il convient d'en rapprocher maintenant les copies et
lectures de Musil et Kalinka pour leurs n"* Jl et 12, copies et lectures
non moins sujettes à caution.

K. n° 11

IIIIA/

Lecture de Kalinka.

^W=[x=
5 ^ /
^ pN Wi

A gauche : dessin de Kalinka d'après l'estampage; à droite (ins-


cription latine disposée tête-bêche) : copie de Musil. D'après une note
de celui-ci, il devait y avoir un texte palmyrénien tout à fait enfoui
sous terre. Dittenberger [op. c. n" 650) accepte et reproduit sans
réserve la lecture de Kalinka, qui est pourtant, comme je l'avais déjà
déjà indiqué et comme je vais essayer de le démontrer, des plus
contestables. Je me bornerai pour l'instant à
faire remarquer, au
début de la ligne 2 de la partie grecque, la façon dont le B de Ba7'-
'hibiz est gravé hors cadre^ absolument comme sur noire milliaire et

au même endroit correspondant. Cette particularité caractéristiqiie

(1) Je crois qu'il en est de même au n» K. 11, dont je parlerai plus loin.
412 RKYUE BIBLIQUE.

ne saurait être fortuite; elle établit un nouveau lien intime entre les
deux bornes qui ont dû être, à mon avis, gravées en même temps,
sur un même patron, et recevoir des textes d'une même teneur,
ou, plus exactement, un seul et même texte ne varietiir. Cette
seconde borne semble avoir reçu plus tard, elle aussi, une inscri-
ption de Dioctétien (1), gravée après coup, toujours au grand dam
du grec.

K. n" 12.
'

_.„. ..^ Lecture de Dittenberger [op. c. n" 651) f2).

Bas'.Xèo); \lLzr.-{i\j.iz'j)] 'Av-ioyo-j

Ainsi, selon Kalinka, la reine Zénobie qui, suivant lui, apparaît au


n" 2628 de ^yaddington (= son n° 10, et notre milliaire) comme mère
du roi Septimios Athenodoros {sic), réapparaîtrait au n° K. 11, et
probablement aussi au n" K. 12, toujours comme mère, mais mère
cette fois d'un autre fils répondant au nom de Septimios Antiochos.
Partant de là, et mettant à profit l'ingénieuse suggestion due
à Waddington, il veut lui aussi reconnaître dans cet Antiochus le
« parens Zenobiie », chef de la dernière révolte palmyrénienne. Mais
alors il lui faut expliquer comment cet Antiochus est présenté ici

comme le propre /ils de Zénobie. C'est bien simple. Il suppose que


la, reine aurait adopté précipitamment, m extremis, un « parent » à
elle, pour au trône. Dittenberger (/. c.) élève
lui assurer le droit
contre cette invraisemblable hypothèse de judicieuses objections
qu'il serait oiseux de reproduire, car je crois qu'elle ne résistera pas
à celles plus graves encore que j'aurai à faire valoir. Il lui en
substitue d'ailleurs une autre de son cru, plus invraisemblable
encore, si possible. Après s'être demandé si cet Antiochus n'aurait pas
pu être un imposteur se faisant passer pour le fils légitime de la reine,
il semble conclure qu'il ne s'agirait pas ici de la vraie reine de Pal-

myre, mais d'une autre Zénobie, une obscure homonyme, à laquelle

(1) Je crois pouvoir y lire, moyennant les restitutions nécessaires, le nom Diocleliano,
plutôt que Antonio. Le nombre des milles est peut-être à restituer en (X)VIII, bien qu'il
paraisse être un peu fort pour la distance de Palmyre, autant, du moins, qu'on peut l'éva-
luer d'après les approximations successives des temps de marche cotés par Musil (195+ 20
+ 30 =
245 minutes, de Palmyre).
Kalinka n'a pas osé ici risquer une transcription, satisfait d'avoir reconnu de
(2)
nouveau le nom d'Antioclius, qui est indubitable. Plus hardi, Dittenberger s'est lancé
dans une lecture et un commentaire tout à fait inadmissibles.
MÉLANGES. 413

les Paimyréniens auraient conféré le titre royal en même temps


son fils Antiochus, non moins obscur!
qu'ils appelaient à la royauté
Dans cette combinaison romanesque, imaginée de toutes pièces, il
arrive même à caser tant bien que mal son prétendu roi Dareios,
lequel pourrait être le père de son Antiochus, par conséquent le mari
de sa pseudo-Zénobie les Paimyréniens, apparemment pour ne
;

pas faire de jaloux dans la famille, lui auraient également conféré


rétroactivement, et par voie d'ascendance, le titre royal. Tout cela,
on l'avouera, est de la dernière invraisemblance.
Une simple réflexion suffirait à faire écarter a priori toutes ces
hypothèses. Quelle que fût l'origine du roi improvisé sous l'autorité
de qui les Paimyréniens se groupèrent pour tenter un désespéré et
suprême efîbrt, où aurait-il trouvé, pendant son règne éphémère qui
ne dura que quelques mois, pour ne pas dire quelques semaines, le
temps et les moyens nécessaires pour faire élever et graver toute une
file de bornes milliaires sur une des plus importantes voies commer-

ciales de Palmyre? C'est là une œuvre de longue haleine, bonne à


entreprendre en temps de paix. A cette heure critique, le pauvre
Antiochus avait, si l'on veut me passer l'expression, bien d'autres
chiens à fouetter.
Dautre part, j'estime que ces hypothèses, déjà si improbables en
elles-mêmes, reposent toutes sur des lectures absolument fautives —
et, de plus, inconciliables entre elles — des inscriptions en litige.
Après avoir pesé le pour et le contre, je crois pouvoir m'arrêter à la
conclusion suivante : le prototype uniforme qu'elles reproduis:iient
littéralement se terminait ainsi pour les deux dernières lignes :

^ACIACCHCMHTPOCTOY
BACIAeOOCOYr-TOYANTlOXOY
... '^'j.z\iJ.'zr^z 'j.r,-zï; t:j ^jy.z'.Aio):. O'JY(aTcbç) -.zj 'AvT'.r/cu.

(( (et pour le salât de Zénobie, l'illustre) reine, mère du roi, fille


d'Antiochus'. »
Zénobie est dite d'une façon absolue « mère du roi sans complé- •).

ment d'aucun genre, conformément à l'expression palmyrénienne,


qui, elle non plus, ne répète pas le nom de Yaballat. Quant à l'abré-
viation de ÔuYla-poç); elle est justifiée en épigraphie.
Cette leçon unique, peut être dégagée respectivement de toutes
en cause, si l'on fait jouer les principes présidant à ce genre
les copies
d'amendements d'ordre paléographique (1). On peut s'en assurer en

^1) Je ne m'altarderai pas à discuter par le menu es amendements qui permettent de


414 REVUE BIBLIOUE.

examinant sans parti pris les copies Kalinka-Musil, dont les diver-
gences mêmes trahissent l'inexactitude. Elle s'accorde, somme tonte.,

avec ce qu'on peut déchiffrer sur notre estampage, en diépit de


son état déplorable en cet endroit. La seule difficulté sérieuse, c'est-
quil semble nous montrer matériellement un X là où nous atten-
dons un Y i^lO'" lettre). Mais il faut remarquer qu'à partir de gst^i-
'/Aiùq, les caractères non seulement sont mal venus à l'estampage,

mais paraissent être, en outre, d'un module plus petit et gravés avec
une certaine négligence, comme s'ils avaient été tracés, après coup
et peut-être, qui plus est, par-dessus une autres inscription (latine?)
antérieure (1). Quoi qu'il en soit, j'estime pouvoir m'arrèter en fin
de compte à cette lecture. Je lai, pour plus de sûreté, soumise au
jugement de mon savant confrère et ami M. B. Haussoullier, qui fait
autorité en matière d'épigraphie grecque; vérification faite, il la
tient pour plausible. Elle est applicable, je le répète, aux autres
miUiaires du groupe, à commencer par celui de Waddington,
n" 2629; malgré l'état désespéré de la copie (2), je crois en effet
pouvoir, en opérant sur cette base, en restituer ainsi le texte :

y.al û-èp t70)-j

[-r,piaç ZsTT-îiijiaç Z'r;vc-]

[tiuç, -%ç \o(.\).r.pO'x-'T,c]

[;iaGÙd!:rr,ç, ;j//;T]p(b)[ç] -oa


[;ia7',AUoç, 6] (u-.) -ol'j) 'AvTtC7:'J

Bien entendu, tout le début est, en outre, à rétablir conformément


aux indications de notre bilingue. 11 en va de même pour les
n^ K. 11 et 12.
En tout cas, nous pouvons chose rare —
conserver l'espoir de voir —
un jour la question définitivement tranchée. Ces milliaires plus ou
moins bien conservés, ou insuffisamment dégagés, d'autres encore
inconnus, totalement enfouis et appartenant au même tracé routier,
contiennent sûrement le mot de l'énigme. Les sables du désert de
Palmyre continueront à les garder jusqu'à nouvel ordre contre les

déprédations de 1" homme et les intempéries. Il suffira, quand les cir-


constances le permettront, de quelques coups de pioche donnés à

les pièces du
ramener les copies de Musil à la teneur commune. On a sous les yeux
procès, c'est-à-dire le fac-similé même de ces copies; les gens du métier
pourront donc se
prononcer en connaissance de cause.
(1) Voir plus haut, p. 394, ce que j'ai dit à ce sujet.

(2) Reproduite plus haut, p. 'ilO.


MÉLANGES. 41 &

point nommé pour vérifier si la solution proposée est, ou n'est pas


d'accord avec la réalité.

VIII

Cette filiation, désormais certaine, de la reine Zénobie soulève une


autre question fort importante dont je dois dire au moins un mot,
en attendant que je puisse la traiter quelque jour avec les dévelop-
pements internes et les extensions externes qu'elle comporte. Je
me bornerai à la poser aujourd'hui en n'envisag-eant que notre cas
d'espèce.
La reine était donc fille d'Antiochus. Or, son nom national, ara-
méen —
Bat-Zabbaï —
signifie littéralement Fille-de-Zabbaï ; Zabbaï :

est un nom d'homme bien connu par ailleurs dans l'onomastique


palmyrénienne (1).
Il semble donc à première vue qu'il y ait une contradiction absolue

entre le sens même du nom de la reine lequel, ne l'oublions pas,—


n'est point une sorte de surnom, mais bien un nom spécifique et —
sa filiation réelle. Gomment cette « fîUe-de-Zabbaï » peut-elle avoir
en même temps pour
père un Antiochus? On pourrait être tenté de
se tirerd'embarras en disant que son père portait un double nom :

Antiochus Zabbaï, ou Zabbaï Antiochus ou bien encore en faisant ;

jouer le mécanisme de l'adoption pure et simple. Mais ce ne serait

là que des échappatoires, prêtant à des objections qu'il est trop long-
d'exposer ici.

Pour bien rendre compte de cette apparente singularité, il ne


se
faut pas perdre de vue le fait qu'elle se retrouve dans toute une
catégorie de noms de femmes palmyréniennes, composés de la même
manière et se présentant dans les mêmes conditions, c'est-à-dire la
plupart du temps avec des patronymiques réels tout autres que ceux
qui sont contenus virtuellement dans leurs noms mêmes.
En voici quelques exemples recueillis çà et là dans des inscriptions
dont j'omets les références (2; pour plus de brièveté. Il est probable
que cette liste, qui n'a pas la prétention d'être complète et en tête de

(1) On se rappelle qu'il est porté, entre autres, par le général Seplimius Zabbaï, com-
mandant la place dePalmyre au nom de Zénobie (cf. supra, p. 382). Il n'est pas im,possible
([u'ily ait eu entre la reine et ce personnage quelque lien de parenté ; Vogué {op. c, p. 153)
croit qu'il était son cousin.

(2) On les retrouvera facilement en feuilletant les tables du Répertoire d'épigraphie


sémitique et des livres manuels de M. Lidzbarski, ainsi que mon Rec. d'Arch. Or.
416 REVUE BIBLIQUE.

laquelle j'inscris le cas nouveau de la reine Zénobie, s'allongera au


fur et à mesure des découvertes ultérieures :

127-112 fille de dIjII'cin

pin-rn fille de 5<Sa


TîT-nn fille de tmi
Na!;-nn fille de N"iin

i2n-n3 fille de niut


N!?-r2 fille de xmp
s;n-ni fille de "ic^p^z
^2m-n2 fille de pv'
N-i3--n2 fille de lïma
in-nn fille de 1^:2
ijSn-ns fille de xSa
Kanu?-nn fille de nSd''

idSd ns fille de Sim^-?

Ce dernier cas (/?. £".5^ 10i5, cf. 3'*) est d'autant plus intéressant que
lenom de cette Bat-Malkoii, fille de Zabdi}3ol, est précédé des pré-
nom et gentilice romains Julia Aurélia. A cet état, le nom se présente

donc exactement sous le môme aspect que celui de Zénobie :

Zénobie : c^zvcza r\2 u'-nn N''a''r:£CD

Bat-Malkou : bimsT mi ^ily2-T\1 niSi's niSv

'

Un fait aussi général doit avoir sûrement sa raison d'être. Je serais


bien tenté de la chercher dans la constitution de la famille palmy-
rénienne, qui contenait peut-être quelque disposition plus ou moins
légale, comparable, dans une certaine mesure, à la loi du lévirat
chez les Juifs(1). On se rappelle que le lévirat consistait dans l'obli-

gation où était le frère survivant, le yaham, d'épouser la veuve de son


frère mort sans descendants. Le premier-né de cette union .devait être
considère 's'Stirtôtis "lés rapports, droit d'héritage et autres, comme
le fils posthume du défunt, dont en réalité il n'était tout au plus

(1) Je n'insiste pas sur les points de contact qui ont pu exister entre Juifs et Palmyré-
niens. Ils ont été signalés à mainte reprise, parfois avec quelque exagération. Nous avons
à cet égard des indications, trop rares, mais formelles, qui sont bien connues : la famille

juive dans la bilingue Vog. n" 65, datée de 212 J.-C. hébraïques de l'antique
; les inscriptions

synagogue de Palmyre l'inscription latine accompagnant l'inscription grecque de la syna-


;

"Ogoe ptolémaïque d'Egypte restaurée, croit-on, sur l'ordre de Zénobie et de Vabaliat

(Dittenberger, op. c, n° 129) etc. On sait qu'une légende, qu'il faut accueillir cum cjrano

salis tendait à présenter Zénobie elle-même, comme juive ou tout au moins judaïsante. Le
Talmud parle des mariages entre Juifs et Palmyréniennes.
MELANGES. 417

que le neveu, afin que le nom de ce défunt ne fût pas effacé en Israël.
Telle est, du moins, la théorie de cette prescription. Dans la pratique,

du reste, il était avec elle des accommodements, quelques-uns très


curieux, dont ce n'est pas le lieu de parler ici (1). Elle finit, d'ailleurs,

par tomber en désuétude. On peut admettre sans difficulté que, là


où elle était en vigueur, le premier-né d'une union de ce genre
— soit A ayant épousé sa belle-sœur, veuve de son frère B, mort sans
postérité —
reçût, en vertu de cette coutume, le nom même de B, qui
aurait pu être son père s'il eût vécu, qui était rétrospectivement
son oncle et à qui le rattachait quelque peu ce lien maternel, si

lâche qu'il fût (2). Mais qu'arrivait-il si, d'aventure, cet enfant pos-
thume une fille? par exemple si, après la mort de B, son
fictif était

frère A, en épousait la veuve, laquelle lui donnait, non pas le fils


désiré, mais une fille? Comment assurer alors ce qui était l'objet
propre du lévirat, à savoir la survivance du nom du frère défunt B?
La loi juive ne semble pas avoir envisagé cette espèce. Il pouvait en
aller autrement à Palmyre.
Il y avait un moyen tout indiqué pour satisfaire à ce souci de

maintien du nom en pareille occurrence, c'était de donner à la fille


réelle de A le no7n de Fille-de-B, formant un seul mot. Ce serait
exactement ce que nous constatons dans cette expression palmyré-
nieune fréquente, qui contient deux termes en apparence si contra-
dictoires : Fille-de-B, fille de A.
Appliquée au cas de Zénobie, cette explication pourrait aboutir
au résultat suivant. A l'origine, nous aurions deux frères Zabbaï :

marié et Antiochus célibataire; Zabbaï meurt sans enfants, laissant


une veuve Antiochus épouse celle-ci. L'enfant à naître de cette
;

union recevra, selon l'usage, en souvenir du défunt, le nom de


Zabbaï û c'est un garçon, celui de Bat-Zabbaï, « Fille-de-Zabbaï », si

Ij Cf. le rite du déchaussement et du crachat, dont l'arabe ,j~^ , avec son double sens
de « engendrer » et « dépouiller » a conservé peut-être quelque vague réminiscence.
(2) Peut-être même convient-il de tenir un certain compte de cette habitude pour
expliquer, dans d'autres milieux sémitiques, lechoix de tel ou tel nom, venant interrompre
la généalogie papponymique si fréquente.
Rien, en général, dans les noms d'hommes ne vient nous révéler qu'ils peuvent appar-
tenir à la catégorie de ceux dont le choix est dû à cette convention familiale. Peut-être
pourrait-on, cependant, en trouver quelques traces dans l'usage assez fréquent des
doubles noms en palmyrénien, voire en nabatéen, sans parler du monde grec. A ce point
de vue, je noterai en passant un nom palmyrénien qui serait assez suggestif :

hl'TJ yi Nipn"C n
Ny;j 12 S2"i-\ Yedrbel, ftls de Nesa, qui est appelé Fils-de-
'Abdibel (Vog, n' 123, a I). Seulement la question est de savoir à qui, dans cette généa-
logie, qui a trois degrés, se rapporte celte indication de filiation conventionnelle et s'il ne
s'agit pas d'un cas d'adoption ordinaire, sans motif de lévirat.

REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 27


418 REVUE BIBLIQUE.

c'est une fille. C'est ce dernier cas qui se produit; d'où notre Bat-
Zabbaï, autrement dit la reine Zénobie, laquelle se trouverait ainsi,
au regard de la conception paradoxale du lévirat, avoir en quelque
sorte deux pères Zabbai, son père théorique, et Antiochm, son
:

père selon la chair —


on pourrait dire un pater et un parens. Qui sait
si ce n'est pas justement en raison de'^ètte doiiBle filiation que
l'auteur de V Histoire Auguste, ou la source à laquelle il a puisé son
renseignement, voulant désigner le père de Zénobie, s'est servi — de
préférence au mot pater — du mot parens qui, en Fespèce, garde
toute sa force étymologique?
Resterait encore à rechercher l'origine du nom et surnom hellé-
nique romain de la reine de Palmyre qui s'appelait proprement
et :

Septimia Zenobia en latin, ^z--vj.iy. 7.r;iz'y.y. en grec, Septimia Bat-


Zabbaï en palmyrénien.
Son surnom de Septimia la rattachait à quelqu'une des grandes
familles de Palmyre où ce gentilice de Septimius éiait très en hon-
neur, comme on le voit par les inscriptions. Il pouvaii lui venir par
son ascendance, soit paternelle (à deux branches Zabbai, ou Antio- :

chus), soit maternelle (mère inconnue); ou bien tout bonnement du


fait de son mariage avec Sefjtimius Odeinat.

Quant à l'originede son surnom de Zr^-tzHy.. plusieurs conjectures


se présentent à l'esprit : peut-être le choix est-il dû à un simple, rap-
port d'assonance, très superficiel du reste (1), avec le nom sémitique
de Bat-Zabbaï? peut être, au contraire, était-il destiné à rappeler
cêlïïî de sa mère, que nous ignorons? peut-être enfin était-il issu du

surnom masculin Zry-A'.zc, lequel aurait pu être porté par l'un de ses
«deux pères », Antiochus, ou Zabbaï? Dans cette dernière hypothèse,
et en optant pour la seconde alternative, on pourrait supposer par
exemple que son père (théorique) s'appelait Ze«oôzo!»Z«ôè«L L'épigra-
phie de Palmyre mentionne plusieurs personnages ayant porté ce nom
hellénique de ZénobiQS (2) dans trois d'entre elles, qui sont bilingues,
;

et d'époques différentes (162, 212, 233 J.-C), il est à noter que


Zr,v;6'.ic est l'équivalent de n-'zt Zebidn. Cette constance est un fait

assez frappant. Or, d'autre part, l'on sait que le nom palmyrénien

(1) Les équivalents onomastiques gTéco-sémitiques nous offrent nombre d'autres exemples
de ce genre qui, pour être basés sur des assonances aussi superficielles, quelquefois davnn-
tage, n'en sont pas moins certains.
(2j W. n"' 2571 b (= Vog. 123 a, m): 2571 c; 2617 (lectures rectifiées R.E.S., n" 2153);

2619 (= Vog. 65; famille juive).


Au n* 2598 (Vog. 65) Je nom de Zénobios correspond au palmyrénien >s'^72", nom Ihéc-
phore tiré toujours de la même racine "2", tout comme les noms congénères Zabbai.
Zebida, Zabidà et autres.
.

MELANGES. 419

de Zahbaï n'est autre chose qu'une forme apocopée et hypocoristique


de Zebida. Voilà qui serait assez en Taveur de l'iiypothèse que le

père tiiebrique de Zénolîie avait dû s'appeler Zénobios Zabbaï. Nous


serions ainsi ramenés, par un curieux détour, à la conjecture de
Waddington qui, très arbitrairement, voulait introduire, avec von
Sallet, généalogie de Zénobie un Zénobius qui aurait été le
dans la

père réel de celle-ci. Seulement ce Zénobius ne serait pas le père,


mais l'oncle de la reine, et, en tout cas, il n'aurait rien de commun
avec le Zénobius de l'inscription n" 2598 visée par von Sallet et

Clermo^t-Gaxnea i

V.-S. — Ce double jeu des Palmyrénieus vis-à-vis des Perses Romaios dont
et des
j'ai parlé plus haut (pp. .3S4, .3851, n'était pas nouveau. Il un pas-
faut lire à ce sujet
sage d'Appien [Gxterres civiles v, 9; qui contient en outre d'intéressants détails sur un
épisode auquel on n'a pas jusqu'ici prêté grande attention et qui nous fait remon-
ter à une assez haute époque de l'histoire de Palrayre. Vers l'an 41 avant J.-C,
Antoine avait envoyé un raid de cavalerie pour attaquer et piller Palmyre, ville
située non loin de l'Euphrate, sous prétexte que les Palmyréniens, étant limitrophes
des Romains et des Parthes, louvoyaient politiquement entre les deux partis.
C'étaient, en etlet, ajoute-t-il, des négociants,
important de Perse chez les Romains
les produits indiens et arabes. Du reste, le résultat de ce coup de main fut un fiasco

complet, les Palmyrénieus ayant, à la première alerte, évacué leur ville et mis leurs
richesses en lieu sûr de fautre côté de l'Euphrate, prêts à défendre le passage du
fleuve avec leurs archers, arme où ils excellent, dit Appien. Le raid romain avant
trouvé la ville vide, s'en revint bredouille et sans coup férir.
RECENSIONS

Les Mystères païens et le Mystère chrétien, par Alfred LoiSY ;


iu-8'* de
368 p. Paris, 1919.

Ce livre avait paru tout entier dans la Revue d'histoire et de littérature religieuse;

il était donc imprimé, sauf la conclusion, au 1" août 1914. L'auteur a noté qu'il
se « trouve ainsi naître vieux de cinq ans ». Ce n'est point un grave inconvénient
car il est peu vraisemblable que le sujet ait été renouvelé pendant la guerre. Peut-
être cependant la pensée de M. Loisy a-t-elle évolué depuis, son opinion sur Jésus-
Christ étant de moins en moins flatteuse. Dans le livre sur les mystères, Jésus
appartient à « la catégorie des prophètes » (p. 208;. Dans La Religion (1917) :

((L'un de ces personnages messianiques, — on nhésite pas d'ordinaire à qualifier


les autres d'aventuriers ou d'illuminés, — fut Jésus le >'azaréen » i^p. 13-5). Mais de
toute façon la personne adorable du Sauveur est ici tout à fait dans l'ombre. L'auteur
suppose établi par ses études précédentes et rappelle brièvement que l'Évangile de
Jésus n'était point un mystère. C'est après lui que sa prédication s'estmuée en une
religion de mystère. Ce que M. XoTsy veut prouver, car il a écrit pour prouver
quelque chose, c'est que le mystère chrétien, « s'il n'a rien copié, rien emprunté
littéralement, s'est essentiellement conformé aux mystères (païens) tout en les dépas-
sant. » (P. 363.) C"est le dernier mot du livre.
Il y a là, on le voit, un souci de la nuance, et l'on aurait tort de prendre M. Loisy
pour un de ces critiques — peu critiques — qui voient partout dans le christianisme
des emprunts conscients ou délibérés aux mystères. Il a même bien voulu dire qu'il
les a dépassés. Il ne serait plus l'écrivain aux distinctions délicates, l'historien
pénétrant des idées, s'il n'avait multiplié les formules propres à défendre sa thèse
contre les attaques qui n'en verraient qu'un aspect.
Si M. Clemen objecte à l'école religionsgeschichtiicli que le christianisme est plutôt
une religion d'anti-mystère qu'une rehgion de mystère, il oublie que cette opposi- ((

tion même implique une influence » p. 362, note 1\ M. Loisy, lui, n'ignore pas que
d'après saint Paul les doctrines des mystères sont des doctrines des démons. Quel mal
y a-t-il à reconnaître que Paul a prétendu les vaincre en opposant mystère à mystères
(p. 258 s.) ? « L'Apôtre compare sa (( sagesse » à celle du monde et à celle des
princes ou dieux de ce monde pour en marquer la transcendance; mais cette com-
paraison même témoigne que Paul conçoit sa doctrine comme une philosophie
supérieure à celle des philosophes, comme une théologie supérieure à celle des cultes
païens ». (p. 3.56 note 3). Pourquoi voudrait-on que Paul ait tout ignoré des
mystères? '

xNous avons tenu à citer ces innocentes formules pour montrer que nous sommes dis-

posé à en tenir compte. Pourquoi faut-il que d'autres rendent un son sensiblement dif-
RECENSIONS. i21

férent? Si Ton va au fond des choses, la thèse est celle-ci : « L'idée fondamentale
des mystères » est « celle d'une mort divine dont la vertu salutaire s'étend à tous les
hommes de tous les temps » (p. 351). Et d'autre part : « Jésus lui-mèoie n'avait
pas spéculé sur sa propre mort, encore saint Paul qui a transformé cet
et c'est

événement réel, naturel et humain, en mythe de salut » ^^p. 19;. Or il l'a fait sous
l'influence des mystères païens. Paul « considère d'abord, et principalement, la vertu
mvstique inhérente à être divino-humain qui se trouve par la condition de
la mort d'un
sa double nature, de son caractère typique,
et à raison caractère purement mytholo- —
gique, —
en état d'eutraîner avec lui dans la mort le péché de l'humanité, et
d'élever avec lui dans la gloire l'humanité ainsi rachetée. C'est le mythe païen —
du dieu immolé, comme il se rencontre dans les mystères de Dionysos » p. 248).
Donc « Inconsciemment 1 , sur toute la ligne, il transpose l'évangile parallèlement
aux mystères » (p. 2.59). Il veut faire mieux, c'est entendu, mais l'idée ne lui serait

pas venue de voir dans la mort de Jésus le salut du monde, si ce neût été déjà

l'idéefondamentale des mystères. C'est ainsi que doivent s'entendre les formules ano-
dines, et que l'opposition implique une influence. La thèse est donc suffisamment nette.
Et ce point est d'une telle importance, que tout le reste en découle. En possession du
mythe chrétien du salut. Paul pouvait se passer des mystères pour transposer tout
Les sacrements de l'initiation' chrétienne, baptême et eucharistie, sont en
le reste. «

parfaiteharmonie avec la doctrine du salut par la foi au Christ mort et ressuscité;


ils en sont l'expression normale et naturelle, si l'on peut dire. Ces rites sont la forme

qui convient à ce mythe et qu'il réclame » p. 296 Paul aurait donc pu les . —
déduire, et nous avons le droit de nous attacher d'abord seulement au principe, pour
en apprécier la valeur.

La tradition chrétienne explique les choses d'une façon très simple. Jésus a eu
la claire vue de sa destinée. Il ne devait parvenir à la gloire qu'en acceptant les
souffrances et la mort, afin d'expier.
On lui refuse même un que cette
pressentiment? Toujours est-il qu'il est mort et

mort, après qu'il eut été ressuscité, demeurés


ne pouvait s'expliquer pour des Juifs,

ses disciples, que comme un dessein de Dieu, acceptant cette mort pour le salut
des hommes. Cette pensée s'imposait si Jésus était le Messie, mort et ressuscité*
Paul en a déduit les conséquences avec plus de pénétration qu'aucun apôtre. En
ce raisonnement rien d'obscur, rien assurément qui dépasse les vraisemblances de
l'histoire. Le Messie d'Israël étaiten situation d'expier pour tout Israël. Mais le
monde? Si Paul avait dû se procurer au dehors l'idée d'un Sauveur du monde,
il n'avait pas à interroger les mystères. Cette donnée était courante, on peut dire
officielle Fallait-il que les mystères suggérassent
en Asie. l'idée d'un dieu soufl"rant
et mourant? Mais, d'après M. Loisy, Paul ne croyait pas à la divinité du Sauveur;
il lui a suffi pour créer son système théologique d'un homme céleste. Comme nous
n'admettons pas ce point et que M. Loisy parle d'un être divino-humain, demandons-
nous quelle impression pouvait faire sur sa pensée la conception d'un dieu des mystères
souffrant, mourant et ressuscité, à supposer que cette conception eût été clairement

(Il M. Loisy ne pouvait prétendre <Hre fi\é sur ce que Paul a lait plus ou moins consciem-
ment. Il nous laisse le choix. P. -234 Car, bien évidemment, sans qu'il en ait conscience, il a
:

quitté le terrain du judaïsme. > Et page suivante : « Mais il ne se trompe pas en disant qu'il a
renié la tradition juive. »
422 REVUE BIBLIOUE.

perçue et fermement enseignée. Tout autre serait Fliypothèse d'un ade[ite des
mvstères auquel on proposerait la foi en Jésus, nous y reviendrùns. Pour le moment
nous parlons de Paul, juif ?wonothéiste. Est-il disposé sans plus à recevoir cette
notion étrange pour lui, ou pour mieux dire abominable, et comme M. Luisy l'a
reconnu, une sagesse de démons? Pourquoi ne pas se contenter de son homme
céleste, sauveur du monde, ou même d'un homme prédestiné, exceptionnellement
saint et agréable à Dieu? S'il a adoré Jésus comme Fils de Dieu, c'est parce que
cette croyance s'est imposée à lui. comme il le dit, d'ailleurs, par une révélation
directe.Loin que l'idéal des mystères ait facilité cette cro}'ance. il était plutôt fait
pour l'ancrer dans son pur monothéisme. Il a dû croire au Fils de Dieu souffrant
malgré les mvstères, et non pas à cause des mystères.

Une des bonnes réflexions de 'SI. Loisy. c'est que le christianisme n'est pas «un
agrégat ou un résidu de vieux mythes orientaux... qui. à un moment donné, oa
ne pourquoi ni comment, se seraient coagulés dans le mythe du Christ »
sait trop

(p. 388). Les religions vivent dans les hommes » (p. 359;. A la bonne heure-,
«

voilà un sentiment bien français des réalités et des causes, au lieu de l'agitation
d'abstractions qui s'attirent ou se repoussent dans le vide. Mais alors voyons Paul
comme il est. Est-ce un helléniste, comme dit M. Loisy? Par la culture de l'esprit,
sans doute, mais on sait qu'une haute culture littéraire peut se concilier avec une
intransigeance absolue, et lui nous a dit que c'était d'abord son cas. Pourquoi faut-
il qu'on soit toujours obligé de donner un démenti à ses plus nettes affirmations,

de faire de cet homme de génie un inconscient? Son christianisme serait, « une


adaptation des mvstères, — des éléments essentiels sur lesquels se fondait l'écnno-
mie du salut dans les mystères païens — au monothéisme juif! » (P. 355.; Avancer
cela de Paul a paru, à M. Loisy lui-même, tellement incroyable, qu'il nous dit
ailleurs : « Ce ne fut pourtant pas l'oeuvre d'un jour, ni d'un homme, ni même d'une
génération de croyants, pas plus que ce ne fut le but conscient d'une ou de plu-
sieurs volontés réfléchies » CP- 349). —
Mais que vaut cette réserve, si elle n'est
une rechute dans le système des idées qui se combinent ti)utes seules, des grands
événements qui n'ont point de cause ? éans son livre, M. Loisy n'a guère mis en
scène que Paul, et dans La UeUgion. c'est Paul qui bientôt définira l'économie du
nouveau mystère « Le Christ, être céleste, prototype de l'humanité spirituelle et
:

immortelle, est venu d'en haut racheter par sa mort la postérité d'Adam, l'homme
terrestre, prototype de l'humanité charnelle et pécheresse; il suffit de croire en lui

pour être sauvé. Tel est le mythe chrétien du salut. » (P. 136.)
Or, ce « mythe », disons-le encore une fois, n'avait nullement besoin des mys-
tères. D'une part ils n'ont pas l'idée de l'homme céleste 1}, et d'autre part la
divinité souffrante eût été pour lui. comme pour nous, quelque chose d'inintel-
ligible. Il a conçu le Filsmourant dans la chair.
de Dieu souffrant et

Si donc on isole parle raisonnement la thèse centrale de M. Loisy. dépendance



quelconque —
de Paul par rapport aux mystères païens pour la conception du
salut, conception d'oii tout le reste découle comme un organisme parfaitement lié,
elle se présente à l'esprit comme une hypothèse à tout le moins inutile, et souve-

rainement invraisemblable. Tant que Jésus ne s'était pas imposé à Paul comme
une personnalité céleste, lui demeurait le rigide Pharisien qu'il déclare avoir été.
Cette conviction une fois acquise, le souci du monothéisme lui interdisait de regarder
vers les mystères, dont les dieux souffrants étaient pour tous les penseurs une

;i} C'est dans les écrits liennétiques que Ueitzenstein est allé la chercher.
RECENSIONS. 423

aberriitiou du sentiment religieux; pour les Juifs, des démons. S'il a connu les
mystères et s'ils ont enseigné ce que l'on prétend, son premier soin a dû être de ne

pas tomber dans cet abime, dV échapper à tout prix, de chercher autre chose. Si
c'est ce que l'on nomme linfluence impliquée dans l'opposition, on peut l'entendre.
Mais évidemment ce n'est pas ce que prétend M. Loisy. Il ne lui convient pas
de réduire sa thèse à un seul point. Les rites chrétiens eussent pu découler du
mythe chrétien. Mais ils ont des analogies avec les rites païens. « Mythes et rites

se conditionnent réciproquement. Et le mythe et les rites, en tant que m\the et que


rites de mystère, ont la même origine » 'fi.
1290} •
et ce n'est ni la tradition propre
d'Israël, ni la tradition de l'évangile pu enseigner à Paul que le chrétien
« qui ont
mourait avec le Christ qu'il communiait réellement dans
dans le baptême,...
l'eucharistie à ce même Christ mort et ressuscité », etc. P. 296.' Ce sont donc, les
rites chrétiens eux aussi qui ont été influencés par les rites des mystères. Quoique

rieni n'ait été « emprunté ». tout est analogue, tout est transposé. Et c'est en cela

que consiste le danger de ces deux tableaux combinés pour faire un diptyque. On
choisit dans les mystères ce qui est plus où moins analogue, dans le christianisme,
ce qui se prête à une comparaison, fût-ce par transcendance. Mais cette trans-
cendance n'empêchera pas de conclure que le christianisme est un mystère comme
les autres, et qui doit beaucoup à ses aines. Puis, à l'occasion, les mystères repré-
sentent même tout l'hellénisme. Nous ne saurions pourtant pas prouver « que le

christianisme ait grandi sans rien devoir au milieu hellénistique où il a pris nais-
sance » (p. 3G2), et en effet, nous n'y songeons pas.

Il faut donc en venir à l'examen du détail, et ce détail serait infini. Les mystères
examinés sont ceux de Dionysos et d'Orphée, d'Eleusis, de Cybèle et d'Attis, d'Isis
et d'Osiris, de ]\Iithra. Le mystère chrétien est l'évangile de Paul, complètement
distinct de l'évangile de Jésus et de la croyance de la première communauté;
viennent ensuite l'initiation chrétienne, la conversion de Paul et la naissance du
christianisme.
Du mystère chrétien, nous dirons peu de choses pour ne pas entrer dans une
discussion exégétique. Il faut bien cependant constater le scepticisme extrême de
l'auteur, contrastant avec la complaisance crédule qu'il a pour ses hypothèses. Il

sufUt que Paul ait parlé de l'institution de l'Eucharistie en homme sérieux pour
ruiner tout le nouveau système. Alors : a L'effort de l'exégèse théologique pour
sauver l'historicité du récit de Paul et l'indépendance de la tradition synoptique
à son égard en ce qui concerne les paroles : « Ceci est mon corps », « Ceci est mon
sang )), paraît tout à fait vain. Les prétendues paroles de l'institution eucharistique
n'ont de sens que dans la théologie de Paul, que Jésus n'a point enseignée et dans
l'économie du mystère clirétien que Jésus n'a point instituée >' p. 284 . Pourtant
c'est toute la question. Elle est tranchée d'avance. Remarquez qu'en somme, à
supposer que les synoptiques aient dépendu de Paul, — ce qui n'est pas — il

resterait Paul, ce qu'il enseigne aux fidèles, son arïïfmation du fait, et cette autre
affirmation que sa doctrine à lui_repose sur les paroles de Jésus. Cette double
affirmation est non avenue. P^nJ i.'.esL imaginé tenir de Jésus-Christ ce qui lui a été
suggéré par la sagesse des mystères, enseignée par les démons!
Mais enfin, est-il vrai que « l'idée fondamentale des mystères » soit « celle d'une
morflîîvîîié doiït la vertu salutaire s'étend à tous les hommes de tous les temps » ?
424 REVUE BIBLIQUE.

(P. 351,) D'ordinaire on exclut Mithra, le__;/ei<s Invidus, qui ne fait pas du tout
figure d'un dieu souffrant et mourant. Les deux déesses d'Eleusis, Déméter et

Perséphone. étaient trop authentiquement grecques pour mourir. Attis a dû souffrir


beaucoup, mais sa mort n'était utile à personne. On nous permettra de renvoyer
•jree'qùe nous avons dit ici même d'Eleusis et d'Attis 1 Restent les mystères de .

DiOTivsos avec Orphée, et d'Isis avec Osiris. Sur Mithra de quelques lignes. il suffira

M. Loisyrésumé en peu de mots ce qu'il prétend comparer au christianisme


a

dans les mystères de Dionysos « Ce rite essentiel est le démembrement d'une


:

victime vivante, incarnation du dieu, dont les rayâtes, en proie à leur enthousiasme
délirant, mangent la chair crue et palpitante ainsi avaient fait les Titans pour :

l'enfant divin Zagreus, qui était ressuscité en Dionysos: le dieu mourait encore
mystiquement dans la victime pour revivre dans le myste et faire part à celui-ci de
son immortalité ». (P. 16.)

Et en effet, les mystères de Dionysos-Bacchos-Zagreus, tels qu'ils étaient compris


par les Orphiques, sont bien ceux qui conviennent le mieu.x pour une comparaison
^èclè'^cîiristianisme. Nous y trouvons les souffrances, la passion le mot a été —
prononcé en grec '2' —
d'un être divin, sa mort et sa renaissance sous une autre
forme divine. On ajoute que cette passion a été utile au monde, et qu'elle est renou-
velée dans un sacrifice qui permet aux initiés de se nourrir du dieu et d'arriver
ainsi à l'immortalité. Que faut-il de plus pour conclure à une influence du mystère
"su'rla religion de Jésus?
Il faut cependant voir les choses de plus près.
Je ne conteste pas à M. Loisy que le Dionysos des Grecs soit venu de Thrace, où
il était Sabazios, comme Rohde ;3, semble l'avoir établi, ni qu'il ait été d'abord un
diea^âmriial,' comme a peosé M. Reinach [àk Cela posé, MM. Reinach et Loisy ont
encore vu juste en rejetant l'explication stoïcienne d'un culte relatif à la végétation.
On sait maintenant que les clans primitifs se proposaient dans leurs rites religieux

d'exercer un certain empire sur les espèces animales, et précisément, peut-on croire,
en Immolant un individu de Tespèce afin de s'emparer de son esprit, pour exercer
sur elle une influence. Mais on ne peut guère dire plus, et M. Reiuach me paraît
trop affirmitif lorsqu'il recourt tout droit à l'interprétation que M. Robertson Smith
a donnée du sacrifice « En dévorant tout cru le jeune taureau ou le chevreau, en
:

buvant son sang chaud, en se repaissant de ses viscères, l'ancêtre des Grecs croyait
dévorer la divinité elle-même, se sanctifier et se fortifier en s'assimilant cette vie
mystérieuse » 'p. 2.5.5). On peut objecter en effet que le mj'the de Dionysos a eu
deux formes 'b) ; l'une d'elles ne comportant pas la manducation ; et, de toute
manière, c'est le démembrement qui est le thème priocipal. De plus, si le fidèle

voulait s'assimiler la vie divine, ne fallait-il pas avant tout manger le cœur, qui
restait intact, et, s'il voulait plaire à son dieu, s'unir à lui, pourquoi le masque de
son ou de plâtre dont on se couvrait le visage (6) ? Lobeck îl] n'a vu là qu'un

(1) HB., liUit. \-,l ss.; 419 ss.


,2) Palsamas, I, vi, 32, texte important pour tout ce qui va suivre ; « Onomacrite (contemporain

de Pisistrate) ayant emprunté à Homère le nom des Titans, institua des orgies en l'iionneur de
Dionysos et ût les Titans auteurs des souffrances qu'il avait endurées xw Atovûcto ttôv itaÔYiixiTwv :

È7:<iir,'7£v avTo-jpvoùç. Le singulier seulement dans Pliotius, par assimilation à la Passion.

3 Psyché, 2' éd. Il, 1 ss.


(4 La mort d'Orphée, Rev. archéoL, 1902, xli, p. 212 ss.
(o ROHDE, p. -132, n. J.
(fi) NoNSLS, Dionys., xvii, 204.
[1) Aglaoph., p. tioi.
RECENSIONS. 425

instiacl populaire de mascarade, mais cette explication trop rationaliste n'agrée

sans doute pas à M. Reinach. Il admettra plus volontiers que le meurtrier du dieu
avait conscience de commettre un crime, et ne voulait pas être connu de lui. De
soa côté, M. Loisy n'est guère autorisé à comparer le rite grec aux rites secrets

des initiations chez les sauvages, car le sacrifice du taureau et la manducation

de la chair crue n'ont point été chez les Grecs des rites secrets. Mais nous n'insis-
tons pas, parce que ces hautes origines ne sont pas de notre sujet. On admettra
donc, si l'on veut, que le ûdèle antique voulant se rapprocher de son dieu, ce
qui est le but mèms de la religion, a jugé que le meilleur moyen était de le con-

sommer.
Lé rite se perpétua, mais les idées changèrent. C'est ce que M. Reinach a très bien
compris. Après la phrase citée il ajoute « Les Grecs civilisés ne comprenaient plus
:

cela. Ils constataient des survivances de ces usages, soit dans les rites, soit dans les

traditions, et ils les expliquaient rationnellement, avec leurs idées d'hommes dégagés
de la barbarie, qui ne croyaient plus à la divinité des animaux et qui, tout en conti-
nuant à en sacrifier, les distinguaient des dieux auxquels ils les offraient surjes
autels » p. 2-55;. Il faudrait copier ces ligues en rouge. C'est une rubrique précieuse
qui gouverne toute la situation.
En effet, le dieu taureau — ou chevreau — est devenu Dionysos, une des plus
brillantes créations du génie poétique et artistique de la Grèce. Non qu'il soit son
image parfaite, comme Apollon, dont l'intelligence est calme et sensée. Dionysos-
Bacchos a gardé quelque chose de l'enthousiasme irraisonné, de la fureur religieuse
des Thraces, mais enfin c'est un grand dieu que la Grèce a adopté. Dès lors c'est
lui qui dévore les chairs du chevreau. Son rôle de victime est désormais rempli par

Penihée qui succombe sous les coups des Bacchantes, par Orphée, déchiré par les
Ménades. Un dieu ne saurait mourir. Ce Dionysos est celui des Bacchantes d'Euri-
pide, et nous n'aurions plus à nous occuper de lui comme dieu immolé, s'il ne
s'était fondu avec Zagreus.
M. Loisy ne semble pas s"être préoccupé des différences si marquées entre le

jeûné^ét chantant Dionysos-Bacchos, dieu du vin et des transports religieux, et


Zagreus, le chasseur infernal, dieu des régions inférieures, fils de Perséphone.
Lobeck (p. 693) avait déjà vu juste en comparant Zagreus à Osiris, et c'était d'ail-
leurs ce qu'Hérodote avait vu
et bien vu, en assimilant Osiris à Dionysos (1).
Zagreus sûrement originaire de Crète, où Osiris avait abordé. S^lj^est confondu
est

avec Dionysos, c'est probablement à une époque oij ce dernier était encore regardé
comme un dieu déchiré et dépecé. C'était précisément le cas d'Osiris. 11 était trop

nofoire, appuyé sur l'autorité des Ej:yptiens, pour que les Grecs pussent refuser de
l'admettre, et c'est ainsi que. en dépit de leur parti pris d'unir les concepts de divin
et d'immortel, ils acceptèrent la passion et mort d'un dieu très authentique, d'un
la

dieu auquel Zeus son père avait promis l'empire du monde, et qui, tout enfant
jouait déjà avec la foudre. D'après le texte déjà cité de Pausanias, ce fut Onomacrite,
un contemporain de Pisistrate, qui accusa les Titans du meurtre de Zagreus-Dio-
nysos. Il est probable que dès lors le mythe fut fixé dans ses lignes générales. Zagreus,
fils de Zeus et de sa fille Perséphone, étant encore enfant, fut trompé par les Titans
qui le séduisirent en lui offrant les jouets de son âge, des balles, des toupies,etc
Le jeune dieu essaya de se dérober à leurs coups en prenant des formes diverses. Il
était devenu taureau quand les Titans le tuèrent. Ils le dépecèrent et le mangèrent.
420 REVUE BIBLIQUE.

et, d'après Cléinent d'Alexandrie, après Tavoir fait cuire (1). Le cœur leur échappa,
qui fut recueilli par sa sœur Athéné. Zeus le dévora et c'est pourquoi Zagreus put
renaître en Dionysos, fils de Zeus et de Séraélé, le Dionjsos thébain. Ce mythe,
tout en conservant la notion essentielle du meurtre du dieu, expliquait comment le

principe divin s'était transformé sans disparaître. D'autres récits ne parlaient pas du
repas affreux des Titans. Selon les uns, Apollon avait été chargé par Zeus de
raccommoder le corps de Zagreus et de l'ensevelir à Delphes (2). Selon Diodore (3^ ^

une fois raccommodé il avait repris une nouvelle naissance. C'est la coaclusioa
naturelle du mythe pour ceux qui y voyaient le symbole de la renaissance de la
végétation, en l'espèce de la vigne.
Tel était donc le mjthe, forgé, nous radmettons très volontiers, pour expliquer
le Tlte. IMais cette religion eut la fortune singulière de posséder une doctrine à
tendances philosophiqlies. Les mystères de Dionysos furent le foyer de l'Orphisme.
Est-ce à dire que l'Orphisme s'en est dégagé naturellement, ou bien des théosophes
y ont-ils fait pénétrer des doctrines étrangères? La seconde hypothèse est la plus
vraisemblable, si l'on considère à quel point l'Orphisme, apparenté à la doctrine
attribuée à Pythagore. est en opposition avec le mouvement spontané du génie
grecTDe toute façon, c'est l'Orphisme qui a donné une valeur religieuse hors pair
aux mystères de Dionysos, ce sont ses doctrines qui ont donné à penser aux chré-
tiens qu'Orpheus pouvait en quelque manière figurer le Sauveur.
Rien de plus confus que l'orphisme si l'on cherche à débrouiller sa cosmogonie.
Mais sa doctrine religieuse essentielle est suffisamment claire. Ou a révoqué en
doute son influence. Assurément, il ne formait pas une église une. Mais ses groupe-
ments, ses thlases, étaient nombreux. La découverte de lamelles à inscriptions
déposées dans des tombeaux en Crète, au sud de l'Italie, à Rome, peut-être, prouve
que la doctrine essentielle du salut était partout la même (-1). Ce sont ces docu-
ments du iv^ siècle av. J.-C. au ii^ siècle après notre ère qu'il faut étudier, plutôt
que les spéculations des néo-platoniciens du v« et du vi*^ siècle pour apprécier
la valeur et le sens religieux de l'orphisme dionysiaque, sur le point qui nous
importe le plus. Il enseignait une faute primordiale qui ne peut être que le meurtre
de Zagreus, commis par les Titans. Foudroyés, les Titans avaient disparu, mais
d'eux étaient nés les hommes, qui portaient la responsabilité de la faute originelle.
Renaissants en passant par des formes diverses, selon la doctrine de la métempsy-
cose, les hommes pouvaient être affranchis de ces vicissitudes en menant la vie
orphique. Alors ils espéraient se présenter à Perséphone, devenir des dieux et jouir
du bonheur. La vie orphique comprenait surtout une série de purifications qui
étaient en mêmetemps des délivrances il fallait éviter tout ce qui touche à la vie
:

et à la mort pour se préserver de la nécessité de renaître pour mourir, de mourir


pour renaître, se préserver de tout contact avec l'enfant qui naît comme avec le

mort qu'on dépose au tombeau, ne pas goûter de viandes, ni de rien de ce qui a eu


vie, porter des habits blancs, symboles de pureté ;.5). Tout cela en vue du salut
de l'ame, dépouillée enfin de ses éléments terrestres et purifiée de ses fautes.
11 m'a paru indispensable de tracer ces grandes lignes avaut de discuter les

(1) Protiept., Il, p -14, éd. SUUilia.


(-2) Clém., Prot., 1.1.

(3) m, 62, C.
(4; Commodément groupées et commentées dAns Lamellae aureae ovphicae, edidit. conimen-
tario instriixit Alexander Oi.imeri, Bonn, 1!)15.

(5) Euripide, Fragm., 47-2.

1
RECENSIONS. 427

positions prises par M. Loisy sur le caractère de la passion de Dionysos, sa préten-


due résurrection, l'union au dieu par la manducation de sa chair. Rappelons que.
d'après M. Loisy, «l'idée fondamentale des mystères » c'est «celle d'une mort divine
dont la vertu salutaire s'étend à tous les hommes de tous les temps » p. 351}.
Spécialement « la théologie orphique a déduit de cette union mystique son idée de
l'àme éternelle, divine, échappée du premier sacrifice typique, à savoir le sacrifice
de Zeus immolé par les Titans, sacrifice dont les autres sont un mémorial qui en
perpétue et en parachève l'elficacité » p. 45 n. 1;. Je crains que celte t Uég logie
orphique ne soit une création de i\L Loisy. une conibinaison entre l'idée du sacrifice
du taureau ou du chevreau chez les primitifs, ivec la mort de Zagreus retenue par
les orphiques!" Ou bien c'est simplement une projection de la messe chrétienne.
Que la mort de Zagrêiis Orphiques comme un sacrifice utile
ait été'eonçiie par les

au monde, renouvelé par pour assurer leur salut, je ne le trouve dans


les initiés

aucun texte (!}. Bien plus, cette notion serait en contradiction avec la conception
bien authentique d'un crime commis. LlassQciatian des deux idéçs a paru toute
simple à M. Loisy. C'est bien le cas de la passion du Christ. Mais les anciens n'y ont
pas songé. La passion du Christ répare les péchés et les efface, mais elle n'est pas
le péché originel. Pour le dire dans le style religionsgeschichtlic/i M. Loisy confond .

ici le rédemption. Les Titans ont été foudroyés pour leur crime,
péché originel et la

et les hommes, héritiers des Titans, portent une partie de la peine. La mort du dieu

n'est pas le remède, elle est la souillure, purement et simplement. Elle n'a servi
à personne. Ce n'est point une mort expiatoire, puisque c'est le premier péché
antérieur à la naissance du genre humain, du moins d'après les Orphiques. Aussi
bien le pauvTC petit Zagreus a tout fait pour y échapper; il n'a rien d'une victime
volontaire.
Et il n'est pas vrai de dire comme on le fait d'ordinaire si étourdiment, qu'il ait été

ressuscité. Pour l'Orphisme, M. Loisy l'a très bien dit : « L'orphisme, qui conçoit le

salut comme une libération de l'âme enfermée dans la chair, ignore la résurrection
du corps. » (p. 47 s.). Alors pourquoi dire que l'enfant divin Zagreus était ressuscité
en Dionysos (p. 16), que la réserve du cœur était « coordonnée à la résurrection
du dieu » (p. 33)? Il est trop évident ici que le terme est impropre, mais dans un
autre contexte il rendra plus aisé le rapprochement avec le Christ. Un Juif admet-
tait que la puissance de Dieu pouvait rendre la vie à des ossements desséchés,

mais l'idée du cœur avalé, pour permettre à Zeus d'engendrer de nouveau Dionysos,
dieu comme lui, aurait paru grotesque au plus simple des circoiïcis. On dira peut-
être avec M. Monceaux que la résurrection se place dans cette autre forme du mythe
où Apollon ensevelit Zagreus : « autour de ce cœur se développa une vie nouvelle,
et Zagreus ressuscita (2). » Où a-t-on trouvé cette jolie chose? 11 serait bon de le
savoir. Mais au fait l'endroit n'est pas difficile à désigner, il n'est pas dans Diodore,
car, conformément aux idées païennes, il parle seulement d'une nouvelle naissance,
encore qu'il ne s'explique pas sur le procédé (3K Mais que Dionysos soit ressuscité

et qu'il soit monté au ciel, c'est dit clairement... dans saint Justin 4 . Tout est b

,1) Et notez que M. Loisy, redevenu critique très sévère, estime que « pas plus que Paul ceUe
Kpitre [aux Hébreux] ne présente l'eucharistie comme un sacriûce » (p. 3S1, note \,.

(-2) Art. Orphlci .Saglio;, p. a.'iO.

(3) DiOD., III, G2, 6 : Jia/.'.v ô' \)~h Tr,; Ai^iiïitpo; xtôv [JisXwv a-jvapjXQirSc'vTwv, il àp^rj: viov

Yîvvr,6/ivat... et " : kç\}.o<sbvn!t ni'n'i i~l v'r^-i TcpoYsy£vr,[ji,évyiv ç-j(7'.v àTroxaÔtcrixaôai.

(4) Dial., LXix, 2... xxl oiadTtapayOÉvTa xal àïîoQavdvTa àvaoT/îvai, el; o-jpavôv -zs àvî)r,).-j6Jva'.

Xfjzoçiùyai. Cf. I Apol., xxi. -2; i.ix. 0,


428 REVUE BIBLIQUE.
noter ici, si méthode un peu rigoureuse. Le Dionysos est bien
l'on se soucie d'une
celui des Orphiques, le Zagreus déchiré par les Titans. Celui-là ne pouvait pas, ne
devait pas ressusciter; Origèae (I) en a un peu le sentiment et se sert de termes
vagues comme Diodore. Mais le bon Justin parle de Dionysos comme il parle du
Christ, II n'hésite pas à lui attribuer sa mort, sa résurrection et son ascension au
ciel. Voilà donc un cas bien clair où le dieu n'est ressuscité que dans l'imagination
d'un chrétien. C'est la foi chrétienne qui prête ses couleurs à l'Orphisme. M. Loisy
est trop avisé pour s'appuyer sur le texte de Justin. Mais, alors de quel droit peut-il
« dire de tous les initiés aux mystères ce que saint Paul dit des clirétiens, qu'ils
participent à la résurrection comme à la passion du dieu sauveur » (p. 17)? La.
passion de Zagreus — qui n'était pas ressuscité, mais né de nouveau en Dionysos —
était au contraire le principal obstacle au salut.
Cependant on allègue la manducation de l'animal vivant. « Les cendres des
Titans contenaient aussi la substance de l'être divin qu'ils avaient mangé; c'est
pourquoi une étincelle divine subsiste également dans les hommes » (p. 45). Naturel-
lement ils développeront ce divin en mangeant la chair crue du divin taureau; la
recette des Titans est toujours bonne.
C'est très bien déduit. Mais que l'étincelle divine nous vienne de Zagreus par
l'intermédiaire des Titans, c'est ce que je ne trouve pour ma part que dans Olym-
piodore, platonicien du vi« siècle, cité par Lobeck ^2), et Rohde (3) suppose seulement
qu'il a puisé à des documents orphiques (4). A. cette date au temps de — et déjà
Proclus, —
on discutait de la nature de l'homme, et l'on attribuait aux Titans ce
qu'il y a en nous de violent et d'emporté, à Dionysos le nous ou l'esprit f.5). Mais

les Titans avaient de qui tenir, étant ûls de Gê et d'Ouranos, de la terre donc et

du ciel, ce qui expliquait leur double nature et la nôtre. Dans les lamelles —
orphiques, l'âme se réclame de cette descendance, c'est pour cela qu'elle est
divine. Il n'est pas dit un mot de la manducation de Zagreus. Elle n'a rapporté
aux Titans que quelques coups de foudre. C'est même pour ce crime que l'homme
est assujetti à la mort.

seulement certain que les Orphiques aient pratiqué le rite du dépècement


Est-il

et de
manducation de la victime? Pour Rhode, c'est un problème, et s'il incline
la

dans ce sens, c'est à cause du dépècement d'Orphée par les Ménades (6). L'affirma-
tion de M. Loisy est très nette, mais non point prouvée : « Que l'omophagie ait été
un rite essentiel de l'initiation orphique, rien ne parait plus certain » (p. 46). Je
ne veux pas insister sur la répugnance des Orphiques pour toute nourriture qui
aurait été animée, à plus forte raison pour une nourriture pour ainsi dire encore
vivante. Peut-être croyaient-ils permis de faire rituellement ce qui était interdit
d'ordinaire. Mais on parlait ouvertement de l'omophagie, on la peignait sur les
vases, ce n'était point un sujet réservé, un rite de mystère, une initiation. Euripide,
il est vrai, en parle en même temps que de la vie orphique. Mais ce texte chante

(1) Contra
Cels., iv, 17. 'Apa oè où Koi'ku) taÛTa, xal iiâ.'/.'.nia. oit ov Ô£Ï rpduov voeiiai,
(7e[j.v6TepaçaveÎTat Aiovycou Ottô tcôv TitâvMv àTCatwfxÉvo-j xal IxntTTTOVTo; aTtô to-j A'.b; Ôpôvo-.'
xai ffTcapaiïCTOfxÉvoy ùu' a-j-rwv xal astà -raC/Ta uâXiv auvTiSîfifvo-j xxl otoveî àvaêiwixovTo; xaî
àvaêaîvovTo: eîç oOpavôv ;

(2) P. .S66.
(3) II, 119, note i.
'

(4) 5t;o les liommes nés des Titans sont pour cela ennemis des dieux.
Dio\ Chkys. or., XXX, :

(o) m Crat., p. par Lobeck, o6(i.


82, cité

(6) n, p. 118 Dass auch die orphischen ôpyta die Zerreissung des Stiers, nach altlhrakischem
:

Gebrauch, kannten, lasst sich vielleichl da'raus schliessen...


RECENSIONS. 429

aussi les mystères de Cybèle; on ne peut pas tirer argument de ce syncrétisme (t).
Mais s'il est très invraisemblable que Tomophagie ait été un rite orphique d'initiation,
toujours est-il qu'elle a été pratiquée daus la religion bacchique (2). Etait-ce dans
un but religieux? Assurément! mais était-ce pour se nourrir du dieu, ou comme
dit M. Reinach, étail-ce une théophagie?
Assurément non, dans le domaine de la religion hellénique. L'Euripide des Cretois
est aussi l'auteur des Bacchantes. Les Bacchantes déchirent les chevreaux pour faire
comme Bacchns qui est un mangeur de chair crue, un mangeur de taureau, oiuestis,

omadios, taurophagos, moschophaijos. Il ne saurait y avoir le moindre doute sur ce


point.
donc supposer que, par une sorte de régression, les confréries orphiques
Faut-il
ont incarné de nouveau Dionysos' dans le taureau ou dans le chevreau? Ce serait

contraire à tout le mouvement des idées qui a plutôt été dans le sens des abstractions
et des symboles. Ou bien les cercles dionysiens avaient-ils conservé, caché dans les
mystères, les grossières aspirations des primitifs? Mais si les rites peuvent être sta-
tionnaires, rien ne peut arrêter le développement des idées. Nous savons où en était

le mysticisme dionysien dès le temps d'Euripide. Il faudrait des raisons bien fortes
pour nous convaincre que le dieu qui déchire les faons était lui-même déchiré et
mangé dans les mystères sous la forme d'un faon.

M. Reinach n'a avancé qu'un indice, reproduit par M. Loisy, c'est un texte de
Plutarque dans les Questions romaines : (112) « Les femmes qui sont en proie aux
fureurs bacchiques se jettent aussitôt sur le Uerre, le saisissent avec leurs mains, le
déchirent et le mâchent entre leurs dents. Cela rend assez vraisemblable ce qu'on
dit du lierre : Selon quelques-uns il renferme des esprits violents, qui éveillent et
excitent des transports (3). » Plutarque aurait voulu dire que les Bacchantes seraient
devenues IvOsot, possédées du dieu, par la manducation du lierre, forme primitive de
Dionysos. Mais Plutarque dit bien plutôt qu'elles mâchent le lierre parce qu'elles
sont en proie à l'esprit bacchique, dans le dessein de s'exciter davantage. Quoi qu'il
en soit des primitifs, les Grecs du temps de Plutarque ne croyaient pas que Bacchus
fût le lierre. « Il est assurément bien singulier », ajoutait M. Reinach, « que les
anciens n'aient jamais parlé clairement de la théophagie, qui faisait le fond d'un
si grand nombre de leurs anciens cultes » p. 262). Ce n'est point si singulier, pour
la raison donnée quelques pages auparavant par M. Reinach lui-même : les Grecs
ne comprenaient plus du tout qu'ils pratiquaient la théophagie, si tant est que leurs
ancêtres l'aient pratiquée. Et si Plutarque n'en a pas dit davantage, ce n'est certes
pas par discrétion, « car il n'est pas homme à révéler les mystères » ; il a très bien
dit sa pensée, c'est-à-dire exprimé sa répulsion pour des rites où il ne voyait rien
de divin. Ce ne sont pas des rites d'union avec les dieux, mais pour détourner

l'influence des démons, et d'ailleurs ce ne sont pas des mystères. Car après avoir

(I; Krag., 4"-2, tiré des Cretois, cité par Porpliyre ^De abst- iv. 19 pour recoiamaailer de ne pas
manger de viande! a deux vers très difficiles, que Nauck lui-même n'édite pas de la même
Il

taçon dans ses éditions de Porphyre et des Fragments; d'après les mss. xaî vvx-c'.n6Xou :

Zxypî'w; ppovTà;TàçT' w(Jio5àyovî oatra; Tî>i(Taç. La traduction de M. Hinstin, citée par Loisy
'M note 3) " après avoir pris pari aux omopliagies suivant la règle de Zagreus, ami des courses
:

nocturnes » suppose la leçon êioTa;, qui est une pure conjecture. En lisant fâç avec les mss.,
SaÎTa; signifie « leslius •>, en lisant to-iç, c'est « partageurs > (Hésychius). Quoi qu'il en soit,
et quoi qu'on fasse de ppovrdt;, les omophagies ne sont pas la manducation de Zagreus, mais
un rite qui est le sien.
(-2) Clém. Protr., xn, même
des sœurs de Sémélé at S-jc-aYvov y.psavojxîav (jLvouasvO'..
p. 84, dit
Mais cela doit être pris dans un sens large initiées à la (et non par la] manducation.
:

;3 Trad. Ileiiiacii, I. 1, p. -202.


430 REVUE BIBLIQUE.

protesté de son silence au sujet des mystères : « Quant à ces fêtes et à ces sacriQces,

comme les jours néfastes et sinistres dans lesquels on pratique des omophagies et

des dépècements, des jeûnes et des lamentations, souvent aussi des discours obscènes
à propos des choses sacrées, « et des transports et des cris lancés avec le thyrse
superbe ». je dirais que ce sont des cérémonies lénitives et conciliantes non point

offertes aux dieux, mais pour détourner de mauvais démons (1). » Qu'y a-t-il là
d'unitif?
Il est vrai que M. Loisy corrobore le texte de Plutarque sur le lierre par une citation
d'Arnobe qui serait plus topique : Bacchanalia etiam pnetermiltemus immania qui-
bus nomen omophagiis graecum est, in quibus furore mentito et sequestrata pectoris
sanitate circumplicatis vos anguibus, numine ac maiestate
atque *;/ vos plems dei

doceatis, caprorum reclamantium viscera cruentatis oribus dissipatis (2). C'est M.


Loisv qui a souligné ce qui lui paraît décisif, et qu'il glose ainsi « Ceux qui par- :

ticipaient au rite sanglant ne pensaient pas faire qu'une cérémonie commémorative,


ils se regardaient comme remplis de vertu divine par l'efTet du rite, w Je concède

la première partie, mais la seconde est un contresens. Les bacchantes ou bacchants

ne sont point remplis de vertu divine parce qu'ils ont mangé la viande crue, mais
ils en mangent ensuite de leur fureur divine. C'est la pure tradition d'Euripide,

seulement Arnobe regarde très maladroitement cette fureur comme une feinte. Elle
pouvait être très réelle. Toute la religion dionysiaque, suppose que par une sorte
d'influence divine le dieu peut s'emparer de la raison et de la volonté du fidèle, pour
ïïïî faire faire des choses qu'il n'approuverait pas quand il est dans son bon sens.
La principale de ces folies divines est précisément l'omophagie, à l'instar de Dionysos.
Et c'est aussi comme une
excuse que Firmicus Maternus présente la folie des Cre-
tois qui renouvellent le meurtre de Zagreus sur un taureau vivant. Son récit est
d'ailleurs empreint du plus crasse évhémérisme, et l'on peut se demander si le rite
dont il parie existait encore de son temps, ou s'il se fie à quelque réminiscence
littéraire. En tout cas la cérémonie n'était que commémorative. Ou renouvelait la

passion de Dionysos parce qu'en la jouant on croyait l'expier. C'est bien ïapotropè
dont parle Plutarque: Crelemes, ut farentis tyranni saevitiam mitigarent [Z) .^..

Encore une fois, qu'y a-t-il là d'unitif?

Aussi bien la religion dionysiaque, surtout sous la forme orphique, celle qui
compte pour l'histoire du sentiment religieux, n'est nullement une religion de
vertus actives, ou comme nous dirions, d'amour de Dieu et du prochain. Comme
toute religion, surtout mystique, elle se proposait de faire prédominer le divin, mais
ce n'était pas, que nous sachions, par des pratiques positives. Il fallait surtout
dégager la partie céleste de l'homme des entraves du corps et du péché, la purifier
de-^es" souillures. Tout cela est surtout négatif, ce sont les Àuc;;!;, délivrances, et les

xaOapaoî, purifications, dont parlait déjà Platon (4).

"Reste la fameuse formule : « Chevreau, je suis tombé dans du lait »,où M. Loisy
voit toute une mystique de l'initiation, qu'il eût pu comparer à celle du baptême :

« Sans doute signiDe-t-elle que l'initié, chevreau mystique, identifié à la victime et


au dieu du mystère, a trouvé le bonheur, le gage du salut éternel, dans la posses-
sion anticipée du dieu » (p. 46 C'est à peu près ce que disait déjà M. Reinach
. :

(I) De Defeclu ôracul. xiv. La citation est de Pindare.


-2) Adv. nat. v, 19.

(3) De err. prof, relig. 6.


{'0 Cf. Servius ad Yirg. Georg. i, KJG : Liberi Patrla sacra ad pv.rgationem animae pertinebant
et sic hommes eius raysterils purgabanlur.
RECENSIONS. 341

« Par le fait de TinitiatioD. le myste a dépouillé sa nature titaiiique. viciée par la

faute originelle ; il est devenu un chevreau, semMable au chevreau divin, Ériphos(l ».

Il est impossible de savoir que penser de cette interprétation si l'on n'aborde le

texte de la lamelle orphique qui le contient. En voici la traduction très Uttérale (2}.
« Je viens pure, issue de purs ou de pures . ô reine du monde souterrain. Euclès 3 .

Eubouleus (4 , et vous tous dieux immortels : car je me flatte d'être de votre heureuse
race, mais la destinée m'a domptée [et tous les dieux immortels] et celui qui foudroie,
lançant des éclairs. .le me
du cercle douloureux et pénible, et je suis
suis envolée

arrivée d'un pied rapide vers la couronne désirée. J'ai pénétré sous le sein de la
Maîtresse, déesse infernale, [je suis descendu d'un pied rapide vers la couronne
désirée"!. Fortuné et bienheureux, tu seras dieu au lieu de mortel (.5 . Chevreau, je
suis tombé dans du lait ».

C'est l'àme qui parle, arrivée enfin en présence de Perséphone, quand elle va
participer à la vie des immortels. Elle y avait des droits par sa race. Ailleurs, elle
répète trois fois : « Je suis fils de et du Ciel étoile (6
la Terre » Mais elle a été .

foudroyée, frappée par la mort, dû s'engager dans le cercle des renais-


et elle a

sances. Maintenant elle touche au but. Manifestement les mots Chevreau etc., doivent :

s'entendre de sa nouvelle situation bienheureuse. Un autre texte dit : " D'homm.e


tu es devenu dieu : chevreau tu es tombé dans du lait (7). » De quel droit regarde-
t-on cette formule comme celle de l'initiation orphique, comme marquant la vie

nouvelle de l'initié sur la terre? C'est, dit-on, qu'elle est en prose, qu'elle ressemble
aux formules semblables que nous
par Clément d'Alexandrie ou connaissons
Firmicus Maternus. Et que cette formule ait été révélée
il se peut, en eflfet,

à l'initié, mais pour s'en servir au moment voulu, alors que son âme, purifiée par

la vie orphique, se présentera devant Perséphone. Toute autre hypothèse serait

contraire aux règles de l'iuterprétation.


Si l'on sépare — très arbitrairement — cette formule de son contexte, il faudrait,
comme Rohde, renoncer à l'expliquer, tant elle serait vague. Mais le contexte peut
à tout le moins nous aider. On a remarqué qu'il est deux fois le même. Dans la
partie qui est pour ainsi dire en on passe d'un état à un état, de la nature
clair,

humaine à la nature divine. De même pour la figure le chevreau, d'abord sans :

lait, passe dans du lait. Donc, s'il y a encore quelques règles pour interpréter les

énigmes, l'état de chevreau correspondra à la natm'e humaine, le chevreau dans


le lait sera la transformation dans Le divin. Au contraire les chercheurs ont commis
cette erreur initiale de regarder la qualité de chevreau, qui est le point de départ,
comme le terme d'arrivés, c'est-à-dire la transformation divine en Dionysos, le

chevreau divin. C'est M. Dieterich qui a eu le mérite de dépister Dionysos dans


la formule, mais il est allé trop loin. Il a prétendu — suivi en cela par MM. Reinach
et Loisy, par bien d'autres, — qiie Ériphos, chevreau, était un nom de Dionysos.
C'est presque cela, à la condition de lire ^piçto:, une épithète non un substantif,
et
le dieu au chevreau. Encore une fois, quoi qu'il en soit des temps primitifs, le
Dionysos gréco-romain n'était pas un chevreau, mais le dieu qui s'occupe des

(1) Une foi-mule orphique, Rev. arcli. 1901, t. XXXIX, p. :2I0.


r2. C'est le n° 641 de Kaibel, Inscr. gr. Sic. et It. de l'ancienne Thurium. pi es de Syharis. datant
du iv°ou du m" s. -av. J.-C.
(3) Surnom d'Hadës.
(4)'Surnom d'Hadés en sa qualité d^^ Dionysos, c'est-à-dire Zagreus.
(5) Est-ce l'âme qui se parle à elle-même, ou quelqu'un autre qui l'interpelie?
(6j .\ Èleutherne, en Crète, w
siècle av. J.-C. Éd. Olivieri, p. 11.
(7) Kaibel, 612.
432 REVLE BIBLIQUE.
chevreaux, qui a un rapport quelconque avec cet animal, qui jadis, si l'on veut, en a

pris la forme. Dieterich s'appuyait sur deux gloses d'Hésychius "Epiyo;- Atdvuaoç, :

et Eîpaçtt6-:r,4- "Eotçoç -apà Ar/.w3;v. Mais l'éditeur avait bien compris que c'était

non point un substantif mais une épithète. Dans Etienne de Byzance, on lit A'.évjaoe.
'Epi'tpioç -apà M£Ta-ovT(votç, et Porphyre (De abst., m, 17) prend pour une
eîpaçiwTr;?
épithète, comparable à pour Apollon, etc.
Xux.to; Dans l'hymne orphique LVIII,
e^pa-fiwTr,? est encore une épithète. Si donc l'initié se donne comme un chevreau,
c'est bien à cause de Dionysos, mais simplement comme lui ayant appartenu. Il veut
dire : dans ma vie humaine, j'étais initié, et maintenant... Ce qui suit ne peut
être qu'uîre-métaphore dont le choix dépend de la qualité prise par l'initié. La
béatitude du chevreau, c'est le lait. Il suffit de le voir suspendu aux mamelles
de sa mère. Mais pourquoi tomber dans du lait? C'est pour marquer l'abondance,
la surabondance du lait, qui signifie bien une vie nouvelle, comme disent MM. Rei-
nach et Loisy, mais non pas celle qui suit l'initiation. Le contexte l'exige, c'est
la vie divine, et celle-là justifie ce que l'expression paraît avoir d' exagéré. Faisons
à Tialre "TOlir un rapprochement : Unde, liceat gaudium aeternae beatitudinis in
cor hominis tamen Dominus ei dicere : Intra in gaudium; ut
intret, maluit
MYSTiCE innuatur quod gaudium illud non solum in eo sit intra, sed undique
illum circumdans et absorhens, et ipsum velut abyssus infinita submergens (\'j.
Il se pourrait même que le chevreau soit venu sous le giron de Perséphone pour

se nourrir de son lait divin, à la manière des petits faons et louveteaux allaités par
les Bacchantes d'Euripide (2). que l'initié était
Et peut-être entendait-on aussi
devenu comme un enfant,une vie nouvelle. Mais il ne s'agit pas de
étant ne "a
l'initiation; c'est plutôt le résultat et le terme définitif de l'initiation et des pratiques

de délivrances et de purifications dont elle n'était que le premier pas, et qui


étaient nécessaires. On voit combien peu M. Loisy était autorisé à écrire « Toujours :

est-il que l'initié était régénéré, était sauvé en s'assimilant le chevreau mystique,

en mangeant la chair de la victime qui représentait, qui était toujours d'une


certaine manière, pour la foi, Dionysos, Zagreus » etc. Ce n'est là qu'un tissu de
conjectures.
La formule désormais célèbre — elle a passé dans un roman de la Revue des
Deux-Mondes —
n'est donc point la forme verbale d'un sacrement d'initiation.

Est-ce à dire que nous ne sachions rien d'autres objets qui en étaient les symboles?
Clément nous les a fait connaître en les qualifiant expressément de symboles de
l'initiation (3). Ce sont les jouets qui ont séduit l'enfant Zagreus. il les énumère,
et ce n'est pas ici le lieu de rappeler les discussions sur la nature précise de ces
objets. Comment se fait-il que M. Loisy, au lieu de s'appuyer sur cette donnée
certaine, ait préféré fonder l'initiation sur un texte arraché de son contexte? Est-ce
parce qu'on ne peut vraiment pas voir des sacrements dans ces symboles? Est-ce
parce qu'ils sont, pour dire le mot, trop puérils? Toujours est-il que non seulement

il ne glose pas le texte important de Clément; lorsque les Crepunclia paraissent

(1) Saint Bernardin de Sienne (Bréviaire, à la fête du Patronage de saint Joseph).


A; S' àYKà)vai'7i oopxâô' v) <7X-j[j.vo-j; àu/.cùv àypîo-jç lxo-j<7at "/.euxôv èôtSoffav yà).a, ocxt;
(2)
vEOX(5xoiç \i.a.'j-rjç 7)V CTTiapYwv éxi.
(3) Kaî -fiiot -I/iAÏv Tf,; TcAEr/jç Ta à-/?Eia xaTaYvwTiv TtapaOécôxr
a-j^êola o-jy. à}(p£ïov eî;

àorpàya/o:, o-yaîpa, arpôoiXo;, \i.r).ct, pôfiêoç, laoïtTpov, Ttôzo;... un osselet, une balle, une
toupie, des pommes oranges?), une toupie à fouet? un miroir, un peu de laine. Quel était
,

le sens de ces objets dans les cultes primitifs? Nous attendons qu'on nous le dise. Au i" siècle
de notre ère ils ne pouvaient être que commémoratifs du mythe auquel ils avaient donné

naissance. Rien d'unitif, un jeu de grands enfants, quoique sinistre.


RECENSIONS. 433

dans le texte de Firtnicus Materniis. la traduction les passe sous silence. Ce n'est
pas dans le dessein de les dissimuler, puisque le texte latin est en note, mais
tout de même la traduction est plus large qu'il ne con\ieudrait 1).

Pour tout dire, et quoi qu'il en soit des confréries strictement orphiques, nous ne
songeons pas à on ait eu l'intention de com-
nier que dans les rites des Bacchanales
mémorer mort de Zagreus. Le texte de Firmicus est très formel, et le mythe est
la

assez clair comme interprétation du rite. Mais ce n'est point une raison pour croire
que le taureau était le dieu. II le représentait tout au plus, ou pour parler plus
exactement, il lui était substitué. Les Grecs civilisés croyaient, à tort ou à raison,
que dans plus d'un rite la victime animale avait été susbstituée à une victime
humaine. De la même façon, ne pouvant songer à immoler un dieu, on immolait,
ou plutôt on dépeçait un taureau ou un chevreau. Car. en dernière analyse, le
dépeçage n'est pas proprement mi sacrifice. Le cas de Zagreus était donc le même
que celui de Déméter et de Persephone. celui des autres mystères. On représentait
la destinée du dieu. Comme cette destinée était, cette fois, la plus cruelle de toutes,
la représentation avait l'air d'un sacrifice, mais sa valeur propre comme rite était
d'être une reproduction figurée, une commémoration. La figuration des aventures
de Déméter n'était pas moins efficace, et cependant elle n'avait pas même l'apparence
la plus lointaine d'un sacrifice. Comment et pourquoi les Grecs se sont-ils imaginé

que ces représentations étaient agréables aux dieux, cela n'est nulle part plus étrange
que dans le rite de Zagreus. où l'on semblait renouveler l'offense. Firmicus est
la principale autorité alléguée pour le caractère commémoratif. et conformément à
son système de voir partout des histoires, il suppose qu'en simulant la folie, en se
laissant aller à des transports qui altéraient le libre arbitre, on excusait le crime des
ancêtres, qui avait été commis sous les mêmes violentes impulsions.
Mais les mystères n'étaient pas un jeu d'évhéméristes. convaincus que les dieux
n'existaient pas. Ils n'étaient pas non plus des
deuxième rites de sauvages. Dès le

siècle, le dépeçage, le démembrement, sont considérés comme des images de la

création panthéistique, si l'on peut associer ces deux mots, plus précisément de la
démiurgie qui a scindé l'un pour produire le multiple, en attendant que l'unité soit
de nouveau rétablie. Ce qui figure nouvelle union, ce n'est pas la manducation
la

de la bête déchirée, c'est la naissance nouvelle que Zagreus recevra comme Dionvsos.
Parmi les textes cités par Lnbeck, celui-ci me parait le plus expressif « Les passions :

de Dionysos, racontées par le mythe, le démembrement et les attentats des Titans,


qui avaient goûté au meurtre, et leurs châtiments, alors qu'ils furent frappés de la
foudre, c'est un mythe renouvelé iv/.v;j.ivo?) en vue de la renaissance » ;:; tt.v

'T. Là division avait un caractère inévitable-, elle était fatale. L'essen-


na).'.-,^£v=:rfïv

tiel étaitd'aboutir à la renaissance. Le rite traversait pour ainsi dire une période
fâcheuse, en vue du résultat à obtenir. Nous en faisons autant pour la Passion du
Christ, mais en lui attribuant une efficacité qui ne pouvait être dans la pensée des
Orphiques.
Or ces idées transcendantes — nous sommes à Athènes — peuvent avoir été presque
contemporaines de la constitution de l'Orphisme. Rohde a rappelé que la division

1) Traduction Loisy, p. 32 . Avec le son des Dûtes et le tintement des cvmbales.


:
ils imitent
les Biarrs quitrompèrent l'enfant . Tibiarum cantu et cymbalarum tinnitu crepuxdu quibns
:

puer deceptus fuerat mentiuntur de en: p^-of. rel.G] signifie « à la mélodie des flûtes et au :

tintement des cymbales sont produits dans un rite menson^^er les jouets qui avaient trompé
l'entant. .

2 Plit. De esu carn, i, ". 240. S. \ni.


REVUE BIBUQLE 1920. — T. XXIX. 28
434 REVUE BIBLIQUE.

aboutissant à la multiplicité est une injustice qui


mérite châtiraeot, d'après Anaxi-
naandrefl), et que ces personaiflcatioas de
nature sont plutôt venues aux philo- la

sophes de mystiques à demi-philosophes, que des philosophes aux mystiques (2).


Avec quel charme Euripide a formulé la prière de l'Orphique : « A toi, souverain
ordonnateur, j'apporte cette offrande et cette libation, à Zeus ou Hadès, suivant
toi,

le nom que tu préfères. xVecepte ce sacrifice sans feu, ces fruits de toute sorte, offerts
à pleines corbeilles. C'est toi qui parmi les dieux du ciel tiens dans ta main le
sceptre de Zeus, c'est toi aussi qui dans les Enfers partages le trône de Hadès.
Envoie la lumière de l'âme aux hommes qui veulent apprendre les épreuves de leur
destinée nouvelle, révèle-leur dès maintenant d'où ils sont venus, quelle est la racine
des maux, laquelle des divinités bienheureuses ils doivent se concilier par des sacri-
fices,pour obtenir le repos de leurs souffrances » (3). Il y a dans cette mélancolie
quelques-uns des accents du disciple de Bouddha qui gémit d'être assujetti au mou-
vement des générations, nullement l'assurance d'un initié sur d'être désormais trans-
formé en un être divin. Les sacrifices y seront utiles, et la révélation implorée ne
fera sans doute que confirmer la pratique d'offrir des sacriûces sans feu.
Le rite d'union qui n'était pas dans la manducation de la bête dépecée était proba-
blement tout autre. Ici nous ne parlons plus des Orphiques.
Les Bacchanales avaient une fâcheuse réputation. Aujourd'hui encore le mot est
mal famé. M. Loisy ne dissimule pas tout à fait le mal « Il n'est pas probable que les :

symboles d'union sexuelle n'y aient tenu aucune place » p. 27 j. Mais quoi! si
c'était un symbole d'union divine! « Le langage de saint Paul, il convient de ne pas

l'oublier, est empreint du même symbolisme lorsque l'Apôtre parle du Christ époux
des âmes, des croyants qu'il a fiancés comme des vierges chastes à l'unique mari
qu'est le Christ » (p. 27j. Ne nous fâchons pas de cet ignoble rapprochement,
mais retenons le mot chaste. Est-il vrai que « pour l'historien il y a épuration
constante, mais non solution de continuité dans l'évolution de la foi religieuse depuis
son départ, le mariage sacré, l'accomplissement liturgique de l'acte sexuel, dont la

vertu magique actionne la fécondité de la nature, jusqu'aux effusions de la mystique


chrétienne », etc. (p. 27}? Autant vaudrait dire qu'il n'y a pas solution de continuité
entre Molinos et sainte Marguerite-Marie. Le prophète Osée, comparant l'amour de
Dieu pour la nation d'Israël à l'affection d'un époux n'est point nécessairement
l'aboutissement épuré d'ancieimes hiérogamies. Et celles-ci, dans les Bacchanales,
eacore au premier siècle, n'avaient rien épuré du tout. De même que Molinos dis-
simulait ses turpitudes et séduisait ses dirigées par l'affectation d'une mystique
unitive, il y avait chez les anciens comme uu besoin de diviniser ce qui peut être
très légitime, mais quand même demeure très humain. On dirait que Clément
d'Alexandrie pressentait le jargon moderne sur la sainteté de luniou sexuelle, quand
il se moquait avec infiniment d'esprit de ceux qui faisaient de la mystique à propos de
l'Aphrodite des rues, ou se donnaient comme les hiérophantes de l'union charnelle,
même déshonnête (4. Personne ne s'y trompait, pas même les païens honnêtes.
Diodore de Sicile ne s'en émeut pas. mais il constate : « C'est celui que quelques-uns
nomment Sabazios, d'autres disent que c'est Dionysos né de Zeus et de Perséphoné.

(i; Fragm. 2, Mallacli.


(2) Dans la Genèse, après la séparation primordiale. Dieu ne dit pas que c'est bien. Telle était
du moins l'exésèse de quelques rabbins.
(3 Fagm.9l2, Traduction Dubois, zit Zagreus iSaglio, tOSîi).

'i) Strom. m, iv siotv o oî ttiV nâvôr,[i.ov 'AçpoSttriv xotvtovtav fiuoTix-ôv


: àvayopeûo-jTtv... tTiV
[tî] i7ap-/.ixr,v xal [xvjv] <r-j';ouaiao-Tix-/iv y.oivwvixv îspoiavTovat...
RECENSIONS. 435

et ceux-là qui mettent en action (furtivement, -apîtsiYojai et la naissance et les sacrillces


nocturnes et secrets, à cause de la honte qui suit à l'union sexuelle » ^1 . Dira-t-on
que le Sénat romain a calomnié les Bacchanales, que personne n'y a rien compris,
que telle est la destinée des cultes secrets mal connus? De toute façon, telle était la
réputation de ces mystères. Ce n'est pas là qu'on pouvait aller chercher un symbole
de l'union de la vierge, et chaste, avec le Christ, même pour l'épurer.
Conclusion pour Dionysos -Orphée. Cette religion à mystères, dans laquelle
il est d'ailleurs difficile de distinguer ce qui est culte religieux et mystères,
dionysiaque ou orphique, mais enfin cette religion dans toutes ses manifestations
contient sans doute un dieu auquel ses fidèles demandent le salut de l'âme, mais
c'est le trait commun de toutes les religions du temps, y compris le judaïsme, qui
seul ajoutait au salut de l'âme la résurrection des corps. Mais le sauveur divin,
Dionysos, n'est pas le révélateur du mystère, qui est Orphée; la passion de Dionysos
n'est pas le principe du salut, mais le crime originel; le dieu n'est pas ressuscité
et ses adeptes n'ont que faire de la résurrection. Nous n'avons aucune raison de
croire que les riles, assurément pleins d'efficacité, aient eu pour Lut autre chose
que de purger l'ànfe des souillures que lui inflige le corps ou qu'elle a encourues
elle-même. Quant à l'union du fidèle à son dieu, elle était de règle dans toute
religion; ici elle se produisait par une sorte de possession, de transport irrationnel,
mais elle était supposée avant le rite du dépècement qui n'avait rien de commun
avec une théophagie. y avait union dans un rite, c'était plutôt par la hiérogamie.
S'il

Est-ce a dire que i'Orphisme n'avait rien de commun avec le christianisme et


qu'il ait été sans influence sur lui? Il avait surtout en commun la mort d'un dieu,
qui permettait de faire accepter aux païens l'idée d'une passion divine, le dogme
d'un péché originel, les pratiques d'ascétisme pour délivrer l'âme. Aussi les Pères,
depuis Clément, ont-ils vu dans Orphée une sorte de prophète païen, disciple de
Moïse, précurseur du Christ, et dans les Catacombes on a représenté le Christ sous
ses traits.
Ce n'est pas de cette façon que la religion de Jésus s'est muée en mystère païen.
Parfaitement constituée, elle a regardé autour d'elle. Mais pour aucuu de ses éléments
elle n'avait à chercher dans les mystères de Dionysos. L'idée ne pouvait même pas
en venir à_un juif, si hellénisé qu'il fût. Et puisque, à tout le moins, les païens ne
parlaient pas ouvertement de ce motif central de l'union à une passion rédemptrice
par la manducation du dieu, modernes pour la
puisqu'il a fallu toute la sagacité des
découvrir —
ou l'imaginer, — comment cette une ambiance piété pouvait-elle être
qui devait nécessairement suggérer au christianisme son principe fondamental cl)!
Passons à Isis et à Osiris.

un type de dieu ressuscité; à notre connaissance, c'est le seul, et il n'est


Osiris est
dieu ressuscité que sur le sol de l'Egypte, dans les anciens rites, et encore. « Chose
assez surprenante » nous dit M. Loisy, « la résurrection du dieu, dont la préoccu-

(1) IV, 15.


(2,1 On a pensé que chez les Orphiques « les rites pratiqués sur la terre par un vivant à
l'intention d'un défunt contriijuaient à la libération de celui-ci. C'est en vertu du même principe
que les chrétiens de Corinthe se faisaient baptiser pour leurs parents morts dans le paganisme
afin de leur procurer l'avantage de la résurrection bienheureuse • {Loisy. p. 47 Cependant .

les âmes des Orphiques n'étaient pas impuissantes dans leurs nouvelles existences, et, malgré
la grande autorité de Kuhde u, 1-28, je ne crois pas que ce soit le sens du frag. 208 d'Abel. (.e
vers ôpY'-i t' i-f.itt-i(so-j<i: /ûciv Ttpoyôvw/ à6î(xî(îTwv / fjLaiôfXîvo'. me parait signifier ils :

célébreront des orgies p)ur obtenir la délivrance (à la suite du crime) d'ancéues impies •,
ce qui est le but principal de I'Orphisme « mais toi, puissant en leur faveur (Dionysos),
:

tu délivreras ceux que tu vnudras des durs travaux et de la i)eine sans terme ».
436 REVUE BIBLIQLE.

pation est constante, apparaît peu dans les rites, où elle semble avoir été surtout
figurée par la germination du grain », etc. (p. 134;. C'est reconnaître que le sens
du mvtlie était toujours transparent. Laniort d'Oiiris et sa résurrection, c'était la mort
etja_renaissance des céréales. Beau symbole dont cette fois saint Paul a tiré parti

(1 Cor. 15735T Mort comme dieu, Oiiris ne retrouvait la vie que pour la perpétuer
aux enfers. Ainsi que Dionysos, il renaissait glorieux en Horos, le véritable dieu
vatïïqiîêur. Dans les rites égyptiens on ne voit nulle part que les vivants aient
cherché à s'identifler à Osiris de leur vivant, afin de participer à sa vie immor-
telle. C'eût été un non-sens. Le mort ne pouvait être un Osiris qu'après sa mort.
Il devenait alors l'Osiris un tel, c'est tout ce qu'il pouvait prétendre. Encore fallait-il

entretetenir soigneusement son culte et lui donner, au moins en paroles, une


nourriture adaptée à son nouvel état.
Nous sommes vraiment dispensés d'insister sur ces vieux rites. Paul connaissait
probablement l'Egypte comme le pays du culte des animaux. Il n'en augurait rien
de bon. La pensée chrétienne n'a pu être en contact avec Osiris que sous la forme
gréco-égyptienne de son culte. Cette forme, c'est Sérapis. M. Loisy n'en parle guère.
Mais le vieil Osiris se survivait mieux, serable-t-il, dans la religion d'Isis.
Encore faut-il distinguer!
Par une fortune singulière, nous possédons deux documents sur les mystères
d'Isis, le traité de Plutarque sur Isis et Osiris, et le \i^ livre des Métamorphoses
d'Apulée. Plutarque était initié aux mystères. Il a dit ce qu'il pensait de ceux d'Isis,

avec respect, mais sans y voir tant de mystique unitive. Isis « in.stitua donc des
initiations très saintes oîi seraient représentées par des images, des allégories et

des scènes figurées les souffrances de jadis, en leçon de piété et d'encouragement


pour les hommes femmes qu'attendraient les mêmes épreuves (1) ».
et les

11 faut avouer que c'est un peu maigre, et que cela tourne au rationalisme.
Mais enOn, c'est ainsi qu'un esprit cultivé — et platonicien, donc nullement
hostile à la mystique — entendait ces mystères. Admettons que les fidèles y
voyaient quelque chose de plus, une promesse d'immortalité bienheureuse garantie
par l'intimité acquise avec les dieux. Mais on n'a pas le droit de dire que l'initié

était associé à la passion d'Osiris et à sa résurrection. Et ce qui passe toute licence


tolérable, c'est de prétendre tirer ces renseignements d'Apulée. Pourtant M. Loisy
le dit nettement, et de Lucius, le héros d'Apylée : « Lucius recevant la même
assurance et une rénovation morale par son association à la mort, à la sépulture
et à la résurrection d'Osiris » (p. 27.5). Or, Apulée ne prononce le nom d'Osiris
qu'à la fin, pour nous dire, après la description complète de l'initiation de Lucius
à Isis, qu'il lui restait à être initié aux mystères d'Osiris novum minnnque plane :

comperior, deae quidem me tantum sacris inbutum at magni dei deumque summi
parentis, invicii Osiris, necdum sacris inlustraium. Quanquam enim conexa, immo
vero inunita ratio numinis religionisque esset, tamen teletae discrimcn interesse
maximum — on a bien lu; il y a dans l'initiation une très grande différence. ^Si

bien que censément associé à la mort et à la résurrection d'Osiris


l'initié à Isis,

n'est pas encore entré au service du dieu me magno etiam deo quoque peti famidum
:

sentire debere (XXV^II). Nous voilà loin du compte et de la mystique unitive de la


Passion. M. Loisy a courageusement cité ces textes, ce qui fait honneur à sa sincérité,

1) De Is, XXVI, Trad. de M. Loisy, p. 141. Noter îUôvaç xal uuovoia; -/.ai îii[j.r)(i.à tûv nô-z
7:a9r,|jâTti)v. L'adjectif possessif manque, comme souvent en grec, mais ce sont Ijicn les
soufTrauces d'Isis comme a compris M. Bétolaud.
HECE.NSIO.NS. 437

et la facétie : « Disons qu'il a reçu deux lois le même sacrement » (p. 158) ne lait

pas moins d'honneur à sa dextérité. Il est vrai qu'Apulée est Apulée; il était dur de
le traiter comme un Paul, en récusant son témoignage. Il faut bien en venir là

cependant « comme
: les mystères d'Oiiris ne pouvaient être que des mystères
d'Isis, de même que ceux-ci étaient incontestablement des mystères d'Osiris >

(p. 158 , et après d'autres ultendti que. on conclut qu'à Rome le clergé d'Isis avait
inventé ces nouveaux mystères « sous prétexte d'honorer O^iris, et probablement
pour augmenter les revenus du sanctuaire » (p. 159). Il se pourrait bien, mais

cela n'empêche pas que Lucius ne savait rien des rites osiriens, et qu'il a dû même
subir encore une troisième initiation, la deuxième osirienne, tant il était mal garanti
par sa prétendue association à Osiris. Isis est dans Apulée une divinité polymorphe,
dont il faut se défier. En quittant lÉgypte. elle s'était beaucoup rapprochée de
Proserpine. M. Lafaye qui a spécialement étudié Isis reconnaît dans l'initiation

d'Apulée « une étroite ressemblance avec Eleusis (1. » Il suffit de lire; c'est le

moment capital : « J'ai touché la frontière de la mort, et, après avoir foulé le seuil
de Proserpine, je suis revenu, porté à travers tous les éléments. Au milieu de la

nuit, j'ai vu le soleil rayonnant d'une pure lumière. Des dieux des enfers, des dieux
du ciel je me suis approché, » Ce n'est pas très
et je les ai adorés de près 2).

clair, mais il est clair M. Loisyy suppléf


du moins qu'Osiris ne joue ici aucun rôle. ;

il le met partout. Cela dure une bonne page, pour conclure modestement « Il est :

superflu de vouloir conjecturer les détails de ce tableau » p. 152}. Ce tableau est


tout entier brossé de chic. Tout le rite décrit par Plutarque est censé sous-entendu
par Apulée, la mort fictive de l'initié devient une association à la mort d'Osiris, dont
il ne sera question que plus tard. Les mystères d'Isis doivent être ceux d'Osiris!
Les anciens connaissaient-ils ces limites infranchissables? De quel droit M. Loisy
introduit-il dans l'initiation les rites — nullement secrets — de la fête Isiaque de
la fin d'octobre au début de novembre? 11 est vrai qu'il insinue une raison : « Et
plus haut le prêtre lui-même ne nous a-t-il pas appris que l'initiation se conférait par
le moyen d'une sorte de mort, que suivait un retour à la vie? » (p. 151). Assuré- —
ment, mais c'est la mort de l'inlitié lui-même. Il est censé mort, parce qu'à quel-
qu'un qui va mourir on peut confier des secrets. Une fois mort, il va au ciel et aux
enfers. M. Reitzenstein qui n'est pas suspect! —
ne voit rien autre chose (3;. —
Si Osiris ou Horus est du voyage, c'est comme représentant le soleil qui parcourt
les douze heures. Peut-être le mort est-il son compagnon, et c'est pourquoi il parait

le lendemain revêtu de douze robes, ad instar Solis.

La question est seulement de savoir si Apulée pense à une vi.sion extatique; il est
probable, comme opine M. Cumont, qu'en tous cas on montrait dans les ténèbres
les enfers et le ciel 4).
Mais quoi soit, l'initiation supposait en elTet une mort du myste, mis en
qu'il en
possession pour commencer une nouvelle carrière, comme s'il était né de
du salut
nouveau. Voici les ternies (x.xi) nam et inferum claustra et salutis tulelam in de<ie
:

manw posita, ipsamqiie traditionem ad imlar voluntariae mortis et jjrecariae salutis


celebrari, quippe cum transactis citae temporibus iam in ipso finitae lucis limine
constitutos, quis tamen tuto possint magna religionis commilti silentia, numen deae
soleat elicere et providentia quodam modo renatos ad novae reponere rursus salmis

(Il Art. Isis (Saglio , p. 38-2.


(2) Met., xxiu. Trad. de Loisy, p. i"iO s.
t-S) Archiv fur Religionswiss, 1934, p. 40G ss.
(i; Les religions orientales, -2" éd., p. 347.
438 REVUE BIBLIQL'E.

curricula. M. Loisy traduit : « Car la déesse tient en main les clefs des enfers et la
garde du saint; et l'initiation même
façon de mort volontaire et de se célèbre en
salut obtenu par grâce (ne croirait-on pas entendre saint Paul?) ». Non, ce n'est —
pas le langage de Paul, car la salus precaria. dans ce contexte, ne signifle pas le
salut obtenu par grâce, mais à titre précaire. Apulée est un Occidental qui parle ici

la langue du droit. Le salut en effet, ne durera qu'une nuit, il faudra naître de nou-
veau pour courir la carrière du salut : « Car ce sont ceux qui, leur vie terminée,
sont au seuil de la mort, et à qui l'on peut en toute sûreté confier les grands secrets
de la religion, que la déesse rappelle et qu'elle convie, renés en quelque façon par
sa providence, à courir une vie nouvelle (1) ».
On que cette mort n'est nullement l'union à une mort salutaire. 11 faut
voit ici
mourir symboliquement pour jouir symboliquement du bonheur des élus. C'est pour
cela que l'initié commence en quelque sorte une vie nouvelle. Il n'y a pas lieu de
dire : « On nous dispensera de citer ici les textes de Paul concernant la prédestina-
tion et la vocation, la mort et la résurrection spirituelles des chrétiens, le salut
gratuit par Jésus-Christ » (p. 148 note). — Si la ressemblance était si parfaite, il

faudrait bien pourtant rappeler les dates. Né vers 12-5 ap. J.-C, Apulée n'a guère
pu Métamorpîwses avant l'an 155, c'est-à-dire un siècle après que Paul
écrire les
écrivaitaux Romains. Pourquoi ne pas se demander si cet esprit curieux n'aurait
pas entendu parler de la renaissance chrétienne? Toutefois cela n'est pas nécessaire.
L'idée de la vocation est une vieille idée babylonienne, très biblique, qu'on pouvait
rencontrer un peu partout (2). La nouvelle naissance n'était pas non plus après
tout une idée si rare, et elle se présentait naturellement ici. Mais l'essentiel manque'
à Apulée : le salut, c'est-à-di»e la justitication par les mérites d'un dieu souffrant.
Peut-être nous reprochera-t-on de trop insister sur l'exégèse d'Apulée. S'il est indis-
cutable qu'il a entendu distinguer les rites de l'initiation isiaque des rites osiriens.
s'il est interdit d'entendre son texte, assez clair en somme, en le surchargeant d'élé-
ments étrangers, les rites Osiriens n'en existaient pas moins, et Ton pouvait parler
de la passion d'Osiris, de sa mort et de sa résurrection dont la représentation figurée
était efficace pour le salut du fidèle associé à Osiris.

C'est bien le thème qu'on nous propose, mais il groupe arbitrairement plusieurs
notions disparates, sans parler de rarl)itraire qu'il y aurait à lui appliquer ce
qu'Apulée dit de l'initiation à Isis, qu'il a voulue différente.
Hérodote a parlé des souffrances d'Osiris et de leur représentation : là ôï(/.r)Xa twv
xaeétov aOiou vuatoç roisuat (il, 171). Mais il n'a pas donné de détails, et il parlait des
Égyptiens.
Les autres textes sont relatifs aux mystères d'Isis et à ses fêtes. Or dans ces
lextes. autant que je puis voir, ni la mort d'Osiris, ni sa résurrection n'étaient figurés
dans les rites.

J'avoue que cette proposition est paradoxale, si on la juge d'après l'opinion cou-
rante, mais alors qu'on cite de nouveaux documents.
La mort, évidemment, est supposée, mais je prétends précisément qu'elle est une
donnée nécessaire, antécédente. Les rites d'Isis à la fête principale sont purement et
simplement le deuil d'Isis apprenant la disparition de son frère-époux, rais à mort
et dépecé par Typhon, l'invention du corps, qu'Isis ensuite ensevelit. Qu'après cela
Isis lui rende la vie, lui coufère l'immortalité, il le fallait bien, puisqu'il était dieu

'1) Trad. Loisy, p. Iii8.

(2; Conim. de Rom. i. i.


.

RECENSIONS 439

dès sa naissance. Mais, autant que nous pouvons en juger, cet événement, d'une
nature mystérieuse, n'était point l'objet d'un rite. En tout cas, il est incontestable
que le thème de la joie, ce qui déterminait l'explosion d'enthousiasme après le deuil,
c'était l'invention du corps, VHei/resis, et il n'est pas moins certain qu'après avoir
trouvé le corps de son époux, Isis lui donnait une sépulture décente. M. Loisy s'eb.t

servi d'une formule fort équivoque en écrivant : « Osiris ayant été définitivement
enseveli dans l'immortalité par Isis » (p. 129). — Non, Osiris a été enseveli dans un
tombeau ou dans quatorze tombeaux, selon le nombre des villes qui se flattaient de
posséder ses restes. Mais ce dernier point importe peu, l'essentiel est le fait de
l'ensevelissement.
Firm. Maternus 2 : sic inventum Osirim Isis tradidit sepuHurae.
Athénagore XXII : rj "laiç ^r,Touaa -à aèXr, xa\ SjpouTa r^-jxr^ivj e;; TaçTi'v, r, ras») ï'o;

vûv 'Oi'.oia/.r, y.aAEiTai.

Et qu'on ne dise pas ont défiguré le rite. En 1915 on a publié


que les chrétiens

dans lesPapyrus d'Oxyrhynque une longue invocation à Isis, émanant d'un de


(1

ses dévots, probablement uninitié, et datant du début du ii« siècle après


notre ère. Isis est glorifiée pour avoir ramené son époux et l'avoir enseveli décem-
ment; y.ad sJxpao^Twç Gaia:;^ (1. 186 S.), ce qui ne l'empêcha pas d'ailleurs de le
rendre immortel ainsi qu'Horus (1. 242-247), établi roi par la grâce d'Isis à jamais.
En efl'et, c'est un trait connu, que nul ne conteste. Osiris, plus ou moins ressuscité,
a disparu de la scène terrestre, il n'exerce plus aucune influence ici-bas Horus a :

pris sa place, lui est seulement le dieu des morts. C'est, il faut en convenir, un
inconvénient grave pour une mystique unitive chez les vivants. Dans quel but
s'associer dès à présent par l'initiation à un dieu qui est un dieu mort, si c'est Isis
qui donne l'immortalité? D'autant que les villes égyptiennes prétendaient bien pos-
séder son tombeau — et son corps. Les modernes qui connaissent depuis l'enfance
la résurrection de J.-C, sont toujours tentés d'employer ce mot comme si le monde
gréco-romain avait accepté la notion juive. Les prêtres égyptiens n'étaient pas gênés de
la mort d'Osiris, parce que son âme brillait aux cieux i2> On parlait bien aussi des
vies nouvelles et des renaissances d'Osiris : "Oabtoo; oiaa-aTaoî; xai Ta?? àvaSiwîEai /.ai

r:aXiYY£v£a''a'; Trfe Is. XXXIX , mais la renaissance n'avait-elle pas lieu en Horus?
Toujours que Diodore de Sicile qui, lui, parle bien de résurrection, confond
est-il

Osiris avecHorus et en somme avec Dionysos 3 dans une explication evhémérist»^. ,

En quoi donc consistait la fête principale, les Isia, qui duraient du 28 octobre
au V
novembre (4)? Durant quatre jours durait le deuil d'Isis. Ni elle, ni les
spectateurs ne devaient savoir où était le corps d'Osiris. Rien n'indique qu'on eût

assisté à son dépècement. S'il fallait en croire Plutarque (XXXIX). chacun d^-s
quatre jours avait son rite différent; tous étaient relatifs à la décrue du Nil. Peut-
être a-t-il introduit dans le rite une explication naturaliste. Le dernier jour on se
rendait au bord de la mer. « Là les stolistes et les prêtres tirent de son réduit le
cofîre sacré contenant un petit vase en or dans lequel ils versent de l'eau douce.
Puis l'assistance un grand cri, comme pour faire comprendre qu'Osirls est
jette
retrouvé (5i. » L'invention, heure^ia, était si bien le rite principal, que dès lors,

(t) Tome XI, n" 1380.


(2) Plut, de Is. xxi.

(3) I, 25, TÔv uiôv "iîoov Otto -thi TtTsvtov £mêo-j),£-j6£VTa xal vêxpov siipsôô'vxa xa-' -jôai-o;
lAri [JÔ/ov àvacr-yjaai Soùtrav Tf|Y 'J^v/iôv, àX/à xal -rr,; àôavao-ia; T^o\.riaot<. [i.ZT(i\'Xoti\
'»; I,aquestion de calendrier est' traitée dans le G. I. L. t. I, -2'-
éd., p. 333.
(a) De Is., trad. Bétolaud.
440 REVUE BIBLIQUE.
la joie éclatait. INous en avons l'expression rituelle stéréotypée dans Athénagore :

cupr;y.x[j.£v, auy-/a(poa£v (XXII). Elle était si connue que Sénèque


en grec pour la cite

exprimer plaisamment la joie de ceux des enfers a l'arrivée de Claude 1 Mais .

ce n'est là Nous avons troui'é «, disait Isis, c réJQuissons-nous


qu'une facétie. «

ensemble. » On avait trouvé les membres d'Osiris, sauf un, qu'on remplaçait par
un objet en bois, porté en procession. Comment cela saccordait-il avec une statue
d'Osiris couché, dans le Temple de Dendérah, dont la résurrection commence
précisément par là? C'est le cas de dire avec Hérodote sJ'a-roijia -/.iMw. Deux jours :

après, le 3 novembre, une fête joyeuse, nommée Hilaria, comme dans les mystères
d'Attis, terminait le cycle. Était-ce enfin, après l'ensevelissement, la mémoire de
la résurrection.^ Rien n'autorise à le dire puisque, d'après le calendrier phiiocalien.
le !"'• novembre était déjà la fête de la renaissance du Dieu (2).
Qu'y avait-il dans ces rites qui donnât des espérances pour l'autre vie ? Avaient-
ils en eux-mêmes quelque M. Lafaye l'a pensé, mais il ajoute « C'est
efficacité? :

là ce que les auteurs latins, à l'exemple de Xénophane. ne veulent pas admettre (3 » .

Ils devaient cependant être informés. En eilet, toute représentation d'une passion,

comme étaient celles du moyen âge ou de nos jours celle d'Oberammergau, n'est
point nécessairement un rite magique. Et si c'était un rite magique, si les prêtres
et les initiés avaient conscience « de prendre part à un drame qui s'accomplissait
périodiquement en un certain lieu du monde, toujours avec la même réalité poi-
gnante », quel était ce drame? Les initiés imitaient les gestes d'une mère plongée
dans la douleur, ils s'associaient à sa joie d'avoir retrouvé le corps de son fils ou
de son époux... Que signifiait la perte, que signifiait le recouvrement? Plutarque
n'était pas moins gêné du rite que du mythe dont il écrivait qu'à les prendre pour

des réalités, t il faut cracher dessus et se rincer la bouche »' (XX). Il a donc tout
essayé pour donner au rite un sens raisonnable. Il a cherché dans bien des sens. Pas
un mot n'indique qu'il ait eu une portée sotériologique. Et c'est peut-être parce
qu'il n'inspirait pas moins de dégoût à Apulée qu'il s'est abstenu d'y faire la moindre

allusion.
Puisqu'on nous y invite, au lieu de jongler avec les textes de philosophes qui
ont projeté sur ce fumier quelques rayons d'or de la mystique platonicienne,
représentons nous saint Paul assistant à ces drames misérables... On nous dispensera
de décrire son indignation.
Le plus probable, si le rite était censé efficace, c'est qu'il visait une utilité

temporelle. Dès le moment où le Kil avait baissé, où le grain était jeté en terre,
on souhaitait la crue, procurée par le rite magique de l'eau, et voir revivre le

grain semé en terre. Pour Athénagore, comme pour Piutarque, les membres
d'Osiris sont les fruits, c'est-à-dire les céréales. Oa s'expliquerait ainsi l'importance
de la sépulture, la résurrection des graines étant enfermée dans le mystère de l'avenir-
En semble bien que M. Loisy ait beaucoup exagéré le rôle d'Isis comme
eCfet, il

déesse du salut dans l'autre monde. Elle était prodigieusement variée et cet office
ne pouvait être le sien que dans son rôle de Proserpine. Mais elle en avait tant
d'autres ! D'après M. Loisy, « c'est d'elle que les hommes recevaient maintenant

(1) De morte Claudii, xiii.


(2; Dans le catalogue de Philocalus. Mommsen a interprété ex se nato, comme une allusion
à la renaissance d'Osiris. On n'ose rien objecter à une telle autorité; cependant il est étonnant
de lire après Isia.
{3 Histoire du culte des divinités d'Alexandrie, p. 12".
^4; LVFAYE, /. l., p. i'l~.]
RECE.NSIONS. 44-t

dans ces rit-îs le ^age de rimmortalité » (p. 124). En note : « voir par exemple
l'inscription de les » etc. Suivent neuf lignes de grec où il n'est question que des
bienfaits temporels d'Isis, comme d'ailleurs dans toute l'inscription. Dans le long
papyrus dont nous avons parlé, les éditeurs ont cru pouvoir lire à la ligne 13 qu'elle

conférait l'immortalité. Mais dans leur commentaire, ils présentent la lecture comme
incertaine; pourquoi ce prédicat auguste comme déesse d'un petit endroit (1)?
C'était d'ailleurs une personne très recoramandable, d'après les éloges qu'elle
se décerne. Elle donnait force au droit, ce qui est bien quelque chose, réglait tout
pour le mieux, surtout les devoirs des enfants envers leurs parents, des époux entre
eux. Parce qu'elle dit tout cela à la première personne, M. Loisy remarque après
M. Deissmann « qu'Isis et le Christ du quatrième évangile parlent tout à fait la même
langue, se révélant eux-mêmes en style de litanies... Mais c'est Isis qui Ta parlée
la première » (p. 124 note 2,. La même langue, c'est exagéré. La ressemblance se
réduit à une énumération à la première personne. Auguste aussi avait parlé cette
langue dans son inscription d'Ancyre. Eu pareil cas, il faut voir le contenu. Encore
une fois, ni dans l'inscription de Diodore de Sicile, en effet antérieure à saint Jean,
ni dans celle d'Ios. qui est du ii'' ou du iii* siècle, Isis ne se vante de donner à
personne la vraie vie.

Nous ne prétendons pas nier le rôle d'Isis comme déesse des enfers. Mais dans
ce rôle elle se rapproche de Perséphone — Proserpine, si bien que Lactance n'a
pas vu une grande différence entre les deux mystères (2 . Osiris diminuait d'autant.
Et c'est toujours à ce point central quil en faut revenir. Comme M. Eoisy l'a très

bien dit, « c'est à elle qu'Osiris devait sa résurrection et l'immortalité » (p. 124j, —
dans mesure où c'était une résurrection. Pour l'immortalité, cela est dit très
la

expressément d'Osiris et aussi d'Horus dans le papyrus d'Oxyrhynque (3}. Elle


pouvait sans doute aussi la donner à d'autres. Mais qu'y faisait la mort d'Osiris?
Assassiné traîtreusement, le dieu était même privé de sépulture. Il devait tout à
Isis. En quoi cette mort était-elle un sacrilice? Qu'elle n'ait pas été un sacrifice

consenti, cela va sans dire, et M. Loisy le concède. Mais quel dieu l'avait acceptée
à ce titre? Et sans cela, quelle efficacité pouvait-elle avoir? Où trouve-t-on le
moindre indice, dans les mystères gréco-romains dlsis, que l'initié était sauvé par
Isis en faveur de la passion d'Oiiris? Quant aux mystères propres d'Osiris, dont
parle Apulée, ils sont absolument inconnus. Le pâle dieu des morts égyptiens était
devenu un très grand personnage, à la fois Zeus et Hadès, surtout peut-être Zeus,
sous le nom de Sarapis, et s'il faut lui appliquer les destinées et les fonctions de
l'antique Ouseri, on ne lui était assimilé qu'après la mort (4).
Un mot seulement sur Mithra.
Comme la plupart des autres dieux de mystères, il est pour M. Loisy « un dieu
souffrant » i^p. 203 ! Lisez lerakhméël, disait jM. Cheyne, et tout ira bien. Mais
pourquoi Miihra un dieu soutirant? Parce qu'il immole le taureau qui était
est-il
primitivement un animal divin, un dieu, et dont l'immolation avait donc été la
passion d'un dieu. Nous avons résolu de ne pas chicaner sur les temps primitifs,
mais enfin si Mithra, étant d'abord le taureau, était devenu le dieu tueur de
taureau, il y avait bien eu du moins un dédoublement. Alors ne faudrait-il pas expli-

(I) *Ev T^ Ncixîov a^avatov (incertain) ûotstpav.


(•2) Inst. div., c. XXI ; Epitome, c. xxiii.
(3) L. L, 24-2-247.
(i) Sur le mélange de burlesque dans la religion d'Isis, cf. R. Paribeni dans les Atti délia R.
Accademia dei Lincei, vol. XVI, p. 109 t>s. il91tt).
4i2 REVUE BIBLIQLE.

quer meurtre du taureau d'après les idées des Perses? Je ne songe pas à repro-
le

M. Loisy d'avoir emprunté à M. Cumont ce qu'il dit du matériel du culte:


<;her à
nous en sommes tous là. Mais il ne semble pas avoir jamais eu beaucoup de
goût pour les représentations figurées, et il eût pu s'en remettre à M. Cumont
sur l'interprétation dela scène principale des monuments mithriaques. Le savant

ne veut pas y voir un sacrifice, il en donne la raison, c'est l'allure


spécialiste belge
du taureau arrêté en pleine course (1). Il n'admet pas non plus que le sacrifice du
taureau ait été reproduit dans le culte. M. Loisy voit dans le sacrifice du taureau
'( le rite central de la religion » (p. 197).
A tout le moins ce raeurti-e, au ii'= siècle avant notre ère et depuis, n'était pas,
la passion du dieu. Il y figurait comme créateur, d'après l'explication authentique
des textes. — Oui, mais pourquoi sa physionomie est-elle mélancolique? —
M. Cumont en donné deux raisons (2). La première suffirait déjà, c'était le
a
goût des sculpteurs après Alexandre pour les physionomies douloureuses. C'est
un fait bien conuu. Au sixième siècle, Athéna et les Korès avaient toutes leur sourire
stéréotypé. Au temps des diadoques la même Athéna « lève au ciel un regard
chargé de tristesse (1). » L'expression est de M. Déonna « Un voile de tristesse :

se répand sur les têtes de statues hellénistiques (3;. » Le groupe du Mithra tauroc-
tone peut avoir été conçu au ii^ siècle avant notre ère. A cette raison, M. Cumont
eu joint une autre. Mithra semble avoir égorgé le taureau à contre-cœur, sur l'ordre
du Soleil. Mais M. Loisy conjecture que cette mélancolie s'expliquerait très bien
si le meurtre du taureau était la passion du dieu lui-même (4) a Oh! l'affreux :

suicide », rêvait le devs invictiis, en enfonçant vigoureusement le couteau dans


les flancs du taureau, emporté par un galop furieux.

Il faudrait maintenant en venir à cette comparaison du judaïsme avec les mystères


qui est le début de l'ouvrage de M. Loisy, et qui est aussi la base de sa conclusion.
D'un côté les religions nationales qui demandent aux dieux le bien de l'État, qui
n'appartiennent qu'aux citoyens, qui sont publiques. De l'autre côté les mystères
qui olTrent une garantie individuelle d'immortalité, qui sont ouverts à tous les
hommes sans distinction, qui ont des rites secrets. IM. Loisy insiste peu sur ce
caractère du secret, et je ne vois pas qu'il ait rien fait pour l'expliquer. Cela n'était
pas de son sujet, car il n'a pas traité le christianisme comme un mystère dans ce
sens. Mais nous avons à relever cette différence, qui n'est point un pur accident.
Or l'évangile, assure-ton, a passé de la première catégorie dans la seconde,
c'est-à-dire qu'étant d'abord une manifestation messianique au sein du judaïsme,
il a rompu avec le judaïsme et il est devenu un mystère. Sauf que nous prétendons
qu'il Tétait déjà dans la pensée et dans l'enseignement de Jésus, et par le fait
même de l'Incarnation, nous ne songeons pas à nier l'originalité du christianisme,
€t sa rupture avec le judaïsme. Mais à vrai dire il est demeuré une suite de la

religion, et la vie du christianisme n'a point passé par une greffe empruntée au
paganisme.
Lorsque M. Loisy affirme que « le judaïsme lui-même, en tant que religion

(1) Monuments..., p. 184.


(2) Monuments..., p. 182 et p. I!t3.
(3) L'archéologie, sa valeur, ses mélhodes, l. III, p. 3j3 s.

(4) « Et nous savons maintenant jiouniuoi il est un peu triste . etc., p. 20:2.
RECENSIONS. 443

nationale et officielle n'offrait pas à ses adhérents un gage personnel d'heureuse


immortalité » (p. 13 s.), il faut rendre hommage à cette formalité scolastique, le

judaïsme officiel et national, reduplicative ut sic. Et en effet, il y avait les Sad-


ducéens, il y avait un culte vraiment national. Mais, ea fait, le très grand nombre
des âmes juives, sous l'influence des Pharisiens, soupirait plus ardemment vers la
vie avec Dieu dans l'au-delà que la plupart des païens, et il avait une doctrine plus
ferme sur la garantie qu'offrait le pacte conclu par Dieu avec la nation. C'était la
conviction profonde du vrai judaïsme, de celui qui a survécu à la ruine de la

nation, tant il était enraciné dans les âmes.


Quant à l'universalité, de même que les mystères, il invitait tous les hommes
au salut, moyennant l'initiation. Dans les mystères aussi on posait la condition
d'être initié. La révélation des mystères, d'après M. Loisy, « ne consiste pas dans
l'enseignement d'une doctrine ésotérique... mais dans une certaine manifestation
d'êtres et de faits divins qui sont offerts à la contemplation du croyant, dieux
auxquels il s'unit mystiquement, faits divins auxquels il participe rituellement »

(p. 16). Dans le judaïsme il n'y avait qu'un dieu, et ses manifestations étaient
moins sensibles, mais les faits divins étaient la raison d'être de tout le culte; par
lui le peuple s'approchait de son dieu, le plus près possible; souhaitant une union
plus étroite dans l'autre vie, il renouvelait l'alliance par le souvenir des miracles du
passé, représentés par la manducation de l'agneau pascal, la fête des tabernacles, etc.
Il y avait donc cette différence que tout se passait publiquement, selon les règles

de la décence, mais le caractère de l'initiation par la circoncision loin d'être moins


fortement imprimé sur l'être humain avait encore la force de l'associer au peuple
en même temps qu'il l'unissait à Dieu. De plus le judaïsme, comme M. Loisy
l'a bien dit, exigeait des actes moraux en vue du salut. On n'était pas sauvé sans
pratiquer le bien.'mais on ne l'était pas non plus sans être initié à la religion juive.
Encore chez plusieurs docteurs, trop passionnément nationalistes, le caractère
d'initiation paraissait-il suffisant pour effacer bien des fautes graves. Mais enfin,
nous nous en tenons à la doctrine orthodoxe 1).

Que fallait-il donc, pour muer en mystère cette religion? Elle était déjà très certaine-
ment une religion de mystère au sens indiqué, sans secret, comme garantie d'immor-
talité offerte à tous par l'initiation. Mais en présence du fait de la Passion du Fils

de Dieu, elle dut paraître à la fois vide et étroite. Le Fils de Dieu étant mort
pour le salut du monde, c'est dans cette mort désormais qu'il fallait chercher le
salut, par une initiation nouvelle, celle qu'il avait instituée, le baptême, qui devait
par même être compris comme une union à sa mort. A ce moment l'Esprit, la

vie du Christ étaient communiqués. Les œuvres étaient toujours nécessaires pour
le salut, mais des œuvres opérées par une vie divino-humaine. et le Christ étant

Fils de Dieu, il allait de soi que le salut était offert à tous les hommes. II n'était plus
possible de songer à un autre groupement que celui des êtres humains qui lui
seraient associés, le nouvel Israël, le vrai Israël, l'Église.
Il y a donc ici une nouveauté, c'est l'Esprit qui est donné, comme le Christ l'avait
annoncé et qui vivifie tout. Comme c'est l'Esprit du Christ, c'est par le Christ que
l'homme s'unit à Dieu.
Or, nous l'avons vu, la notion d'un dieu mort pour le salut des hommes était
étrangère aux mystères, et ils n'ont pas non plus connu l'Esprit.
Comment s'opérait chez euK l'union mystique? T avait-il plus qu'une intimité, une

(l; Le Messianisme..., p. 158 ss.


444 REVUE BIBLIQUE.
amitié, une alliance symbolisée par la hiérogamie? Il n'eit pas aisé de le dire. On
comprend plus aisément raltraction qu'ils oCfraient aux âmes.
Peut-être faudrait-il tenir compte de la séduction de l'immoralité sur notre pauvre
nature. Quand M. Loisy écrit que les cultes gnostiques c ne reculent pas toujours
devant l'obscénité que les mystères païens ne connaissaient plus qu'en souvenir »
(p. 355), il suggère donc que le peu de christianisme que contenait la gnose n'avait
pas empêché une rechute profonde, ce qui est peu llatteur pour le christianisme.
Et surtout il donne un démenti à des hommes mieux informés que lui et dont la
sincérité valait la sienne, un Athénagore ou un Clément d'Alexandrie. Ce ne sont
point là des fanatiques, ni des esprits étroits comme était sans doute Tatien. qui a
pris en grippe tout ce qu'ont fait les païens. Ils étaient au contraire soucieux de
relever dans le paganisme, dans la philosophie surtout, les traces de vérité qui
pourraient ménager un accord. Sur les mystères ils sont si clairs que nous ne
pouvons (plus reproduire leurs termes. On dit que les chrétiens ont été l'objet
des mêmes accusations, on accuse l'ardeur des polémiques, afin de renvoyer les uns
et les mêmes des deux
autres dos à dos. Mais les préoccupations n'étaient point les
parts. Un
Clément ne songe pas à avoir raison dans une polémique. Il s'attendrit
sur le sort des âmes qui se déshonorent, qui se perdent. Il voudrait les mettre sur
la voie du salut, en leur enseignant une religion plus honorable. D'ailleurs les

païens, nous l'avons déjà dit, ont tenu le même langage (D.
Toutefois, si l'obscénité des mystères n'est que trop avérée, il répugne d'y voir un
attrait pour les âmes. Très probablement on demandait le salut aux mystères non
pas pour participer à des rites ignobles, mais malgré cette ordure traditionnelle.
L'attrait était le caractère spécial des divinités et des rites.
De tout temps làrae religieuse a demandé à son dieu ce dont elle a besoin, et
quand il y eut sur l'humanité grecque, à partir du vi^ siècle av. J.-C, comme une
vague de désir d'immortalité bienheureuse, c'est cette grâce qu'on implora des dieux.
Peut-être les païens, moins convaincus que les Juifs de la nécessité des bonnes
œuvres pour être sauvés, furent-ils plus enclins à s'en remettre aux dieux pour tout
arranger. Très naturellement on s'adressait surtout aux dieux qui régnaient dans
l'au-delà ou qui y exerçaient spécialement leur empire. Et il se trouva que ces dieux
avaient déjà des mystères.
Car la notion de mystères dépasse, si je ne me trompe, celle de mystères du
salut.
Le sujet est assurément très obscur. La seule notion générale qui convienne aux
mystères est fournie par Athénagore; pourquoi ce texte lumineux est-il laissé de
côté? Il a dit « Les_jnystères montrent les passions des dieux (2;. » Remarquez
:

qu'il ne dit pas ta -a6r;|j.aTa, les souffrances, mais d'une façon plus générale, -t. -xOt,,

(1) On vient de découvrir à Rome, pies de la Parla majgiore, un sanctuaire souterrain, une
basilique consacrée aux. mystères. Elle passait au moment de la découverte pour dater du r '
siècle; peut-être est-elle plus tardive. Les stucs de l'abside foimeat un grand tableau, interprété
par M. Curaont comme le voyage de l'àme au séjour des bienheureux. Sur la paroi, outre des
reliefs plaisants, des thèmes religieux, représentant un homme en présence de l'arbre sacré,
dans la position du dieu égyptien Min. Pas d'obscénité, dit on, sentiment des forces productrices
de la nature, de l'âme divine répandue partout. Soit! Mais on peut parcourir des kilomètres
dans les Catacombes sans rencontrer ce geste une seule fois, ni même rien d'approchant. Que
voulez-vous.' Ce n'est pas le même Dieu, ce n'est pas le même Esprit; à l'antique tradition
païenne a succédé le culte en Esprit et en vérité. Et cela d'une seule fois, et par la rénovation
la plus complète. On a beau dire, il n y a pas de continuité. Et comjne cela ne vient pas du
judaïsme, cela vient de Jésus.
(2' -.à TtâÔY) aJTwv ôîihvjOjc [i-.,ffT7Îçia xxxn. Le commentaire de Geffcken ne souligne même
pas ce mot profond.
RECbliNSIONS. 44o

les dispositions morales, les aventures, les -souffrances, tout ce qui rapproche les
dieux des destinées et des faiblesses de l'humanité. Parlant de Mélampous, initiateur
semi-mythique, Diodore, lui aussi, dit qu'il a apporté d'Egypte les mystères de
Dionysos, les mythes relatifs à Kronos et aux Titans, « en un mot l'histoire des

passions des dieux Toutes ces histoires venaient sans doute de l'épopée, mais
(1} ».

si le culte public affectait de n'en pas tenir compte, si les philosophes, avant les apo-
logistes chrétiens, s'en moquaient, elles continuaient à se répéter dans les mvstères.
Et c'est pour cela sans doute qu'on exigeait le secret. De ce secret on a donné
bien des raisons. Des cultes étrangers devaient rechercher l'ombre; mais il y avait
des mvstères nationaux. La sainteté des rites exigeait le silence, mais pourquoi un
secret éternel? Tout s'explique si l'on prend les mystères pour ce qu'ils étaient, des
cultes dont il valait mieux ne pas parler pour éviter toute discussion. Tout y était
de nature à choquer le rationalisme grec grandissant, les -îOr, des dieux, les
histoires qui les mettaient en scène, les objets qui en étaient les symboles, l'assu-
rance qu'on prenait de l'accomplissement des rites, la prétention à pénétrer dars

l'intimité des dieux, la manière dont on s'y prenait pour procurer l'union. Il y avait
là d'étranges éléments, mélangés d'une façon encore plus étrange-, résidu des
anciens cultes avec une dans l'action ma;:ique des rites qui eut été proscrite en
foi

dehors des thiases, cultes venus de Thrace, de Phrygie, d'Egypte ou de Perse,


combinés selon des formules qui nous échappent. Mais toujours en parlant du
divin l'élément passionnel, -h -7.Qr-:y.6:>, souligné parpar Plutarque (2), comme
Athénagore. Quand les initiateurs orphiques offrirent leurs recettes de purification
dans l'Athènes du x" et du iv^ siècle, on ne fit d'abord qu'en rire parmi les hommes
influents et intelligents. Mais le courant fut le plus fort et entraîna à sa suite la
philosophie, car ce pathétique qui scandalisait les philosophes, leur paraissant
indigne de la nature divine, était précisément ce qui attirait la foule. Les dieux
étaient semblables aux hommes, en tout, y compris le péché. Ils avaient eu les
mêmes faiblesses, couru les mêmes aventures. Et cependant ils étaient heureux dans
leur immortalité. Ils pouvaient la conférer à d'autres d'autant plus facilement que
la limite entre les dieux et les hommes était moins marquée. L'apothéose du héros,
puis des empereurs, était admise couramment; Pourquoi les initiés n'auraient-ils pas
la même bonne fortune, auprès de dieux qui n'avaient pas qualité pour être des juges
austères.'
Pour un Plutarque ce -x9r,Tt/.6v était l'indice assuré que les dieux des mystères
étaientdes démons. Tout ce qu'il pouvait concéder, c'est qu'ensuite ils étaient
devenus des dieux. C'était précisément, d'après M. Loisy, l'opinion de saint Paul,
avec cette circonstance péjorative que Plutarque parlait de bons démons, et que
Paul n'en connaissait que de mal intentionnés. L'idée fondamentale des mvstères
n'était pas celle de la passion d'un dieu utile à tous les hommes, mais de leurs pas-

sions, une honte pour la divinité, une perche tendue aiùx hommes. On se demande
ce que Paul pouvait recevoir des mystères même par simple ambiance et incousciem-
'

ment. Il qu'un désir du salut en union avec la divinité, idée


n'y avait de louable
religieuse, la plus générale de toutes. Le désir de se purifier du péché personnel
nétait nullement dominante dans les mystères. Le trait de génie eût été de purifier

1 y.al t'o o-Jvo).ov tt,v Titç,\ zx nib-i\ twv Oîwv latopiav.


I, ri",

Dedefeclu orac. xiii; Is. i'i • Ce que les Grecs chantent sur la révolte des Géants et des
:-2 :

Titans,., les exils de Bacclius, les courses errantes de Gérés, tout cela ne diffère en rien des
aventures d'Osiris, etc. Il faut en dire autant de tous les faits qui s'enveloppent de mvsléres et
d'initiations, et que l'on dérobe... aux re^'ards de la multitude • iTrad. Bétolaud .
,

44(; REVUE BIBLIQUE.

cette notion de passions, dans le sens d'une souflrance expiatoire, et de transporter


sur rinimanité de Jésus cette notion incompatible avec la nature divine. Mais le fait

de Jésus s'imposait avant toute comparaison de ce genre, et portait en lui-même


son sens.
Ce n'est pas que les mystères aient été indiflérents aux progrès du christianisme.
C'est un fait d'expérience que rien ne le tient en échec comme une certaine con-
ception absolue et distante de la transcendance divine. Juifs et musulmans sont
pour Tordinaire irréductibles. Les pauvres âmes qui cherchaient si passionnément le
commerce et Tintimité des dieux étaient mieux préparées à recevoir la bonne nou-
velle de rincarnation. C'est l'argument d'Origène vous admettez ces mystères; le
:

nôtre vaut mieux. Mais il n'implique pas le moindre désir de céder quelque chose de
la divine originalité du christianisme. De leur côté les philosophes disaient : nos

mystères valent bien les vôtres, et ils s'efforçaient de les relever par des sens mys-
tiques, que l'on aurait tort d'antidater.

Lé livre de M. Loisy ne doit pas être mis entre toutes les mains. Mais il sera utile
ilceux qui ont quelque pratique de l'analyse et de la distinction des concepts. La com-
paraison qu'il a esquissée et dans laquelle il a plus d'une fois rendu justice à la
supériorité du Christianisme les comprendre mieux l'origine divine du
aidera à
mystère chrétien qui. si la mort de Jésus, et dans la hgne qu'il
peu de temps après
avait indiquée, se présenta au monde dans une unité féconde, avec une logique
intérieure, une richesse d'institutions qui suffiront aux siècles et défleront la cri-

tique.
On peut en outre estimer que M. Loisy n'aurait même pas dû aborder cette thèse

sans avoir à indiquer l'origine dans saint Paul de la fonction dominante de l'Esprit (1)
C'est par là que peut-être le livre retarde, comme l'auteur l'a dit modestement, car
c'est làqu'en est l'école religionsgeschichtlich. Ce sera sans doute le thème d'un
prochain ouvrage du savant professeur au Collège de France.

Er. M.-J. Lagkange.


Jérusalem, mardi saint.

(I; Il > a bien aux pages 2G1 et suivantes quelques renvois à ReilKe liste in, mais c'est trop peu
sur ce point capital.
BULLETIN

La Vie intérieure (1), de Son Eiiiinence le Cardinal Mercier ne nous appartient


que comme une lumière olTerte à tous, uq appel pathétique aux âmes sacerdotales.
A cet appel nous ne saurions répondre ni par la louange, ni par la critique. La
louange est sans valeur auprès de celui qui a su faire entendre de tels accents, et,

pour cette critique est réduite à se taire. Mais pourquoi ne pas signaler, dans
fois, la

un petit une page d'exégèse, et dans cette page un trait de sincérité et de


coin,
modestie? Le Cardinal Mercier a donné une paraplirase de ce mystérieux nocturne,
aux modulations si pénétrantes, qu'est l'entretien de Jésus avec Xicodème, l'intellec-
tuel hésitant. Les objections, d'allure vulgaire, de ce maître en Israël résonnent
comme de sourdes dissonances; attaché à l'ordre immuable des choses, il refuse de
se laisser entraîner par l'Esprit vers le monde d'en haut. Car c'est bien cela qui est
en jeu. Or, dans sa première édition, l'archevêque de Malines, entraîné par Maldo-
nat, avait entendu les terreaa et les cœlestia de la forme humaine ou plus divine que
pouvait revêtir la vérité. Il s'est corrigé depuis, et l'a dit avec candeur. Il explique
maintenant Jo. m, 12 ainsi : « Je ne t'ai enseigné que dans la mesure où il se réa-
lise sur la terre, le mystère (de la vie surnaturelle) et tu refuses d'y ajouter foi :

comment te résoudrais-tu à croire, si je te parlais de l'accomplissement de ce mys-


tère dans les cieux ? »

Fernandez Valbuena, évêque auxiliaire de Saint- Jacques de Compostelle, pour-


M?"'
suitrapidement son grand ouvrage La religion à travers les siècles (2i. Ce second
:

volume est presque entièrement consacré à l'histoire de la Révélation chez le-;


Hébreux à partir de Moïse. Elle est conçue dans un esprit résolument conservateur,
mais avec quelques vues sur ce qui peut éclairer la situation parmi les récentps

découvertes. A la Fernandez s'attaque à la religion des Hindous et des


fin M'''
Perses. Non content d'admettre la modernité des Gâthas zoroastriens et de les rat-
tacher au grand mouvement apocalyptique des livres sibyllins et des apocalypses
juives, comme on l'a fait ici même (1904, 27 ss. 188 ss.), il en attribue la paternité
;

à des juifs habitant la Perse. C'est passer la mesure, car ces Juifs auraient ainsi
surexcité des espérances contraires aux leurs.

M. John Pierpont Morgan a hérité du zèle de son père à collectionner les monu-
ments relatifs à l'antiquité chrétienne. Mais le mot de collection ne doit pas faire

(1; Retraite préetiée à ses prêtres |)ar D. .). Cardinal Mercier, arclievéque de Malines. Première
édition et dixième mille. Bruxelles et Paris, 1!»18. 191!).
(-2) L% religion a través de los siglos, estudio lomparativo de las religiones de la liumanidad..

tonio Si b'undo. gr. 8° de xiii-iO.';, pp.


448 REVUE BIBLIQUE.

L'heureux propriétaire entend bien associer tous les travailleurs au béuéfice


illusion.

de ses incomparables acquisitions. Notre collaborateur M. Hyvernat un ami —


dévoué de la Revue dont nos lecteurs n'ont pas oublié les études sur les versions
coptes de la Bible, — est chargé de publier un catalogue détaillé du tout. En atten-»
dant, M, Pierpont Morgan l'a prié de donner au monde savant un échantillon des
richesses dont Nous apprenons ainsi quelque chose du groupe trouvé à
il dispose (1).

Hamouli, sur du Fayoum, et qui appartenait au monastère de l'Ar-


la limite sud
change saint Michel. Tous ces manuscrits sont en dialecte sahidique, sauf un seul,
qui est fayoumique. On aura une idée de la valeur exceptionnelle de ce fond par les
premières indications. Ancien Testament : Lévitique, Nombres et Deutéronome,
viiie-ix" s.; I et II Rois (Samuel), de l'an 893 (manque une feuille); Isaïe, viii^-
ix^ s. Nouveau Testament : Les quatre évangiles, viii^-ix" s. (manquent 14 pages
à Luc); les quatorze épîtres de saint Paul, i\« s. deux fois; les sept épîtres catho- ;

liques, IX* s., etc., etc.

Nouveau Testament. —
Critique textuelle. Voici encore un livre qui a paru
avant la du retard auprès de i\L Hoskier, non auprès de nos
guerre. Je m'excuse
lecteurs, car il est toujours temps de signaler des œuvres très utiles. Ces deux gros
volumes (2) ont dû coûter bien du temps, et combien il serait difficile aujourd'hui
de poursuivre une impression aussi compliquée !

On sait que M. Hoskier est en quelque manière le successeur du Daan Burgon.


Ce n'est pas qu'il ose reprendre ouvertement la cause du textus receptus, mais il ne
peut tolérer le triomphe de B et de ses alliés. L'édition de von Soden ne pouvait
donner satisfaction à un critique aussi soucieux des précisions les plus minutieuses.

Il a déclaré que « c'était à pleurer (3) ». Et quoique Soden ait descendu B du pié-
destal où Hort l'avait placé, il lui est encore trop favorable. Il faut donc frapper
encore, et à coups redoublés, l'idole de l'édition critique anglaise. En notant B et

«es alliés comnie un texte recensé, Soden aurait d'ailleurs suivi bonne piste. Mais, la

d'après M. Hoskier, l'auteur de la recension ne serait pas Hésychius, mais l'entou-


rage d'Origène, lequel n'avait pas d'ailleurs de texte fixé pour le Nouveau Testament.
Le moyen le plus sûr d'abattre B serait de le séparer de son fidèle allié N'.
M. Hoskier le savait même avant la guerre. Loin d'estimer avec Soden que B et N'
ont moins d'autorité parce qu'ils ne représentent qu'un seul ms. générateur, il a
consacré tout son second volume à noter leurs divergences, qui montent, pour les
évangiles, à 3.036. Il semble d'ailleurs que Soden n'a même pas pris la peine de
collationuer x à nouveau!
Dans le r' vol., B est étudié dans chacun des évangiles. Les fautes du ms. que
Hort n'ignorait pas, les améliorations prétendues, c'est-à-dire les infidélités, les
influences des versions, harmonisations, retranchements, tout est passé au crible.
M. Hoskier ne : B
un accusé qui comparaît devant son tribunal,
s'en cache pas est

sous l'inculpation de faux témoignage, et qui n'en sortira qu'avec la condamnation


la plus sévère. L'élément nouveau de ce procès ancien, c'est l'influence des versions.

L'auteur en avait traité dans son ouvrage antérieur, Conceraing the Genesis of the

(1) A ChecJi List of Coplic


manuscripts in liie Pierpont Morgan Library, New York. Privately
Printed,^'Jiy.
(2) Codex B and ils Allies. A Study and an Indictment by H. C. Hoskier, deux in-S" de xvi-W"
et de 412 pp. London, Quarilch, l!>li.
(3) The Journal of Theological Studies, avril 1914 : Von Soden's Text of Ihe New Testament,
,p. 326.
BULI,ETIN. 449

veralons of the New Testament (Gospels). Uae série d'actions et de réactions dans
les sens les plus divers est en soi une explication plus vraisemblable que l'emploi
mécanique du Diatessaron de Tatien pour rendre compte de tout le désordre :

« Le Diatessaron seul ne peut pas être responsable de l'accord spasmodique entre

les documents latins et syriaques, parce que les documents latins, comme un tout,

s'opposent souvent aux documents syriaques comme un tout » fp. xni). Mais, dans
le système de M. Hoslder, ce n'est que pour reporter plus haut encore les échanges

entre les Syriens et les Latins. Une


syriaque aurait influé sur les versions
v'ersion
Tatien lui-même, et aussi sur B.
latines, et celles-ci auraient influé sur
Nous ne pouvons suivre M. Hoskier dans ces sphères inconnues. Il fournit lui-
même un moyen court d'apprécier sa méthode en signalant dès le début (p. iv) les
cas les plus notoires pour lui de l'infidélité de B envers son texte sous prétexte de
l'améliorer. Voici ces cas : Ml. vi, 7 j-rj/.y-:Li I. jOviz-o-.. Mais ici B est abandonné
par Hort et par Soden.
XVII, 15 xa/.oj; v/î: 1. y.a/.w; ::a5/a. Mais ici B et X ont l'appui de 6.
XIX, 4 xTCTaç 1. -Q'.T,^^;. Dans ce cas B n'est pas suivi des siens, sauf sa bo 33,
mais il a de nombreux appuis dans le groupe I de Soden, que je nomme plutôt la
koiné. De même
(xx, 34) pour oafiatojv 1. o^OaXaojv.
XXII, 10 Je concéderais que o vuaswv 1. o faaoç est une correction savante, mais
non pas qu'elle soit venue du sahidique ou des syriens, qui ont pu lire v ju-ocov et tra-
duire par « le lieu du festin », ou qui ont simplement expliqué o yaao;.
Me. V, 36 napaxouca; 1. azojaaç, vn, 4 pavTiitovia'. 1. oxjwTia'JVTa;, x, 16, /.XTîyXoYEi
1. cuXoyj!. Je ne voudrais pas sacrifier ces trois termes rares et difficiles. Dans le
dernier cas, Hoskier ne dit pas que © est venu appuyer B. — Le. xi, 33 ow; I. 3=770?.
Soden lit ov(^oi parce qu'il y a sw? dans Le. viii, 16. Mais pourquoi Le. n'aurait-il
pas écrit ow; deux fois? Assurément c'est ssy-fo; qui serait la correction élégante.
XII, 28 aasiarc'. l, atis'.^vvja-.. Pourquoi B aurait-il été chercher une forme dorique
(confirmée par D. a.'j.z'.îiti) ? Les corrections sont assez souvent dans le sens de la
clarté pour éviter les formes rares.
XII, 56 ojx. oioaTE oo/.iaal^ê'.v 1. o-j oo/.iaal^ïTs. Le texte de B serait une antithèse «

presque tautologique ». — Tant mieux! cela veut dire parallélisme sémitique. Ce


sont les autres qui ont changé.
XXII, 55 -spta-iavTojv 1. xir/Twv. Le terme rare et bizarre a été rendu plus coulant.
XXIV, 33 ï,6pota;j.îvcov I. TJvr|6G0'-Ta£V'ov. Même caS.
Je ne discute pas les trois cas de Jo. On voit que les exemples triés sur le volet,
qui ont donc paru fournir une évidence, tournent plutôt selon nous, sauf deux ou
trois peut-être, contre la thèse de M. Hoskier. Ce n'est pas à dire que nous ne pen-
sions comme lui que le culte de B est exagéré dans Hort et Westcott. Par exemple
nous lisons avec Soden dans Le. xii, 27 tmç, vj-i vrjGït ojte j-faiva (H-W marge), plu-
tôt que -'•); auÇavs;- ou xon-.a ojo; vyiÔei. Mais cette solution n'est pas au profit du rexte
d'Antioche elle est contre l'immense majorité. Il est regrettable que Hoskier (p. 432)
:

ne se soit pas expliqué sur ce cas intéressant.


De toute façon nous n'admettons pas son dilemme (p. 406, : ou bien BxL etc.
sont le texte pur, et tous les autres ont été revisés de la même façon sur cette
base, ce qui est invraisemblable; ou bien xBL etc. sont une revision totale du texte
d'Antioche. Mais nous admettons volontiers que B a été revisé dans un certain sens,
et dans le sens critique des retranchements. Le parti pris d'omettre certains passages
n'empêche pas que le reste du texte soit excellent. Il faut du courage pour demander
comme la chose la plus naturelle du monde (p. 42) « Comment se fait-il que nB :

REVLE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 29


450 REVCE BIBLIQUE.

aient abandonné le copte »? en lisant Àjyojïcv 1. £'.-ov (Mt. xiii, 28). L'influence
ici

du copte est-elte donc si claire et si fréquente? Celle du latin a été prouvée sur D,

depuis longtemps, par M. Rendel Harris, sur V\ naguère par M. Sanders. Mais il y a
cependant une ditrérence. On comprend que dans un pays latin, où le latin est la
langue de tout le monde, des gens cultivés comme du peuple, où l'Église a ses
docteurs latins, on soit tenté de changer un t€xte grec d'après le latin dans un ms.
bilingue. Et sans doute aussi a-t-ou consulté des Syriens, fiers de parler, disaient-ils,
la langue du Sauveur et de l'évangile primitif. Mais que des copistes ou des recen-
seurs du monde grec d'Alexandrie aient interrogé avec déférence une version faite
pour de la Haute Egypte, il faudrait de fortes raisons pour le croire.
les cultivateurs
Et on demanderait aussi de fortes garanties pour laisser passer ce texte original
latin de Marc, traduit en grec en Egypte, où il aurait rencontré la recensioa grecq«e
ordinaire. Lors donc que M. HosUier conclut 'p. t} : « Ma thèiC est que c'étaient B
et N et leurs prédécesseurs avec Origène qui ont revisé le texte d'Antioche », nous
ne pouvons y souscrire. Mais quel service rendu à la critique textuelle que cet
examen diligent de tant de points, avec une si rigoureuse précision et un esprit si
complètement insoucieux des opinions régnantes !

M. Haruack continue à battre la coulpe de la critique protestante sur la poitrine


de ses confrères (1 On . sait qu'il se complaît à ces manifestations sensationnelles,
d'allure réactionnaire. Lorsqu'il proteste contre le mépris qu'on a fait de la Vulgate
du Nouveau Testament, et qu'il exalte sa haute valeur pour la critique des textes,
nous ne pouvons qu'applaudir. Mais quand il lui donne le premier rang dans la

pour tous les passages importants, il y aurait beaucoup


critique des évangiles (2^, à

dire. C'est encore une thèse plus contestable que la réhabilitation encore une
HetJm;/!) du ms. A à l'aide de la Vulgate, envers et contre B. Avant de faire

chorus, nous devons nous rendre compte, et du procédé de M. Haruack. et des résul-
tats qu'il a obtenus. Et d'abord il n'était guère autorisé à conclure pour tout le

Nouveau Testament, ni pour les Évangiles seuls, ni même pour l'Apôtre 3 . puisque
son enquête n'a porté que sur les sept épîtres catholiques. Est-il même si certain
que Jérôme ait revisé tout le Nouveau Testament? Haruack ne semble pas en douter,
et se tient assuréque cette revision était chose faite avant la lettre à Marcella. car
il aucun soupçon de l'ironie amusée du grand docteiu- (4). Et il admet tou-
n'a eu
jours que son procédé peut être apprécié d'après les rapports du Brixianus f) avec
la Vg. des évangiles, sans paraître se douter des objections de M. Burkitt. Il y

a assez longtemps que le savant anglais a proposé de voir dans / un ms. revisé
d'après la Vg. et la version gothique, assez longtemps pour que la découverte d'un

ms. bilingue latino-gothique soit venu confirmer son hypothèse lô). Depuis, très
modestement, mais avec une métlwde irréprochable, M. Souter a montré que, du
moins pour le texte de Luc, Jérôme s'était servi du texte représenté par «, et qu'en
attribue à Eusèbe de Vereerl (fi.

(1) Beitnige zur Einleilnng in uns Neue Testament, VII. zur Revision der Prinzipien der
XeutestaynentUchen Textkritik.Hie Bedeutung der Vulgata fur den Text der kalholischen Briefe
mid der .4nteil des Hieronymus an dem l ebersetzuTigswerk. 9," de -130 i>p. Leipzig, I91C.
2 ... dass an allen saclilich wicljtigen Stellen der Evangeiienkritik die Vaïgala den vortritt
liât und zaersî zu befragen ist (p. 11).

(3) Par Apostolos, Soden entend tn-s naturellement toutes


les épîtres, à commencer par celles
d€ Patil.
('») RM. 191", p. 445-447; 1918, p. 244-257; 1919, p. 283, pour l'adhésion du R. P. Cavalleia.
(:;) Journal of theological Studies, I (1899-1900), p. 129 ss. — xi, 611-613.
(6) Journal of Ih. St.. Xll, p. S83ss.
BULLETIN. 451

Tout cela est non avenu pour l'illustre exégète de Berlin, nuis du moins
il a voulu
tirer une leçon de ses propres découvertes. L'épitre de saint Jacques n'est certes pas
à dédaigner dans le lot des épîtres catholiques. A quoi sert l'étude minutieuse
du texte de la Vg., d'après le critique? Sur 65 cas, la Vg. a raison dans l'addition
de ;j.sv dans iri, 5 et iv, 13 'p. IIG . En revanche elle est en défaut dans 63 cas.
On pensera qne cette apologétique ressemble à la défense du jardinier par le pavé
de Il semble à M. Harnack que, pour cette épître, Jérôme s'est borné à des
l'ours.
corrections de style, sans reviser d'après un ms. grec (1). Puis il applique à l'a-
pôtre (Apostolos) ce qu'il a déduitde Jacques. Et nous voilà mieux documentés sur
sa pratique dans cette section que sur sa méthode à propos des évangiles, quoiqu'il
l'ait expliquée dans une lettre fp. 125) ! Mais alors ce qui témoin du texte grec
est
dans les épîires catholiques, c'est l'ancienne latine, et non
revision de Jérôme,
la

quantité négligeable, en dehors du style. Car il faut sans doute attacher beaucoup
d'importance à la conclusion soulignée
les épîtres catholiques le te.xte de la
: or Dans
Vulgate est une très ancienne traduction latine interlinéaire du texte original, hien
conservée et un peu améliorée pour le style » ^p, 130 .

C'est fort bien, mais alorsque signiQe l'introduction? Et quelles conséquences


peut-on tirer de ce fait pour la critique des évangiles, où Jérôme a suivi, il l'affirme
et M. Harnack l'en croit, une pratique si différente, en corrigeant d'après le srec?
[1 faut d'ailleurs voir de plus près si les résultats de détail sont bien solides. Nous
venons de constater à quoi se réduit le bénéfice pour l'épître de Jacques. Ajoutons-v
au hasard la 2« Pétri. M. Harnack n'a pas reculé devant le travail —
un jeu pour lui
— d'une traduction en grec d'après le latin de la Vulgate. Mais il n'en est pas à
préférer toutes ses leçons. Il les compare à celles des bigs four comme on dirait
maintenant, et qui sont ici Tischend.jrf, Westcott-Hort.
von Soden. Heu- WeLss et
reux Lachmann, déclare-t-il, qui vivait dans un temps où l'on était beaucoup moins
riche en manuscrits! C'est grâce à cela que se tenant plus près de A et de Vu. il a
souvent touché plus juste! Donc, dans la 2-^ Pétri, la Vg. s'écarte 2G fois du con-
cert unanime des quatre. Elle a tort dix fois sans conteste, et elle n'a pas raison dans
huit autres cas. Restent huit cas dans lesquels Harnack lui donne la préférence.

Ch. 1, 2 la même pas avec certitude une leçon de la Vg.


leçon courte préférée n'est
Dd même rr, 4, comme Harnack
concède. Dans ces deux cas la Vg. est presque
le

seule. Sur i, 5 nous voyons apparaître A, /.xi ajTo-., mais la Vg. a vos aidem, ce qui
n'est tout da mêmî pas équivalent, ii, 8 Vg. n'a a.icun appui que copte. Mais
simplex est $ir/i(lum veri, ce qui sauvera bien des traducteurs embarrassés par leur
texte et qui savent tout arranger, ir, 2 çjt-./.oj; avec un cursif et Spcculam
\i, 18)
plus un seul oncial. Restent ii, 4 où Harnack non sius vraisemblance
se pro.aonce
avec N contre B. et n, 13 où il a raison de lire ayx-xu, mais avec B contre A. Ces
exemples sont -ils de nature à soutenir la prééminence accordée à A. à renverser
l'autorité de B?
Il y en a d'autres, sans doute. Mais quoi qu'il en soit des épîtres catholiques, on
ne voit pas le moment où un critique donnera, dans les évangiles, la préférence à
A sur B, ne fût-ce qu'à cause des leçons harmonisantes de A, qui ne pouvaient natu-

(I) Harnack a comparé avec le texte de Wliite celui des fragments de Bobbio (s\
Sur 8a ver-
sets, il n'a relevé que 48 différences. D'où il conclut que c'est le type Bobbiensis qui
a servi de
base à la revision de Jérôme. La conclusion est peut-être prématurée. i{. Buclianan a public
[Journal of th. St. XII p. 301) le texte du ms. p (Perpignan) qu'il regarde comme ancien latin.
Ce ms. p ne va que quatre fois avec s. et pour le reste avec Vg. sauf deux cas. Si p est bien
d'ancienne lutine, (jue penser de s?
452 REVUE BIBLIQUE.

Tellement le contaminer dans les épîtres catholiques. Ajoutons, pour calmer certain

enthousiasmes, que Harnack n'a même pas dit un mot du texte : trcs sunt, etc. de
I Jo. V, 7, qui sans doute n'existe
pas pour lui.

arménienne des évangiles, et avec com-


Voici qu'enQn on s'occupe de la version
pétence et tact (1). J'ajoute plus obligeante pour le public, car loin
: de la façon la

de prendre des allures mystérieuses ou de supposer que tout le monde sait l'armé-
nien, M. Frédéric iMacler a tout traduit, tout présenté d'une façon si claire que le
premier venu —
le recenseur par exemple, peut se rendre compte des faits, —
pourvu qu'il admette, ce qui n'est pas en question, la connaissance solide que l'au-
teur a de cette langue. On commencera donc par le remercier de la peine qu'il a

prise, car c'est à Etchmiadzin même qu'il est allé chercher les matériaux de son
travail.
M. Macler avait même avant la guerre achevé la publication du ms. E 229, celui-

là même que M. Conybeare a rendu si célèbre en y lisant, avant la finale de Me.


un titre à l'encre rouge « d'Ariston : le prêtre ». Ce ms., un des plus anciens (de

989 ap. J.-C), et, parait-il, le meilleur de tous, paraîtra ou a déjà paru en une
édition phototypique.
Le but de M. Macler dans l'ouvrage que nous avons sous les yeux semble avoir
été surtout de prouverque la version arménienne a été faite d'après le grec. Mais il
n'a pas consacré moins de soin à exposer l'état de la tradition arménienne d'abord,
enfin le caractère de cette version, et spécialement le texte qu'elle suppose.
Malheureusement il ne lui a pas été possible d'étendre ses recherches sur les qua-
tre évangiles, d'une façon qui le satisfît, et par un scrupule devant lequel il faut

s'incliner, il de Me. Souhaitons de voir bientôt paraître un


ne parle que de Mt. et

travail semblable sur Le. et sur Jo. Il pourrait peut-être sans inconvénient porter
seulement sur la dernière partie, car la thèse principale est désormais suffisamment
prouvée.
Sûr de son affaire, apparemment, M. Macler a mis un peu de coquetterie à décrire

avec soin les opinions régnantes. C'est un accord unanime des savants anglais,

allemands et français — si l'on peut mentionner ces derniers comme arménisants!


— à déclarer que la version arménienne a d'abord été faite d'après le syriaque. La
découverte du ms. syriaque sinaïtique et l'engouement qu'il a excité ont même
amené à conclure que c'était lui, ou quelqu'un des siens, qui avait servi d'original.
Les savants arméniens, non sans répugnance sans doute, n'osaient guère protester
contre ce verdict de la science européenne qui proclamait leur dépendance des
Syriens, en dépit de leur propre tradition. Us expiaient ainsi le crédit fort exagéré
qu'ils ont fait à Moïse de Rhorên, et qu'ils avaient tous les premiers imposé à l'Occi-
dent. M. Macler conclut (p. xxxiv) : « En résumé, si l'on écarte Moïse de Khorên
et le petit Koriun, qui sont manifestement postérieurs, la arménienne nous
tradition
enseigne que la Bible tout entière a été traduite par les soins de Sahak et de
Machtots (Grand Koriun) et qu'elle l'a été sur le grec (Grand Koriun et Lazare de
Pharpi). »

Cependant cette tradition est soumise au contrôle des faits. Us la confirment


pleinement en ce qui concerne les deux premiers évangiles.

(I) Le texte arménien de l'cvangile d'après Matthieu cl Marc, par Frédéric Macler, professeur

à l'école nationale des langues orientales vivantes, docteur es lettres, in-S" de Lxxn-647 pp. An-
nales du Musée Guimet, Paris, 1919. —
Voir la recension très érudite de M. Louis Mariés dans les
Recherches de science reliaieuse (janv.-mars 19-JO) que l'on n'a pu utiliser ici.
BULLETIN. 433

La tradilioa manuscrite ne remonte pas très haut, miis elle est très homogène
dans le meilleur groupe des«mss., et les mékhitaristes ont été bien inspirés dans leur
choix, car M. Macler n'hésite pas à donner l'édition de Zohrab (Z) comme un texte
excellent. L'abbé Paulin Martin aiaiait à dire Arméniens
que seuls des Orientaux les

avaient su publier une bonne édition de leur Bible, et quil fallait en faire honneur
à des religieux catholiques. On voit que cette louange tient toujours. Le second
groupe des mss. ayant à sa tête le plus ancien (887 de J.-C). Mq de Moscou, n'est
point homogène, et ne contient aucun individu dune égale valeur. \'oici la conclu-
sion d'une étude extrêmement serrée, qui n'occupe pas moins de 31.5 pag-^s « Les :

manuscrits du groupe Z offrent un texte concordant. Tous les autres manuscrits sont
aberrants et entre eux et par rapport au groupe Z; les différences de textes qu'ils
présentent résultent, pour partie, d'erreurs ou de correcùous arbitraires, pour une
partie plus grande, de revisions sur des textes grecs divers » (p. 3J5).

Muni du meilleur texte arménien et d'une ample collection de variantes, l'auteur


aborde son thème principal.
Une comparaison avec le latin ancien ne donne aucua résultat, car on ne trouve
ici rien de semblable à la parenté de syrsin avec certains textes latins, k surtout,
sans intermédiaire connu. Personne ne prétend que le latin ait pu influer directement
sur l'arménien.
Quant aux versions syriennes, dès l'introduction M. Macler avait réduit à sa juste
mesure l'argument de M. Robinson. Les ressemblances alléguées entre syrsin et
l'arménien ne prouvent nullement la dépendance de ce dernier. D'autant que l'ar-
ménien est vraiment plus voisin de la peschitta. Les deux ordres de faits s'expli-
quent de la même manière, par la communauté d'origine au regard de certains mss.
grecs. Seulement M. Macler nous parait s'être mterdit l'explication la plus naturelle
dans le casde la peschitta, la dépendance d'un même texte antiochien, qu'il n'a pas
voulu reconnaître. Mais ce point reviendra plus loin.

Aussitôt dégagé du préjugé de l'inflaence syrienne, l'auteur poursuit la démonstra-


tion directe de sa thèse. Elle ne laisse rien à désirer. ua peu Tout d'abord il jette

de lest. L'église emprunté au début quelques termes de liturgie ou de


arménienne a
hiérarchie à la langue syriaque. Ces mots étrangers ont eu la vie dure, on les
retrouve dans la traduction de l'évangile, comme Chahat, et non sabbat. Mais ces
cas sporadiques ne prouvent rien. .Si l'annénien avait d'abord été traduit du
syriaque, ou cette traduction a été mise de côté, ou elle a été constamment et toti-

lement revisée d'après le grec. Mais si la première hypothèse est en dehors de la

question, seconde se heurte à l'accord constant de l'arménien avec le grec, sans


la

parler de contres *ns qui ne pouvaient se faire que d'après un texte grec. En pareil
cas ce serait à ceux qui soutiennent une origiue syrienne de la version à faire la
preuve de leur paradoxe.
L'étude de la technique de la traduction est naturellement destinée surtout aux
arménisants, mais un profane même ne peut qu'être frappé des efforts du traducteur
pour exprimer, par exemple, le sens précis et total des mots composés. Enfin la liste

des noms propres du mode de


fournit l'évidence à ceux qui ont quelque expérience
transmission de ces noms. Nous possédons là une mignifique de listes de noms,
personnels et géographiques, d'un grand intérêt pour tous les exégètes. Loin de
rechercher, comme le syriaque, quelle pouvait être la forme sémitique du nom
évangélique grec, l'arménien se préoccupe seulement de transcrire les lettres

grecques, le plus souvent avec leur terminaison en s, ou avtc la terminaison armé-


nienne patronymique en Isi. C'est ainsi, si je comprends bien, que l'arm. n'a jjmais
454 REVUE BIBLIQUE.

Génésar, mais toujours Gernésareth. Pourtant il y a des nuances. C'est ainsi que
dans certains cas l'arni. rétablit le son aspiré sémitique, dans Géliénin pour y"~'/^r^,
Abraham, Isahak, Bethhezda. Ce dernier cas prouve que l'on regardait le grec
BT,6cc^a comme la traduction du terme araméen Beth Kbesda.
De même dans Rayénôn, pour Âtvwv (Jo. ni, 23), où le k semble remplacer le
àùfi des transcriptions syriaques. Mais ces cas sont très rares et ressortissent plutôt
à l'exégèse étymologique qu'à l'office du traducteur. Cela n'est pas allé jusqu'à
changer Bêelzeboul en Béelzeboub. comme nous l'avons dans notre Vulgate, qui n'a
pas été traduite du syriaque. Bétbanie n'a jamais de vestige d'un 'ain. On savait qvie
l'arm. a opté pour rspyscrr.vwv dans les trois cas (Mt. viii, 28; Me. v, 1 ; Le. viii, 26,
37). Le mot Gergésatsiens a sans doute pu venir du grec directement en traitant
Tjvcov comme une finale, sans passer par la forme de syrsin (Me. v, 1) Girgasieh.
Après cela 1 M. Macler qu'à rechercher quelle était la famille à laquelle
ne restait à
se rattachait le ras, grec traduit en arménien. Ce fut sa chance que l'édition du ras.
de Koridethi venait de paraître; mais ce ne fut pas un grand avantage pour Itii de
se servir de l'édition de von Soden. Elle lui fournissait des renseignements nouveaux,
mais aussi un classement auquel, semble-t-il, il a ajouté trop d'importance. On sait
du reste que le faible du système de Soden est sa prétendue recensibn L alors que
ce sigle désigne en réalité une masse polymorphe de mss. et de versions. Quant au
ms. de Koridethi, 6. M. Placier eu a bien vite compris l'importance pour son sujet,
et c'est son mérite d'avoir mis en relief les ressemblances singulières, sur des points
très précis, de 6 et de la version arménienne. Quoi d'étonnant lorsqu'on songe que
Koridethi se trouve dans le pays des Lazes, non loin de la mer Ps^oire, à peu près à
égale distance de Trébizonde et de Tiflis?
Mais cela n'autorisait pas M. Macler à conclure : « Pr<sque chaque fois qu'on
relève une pariicularité en arménien, elle a son correspondant en I, contre H, alors
qu'on ne signale rien de spécial pour K » (p. 631). Ou encore : le texte grec « était
du type représenté par le Codex Bezae et l'Évangile de Koridethi. > (^p. 644.
Par ce jugement sommaire, M. Macler néglige l'évidence qui résulte de ses pro-
pres collations. Je croirais que huit fois peut-être sur dix. l'arm. coïncide avec K
de Soden, c'est-à-dire avec le texte d'Aotioche, devenu le texte reçu, et non pas
même avec sa forme la plus ancienne. Ce qui est très exact, c'est que l'arm. n'a pas
grand'chose de commun avec l'H de Soden, c'est-à-dire les bons mss. B et consorts.
Mais sa parenté avec D est bien loin d'atteindre le degré qu'on trouve dans l'an-
cienne syriaque. Un groupe très caractérisé est celui que D forme avec les latins.

Ily en a des traces dans l'arm., mais peu. Ce qui a entraîné M. Macler, c'est qu'assez
souvent D marche avec Antioche. D'autre part 6 en a beaucoup plus encore subi
l'influence, et pour des leçons secondaires. Il semble donc que l'arm. est issu d'un
texte on peut le concéder à M. Macler, mais cela n'exclut que la parenté avec H,
I,

car ce I avait été déjà encombré de leçons antiochiennes. Ce qu'il y a de caractéris-


tique ici, et cela n'a pas échappé à l'auteur, c'est la parenté avec le groupe Ferrar(l).
Or il arrive à M. Macler d'écrire « Cette variante prouve que certains textes armé-
:

niens traduisent ou corrigent sur Koridethi ou un congénère » (p. -iy.j). Toutefois je


ne voudrais pas abuser de cette concession, que j'ai soulignée, dangereuse pour la

thèse principale, car les leçons de 6 et d'arm. presque seuls sont au contraire
d'anciennes leçpns qui ont dû peu à peu disparaître devant la marée montante du
textus receplus, comme Mt. v, 37 to vai vat/.atTo oj ou. ou encore Me. v, 7 nr^aty /«t

(!) p. Liv, faute d'impression : de Ferrare.


. 1

r.LLI.ETIN. 43o

Va donc pour le foiuls I, mais à la condition d'admettre qu'il a du parvenir en


30'..

Arménie sous la forme d'un ms. fortement revu d'après Antioehe ou même Constan-
tinople.
Quant aux rapprochements eux-mêmes, ils sont poursuivis selon les règles de la

critique. Quelques-uns cependant ont peu de portée.


seiit que les Syriens ajoutent toujours à « disciples « le pronom possessif, et ils
On
le prodiguent encore dans d'autres ca?. M. Maeler nous dit aussi que les Arméniens
petivent rendre l'article par le pronom possessif. De ces ressemblances il n'y a donc
rien à conclure, non plus que de quel fues manières nécessaires de rendre un mot
grec r
On se bornera ici à une observation au sujet de Mt. i, 16. L'arm. est traduit :

« Yakôb engendra Yôsêph, le mari de Marémah, à qui fiancée Mariam vierge, de

qui naquit Ysous, (lui fut nommé Qristos » p. 572;. En opposition avec toutes ses
recherches, M. Maeler ajoute : « Sauf l'addition du « mari de Mariam ». le texte armé-
nien est d'accord avfc syr. sin. : «Joseph, à qui Mariam vierge était fiancée, engendra
léchou.qui fut nommé Mechi'o (Messie) » et là?) le texte de Koridethi : twv 'mti^xj

«o xvT,7Tsy8t'ja ;:a_sO£vor aapiaa £-;'îvvt,7=v iv tov À^voajvov /v » (p. .573). Of il est au


contraire bien évident que l'élément adventice en arménien c'est : « à qui fiancée
Mariam vierge c'est que l'arm. continue par la tournure passive, en
», et la preuve
ce sens que Jésus est sujet, non complément. C'est le texte non pas « de Tischendorf,
basé^ur x », mais, d'après Soden lui même, de H-I-K (auquel il a eu le courage de
substituer le texte de syrsin qu'il a dû créer en grec) à savoir tov Ioj^tç tov zvopa :

Mapixç, e; r,; îyEvvr.Oy, It,joj: /.. t. À. En tout cos, si l'arm. ne représentait pas ce texte,
il faudrait le rapprocher pour le sens de Koridethi, non de syrsin. Car « de qui ». à ce

qu'on m'assure, n'indique aucun genre en arménien, et. a cette place, il ne peut
s'entendre que de Marie, comme dans Korideihi, tandis que syrsin attribue la

paternité à Joseph (au sens légal). C'était donc le cas de parler d'une addition d'après
Koridethi.
Comme influence de Tatien, on pourrait peut-être citer Me. xvi, 4 « du tombeau »

(p. 636). En revanche, trop déférent pour la notation de Soden. l'auleur le cite dans
bien des cas où il ne figure qu'en fantôme.
Encore une fois, nous voudrions bien avoir la suite d'un travail si consciencieux
et si utile (2).
Dulaurier. l'illustre arménisant, avait laissé inachevée sa traduction de l'histoire
universelle d'Etienne .\solik de ïarôn. M. Maeler a repris cet ouvrage et publie
aujourd'hui la deuxième partie, comprenant le livre III. allant d'environ 888 à
environ t004 ap. J.-C. (3). La traduction est accompagnée de notes copieuses qui
jettent beaucoup de lumière sur les obscurités de cette histoire. L'introduction n'est

;ii II grande importance au moindre détail, mais se garder d'en tirer des
faut attacher la plus
conclusions immenses N et B font œmTc de puristes, comme il appert dans cette variante,
: <- Si
Is seraient postérieurs aux autres mss. grecs réputés anciens, et ne dateraient pas de l'époque

qu'on leur attribue • (p. 800). Comme si la date de B dépendait de la variante aairsXwva avO^w-
Tio; eçoT£-j(7s-j Me. xii, 1

Le dernier mot est relatif à la date de la version. .4u lieu de dire « en latin », elle écrit • en
(-.>;

dalmate ". M. Maeler en déduit qu'elle date d'un temps où la Dalmatie faisait partie de l'em-
pire d'Orient, au vi" siècle. Mais l'expression n'est-elle pas ancienne/ ?:lle peut dater du jour
où l'on parla latin en Dalmatie. Si la tradition tient pour le v" siècle, elle n'est pasùabandoniiér
pour si peu.
(3 Histoire universelle par Etienne Asolik de Tarôn, traduite de l'arménien et annotée, par
Frédéric Mvcler, lauréat de l'Institut, professeur à l'école des langues orientales vivantes. Grand
8» de xcvrit-209 pp. avec XII planches, Paris, Imprimerie nationale. 1917.
436 REVUE BIBLIQUE.

pas moins propre à orienter le lecteur. Nous ne saurions insister ici; mais nous
voudrions du moins signaler aux théologiens le chap. x\i. qui est une sorte de
profession de foi de l'église arménienne monophysite. C'est bien le seul terme
:

qu'on puisse employer, quoique la polémique soit souvent dirigée contre des notions
que leurs docteurs ont eux-mêmes forgées. S'ils pouvaient éviter de confondre
division et distinction, ils n'auraient peut-être pas tant de peine à admettre la doc-
trine catholique. Il faudrait leur conseiller de méditer l'article de saint Thomas :

^(tnlm in Chn'sto sit unum esse. Mais avec la meilleure bonne volonté du monde on
ne saurait dire qu'ils sont orthodoxes, surtout par leur application à n'admettre
dans le Christ qu'une seule volonté. C'est ce que M. JNIacler a très bien vu.

Commentaires. « Le Nouveau Testament de Bonn » ^1), tel semble devoir être le


nom que portera le commentaire allemand catholique qui vient d'être terminé. Ce
vocable marquera la dernière étape, car l'ouvrage a subi certaines vicissitudes. Die
Heilige Schrift des neuen Testaments a d'abord eu pour éditeur M. Fritz Tillmann.
La première livraison a paru à Berlin, en 1912. sous les auspices du Cardinal Kopp,
prince évêque de Breslau, qui avait adressé à M. Tillmann une lettre encourageante.
L'explication des trois synoptiques était confiée à M. Fr. Maier de Strasbourg. Ce
fut la pierre d'achoppement. Si nous ne nous trompons, le commentaire ne fut
même pas terminé. L'introduction suffit pour exciter de que le telles inquiétudes

D"^ Maier cessa de faire partie des collaborateurs. En même temps le nom du Prof.

Tillmann ne fut plus mis en vedette, et la publication se transporta à Bonn. Seul


M, Maier a été remplacé, et par M. Dausch, de Dillingen, qui a commenté les trois
synoptiques dans un esprit sensiblement différent. Le troisième volume devait con-
tenir l'épître aux Hébreux, les épîtres catholiques et l'Apocalypse. Le premier fas-
cicule (Hébreux et Jacques) avait paru en 1912. 11 paraît de nouveau :19i6) sans —
changements, semble-t-il, —
avec le reste du volume.
Le consortium des éditeurs, responsables chacun pour soi, se compose donc main-
tenant des professeurs Dausch (les trois synoptiques), Ilohr (Hébreux, Apocalypse),
Sickenberger Histoire du nouveau Testament, I et II Corinthiens, Romains),
Alphonse Steinmann A.ctes, Galates, I et II Thess.), Meinertz (Colossiens. Éphé-
siens, Philémon, Pastorales, Jacques), Tdlraann ;Év. de s. Jean, Philippienst Vrede
;JudeI et II Pétri, I, II, III Jo.i.
L'aspect extérieur est si semblable à celui de la collection de J. Ueiss. Die Schrif-
ten des Xeiien Testaments, que la nouvelle entreprise semble en être la contre-partie
catholique. Le texte est traduit et commenté, mais les explications philologiques
sont exclues, puisque le grec n'apparaît nulle part, ni d'ailleurs le latin. Il y a

cependant cette difïérence que Weiss donnait le commentaire après la traduction,


J.

ainsi que le pratique M. Loisy, tandis que le commentaire catholique place les notes
sous le texte, et procède plus rigoureusement verset par verset. Mais cela n'est
point un obstacle aux développements, d'allure plus compréhensive, ni aux excur-
sus. Nous n'avons pas à indiquer nos préférences parmi ces distingués exégètes, et
il serait impossible de rendre co npte ici de tant de travaux si divers. M. Sicken-
berger est incontestablement plus accueillant que M. Dausch aux hypothèses de la

(I) Bonn, Peter Ilanstein. Le dernier volume a paru en 1910 Die beidea Briefe des heiligcn
:

Paulus an die Korinther und sein Brief an die Rômer, uebersetzt uncl erklaert von Dr Joseph
Prolessor der Théologie an der LniversitiU Breslau. Mit erzhischoeOicher Drucker,
Sickenbf.p,(;eb,
Taahniss. 1-5 raille, Grand 8° de xi-2ai pp. Cette indication donnera une idée de l'étendue du
Commentaire.
BLIJ.ETIN. 4o-

critiquemoderne, par exemple au sujet de la questioa synoptique. Mais en somme


c'est M. Dausch qui prononce sur ce point dans Fœuvre commune. Il assigne le

premier rang à la tradition orale. Cependant Luc se serait servi de Marc. Le Mat-
thieu grec canonique a pu être rapproché de Marc, mais dans .une très faible
mesure, car Dausch tient pour la stricte identité de l'original araméen et de la tra-
duction grecque. 0.i ne peut rien affirmer sur la dépendance de Luc ni de Marc par
rapport à Matthieu. La ressemblance de Luc et de Mt. dans les discours peut s'ex-
phquer par la tradition. Quant aux dates, Dausch est embarrassé par celles que
suggère saint Irénée. Mal satisfait des échappatoires subtiles de dom Chapman. il

admet carrément qu'Irénée s'en est rapporté à une tradition erronée sur la ren-
contre de Pierre et de Paul à Rome vers l'an 50. On peut donc fixer plus haut que
ne faisait l'évéque de Lyon la rédaction des évangiles. Mt. serait d'environ l'an -50,

xMc. de 50 à 60, Le. de 61 à 63. Celte date ne donnerait même pas satisfaction à
M. Steinmann qui place la rédaction des Actes avant que Paul ait été mis en liberté,
vers l'an 60.
Le commentaire de l'épitre aux Galates par M. Steinmann a paru la même année
que celui du P. Lagrange. Les conclusions sont exactement les mêmes, soit sur
le caractère des adversaires de Paul, soit sur les destinataires, les vrais Galates, soit
sur l'identité des faits auxquels il est fait allusion dans Gai. 2 et dans Act. 15. Cela
est d'autant plus remarquable que M. Steinmann a aussi commenté les Actes. Il a
su parfaitement tout concilier.
commentaires est excellent. L'exécution répond très
D'ailleurs tout l'ensemble des
bien au plan conçu. Mais que les doctes exégètes ne s'en tiendront
il faut espérer
pas là et qu'ils aborderont des commentaires plus détaillés. Le premier point est
toujours de bien comprendre le texte. Et nous ne voyons toujours pas comment on
peut y parvenir sans aborder le grec, et sans comparer à ce grec le développement
toujours plus riche de la littérature des temps évangéliques. Ce dernier point man-
quait seul aux Commentaires évangéliques de Schanz, dont la valeur exégétiqiie
demeure.

The international Critical Commentanj est maintenant dirigé par le Rev. Francis
Brown, de New York, et le Rev. Alfred Plummer. Il conserve donc son caractère
anglo-américain. Le dernier volume paru vient d'Amérique. C'est le commentaire de
l'épître de saint Jacques, par M. J. Hardy Ropes 1 ). L'auteur a eu soin de citer les tra-
vaux catholiques une exception assez rare dont il faut lui savoir gré. Ce n'est pas cepen-
:

dant que sa critique soit celle des nôtres. Assurément il relègue parmi les opinions
extravagantes celle qui rêve d'un auteur non chrétien. Mais il ne lui parait pas^
possible d'attribuer l'épitre à saint Jacques, évê^jne de Jérusalem, d'abord parce
qu'elle est trop en contact avec l'hellénisme, ensuite parce que l'auteur ne se préoc-
cupe nullement de la question de la Loi, telle qu'elle avait été posée par saint Paul.
C-pendanl M. Ropes met en relief un certain état d'esprit rabbinique de l'auteur
(p, 200). Et l'on pourrait peut-être lui opposer un argument ad hominem. Il n'admet
pas que Pasteur d'Hermas dépende de Jacques, en dépit de beaucoup de formules
le

semblables, parce que les sermons et les tracts de tous les âges procèdent de la
même manière (p. 90 Alors a-t-il le droit d'insister sur la ressemblance de l'argu-
.

mentation de l'épitre avec la Diatribe grecque? La culture des Juifs, au temps de Jésus

1,1 A crilical and e\egeiical commentary on tlie epistle of St. James, by .lames Hardy Kopes.
Mollis professer of divin ity in Harvard Luiversity. S" de xii-319 pp. New-York, l'JI6.
*o8 REVUE BIBLIQUE.
et après, nous est vraiment peu connue. Et si Jacques, évêquede Jérusalem, avait fait
rédiger son mandement par un autre, il n'y aurait là qu'un illustre précédent. Anssi
bien M. Ropes se garde de recourir aux retrancliements violents Il est, en effet, : '/

probable que l'épître a porté dès le début le nom de Jacques, et que par là était
désigné le frère du Seigneur »... alors? « mais rien dans l'épître ou dans les condi-
tions de la production littéraire de cet âge n'exclut l'idée qu'un pareil écrit (tract)
n'a été à l'origine pseudonyme » (p. 47). C'est-à-dire que l'écrit eut pu être pseu-
donyme, certes! mais il faudrait des raisons très fortes pour le conclure, puisque
l'antiquité a accepté le titre dans le sens de l'authenticité. La raison relative à
l'opposition à Paul n'eu est pas une en somme pour M. Ropes. Car il ne prétend pas
que Jacques ait voulu faire de la controverse, mais seulement ceci : « Jacques n'avait
pas appris à se servir de la théoloj,ie de Paul, et ne trahit pas la moindn- com-
préhension de la pensée de Paul sur la foi et les œuvres de la Loi. » p. 20.>;. D'autres
verraient là un indice que l'épître a été écrite avant l'épître aux Romains et non pas
de 75 à 12.5.

M. Ropes a tenu à signaler qu'il adopte une leçon nouvelle, lisant (I, 17) : f, Toonî;?
à;:oc7/.[â(j;j.atoç, leçon de X B soutenue naguère par un papyrus dOxyrhynque. La
nouveauté consiste surtout à lire au lieu de /;, c'est-à-dire la napaXÀa-zTJ
f, « qui est r)

du retournement d'une ombre )>. On serait étonné si cette construc-


Cqui serait) celle
tion violente avait le moindre succès.
L'auteur aurait sûrement cité l'article de M. Coppieters s'il avait pu en prendre
connaissance (1). La citation de iv, .5 voulait bien être une citation, quoiqu'on ne
puisse y voir qu'une expression poétique de l'idée de Ex. xx, -5. Cette pensée est
ainsi exposée Souvenez-vous de l'Écriture qui déclare que Dieu (St un amant jaloux
: «

et ne souffre pas de rival pour la loyauté de lesprit humain, et observez que Dieu
donne de la grâce. « (p. 261 On touche dans ces derniers mots le faible de cette
.

«xplication. Elle atténue beaucoup l'opposition avec ce qui précède, exprimée par oi
et par [xs-Çova.

D'ailleurs l'ouvrage est vraiment à jour, parfaitement clair, et complet, avec des
renvois à littérature grecque et rabbinique. Les questions de critique textuelle
la

n'ont pas été oubliées. C'est un caractère général du commentaire de s'attacher plus
à l'explication prochaine des mots et des phrases qu'à l'enchaînement des pensées.
Il es-t vrai que cela nous dispense de beaucoup d'élucubrations fantaisistes sur la
genèse des concepts chrétiens.

C'est au contraire, avons-nous dit, l'esprit du commentaire catholique de Bonn de


coordonner fortement l'exposition doctrinale, alors qu'on s'est interdit les explications
philologiques. Le commentaire de saint Jacques de M. Meinertz (2) est de cette sorte.
L'épître est de Jacques, révê(iue de Jérusalem, qui n'est autre que l'apôtre Jacques,
fils d'Âlphée ; M. Meinertz le conclut sans hésiter des
Actes et de l'épître aux
Galates. Elle date d'environ l'an 48. Au
on revient au système de, la
sujet (le rv, 5,
parenthèse « Ou pensez-vous que l'Ecriture dit en vain
: il désire jalousement —
l'Esprit qu'il a fait habiter en nous, mais il n'en donne qu'ime grâce plus grande —
c'est pourquoi il dit Dieu » etc. On n'en appréciera «lue mieux l'ingénieuse solution
:

de M. Coppieters.
Questions diverses. — M. Bacon attache beaucoup d'importance à prouver que

(1) R.D. IMo p. 35 ss.


(•2) Die heiiigo Sctirift des neuen Testaments... Der JaJvobusbrief.. 8'" «le ".O à 88, Bonn. lOIG.
DUI.LEriX. 4:i0

l'évangile de saintMarc est d'origine romaine I). Pourquoi? Parce qu'il y trouvera
le mo3-en de résoudre l'opposition entre la tradition synoptique et celle de saint
Jean. La christologie des écrits johanniques est une théologie d'incarnation, tandis
que « la christologie d'apothéose domine le champ entier de la littérature synop-
tique » Ces deux doctrines n'ont pu sortir l'une de l'autre quoi qu'en ait dit
(p. 1).

Baur, obligé pour cela de postuler un long intervalle entre les synoptiques et le qua-

trième évangile. M. Bacon les plaçant à peu près à la même époque, les premiers
vers l'an 100 et le dernier vers l'an 110. recourt plus volontiers à la distance géogra-
phique pour expliquer la naissance des deux croyances. Mais vraiment on ne com-
prend pas. Car Jean, le pseudo-Jean, est un paulioiste, et Marc aussi. Ne trouve-t-on
pas dans Paul et la théologie d'apothéose c'est-à-dire la glorification de l'homme
Dieu) et la théologie d'incarnation? Marc aurait-il emprunté les idées de Paul sur les
aliments sans se douter de sa Christologie? Il y a beaucoup d'obscurités dans les
déductions de l'auteur. Que Marc ait écrite Rome, la thèse est solide, et M. Bacon la

prouve bien par la tradition et par les latinismes de Me. Mais les autres preuves,
présence 'et aussi absence; (2> de renseignements palestiniens, paulinisme, jour de
la Passion, etc., n'ajoutent pas grand'chose aux premières et donneraient un étrange
aspect à l'œuvre de Marc, œuvre simple et ingénue, sans être moins élevée pour cela.

M. Luigi Peserico, dont on a les études sur la chronologie égyptienne ^3; et su.

l'histoire des Étrusques (4) s'est appliqué à calculer d'après l'histoire et l'astronomie
les principales dates de La première impulsion lui vint du K. P.
la vie deX.-S. (.5).

Mathiussi, et il les RR. PP. A. Vaccari, I


remercie de leur précieuse assistance
Rinieri, etc., surtout le professeur Millosevich. Voici les conclusions. Le texte
original de Le. m, 23 portait pour Jésus l'âge d'environ quarante ans, Dè5 lors il
commença à enseigner. Il était né la nuit du mercredi 5 nisan, 28 mars, en l'an 12
av. J.-C. L'étoile qui signala les débuts du règne de David et servit de guide aux
mages était la comète de Halley. On peut supposer que ce fut elle aussi qui guida
les Israélites à l'Exode. Sixièmement, Jésus mourut le vendredi avril de l'an 33. Et .3

cette dernière conclusion est en effet vraisemblable.


On trouvera dans l'ouvrage des déductions fort ingénieuses. 'Vimprimatur dont il

est muni est une preuve de la liberté avec laquelle on peut discuter des questions
aussi graves.

Le Rev. R. A. Aytoun a prétendu reconnaître dans Le. i et ii dix cantiques, qu'il


a traduits en hébreu (6;. Avec un assez bon nombre de coupures, etc., il arrive à leur

(1) Harvard theological Sludies vu. Is Mark a roman Gospel? hy Benjamin W. Bxr.ny, Buc-
kingham Professer of New Testament criticism aud interprétation in Yale university. 8". de —
106 pp. Cambridge Univ. Press, l'Jin.
i2;From the indications acquaintance (ortlie lack of it) witb Palestinian geograptiy elc. :p. 66
o(
a II est possible, dit M. Bacon p. 79 note\ qu'une raison pour le groupe de Marc Pierre, Jacques •<

el Jean » soit le fait que Paul mentionne ces trois noms comme ceux des « piliers > à Jérusalem
(Gai. ir, 9 quoique le • Jacques » de cet endroit ne soit pas le fils de Zébédée ». J'ai souligné ces
.

mots révélateurs de tout un système de critique. On suppose toujours que, comme nous, les
anciens, contemporains des faits, qui avaient connu les personnes, n'avaient d'autre source
d'information que les livres!
(3 Cronolofjia egiziana, verlûcata astronomîcamente e confrontata con le altre cronologie
antiche, 8° de 7i pp. Vicenza, 1919.
(4) Ricerche di storia elrusca, 8° de 3-20 pp. Vicenza, 1920.
(.S) Quanto visse GesM.S" de 143 pp. Vicenza, 1920.

(6) Tbe Ten Lucan Hymns of tlie Nalivity in tlieir Original Language, dans The Journal of Theo-
logical Sludies, 1917 p. 27'»-287, Dix Hymnes, en comptant Le. i, 14-17: 30-33, II, 14 len supprimant
cvoox(aç), etc.
460 REVUE BIBLIQUE.
trouver un mètre hébreu, non d'après les syllabes, mais en comptant les accents. Ce
genre de recherches — je ne voudrais pas dire de sport, — n'est pas aussi nouveau qu'il
paraît le croire : M. Griranied s'y est exercé et il a même abouti à trouver dans sa
traduction un mètre syllabique, ce qui est assurément plus difficile. Même il n'a pas
hésité à prouver de la sorte que les OJes de Saloraon avaient été écrites en hébreu,
travail de virtuose, où il ne pouvait s'appuyer sur Delitzsch. C'est dire qu'on ne
saurait se fier à ces sortes de démonstrations.

On se demande depuis longtemps pourquoi


saint Luc a parlé de Lysanias et de sa
petite principauté d'Abilène? Et on répondait (Kncibenbauer, Eahn) que Luc avait
voulu indiquer quels étaient ceux qui régnaient sur un territoire groupé sous la même
domination au moment ou lui-même écrivait. C'est sur quoi est revenu M. Cronin (2).
Il a ajouté que cet état des choses cessa au moment de la révolte en l'an 66, qui

brouilla tout, et ne se retrouva pas en 72, car le territoire gouverné par les Romains
et par Agrippa II lut alors étendu notablement vers le nord. Qu'en conclure, si ce

n'est que Luc a écrit avant l'an 66? C'est aussi ce qui paraît de beaucoup le plus
probable à M. Cronin. Il n'est pas de ceux qui accusent Luc d'erreur à propos de
Lysanias, et interprète correctement Tancienne inscription vue par Pocoke,(C. [. G.
4ô21,\ Mais pourquoi ne pas mentionner la confirmation que lui donne l'inscription
nouvellement découverte (3)?

Très jolie note de M. F. H. Colson sur « mythes et généalogies » I Tim. i, 4 (4).


On que certains critiques radicaux avaient reconnu dans ces généalogies les sys-
sait

tèmes des éons de la gnose du ii« siècle. Ils en concluaient que les épîtres pastorales
étaient de ce temps ou du moins ne pouvaient être de saint Paul. Déjà M. Hort (5)
avait répondu que ces « généalogies » (aussi Tite in, 9) ne sont pas uniquement des
tableaux généalogiques, mais peuvent s'entendre d'histoires : dans le cas ce serait
une alljsion à Vaggada juive. M. Colsoii transpose cette donnée sur le terrain
hellénistique où elle se trouve tout à fait chez elle. Les grammairiens, c'est-à-dire
les professeurs de littéralure, distinguaient plusieurs sortes d'histoire, l'histoire
mythique et l'histoire réelle, et spécialement quand on s'occupait des personnes, ce
genre de recherches se nommait généalogique •
6 . A propos d'Homère on discutait
indéfiniment sur la généalogie propremeat dite des personnages. On prétendait tout
savoir, et les philosophes s'élevaient contre cette curiosité qui n'était pas seulement
vaine, mais funeste à la bonne formation de l'esprit. Quiutilien ne voulait pas qu'on
se donnât aux anilibits fahulis, comme I ï(m. iv, 7 condamne les (j.j6oi); ypaojoïiç.
Si ce genre était appliqué à la Bible, les inconvénients étaient sans doute encore plus
grands, et l'on comprend que l'auteur des pastorales y ait même vu un grave danger.

On lit sous la signature de D. de Bruyne dans la Revue bénédictine^ octobre 1914-


1919, p. 393 : « Ea janvier 1913, j'ai interprété dans la Revue biblique un colophoit

y\) Cf. Rb.\\)\-2 p. 4C4 ss.


"2; Ahilene, the Jeivish Herods and St. Luke, dans J. Tli. St. 1<>17, p. 147 150.
'3) RD. 1912. p. o33 ss.
4; The Journal of Theol. Siudies, 1918, p. 2&5-27I.
Ji) Judaintic C/tristianitz, p. 135 s.
(tj) Tb Se itapôv 7:oÎYiuia xa/oùtriv ol 7ra>.aio(, <ruYXSÎ(i.Hvov £)c Touiy.où •/.xi T:pxY(jLa-i/.où y.ai

/povi/.oy xal yf/tOL/.oyv/.w, elç à C'.aipsïdOxt Triv t<7Top{av saaiv. Int- à Dionysius Uefiriyr^ffiç
p. 81, Lsener, Kleine Schriflen, II, p. -286.
BLLI.ETIX. 461

que Ton trouve dans deux manuscrits de la Bib'e latine à la lin du livre d'Esther et
j'en ai tiré quelques conclusions pour les origines réputées obscures de la Vulgate.
Aujourd'hui je suis obligé de reconnaître que cette interprétation était fausse et que
toute la théorie édiûée sur cette base doit être jetée par terre » — Dont acte. [L.]

Dans son ouvrage, « Saint Luc, Thomme etson œuvre '1} », H. McLachIan, profes-
seur de grec hellénistique à l'Université de Manchester, examine les divers points
de vue auxquels on peut se placer pour connaître et juger les œuvres de saint Luc.
Il tient grand compte du texte occidental, mais il ne croit pas qu'on puisse l'ac-
cepter ou le y a lieu d'examiner chaque passage en particulier.
rejeter en bloc; il

L'auteur des Actes était un homme de haute valeur; un véritable homme de let-
tres. Il est plus classique que les autres évangélistes; c'est un helléniste qui sait

varier les formes de son style, suivant que le sujet l'exige. [1 a dans les Actes si

bien coordonné ses sources qu'il est difficile de les distinguer. Il connaissait la litté-

rature grecque. Sa chronologie est aussi exacte que celle des historiens de son
temps-, il est bien au courant des coutumes et des jinstitutions de son époque. Il
ne semble pas que saint Luc ait connu le latin. Il n'est pas certain qu'il ait connu
l'araméen ou l'hébreu; il est probable cependant docu- qu'il a traduit lui-même ses
ments araméens. En tout cas.beaucoup d'aramaïsmes dans l'évangile de
il reste
saint Luc. Il a édité ses sources avec une certaine liberté, leur donnant sa forme de
style et y introduisant ses expressions caractéristiques.
Comme théologien, Luc a beaucoup insisté sur la prière, sa pratique et son
efficacité, sur les actes du culte. Sa doctrine sur le Saint-Esprit et sur le Messie est
très développée: celle sur l'autre vie, sur la rédemption l'est moins. Il est cepen-
dant question.de la rémission des péchés dans les Actes.

Me Lachlan insiste sur l'humour qui se trahit dans certaines paraboles de l'évan-
gile; y relève même de l'ironie. Les deux lettres qu'on trouve dans les Actes sont
il

authentiques, bien qu'on puisse y reconnaître la main de Luc. Les discours de Pierre
et de Paul ne peuvent être tenus pour des reproductions littérales des discours
originaux, car ils sont reproduits dans la langue et la phraséologie de Luc. Même
dans les discours première partie des Actes, qui sont de provenance araméenne,
de la

les citations de l'Ancien Testament sont empruntées aux Septante. Luc a donc
corrigé le texte targoumique par le texte grec. Dans les discours de Paul on retrouve
des expressions paulinienues et quelques-unes des doctrines de l'apôtre. Luc a
représenté exactement la situation dans laquelle se produisait chaque discours et les
paroles de l'orateur ne sont pas aussi littéralement reproduites que ne sont expri-
més ses sentiments et sa personnalité.
Le Journal de voyage de Luc est à p.ine la dixième partie des Actes, mais il en
est, à certains points de vue. la partie la plus importante; les détails géographiques
et nautiques y sont d'une exactitude parfaite.
L'auteur examine enfin le caractère de Gallion et sa conduite lors du procès de
Paul, devant son tribunal; le passage du coJex de Bèze, Le. vr, 4, sur l'homme qui
travaille le jour du sabbat; les rapports de Luc avec le livre de la Sagesse et la péri-

cope de la femme adultère. D'après lui, elle n'est pas de Jean; elle est absente de
nombreux manuscrits du IV« évangile et n'en reproduit pas le style et la phraséo-
logie. Elle provient de l'évangile de Luc. dont elle a les termes caractéristiques, les
tendances linguistiques et les idées.

(1) St. Luke, The Man and his Work. \ii. 324 pp. Mancliester, at llie Lniversity Press, liJiO.

462 RliVUE BIBLIOLE.

Nous avons déjà parlé plusieurs fois aux lecteurs de la Revue biblique du Voco-
bulary of the greek Testament (jue publient MM. Moulton et Milligan. Par suite du
décès de M. Moulton. M, Milligan reste seul chargé de la publication {\]. Le bateau
qui ramenait M. Moulton, des Indes en Europe, a été torpillé eu 1915 dans le golfe
du Lion. Rappelons que ce Vocabulaire est un recueil des mots dont la signiflcation

peut être expliquée à l'aide des papyrus, des inscriptions et des autres documents
littéraires des temps a voisinant l'époque néotestamentaire. Comme précédemment

nous allons passer en revue les mots que Ton tenait pour des i-x\ Àe-fO'j^va et dire
où l'on en est sur l'usage qui en a été fait dans les inscriptions et les popvrus.
Evyjo:, Hebr. vn, 22. est commun dans les documents légaux; Cf. Pap. Grenfell.
I, 18--, 132 av. J.-C. II est aussi dansXénophon et Polybe — '£Yy.o;j.$6o[j.a:, l Pet. v. 5,

est un ternie rare qui n'a pas été trouvé dans les papyrus. Suidas cite un passage
d'Apollodoros de Caryste, poète comique du iv" siècle avant J.-C. où il se trouve.
— 'E5pafa);Aa. I Tim. iti. 15, rappelle i'osaaaa. cité par Reitzenstein, Poimandres.
— 'E0£/,o6pr,c;/.E(a, Col. Il, 23, est probablement un terme forgé par Paul par analogie
à èOsXooojÀcta. — E?ow)>oXàTpr;ç, I Cor. V,- 13, et îîoioÀoXaTOE'a I Cor. X, 14, sont regar-
dés comme des termes de formation chrétienne. — 'ExTooao;. Hcb. xii, 21, est dans
Philon i^"" siècle ap. J.-C. dans une inscription d'Hadrumète du iii'^ siècle après
et

J.-C. — Ez-yj/'-o, est dans Act. v, 5, 'EÀÂoyâw se retrouve sous sa forme hellénistique
èVaoyéw, dans un papyrus du IP siècle ap. J.-C. — "Ëv8a);j.r,ai:, Apoc. xxi, 18, se
irouvedans Josèphe sous la forme IvSoar.ai:. —
'Ev-raçiaaadç, Jo. xir. 7, rappelle itn

passage de Philodemus. de Morte, i*"" siècle av. J.-C. Hérodas, iif siècle av. J.-C.
— -Il doit être traduit préparation pour la sépulture. Le terme doit provenir
:

de EvTa^ià^w qui est dans l'Anthologie. Plutarque. — 'EÇéoaaa I Pet. ii, 22, n'est
pas dans les papyrus. — 'E-iô-.aTâjcoaai, Gel. m, 15, a son analogue dans
Zi7-7.7zou.jL: qui est dans les inscriptions. — 'E-:oÛ7ioç, Mt. vi. Il; Le. xi, 3; les

papvrus ne fournissent aucune lumière sur ce mot difficile qui a été formé pro-
bablement par le traducteur de Q pour rendre un terme araméen. D'après Moulton.
; iz'.oocjy. serait l'étymologie la plus probable — "E-'-Àei/w, Le. xvi, 21, est expliqué
par une inscription du iii'^ Eph. iv, 16, se trouve
siècle ap. J.-C. — E-v/opr^-^ia,

dans une inscription de 79-81 ap. J.-C. E-jct^n^'-Ain^r',:, Act. xxi, 8, —


formé du
verbe Hja-ffjÀîÇw, a été signalé par Achelis dans une inscription. E-juc-ico-oç, —
I employé par Veltius Valens, iP siècle après J.-C.
Tint. VI, 18, a été EjirG03fo-£'.> —
Gai. M, 12, est dans un papyrus de l'an 114 av. J.-C. Ejpa/.j)udv. Art. xx.vn, 14, —
serait un nom hybride, formé de £-3poç et de cquilo E-jI/u/ioj, Phil. ii, 19, verbe —
rare se retrouve dans une lettre du temps de Claude ou de Néron il est dans Josèphe. ;

— Zîu/.T/.p'x, Act. XXVII, 10, n'a été trouvé que dans un papyrus du m^ siècle

après J.-C— 'Hatwpov, Apoc. vni, 1, n'est que dans un papyrus du temps d'Adrien.
Hho^'o/x.toç, I Tliess. IV, 9, rappelle un terme homérique, ajToo'oa/.To;. BoyAiX^, —
Le. X, 21; 60GJ0ÉW, qui a le même sens, est classique — 6ct>-/.o:, .Jae. i, 26, rappelle
epriT/.six qui est dans les Septante et Josèphe. — 0ç'.au.oEÛtu, II Cor. 11, 14. se

retrouve dans les écrivains de l'époque, Polybe. Strabon; dans un papyrus de


l'an 14 av. J.-C. on a un composé. l/.0p'.a;j.6r,70r;vaî.

Nous ne trouvons pas relevés les termes suivants : È/.rôTr.^i;. I Tim. i, 4; lÀa^pîa,
II Cor. I, 17; £;j.-a;-;'aovT;, H Pr. III, 3: z-'.-ob\7. Rom. XV, 23; IripâîiTw, Me. II.

,1, J. Ho?E MoLLTON and G. Milligan, The Vocabulary of the greelc Teslament illustraîed from
llii papy ri and other noa-Ulerary sourre.s Part. 111, iii-i". p. 177-295; E-b; London, Hodder
.-

and Stouglilou, 1918: 7 si). 6. p. La Partie IV est sous presse.


BULLETIN. 463

2i; £7:ioôiÔï3c.a/Jw. I Tiin. I, 3; OeaTciToaai, Ht'br. X, 33; IzÔcaTS-Çoaai se trouve


dans Polybe; âiiwor,:. .A]v. ix, 17. Ils n'out pas dû être trouves dans les inscrip-
tioas ou les papyrus ; ils restent donc des «-a; À=YÔ;j.£va jusqu'à nouvel ordre.

E. Jacquier.

Ancien Testament. —
M. ïobac. aujourdTuii professeur à ruuiversité de
Louvaiu. a eomaiencé une étude sur les Prophètes qui doit s'étendre sur trois
volume.s (l). Le premier contient une vue générale sur le Prophétiscne en Israël.
Vient ensuite un tableau de l'action des Prophètes orateuis, puis une analvse des
six premiers petits prophètes. Le but de l'auteur était de réunir, d'une façon simple,

méthodique et claire, tout ce qui pouvait faciliter la lecture intelligente et l'étude


scientifique des Prophètes perdu de vue riniportauce des écrits
» CP- v). Il n'a pas
prophétiques par rapport au Pentateuque. il serait tenté de faire « un De Samuel
prêtre de vocation personnelle, incorporé plus ou moins au sacerdoce, bien que
n'appartenant pas a uue famille sacerdotale » Cp. <»0i. A propos de la loi sur l'unité
du sanctuaire, ce qu'elle exige. c'est qu'il n'y ait qu'un seul lieu affecté au culte
«

public », mais « cette loi n'a pas pour but de défendre d'une manière absolue tout
sacrifice en dehors du sanctuaire » p. t09 s. note . La perspective messianique des
prophètes est expliquée de la même façon que par M.M. Van Hoonacker et
Touzard : Les prophètes contemplèrent la figure idéale du Messie non pas dans
o

la perspective des siècles qui devaient precéder sa réalisation, mais dune manière
immédiate et absolue, détachée de tout lien avec le temps; ils peuvent ainsi l'asso-
cier aux circonstances du présent ou le projeter sur un avenir plus éloigné, la con-
cevoir ou l'annoncer comme plus ou mdus prochaine » (p. 52 Sur les prétendus .

mariages réels d'Osée nous avons acquis la certitude que la conception purement
: o

S}:jnbolique de ce mariage peut seule se défendre » ^p. 213). A vrai dire cette
conclusion découle sans plus du texte lui-même « Va, prends une femme de :

prostitution et des enfants de prostitution, parce q<ce le pays se livre à la prosti-


tution » Os. I, 2). Pouvait-on dire plus clairement dans ce style que toute la raison
d'être du mariage et des naissances c'était la conduite d'Israël? La série des réalitrs
qu'on imagine n'eût pu qu'exciter la nausée des compatriotes d'Osée et disqualifier
d'avauce celui qui allait parler au nom de Dieu. On nomme héroïque une union daus
laquelle un conjoint consent d'avance à vivre avec un conjoint qu'il sait devoir lui
être infidèle. Le pardon serait déjà héroïque, après des siècles de christianisme^
mais peut-on imaginer que Dieu demande d'avance un tel sacrifice à un Israélite
dont le devoir était plutôt de faire condamner sa femme comme adultère.' Et dans
quel but? pour le rendre odieux et méprisable... Tandis que c'est précisément à
cause de ce que la àtuatioa aurait eu de malpropre que le prophète peut dire à
Israël : Voilà quelle serait ma situation, et c'est ainsi pourtant que vous traitez
Dieu! Félicitons M. Tobac de ce retour à la tradition de saint Jérôme, en dépit du

consentement des criti jues moJerne>, dont q lelques-uns se soucient fort peu de
rendre l'Ecriture ridicule.

^ Correspondance. — Dans un des précédents n°' delà RB. 1919, pp. 281-283),
un correspondant anonyme me fait l'honneur de discuter l'interprétation que je

1 Les prophètes d'Israël, 8" de xvi-3l-2 pp. Lierre, 1010.


464 REVUE BIBLIQUE.

présentais naguère de Le, vu, 47 {RB., 1917, pp. 184-188). De ses objections je ne
retiens que la plus forte mon interprétation, qui est en harmonie avec la parabole
:

(les deux Débiteurs), serait en désaccord avec Thistoire, où la pécheresse nous fait

l'impression d'une pénitente qui vient implorer son pardon, plutôt que d'une con-
vertie qui vient remercier pour le pardon obtenu.
l" L'objection a une conséquence inattendue : elle rejaillit S'ir les vv. 44-46, où
le Sauveur exalte l'amour de la pécheresse; ces actes eux-mêmes seraient con-
traires à la situation historique, car ils expriment, à n'en pas douter, la reconnais-
sance pour le pardon obtenu. Ce sont « des actes d'amour », dit très bien votre
correspondant, et c'est le sens manifeste de la parabole.
Mais alors, si Jésus célèbre la gratitude de la pécheresse aux vv. 44, 45, 46, pour-
quoi ne le ferait-il pas encore au v. 47? Et pourquoi écarter de ce v. 47, comme
« n'étant pas en harmonie avec la situation réelle », une explication qui ne choque
nullement, qui s'impose mêmeaux versets précédents?
2" Au reste, c'est la contradiction prétendue qui paraît à son tour très contes-

table. En réalité, il n'y a d'opposition avec la situation historique que si l'on sépare
des sentiments unis et qui doivent le rester. La pécheresse est le modèle des conver-
son repentir est tout imprégné de contrition parfaite, et l'on sait qu'une telle
tis-,

contrition est aussi bien un acte d'amour qu'un acte de regret. La femme s'était
présentée aux pieds de Jésus, et le Maître ne l'avait pas écartée. Puisqu'il la^hiissait
faire, n'était-elle pas Ne lisait-elle pas le pardon dans
déjà exaucée et pardonnée?
son regard, dans son attitude, dans sa divine tolérance, avant même que le mot
d'absolution ne fût tombé de ses lèvres? C'est pourquoi, ses actes exprimaient déjà
sa reconnaissance, en même temps qu'ils continuaient à implorer la sentence offi-
cielle du pardon. — Il en va parfois de même, toutes proportions gardées, au
tribunal de la pénitence. Un pécheur qui a la contrition parfaite est pardonné
avant de recevoir l'absolution sacramentelle, laquelle ne sera pour lui que la pro-
clamation officielle et juridique du pardon anticipé. Si ce pénitent a conscience de
l'efficacité des actes qu'il produit, on peut dire que son repentir est déjà transfiguré
par la gratitude et l'amour.
Le tableau historique (vv. 36-40) nous présentait surtout la conduite de la péche-
resse sous l'aspect du repentir. La parabole (41-50) nous la montre plutôt sous l'as-
pect de la reconnaissance. Les deux points de vue ne se contredisent pas, ce sont les
deux laces d'une même réalité. La parabole prolonge l'histoire et elle la complète.
— Et il est naturel aussi que la sentence du Sauveur ne vienne qu'à la fin c'est la :

formule d'absolution sanctionnant le pardon de la contrition parfaite.


Puis-je espérer que ces explications satisferont les exigences historiques de votre
correspondant? Je voudrais du moins avoir justifié à ses yeux mes préférences pour
une interprétation qui respecte toutes les données de l'histoire et sauvegarde toutes
les beautés de la parabole. [D. Buzy].

Le Gérant : J. GABALD.i.

Typographie iMiaiin-Didot el C''


UEMPLOI METAPHORIQUE
DES NOMS DE PARTIES DU CORPS EN HÉBREU ET EN AKKADIEN

Le terme «,. akkadien » tend de plus en plus à se substituer au


terme « assyrien » ou « babylonien » pour désigner la lang-ue sémi-
tique que parlaient les anciens habitants des rives du Tigre et de
l'Euphrate, De même que les scribes distinguaient le pays de Sumer
et le pays d'Akkad, ils connaissaient la langue sumérienne et la
langue akkadienne (1 Dans les textes bilingues, la traduction en
.

babylonien du texte sumérien primitif était appelée. .akÈildd^e^^=^à^-


dire « akkadienne > (2 On sait que le nom d'Akkad était primitive-
.

ment un nom de ville, l'une des cités bâties par Nemrod {Gen. x, 10),
et que cette ville n'était autre que la célèbre Agadé (3). Le nom de la
ville passa à toute la région d'Akkad, la langue qu'on
y parlait s'ap-
pela l'akkadien, par opposition au sumérien f^-VCf' çst ra kkadien qui
est la langue sémitique dont les deux grands rameaux furent le
babylonien et l'assyrien, qui ne différaient entre eux que par de
nienues divergences de prononciation.
Les Hébreux, qui avaient essaimé de Chaldée au temps de Ham-
mourabi, appartenaient au groupe amorrhéen, les A?mirrû des ins-
criptions cunéiformes (5). Leur langue, qui était la même que le
Cananéen, avait été plus fidèle que l'akkadien à conserver les sons
primitifs, et en cela elle se rapprochait davantage de l'araméen et de
l'arabe. Mais le contact entre les Babyloniens et les Hébreux constaté à
l'époque dAbraham n'a pas cessé durant l'histoire du peuple de Dieu.
Au retour d'Egypte, les descendants des patriarches trouvèrent, en

(1) Nous avons traité cette question dans Les origines babyloniennes, p. 27 ss. [Confé-
rences de Saint-Étienne, 1909-1910.)
(2) Ibld., p. 33 s.

(3) Pour l'équivalence a-ga-de = Akkadu, voir les passages cités dans Meissner, Sel-
tene assyr. Idéogramme, a" 8878.
(4) Assurbanipal se vante de pouvoir lire à la fois le sumérien et l'akkadien (Streck,
Assurbanipal, p. 256-257, 1. 17 et n. 4).
(5) Voir notre article Hammourabi-Amraphel, dans RB., 1908, p. 217 ss.

REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX.


30
466 REVUE BIBLIQUE.

Canaan, des peuplades imprégnées de la civilisation babylonienne,


dont la langue diplomatique était la langue de Babylone et dont l'écri-
ture était l'écrilure cunéiforme (1). Les vicissitudes de la politique
amenèrent dans les royaumes d'Israël et de Juda les rois de l'empire
d'Assyrie et ceux du second empire de Babylone. Les ambassades,
les correspondances, les relations économiques, sans parler des exils

et des déportations, autant de causes qui perpétuèrent entre les Juifs

et les gens de langue akkadienne des rapports continus. La langue


hébraïque, apparentée à l'akkadien par. ses origines, en ressentit le
contre-coup. Dans une étude, très sérieuse et très documentée (2),

M. Zimmern a tenté de cataloguer les emprunts, certains ou proba-


bles, que l'hébreu a faits au vocabulaire akkadien. Il est très rare
que des textes nouveaux n'apportent pas de nouvelles lumières sur
l'étroite liaison qui a toujours existé entre l'akkadien et l'hébreu, non
seulement dans le domaine de la lexicographie mais encore dans celui
,

du style, de la poésie, et même du rythme. Nous avons cru faire


œuvre utile en étudiant l'une des parties les plus intéressantes de
l'histoire du langage, ce qu'on pourrait appeler l'humanisation de la
nature. C'est une loi commune que les noms des diverses parties qui
composent le corps humain soient transférés aux animaux, aux
végétaux, aux objets inanimés, quelquefois même à des abstrac-
tions. L'homme se au dehors, exactement comme
projette ainsi
lorsqu'il prête ses sentiments ou ses émotions aux êtres qui l'en-
tourent. L'hébreu et l'akkadien marchent côte à côte dans cet
emploi métaphorique des mots qui primitivement étaient appliqués à
la désignation du corps de l'homme ou de l'animal. Sans doute,
beaucoup de ces métaphores sont naturelles, on les retrouve non seu-
lement dans les langues sémitiques, mais dans toutes les langues.
Il est bon cependant de mettre en parallèle les expressions bibliques

et celles des textes cunéiformes, ne serait-ce que pour les éclairer


les unes par les autres et pour montrer le génie commun aux peuples
qui en ont fait usage. M. Holma, qui a traité, avec une érudition
consommée, des noms de parties du corps en babylonien et en
assyrien (3), n'a cité que subsidiairement les métaphores auxquelles
ces noms avaient donné lieu. Il s'est abstenu, sauf pour des cas iso-
lés, de mentionner l'usage de ces métaphores dans la Bible. Quel-
ques faits, les plus évidents et les plus classiques, sont relevés par

M. Zimmern dans le dictionnaire hébreu de Gesenius réédité par

(1) La langue de Canaan, dans RB., 1913-1914.


(2) Akkadische Fremdvôrter 2= édit., 1917.
,

(3) Die Iranien der Korperteile im assyrisch-babylonischen, 1911.


L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 467

Buhl Nous avons dû reviser chaque mot et en étudier les signifi-


(i).

cations figurées aussi bien dans la littérature cunéiforme que dans


l'Ancien Testament. On verra combien de passages bibliques acquiè-
rent une saveur nouvelle quand on les compare ainsi aux passages
similaires de la langue akkadienne et quand on recherche le déve-
loppement du sens métaphorique dans l'une et l'autre littératures.
Nous n'avons pas étendu ces recherches à l'hébreu post-biblique, à
l'arabe, à l'araméen, pour ne pas déborder le champ de cette Revue.
Si nous avons çà et là fait allusion à une métaphore de l'arabe ou de
l'araméen, ou si nous avons cité quelque acception spéciale à l'hébreu
tardif, c'est pour confirmer ou pour éclaircir la genèse et le dévelop-
pement de la métaphore dans les textes cunéiformes ou dans les
expressions bibliques. Mettre des faits nouveaux dans des cadres
anciens, c'est quelquefois briser les cadres. L'inconvénient des classi-
fications rapides qu'on trouve dans les dictionnaires est de ne donner
que l'a peu près. Il faut chercher sans cesse à acquérir la vraie valeur
du mot ou de l'image. Dans l'état de nos connaissances, il est clair
que la comparaison entre l'hébreu et l'akkadien fait toucher du doigt
jusqu'à quel point l'imagination hébraïque l'emportait sur celle des
Babyloniens et des Assyriens, race positive et réaliste. On peut citer
dans la littérature cunéiforme des passages émouvants de sentiment
et de chaleur, surtout lorsqu'il s'agit de psaumes ou de prières. Mais
la fleur de la poésie, cette animation pittoresque de la nature, qu'on
voit poindre à chaque page des livres poétiques de l'Ancien Testa-
ment, on ne l'aperçoit que rarement dans les textes de Ninive ou de
Babylone. C'est plutôt dans le langage courant ou populaire qu'on
retrouve les mêmes métaphores. Autant les peuples aimaient à fusion-
ner, autant les esprits qui composèrent les Livres Saints se tinrent en
garde contre la pénétration des éléments étrangers. C'est lorsque
leurs idées reflètent les idées du temps qu'elles sont exprimées dans
un langage où nous découvrons les mêmes images qu'en Chaldée et
chez les autres peuples sémitiques. Très souvent le poète impose à la
langue son propre génie et donne à la métaphore une portée que ne
pouvait soupçonner le commun peuple. Il faut alors étudier l'image
populaire et voir comment elle a été élevée à l'expression d'une idée
plus rare ou plus saisissante. La confrontation des textes bibliques et
cunéiformes permettra de ne pas laisser dans le vide ou dans le vague
certains passages bibliques trop facilement traduits par les commen-
tateurs ou témérairement corrigés par les critiques.

(1) Nous utilisons la 14' édition, 1905.


468 REVUE BIBLIQUE.

I. — LE CORPS EX GENERAL.

Avant d'étudier en détail les différentes parties du corps humain,


celles qu'on peut grouper sous trois titres généraux « la tète, le
tronc, les membres », il ne sera pas inutile de dire un mot des
éléments qui composent ce corps et qui furent eux aussi l'occasion
de métaphores dans le langage courant. Chez les Hébreux, la dignité
du corps était due au fait que Dieu n'était pas seulement l'auteur du
corps du premier homme, mais encore de celui de chaque individu.
La formation du fœtus dans le sein de la mère était vraiment son
œuvre. Job l'interpelle en ces termes :

Ne m'as-tu pas fait couler comme le lait

Et coagulé comme le fromage ?

ïu me revêtis de peau et de chair,


Et tu me tissas d'os et de nerfs,
Et tu m'accordas la grâce de la vie

Et ta Providence sauvegarda mon souffle (l).

Dieu commence par donner de la consistance au sang; il couvre


ensuite cette matière informe d'un vêtement de peau et de chair,
puis il dispose l'arm^atare des os et des nerfs; finalement c'est la vie
symbolisée par le souffle, ce même souffle que le Créateur a insufflé
dans les narines d'Adam. Non moins affirmatif sur l'intervention
directe de Dieu dans la formation de lembryon le passage suivant
des Psaumes :

Car c'est toi qui as créé mes reins,


Te me tissais dans le ventre de ma mère,
Je te loue de ce que j'ai été si merveilleusement fait :

Tes œuvres sont merveilleuses et mon âme le sait bien!


Il ne te fut pas caché mon squelette

Quand j'étais fait dans le secret,


Brodé dans les profondeurs de la terre :

Tes yeux me virent à l'état d'embryon,


Et sur ton livre étaient tous écrits
Les jours qui étaient fixés sans personne en eux (2,.

L'action de Dieu est, ici encore, comparée à celle du tisserand.


La justesse de l'image n'échappe à personne. Un coup d'œil sur la
peau permet d'observer les mailles du tissu de l'homme. Et si nous

(1) Job, X, 10-12.


(2) Ps. cxxxis, 13-16. Le V. 16 fait allusion au livre dans lequel sont écrits les jours
des mortels. Avant même l'existence de ces derniers, leurs jours sont déjà inscrits.
LEMPLOI MÉTAPHORIQUE. 469

ouvrons le dictionnaire de Littré, nous lisons comme définition du


tissu anatomique c parties solides du corps formées par la réunion
:

d'éléments anatomiques enchevêtrés ou simplement juxtaposés. Tissu


musculaire. Tissu fibreux ». D'autres fois, le travail de Dieu dans
la confection du corps humain est assimilé au travail du potier. Le
passage de Job que nous avons cité est précédé de deux vers qui font
allusion à cette image :

Tes mains m'ont façonne et formé,


Rien que pour un temps, puis tu me détruiras :

Souviens-toi donc que tu m'as fait comme avec de l'argile


Et que tu me retourneras à la poussière (1).

Il y a ici une réminiscence de la tradition concernant la création

du premier homme avec de la terre. Nous avons recueilli ailleurs


les textes qui montrent 1 existertce d'une tradition similaire en Baby-
lonie (2). Le dieu Éa « seigneur de l'humanité, dont les mains ont
bâti la race humaine (3) », portait le titre de dieu potier et fournissait
ainsi le pendant du dieu égypiien Khnoumou façonnant de petits
bonshommes sur le tour à potier. En Israël la figure du potier
fabriquant les vases d'argi'e fut appliquée surtout- à la création par
Dieu de son peuple de prédilection (i). Mais lorsque Dieu dit à
Jérémie : « Avant que je te formasse dans le ventre, je te connais-
sais (5) », il emploie, d'après le Qerè, le verbe iï'' qui est caracté-
ristique de l'œuvre du potier "lïii et qui a été choisi pour exprimer
la création de l'homme avec de la terre (6). Pour Jérémie comme
pour Job, c'est Dieu qui façonne l'eafant dans le sein de la mère,
de même que le potier façonne les vases d'argile. Et Job est con-
séquent avec lui-même quand il appelle ses membres n2:i (xvir, 7).
Il recourt au participe passif du verbe •^j:'' dont le participe actif veut
dire le potier. Saint Paul est fidèle à cette image quand il emploie le

mot ffxsîjoç « vase » pour représenter le corps humain (7).

La mère des Macchabées est parfaitement dans l'esprit traditionnel

(1) Job, X, 8-9. Les mots l'^IC in'' oÉfrent une grosse difficulté au v. 8. La nécessité de
les rattacher au 2' héraist. nous suggère de donner au mot I^ZD « tour » (de 31D
« tourner ») le sens de « cycle, période, temps », en comparant avec "lïl « génération »

dérivé de 117 mouvoir en rond «.


« se
(2) La religion assyro-baby Ionienne, pp. 75 et 184.

(3) Quatrième tablette surpu (éd. Zimmern), 1. 70.


(4) Is. xLv, 9; Lxiv, 7 ; Jer. xviu, 2 ss. avec le symbole du vase brisé dans le chap. \ix,
(5) Jer. I, 5.

(6) Gen. u, 7.

(7) 1 Thess. IV, 4; U Cor. iv, 7.


470 REVUE BIBLIQUE.

quand elle reconnaît que ce n'est pas elle qui a formé dans son
sein le corps de ses enfants « Je ne sais comment vous êtes apparus
:

dans mon pas moi qui vous ai fait présent de l'esprit


sein, ce n'est

et de la vie, ce n'est pas moi qui ai agencé la structure de chacun


de vous. Or donc, le créateur du monde, celui qui a formé la genèse
de l'homme et a inventé la genèse de toutes choses, vous rendra
avec miséricorde et l'esprit et la vie, puisque maintenant vous vous
méprisez vous-mêmes pour ses lois (1). «

Cette idée de l'intervention divine dans la formation de l'être


humain après la conception n'était pas spéciale aux Hébreux. La
mythologie babylonienne attribuait parfois aux dieux un rôle efficace
dans cette œuvre merveilleuse. Sans insister sur les textes qui mon-
trent la filiation divine des rois ou des simples mortels (2), il ne sera
pas superflu de ciler les passages qui rappellent lés expressions
bibliques. Par exemple, Asurbanipal est celui que les dieux « ont
cœur de sa mère pour le pastoral du pays d'Asour (3) ».
créé dans le
Nabuchodonosor II précise « Après que Mardouk eut formé ma créa-
:

ture dans la matrice (4). » Et dans sa prière il dit à son dieu : « Moi
ton prince obéissant, créature de ta main, c'est toi qui m'as créé
et m'as confié la royauté sur la totalité des gens (5). » Le dieu
Nabou, répondant à Asurbanipal, se sert de l'expression « Ta forme :

que j'ai créée (6). » Si les dieux s'appliquaient à la formation du


corps des rois dans le sein maternel, il est possible d'admettre qu'ils
n étaient pas étrangers à l'organisation du corps des autres indi-
vidus. Ainsi expliquerions-nous le grand nombre de présages que
les devins tiraient de l'observation des signes, des anomalies, des
monstruosités que présentait le corps de l'enfant à la naissance. On
y voyait la marque de la volonté divine écrite par la main des dieux
sur leur ouvrage.
Le corps n'est donc pas, chez Akkadiens et chez les Hébreux, les

cette « guenille » qu'on méprise et dont on voudrait se débarrasser.


On avait même une certaine répugnance à le séparer de l'âme qui le
vivifie. Il est notoire que les expressions employées pour le corps en

(1) // Macc. vu, 22-23.


(2) Cf. La religion assyro-babylonienne, p. 166 s. et p. 198 ss.

(3) Cylindre de Rassani, i, 5.

(4) Inscription de Eait India House, i, 24. Il semble certain que le mot ummu employé
sans suffixe {i-na um-mu) a ici le sens de « matrice » plutôt que son sens ordinaire de
« mère L'idéogramme de ummu « mère
». » est usité pour le sein maternel, la matrice :

cf. Delitzsch, Sumerisches Glossar, pp. 7 et il.


(5) Même inscription, i, 61-65.
(6) Craig, Religions texls, i, pi. 5, 15 : lùn-ka sa abnù.
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 471

général afin de le distinguer de l'âme, ont été de bonne heure réser-


vées au cadavre. Ainsi, en hébreu, le mot =^^m qui signifie actuellement
<( le corps » n'apparaît dans la Bible qu'au féminin ~3i:i « cadavre ».

De même n'i: a plus souvent le sens de « cadavre » que celui de


corps animé. Quant au mot =i: il ne figure que dans l'expression

isaz « avec son corps », c'est-à-dire « rien qu'avec son corps »,'

« seul », un peu comme en anglais by himself. La tendance à réser-


ver au mort le terme générique de « corps » (comparer l'anglais corpse
pour signifier le cadavre) apparaît déjà en assyrien, où le mot pagru
dont la signification primitive est « corps » a fini par désigner le
cadavre. C'est avec ce sens qu'il a passé dans l'hébreu 1:2 Dans les .

listes de signes, pagru figure tantôt comme synonyme de zumru qui


est le mot propre pour signifier le corps vivant, tantôt comme syno-

nyme de salamtii « cadavre » (1). Il y a là une perversion du sens


originel depag?'u, car les Assyriens avaient une série de termes spéci-
fiques pour exprimer l'idée de « cadavre ». Fait digne de remarque,
ces mots sont du genre féminin comme pour marquer qu'il s'agit non
plus d'un être personnel, mais d'une chose neutre et indifierente.
Ainsi f/ultu qui est simplement le féminin de ?7iitii « le mort ». L'hé-
breu, moins logique, gardera le masculin na même quand il s'agira

du cadavre d'une femme Féminins encnçf^ n<i^"^fH


{Ge?i. xxiii, 3 ss.).
a la chose détruitenabdlu « détruire »), nidtu « la chose
» (de
couchée » (de nâlu « se coucher »), ialamtu « la chose finie » (de
saUîmii « être achevé »), autant de synonymes pour représenter le
cadavre. L'hébreu est d'accord avec l'assyrien quand il emploie le
féminin nSn: qui reproduit nahultu (2), ^h^'^ « ce qui tombe » (de
'iSJ^ enfin nsiA et n>i"ir(raéntionnes ci-dessus), pour accentuer le

caractère de faiblesse et de passivité si tristement visible dans le


cadavre.
Quand les Hébreux voulaient parler du corps vivant, de celui que
Dieu avait formé dans le sein maternel, le mot qu'ils employaient était
"iîy:i
Jj.
chair ». On le distinguait de s 'f qui avait un sens moins
"i

(1) Dans K. 4383, obv. on trouve pag-ru immédiatement après zu-um-ruvi


18-19,
« corps », comme équivalent de BAR {Cuneiform
texls..., xi, pi. 40). Dans AO. 3930,
rev. 11, on a côte à côte pag-rum et sa-lam-hun, « cadavre », comme équivalents de KUS
[Revue d' Assrjriologie, vi, 1904, p. 132).
(2) Malgré les objections de Meissner [Zeitschr. fur Assyriologle, xxvii, p. 274 ; Orienta*
îist. Literatur-Zeitung, 1916, 310), nous croyons que les dérivés hébraïques nSsJ « cada-

vre » et Sian « déluge » plaident en faveur d'une lecture nabâlu « détruire » plutôt que

napâlu (qui équivaudrait à Ssj).


472 REVUE BIBLIQUE.

général et qui représentait plutôt la viande, les parties charnues du


C3rps. L'expression 'TC'^-bs « toute chair » signifiait tous les êtres

humains. Pour préciser davantage on disait W^^u ni") i2~iux 1*^ ^-Ss

« toute chair en laquelle se trouve un esprit de vie », c'est-à dire tout


être vivant (Gen. vi, 17; vu, 15). D'autre part, comme le principe
de vie, la ^^Sj, se trouve dans le sang (1), on pouvait employer l'ex-

pression DIT lira « la chair et le sang » pour signifier tout l'hûûime*^

Un exemple caractéristique est donné dans l'Ecclésiastique (\i\\lS) :

« Commë~la feuille qui monte sur Tarbre verdoyant, dont l'une se

flétrit tandis que l'autre croît ;


ainsi des générations de chair et de_
sang (en "^tya), l'une périt et l'autre mûrit. » C'est l'homme mortel
opposé au Dieu immortel (2). Homère se sert exactement de la même
comparaison « Telle la génération des feuilles, telle celle des hom-
:

mes. Le vent fait tomber des feuilles à terre, mais la forêt verdoyante
en pousse d'autres et là saison du printemps reparaît ainsi la géné- ;

ration des hommes : l'une pousse, l'autre périt. » (//. vi, 146-149). Et
ailleurs Apollon compare à la vie des feuilles la vie fugitive des mor-
tels (//. XXI, 463-464). On voit par là que « les générations de chair et
de sang » mentionnées par le Siracide sont les mêmes que les géné-
rations des hommes du poète grec. La chair et le sang, c'est le com-
posé humain, l'homme. Ainsi s'éclairent les passages du Nouveau
Testament où sont juxtaposés la chair et le sang. Par exemple quand
Notre-Seigneur répond à saint Piere « Tu es heureux, Simon fils de :

Jonas, car ce n'est pas la chair et le sang qui te l'a révélé, mais mon

père qui est dans les cieux » [Malt, xvi, 17), on retrouve facilement
le prototype hébraïque dela-^phrase : nxT-nx ^S-nSj Nib WX] iÇ2-t2(3).

« La chair et le sang », c'est l'homme opposé à Dieu. Quand saint Jean


parle de ceux qui sont nés « non pas du sang, ni de la volonté de la
chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu » [Joh. i, 13), le

sang et la chair auraient suffi à faire comprendre qu'il s'agissait de


l'homme par opposition à Dieu. La saveur hébraïque de cette expres-
sion est d'autant plus sensible que l'évangéHste recourt au pluriel
y.\\).y.-^,r) pour signifier le sang, ce qui est conforme à l'usage de Co^
au lieu de D"î (4). Saint Paul, le disciple de Gamaliel, n'ignore pa&

(1) Voir surtout Gen. k, 4-5; Lev. xvii, 11 Deut. xii, 23.
;

(2) Dans le Talmud, le terme courant pour désigner l'homme mortel est précisément

(3) Nous citons l'excellente traduction du N. T. en hébreu par Franz Delitzsch.


(4) En assyrien on emploie le pluriel dàviê pour « le sang ».
L EMPLOI METAPHORIQUE. 473-

la force de l'expression « la chair et le sang ». Il écrit aux Galates r


« aussitôt je ne consultai ni la chair ni le sang » (1), en grec jap/'t y.-A
ai';j.a-i équivalent exact de DT lirs, pour bien marquer que sa révéla-
tion ne vient pas de l'homme (2i. De même quand il oppose l'homme
spirituel et Thorame terrestre, il définit ce dernier par « la chair
et le sang » (/ Cor. xv, 50). Ici encore le grec cxp; /.al 3:T[^,a n'est
qu'un reflet de a"i ^ù; 2. Dans Eph. vi, 12, la chair et le sang ont
le même sens. L'apôtre oppose l'humanité aux puissances infernales
répandues dans le monde.
On voit, par ce qui précède, que le mot "ipz ne signifie pas seule-
ment la chair, mais aussi le corps distinct du sang qui est le siège
du principe de vie. Il faut noter que, dans le discours qui doit pré-
parer les auditeurs à lintelligence de l'Eucharistie, xXotre-Seigneur
parle de sa chair et de son sang [Joh. vu, 54 ss.j, tandis que, dans
l'institution du sacrement, il distingue le corps et le sang.
Nous avons attiré l'attention sur l'expre'ssrÔnûiTHm parce qu'elle
met en rehef le sens exact de ^rz. La chair proprement dite était ren-

due par 1^<•i^ Il nous semble que l'expression ilirn iN'kT [Lev. xviif, 6;

XXV, 49; Num. xxvii, 11) doit se traduire littéralement par « la chair
de son corps ». En akkadien, le mot « chair » était iiru, Uni, corres-
pondant exactement à l'hébreu iKur, tandis que nous n'avons pas
l'équivalent de "lil'n avec ce sens. Il était naturel que le mot spécifique

pour signifier la terme usuel pour exprimer la


chair devint le

parenté par le sang, à savoir le père, la mère, la frère, le sœur, le


fils et la fille [Lev. xxi, 2). Primitivement c'était surtout au frère et

à la sœur que cette expression était appliquée, comme on le voit


clairement dans Lei). xviii, 12-13 et xx, 19. Et, en effet, le corps du
frère ou de la sœur, fabriqué dans le même sein par le même
créateur, était vraiment la chair des autres enfants. C'est dans ce sens
que lipn est employé aussi dans Gen. xxxvii, 27, quand les frères
de Joseph se disent : Nin ^iiTirn !i:"'nN •s « car il est notre frère, notre
chair ». Dans les autres cas où "lirz prend la nuance de parenté, il

s'accole le mot ni*!; « os ». L'expression « l'os et la chair > de


quelqu'un représente ceux qui font partie de la même famille ou de
la même tribu [Gen. xxix, 14; Jad. ix, 2; Il Sam. v, J ;
xix, 13). Il
ne s'agit plus de la chair formée dans le même sein, mais d'un être

(1) Gai. i, 16.

(2) Voir le commentaire du P. Lagrange, in loc.


474 RKVUE BIBLIQUE.

qui est aussi pioche de l'homme que son propre corps. Loin d'être
un obstacle au mariage, ce lien de parenté en est souvent la con-
dition. C'est ainsi que Jacob épousera les filles de Laban, après
que celui-ci lui aura dit mon os et ma chair »
« Vraiment tu es
:

[Gen. XXIX, ik). L'origine du mariage est même étroitement associée


à cette expression. Quand le premier homme s'éveille du sommeil
mystérieux durant lequel fut créée la première femme, il s'écrie :

<' Celte fois, c'est l'os de mes ma


on l'appellera
os et la chair de chair,
femme (.tcn) parce qu'elle a été prise de l'homme (tt^%s); c'est pour-
quoi l'homme laissera son père et sa mère et adhérera à sa femme et
ils deviendront une seule chair » [Geii. ii, 23-2i). Si la chair et le

sang, comme nous l'avons vu, désignent l'homme tout entier, les os
et la chair constituent le corps. Ainsi lorsque Satan désire frapper
Job de la plante des pieds au sommet de la tête, il dit à lahvé :

u Étends donc ta main et frappe son os et sa chair » [Job, ii, 5), c'est-

à-dire « frappe-le dans son corps ».


:

Nous avons pu, sans sortir du domaine matériel, étudier les nuances
dii mot 1C2. Plus général que "iNiy « la chair » proprement dite, il

s'adjoint le mot dt « le sang », siège du principe de vie, pour dési-


gner le composé humain, ou bien il suit le mot DW « l'os », pour
représenter le corps. L'emploi de iN'^r pour la parenté utérine ou de
li^21 DSfi? pour les liens de famille et de tribu ne constitue pas une
métaphore proprement dite. Par contre, nous entrons dans les signi-
fications métaphoriques, lors jue nous recourons à Di'y « l'os » pour
exprimer l'essence d'une chose et sa nature intime, par exemple dans'
la formule courante dïm utj « l'os du jour » pour signifier « le

propre jour » ou dans la comparaison D^aun oyys « comme l'os du


ciel » pour signifier « comme le ciel lui-même » [Ex. xxiv, 10). L'os
est, dans le corps, la partie cachée, par opposition à "lùra qui en est
la partie visible. Quand on dit inirnS laïî; n-piii « mon os a adhéré à
ma chair » {Ps. en, 6), on veut montrer que les os deviennent visibles
à travers la chair c'est l'effet de la douleur qui dessèche le corps.
:

Métaphorique également l'usage du mot DT « le sang » dans l'expres-


sion u'^'^'^V D"T « le sang des raisins » [Gen. xlix, 11) ou ujr'D'ifr'î'e

sang du raisin » (Z)eMÎ. xxxii, IV; Sir. xxxix, 26) pour signifier le
jus de la treille, le vin.

En assyrien, le corps se disait zumru, la chair s^rw ou éêru [= ^^^),


l'os ismu (dans esensêi-i pour esem-sêri « os du dos », épine dorsale).
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 475

au féminin esimtii (1), au pluriel ismdte (cf. aï", niaïy). Il semble


que zumru s'oppose à séru exactement comme TC^ à lï^ur. Ainsi,

clans l'épopée de Gilgamès (tabl. IX, col. ii, li), l'homrae-scorpion,


apercevant Gilgamès, crie à sa femme sa illikannau sh ilâni :

zumui'ki celui qui vient vers nous, son corps est de la chair des
>'

dieux ». L'idéogramme courant de zinnru est celui qui primitive-


ment représente maéku « la peau ». En sumérien, maéku et zumru
avaient la même valeur kué; l'idéogramme kid est expliqué suc-
cessivement par zumru et mcisku dans les vocabulaires bilingues (2).
Il nous semble évident que le terme zumru^ exactement comme
TÏTi (par opposition à aïV désignait la partie visible du corps.
,

Plus tard le sens de « peau » fut réservé à masku, celui de « corps »

à zumru. Le même phénomène s'est produit en hébreu, où le ,mot


•^.r2 qui fut d'abord employé pour « la peau », comme en fait foi

l'arabe j-^ « peau », fut ensuite appliqué au corps et à la chair,


tandis que lemot y^'j était réservé à la peau. Le mot siru « la chair »
avait son idéogramme spécial, qui était usité comme déterminatif
devant les noms de parties du corps (3). De même que l'hébreu "IN*^
on employait parfois Uru « la chair » dans le sens de la parenté la
plus proche, mais principalement en parlant des enfants. Ainsi dans
une prière ou trouve usur sêriia « garde ma chair », parallèle à
kinni pir'iia « affermis ma progéniture (i) ». Que éêru signifie bien,
dans ce cas, la descendance directe, c'est ce que prouve l'usage de
sêrsu « sa chair » entre bîtu sit libbi « la maison, celle qui sort du
cœur » c'est-à-dire « la ftrm]IIe~"'èn"'îîgne''"dîrécte^)^^^^^^ « son
sang » dans le sens de « ses enfants (5) ». Ce mot ddmu « sang » est'

donné ailleurs comme synonyme de mâru « enfant (6) ». Nous ne


nous étonnons pas de cette figure qui consiste à prendre la cause pour
l'efiét, « le sang » pour l'enfant dont il est sorti. L'apostrophe « mon

sang pour « mon fils


)) nous est devenue familière. Les Hébreux
<>

n'ont pas l'air d'avoir donné ce sens au mot ". Ajoutons que parmi
les synonymes du mot mâru se trouve le mot ierru (qui est le terme
propre pour désigner le petit enfant) et que serru est un syno-

(1) Gf. 38.130, rev. ii, 10 (dans Cuneiform texts..., xii, pL 13) et Ungn\d, Babylonische
Briefe, a° 89, 11. 18-19.

(2) Cf. Delitzsch, Sumeriches Glossar, p. 129.

(3) Idéogramme uzu : cf. Delitzsch, ibid., pp. 55 et 275.


(4) VR. 34, m, 47.
(5) Cf. les dictionnaires au mot séru.

(6) Cf. Delitzsch, Assyr. Handworterbuch, p. 390.


476 REVUE BIBLIQUE.

nyme de bBru (1). Peut-être faut-il voir dans ce bisru une survi-
vance de la racine à laquelle appartient lù?n. Le sens primitif aurait
disparu pour céder la place au sens dérivé ;< enfant ».

Nous avons vu que la métaphore proprement dite ne commençait,


en hébreu, que dans l'usage de dïî; « l'os » pour signifier l'essence
d'une chose, la chose elle-mêrne, ou dans la belle image qui con-
sidère 'le vin comme le sang, a"!, de la grappe de Les Akka-
raisins.
diens n'ont pas attribué la signification d' « essence intime » à ismu^

isimtu, pas plus qu'à l'idéogramme gir-i^ad-du (var. gir-pad-da)


dont on ignore la valeur sémitique, mais qui est généralement usité
pour représenter les os. Par contre, il existe un mot ramânii, ramenu,
ramnu, que l'on place devant les pronoms suffixes'"poùr signifier
" moi-fflêgig toi-même, etc.. ». On n'a pu encore lui trouver une
.

étymologie satisfaisante, car il est propre à l'akkadien. Or, il repré-


sentait primitivement une partie de la structure corporelle. 11 figure,
eu effet, après ddmu « sang » et avant pagru « corps », salamtu
« cadavre » dans un vocabulaire babylonien du Louvre (2). D'autre

part, son idéogramme, avec la valeur ni, correspond en même temps


k puluhiii a éclat terrifiant, majesté », emûqu « puissance », ziimru
« corps semble que cette juxtaposition des termes abstraits
» (3). Il

« majesté » et « puissance » avec ramânu et zumru postule pour ces

derniers un sens analogue à celui de « personne, personnalité ». On


comprend que zumru « le corps » ait pu avoir ce sens, puisqu'on
le rencontre pour l'hébreu li272 [Lev. xiii, 18). Enfin, ramânu figure,

dans des présages tirés de l'enfantement, à la suite de éîru « chair »


etavec une signification analogue dupjm j'jamdjiUu « la tablette
: m
de son ramdmi » vient immédiatement après dappa éa sîri la <s

tablette de la chair (4) ». ,Je me demande si le sens primitif de ramdnn


n'était pas l'ossature et s'il ne dérive pas de la racine aia (d'où l'hé-
breu Dia « os » et l'araméen Naia). La première syllabe serait tombée
après l'allongement de la racine par la terminaison dnu. On rejoin-
drait ainsi l'araméen NDia « os » dans le sens de l'hébreu UTJ pour

exprimer l'essence d'une chose et surtout la tournure ntaia « ses os »

pour rendre, le pronom réfléchi « soi-même ». Nous aurions dans


ramâniéu l'exact équivalent de niD"ij. Quant à ] c sang » employé

(1) Delitzscb, op. cit., p. 190.


(2) AO. 3930, revers, 11. 10-11 {Revue d'Assyriologie, vi, 1909, p. 132).
(3) D. T. 40, rev. col. II, 25 ss. {Guneiform texts..., XI, pi. 31).
(4) Cuneiform texts.... XXVIII, pi. 1, H. 15-16.
L'EMPLOI METAPHORIQUE. ill

métaphoriquement pour peindre le jus du raisin, le vin, nous sayons


^cfCre"tF5"Aiti\adiens ont donné un sens similaire au mot dmmi. Il faut
remarquer que pour eux la vigne était l'arbre de vie, comme en fait
foi ridéogramme geUin « arbre de vie » (1). Pour désigner le vin, en
assyrien karânii, on recourait au même idéog-ramme gestin, ou bien
on disait kas-gestin, c'est-à-dire « la boisson fermentée » ^Aas =
Hkaru^ "i^U', a(/,£pa, sicera) de la vigne. Or, cet idéogramme composé
phonétique kurun (doù l'akkadien
était usité, avec la seule valeur
kurunnu « vin mélangé de sésame »), pour représenter successive-
ment les mots kuvunnu, éikaru, sîbu (diminutif de sabû « vin capi-
teux », N^b), karânu et dàmu 2 . Il est évident que dâmu « le

sang est ici l'équivalent du jus de la vigne sous ses divers aspects.
))

Dans une autre liste, l'idéogramme de « pot » est envisagé, par


rg^étottymie (le contenant pour le contenu comme susceptible de ,

la valeur phonétique kurun. On lui donne alors comme valeurs


correspondantes en akkadien tâhu « bon par excellence, le bon
: »>

vin (2V£n '^11 de Cant. vu, 10\ dâmu « le sang », kurunnu, Ukaru,
kardnu (3 . 1er encore ddmu
sang de la grappe, le vin.
est le
Si le vin est le le sang pourrra être assimilé au
sang de la vigne,
vin, d'autant plus facilement qu'on insistait sur la couleur rouge
commune à l'un et à l'autre. Ainsi, dans Prov. xxiii, 31 « Ne regarde :

pas le vin comme il rougeoie » C'est à bon escient que l'auteur se


!

sert du verbe D'TNni « il se fait rouge, il montre sa rougeur », carie

mot CTîst « rouge » est spécifiquement l'épithète du sang ijs. lxiu, 2\


La magnifique prosopopée qui ouvre le chap. lxiii d'Isaïe nous
montre le vengeur qui revient d'Édom, c'est-à-dire de la rouge (Di>^)

en vêtements rouges. Et le prophète l'interpelle :

Pourquoi y a-t-il du rouge sur ton habit


Et tes vêtements sont-ils comme d'un qui foule dans le pressoir?

L'image se poursuit dans la réponse du vengeur. Il a foulé les


peuples dans le pressoir et le sang a éclaboussé ses vêtements.
Le sang des peuples remplace le jus de la grappe, exactement comme
le jus de la vigne était comparé au sang de l'homme. Il faut relire

(l) L'idéogramme gekin est composé de ges (= isu y!? « arbre ») et de tin = balâtu
« vie »). C'est le même que gis-ti « arbre de vie » dont nous avons parlé jadis : cf*
« L'arbre de vie et l'arbre de vérité dans RB., 1907, p. 272
» s. L'ancienne forme du
->iv=i«v.o-*.
signe tin {=z balâhi « vie ») est nettement une feuille de vigne. -

^syDans 81-4.-28, recto, 11. 32-33 (Meissner, 5eZ^(îHe assyr. Idéogramme, 3508-3512).
(3) Fragment 93058, reclo, IF, 11. 5-9 C'uneiform texls..., XII, pi. 21).
478 REVUE BIBLIQUE.

ces passages pour comprendre combien le style métaphorique était


dans le goût des poètes bibliques et avec quelle suite logique ils gar-
daient partout à la métaphore sa signification traditionnelle. Remar-
quons que la couleur rouge, qui a servi de base à l'assimilation du
vin au sang et du sang au vin, pern^.ettait aux Akkadiens de donner
au sang vermeil le nom d'adamatu (racine din).
Parallèlement à l'emploi du sang pour peindre le jus de la vigne,^
nous allons rencontrer l'image de la graisse appliquée aux végétaux.
Les deux sens se compénètrent dans la racine "["Ci, en arabe \^S, « être

gras » 1 . Le mot "|r- représentera la graisse des victimes ; mais


lolivier dira : « Laisserai-je ma graisse (J'Ct) avec laquelle (2) on
honore Dieu et les hommes pour aller me balancer au-dessus des
arbres? « Jud. ix, 9;. De même nSn « la graisse », spécifiquement
celle qui recouvre les entrailles, servira à désigner ce qu'il y a de
gras dans le froment, à savoir la farine 3\ Contentons-nous de citer
le cantique do Moïse Deut. xxxii, 13-H où le mot 2^n apparaît avec
son sens propre et son sens figuré. Il s'agit de Dieu amenant Israël
dans la terre promise monter sur les hauteurs du pays
: « Il l'a fait

pour qu'il mange du champ, et il lui a fait sucer le miel qui


les fruits
sort de la roche et l'huile qui sort du caillou de rocher, le beurre des^
vaches et le lait des brebis, avec la graisse (nSn) des agneaux et des

béliers fils de Basan, et des boucs, avec la graisse (^Sni des reins du
froment, et tu bois le sang du raisin, le vin! » C'est le génie hébraï-
que dans son plein. La racine nSn fournit d 'abord le liquide gras par
excellence le lait z'^n^puis c'est la graisse dans son senTprop^'^^n,

finalement cette graisse, spécifiée comme « graisse des reins », qualifie

la partie grasse du froment. Et le poète, poussé par les métaphores,


met en paraUéTisrae*a\^e<ria graisse du froment le sang du raisin.
Cette image du sang le porte à choisir de préférence le mot Tzn pour

exprimer le vin, parce que l'hébreu a fusionné en une seule la racine

y^ « bouillonner » d'où ^-,^d^ « vin », icn) et la racine ^^<s^ « être

rouge Nous avons vu plus haut le rôle joué par l'idée de rouge
».

dans la comparaison entre le vin et le sang.


Ce passage du cantique de Moïse nous permet de passer au troisième

(1) Voir, dans les dictionnaires, les divers sens du verbe ^U/*"T et de l'adjectif qui lui

correspond.
(2) Lire 13 et non "12 ;cl'. Lagrange, in loc).

(3) Cf. PS. Lxxxi, 17; cxLvii, 14,


L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 479

terme qui signifie la graisse, à savoir ]'i2^r. Ici ]nx! est pris dans son
sens le plus fréquent « l'huile ». Mais, au verset suivant, le poète va
jouer sur le mot et rendre à la racine son sens étymologique « être
gras ». Il s'écrie : « Et lesurun (\) est devenu gras (]Qt2rîi'i) et il a tré-

pigné : tu es devenu gras (n^Çw*!, épais, repu! Et il a rejeté Dieu son


auteur et il a méprisé le rocher de son salut! » Observez que l'huile,
"jau?, coulait du caillou de rocher (i^iï) et que le peuple devenu gras
(jm^) méprise le rocher ^r^ de son salut. C'est toujours la logique
hébraïque dans l'usage de la métaphore. Que le sens de ]axi? fût pri-

mitivement que la signification « huile » n'en soit


f< la graisse » et

qu'une dérivation métaphorique, un coup d'œil sur le sens propre de


la racine ^ct* en hébreu, en arabe et en araméen suffit à en faire la
preuve. Sans parler des expressions n'îirpr nriu;^ « un banquet de
graisses » ils. pour dire « un banquet plantureux » ou
xxv, 6)
]r:ïj~"j2 ]np, littéralement « une corne fils de graisse » pour dire « un

sommet gras et fertile » {Is. v, 1\ qu'il nous suffise de citer le Ps.


cix, 24 : « Mes genoux ont chancelé par suite du jeune et ma chair a
renié la graisse (2). »

En akkadien, le mot samnu revêtait exactement les mêmes sens que


l'hébreu \q\2_. On trouve des traces du sens primitif dans saman mhii
« graisse de poisson saman
sahî « graisse de cochon (3) ». Son
»,

idéogramme M, avec sumérienne ia, signifiait « la graisse »,


la valeur
comme on le voit par son emploi dans les composés ia-subur « graisse
de cochon » (4), ia-niih et ia-nim-na « beurre » ijiimêtu nNnn), ia =
cib = saman arln « graisse de bœuf sauvage » (5 . Mais, exactement
comme en hébreu, samnu signifie plus souvent la graisse de l'olive
ou d'une plante oléagineuse, c'est-à-dire l'huile. Les scribes con-
naissaient bien cette métaphore. Quand ils veulent préciser le sens
d'huile pour éamnu, ils ont soin de recourir à l'idéogramme composé
ia-gis 6 ,
qui voulait dire saman isi « graisse de l'arbre ». C'est

(1) Nom d'Israël.

(2j Le verbe Uns est employé dans son sens propre, qui apparaît surtout au pVel et au
nifal.
(3) HoLMA, Kôrpertheile..., p. 8, n. 2.

(4) Br. 5342 et Meissner, Seltene assyr. Idéogramme, 3671. Pour la lecture subur (var.
subur) du 2"'' idéogramme, cf. Thureau-Dangin, Lettres et contrats..., p. 56 et Delitzsch,
Sumer. Glossar., p. 287. En akkadien, le terme propre pour la graisse de cochon est nâhii.
i5) Cf. K. 4813, 11. 45-46 {Cuneiform texts..., xtii, pi. 39}.
(6) Tantôt les deux signes sont séparés, tantôt ils sont fondus en un seul mais le signe ;

ainsi obtenu avait l'inconvénient de se confondre avec un autre de valeur toute différente.
480 REVUE BIBLIQUE.

l'inverse de la locution hébraïque 'ipîy~iSîr « arbres d'huile » pour


signifier le bois d'olivier (/ Reg. vi, 32).
Cet usage du mot « graisse » en parlant du corps animal ou du
corps végétal va nous permettre de fixer le sens d'une racine akka-
dienne qui semble avoir défié les interprétations. Il existe un verbe
elêbj.i^(im s'emploie pour marquer la beauté, la force, la croissance

des arbres (l). 11 ne faut paslèconfondre avec le verbe elêpu « lier »


d'où a été tiré le mot ulàpu « lien » (2). La racine à' elêbiï ti"&61S^'

naissance à ilibu qui signifie l'un des produits du dattier (3).


un terme
 côté à'ilibuon trouve plus fréquemment la forme libii, lue géné-
ralement lipu, ce qui a détourné de la véritable étymologie. Ce
mot lUni a pour sens exact « la graisse de n\outon », comme en fait
foi l'idéogramme ordinaire ia-udu, c'est-à-dire saman immen. Nous
sommes en présence des faits suivants le substantif ilibu, Ubu, pour :

exprimer « la graisse » du mouton et « le fruit » du dattier, par exten-


sion « le rejeton » de l'homme, le verbe elêbii se disant couramment
de la croissance des arbres. Or, dans une inscription de Nabuchodo-
nosor II, nous trouvons la phrase li-bu-u-a i-na mr-ru-ti li-te-el-
:

li-bu. c'est-à-dire « que mes rejetons croissent en royauté! » (4). La


:

relation entre le mot libu (dérivé à'ilibu) et le verbe elêbu est ici
nettement marquée. Nous proposons donc de rattacher l'un et l'autre
à la racine aSn « être gras » et de voir, dans lîbu comme dans elêbu,
d'abord le sens propre « être ou devenir gras » en parlant de l'ani-
mal, puis le sens métaphorique en parlant des plantes. Ainsi nous
retrouvons le même processus que nous avons suivi dans l'étude des
mots -hr\ et \f2'^ {samnu). Ajoutons que lîbu est un synonyme de
tuhdu « abondance, profusion » (5). Ce mot tuhdu est quelquefois

L'ancienne écriture distinguait parfaitement les éléments ia (signe NI) et gis cf. Thl- :

reau-Danglv, Recherches sur l'origine de l'écriture cunéiforme, n»' 324 et 415.


(1) Br. 9137 et 14240 (cf. 7565). Delitzsch, Assyr. Handwôrterbuch. p. 60.
Thureau-Dangin, Revue d'assyriologie, xi, 1914, p. 86 s.
(2) Cf.

(3) il donne à ilibu le sens de « rameau


Schorr précise trop quand » [Altbabyl. Rechts-
urkunden, pp. 190 et 192). U s'agit bien plutôt du fruit. Comparer le sens métaphorique
li-bu-ii-a « mes rejetons » dans les inscriptions néo-babyloniennes (Langdon, Neubabyl.
Konigsinschriften, p. 94, 56; p. 140, col. x, 17; p. 176, 38). L'écriture li-i-bu-u-a [ibid.,
p. 120, 54) montre qu'il s'agit bien du
Ubu. même mot
(4) Langdo.n, op. laud., p. 190, n° 23, ii, 5-6. Naturellement nous lisons partout Ubu et
non lipu. Langdon donne au même signe bu la valeur pu dans Upûa et la valeur bu dans
litellibù.

(5) Lire tahâdu, tuhdu, etc.. au lieu de dahâdu, duhdv, etc.. dans les dictionnaires
(cf. ZiMMERN, Zeitschr. der deutsch. morgenlUnd. Wissenschaft, lviii, 1904, p. 952).
Synonymie de tuhdu (lire ainsi au lieu de lildu dans Deutzsch, Assyr. Handuôrterbuch,
p. 376) et de Ubu dans Meissneu, Seltene assyr. Idéogramme. n° 3702.
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 481

exprimé par l'idéogramme ia-udu « graisse de mouton ou ga-ia )>

« graisse du lait ». Il nous semble évident que taluidu av^ait comme

sens primitif celui d" « être gras » et tuhdii celui de « graisse ». Il

est inutile d'insister sur le passagede ce sens à celui d'abondance


(surtout en parlant des mets, de la table, des sacrifices, de la pluie).
Les expressions y^Nn n'in « la graisse de la terre » pour signifier les
meilleures productions du pays [Gen. xlv, 8), '":a*w* nny;a « un
banquet de graisses » pour signifier un repas plantureux [Is. xxv, 6),
la formule X^'à^ yd!-\ « et il sera gras et onctueux » en parlant de
7\''J^^

l'aliment produit par la terre {Is. xxx, 23), l'image yix-i:u;ïï-S3


'< tous les gras du pays » pour stigmatiser ceux qui s'en-
les riches,
graissent de la sueur du peuple [Ps. 30\ autant de jalons sur
xxii,
le chemin qui mène de l'idée de graisse à celle d'abondance, d'opu-
lence, de fertilité.
Les termes courants pour signifier la peau sont -^''jen hébreu,
maéku en akkadien. On trouve cependant, dans ces deux langues,
l'équivalent de l'arabe J-U « la peau, le cuir » : V-'; sous la forme

'"S; « ma peau » {Job, xvi, 15), giladu « la peau » dans deux pas-
sages cités par Holma (l). Nous avonT'noïe^ia'ëjâ que l'idéogramme
km, qui représente la peau, avait, à côté de sa valeur courante
maiku, celle de zumru « le corps >>. Le mot niya « chair » et « corps »
s'appliquait primitivement, comme nous l'avons également signalé,
à la partie visible du corps humain, c'est-à-dire à la peau : l'arabe

44 signifie avant tout « la peau ». L'araméen possède à côté de niS;


V= "rSa) et de smci (en syriaque = irz) un troisième mot NnS'cr pour
exprimer la peau. C'est de ce dernier que provient inSr « la table ».

On devait manger primitivement sur une peau étendue par terre.


Il est possible que le mot "ca « rideau », spécialement rideau du
tabernacle, soit simplement la forme hébraïque de maiak, état cons-
truit de l'akkadien maiku « peau ». On remarquera que, dans
l'expression "c-sn n^is, les mots n:^£ et -,c'2 sont synonymes. Le
second est une explication du premier. Inutile d'insister sur les nom-
breux idéogrammes composés dans lesquels masku détermine les
récipients ou objets en cuir. C'est que, en akkadien comme en
hébreu, le même mot signifiait la peau ou le cuir. Il existe très
peu d'exemples de l'emploi métaphorique du mot « peau » en hébreu
et en akkadien. Quand Job s'écrie « Et je m'échappe avec la peau :

(1) Korperlheile..., p. 3.

REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 31


482 REVUE BIBLIQUE.

de mes dents (xix, 20', il emploie le mot -iv>* dans son sens propre.
>>

La peau de mes dents, c'est-à-dire rien du tout, un peu comme dans


le langage trivial « tu auras la peau
: » Les dents sont une des rares !

parties du corps qui ne soit pas recouverte de peau. Quand Job


s'écrie « Et derrière ma peau dont ce corps est entouré et de ma
:

chair je verrai Dieu, lui que je verrai, moi, et que mes yeux, non
ceux d'un autre, apercevront » (xix, 26-27;, il considère sa peau
comme un rideau (comparer le sens proposé ci-dessus pour "Dp)*»
malgré ce rideau, il pourra voir Dieu.
Avant de terminer ce chapitre sur le corps en général, nous devons
nous arrêter au mot *^*î:j ea akkadien napiUu; car ce qui rend un
corps vivant, c'est la "àzi ou la napistii, c'est-à-dire rûme. De même
que rame vient du mot aninius ou anima « souffle, esprit », en grec
'hz'j.cz « vent, souffle », la racine commune aux langues sémitiques
nafas ou nafaii a le sens de « souffle » ou de « respiration ». C'est

par la respiration que le corps vivant atteste sa vitalité. Mourir, c'est


cesser de respirer. Vivre, c'est posséder le souffle que Dieu insuffle
dans les narines du premier homme. L'hébreu w*£J est employé dans
le sensde « souffle » du vivant, soit qu'il s'agisse de la respiration
de l'homme, soit qu'il s'agisse de l'exhalaison de la plante, son par-
fum. Mais c'est plus souvent le mot ni"! qui est usité dans ces diverses
sigaifications. En akkadien, le mot niphi, distinct de napiUu, est

usité, comme w*ï::, pour le souffle et pour l'odeur (1). Il est possible

que '^Zi représente à la fois nipm et napUtu. En tout cas, la signifi-

cation ordinaire de es: et de napUtu, c'est l'âme, souffle vital et


principe de vie.
Or, il est incontestable que, en akkadien, par une métonymie toute
naturelle, le mot napistii a désigné l'organe par excellence d'où sort
le souffle vital, le canal de la respiration, à savoir la gorge, et plus
spécialement la partie \'isible de la gorge, Dans les textes
le cou.

magiques ou médicaux qui énumèrent les parties du corps atteintes


par les esprits mauvais ou par les maladies, la napiUu s'intercale
volontiers entre la tête et la poitrine, tantôt avant, tantôt après le
mot kisddu qui désigne le cou proprement dit (2 L'expression napiUa .

purrn signifie « trancher la gorge ». On connaît, d'ailleurs, des bijoux


de pierre ou d'or qui étaient portés sur la napiUu, c'est-à-dire sur
la gorge '^3;. Ce sens matériel donné au mot napiUu ne se retrou ve-

(1) Cf. Jensen, Mythen und Epen, p. 517 s.


(2) Voir les textes recueillis par Holma [Korperteile..., p. 41).

(3) Ibid.
L'EMPLOI MKTAPHORIQLt:. 483

rait-il gas dans le mot te:? Je crois qu'on peut letablir d'une façon

apodictique. Pour commencer par les textes qui ont offert le plus
de difficultés aux commentateurs, que représente n^çs: S^2n*2 ou .xt"*2

•»r£: à'Ezech. xxiv, 21 et 25? Il est clair que SarjD, synonyme de


xt:a « ce qu'on porte » (de sir: « porter ») doit se rattacher à l'arabe
^j!3s:-cr-porter -). Les deux expressions signifient tout simplement u ce
qu'on porte sur la gorge », c'est-à-dire les bijoux j> C'est l'équivalent
de l'akkadien hurâsu ia pâni napkîti « l'or qui est devant la gorge »

ou kunukku napiMi « le sceau de la gorge », c'est-à-dire le cylindre


qu'on portait au cou. Quand Jonas s'écrie ï:s:"~<; '''2 ''^iesk (ii, G),

ilne veut pas dire « les eaux m'ont entouré jusqu'à m'ôter la vie »
^Segotid, etc.), mais « les eaux m'ont environné jusqu'à la gorge »,
comme nous disons avoir de leau jusqu'au cou. Quand les Israélites
:

se plaignent de la manne, on ne comprend pas bien pourquoi ils


diraient « notre àme est sèche », mais on conçoit que cette nourri-
:

ture fade et desséchée leur fasse dire ~w*2^j:j;*|^^« ûPj£ft.,JiôJ^^


sèche » [Num. xi, 6). Qu'on lise dans cet esprit le v. 8 à!Is. xxix :

« Et ce sera comme l'afiamé qui rêve et voilà qu'il mange, mais il

s'éveille et sa néfé^i est vide, et comme l'assoiffé qui rêve et voilà qu'il
boit, mais voici qu'il est altéré et sa néfê:< est resserrée », il est évident
qu'il s'agit du famélique ou de l'assoiffé qui se réveille le gosier vide
et la gorge sèche (2 U est possible que, lorsque le psalmiste dit à
.

Dieu 1;^*D: :|S HKas {Ps. lxiii, 2), il veut dire simplement
: « Ma :

gorge est assoiffée de toi! » Noter que, dans la suite du verset, il

parle du désert assoiffé, sans eaux.


Nous laissons aux lexicographes le soin de multiplier les exemples.
Ceux que nous avons cités prouvent l'intérêt que présente la confron-
tation de l'akkadien et de l'hébreu, même pour des mots dont le sens
paraissait définitivement fixé.

II. LA TÊÏE.

Parmi les nombreux mots akkadiens qui correspondent à l'idéo-


gramme sag « la tête » les trois premiers sont rêsu, qaqqadu et

(1) SCn^ un mot suraérien (dérivé de mah-gal) ([ui n'existerait


Inutile de forger pour
qu'en héhreu Van Hoonacker, Zeitschrift fier Assyriologie, xxvui, p. 334).
(2) Nous rattachons npplUJ de la fin du verset à la racine plu; « être étroit », d'où le
mot pittJ « la rue » : cf. l'assyrien sOqu « être étroit », d'où sùqu la rue et suqaqu « la
ruelle », par opposition à rêbitu « la place », qui équivaut à ini (de am « être vaste »).
48i REVIE BIBLIQUE.

muhhu (1). Il est facile d'y reconnaître les termes hébreux cni « la
tête », "^'^''p « le crâne », nb « moelle » ou c( cervelle ». De bonne
heure, les Babyloniens et les Assyriens confondirent les sens de rêhi
et de qaqqadu pour faire de ces deux mots de véritables synonymes
avec le sens général de « tête ». Mais la distinction primitive reparait

dans l'usage ordinaire de l'idéogramme isolé sag pour rHu et de


l'idéogramme composé sag-du pour qaqqadu (2). De même, ce n'est
que par extension que miihhii était représenté par l'idéogramme sag.
Son idéogramme spécifique était ugii qui représente la tête surmontée
d'un petit couvercle (3). L'akkadien muhlm signifiait, en effet, le
crâne. On avait pris le contenant pour le contenu, le crâne pour le
cerveau. Quant au sens primitif de qaqqadu « le sommet de la tête »,
si évident en hébreu "pip ""1 S;i ï]::ç « de la plante du pied au som-
met de la tête » i i ), on peut le retrouver dans l'expression fréquente
mimât qaqqadi « [les gens] noirs de tète » pour signifier les humains.
Ce ne sont ni les nègres, ni les êtres obscurs (par opposition aux corps
lumineux), mais simplement les hommes dont le sommet de la tête
est noir à cause des cheveux (5). En hébreu comme en akkadien, la
confusion tendait à s'établir entre u*n'^ et Tp"p- Ainsi, dans la bénédic-

tion de Jacob, le mot "p-p figure comme un synonyme de uJN'i à


cause du parallélisme [Gen. xlix, 26), exactement comme dans la
bénédiction de Moïse [Dent, xxxiii, 16). On a, par ailleurs, t\sh au
lieu de ~p"7p dans l'expression uJ^T-yi Sai-ï]3a à'Is. i, 6. Un autre

mot qui pouvait devenir synonyme de UJNI était n^aS-i qui, comme
~"p~p, signifie le crâne. L'expression anSaSaS [Nwn. i, 2, 18 etc.) cor-

respond à xôarh « par tête » de Jud. v, 30. En akkadien, l'équivalent

de nS:Sa était gulgullu, au plur. gulgullê et gulgullâti (6). C'était le


crâne proprement dit, tandis que Yp~j3 [qaqqadu) représentait plutôt
le sommet de la tête. Nous pouvons établir ainsi les significations
parallèles de l'hébreu et de lakkadien dans le plus ancien état de

(1) Vocabulaire cité par Delitzsch, Sumer. Glossar, p. 230.


(2) Le signe du dans l'idéogramme sag-du n'est pas un délerminatif phonétique : cf.,

Delitzsch, ibid., p. 230 s.

(3) Comparer la forme archaùiue de cet idéogramme (Thureal-Dancin, Recherches...


n° 270) avec celui de tète [iOid.j n" 191).
(4) Comparer [ullu] qaqqadi-ia adi sêpâia « de ina tête' à mes pieds » dans une Icllre
d'el-.\marna (Knudtzon, n" 295, 9-10).
(.5) Cf. l'expression IVt? "ÎP^P « crûne de la chevelure « pour exprimer le sommet de la

tête dans Ps. lxviii, 22.

(6) Cf. les nombreux passages cités par Holma (h'orperteile..., p. 11).
L'EMPLOI METAPHORIQL'E. 485

la langue : ;rx'^, rrsit « la tète » ; lp"p) qaqqadu « le sommet de la

tète »; nSiS;, gulgulla « le crâne »; ni2, muhhu « le cerveau ». C'est

de ces termes que nous allons étudier les sens métaphoriques.


Nous ne pouvons insister sur les expressions où rxi et rêéii gardent
leur sens propre, par exemple u;nnt 'Cz « élever la tête », en akka-
dien nasû rHa, ou encore u*xi aiin « tenir la tête haute », en akka-
dien hiqqû rHa. Ce sont des images dans lesquelles le mot garde sa
valeur primitive. L'émotion ou le sentiment correspondant à l'attitude
décrite n'est attribué à la personne qu'en vertu d'un raisonnement.
L'expression akkadienne, kullu rêm « tenir la tête droite », pour
signifier « soutenir » dans le sens d' « aider » (1) ou de « servir de
cautionnement » (2) est empruntée à l'action de soutenir la tête d'un
malade. Après avoir déclaré qu'elle est malade d'amour, la bien-
aimée du Cantique demande que sa tête soit soutenue par la main
gauche du bien- aimé {Cant. ii, 5-6). Le mukil rês limuttim « qui tient
droite la tête du mal » est celui qui soutient le mal, par opposition à
miikil rês damiqtim qui tient droite la tête du bien ». Remarquons
((

que ce sens de kullu {jnel de h^z) est encore apparent dans l'emploi
du Verbe hébreu hziz {pilpel de '»•;) pour signifier « tenir droit, sou-
tenir », empêcher de chanceler (dans Ps. lv, 23; cxii, 5).
On commence à s'écarter du sens propre lorsque le mot « tête »
est employé dans le sens d' « individu » par opposition à la masse,
exactement comme dans les formules par tête » ou « une tête de <(

bétail ». C'est bien ainsi qu'il faut entendre "I2a *»rN;"iS « par tête
d'homme » dans le cantique de Débora {Jud. v, 30) et nnSaSaS « sui-

vant leurs crânes », c'est-à-dire « par tête », dans Num. i, 2, 18,

20, 22. En partant de Akkadiens finirent par


cette signification, les
donner à rêki « tête » le sens d' « esclave » (3), car on comptait les
esclaves par tête exactement comme le iétail. C'est ainsi que dans la
phrase atûr ana rési devenu rêsu », le mot 7'êsH est expliqué
« je suis

par ardu « esclave Idéographiquement on écrivit d'abord saq-


» (i).

nita « tète d'esclave mâle » et mg-geme « tète d'esclave femelle »


(akkadien amtu = n^ZNi ou encore sag-geme-nita « tètes d'esclaves

mâles et femelles » (pour signifier les domestiques) finalement l'idéo- :

gramme sag représenta, à lui seul, amélu « homme », abdu a servi-

(1) Cf. Ungnad, Babylonische Briefe, p. 378.

(2) Schorr, Altbabylonische Rechtsurkunden, p. 379. On trouve mukil qaqqadi avec le

sens de mukil rési Muss-Arnolt, p. 924).


(cf.

(3) Cf. ToRczYNER, Altbabyl. Tempelrechnungen, p. 129.

(4) Muss-Arnolt, Handrcorterbnch, p. 985.


486 RfclVUE BIBLIQUE.

teur », ardu « esclave », exactement comme le mot rêhi avait acquis


ces différents sens (1).
La tête couronne le corps humain. Il était tout naturel de la pren-
dre comme image de ce qui domine ou qui s'élève.
de ce qui est haut,

Les montagnes et les collines dressent leur tête au-dessus de la nature


environnante. Ne nous étonnons donc pas si la partie la plus haute
des monts est appelée la tête. Quand les eaux du déluge commen-
cent à décroître, ce qui apparaît d'abord, ce sont « les têtes des
montagnes » : D^inn i^rKi %\nJ [Gen. viii, 5). Pour marquer la pré-

dominance de la montagne où s'élève le temple, Isaïe la décrit se


dressant « à la tête des montagnes » D''inn ;:\s'-i2 [Is. ii, 2). Le som-
met d'une montagne s'appelle ^r\r\ uiNi [Ex. xix, 20), d'une colline

r^v:^:.^} urxi [Ex. xvii, 9), d'un refuge tï^dh utni [Jiid. vi, 2C), du
Garmel '^pi^n ujxi (/ Reg. xviii, 42). Et la montagne elle-même
devient la tête qui surplombe la vallée; c'est ainsi que Samarie est
la couronne qui se trouve « sur la tête de la vallée grasse » dans
h. xxvni, 1, 4. Assurbanipal mentionne une montagne « qui est la
tête du pays de Koumourdâ » (2). C'est exactement la même image.
En akkadien, nous verrons que c'est plutôt le mot « doigt » ubâmi,
qui sera usité pour indiquer le sommet d'une montagne. Mais nous
trouvons rêH û nahli (SnJl tyx"i) « tête et ravin » à la suite de sadi û
hurri montagne et anfractuosité » (3), pour signifier la cime de la
<.<.

montagne par opposition au creux du ravin. Une série de dieux a


pour habitation « les montagnes hautes, les têtes élevées », mdê elûti
rUân elâli (4). Ici encore rêhi (;l»n-i) exprime bien le pic montagneux.
D'ailleurs, quand on voudra montrer jusqu'à quelle hauteur on élève
un édifice, on dira qu'on élève « sa tête » comme celle d'une mon-
tagne liwia mdî (5).

C'est surtout lorsqu'il s'agit d'un monument que le mot de « tête »

(1) Pour les expressions ifl^'-niia, sag-geme, sag-geme-nila, cf. Delitzscii, Sum. Glossar,
pp. 101 et 232. Équivalences de rêsu avec abdu et ardu dans Muss-Arnolt, op. cit.,
p. 5)85.
(2) Cylindre B, m, 59-60. Le mot rés signifie, dans ce passage, non pas ani Anfange
(Streck, p. 103), mais bien le point culminant. Le promontoire à l'embouchure du Nalir-
el-kelb est appelé, par Salmanasar II, la montagne « qui est la tète de la mer » : III, R,
V, n» 6, 22.

(3) Tablette m de la série kirpu, 11. 61-62.


(4) Même série, labl. viii, 22. La montagne qui surplombe l'Euphrate est « la tète » du
fleuve : Scheil, Annales de Tuhulti-lSinip ii, rev. 1.

(5) Dans les inscriptions néo-babyloniennes cf. Lancdon, iVe«&aftî/i. Konigsimchriften,


:

p. 62-63, m, 23 s.; p. 138-139, IX, 27-28. Hammourabi élève la tête du mur de Sippar
« comme une grande montagne » (King, Hamimirabi, n" 57, i, 11, 11-14).
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 487

était usitépour en désigner le faite. On commençait la construction


par fondement, en akkadien Udu dont la forme duelle Udd, de
le
beaucoup la plus usitée, indique suffisamment que le terme désignait
d'abord « le fondement » de l'homme. Nous verrons plus loin que
l'étymologie (1 et l'usage courant donnent bien ce sens au mot Udii
)

(d'où l'hébreu rc"' . On couronnait l'édifiée par la tête. Quand les

habitants de la terre de Sennaar veulent bâtir la tour qui perpé-


tuera leur mémoire, ils demandent que « sa tête soit dans les cieux »,
l'Z'û'S rcN"^l [Gcn. xi, i . C'est dans les mêmes termes que s'exprime
Mardouk, quand il demande à Nabopolassar de reconstruire la tour
à étages de Babel {ziggiirat Bdbili) et qu'il lui enjoint « de fixer son
fondement dans la poitrine des enfers et de faire rivaliser sa tête avec
les cieux » : ana hiHudam rêsi-ia éamâmi ana
isid-za ina irat kigalle
sitnuni (2). A propos de la même
Nabuchodonosor II dira qu'il tour,
a mis la main « à élever sa tête pour la faire rivaliser avec les cieux » :

ana tdlim rêsi-ki iîamdmi ana sidanunim (3). Le sens primitif de


" tête » est encore transparent dans le récit de la construction du

palais de Nabuchodonosor II. La phrase Jàlili {ahnii) ukni rêm-m


malmu se traduira par « j'ai ceint sa tête d'une couronne de lapis
lazuji » Le mot rare kilîlu est bien l'araméen nSiSd, l'arabe J-i^!
(4).
iklU « couronne, diadème ». L'ancien hébreu S"ib3 a dû posséder ce
sens et nous pouvons le retrouver dans l'expression niNSn S'Sr de
Sir. XLV, 8. L'hémistiche rr^Nsn SiS^ inw*"'iS"i': ne veut pas dire et ves-

tivit cum toto ornatii (Peters, etc.), mais « et il l'a revêtu d'une
couronne splendide » : comparer les expressions ni^f^n nit^i: « dia-

dème magnifique » {Is. xxviii, 5) et ri-^Nsn miav' [h. lxii, 3, etc.)

« couronne magniQque ». La logique du langage métaphorique dans


le passage de Nabuchodonosor II que nous venons de citer se retrouve

dans le texte d'isaïe où « la couronne d'orgueil » (hin;; i^lp.")» qui sym-


bolise la ville de Samarie est représentée « sur la tête » (wN''i~S'i)

qui surplombe la vallée grasse [Is. xxviii, 1, i). Les termes de fonde-

(1) Étymologiquement i/rfît est le même mot que l'arabe ^^w', ist « le derrière » et

que l'hébreu T\W avec le même sens. Par contre, l'hébreu X\D'^ est emprunté à l'assyrien

isid état construit de isdu.


(2) L.4NGD0N, op. cit., p. Remarquer les adoucissements des chuintantes
60-61, 1, 36-39. :

rrsi-sa pour rési-sa, sitnuni pour sitmmi; en outre isid-za pour isid-sa (remplaçant
normalement isid-sa). Le premier phénomène se répète dans celte inscription de Nabo-
polassar. La lecture isid-za pour isid-sa est un archaïsme usuel dans le code de
Hammourabi. .

(3) Langdon, op. cit., p~. 146-147, ii, 8-11.

(4) Ibid., p. 118-119. 1. 46.


488 REVUE BIBLIQUE.

ment, couronne, sont tellement naturels, quand on parle d'un


tête et
édifice ou d'une ville, que nous les retrouvons dans toutes les littéra-
tures.Pour indiquer le cachet nouveau de son apologétique^ l^acordaire
dira « au lieu de creuser dans les fondements de la pyramide, nous
:

avons regardé sa tête et sa couronne » (1). La joie du psalmiste ne


peut être complète que si elle est couronnée par le souvenir de Jéru-
salem. C'est pourquoi il s'écrie « Si je ne fais pas monter Jérusalem
:

sur la tête (:i\s-i-S7) de ma joie » {Ps. cxxxvii, 6).


Les Babyloniens et les Assyriens, pour exprimer qu'un monument
menace ruine, ont recours aux formules suivantes : iqiipd résd-sii
« sa tête s'écroulait » (2), rêsâ-hi iqdudù « sa tète penchait » (3),
iifurA rêsd-sH a sa tête chancelait (4). » Dans tous ces dans bien
cas, et
d'autres, c'est le duel rêkî qui est usité. Holma y voit une forme ana-
logique sur le duel isdd « fondement » qui se dit primitivement du
fondement de l'homme (5). Pognon y verrait plutôt une désignation
((des deux os dentelés qui forment le sommet du crâne » (6). Nous
croyons que ce duel rêm, qui est surtout employé pour le faite d'un
édifice, désig-nait avant tout « les deux têtes », c'est-à-dire les deux
pylônes qui flanquent la porte principale et dominent tout le reste de
la construction (7). C'est ce qu'on apercevait du plus loin, comme les
tours de nos cathédrales. Serait-il trop hardi de reconnaître ce duel
dans l'énigmatique naJiSin "jn^n de Zach. iv, 7 très bien rendu par
« pierre du
de Van Hoonacker (8) ? L'expression hébraïque
faîte »
serait un décalque de l'akkadien aban rêkî pour désigner la pierre
qui termine l'édifice. La pierre angulaire n^B pN (/o6, xxxvm, 6) ou
nJsS px [Jer. Li, 26) s'appellera « la tête de l'angle » njD urxT dans
Ps. cxvin, 22. La colonne aura tout naturellement sa tête par-dessus
laquelle on place la couronne, c'est-à-dire le chapiteau. A prendre
les mots dans leur sens propre on verra « les couronnes qui étaient
sur la tête des colonnes » dans les a''iiD"n w'n'tS" "iu,^n ninb du temple
de Salomon (/ Reg. vu, 19). Ces couronnes étaient composées de

(1) Conférences de Noire-Dame, année 1846, l" confér. sur Jésus-Christ. *

(2) Asurbanipal, en parlant de


la muraille de Ninive (Streck, Assurbanipal, II, p. Ii4-
145, IX, 54).
(3) Nabonide, en parlant du temple de Sippar (Langdon, op. laud., p. 254-255, 1. 22).

(4) Nabonide, en parlant du même temple (ibid., p. 262-263, 1. 17).


(5) Kôrperieile..., p. 128, n. 4.
(6) Revue d'assyriologie, ix, 1912, p. 127.
(7) Voir, par exemple, les reconstitutions de temples dans Koldewky, Die Teiiipel von
Babylon..., fig. 1, 25, 86, etc.

(8) Le n de 'jl^<^ aurait été ajouté lorsque HUJNin, dont on avait oublié le sens primi-
tif, fut considéré comme une apposition et non plus comme un complément.
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 480

fruits comme les grenades ou de fleurs La colonne comme les lis.

primitive représentant un végétal, comme on le perçoit surtout dans


les colonnes lotiformes et papyriformes des temples égyptiens, il est
clair que le mot u,rNn est choisi à dessein, non pas tant pour marquer
le sommet de la colonne que la tète du végétal, exactement comme on
disait ViD^ UTNi « la tête de la cime » (/.y. xvii, 6) pour le point le plus
haut d'un olivier ou r^nï; i^n-^ « la tète d'un épi » (Job, xxiv, 24).
Les mêmes métaphores seront employées quand on parlera des
objets manufacturés. Si Ton distingue dans un monument la tête et
le fondement, on distinguera la tête et les pieds d'une chaise, d'une
table, d'un lit. Ici la plastique venait au secours du langage. On
aimait à animer le mobilier en l'ornant d'une tête à son chevet
en et
le d'animaux Un trône assyrien a son
faisant reposer sur des pieds
siège garni de deux têtes de bélier et repose sur des pattes de lion (1).
Un autre avait ses barres supérieures terminées en forme de têtes de
taureau et ses pieds étaient les sabots du même animal (2:. Un tré-
pied de bronze du musée du Louvre présente quatre têtes de béliers
à son cercle supérieur, trois masques aux angles du triangle qui
soutient les trois pieds sous la partie médiane ; les pieds sont des
sabots de bœuf
Le trône d'Âssour-nasir-apal portait également
(3).
des tètes de béliers à l'avant de ses traverses (k). D'après ces faits il
semble logique de lire Say "kZJN'i « tête de veau » (G TrpsTO[j.xl [j.zaybr)) au
lieu de ^'lyj xàii"^ « tête ronde » dans la description de la partie supé-
rieure du trône de Salomon (/ Reg. x, 19). Le lit avait naturellement
sa tête et ses pieds. On disait en akkadien : ina rés eréi û Upîti erU
« à la tète du lit et au pied du lit » (5). En hébreu, nous trouvons
HTsan UNi-b* (' sur la tête du lit » [Gen. xlvii, 31). La tête d'une
échelle est mentionnée dans songe de Jacob [Gen. xxviii, 12).
le

A plus forte raison donnera-t-on le nom de « tête » à la partie


renflée qui surmonte certaines armes ou certains sceptres. Ici encore
tendance naturelle du langage. Un simple
la plastique favorisait la
regard sur les armes qui symbolisent les dieux dans les reliefs des

(1) Reproduit dans Meissner, Plastik, fig. 193, p. 113 [Der alte Orient^ xv, 1915, 3-4).
(2) Guide des antiquités assyriennes et babyloniennes du British Muséum, 2' édition,
p. 107, n" 239 {= n" 22.491).
(31 Description de Longpérier (dans Pottier, Les antiquités assyriennes, f. 133, n-' 153).
Reproduction dans le même ouvrage, pi. 31. Cf. Perrot et Chipiez, Histoire de l'art, II, p. 732.

(4) L'une de ces tètes (en bronze) est reproduite dans Meissner, Plastik, p. 113, fig. 192.
Description du trône dans Perrot et Chipiez, op. cit., II, p. 724.
(5) Mlss-Arnolt, Handworlerbuch, p. 984. Le mot sépifu est un dérivé de sêpu « pied »
avec le sens abstrait « la région au pied de » cf. l'opposition entre rèsu « tète » ou
:

réséti « sommet » et sèpitu dans Thureau-Dangin, YIH" campagne de Sargon, p. 46, n. 1.


490 REVUE BIBLIQUE.

koudourroiis (pierres-limites) comprendre avec quelle prédilec-


fait

tion les Babyloniens donnaient la forme d'une tête d'animal à l'extré-


mité contondante de leurs massues (1). Les unes ont une tête de
vautour, les autres une tête de lion, d'autres une double tête de
dragon, etc.. (2). N'oublions pas que la masse d'armes était à l'ori-
gine l'insigne du commandement et qu'elle a servi de type aux pre-
miers sceptres royaux (3). Ne nous étonnons donc pas si Esther touche
(' la tète du sceptre » (iD^znrn rN'i) du roi Assuérus [Esth. v, 2). Les

poignards et les tête. Parmi les présents du


haches avaient aussi leur
roi du Mitanni Tousratta au pharaon Aménophis III figure un poi-
gnard dont « la tête » {rém), c'est-à-dire le pommeau, est en pierre
précieuse (V). L'idéogramme gis-sag-bal a pour valeur akkadienne
qaqqad pilaqqi « tète de hache » (5i. On en arrivera à donner le nom
de « tête » à l'extrémité renflée de certaines parties du corps nous :

trouverons des expressions comme rAs Uhbi « tête du cœur », m


kabitti « tête du foie », qaqqad iibdni « tête du doigt ».
Jusqu'ici nous avons examiné l'image de tête éveillant l'idée de ce
qui est au sommet. C'est la hauteur qui était envisagée dans lés
diverses expressions que nous avons analysées. La tête de l'homme
était le terme de comparaison tout naturel. Mais nous avons vu que
la tête des animaux intervenait, grâce à la plastique, pour représenter
le sommet de certains meubles ou de certaines armes. Or, le propre
de la tête des animaux n'est pas d'être le couronnement du corps,
mais simplement sa partie antérieure, ce qui est en avant. Un nou-
veau sens métaphorique sera attriliué au mot « tête », en tant que ce
mot marquera ce qui précède une série d'unités composant un véri-
table corps. L'origine de cette image apparaît dans h. ix, 13, où le
prophète déclare que « lahvé coupera d'Israël la tète et la queue, la
palme et le jonc, en un même jour ». La tête, c'est-à-dire ceux qui
marchent en avant, ceux qui dirigent le peuple; la queue, c'est-à-
dire ceux qui suivent, ceux qui sont à la remorque des autres. Le
parallélisme absolu entre on^-sS « devant eux » et dxtnii « à leur
tête » dans Mîch. ii, 13, l'emploi de U/*ï«'i3 « à la tête » pour signifier
« en avant » du peuple ou de la réunion [Deut. xx, 9; I Reg. xxi, 9;
l Sam. IX, 22), l'expression stéréotypée tt?iS*'"^n "jnb « le prêtre de la

(1) Pour les koudourrous découverts à Suse, voir l'excellente description de M. de Mor-
gan dans les Mémoires, i, p. 165 ss.

(2) Voir HiNKE, A neir boundary stone..., p. 78 ss.

(3) Cf. Heuzry, Les origines orientales de l'art, p. 190 ss.

(4) Kncdtzon, el-Aniarna Tafeln, n° 22, i, 34; ii, 17; m, 9.

(5) Delitzscii, Sum. Glossar, p. 63.


.

L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 491

tête » par opposition à n:r?2 ]r\'2 « le prêtre du deuxième rang )>

{II Reg. xxv, 18 , autant d'indices de la signification primitive « qui


se trouve en avant » c'est-à-dire « le premier
,
»

Par une association d'idées toute naturelle le mot rx'i employé


comme substantif ou épithète signifiera donc « le premier, le chef »,

exactement comme le mot- « chef » (caput), après avoir désigné la


tête, a désigné celui qui marche en tète. La transition entre l'idée

de « tête » et celle de « primauté » est visible dans Job, xxix, 25 :

« je m'asseyais en tête et je siégeais comme un roi dans la troupe. »

On voit le roi porté sur son trône à la tête de son armée. Le chef est
celui qui est en avant, il est « la tête » du corps qui le suit. En akka-
dien, l'idéogramme sag, qui représente rt'su « la tête », pourra
représenter à lui seul les mots amredu « premier » et mahru « anté-
rieur », avec leurs synonymes 1). A l'expression ^w'iz « à la tête »

dans le sens d' « avant » les autres, correspond ina rési dans la phrase
iîia rêsi kî ulzizti-hi « lorsqu'il l'eut placé en tête » (2). Toute une
catégorie de fonctionnaires sera désignée par l'idéogramme sag ou
par le mot rêki avec le déterminatif amêlu « homme » devant l'idéo-

gramme ou le mot. Ce sont « les chefs » de tel ou tel service.


Celui des équipages s'appellera rêê narkabâte (n2:ian cni). Le roi
sera « la tête » par excellence. Assurbanipal affecte de prendre le

titre de rêki après celui de kingu « prêtre » et il y accole l'épithète


de mutninnu « suppliant » qui, dans les autres contextes, est appli-
quée à des mots comme rêdù « commandant », r(*^û « pasteur » (3.
Les eunuques qui marchent en tête des cortèges royaux immédiate-
ment à la suite du roi ou qui sont autour de sa personne porteront le
titre de sût rési a ceux de la tête » (4) au singulier sa rési « celui de ;

la tête », d'où les Araméens ont tiré le nom de Ncnc et les Hébreux
celui de D'inc « eunuque ». Le d^id n de H Reg. xviii, 17 et de Jer.
XXXIX, 3, 13, le l^ono n de Dan. i, 3, ont leur prototype dans
[amélu) rab sa rés « le grand de la tête » c'est-à-dire le premier des
eunuques i5). Un texte sur lequel Jensen a attiré l'attention (6) con-

(1) Outre les listes d'idéogrammes de Briinnow et de Meissner, voir les vocabulaires iné-
dits cités dans Delitzsch, Sum. Glossar, pp. 230 et 232.
(2) Lettre du roi de Babylone Bournabourias à Aménophis IV (Knudtzon, el-Amarna,
a° 8, 39).
(3) Voir Streck, Assurbanipal, pp. 64-65, 11. 94-95; 200-201, iv, 4; 300-301, 6, etc.. et
Muss-Arnolt, s. V. mutninni'i (p. 624).
(4) Lire sùl rêsi le nom qu'on lisait faussement sud-saqc

(5) Voir Muss-Arnolt, s. v. sa-ris (p. 1120).

(6) Zeitschrift fur Assyriologie, xxiv, 1910, p. 109, n. I.


492 REVUE BIBLIQUE.

« ceux de la tête » pour


firme à la fois la lecture et le sens de siU rési
désigner eunuques »
« les Hma sû-iit ri-e-si la a-li-di ni-il-ka
:

li-hal « comme des eunuques qui n'engendrent pas, que ton liquide
séminal se dessèche! » (1). On remarquera que même le mot qaq-
qaclu ("pTO), dont nous avons constaté la synonymie avec i^êhi, aura
quelquefois le sens de « chef » après le déterminatif amêlu « homme ».

On le trouve dans cette acception à l'époque des Sargonides (2 .

On comprend de la sorte comment les Hébreux ont pu donner au


mot uJNi le sens de « chef », c'est-à-dire celui qui marche en tête. Les
anciens de Galaad diront à Jephté : rNiS rJi niim « et tu seras notre

tête » {J\id. XI, 8). Il s'agit de les conduire au combat contre 'les

Ammonites. Jephté répond : ^Dii-h DjS ^^^^{ « je serai votre tête »

[Jud. XI, 9j. Dans Os. ii, 2, les royaumes de Juda et d'Israël sont

entrevus comme se réunissant en un seul corps, sous un seul chef :

(( Les fils de Juda et les fils d'Israël s'uniront ensemble et se don-


neront une même tête (IDN ï7Ni). » Ceux qui gouvernent le peuple

avec Moïse sont les dî? ''î:^s"l « têtes du peuple » {Nwn. xxv, 4;

Dent, xxxiii, 5). Le peuple est partagé d'après les tribus. Chaque
tribu aura sa tête. Moïse et Salomon réuniront les nicDn lusi « têtes

des tribus {Nwn. xxx, 2; I Reg. viii, 1);


» David sera c la tête » (ttJN"^)

des tribus d'Israël [I Sam. xv, 17). La tribu se divise en familles qu'on
appelle niix-n"'n « maisons paternelles » ou simplement ni2N. Elles
ont aussi leurs chefs qui sont « les têtes de familles » ni:iN~n*3 ''Cnt

ou niax iun^ [Ex. vi, 14, 25, etc.). Le père désignait le fils qui
deviendrait « la tête » de la famille et ce n'était pas forcément le

premier-né (/ Chr. xxvi, 10). De l'idée de préséance on arrivait à


celle de prédominance. Le chef n'était plus seulement celui qui mar-
chait en tête, mais celui qui exerçait l'autorité. Pour dire qu'une
ville était la « capitale » d'un pays on disait qu'elle en était la tête.

Le livre de Josué mentionne que « jadis Hasor était la tête d-e tous

ces royaumes joue sur ce sens du mot « tête »


» {Jos. xi, 10). Isaïe

appliqué tantôt à un personnage, tantôt à une ville « Car la tête :

d'Aram c'est Damas, et la tête de Damas c'est Resin..., et la tête


d'Éphraïm c'est Samarie, et la tête de Samarie c'est le fils de Rema-
liahou » [h. vu, 8-9). Enfin la tête marquera l'excellence non seu-

(1) Texte K. 2453, m, 14 (Cuneiform lexls..., xxm, pi. 10). Le mot libal vient du verbe
abâlu « être sec «, d'où nâbalu « terre sèche ». Nous considérons sût rcsi comme un
pluriel [sût est le plur. de sa); nlidi est pour ôlidr (au lieu à'cUidàli).
(2) Ki.ALBEii, Assyr. Beamtentum, p. 41.
L'EMPLOI METAPHORIQUE. 493

lement parmi les personnes, les tribus, les cités, mais encore parmi
les objets inanimés. Quand Nabonide parle des temples de Baby-
lone È-sag-U et É-zi-da, il déclare qu' « il a introduit en eux la

tête de tout ce qui est bon », c'est-à-dire les meilleures choses :

rêé mimiiïd danigd usérib kirib-mn (1). Dans Cant. iv, 14 •'aù;2 vc.xt

« les tètes des aromates » désigne les meilleurs parfums. Ézéchiel


dira D'if:''^"^^ cni « la tèle de tout parfum » (xxvii, 22). Les parfums
les plus exquis sont *^^K1 Diairs, c'est-à-dire ceux qui figurent en tête

des autres à cause de leur excellence ou de leur prix [Ex. xxx, 23).
Mais il faut noter que, pour signifier ce qu'il y a de meilleur, l'usage

de la langue akkadienne et hébraïque recourt le plus souvent à un


dérivé de rêkt ou de xitn"^. En akkadien ce sera risrti, pluriel de
l'abstrait rêstu, en hébreu nv^\x-| abstrait dérivé de 'Jn'i.

Nous avons insisté sur le sens de uni et de résu dans les expressions
qui cherchent à peindre ce qui est en avant, ce qui est le premier.
Il nous a semblé qu'on n'avait pas suffisamment reconnu les deux

courants qui, partant du mot « tête », aboutissaient aux significations


de « sommet » et de « premier », C'est cette seconde signification
qui va nous éclairer sur les nouvelles acceptions des mots u'k'-' et

D'abord ce qui est en avant dans l'espace, la première chose qu'on


rencontre en s'approchant d'un endroit ou d'un édifice. Dans la rela-
tion de sa huitième campagne, Sargon mentionne la ville d'Usqaia
« la grande forteresse, tête de frontière [réé misri) du pays d'Ourar-
tou Le koudourrou, c'est-à-dire la pierre-limite qui sig-nale le
» (2).

début d'une propriété foncière, pourra porter le nom de rés eqli « tête
du champ » (3). Nous avons signalé « la tête » rêm, plus souvent « les
deux têtes » riHâ, pour le sommet d'un édifice par opposition à udâ
« le fondement », mais nous trouvons le même mot rêm avec le sens

de « façade », par opposition à arkdti « le derrière », dans l'expression


ina rési A arkâd ina silê kilaUân « sur la façade et le derrière,
sur les deux côtés » (i). On remarquera que' les trois mots dési-
gnent des parties du corps rèhi (ujn'i), arkâti (ni^l"'), sîlê (aiySy dans
:

/ Reg. VI, 3i). Dans tous ces cas la tête est le point où commencent
la frontière, le champ, le monument. C'est dans ce sens que l'hébreu

(1) i, 21 (Langdon, op. cit., p. 262-263, 21).


Inscription arcliaïsante,
(2) TuLUEAL-DANr.m, VIII" campagne de Sargon, \. 167.
(3) HiNKE, A new boundarij stone, p. 197 et p. 305; Jvstrow, Die Religion..., II, p. 393,
n. 2.

(4) Sargon, annales de la salle xiv, 1. 78 et Cylindre, 1. 66.


494 REVUE BIBLIQUE.

emploiera "IT w's'"^ « tête de ronte ». Dans Ezech. xxi, 2'i., on place le

poteau indicateur (1 ~"]T cn-^z « à la tête de la route », c'est-à-dire à

son point de départ. Quand le prophète compare Jérusalem à la pros-


tituée il lui reproche de s'établir "i~ "S: rx-^n « à la tète de toute

route » [Ezech. xvi, 25, 31); c'est bien l'entrée du chemin comme on
le voit par l'histoire de Thamar [Gen. xxxviii, 14 ss.. La Sagesse crie
« à la tête des [ruesj bruyantes » iProv. i, 21), c'est-à-dire, d'après
le aux baies des portes », à l'endroit où com-
parallélisme avec «

mencent les rues qui mènent dans la ville. Les faibles et les morts
gisent nii'wSp u'niz « à la tête de toutes les rues » [Is. li, 20;
Thren. ii, aux carrefours d'où rayonnent les rues. Les
19), c'est-à-dire
rivières, ces chemins qui marchent et qui portent où l'on veut
«

aller » [Pascal), auront leur tète qui sera le point où elles commen-
cent de couler. Hammourabi construit un mur élevé à la tête [in rés)
du canal « Hammourabi opulence des gens » 2). Le fleuve qui

sort de l'Éden pour arroser le jardin se divise ensuite et devient


« quatre têtes » :DirNT nyn-ixS n^^r\^, [Gen. ii, 10). La tête désigne
l'endroit d'où part chaque nouveau En akkadien, on précisait
fleuve.
le point précis d'où jaillit la source par la formule rés mi « tête
de la source », car énu (]i") dont nous verrons l'identité avec énu
« œil », représentait l'eau déjà en train de couler. L'expression a
survécu dans l'arabe in's-el-ain. Le mot « tête » finissait donc par
signifier l'origine. Or, en arabe, ra' s-el-mâl « tête de l'avoir, de la
fortune » représente la somme initiale, le capital fde caput). C'est
l'exact équivalent de l'akkadien rH namkuri « tête de la possession,
de la propriété » écrit tantôt syllabiquement, tantôt idéographique-
mcnt sag-nig-ga (3). L'hébreu un'"' exprime la somme initiale dans
Lev. V, 2i, où le délinquant doit restituer « la tête » c'est-à-dire
la somme volée, et y ajouter un cinquième. En akkadien la somme
que touche le serviteur ou la servante à titre d'avance sur ses
gages s'appelle rH kisri « tête du salaire » (4). On en vint à
donner à rx-' le sens de « somme » ou de total » comme dans <<

l'expression «^i'n-! xù: « lever la tête » pour signifier « faire la somme,

(1) Le mot T"' « maia « nous semble être employé dan> ce passage avec le sens de la

main qui indique la direction de la route.

Ci) Inscription relatant la percée de ce canal (actuellement au Louvre), 1. 52 ss. King,


Letlers and inscriptions, n° 95.
(3) Alternance entre rêsnamkuri et sag-nig-ga dans Ungnad, Babylon. Briefe, n" 259,
25, 31. Cf. ToKczyNER, Altbabyl. Tempelrcchnungen, p. 18.
(4) ScnoRR, Altbabyl. Bechtsurkunden, n"- 143, 12; 152, 10.
L'EMPLOI METAPHORIQUE. 495

dénombrer ». A l'époque néo-babylonienne on réserva de préférence


le sens de « capital » ou « somme principale » au mot qaqqadu ^y'X-'
synonyme de rêiu. L'expression complète était qaqqad kaspi « la tète

de l'argent ». Elle figure dans le code de Hammourabi sous la forme


ga-ga-ad kaspim (verso, i, 22) « le capital de l'argent » (1). L'hébreu,
post-biblique conserva à urx'i le sens de « capital ». La « tête » est
donc la somme principale, le nombre important. Une troupe sera
répartie en plusieurs « têtes », c'est-à-dire en de grosses unités.
Gédéon partage ses trois cents hommes en trois tètes de chacune
cent unités {Jud. vu, 16, 20). Abimélec, Saûl, les Philistins sont
coutume de diviser les combattants en « trois tètes »
fidèles à cette
[Jud. IX, ii; /Sam. xi, 11; xiii, 17\ C'est, croyons-nous, l'idée de
« somme » dérivée de celle de « capital », qui a permis au mot c?i«i

de représenter un groupe considérable, alors que nous l'avons vu


précédemment exprimer l'unité ou l'individu.
En partant de la notion de ce qui est en avant nous sommes
arrivés insensiblement à l'idée de ce qui précède dans le temps. Déjà
le « capital » ou la somme initiale confinait à cette idée. L'akkadien
rêhi et l'hébreu yJN"^ seront usités pour indiquer le début.
ne s'agira Il

plus du commencement dans mais du commencement dans l'espace,


la durée. C'est dans ce sens que l'hiéroglyphe de la tête est employé,
en égyptien, pour marquer le moment où commencent le jour, la
décade, le mois, l'année i2 . Les Sémites ont développé ce thème
avec tout le luxe possible. Ici encore l'akkadien et l'hébreu marchent
côte à côte. Le début de la nuit s'appellera « la tête des veilles' »
nii:2'i?N UN"^ [Tliren. ii, 19) et, comme la nuit est divisée en trois
veilles, le temps qui ouvre la seconde s'appellera niÏDinn nnc^i^Nn ï7ni
<( la tète de la veille médiane » [Jud. vu, 19). Les Babyloniens
appelleront rês miUi de la nuit » le moment où la nuit com-
« tête

mence ^3) et rês ûmi (i'in rxi) le début du jour [k). Parlant aux

Hébreux des néoménies, lahvé désigne ces fêtes sous le nom de


ji^in irs"! les têtes de vos mois » ou plutôt « vos têtes de mois »
c<

iNum. X, 10; xxviii, 11). Dès les temps les plus anciens, les Babylo-
niens emploient rêii arhi du mois » pour en indiquer le premier
« tête

jour 5\ Les x\ssyriens diront qaqqad ilu iddiU m arhi « la tête de

(1) SCHEIL, p. 53.


(2) fait a été mis en relief par Mahler dans Orientalistische LUeralur-Zeilung, 1911,
Ce
coL 145 ss.
(3) KucLER, Sternkunde..., i, p. 276.

(4) Jensen, Mijthen und Epen, p. 48-49, \. 17.

(5) ScHORR, Allbabyl. Rechtsurhunden, n° 49, 7.


496 RIlVL'E biblique.

lanéoménie du mois » pour siguifier le moment précis où il com-


mence (1). Le premier mois de l'année est « la tète des mois » rxi
cunn [Ex. XII, 2 Le premier jour de l'an est « la tête de l'année »
.

^:^^ t'u.'^ [Ezech. xl, 1). La fête que les Juifs continuent de célébrer
sous ce nom a son prototype dans le ms satti *< tête de l'année » des
Assyriens et des Babyloniens, jour où l'on célébrait la fête zagmukii,
c'est-à-dire le temps de Hammourabi on disait
nouvel an 2 . Dès le
istu rêè kitti « » jusqu'à tel mois 3
depuis la tête de l'annéeLe .

mot rèm signifia alors n'importe quel commencement dans le temps :

rêi bêlûti commencement de la domination », réé sarriUi « com-


((

mencement de la royauté » '^temps qui s'écoule entre l'avènement du


roi et lapremière année officielle qui sera le premier paliï]. Sans
complément, uni et rêhi représentèrent la date la plus reculée dans
le passé. A l'hébreu *ùrN'"^a « dès l'origine, jadis » Is. xl, 21 ; xli,

26, etc.), correspond iiltu rêsi <( depuis le commencement » des textes
akkadiens (4). La formule ï^',D"~î;"i u?n'"iî2 « du commencement à la fin »
\EccL m, pour pendant ultu rês adi kîti qui donne exactement
11) a
le même sens (5). De même que w'x'in signifiait « à la tête » d'une col-
lectivité, on put employer cn'i2 (( à la tête » d'une série de jours,
pour indiquer le premier jour ou première fois. C'est ainsi que
la
•kirxi2 se traduira « pour la première fois » dans / Chron. xvi, T. En
akkadien sattu réé l'année de la tête » sera celle qui ouvre les fastes
((

royaux 6). La cause ou le principe précédant l'effet ou la conséquence,


;

le mot résii put exprimer la raison d'une chose. Ainsi la phrase rés-sii
sa ana pan éarri là allika IbaUi « la raison pour laquelle je ne suis
pas allé devant le roi est : \1) » . On s'étonne que Tj"i2"î~urNi « la tête de
ta parole », dans Ps. cxix, 160, soit interprété die Sumine deines

(1) JoHNS, Assyr. deeds and documents, w 53, recto 3; n" 57, recto 5; n. 105, recto 5
Cf. Jensen, op. laud., p. 396.

(2; Le mot zag-muk, d'où est venu zagmu/iu était interprété rcs salli (Meissner, Sel-
tene assyr. Idéogramme, n" 4634). L'ancienne forme était zag-mu (Gudéa, Statue E, in,
5, etc.).
(3; Code, rev. xxiii, 10.

Par exemple Assurbanipal, cylindre de Rassarn, m, 5.


(4)

(5) Cuneiform texts..., \xu, pi. 29, n" 155, 16-17. Toir la tablette néo-babylonienne
publiée par nous dans Revue d'Assyriologie, viu, 1911, p. 44, 1. 23.
(6j Chronique babylonienne, iv, 3i.

(7) Dans une lettre de l'époque d'Assurbanipal cf. Klauber, Assyr. Beamtentum, p. 75.
:

Figulla conteste cette interprétation {Der Briefaechsel Bêlibni's, p. 10). Mais le passage
qu'il oppose (ibid., p. 22, n" 6, 1. 5), pour réclamer le sens de « dés le commencement »,
est totalement différent. Nous n'avons plus rês-su sa, mais uUu res-su « depuis son com-
mencement ».
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 497

Wortes dans le dictionnaire de Gesenius-Buhl. L'opposition avec


aSi"7 du 2^ hémist. suggère le sens d'origine ou de principe : « Le
principe de ta parole est la vérité et tout jugement de ta justice est
pour toujours », De même, dans Ps. cxxxix, 17, les « têtes » des
psnsées de Dieu sont les principes qui les inspirent. La Sagesse existe
avant que Dieu ait créé « la tête des poussières du monde » ï;.\i
Szn nit^y \Prov. viii, 26\ c'est-à-dire avant le premier des éléments
qui composent le monde.
est un des facteurs les plus importants
Le besoin de préciser, qui
de l'évolution du langage, enleva peu à peu aux mots u?ni et rêhi un
certain nombre de significations métaphoriques pour les réserver aux
dérivés de ces mots. En hébreu, on recourut à "|irNi « qui est à la
tête » pour dire « le premier » et on en tira l'adverbe "irs") « anté-

rieurement, autrefois ». En akkadien ce fut le mot resta (dérivé de


rHlii fém. de rêsu) qui prit le sens de « premier » dans le temps ou
en dignité. Au mot mrxi c commencement, prémice » correspondit
n'stu (plur. rUêti) « sommet, premier, meilleur, prénnice ». Ces
dérivations de t^xi et de rêm font disparaître l'image primitive, exac_
tement comme les mots chef, chapiteau, capital, capitale n'éveillent
plus ridée de « tête » caput.
A cause de la synonymie entre rêiù « tète » et qaqqadu « sommet
de la tête », par s'établir en akkadien, nous avons eu
qui avait fini
l'occasion de signaler quelques emplois métaphoriques de qaqqadu. En
hébreu ~p"i::, dont le sens propre est le même que celui de qaqqadu,
était tout désigné pour signifier une éminence, une élévation. On le

rencontre avec cette signification dans l'hébreu post-biblique. Nous


avons- vu que qaqqadu avait le sens de capital ». Le crâne propre- '<

ment dit ri^jS: aura le sens de " capitation ». C'est une conséquence
du sens distributif qu'il revêtait dans nnSiSaS « suivant leurs tètes » (1).

Si un sommet a forme d'un crâne on l'appellera de ce nom. C'est


la
ainsi c[ue le Calvaire, simplement appelé y.pavbv par saint Luc, est
désigné par les trois autres évangélistes sous sa forme FîaysOx que
saint Jean donne comme le nom hébraïque. C'est en réalité l'araméen
xrSi;'-'^: correspondant à l'hébreu Th'hi.. Un récipient qui rappellera

la forme d'un crâne sera, en akkadien, gulgullu, plur. gulgullâti (2).

(1) Voir ce que nous avons dit ci-dessus sur le sens distributif de U7N'' et de ri^5i^.
(2) Thureau-Dancin, VIU" campagne de Sargoyi, p. 61, n. 10. C'est dans le même sens
([u 'on doit interpréter l'expression guhjullâliin là uinalli « je n'ai pas rempli de crânes »
au bord de l'Euphrale, dans une lettre babylonienne (Hoi.ma, hdrperleile..., p. 12). Ungaad
ne donne pas de raison cogenle contre cette interprétation {Babyl. Briefe, p. 205, n. i).
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 32
498 REVUE BIBLIQUE.

L'arabe djiimdjiuneli « coupe » est en faveur de cette


crâne » et «
appellation. L'idée de « hauteur ou plus exactement de « ce qui est
»

au-dessus » s'est attachée, en akkadien, au mot muhhu dont nous

avons vu le sens de « crâne » alors que l'hébreu gardait à nn le sens

primitif de « moelle, cerveau ». L'idéogramme spécifique de muhhu,


à savoir le signe ugu, était devenu un équivalent de la préposition
eli [h'j) Le mot muhhu formait avec les prépositions ana « à »,
« sur ».

i?i (( dans de », adi « jusque », une série de locutions pré-


», istu «

positives ana mithhi et ana muh « sur, au devant, au sujet de, etc.. »,
ina muhhi et ina muh « au-dessus, au sujet de, etc.. », iUu muhhi
« hors de », adi 7nuhhi « jusqu'à » etc.. (1). Dans toutes ces locu-

tions muhhi prenait la place de la préposition eli, de telle sorte qu€


le mot jnuhhi ou muh devint synonyme à' eli « sur ». Un troisième
synonyme était sir « sur » dérivé de dru « le dos » que nous étu-
dierons en son temps. Comme eli et muhhi, il fournit les locutions
prépositives ana sîri, ina siri, istu sîri, etc.. (2). Ce qui permet à
sîru « le dos » d'avoir le même sens que muhhu « le crâne », c'est
que sîru représente le dos de l'animal, tandis que muhhu est le crâne
de l'homme et, par le fait même, l'un et l'autre représentent la partie
la plus haute. C'est pourquoi, en parlant d'un vaisseau, on dira
muhhi-sa « son crâne » pour signifier u son toit » (3), mais on con-
naîtra aussi l'expression esen-sêri « os du dos, épine dorsale » avec
le même sens. Les Hébreux diront simplement « le dos » ("ini', suhru
dans el-Amarna = sêru) pour marquer le sommet de Noé
l'arche de
{Gen. VI, 16). On saisit sur le vif comment les parties du corps dérivent
leur signification métaphorique tantôt du corps de l'animal, tantôt de
celui de l'homme. C'est cette distinction qui nous a permis de suivre
les nombreux sens qui partaient du mot « tète ».
Chez certains animaux le point culminant n'est ni la tète, ni le dos,
mais bien les cornes. Ici encore nous allons avoir une série de signi-
fications métaphoriques dont l'étude attentive remédiera à la confu-
sion qui règne dans les dictionnaires. C'est le sens propre du mot
pp « corne » qui est usité dans les passages où « la corne » est
employée pour contenir l'huile des onctions royales (/ Sam. xvi, 1,
13; I Reg. i, 39i. Quand Gilgamès vient de tuer le taureau céleste, il

(1) Listes dans les dictionnaires. Cf. aussi le glossaire d'Ebeling à Knudtzon, el-Amarna
Tafeln, p. 1473 s.

(2) Devant
les suffixes il est surtout usité sous la forme ^ii'it, l'affixe û reinplaçant les
j»répositionsana, ina, islii. Mais les anciens textes sont lidèles à la forme ana siri (voir
par exemple Ungnad, Bahyl. Briefe, p. 369).
(3) Déluge. 1. 59.
L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE. 499

constate que les cornes peuvent contenir 6 kurru \\: d'huile et il en


fait présent au temple « pour les onctions de son dieu Lougal-
banda » (2). On se servait de la corne comme d'un récipient non
seulement pour l'huile, mais aussi pour les parfums et les fards.

Lune des filles de Job s'appellera "j'isn pp « corne du fard » [Job,

XLiT,li\ La corne du bélier servira de trompette. L'ancienne expres-


sion Sni^n "iip « corne de bélier » {Jos. vr, 5 devient simplement
•Sn'- (c le bélier » pour signifier la trompette jubilaire dans Ex. xix,
13. Le terme consacré par hébraïque pour cette trompette
la tradition
est i£ir qui est devenu le mot générique pour « trompette ». Mais on
distinguait entre la trompette faite d'une corne de bélier et celle qui
était faite d'une corne de bouquetin, la première servant pour le

nouvel an, la seconde pour la fête des Jubilés i 3\ Or, le mot 'ytyà

peut très bien correspondre à l'akkadien sapparu dont le sens est


précisément « bouquetin » i . Comme on disait "^2*'' « le bélier »

pour la trompette en corne de bélier, on disait "•siu" « le bouquetin »

pour la trompette en corne de bouquetin. Mentionnons, pour mémoire,


l'emploi insolite de pp pour la dent de l'éléphant dans l'expression
yà rii:"ip « cornes d'ivoire » d'Ezech. xxvii, 15.
La corne de l'animal devient un double symbole : celui de la hau-
teur et celui de la force. C'est par suite d'un souci trop grand de
ramener tous les sens à un sens unique que les dictionnaires se con-
tentent de bloquer les passages bibliques où l^p est pris au figuré
sous la rubrique robur ou potentiel (5 . Nous avons vu que les formules
où rêki et •^•ni « tête » sont accompagnés d'un verbe exprimant
l'élévation, dépeignaient les sentiments correspondants à cette atti-
tude. Chez l'animal la fierté, l'exaltation, l'orgueil seront révélés par
le même geste que chez l'homme : porter la tète haute. Les cornes
qui couronnent sa tête donneront à l'image plus de pittoresque encore.
L'homme qui redresse son front, parce que son âme exulte ou parce
qu'il est plein de fierté, sera assimilé à l'animal qui redresse ses

(J) Lire kurru le mot akkadien dérivé du sumérien gur. Il s'agit du li, mesure usitée

non seulement pour les céréales, mais aussi pour l'huile [Ezech. xlv, 14).
(2) Choix de textes..., p. 256-237.

(3; Distinction de R. Jetiuda, dans la Mishnah, traité Rôé-hassûnâ, chap. iir, 5 (édit.
Fiebig, p. 94).

(4) On distinguait atûdu ("Wy) le bouquetin domestiqué et mppuru le bouquetin sau-

vage. Dans Gen. xlix, 21, la biche échappée (nm^* nS^X) est en connexion avec "IIDN*
"12^ qui représente l'akkadien immerê sappari « les petits du bouquetin ».

[ô) Thésaurus de Gesenius, p. 1238; Lexicon de Buxtorf; les dictionnaires modernes.


500 REVLE BIBLIQUE.

cornes. Ce ne sera pas tant que la fierté qui sera le prétexte


la force

de rioaage choisie. Le Ps. lwv,


ne laisse pas de doute à cet 5 s.

égard « J'ai dit aux insolents


: ne s)yez pas insolents! et aux :

méchants n'élevez pas la corne! N'élevez pas en haut votre corne,


:

ne dites pas d'impudences le cou raide! » (1). Il s'agit de l'orgueil


des méchants. L'exaltation du juste sera dépeinte de même façon :

((Mon cœur a exulté en lahvé, ma corne a été haute en lahvé, ma


bouche s'est dilatée contre mes ennemis, car je me suis réjouie en
ton salut » / Sa?n. ii, 1). C'est le triomphe contre les ennemis qui
n'ont plus qu'à fermer la bouche (v. 3), exactement comme dans Ps.
Lxxv, 5. Il suffît de relire le Ps. lxxv en entier pourvoir l'opposi-
tion entre le méchant qui sera abaissé et le juste qui sera élevé. Le
dernier vers « j'abattrai toutes les cornes des méchants et les cornes
du juste seront élevées » n'est que l'écho du v. 8 « il abaisse celui-ci
et il élève celui-là ». Fierté consécutive à la joie, c'est encore ce
qu'exprime l'élévation de la corne dans Ps. lxxxix, 18 « car tu es :

l'orgueil de leur puissance et par ton bon plaisir s'élève (2) notre
corne ». Le vers précédent faisait pressentir ce sens « en ton nom :

ils se réjouissent tout le jour et en ta justice ils s'élèvent! » Ces


divers passages indiquent bien les degrés de l'exaltation morale : le

cœur joyeux, la tête haute, la bouche ouverte pour proférer des


paroles de triomphe contre les ennemis. Et ainsi deviennent très clairs
les passages où hésitent les commentateurs. Dans Ps. cxxxii, 16-18 :

« .le vêtiraide salut ses prêtres, et ses fidèles crieront de joie; là je


ferai pousser une corne à David, je préparerai une lampe à mon
oint, je vêtirai de honte ses ennemis et sur lui fleurira sa couronne. »

Ici encore ce n'est pas la force qui est symbolisée par la corne, mais
la joie et la fierté, comme le prouvent à la fois le parallélisme avec
la lampe (3 et l'opposition à la honte dont sont revêtus les méchants.
De même, dans Ezech. xxix, 21 « En ce jour-là je ferai pousser une :

corne à la maison d'Israël et je te donnerai d'ouvrir la bouche au


milieu d'eux pour qu'ils sachent que je suis lahvé. » La maison
d'Israël sera exaltée et elle pourra ouvrir la bouche contre ses adver-
saires quels qu'ils soient. Prendre des cornes, c'est acquérir de la

(1) Le sens de 7i7\ au v. 5 est bien « être insolent » {Thésaurus de Gesenius, s. v.);

au V. 6 l'expression "INlJfi « avec le cou « pour signifier « le cou tendu » comme dans Job,
XV, 26.
(2) Lire DTiri avec le lelfiib.

(3) Symbole ordinaire de la joie ou du bonheur. Comparer Ps. xcii, 11 « et lu élèves ma


corne comme d'un buffle, je suis humecté d'huile fraîche », l'huile étant le symbole de la
richesse et du l)onheur.
LEMPLOI METAPHORIQUE. oOl

gloire Eux qui se réjouissent pour rien, qui disent n'est-ce pas
: '< :

par notre force que nous avons pris pour nous deux cornes? » [Ain.
VI, 13 Le verbe npS
. prendre » pour soi s'oppose à "jn: « donner »
•<

aux autres. A l'expression « prendre des cornes » s'opposera l'expres-


sion donner » des cornes, pour signifier donner de la gloire. C'est
((

ainsi que, dans Sir. xlix, 5, l'hémistiche du début nnxS DJIp ";n''l ne
veut pas dire et dédit potestatem eorum in retrorsum, mais bien « et
il donna leur gloire à un autre » comme le prouve l'hémistiche paral-

lèle « et leur gloire à une nation impie étrangère » cf. G Bor/.av ^ip :

Tb -/.Epac xjTwv ï-i^ziz. La corne est devenue presque un synonyme de


gloire. Quand David humilie l'orgueil de ses ennemis, l'expression
employée sera la suivante : « et il établit des villes chez les Philistins
et jusqu'aujourd'hui il brisa leur corne » Sir. xlvii, 7\ Pour dépein-
dre sa propre humiliation, Job dira : « J'ai cousu un sac sur ma
peau i et j'ai enfoncé ma corne dans la poussière » Job, xvi, 15%
Nous ne contestons pas que le mot « corne » ait eu le se^s de
« force » ou de puissance et nous verrons plus loin comment on le lui

a appliqué. xMais il fallait faire une démarcation exacte entre les divers

passages où ce mot figure. L'emploi de "Jip avec "! ou a"»^."! est sim-

plement parallèle à celui de rx"^ avec ces verbes. Et de même que "Cn-^
a fini par signifier le sommet, la cime, nous retrouvons "j-ip avec cette
signification. « La corne grasse » sur laquelle se trouve la vigne du
bien-aimé Is. v, 1) remplace la tète qui surplombe la vallée grasse
Is. XXVIII, 1, k). « La corne de mon salut », suivie de « ma citadelle
et mon refuge » (II Sam. xxii, 3; Ps. xvui, 3', c'est la montagne d'où
vient le 1 \ c'est « la tête du refuge » 'Jiid. vi, 26),
secours Ps. cxxi,
le point culminant où le persécuté échappe à toute atteinte. L'arabe
n'a pas hésité à donner le nom de qarn « corne » à certaines collines
qui surgissent de la plaine 2 .

Nous avons vu que le sommet d'un édifice en était la tête et que


une couronne. Quelquefois ce seront des cornes qui
cette tète portait
On lit dans un texte de Goudéa
indiqueront la partie la plus élevée. :

« Du sanctuaire du gir-nwi, du lieu du jugement, le conservateur

de Lagas éleva la corne, comme d'un grand bœuf (3). » C'est dans
ce sens, croyons-nous, qu'il faut mterpréter un passage cité par
Holma ('*) d'après le catalogue de Bezold... [ilii) Bêlit-ilani kinm le

(1) C'esl-à-dire « le sac adhère à ma peau comme s'il y était cousu '.
:

(2) Par exemple qarn Sarfabe dans la vallée <lu Jourdain et qarn Haliin sur la plaine
où eut lieu la dernière bataille des Croisés, à l'ouest de Tibériade.
;3) Cyl. A, xxu. 21-23 (Tfrreau-Dangin, Les inscriptions de Sumer el d'Ahkad, p. 164-165).
'4) Korperteile..., p. 147.
502 REVUE BIBLIQUE.

qarni tdaés,idu. Holma traduit La souveraine des dieux lui fit


: «

porter des cornes comme un


» S'il y a vraiment une lacune
taureau.
devant [ihi), il nous semble qu'il est préférable de traduire « [au :

sanctuaire] de la souveraine des dieux il fit porter des cornes cDmme


un taureau ». Nous rejoignons ainsi le texte de Goudéa que nous
venons de citer. Ce n'était pas, d'ailleurs, une simple métaphore.
II est notoire que les tours à étages, les ziggurôt, se terminaient par

des cornes, comme en fait foi le texte suivant d'Assurbanipal « Je :

détruisis la ziggurat de Suse, qui était faite en maçonnerie de lapis-


lazuli, je raflai les cornes qui étaient un travail de bronze bril-
lant (1). » Quelle que soit l'origine de cette ornementation, elle a
joué un grand rôle chez les Sémites et les autres peuples. Les Israé-
lites qui n'avaient pas de ziggurat ont garni de cornes les coins des
autels, serapprochant ainsi de l'art religieux des Chananéens (2), des
Mycéniens et des Cretois (3). L'autel des holocaustes est orné d'une
cornfe à chacun de ses quatre angles. Comme celles de la ziggurat
de Suse, ces cornes sont recouvertes de bronze [Ex. xxvii, 2). Les
cornes de l'autel des parfums sont bordées d'or [Ex. xxx, Le 3).
timon d'un char par une tête d'animal à cornes [\).
se terminait
Istar offre à Gilgamès, pour prix de son amour, « un char de lapis-
lazuli et d'or, dont les roues (5) sont d'or et les deux cornes (6) en
pierre elmêhi » (7). On connaissait aussi u la corne » ou « les cornes »
d'un vaisseau (8). Les vaisseaux assyriens ou babyloniens exhibaient,
en effet, une
chacune de leurs extrémités et ces têtes portaient
tète à
des cornes, comme on
s'en rend compte sur la stèle de Melisipak (9).
Il semble, d'ailleurs, d'après ce même monument, que la proue du

bateau était incurvée en forme de corne.

(1) Cylindre de Rassam, vi, 28 s. Lire a-gur-ri à la 1. 28.

(2) Voir l'aulel de Ta'annaiv (Vincent, Canaan, pi. IV et V, p. 182).

(3) Ibid., p. 124 s.

(4) Voir les têtes de taureau en bronze qui servaient à cet usage dans le Guide du

Brilish Muséum [2" édil.j, p. 108, n"' 319-325; Le trône roulant de Sargon
p, 109, figure.
avait son timon agrémenté d'une tête à corne (Heuzèv, Les origines orientales de l'art,
pi. XII).

(5) Lire magarru au lieu de masaru : cf. ma-ga-ar-ru dans Meissneu, Seltene assyr.
Idéogramme, n" 10363,
(6) Forme duelle qurnô.

(7) Choix de textes.... p. 242-243.

(8) Delitzsch, Sum. Glossar., p. 236 : qarnu et qarndle elippi. Cf. Tallovist, Maqlù,
m, 129.

(9) Dans ScHEiL, Textes élamites-sémitiques, II, pi. 17. Comparer les représentations
de barques dans le relief à scènes magiques de la collection de Clercq (Clermont-Ganneal ,

Rev. archéologique, 1879, pi. XXV, et FKA>h, Beschworungsreliefs, taf. Ij et sur les portes
de Balawal (tribut des vaisseaux lyriens et .sidoniens).
L'EMPLOI METAPHORIQUL. 503

Ainsi la corne ne représente plus seulement la partie supérieure,


mais la partie saillante, l'extrémité, ou encore ce qui dépasse la
ligne normale. Les doigts de la main auront pour idéogramme sù-si
(( corne de la main ». La goutte d'huile qui nage à la surface
de Teau et dont permettent de prédire l'avenir,
les divers aspects
pourra présenter» deux cornes» (1). Ce sont évidemment les allonge-
ments qui déforment la circonférence de la goutte. Les rayons lumi-
neux qui précèdent le soleil levant seront également comparés à des
cornes. C'est pourquoi la théophanie du livre d'Habacuc décrit Dieu
comme celui dont « l'éclat est comme la lumière, deux cornes lui
sortent de la main et là est le voile de sa majesté » (2). Le rayonne-
ment de la lumière qui s'échappe du visage de Moïse sera rendu par
le verbe ]ip, dénominatif de "[ip. Les premiers rayons du soleil
s'appellenten arabe qarn (plur. quri'ni) es-kims. L'astrologie
chaldéenne connaît « la corne » du jour pour indiquer le jour
naissant (3).
Jusqu'ici nous n'avons pas eu à faire intervenir l'idée de force dans
l'emploi métaphorique des mots ç-a/'/iM et
l^p. Mais la corne est l'arme
d'attaque de l'aDimal. Le code de Hammourabi prévoit le cas du
bœuf cornupetens auquel il faut rogner les cornes pour éviter les
accidents 251). C'est avee ses cornes que le bélier de Daniel

animaux et acquiert une puissance mondiale [Dan. viu, 4),
détruit les
en attendant que le bouc frappe de sa corne unique le bélier triom-
phant et lui enlève sa force en lui brisant les cornes (vv. 5-7).
Dans Ezech. xxxiv, 21, lahvé juge entre les brebis grasses et -les
brebis maigres. Il reproche aux premières d'avoir frappé de leurs
cornes toutes les faibles pour les chasser. Moïse bénit la postérité
de Joseph en ces termes : « De son taureau premier-né il a la
majesté et ses cornes sont des cornes de buffle, avec elles il heur-
tera les peuples, les confins de la terre tous ensemble » [Deut.
xxxiii, 17). Le lion attaque avec sa gueule, le buffle avec sa
corne : « Sauve-moi de la gueule du lion et ma bassesse [k)
des cornes des buffles! » [Ps. xxn, 22). lahvé interpelle Jérusalem :

(Ij Parmi les cas prévus se trouve celui où les cornes de la goutte d'huile diminuent

à gauche et à droite garnà-m hasrâ [Cuneiform tej:ts..., V, pi. 4, 1. 17). Rattacher le


:

verbe hasâru à la racine IDil-

(2) Hab. m, 4.

(3) ViKOLLEAUD, L'astfolofjle chaldéenne, Adad, xxxni, 21,


(4) Le mot "i^n^wy « tu m'as répondu « provient de ln''3" « ma bassesse », qui représente
le suppliant et fournit le parallélisme au sutV. du verbe ''J"^\l*ln ; cL G, tt^v xanvyjuxs''-/

\).oj, Viily. humilitatem viearn.


bOi REVUE BlBLlnUE.

« Lève-toi et écrase, fille de Sion. car je te mettrai une corne de fer


et je te mettrai des sabots d'airain et tu broieras des peuples nom-
breux! » (Mich. IV, 13). Le faux prophète Sédécias se fabrique des
cornes de fer et dit : « Ainsi parle lahvé : avec elles tu frapperas
Aram jusqu'à les achever cornes étaient donc
» [I Reg. xxii, 11). Les
bien symbole de la force, spécialement de la force destructrice. En
le

Babylonie et en Assyrie, elles étaient l'emblème de la divinité. Attri-


buées tout d'abord à Sin le dieu-lune, dont le croissant apparaissait
aux cieux comme les cornes du taureau vigoureux (1), elles furent
posées sur la couronne des dieux que le taureau symbolisait (2) ou
des déesses qui étaient assimilées à la vache (3). Finalement elles
furent la coifiure caractéristique des êtres divins : « les sublimes dia-
dèmes à cornes, diadèmes de seigneurie, caractéristique de la divi-
nité, qui sont remplis d'éclat » (i). Les rois étant participants de la
nature divine, on les affubla de la coiffure à cornes. C'est le cas de

Naram-Sin qui se faisait appeler dieu d'Agadé (5). Un texte d'Assur-


banipal permet de reconnaître le sens précis du symbole « la déesse :

Nin-lil, la vache sauvage, la souveraine impétueuse parmi les déesses,


elle qui avec Anou et Enlil partage la prépondérance, elle frappa de
ses fortes cornes mes ennemis (6). » Hammourabi se dépeint comme
« un bul'fle impétueux qui frappe l'ennemi » [Code, recto, m, 7-8).

Le verbe employé est précisément nukkupu qui signifie « frapper


avec les cornes » (7). On voit que la corne n'est pas le symbole de la
puissance en général, mais de la force dans la lutte contre un adver-
saire, exactement comme dans les passages bibliques cités plus haut.
Daiis un texte magique, l'incantateur menace la sorcière « La déesse :

Nisaba. la reine, tranche tes cornes 8 » L'expression qanid bidlù ( .

'<supprimer les deux, cornes « de quelqu'un signifie qu'on lui enlève

(1) La religion assy ro-babylanienne, p. 59.


(2) Par exemple Adad, i[ui était aussi « un jeune taureau vigoureux » 'ibid.).
(3) D'abord !a déesse Sln-har-sag, pendant de la déesse égyptienne Hathor; puis/A<a?' ;

cl', ibid., p. 168 et Stuecr, Asurbunipal, p. 348, n. 5.

(4) Inscription à' Agum-hakrime, u, 50-5'i.


(5) La religion assy ro-baby Ionienne, pp. 60 et 170.
(6) Cylindre de Rassam, ix, 75-79. Corriger rinlerprclaliou de Streck (p. 78-79). Le mol
rimlu est le féminin de riinii « bullle » ; lire ensuite ellil-i-iu (Meissner, Onenlal. Litera-
iur-Zeitung, 1916, col. 305).
(7) L'expression du code rcinum kadrum munakkip z-û'iri est tellement calquée de près
par celle d'Assurbanipal rimlu ...kadirti iWili ... unakkip qu'on ne peutconteslerla véritable
interprétation de ce dernier passage (contrairement à la traduction de Streck;. On remar-
quera que, dans Ex. xxi, 35, 1 action de frapper avec les cornes est rendue par le verbe ^;ij
qui correspond à l'akkadien nakâpu.
8) Tallqvist, Maqlù vi, 117. Le verbe qasàbu correspond à l'iiebreu "ïp de // Reg.,
VI, 6.
L E.Ml'LOI METAPlIORinLE. o03

toute puissance de nuire (1). La parabole de Zach. ii, 1-i ss. met
en scène les « pour abattre les cornes des
forgerons qui sont venus
nations qui ont levé la corne contre la terre de Juda afin de la dis-
perser ». C'est Dieu lui-même qui, dans la chaleur de sa colère, a
coupé « toute corne » d'Israël et lui enlève ainsi toute force de résis-
tance [Thren. ii, 3). Dans Moab, le paral-
l'oracle de Jérémie contre
lélisme entre « la corne de Moab a été coupée
son bras a été » et «

brisé » 'Jer. xlviu, 25) montre bien comment la corne est le siège
de la force combattive. Le sens général de « puissance » n'est qu'un
sens dérivé.
Nous devions, comme pour les mots rêsu et r.N"^, suivre de près les

significations dérivées des mots qarnu et ]ijp. C'est par une analyse
minutieuse qu'on arrive à discerner comment l'image primitive de la
corne donne naissance aux significations de « fierté joyeuse, orgueil,
cime, coin, extrémité » et à celles de « force offensive ou défensive,
puissance de nuire ou de résister ». Des observations quotidiennes
permettaient aux pasteurs nomades ou aux agriculteurs sédentaires
de reconnaître dans les attitudes de l'animal les sentiments qui l'agi-
taient. Pour exprimer les sentiments de l'homme on lui prêta les
mêmes attitudes. C'est ainsi que des parties caractéristiques du corps
de l'animal furent greffées, par le langage, sur le corps humain et

perdirent leur signification première, pour ne garder que leur sens


métaphorique.
Les cheveux étaient communs à l'homme et à l'animal. C'est en
vertu d'une synecdoche que l'akkadien idrtu et l'hébreu "^rw {nomen
unitatis_ "l^t? = kirtu\ ont désigné spécifiquement la chevelure de

l'homme. L'usage courant de la langue garde à sartu et à i"c: le sens


de « poil )), qu'il s'agisse du corps humain ou de la toison des ani-
maux. On dira même yjx: « poil » Il Reg. i, 8j pour signifier

^yt.* n";^"x « manteau de poil », et ^idéogramme de sdrtii << poil »>

désignera aussi Hpdtu « la toison ». Le nom spécifique du bouc sera


« le poilu » 1'':;?^*. Transportant au règne végétal les poils de l'animal
on appellera l'orge mtriy « la pileuse », en akkadien mrtu (2). Le
hérissement des poils par suite de la peur s'appellera simplement lyii'

et le verbe yj'C voudra dire « frissonner ». Les cheveux proprement


dits s'appelleront "Cn"' yrc « le poil de la tète >\ tandis que l'aldcadien

(1) Voir le texte cité par Zimraern (Gesemus-Blul, s. v. pp) et parHoiraa [Kôrper-
teile.... p. 147).
2 Miss-Arnoi.t. Huadirorlerbuch, \>. 1121 s.
506 REVUE BIBLIQUE.

donnera aux poils le nom« chevelure du corps ».


de hlrat zumri
Nous avons signalé que l'expression salmdt qaqqadi « [gensj
ci-dessus
noirs de tète » faisait allusion à la chevelure et nous avons rapproché
l'hébreu "i^UJ Yp7p « crâne chevelu » parallèle à ujxi « la tète » dans
Ps. Lxviii, 22. Le « poil des pieds « cS:!! yj\û [Is. vu, 20) est un
euphémisme analogue à D^Sai la « eau des pieds » [Fs. xxxvi, 12). Le
nom d'unité myii^ était usité de préférence pour le cheveu. C'est lui

qui figure dans la formule courante « il ne tombera pas à terre un


cheveu de sa tète » [I Sa?n. xiv, 45), « il ne tombera pas à terre un
cheveu de ton fils » (// Sam. xiv, il; cf. l Reg. i, 52), avec laquelle
on peut comparer la parole de Notre-Seigneur « et un cheveu de
votre tête ne périra pas » (Le. xxi, 18) ou de saint Paul « il ne périra
pas un cheveu de la tête d'aucun de vous » [Act. xxvii^ 34). C'est
encore ^yj^ qui est employé dans l'expression n"i!;\rn"Sx « à un
cheveu près », c'est-à-dire avec la dernière précision [Jiid. xx, 16).
La chevelure qu'on laisse c'roitre librement sur la tête porte le nom
de ï;"i2 en hébreu, de pirtu en akkadien. D'après le mot pir\i }<. reje-
ton, progéniture », qui appartient probablement à la même racine,
le sens primitif devait être « pousse, excroissance », L'arabe far'
signifie à la fois « le rameau, la branche » et « la longue chevelure ».
La confusion du règne animal et du règne végétal se retrouve dans
qïmmatu (1) qui est un autre mot akkadien pour la longue cheve-
lure. L'expression qhnmat ui « chevelure de l'arbre » est l'ensemble
des feuilles ou des rameaux dont est parée la cime (2). On pourrait
se demander si le nom sumérien suhur qui correspond à l'idéo-
gramme de qimmalu n'est pas une survivance d'un sémitique hihur
équivalent à lyu? (cf. le plur. arabe sii'ùr « les cheveux »). Nous
n'avons pas à insister sur niiir « les cheveux blancs », en akkadien
slbtu (3i, pour signifier « la vieillesse ». Signalonscependant la belle
image du livre de Job (xli, 24) pour dépeindre l'écume que laisse
derrière lui le crocodile : « Derrière lui s'allume un sentier, on dirait
que l'abime a des cheveux blancs. »

(.4 smv7'e.)
P. pUORME.
Jérusalem, l"^'' mai 1920.

(1) Lire ainsi au lieu de kimmatu ; cL Meissner, Assyriolog. Forschungen,i, 1916, p. 51.
(2) Ibid., p. 52. Comparer l'usage de >i6|xyi « chevelure » pour signifier 'c feuillage ».

(3) Le plur. slbâti dans Holm\, Kôrperteile..., p. 34.


LÀ SÉPULTURE DES PATRIARCHES
D'APRÈS L\ BIBLE (1).

I. — CARACTÈRE DES DONNÉES BIBLIQUES.

Le monument dont s'enorgueillit à juste titre la vieille cité pales-


tinienne d'Hébron pourrait n'être qu'une création fastueuse dans un
site de hasard; il s'imposerait néanmoins à la considération des

artistes. La valeur esthétique est un élément intrinsèque largement


soustrait aux modalités du temps. Pour un architecte, le Haram el-
Khalil est remarquable par ses proportions, par son ordonnance, par
ses lignes structurales, par une application heureuse des lois techniques
bieu définies d'où résultent la stabilité, l'harmonie et la beauté d'un
édifice il n'y a pour lui qu'un intérêt; accessoire dans les attributions
;

chronologiques suggérées par une archéologie téméraire ou circons-


pecte. Intérêt accessoire, mais intérêt réel cependant. Puisque l'art
en chaque phase de son évolution est tributaire de tous les eflbrts
antérieurs, il ne saurait être indifTérent au spécialiste de pouvoir
contrôler si la majestueuse enceinte est une œuvre hérodienne, ou

s'il y avait quelque motif plausible de la reculer jusqu'aux jours


lointains de David où de Salomon.
Autre est la préoccupation de l'historien. En présence de ce monu-
ment qu'il admire, ce qu'il lui importe essentiellement de scruter,
ce sont les titres aptes à justifier son impressionnante désignation de
« Sépulture des Patriarches ». Plus que toute splendeur, plus que

tout mérite artistique, cette désignation ennoblit le Haram et le con-


sacre dans la vénération universelle des chrétiens, des musulmans et
des juifs.

(1) Grâce à lintelligeate initiative de M. le capitaine E. J. H. MacJiay, actuellement


Inspecteur en chef du Service des Antiquités en Palestine, nous avons pu réaliser naguère
une étude détaillée du fameux Haram el-Khalil. La monographie archéologique et histo-
rique du monument par Mackay et Vincent devant attendre pour paraître des circonstances
plus propices aux publications de cette nature, mon savant ami a très courtoisement au-
torisé la publication de ces notes inspirées par un nouvel examen du récit biblique à la
lumière de notre enquête.
l

308 REVUE BIBLIOUE.

Les Patriarches! Il suffit de ce terme pour évoquer spontanément


les noms précis d'A}3raham, d'Isaac, de Jacob. Or si Abraham « l'ami
de Dieu » (1) et toute sa lignée représentent d'abord les grands, an-
cêtres du peuple hébreu, ils furent surtout les dépositaires d'une
tradition sans égale par son caractère et par son importance dans
l'histoire religieuse du monde. Plus que la tombe des héros des plas
glorieuses épopées, la sépulture des Patriarches suscite donc un vif
intérêt et son authenticité sollicite la recherche attentive. Aux yeux
du musulman béat qui se targue d'être aujourd'hui le gardien privi-
légié de ce dépôt sacré, une
recherche serait un crime; les telle
Patriarches sauraient infliger un châtiment aussi prompt que sévère
à l'indiscret qui oserait, pour satisfaire un doute injustifié, les trou-
bler dans la paix de leur vie mystérieuse. On offenserait cruellement
qui répand avec ferveur ses larmes etsa prière dans une fissure
le juif

de caverne sépulcrale en lui demandant si l'inaccessible hypogée


la
renferma jamais la cendre d'Abraham (2). Et les chrétiens hésitaient-

(1) Isàïe (xLi, 8) employait déjà celte expression de longs siècles avant quelle soit
devenue, pour les musulmans, une antonomase désignant suivant les cas Abraham en
personne ou la ville qui renferme son tombeau. lahvé lui-même, en ce passage, use du
qualificatif Abraliam mon ami >. A proprement parler "'ZHN Dninx se devrait interpré-
"

ter activement « Abraham qui m'aimait », comme le suggère II Chron., xs, 7. Le sens
:

d'ami, facile néanmoins à justifier, est consacré par la tradition biblique; cf. Ep. Jac. ii,
23 'AêpaâfA... ^wo; Oeov é/./.i^fir,. On se demandera s'il n'y aurait point là queli[ue obscure
:

mais plus ou moins positive réminiscence de la plus correcte étyinologie du nom. L'inter-
prétation dunom parl'assyrien râmu (ClI) « être élevé» qui avait depuis assez longtemps
prévalu est tenue pour sujette à caution. Le P. Dhorme, dans une monographie où il
établit «que les noms de la famille d'Abraham sont ou bien de purs noms babyloniens ou
bien des noms" ouest-sémitiques retrouvés à Babylone » (RB., 1908, p. 220), signale « que
rà''(nnu, 7-âinu « aimer » est d'un usage fréquent dans les noms propres dès l'époque de
la première dynastie babyloniennej. Ahi-ràmu, aussi bien que C12N, voudrait donc dire
« mon père aime ». La seconde lecture CTii2>S' pourrait reposer sur une ponctuation avec
rTïÏÏîîThi'ê ?H0/e;- leclionis » (Dhorme, op. l., p. 218 s.;. Au sujet des formes babyloniennes
ra'àmu, romu,t\.c., voir Knldtzon, El-Amarna-Tafeln, p. 149-3, s. v° Ra^àmu. Parmi les
variantes orthographiques sous lesquelles apparaît ce nom à l'époque de la dynastie d'Ham-
mourabi-Amrapbel (cf. Diiorme, BB., 1910, p. 156), la seule qui semblerait de prime abord
échapper à l'élyuiologie proposée est A-ba-ra-ha-am, récemment lue sur une tablette du
même temps (voir A. T. Clak The Empire of (fie Amorties, 1919, p. 41). Le P. Dhorme
a précisément relevé naguère la singularité de certaines transcriptions babyloniennes^'^ii
la seule gutturale /( fut chargée d'exprimer la série des consonnes qui manquaient au
syllabaire cunéiforme {La langue de Canaan, dans RB., 1914, p. 358 s.). On peut voir
»

dans J. S. Skinner [A crilical and exegetical Corn. 07i Genesis, p. 292 s., sur Gen. xvii, 5)
le groupement des théories qui ont eu cours avec plus ou moins de fondement jusqu'à 1910.
Parmi ces théories c'est sans doute à dessein que Skinner ne semble même pas faire
allusion à l'extraordinaire dissertation de T. K. Cheyae {Tradilions and Reliefs of Ancien
Israël, 1907, p. 283-290). Abraham y devient naturellement « l'Arabie lérahméélite »,

distinguée de >< l'Arabie Arammite « — Abram !

(2) Sous ces manifestations bien na'ives à coup sur la piété populaire du juif hébronite
LA SÉPLLTURE DES PATRIARCHES. 509

ils davantage sur l'authenticité du vénérable sanctuaire quand ils

l'embellirent d'une église et le comblèrent de donations? La tradition


si jalousement perpétuée jusqu'à nos jours était pieusement soudée
presque aux origines par uq monument dont on ne limitait l'appari-
tion au règne de David que faute de quelque autre nom aussi glorieux
et plus ancien à qui le rattacher. Entre David et les Patriarches un
hiatus initial subsistait évidemment, mais si lointain que sa durée ne
pouvait émouvoir personne; et la chaîne traditionnelle paraissait
merveilleusement continue. La poésie de cette tradition devrait-elle
s'évanouir parce que le monument lui-même a révélé sa date plus
voisine de nous? Mais surtout n'a-t-elle pas succombé sans espoir
sous les dures précisions de la critique?
Aussi bien la critique s'est-elle faite ici particulièrement radicale
et impitoyable. Ce n'est pas l'authenticité de leur sépulture seule-
ment, mais la réalité même des personnalités patriarcales qu'elle s'est
arrogé le droit de mettre en cause. Avec un dogmatisme souvent
intransigeant et quelque peu divinatoire, elle a prétendu substituer à
l'existence des Patriarches tantôt le mythe de dieux déchus que les

Hébreux auraient impudemment adoptés, tantôt la légende moins


irrévérencieuse de héros éponymes concrétisant l'histoire des tribus
qui ont formé le peuple d'Israël. Mythologie, ethnographie, linguis-
tique, histoire des religions de l'Orient ancien, la Bible elle-même
soumise à un traitement de rigueur : on a tout remué, tout allégué
en témoignage pour étayer l'une ou l'autre de ces hypothèses. Un tel

radicalisme n'a pris au dépourvu ni la philologie positive, ni l'ethno-


graphie méthodique, ni la critique sincère, ni l'exégèse éclairée (1).

ne sera certainement pas confondue avec les superstitieux préjugés du musulman. J'entends
bien M. Saloraon Reinach nous affirmer que « chez les juifs instruits, un peu partout, le
rationalisme domine, avec une certaine piété pour leurs ancêtres qui leur lient lieu de foi »

[Orpfieus, p. 310j. Mais ce tranquille aphorisme est-il l'expression adéquate du véritable


sentiment religieux, même dans le judaïsme éclairé? Parmi les foules juives qui ont défilé,
au cours des devant ces murailles, achetant souvent à prix d'or oii par de cruelles
siècles,
avanies la faculté d'en baiser les pierres, ne s'est-il donc jamais trouvé autre chose que de
lamentables ignares et des simples d'esprit? Malgré son ostentation et sa naïveté, celle
expression de la piété juive demeure émouvante. J'avoue qu'aux sanctuaires de Jérusalem
et d'Hébron le spectacle que j'en ai sous les yeux depuis de bien longues années m'a
toujours impressionné plus que le et un peu dédaigneux auquel
scepticisme transcendant
on voudrait la réduire. Ed. Ktinig {Geschickle der alltestam. Religion, 1912, p. 34)
qualifiait naguère avec une très légitime sévérité la prétention pseudo-scientifique de
ramener toute la religion Israélite à de vulgaires superstitions locales, ou à je ne sais quel
culte des cités ou des tribus d'Israël.
(1; Il serait hors de propos d'étaler ici les pièces de ce débat; mais on ne se donne pas

le tort d'en méconnaître la gravité. Le système du mythe astral par exemple n'est plus
linoffensive rapsodie d'un Dupuis élucidant à sa guise YOngine de tous les citlles. Win-
ckler [Gescliichte Israels in Etnzeldarslellunyen et diverses autres éludes) lui rendait,
510 REVUE BIBLIQUE.

Il serait, certes, vivement à souhaiter que le problème de l'historicité

des Patriarches fût traité aujourd'hui avec la compétence et l'ampleur

voici une vingtaine d'années, la vigueur que peut conférer une critique déliée, servie par
une érudition prestigieuse. La légende astronomique paraît avoir acquis une sorte de consé-
cration scientifique depuis les travaux d'Ed. Stucken, en particulier son gros livre Aslral-
mylhen der Hebraer, Babijlonier vnd Aegypter. Autour de ces grands astres de la
constellalion panbabylonienne gravitent de jour en jour plus nombreux d'autres astres à
peine moins brillants Jereraias, Zimmern, Éd. Meyer, Jensen. Et si tous ces noms sont
:

allemands, parce qu'on choisit les plus célèbres, il serait inexact de penser que ces théories
n'ont pas ailleurs des adeptes marquants. Dés 1907, le Rév. T. K. Cheyne, dans l'Intro-
duction de son volumineux ouvrage Traditions and Reliefs of Ancient Israël (p. vu)
déplorait qu'on méconnaisse l'apport de la critique anglaise en ce domaine. M. A. T. Clay,
en 1909, préoccupé de réagir contre de tels excès, constatait avec une certaine mélancolie
le débordement du panbabylonlsme au delà de l'Atlantique {Amurru, the Home oftlie
nortltern Sémites, p- 20) et s'attachait à montrer que la « religion et la culture d'Israël ne

sont pas d'origine babylonienne nnthologique surtout. Parallèlement à ces spéculations


>-,

babyloniennes —
qui ont trouvé en France leur écho, —
la mythologie égyptienne tout
aussi toutfue devait être exploitée. Elle l'a été par exemple dans le livre de M. D. Volter,
Aegijpten und die Bibel. Die Irgeschichte Israels im Lichte der aegypt. Mythologie, en
1904. Le P. Lagrange a déjà cent fois, dans la RB., signalé le vice fondamental et sapé les
principes mêmes de la théorie; voir par exemple RB., 1901, p. 99 ss. contre "Winckler;
1905, p. 141 s., à propos de Vtarly Eebrew Story d'ailleurs plus modérée — du —
Rév. J. P. Peters. Le vigoureux article de M. E. Cosolin, Fantaisies biblico-mytholo-
giques d'un chef d école : M. Edouard Stucken et le folh-lore (RB., 1905, p. 5 ss.)
démontre le dilettantisme compromettant de la méthode suivie par M. Stucken. La théorie
ethnographique ramenant toute l'histoire des Patriarches à l'histoire des clans d'Israël
n'est plus, seulement le fait d'historiens tels que '^'ellhausen ou Stade ;^lle passe dans les
commentaires et M. Burney rappliquait récemment a l'exégèse du livre des Juges. Sur
quoi le P. Lagrange a formulé une réserve de principe qui exigerait des développements
mais qui énerve les plus doctes combinaisons en cette voie « Ce qui est certain, écrivait- :

il, c'est que si la Bible emploie indifféremment le même nom pour un homme et pour une

tribu, ellene généalogise pas par les femmes, et que les noms des femmes des patriarches
ne sont jamais des noms de tribus » {RB., 1919, p. 571 cf. 1899, p. 623 ss. 1902, p. 124; ;

ss., etc.). D'ailleurs les traditions arabes, si complaisamment exploitées d'ordinaire pour
étayer cette constitution légendaire des tribus d'Israël par de simples éponymes, sont loin
d'exclure aussi radicalement qu'on le suppose Ihistoricité de l'ancêtre. Voir Jaussen,
Coutumes des Arabes au pays de Moab, p. 107 ss. : La Tribu. L'ouvrage très solide de
M. Ed. KoENic, Geschichte des alttestam. Religion hritiscli dargestellt (1912) offre
d'un autre point de vue la plus ferme réaction contre ces diverses théories (voir surtout
le ch. V La religion Israélite dans le stade de la religion des Patriarches, p. 119ss.).
:

La critique elle-même détruit parfois ses propres excès. Rarement, en effet, les systèmes
artificielsdu mythisme patriarcal cher à Meyer, Winckler, Stucken et autres, ou de l'ethno-
graphie qui plaît mieux à Guthe, Stade, Wellhausen, ont été plus positivement malmenés
que dans les Alttestamentliche Studien de M. B. D. Eerdmans. La RB. a cependant
signalé combien peu la tradition et l'histoire bibliques réalisent de gain dans cet apparent
plaidoyer en leur faveur (cf. RB., 1908, p. 456 s.; 1909, p. 151 s.). Il serait donc dangereux
d'estimer que la critique se détruit par son outrance même, ou que tout est caduque dans
ses spéculations. Mais elle ne peut être efficacement combattue qu'avec ses propres armes.
La meilleure intention de prouver la réalité des faits et des circonstances de l'histoire
d'Abraham par le témoignage des découvertes modernes offre plus d'inconvénients que
d'avantages quand elle est réalisée à la manière de M. P. Dornstetter je suppose, dans sa
monographie Abraham. Studien ilber die Anfdnge des hebr. Volhes; Biblische Stu-
:

dien, VIII, i-ni, 1902; cf. RB., 1902, p. 480 s.


H

LA SÉPLI.TIRE DES PATRIARCHES. 3

que comporte sa rigoureuse mise au point. On veut seulement observer


qu'à travers les théories outrancières auxquelles il vient d'être fait

allusion, rien d'acquis et de stable ne s'est imposé. En de vieux récils


bibliques émouvants, colorés, pittoresques, les existences patriarcales
se reflètent avec l'inteosité que leur avait conservée un souvenir
populaire pieusement transmis de génération en génération (1). Après
avoir tenté de les rajeunir à l'excès ou de ruiner leur crédit, qu'oppose-
t-on à ces narrations ingénues? Quelque évidence? une certitude
raisonnable? Dans les meilleurs cas une vraisemblance telle quelle,

ou de théoriques possibilités. L'hypercritique elle-même, quand elle


se soustrait à la hantise de ses combinaisons, ne s'aveugle pas sur la
fragilité de sa position. Un de ses représentants les plus à considérer,
M. A. Jeremias, s'efforce maintenant de sauver l'historicité de quelques
traits essentiels dans la vie des Patriarches. Et Jeremias n'hésitait pas
naguère à mettre le chorège incontesté de l'école, J. ^Yellhausen, en
demeure d'appliquer loyalement son judicieux principe « Si la tra- :

dition Israélite est seulement possible, ce serait folie que de lui pré-
férer une autre pos.sibilité » (2).
Dès lors ne saurait-on taxer de futilité ou d'imprudence le recours
aux sources mêmes de la tradition hébraïque. En parcourant les
antiques récits de la Genèse, avec méthode cela va de soi, mais sans
nous appesantir sur un labeur dévolu aux exégètes, nous y recueil-
lerons mainte indication de nature à éclairer l'origine du monument
d'Hébron, en permettant de contrôler le titre glorieux qui s'y attache.

(Ij C'est de l'histoire ainsi entendue que Cicéron parait avoir donné la définition un peu
emphatique mais si élégante Historia vero teslis temporum, lux veritatis, vita inemo-
:

riae, tnagistra vitae, nuntia velustatis [De oratore, ix, 36, éd. Teubner, II, 75. Voir à
ce propos les remarques très pénétrantes du P. Lagrange, La méthode historique, 2" éd.
p. 186 ss.j. CeUe histoire sous une forme populaire peut n'avoir pas la rigueur et l'acribie
exigées de l'histoire scientifique; elle excelle néanmoins à mettre en relief certains faitt
caractéristiques, à définir les traits d'une physionomie individuelle, à peindre avec mordant
les scènes de la vie privée. Telle fut manifestement l'histoire chère à l'antiquité. S. Jérôme
n'éprouvait aucun embarras à constater ce genre littéraire dans les divines Écritures; une
phrase célèbre de son commentaire sur S. Matthieu (xiv. 9) en fait la preuve Consuelu-
:

dinis Scripturarum est, ut opinionem mullorum sic narrel historicus, quomodo eo


iempore ob omnibus credebatur{PL., X.WI, col. 98). Et ailleurs, à propos des Évangélistes
qui nomment sans aucune restriction ni hésitation Joseph « le père du Sauveur », il
réitère son observation sous une forme plus saisissante encore, car cet écho fidèle de la
pensée populaire est, d'après lui, la véritable loi de l'histoire ... opinionem rulgi expri-
;

mentes, quae vero. historiae lex est 'adv. Helvidium; PL., XXIII, col. 187).
(2) Wen)i sie [la tradition Israélite] auch ?iur moglich ist, so udre es Torheit, ihr

eine andre Moglichkeit vorzuziehen (W'ellhausen, Komposition des Hexateuch, p. 34G,


cité d'après Jeremias, Dus al te Testament im Lichte des alten Orients, 2° éd., p. 366.
512 REVUE BIBLIQUE.

II. — LA CAVERNE 1>E MACPKLAH.

Sarah comblée de jours vient de mourir à Héliron. Il s'impose de


lui assurer une « demeure d'éternité » en ce pays où la famille
patriarcale semblait n'avoir encore que pour un temps fixé sa rési-
dence [Gen. XIII, 18). Abraham s'adresse donc aux habitants de la
ville pour obtenir la cession d'un tombeau qui soit désormais sa
propriété. L'accord n'intervient pas sans des négociations délicates;
il est cependant conclu et le patriarche entre en possession d'un
champ apparemment désigné nom de Macpélah. Ce champ,
sous le
situé en face de Mambré, renferme une caverne où Sarah reçoit
aussitôt la sépulture [Gen. xxiii). A sa mort Abraham y est enseveli
à son tour [Gen. xxv, 9); puis successivement Isaac (xxxv, 29) et
Jacob (xLix, 30; l, 13), après leurs femmes Kébecca et Liah, (l, 31).
Et tel était le prestige de ce regroupement familial dans la tombe,
que .lacob, poussé en Egypte par les nécessités de la disette, ne veut
pas être enseveli ailleurs que dans la caverne d'Hébron et fait jurer à
ses enfants qu'il y sera transporté. Joseph mourant avait du moins
manifesté le même désir de ne pas être séparé de ses ancêtres
(l, 24 ss.); mais le livre de la Genèse ne contient pas le récit de sa

mort et la Bible ne mentionne pas ailleurs la réalisation de ce vœu


suprême.
Lisons donc de plus près ce chapitre xxiii' de la Genèse, véritable
titre de fondation de l'hypogée patriarcal.

1. Les 'années' de la vie de Sarah furent de cent-vingt sept ans, [ ] 2. et Sarah


mourut à Qiryath-Arba' c'est Hébron), au pays de Canaan, et Abraham vint pour
faire le deuil de Sarah et pour la pleurer. 3. Et Abraham se leva d'auprès de sa
morte et parla aux fils de Rhet, disant : 4. Je suis à titre étranger et en résidence
parmi vous; donnez-moi une possession sépulcrale parmi vous, et j'ensevelirai ma
morte de devant moi. 5. Et les fils de Khet répondirent à Abraham, disant : 6. 'De
grâce', écoute-nous, seigneur ^ tu es au milieu de nous comme un prince divin :

ensevelis ta morte dans le plus choisi de nos sépulcres : aucun de nous ne te refu-
sera son tombeau [pour empêcher] d'ensevelir ta morte. 7. Et Abraham se leva et
salua le peuple du pays, les fils de Khet, 8. et il leur parla, disant : Si vous êtes dans
la disposition d'ensevelir ma morte de devant moi, écoutez-moi, et entremettez-vous
"pour moi auprès d' 'Éphrôn fils de Sokhar, 9. afin qu'il me donne la grotte du Mac-
pélah, qui est à lui, qui est à l'extrémité de son champ : qu'il me la cède pour un
bon prix au milieu de vous, comme possession sépulcrale. tO. Or 'Éphrôn était assis
au milieu des fils de Khet, et 'fiphrôn le Khétéen répondit à Abraham aux oreilles
des fils de Khet, c'est-à-dire de tous ceux qui entraient à la porte de sa ville,

disant : 11. Non, seigneur, écoute-moi : je te donne le champ et je te donne la grotte

qui y est; je te la donne aux yeux des fils de mon peuple; ensevelis ta morte. 12. Et
Abraham salua en présence du peuple du pays, 13. et il parla à 'Éphrôn aux oreilles
LA SÉPULTURE DES PATRIARCHES. 513

du peuple du pays, disant : Seulement si tu m'écoutais! Je te donne l'argent du


champ, accepte de ma part et j'ensevelirai là ma morte. 14. Et 'Éphrôn répondit à
Abraham : 15. 'De grâce', seigneur, écoute-moi :
[ ]
Quatre cents sicles d'argent
entre moi et toi, qu'est-ce que c'est? ensevelis donc ta morte! 16. Et Abraham en-
tendit 'Éphrôn et Abraham pesa à 'Éphron l'argent qu'il avait dit aux oreilles des
fils de Khet : quatre cents sicles d'argent ayant cours chez les marchands, 17. Et le
champ d' 'Éphrôn qui est dans le Macpélah, qui est en face de Mamré, et le champ
et la grotte qui s'y trouve et tous les arbres qui étaient dans le champ qui étaient
dans toute l'étendue de son enceinte 18. fut acquis à Abraham en possession aux yeux
des fils de Khet, c'est-à-dire de tous ceux qui entraient à la porte de sa ville. 19. Et
après cela, Abraham ensevelit Sarah sa femme dans la grotte du champ du Macpélah,
en face de Mamré (c'est Hébron), dans le pays de Canaan. 20. Et le champ et la
grotte qui y était fut acquis des fils de Khet à Abraham en possession sépulcrale (1).

y 1 : l:u, conjecture critique; le mot est omis par TM. A la fin du y effacer
mu? lin 1JU' avec les LXX.
y 6 : commencement du v par conjecture
iS à placer au critique; dans TM. :

'ij De même au f 15.


à lui.

f 15 : Omettre yix avec les LXX; TM. une terre de... :

2. Qiryath Arba\ Dans la tradition massorétique cette « ville d'Arba' » est cons-
tamment désignée comme tirant son nom d'un personnage appelé Arba'. présenté
tantôt comme un géant parmi les 'Anaqîm (Jos.xiv, 15), tantôt comme le père du

clan de 'Anaq {./os. xv, 13 p^yn ia,x), voire même 'Anôq (Jos. xxi. 11 plJîTn
13N). Gen. xxxv, 27
Néh. xi, 25 ^sans doute par affectation d'archaïsme
et cf. —
Skinner — forme y2ixn 'p. Les LXX la nomment au contraire r.6\ii
) offrent la
'Âp5dx, aliàs \o^6B, et en font « la métropole des 'Anaqîm » >j.-f\zp6Ko'ki; ràîv 'Evay.£ttji »

{Jos. XIV, 15), ou [X. 'Evà/. (xv, 13). Leur coquille KaptapSoJiçsp dans Jug. i, 10, doit
résulter d'une confusion de copiste avec Qiryath Sépher, Kap-.ajjtiçap, qui intervient
aux y^ suivants. Le P. de Hummelauer (sur Jug. i, 10) paraît tenir beaucoup à la per-

sonnalité de cet Arbee » ancêtre des "Anaqîm, d'où la ville aurait tiré sa désigna-
«

tion théorie que Calmet sur Gen. xxiii, 2) n'insinuait déjà plus que timidement,
:

comme une opinion plausible (« on croit... ») à défaut de mieux. Le P. Lagrange


(sur Jug. I, 10^ a montré que ce prétendu Arba' doit « absolument disparaître de la
généalogie des 'Anaqîm. Leur ancêtre éponyma était 'Anaq ». II observe que ce
B'est^s la Bible mais « la tradition juive de basse époque qui paraît faire d'Arba'

(1) Traduction du P. Lagrange. Je suis redevable à mon maître non seulement de cette

traduction, mais d'à peu près tout ce que l'interprélation pourrait contenir d'exact.
Voici les commentaires plus spécialement utilisés Calmet, Commentaire littéral sur :

le la Genèse, 1707. De Hummelauer, S. J., Commentarius in Genesim, 1895,


livre de
dans le Cursus Scripturae Sacrae. Dillmann, Die Genesis erklârt, 6' éd., 1892, dans le
Kurzgefas. exeget. Handbuch zuni A. T. Holzinger, Genesis erklart, 1898, dans le
Kurzer Hand-Commentar zum A. T. de Marti. Gunkel, Genesis ilbersctzt und erklart,
1901, dans le Hand-kommentar zum A. T. de Nowack. Driver, The Ronk of Genesis
loith introduction and notes, 1904. Srlnner, A critical and exegetical Commentary on
Genesis, 1910, dans The international crifical Commentary. On s'est servi du texte de
Ball, The Book of Genesis in Hebrew, 1896, dans la Bible polychrome de P. Haupt. Les
signes conventionnels sont connus '...' correction critique;
(...] suppression au T(exte)
:

M(assorétique). Les abréviations des livres bibliques sont familières.


revue biblique 1920. t. xxk. — 33
5i4 REVUE BIBLIQUE.

un homme, et ce n'est qu'en suite des idées sur les géants » qui sont toujours allées

en se développant dans l'esprit des Juifs. Le sens de « ville des quatre », tétrapole,
ou confédéralion de quatre localités, prévaut aujourd'hui (Skinner, Driver, Holzinger),
contre les anciennes hypothèses des quatre patriarches Abraham, Isaac, Jacob, à —
qui s'ajoutait Adam — ensevelis en ce lieu, des quatre quartiers de la ville, et

autres combinaisons encore plus précaires, telle la cité des « quatre dieux » (dans
Ed. Meyer. Die Isrfieliten und ihre Nachbarstàmme, p. 264). Ceci appelait naturelle-
ment la citédes o quatre déesses » nS^ymN que M. Halévy [Rev. sémitique, 1895.
p. 293) découvre dans >2"lNn 'p de Geu.xxw, '27 Ce qui demeure clair, c'est l'iden-
!

tité de Qiryath Arba' soi-disant primordiale avecHébron. D'après Hommel


{AUisrae-
lit. TJeberlieferung, p. 23.3), Hébron —
à prononcer probablement Khnhirân à l'ori-

ojne dériverait des Khabiri qui auraient capturé cette ville nommée alors Rubûté,
dans On peut voir dans Dhorme (RB., 1908. p. 517; 1909,
[es Lettres d'el- A inarna.

p. 483; Weber-Ebeiing, dans leurs Annotations à Knudtzon, ii, p. 1342, que


cf. .

cette Ru-bu-da ou Ru-bu-ti' des documents del-Amarna « doit se trouver dans le


voisinagëlle Qiriath-ie'arîm (Abou-Ghôsi » et répond beaucoup plus correctement à
la localité de nZ'^n, que Jos. xv, 60 mentionne en effet dans la région indiquée.

Clav {The Empire of the Amorites, p. 45 s>.) pense que les Khabiri étaient un clan
hittite et que Qiryâth-Arba' aurait modifié son nom en Uebrôn à l'époque de la
suprématie des Hittites. Pour Eerdemans [Alttest. Studien, ii, 61-65) les IJabiri
représenteraient une sorte de Jacquerie cananéenne en révolte contre les potentats
locaux installés par le roi d'ÉJttptr, Ceci ne serait pas sans analogie avec certains
mouvements soi-diSant nationalistes dans la Palestine contemporaine. On pourrait

supposer tout bonnement une dérivation de la racine "inn, faisant de Hébron « la


confédération ». —
Les LXX, et quelques versions secondaires, ajoutent ici l'indica-
tion locative âv tw /.oùoj^tj.aTi, considérée souvent comme une erreur de copiste pour
p:"n Uî^ — devenu p'C'jn ba — {Skinner, etc.). Dillmann remarquait déji que ce
détail avait sa raison d'être eu vue de maintenir l'exacte relation entre Hébron
proprement dit et Mamré. Dans Gen. xxxvii, 14 on voit en effet apparaître « la
vallée d'Hébron » "ilisn pTDV- Le P. Abel [Mambrê, dans Études palestinùmies et
orientales Conférences de Saint-Êtienne, I, 1910, p. 146 ss.) a soigneusement
:

démêlé le brouillamini des textes relatifs à Mambré, tantôt identifié avec la ville

même d'Hébron, tantôt distingué avec soiu. Le premier groupe de textes dérive
d'une tradition ultérieure préoccupée de faire disparaître la chênaie, afin d'éliminer
jusqu'au soupçon même de quelque culte des arbres. Le second groupe, au con-
aux meilleures sources anciennes et en conserve toute l'ingénuité.
traire, appartient
Il eîst d'admettre qu'un lieu de campement de nomades
d'ailleurs « impossible

hébreux —
[Gen. xiii, 18] —
ait ete la même chose qu'une ville au pays de

Canaan » (Abel, op. L, p. 151). -Mambré représentant dès lors quelque campagne
suburbaine, vraisemblablement la hauteur voisine d'Hébron au Nord-Ouest, comme
on le verra par la suite, on admettrait volontiers avec Hummelaaer) que le trait
conservé par les LXX. « dans la vallée » est authentique. A insister sur ce détail,

« et Abraham vint » Sarah morte au campement de


on expliquerait l'expression : :

la chênaie, sur la hauteur de


3Iambré, on l'aurait apportée en ville pour les céré-
monies du deuil et la préparation des funérailles. Au gré d'Halévy (Rev. sém., 1895,

p. 293) : Abraham \int « naturellement de Bersabée, comme l'ont compris lescom-


mentateurs rabbiniques; s'il s'agissait d'un autre lieu, l'auteur n'aurait pas manqué
de le mentionner ». Peut-être bien, si le ch. xxm formait la suite normale d'une
trame historique rigoureuse; car vers la fin du ch. xxii, après l'épisode du sacri-
LA SEPULTURE DES PATRIARCHES. 515

fice d'Isaac, le patriarche est en effet ramené à Bersabée (y 19\ Et c'est sans doute
en vertu de la même la mort de Sarah est expliquée non
conception de l'histoire que
par sa vieillesse, mais par du saisissement que lui causa l'annonce du sacri-
le fait

fice d'Isaac, opinion sévèrement éliminée par Calmet (sur xxiii, 1) « Les Rabbins :

nous content des rêveries, quand ils disent que Sai'a mourut d'épouvante, un démon
lui ayant déclaré qu'Abraham alloit immoler son fils ». On ne saisit entre ces épi-

sodes aucun véritable enchaînement chronologique et l'expression oni^X Nh''1


marque « seulement qu'^ Abraham] se disposa à taire le deuil » [Calmet; cf. Dillm.,
llam.fSkinne)', Holzinger, Gunkcb. Les rites et cérémonies que comporte le deuil
oriental ont été depuis longtemps vulgarisés par les manuels d'archéologie et les
monographies plus ou moins correctement informées. En les utilisant, il convient
toutefois de se tenir en £;arde contre des généralisations qui ne discernent pas assez
prudemment les époques et les milieux sociaux. Il serait sans doute inexact de
transposer les usages en vigueur dans l'Orient moderne, ou les prescriptions reli-
gieuses du judaïsme de basse époque pour se représenter comment fut mené le
deuil de Sarah.
3. Les fils de Khet. On les nomme aujourd'hui Hétéens, et surtout Hittites. D>?s
non moindres que Stade 'Gesch. Israels, i, p. 1-13, n. 1) et l'école assez
historiens
nombreuse qui le suit ne veulent voir eu cette indication qu'une assez lourde erreur.
Certains apologistes se réfugient soit dans une distinction artificielle entreun « grand
Khéta » — correspondant aux de Haute Syrie et d'Asie Mineure
Hittites historiques
— et un « petit Khéta » qui aurait pu être établi dans le sud palestinien, soit dans —
la suggestion que fournirait une prétendue « poterie peinte, d'origine hittite,
découverte dans les couches archaïques à Gézer et à Lâchis » (Handcock, The latest
Light on Bible Lands (1913), p. 57; non d'ailleurs sans quelque réserve, cf. p. 286).
Cet indice archéologique devra être pris en sérieuse considération le jour où des
trouvailles plus précises et plus considérables autoriseront un diagnostic ferme, qui
serait absolument téméraire jusqu'à ce jour. Les exégètes oscillent entre des solu-
tions disparates, ou Rien de personnel dans Dillmann. Il
glissent sur la difficulté.
suffit à Halévy {Rev. sém., 189-5, p. 293) de renvoyer à Gen. xv, 20 pour établir

que les Hétéens étaient « une peuplade palestinienne »; cf. op. t., p. 8. Hoizino'er
admet que Gen. x, 15 apparentait les Hittites aux Cananéens, mais se persuade que
« tout indice fait défaut » concernant leur établissement dans la Palestine méridio-
nale et il conclut à la « vraisemblance d'un archaïsme artificiel, Guukel est mieux

au fait de la situation politique du pays dans l'ère pré-israélite; il n'ignore pas que
dés éléments hittites s'y mêlaient aux cananéens, mais conclut*^anrtant que le
tableau tpacé dans Gen. xxiii n'est pas suffisamment exact : « Us Hittites ne sont
pas devenus la population normale — die eigentlichen Einwohner —
suze- mais les
rains — das Hen'schervolk' — en Canaan
«.C'est exactement ce qui eût pu se dire
jusqu'à nos jours des Turcs en Palestine. La position de Gunkel a de très bons fon-
dements, nous allons bientôt le constater. De ce point de vue toutefois il faudrait
concéder que les termes du récit demeurent peu satisfaisants. On voitmal un histo-
rien contemporain, décrivant une transaction du même genre à Hébron, qui dirait :

« Ibrahim s'adressa aux Turcs, disant... » la transaction s'opère avec l'habitant,


;

pas avec l'administration temporaire, qui intervient seulement au besoin pour la


sanctionner. Driver, qui a discuté le problème beaucoup plus méthodiquement,
admettrait comme hypothèse la plus plausible que le terme Hittites s'était tardive-
ment généralisé et pouvait s'interchanger avec les expressions non moins values de
Cananéens on A mo rr hé ens pour désigner en bloc les populations antérieures à la con-
516 REVUE BIBLIQUE.

quête israélHê.,.A l'appui de cette généralisation ethnographique, toute spéculative


TRmrîr°traditioa de basse époque, Driver rappelle que la populaUon d^HébroD,
désignée ici comme hittite, est appelée indifféremnimt amorrhéenne {Jos. x, 5) et
cananéenne [.7t<9'. r, 10) par les diverses sources bibliques. Voir, dans un sens ana-
logue ClâY, T/ie Empire of the Amo7nte$, p. 152. Il reste néanmoins à expliquer
comment ces sources pouvaient fluctuer entre des appellations aussi disparates et
pourquoi ces généralisations ethnographiques étaient légitimes.
En étudiant la « situation politique des pays d'Araourrou et de Canaan » au
temps d'el-Amarna, le P. Dhorme {RB., 1909, p. 54 ss.) a défini les empiétements
démesurés des Hittites, « ce peuple essentiellement envahisseur », qui, dès la fin
de la première dynastie babylonienne, par conséquent dans l'ère de nos Patriarches,
menaçait à la fois la sécurité dans la lointaine Babylonie comme au pays d'Amour-
rou. Avec le progrès du temps et les vicissitudes politiques, on n'a donc plus
aucune surprise à constater l'intervention très active des Hittites dans les affaires
non plus seulement d'Amourrou, mais de Canaan troublé par les incessantes dis-
-«erdeS''dë"ses petites principautés rivales. Les lettres d'el-Amarna mettent le fait
en pleine lumière. En maint endroit figurent des princes hittites, acceptés ou
imposés par l'Egypte, à la tête des clans cananéens tel, pour ne pas citer le :

moins célèbre, ce fameux Abdi-hiba —


qu'il faut nommer plus correctement aujour-

d'hui Arta-hipa —
« directement intronisé par le pharaon » à Jérusalem (Dhorme.

op. l, p. 62) et qui se révèle un Hittite de pure race. Naturellement un tel choix
serait peu compréhensible dans la multitude des cas où il se reproduit, si Ton
n'admettait pas « La présence des Hittites dans la population » (Dhorme, op. L,

p. 66; cf. Weber-Ebelixg, Die El-Am. Tafehi, II, 1088 s.) suivant un dosage pro-
portionnel que riea ne permet pour le moment de définir. Mais le caractère entre-
prenant que nous lui connaissons donnait vite à cet élément, même restreint par le

nombre, une certaine prépondérance. Entre ces nouveaux venus et le vieux stock
cananéen local, des affinités de race peut-être, comme la Bible le suggère en
faisant de Khet un frère de Sidon fils de Canaan [Gen. x, 15), en tout cas de culture
et probablement aussi de religion, facilitaient la fusion. Il n'est d'ailleurs pas néces-

saire qu'elle ait jamais été bien complète. Le seul fait dûment constaté désormais,
du mélange de populations hittites à celles que nous avons pris l'habitude de
désigner comme cananéennes en Palestine autorisait plus tard les auteurs bibliques
à parler assez indifféremment de Cananéens et de Hittites, voire d'Amorrhéens,
à propos des peuplades qui avaient précédé les Hébreux dans la contrée. Cest
dans ce sens que le P. Lagrange {Études sur les relig. sémitiques, '2^ éd., p. 49 ss.)
a depuis longtemps résolu l'énigme posée par ces « fils de Khet » au ch, xxm
de la Genèse. En terminant sa démonstration il observait à bon droit que si l'auteur
de ce chapitre a cru devoir user de cette dénomination conventionnelle de pays
hétéen, « on ne peut pas plus lui en faire un reproche qu'à Sargon qui a étendu
ce nom à la côte philisline » {Op. L, p. 50; cf. RB., 1902, p. 481, n. 1 pour le ;

pays de Hatlu dans les Fastes de Sargon, voir Dhorme, RB., 1910, p. 382). Peu
importe, après cela, que nous ne soyons pas en mesure de définir avec certitude
sous quelles influences nos récits de l'époque patriarcale emploient d'aussi diver-
gentes désignations ethniques en les appliquant au même milieu. Abraham par
exemple, qui traite ici avec les Ilétéens, parle aussitôt après des « Cananéens au
milieu desquels [ilj habite » {Gen. xxiv, 4). Un peu plus loin on entend Rébecca
exhaler son dégoût à propos des « filles de Khet... les filles du. pays » (xxvii, 46);

elle s'oppose avec véhémence à ce que .lacob son fils épouse une fille de Khet; sur quoi
LA SEPULTURE DES PATmARCHES. 517

Isaac interdit à Jacob de prendre femme « parmi les filles de Canaan » (x.xviii, 1)

et l'envoie se marier à Paddaii-Aram. Il est évident qu'à l'origine un même auteur


n'eût pas de la sorte emmêlé comme à plaisir des appellations qui avaient l'air de
s'exclure. du moins l'équivalence, n'était possible que dans un
L'assimilation, ou
recul du temps assez considérable pour effacer les distinctions ethnographiques,
laissant uniquement subsister certaines caractéristiques morales. Un texte comme
l'apostrophe célèbre d'Ézéchiel à Jérusalem permet d'entrevoir cette perspective :

« Ainsi dit Adouai lahvé à Jérusalem Par ton extraction et par ta naissance
:

tu es du pays du Cananéen; ton père fut un Amorrhéen et ta mère une Hittite a._
{Éz. XVI. 3\ L'équivalence était dès lors fondée. Ce qui est dit ensuite à l'adresse
de cette mère hétéenne trahit probablement la nuance qui faisait préférer l'appel-
lation de Hittite dans les documents sacerdotaux quand ils avaient à parler des
populations réprouvées devancières des Israélites dans la Terre promise.
3-1 S. La négociation pou?' l'achat du sépulcre. Entre Abraham et les fils —
de Khet, c'est d'abord un assaut do courtoisie dont on sent que ni les uns ni les
autres ne sont dupes aussi la transaction raenace-t-elle de traîner en longueur.
;

Mais le patriarche est pressé de conclure. Il a jeté son dévolu sur un emplacement
de son goût; il y tient et ne se laissera débouter par aucuue finesse, dùt-il l'enlever
à bon prix. La scène se passe dans l'assemblée des notables, à la porte de la ville;

chacun peut intervenir et dans la joute serrée qui met aux prises seulement deux
inléressés, l'un et l'autre paraît ne s'adresser qu'au cercle entier, et fort peu à
son partenaire. Le dialogue est prompt, animé, pittoresque, empreint de quelque
emphase comme il sied entre gens de condition et pour un sujet de cette gravité.
Les commentateurs tant soit peu au fait des usages immémoriaux en Orient, dès
qu'il s'agit de transactions quelconques, n'ont pas eu de peine à mettre en plein
relief tout le détail de celle-ci et nous n'avons pas à reprendre leur tâche. Le

résultat seul importe à notre sujet : à savoir l'acquisition de la sépulture convoitée


et les indications concernant sa localisation et sa nature.

A peine Éphrôu le Hétéen s'est-il enfin risqué à préciser ses exigences : déjà il

est pris au mot. En présence des témoins qu'il a invoqués 400 sicles d'argent
courant lui sont pesés séance tenante; le champ d'^Ephron et la grotte qu'il

renferme sont désormais la propriété d'Abraham.


17 ss. Le contrat et le site de la caverne. — La teneur du y. 17 évoque le proto-
cole d'un contrat de vente (Holzinger). Le vendeur, 'Éphrôn, le champ qui fait
du marché, sa localisation et
l'objet sa puis au f suivant, l'acquéreur,
teneur;
Abraham, et les témoins sanctionnant la valeur de l'acte, à savoir les notables

groupés dans la réunion tenue à la porte de la ville. En formulant sa demande,


au y 9, Abraham paraît bien s'être prudemment efforcé d'en atténuer l'importance :

il désire seulement la caverne dont 'Éphron est possesseur; et comme cette caverne
est sise tout au bout d'un champ, la cession peut se faire sans grand préjudice
pour le champ (observation très fine de Dillmann). Probablement la réalité topo-
graphique était-elle un peu différente. En tout cas le propriétaire s'est refusé à
à morceler son domaine, vendu comme un tout. Au début iMacpélah présentait la

physionomie d'un nom de lieu par lequel on spécifiait à la fois le champ et la

caverne incluse. Les LXX l'ont traduit d'après une étymologie peut-être douteuse :

au y 9. Mais cette interprétation apparemment gratuite les


To ujtTJXaiov To St-Xouv,

entraîne à un non-sens au y 17 c'est le champ qui se trouve alors dans la caverne


:

double! Ka\ 'éoxrj ô àypb? 'Eçpwv, ô; ?,v e'v tw ôtJiXw areriXafo)... « exemple de servile
esprit de suite, aux dépens du sens » (Bjilb. La tradition ne s'eu est pas moins
518 REVUE BIBLIQUE.

emparée de cette « caveroe double » soi-disant exprimée par Macpélah : interpré-

tation possible après tout, mais dont le contrôle est encore à faire. En réunissant
tous les passages où nSs^a intervient 'cf. xxv, 9-, xlix, 30-, l, 13), il est clair

que la désignation complète et normale était du champ de Macpélah ». : « la grotte


On voit cependant comment se justifie l'appellation devenue courante la grotte, :

ou la caverne de Macpélah. Ce lieu dit Macpélah, ou Le macpélah dans un sens


précis qui nous échappe encore, est maintenant défiui par une nouvelle détermi-
nation topographique « en face de Mararé », n"!î2D "'JsS, reprise avec une nuance
:

de termes et un complément qui veut sans doute être plus explicite au y 19 'i3D~Sy :

"(•n^n N\~ XI^D « en face de Mamré (qui) est Hébron ». Malgré cette nuance,
conservée par le /.arx -pdcrcjTrov... et l'àTiÉvavTi... des LXX, :les expressions de TM.
ne veulent certainement rien dire de plus que « en face de... » (Halévy, Rev. sém.,
1895, p. 294 « devant... »}. au sens journellement attribué à ce terme dans beau-
:

coup de langues modernes, sans aucune iuteotion d'orientement mais pour marquer
l'opposition de deux points bien en vue l'un de l'autre. Il est néanmoins incontes-
table que ces mots entendus suivant le principe de l'orientation antique signifieraient
« de Mamré
à l'orient comme le veulent la plupart des commentateurs (Humme-
fi

lauer, Dillmann, Gxmkel; avec plus d'hésitation Driver et Skinner). Par contre
il n'est guère douteux que l'identification Mamré Hébron du y. 19 ne soit une =
pure glose de notre document. Il n'y a aucune possibilité de traduire avec Halévy :

« Mamré qui fnit partie de la banlieue d'Hébron » (ReL\ sém., 1895, p. 294) :

simple paraphrase exégétique inspirée par le désir de supprimer la contradiction


entrevue avec le y. 2. Cette glose une fois éliminée, sur l'autorité du texte sacré
lui-même en d'autres passages, on reste en possession de deux quantités topogra-
phiques Mamré et .^lacpélah, celle-ci en face ou à l'orient de celle-là. Leur loca-
:

lisation respective sera examinée plus loin.

Il reste à noter que le champ acquis par Abraham ne contient pas seulement
une caverne apte à devenir un tombeau, mais aussi des arbres en nombre indé-
terminé sur une surface délimitée strictement par une enceinte. La physionomie
du Macpélah s'évoque donc à nos yeux avec toute la netteté désirable.
lieu-dit

On au flanc d'un coteau, puisque l'entrée d'une caverne y


doit se le représenter
est apparente; mais le coteau n'est pas un précipice, ni un escarpement rocheux

dénudé, car on y mentionne un champ et des arbres dans ce champ. Nous avons
déjà signalé que sur les pentes de la montagne où s'adosse le Haram el-Khalîl
plus d'un enclos trait podr trait le vieil enclos de l'flétéen
moderne reproduit
'Éphrôn. Tout suggère que caveroe de cet enclos n'avait jamais auparavant servi
la

de sépulture; encore moins aurait-elle été affectée à quelque usage religieux. Sans
doute les Hébronites offrent courtoisement au patriarche de choisir parmi leurs
propres tombeaux celui qu'il trouverait à sa convenance pour y ensevelir « sa morte »
(y 6 . Abraham entend bien s'assurer l'entière propriété
toutefois du sépulcre
familial devenu nécessaire (v. 9;. Sous la formule de
qui lui est politesse qui
semble faciliter son choix, il n'a pas de peine à discerner qu'un site consacré par
quelque vénération locale et tout autant par une sépulture privée, demeurerait
manifestement exclu; à tout le moins les droits indigènes antérieurs seraient-ils
Les termes mêmes dans lesquels l'accord est
réservés et limiteraient les siens.
conclu n'autorisent supposer aucune limitation de ce genre. Nous aurons d'ailleurs
à
bientôt à revenir sur ce détail, en essavant de préciser la nature de la caverne.
Abraham en prend possession par l'ensevelissement de Sarah. L'hypogée patriarcal
est désormais inauguré « dans la grotte du champ de Macpélah ».
LA SÉPULTURE DES PATRL^RCHES. 319

Ce récit plume sacerdotale (P). Tout le monde y


appartient à une
a reconnu la manière de ce document qui affectionne les précisions
chronologiques, les minutieux détails narratifs, une certaine redon-
dance du style et surtout l'acribie juridique. Dans les termes on
remarquera spécialement les nn ':2 et nSsD'Z. expressions caracté-
ristiques à retrouver plus ou moins explicitement dans d'autres
passages tout aussi empreints de la marque littéraire de P xxv, :

9 s. XLix, 29 ss. l, 13 les mots .-ithn {f 4, 9, 20), lur^n (», n^u: (6),
: : ;

Dip « devenir la propriété » (17, 20; cf. Lev., xxvii, 19\ -;p«2 (18)
yj^z yiN (2, 19 et v^^n nnp (2) (cf. Dilhnanii et à peu près toute la
liste des commentateurs cités plus haut, liste qui s'allongerait aisé-

ment, mais sans fruit). Parmi les critiques, Eerdmans (1) a pourtant
fait entendre une voix discordante, cherchant à prouver, sans apporter

d'arguments plus impressionnants que de vagues analogies ou


d'hypothétiques réserves que les caractéristiques littéraires alléguées
n'étaient pas concluantes en faveur du Code sacerdotal dans ce cha-
pitre. Par où il prétend d'ailleurs non pas établir quelque unité
rédactionnelle dans la Genèse, mais à l'inverse en fractionner beau-
coup plus les sources suivant le degré de polythéisme c{u'il estime
pouvoir y découvrir. En vertu de ses principes, le chapitre xxin doit
être classé parmi les plus anciens morceaux du livre et dater de
l'époque antérieure à l'Exil, autour de l'an 700 av. J.-C, sinon un
peu plus haut (^2).
On ne saurait retenir de ce radicalisme qu'une constatation malgré :

la frappe indéniable du Code sacerdotal, habituellement sèche et


formaliste, cette narration demeure très pittoresque et ne manque
pas de singularités ^S « de grâce »
: l'argent qui a cours » (3)
;
<.<
;

n"'23'2 nom de terroir qui ne s'inventerait pas spontanément. Gunkel


et Skinner observent en outre, et à juste titre, que le récit a une

(1) Alttestam. Studien; I, Die Koynposidon der Geuesis, p. 21 s.; voir à ce


sujet les
remarques de RB., 1908, p. 456 s.
(2) Eerdmans, Op. L, p. 88 « Dûrfen wir... etwa das Jahr 700 v. Chr. stellen, wenn
:

nicht noch ein froheres Dalum. » L'école de Wellhausen qui rajeunissait à outrance le
Code sacerdotal devra s'inquiéter de l'argumentation d'Eerdmans.
(3) Dans le caractère que nous avons reconnu à ce récit, on insisterait volontiers
sur
celte expression, en la considérant non point comme l'indication d'une monnaie excel-
lente, sanctionnée par le cours, mais d'une monnaie courante dans les transactions jour-
nalières, par opposition à la monnaie exigée pour les paiements officiels, surtout de nature
religieuse. En pratique le Palestinien de nos jours discerne avec soin dans la discussion

d'un prix l'argent officiel ( ç-^] et la monnaie usuelle, ou « du bazar » (^j*J' iXsS).

C'est l'argent du bazar qui répondrait le mieux k l'expression biblique; et comme il

représente une valeur sensiblement inférieure à celle de l'étalon officiel, sagh — environ
14 moindre, — on voit la nuance qui en résulterait.
320 REVUE BIBLIQUE.

allure toute profane; le nom divin n'intervient pas une seule fois et
ceci ne laisse pas que de surprendre dans un document tout préoc-
cupé d'ordinaire d'introduire l'activité divine dans les atiaires
humaines (1). Il y a donc lieu de croire que P suivait ici un document
ancien et bien informé, ou qu il enregistrait une tradition locale
excellente. Et le problème ne se présente pas comme une conséquence
de quelque théorie critique dont il serait loisible de se désintéresser.
Dans l'hypothèse la plus conservatrice touchant lorigine du livre
inspiré, subsiste nécessairement un intervalle de plusieurs siècles
entre l'époque de Moïse et l'ère patriarcale. Il faut donc envisager
une modalité satisfaisante de la tradition historique. Dès lors qu'il
s'agit de siècles, c'est le principe même de la transmission qui
importe et non le chiffre exact qui limitera cette durée séculaire.
L'enquête actuelle se borne naturellement au eh. <s^xiii, dont la
lecture produit l'impression si vive de faits vécus et authentiques,
narrés sous une forme populaire. On dénaturerait tout à fait cette
histoire par une assimilation gratuite aux errements de la légende
et aux fantaisies du roman à couleur historique. Le roman excelle
sans doute à détailler les plus minutieuses précisions sur le temps,
les lieux, les personnes combinés par son caprice dans une action
toute fictive; mais le roman
entendu est un genre littéraire que
ainsi
l'antiquité orientale — quoi
en soit de celle des autres contréeg^
qu'il
— n'a jamais pratiqué. La légende elle-même est, par nature, assez
facilement inventrice; ses créations demeurent néanmoins stéréo-
typées. Elle brode sur un canevas qui s'y prêtait par des aspects
héroïques ou pittoresques elle suppose toutefois ce canevas, surtout
:

les noms propres (2), les déterminations locales et certaines modalités


caractéristiques époque et dun milieu. Ses amplifications
d'une
donnent rarement le change au lecteur attentif. Reste la tradition,
dont les divers aspects ne doivent pas être confondus d'emblée avec
la légende pure et simple. Mais la tradition, fatalement exposée aux
déformations inconscientes ou intéressées de la voix populaire, a-t-elle
une capacité quelconque à transmettre de l'histoire? Les spécialistes
qui en ont le mieux étudié les procédés et la valeur lui sont en
général fort sévères.
Une des plus marquantes autorités contemporaines. M. J. Bédier a
résumé l'évidence imposée par les faits dans quelques phrases qui

;i) GiNKEL, Genesis, p. 251; Skinneb, Genesis, p. 335.

(2) Même pour un critique aussi radical qu'Eerdraans, « la légende n'invente pas les

personnages eux-mêmes « Die Personen selbsi erfindet die Sage nicht! [Altteslam.
:

Shidien; II, Die Vorgeschichte Israels, p. 49j.


LA SÉPULTURE DES PATRL\RCHES. 52t

sonnent comme un arrêt de mort contre la valeur de la tradition


populaire (1). Il la déclare en général incapable de conserver des
« plus grands événements de l'histoire » autre chose « qu'un informe
résidu ». Un seul cas est excepté par M. Bédier, et cette constatation
toute positive nous intéresse au premier chef : « le cas des légendes
locales, quand le souvenir de homme, de tel fait, s'attache
tel à un
champ de bataille, à un monument, à une tombe, à un culte >>
(2).

Ily a longtemps que le P. Lagrange établissait la même nécessaire


distinction et, tout en indiquant avec soin les faiblesses de la tradition
orale, faisait toucher du doigt sa prodigieuse « ténacité... sur deux
points noms, s'il s'agit des noms de lieu, et les usages » (3). La
: les
confirmation que ses observations reçoivent aujourd'hui des inves-
tigations les plus méthodiques dans un domaine très largement géné-
ralisé a d'autant plus de poids que l'enquête magistrale de M. Bédier
demeurait absolument indépendante et fort éloignée de toute préoc-
cupation biblique.
Or que nous présente le ch. xxiii de la Genèse? Des personnages
nettement déterminés; au premier plan le patriarche par excellence,
Abraham, dans une circonstance impressionnante de sa vie, au
moment où son deuil inopiné le met dans la nécessité de s'assurer
une sépulture familiale, dans ce pays où il séjournait jusqu'alors en
étranger (i). Le tombeau qu'il achète pour y ensevelir Sarah est
dans un champ dont on sait le nom à la fois très précis et parfaite-
ment banal en lui-même. Autant dire en un mot que la narration
contient précisément tous les détails, mais les détails exclusifs, que la

;i) .' Depuis un siècle que s'amoncellent les recueils de traditions populaires récoltées

en tous pays, s'il est un fait d'observation bien vérifié, c'est celui-là. Qu'il s'agisse des
" traditions orales » des paysans de France ou de celles des sauvages d'Australie, que
trouve-t-on dans ces recueils? Des contes merveilleux, des contes à rire, des contes d'ani-

maux, des fables ethnogéniques ou cosmogoniques, etc. ; mais des traditions historiques,
non pas » (J. Bédier. Les légendes épiques, t. IV, 267 s., cité d'après Lagrange, RB.,

1919, p. 275).
BÉDIER, /. /., cité d'ap. Lagrange, RB., 1919, p. 275.
(2)
Lagrange, La méthode historique, T éd., p. 188 ss. Voir aussi Conférences de
(3)
Saint-Étienne, II, 1911, p. 19-49 .4 la recherche des sites bibliqiœs,-où il traite plus
:

spécialement des traditions topographiques. En maint passage de ses Archaeological


Researches, M. Clermont-Ganneau a fait brillamment la démonstration que les toponymes
palestiniens et les légendes qui s'y rattachent dissimulent souvent des personnages et des
réalités parfaitement historiques; v. g. II, 23 ss. près de Jéricho ;cf. RB., 1919, p. 548 s.);
II, 217 dans la contrée de Sarnson ; II, 236 et 251 ss. à Gézer (cf. QS. 1908, p. 105 ss.), etc.

(4) D'après Halévy (Rev. sémitique, 1895, p. 144) la nuance serait assez sensible entre
les expressions la et 2W^7) dont se sert Abraham au f. 4. "13 est l'étranger qui séjourne <

temporairement dans un pays; 2^171 est celui qui s'établit dans un seul endroit sans
jouir complètement des droits de citoyen. » Ces termes n'ont par conséquent point
l'obscure ambiguïté que leur attribue Skinner (Genesis^ p. 336 s.).
522 REVUE BIBLIQUE.

tradition proprement dite excelle à conserver. Au temps où l'auteur


sacré les enregistrait, elle gardait une
pour vivacité assez tenace
imprimer une animation et des nuances littéraires qui ne
à son récit
sont pas habituelles au Code sacerdotal. La véracité historique de cette
narration nous est donc garantie.
Et pour qu'on ne s'étonne point de trouver ce récit dans la trame
du Code sacerdotal, il suffît d'observer quelle en était la portée.
C'était comme une première réalisation de la promesse divine laite
au Patriarche {Gen., xii, 1 ss. xiii, li ss. xv; xvii, etc.). Jusqu'alors
; ;

Abraham avait vécu comme un hôte, étranger au milieu des popu-


lations de Canaan. Par l'acquisition d'un tombeau devenant sa pro-
priété légale, il commençait à prendre en quelque sorte possession
du pays. Cette faculté de sépulture était un point juridique supérieur
même au droit de commerce et de mariage dont on s'est préoccupé
au ch. XXXIV et P devait l'avoir spécialem^ent à cœur. L'importance
qu'il y attachait ressort bien de l'insistance qu'il met à définir les
titres de propriété que s'est acquis Abraham pas d'hospitalité reçue :

dans un sépulcre étranger (^'. 5 ss.), pas de simple cadeau fait par
les Hétéens du lieu (13) le patriarche voulait une tombe qui fût à
;

lui (4-9); il l'acquiert pour un bon prix et c'est bien sa propriété


absolue les dernières phrases du récit le redisent à satiété. Gunkel
:

s'étonne qu'on ait pu envisager sérieusement cette prise de possession


de tout un pays par l'acquisition d'un lopin de terre et l'installation
d'une sépulture. Il se réfugie dans la légende mythologique. La
caverne de Macpélah aurait été à l'origine le sanctuaire de quelque
divinité locale, remplacée plus tard par les divinités patriarcales.
Dans l'ère tardive où P aurait écrit, il ne pouvait naturellement plus
être question de revendications cananéennes, toutes ces peuplades
ayant depuis longtemps cessé d'exister. Le débat se confinait entre
les Juifs et la nouvelle population qui osait prétendre à la possession
de Macpélah. c'est-à-dire, en ce temps-là les Iduméens qui occupaient
tout le Sud de la Palestine et n'avaient pas manqué d'installer à leur
tour quelque héros de leur cru dans le vieux sanctuaire. A quoi les
Juifs auraient opposé l'acquisition légale de la caverne par leurs
ancêtres d'où le récit tendancieux et zélé du Code sacerdotal (1).
:

Singulière façon d'établir une prescription d'Israël contre des Idu-


méens, puisque c'est non point Jacob, mais Abraham, l'ancêtre
commun, qui aurait fondé ce droit! Et combien cette laborieuse

(1) Glnrel, Genesis, p. 250 s. Il est suivi par Skinner [op. l., p. 339) dans son hypo-
thèse d'une contestation judéo-édomite sur la possession du sanctuaire patriarcal.
LA SEPULTURE DES PATRIARCHES. 523

exégèse e^t artificielle, moins satisfaisaate pour aataat que l'inter-

prétation la plus spontanée de ce récit parfaitement ingénu! Gunkel


invoque en faveur de sa théorie les contestations que soulève aujour-
d'hui, entre confessions diverses, la possession des sanctuaires de
Terre Sainte. Mais ainsi que me le fait justement observer le P. La-
grange, cette analogie se retourne contre la théorie. Le Saint-Sépulcre
n'est pas seulement l'objet d'une querelle de moines; il a été disputé
entre l'Orient et l'Occident, la Chrétienté et l'Islam. Cet exemple
même prouverait donc que la présence d'un tombeau peut être
regardée comme conférant des droits sur un pays entier, surtout aussi
petit que la Judée (1). C'est le cas de rappeler l'axiome énergique
de Wellhausen puisque le ch. xxiii de la Genèse peut sans effort
:

s'interpréter loyalement comme l'acquisition réelle, par Abraham,

(1) Le fameux tombeau de Housain à Kerbélâ n'est-il pas redeveou de nos jours le
fondement des plus âpres revendications panarabùtes sur la Basse Mésopotamie? Or cette
valeur politique d'uae sépulture comme celle de l'illustre 'Alide nous intéresse précisé-
ment parce qu'il s'agit, à Kerbéla comme à Hébron, d'uae tombe ancestrale, et que dans
la légende musulmane le rôle joué par Housain est fort comparable par son importance
à celui d'Abraham dans l'histoire d Israël. Il passe depuis longtemps pour acquis, dans
certains milieux que Housain est un simple mythe auquel on sait trouver de célèbres
analogies dans tous les domaines de l'Antiquité. Un savant de marque vient même de
cUercher à déduire du propre nom de Kerbélà, ramené à l'assyrien kâr-Bcl ~ >' Enceinte
du (dieu) Bel de quelque lieu de culte funéraire ou autre vénéré « dès l'an-
», qu'il s'agit

tiquité babylonienne » (M. Strecr, Kerbelû, dans Festschrift Ed. Sachau... 1915, p. 393 ss.;
surtout p. 394 s. et 399 Il se peut; mais cette vénération que nous n'avons pas à con-
.

trôler pour le moment ne prouverait rien contre l'historicité de Housain et l'installation


positive de sa sépulture en ce lieu. Eerdmans [AUlestam. Studien, II, 1908, p. 7 faisait

valoir à juste titre que l'assimilation sommaire avec les mythes d'Osiris-.\donis, etc.,
demeure gratuite. Ceux-ci en elïet nous sont présentés dans la légende elle-même comme
des divinités, tandis que la légende de Housain ne contient pas un trait qui autorise à
voir en lui autre chose qu'un homme, d'ailleurs spécialement remarquable par des qua-
lités que cette légende met très en relief. Et ce qui vaut pour Housain vaut de même
sorte pour un grand nombre des ouélys répandus à travers tout le monde musulman et

qui constituent un élément si prépondérant dans la religion populaire. Le P. Jaussen


[Coutumes des Arabes au pays de Moab) a bien établi que, parmi les nomades et les
sédentaires de cette contrée, « quelques wélys possèdent une g»ranlie historique » assez
précise 'p. 295), et qu'on entend bien les considérer tous comme de très positives réalités.
Telle légende juive sur la tête d'Ésaii et surtout la présence à Hébron d'un curieux monu-
ment du culte de Housain nous ramèneront plus tard sur ce cycle qu'on cherche vainement
à exploiter contre Ihistoricité de l'hypogée patriarcal. .V condition de lire avec la prudence
que de on trouvera dans l'ouvrage de C. Grïijjeisev, Der AhnenkuUus und die
droit,
Irréligion Israels, 1900, p. 229-275 une discussion assez serrée de la théorie de héro'isa-
tion éponyme appliquée aux Patriarches par Stade et son école. Voir au sujet de ce livre
L.4GRANGE, Études sur les religions sémitiques, 2" éd., p. 315, n. 1. Dans un livre
d'ailleurs remarquable M. A. Lods(Z,a Croyance à la vie future et le culte des morts dans
l'antiquité israélile, 1906, II, p. 99 ss.) élève contre la théorie de Griineisen des objec-
tions qui ne portent pas toujours. Il complique en outre son propre système par l'hypo-
thèse d'un matriarcat dont la preuve reste à faire pour « l'antiquité Israélite ». Cf.

Laurange, RB.., 1907, p. 422-433.


524 REVUE BIBLIQUE.

d'une caverne dénuée jusqu'alors de toute affectation religieuse


perceptible et l'installation d'unhypogée familial dans cette caverne
par l'ensevelissement de Sarah, ce serait folie que de s'acharner à en
tirer des interprétations controuvées. 11 faut une véritable divination
pour apercevoir sous les termes si simples, si naturels de ce récit des
indices que la caverne aurait été un lieu sacré pour les Hétéens de la
région que cet Abraham si humain, si peu apprêté qui pleure Sarah,
;

qui rivalise de courtoise diplomatie avec les notables d'Hébron réunis


à la porte de leur ville, qui aligne la somme exigée par 'Éphrôn,
qui ensevelit « sa morte », comme une antique
devrait être considéré
diviniU sur ou quelque vague personnification héroisée (1).
le déclin
D'aucuns ont même estimé, tout à l'inverse, que cette fondation
historique de l'hypogée patriarcal trouverait une certaine confirma-
tion dans une découverte épigraphique d'abord assez sensationnelle.
Ce champ deiMacpélah, après avoir cessé d'être « le champ d"Éphrôn

le hittite » aurait très bien pu devenir « le champ d'Abraham »


quand du patriarche et de sa lignée l'eût consacré dans
la sépulture
la vénération des temps ultérieurs. Et de même que la tradition s'est
emparée de la chênaie ou du térébinthe de Mamré pour déterminer
un site variable au voisinage d'Hébron, il n"y aurait pas d'invraisem-

(1) La fragilité de ces déductions mythologiques les plus érudites ressort de la diversité
même des créations fantaisistes qu'elles ont engendrées. Pour von Gall je»suppose,
Macpélah — qui signifierait bien « caverne double » {Altisrael. KuUsiatten, p. 56, n. 4,
dans Beihefte zur Zeitschrift fiir die altlestam. Wissenschaft, III, 1898) — était « une
caverne sacrée dont 5am était le Numen » mais Sara n'avait : « primitivement rien à
faire avec Abraham « et le jeu de la légende biblique se réduirait à cette association {op.

L, p. 57 s.). davantage à Meyer que Sarai ait été la localité ou le fétiche incorpo-
Il plait
rant la déilé de Dousara-Dionysos, dieu de la Nature, auquel on donnait à Hébron le
vocable spécifique d'Abrâm {Die Israeliten nnd i/ire Nachbarstâmme, p. 270. Voir sur
ce livre dont la fortune a été considérable les observations de RB., 1907, p. 627 ss.)-
M. Cbeyne trouve fort étrange qu'un savant tel que Meyer puisse aboutir à de telles
invraisemblances {Traditions mid Belief's..., p. 288); mais s'il perçoit bien qu'on a fait
fausse route dans toutes les tentatives de diviniser Abraham et Sarah {op. L, p. 285), c'est
pour arriver à se persuader qu'Abraham-Sarah représentent leral.iméel-Assour, c'est-à-
dire l'Arabie du Nord « berceau primitif des anciens héros » (p. 288). Par où l'on voit
revivre une théorie déjà vieille, qui fut surtout patronnée par Hommel, mais que le temps
ne consolide guère (cf. Lagrange, RB., 1902, p. 256 ss.). Avec Slucken-Winckler le couple
Abraham-Sarah de*'ient Tammouz-Iétar, Adonis- Vénus, etc. et la légende patriarcale une
dérivation du très vieux culte lunaire (Wincrler, Geschickte Isr., II, p. 22 ss.). Hébron
et sa caverne sont d'ailleurs éliminés de toute cette affaire et considérés comme des

insertions tardives. A l'inverse, Volter se convaincra que la « caverne double Makpélah » =


d'Hébron est bien un sanctuaire authentique de Chnoum-Ra, ou Amon-Ra Noun, ou =
l'Océan primitif, c'est-à-dire Abraham, tandis que Sarah représente sa parédre Nounet, le
principe féminin primordial; et le mythe lui parait ainsi limpidement égyptien {Aegypten
und die Bibel, p. 3 ss., 8 ss. 19 s.). Et je ne suis pas*du tout assuré d'avoir rappelé,
parmi celte débauche de doctes systèmes, ce qui a été produit de plus excentrique pour
remplacer une histoire populaire si louchante dans sa simplicité.
LA SÉPULTURE DES PATRIAKCHES. 5-2o

blance à ce quelle ait désigné comme u le champ d'A})raham » rem-


placement de l'hypogée. M. J. H. Breasted annonçait naguère qu'il
venait de lire ce nom dans la grande liste que Sesac I*" avait fait

graver sur les parois du temple de Karnak pour éterniser la mémoire


de ses conquêtes asiatiques. En réunissant les deux cartouches numé-
rotés 71 et 72il obtenait le sens P'-/iw-q-riv\\ '-b'-r'-m= q-isk» SpnE-
:

L'articleégyptien j/ n'étonne pas, et le mot araméen '^p- pourrait


appartenir à la langue de Canaan (1). Le P. Lagrange me fait observer
que cette sensationnelle trouvaille appelle de strictes réserves.
L'em-
ploi de ce terme araméen, le fait surtout que dans ce cas unique à
travers toute la liste on aurait consacré deux cartouches à l'expression
d'un seul nom géographique, chaque cartouche étant d'ailleurs
muni du signe des pays étrangers, rendent fort suspecte l'interpréta-
tion proposée (2). Elle nous demeure superflue pour traiter désormais
l'hypogée des Patriarches à Hébron comme un monument historique.

III. — LE SITE DE l'hypogée ET SA PHYSIONOMIE ORIGIXELLE.

Deux éléments topographiques interWennent dans la localisation


de la caverne de Macpélah Qiryath-Arba' : Hébron et Mamré- =
Mambré qui semble égaler aussi Hébron [j{. 19). On a vu toutefois
qu'en dépit de cette identification accidentellement introduite par une
glose inopportune, ces deux points ne pouvaient être confondus en
un même lieu. Le problème de Mamré a été discuté jadis par le
P. Abel (3) avec une méthode et une précision qui dispensent de
recommencer la même tâche. Cette diligente monographie a claire-
ment établi l'autonomie de Mambré, au témoignage explicite de la
Bible elle a rendu non moins décisive l'identité du vocable biblique
;

KIDD et du nom moderne Nimrâ, j:^, qui désigne un coteau, quel-

(1) J. H. BRE.4STED, The earliesl occurrence of the naine of Abram dans American
Journal of semitic LaJiguages, XXI, 1904, p. 22 ss., cit. d'après Ed. Meyer, Die Israe-
liten..., p. 266, n. 4, et la note correspondante, p. xt. Les égyptologues Erman, Schafer

et Spiegelberg paraissent avoir admis une lecture plus ou moins analogue. M. Maspero a

proposé au contraire pour le second élément Abéliin, ''^2N, ce qui ruine l'équation.
(2) Elle était cependant exploitée encore comme une donnée ferme par Ed. Meyer
{Die Israeliten..., p. 266) en 1906, par Chejne [Ti-aditions..., p. 287, toutefois avec la
nuance que ^"pT^ signifierait « contrée « pour aboutir à rt< Arabie-Arammite et à lérah-
méel) en 1907, par Eerdmans [Altleslam. Studien, I, 21 et 88) en 1908. Mais l'égyptologie
scientifique parait bien l'avoir écartée. Sans se rallier à la lecture Abelim de Maspero et
tout en conservant 'A-bi-ra-ma, W. M. que l'interprétation par
Millier déclarait naguère
« champ d'(n° 71) Abraham pratiquement par trop invraisemblable « sachlich
(a" 72) est «

zu unwahrscheinlich » [Mitteilungen der vorderas. Gesellschafl, XII, i, 1907, p. II, n. 1}.


(3) Mambré, dans Conférences de Saint-Étienne, J, 1910, p. 145-218.!
526
'
KEVUE BIBLIQUE.

ques ruines et une source à un kilomètre environ au Nord de la ville


contemporaine (1). Il serait oiseux de faire ressortir la perfection d'une
équivalence phonétique régie par des lois constantes, et en se repor-
tant au croquis topographique du P. Abel ou simplement à la carte
générale du Surveij, on saisira la position de Nhnrà. Les vestiges
archéologiques, d'ailleurs clairsemés, qui émergent du sol en cet en-
droit et justifient son appellalion courante, khirbet en-Nimrà, n'ont
pas beaucoup de caractère. Je ne me risquerai pas à pronostiquer si
des fouilles seraient ici plus rémunératrices que l'exploration de sur-
face. Un détail cependant est a^sez de nature à suggérer une instal-
lation archaïque de moyenne importance. L'axe du coteau s'allonge
du Nord au Sud entre deux petits vallons qui dégagent entièrement
son flanc occidental et suffisamment bien sa pointe orientale. Un
léger plissement naturel ne le détachait pas nettement de la longue
rampe du djebel Besdtin relevée avec régularité jusque vers la cime
culminante d'er-Râmeh, à proximité du célèbre téménos de Rdmet el-
Khalil. Il semble qu'on ait eu l'intention d'y suppléer en isolant le
faible promontoire par une coupure artificielle qui produit l'impres-
sion d'un fossé protecteur. Ainsi défini, ce petit sommet prend l'aspect
familier qu'offre assez invariablement l'assiette d'une antique bour-
gade palestinienne. Le nom seul au surplus importe pour le moment.
Les habitations récemment égrenées le long de la route carrossable
d'Hébron à Jérusalem commencent à envahir le coteau. Quelques cul-
turcs, une bonne source, 'aïn en-Nimrà, des vignobles et de jolis
vergers mettent leur note fraîche sur la colline. Il suffit pourtant
d'atteindre la ligne de crête pour sentir le désert tout proche : l'aus-

tère désert judéen, avec son entassement de collines fauves et son


chaos de ravins, développé jusqu'au gouffre de la mer Morte.
La pointe méridionale à'en-Nimrâ se perd au confluent des vallons
qui constituent Vouddy el-Khalil. De l'autre côté de la vallée, vers le
Sud-Ouest et le Sud, s'arrondissent les hautes croupes de daher abou
er-Roummdn et à'er-Roumeideh. A travers les splendides oliviers qui
couvrent la colline de Roumeideh, les ruines surgissent à chaque
pas et le moindre lambeau de structure est paré de quelque légende
glorieuse où des souvenirs juifs s'amalgament au folklore musulman.
La silhouette délabrée, mais imposante encore de Deir el-Arba'în se
dresse au sommet du monticule amas complexe de constructions
:

vingt fois remaniées et toujours ruineuses, autour d'une mosquée


passablement exiguë abritant les cénotaphes illustres de Ruth et de

;i) Abel, op. l., p. 211 ss.


LA SÉPULTURE DES PATRIARCHES. fi27

Jessé (1). Malgré tout ce qu'il a d'artificiel et de puéril, ce cycle de


vénératioDS légendaires vaudra d'être soigneusement colligé quelque
jour, surtout si l'examen des ruines superficielles pouvait jamais être
approlondi au moyen de quelques sondages.
Il n'y aurait aucune

surprise à ce que l'enquête archéologique apporte son attestation


positive à la croyance populaire qui prétend situer en cet endroit la
ville primitive d'Hébron. Ce ne serait pas la première fois que l'on
constaterait en Palestine l'incroyable ténacité des légendes topony-
miques de n'en pas dédaigner les indices, tout en ne se
et l'utilité

laissant pas duper imprudemment par la frondaison touffue de leurs


nom même d'el-Arba'hi, expliqué aujourd'hui par
accessoires (2). Le
un conte minable qui paraît l'assimiler à maint autre lieu dit « des
Quarante » sans aucune justification saisissable, prend ici une singu-
lière valeur, par l'évocation du très vieil Arba, !;nx, biblique (3).
Nul ne s'étonnera de la multiplication qui l'a nuancé au cours de sa
transmission millénaire et peut-être Qiryath Arba' n'était-il ni moins
courant ni moins obscur étymologiquement pour les contemporains
d'Abraham que l'est aujourd'hui Deir el-Arba 'in dans le langage
indigène.
Il importe seulement d'enregistrer que l'olivette dCer-Roumeide/i et
le vieux sanctuaire d'el-Arba'in qui en couronne le sommet occupent
un site aussi approprié que possible au développement d'une ville
telle qu'on doit se représenter la primitive Hébron, dans l'ère cana-

néenne. Sur ce monticule spacieux, bien exposé, abondamment pourvu


d'eau par le voisinage de sources excellentes, assez facile à protéger
contre les coups de main d'un agresseur réduit à n'user que d'engins
simplistes, une importante agglomération était à l'aise pour prospérer
en sécurité (4). Rien ne suggère qu'Hébron ait jamais été une ville

(1) Voir GuÉRiN, Judée, III, 240 ss. Survey of W. Pal., Memoirs, III, 327 s.; Mauss et
;

Sauvaire dans le Voy. d'explor. du duc de Luynes, II, 92; Hanauer, QS., 1901, p. 100.
(2) M. Clermont-Ganneau, dans La Palestine inconnue, a depuis longtemps fait ressortir
l'utilité de ces recherches. Il en a précisé la méthode par des exemples brillants. Ainsi,

pour n'en rappeler qu'un, mais notable : la légende de Djézaïr à Abou Chouche/i, qui
lui a fait retrouver Gézer.
Le conte moderne, relatif à quarante martyrs qui seraient en même temps des
(3)
(( compagnons du Prophète » demeure très flou et ne semble pas avoir de racines bien
profondes. Moudjir ed-Din y faisait déjà une brève allusion, mais uniquement pour noter
qu'il n'avait « trouvé aucune tradition à ce sujet» (voir Sauvaire, Hist... d'Hébron, 225).
L'idée d'une survivance du vieux nom Qiryath- Arba' était admise déjà par von Gall
[Altisr. Kullstotten, p. 51).

(4) Quand on étudiera la topographie détaillée de l'Hébron primitive, il y aura lieu de


ne pas négliger les caractères archéologiques intéressants de la vieille fontaine dite toujours-
'ain el-Djedideh.
528 REVUE BIBLIQUE.

spécialement forte, et sa position n'eût été, après tout, dans rempla-


cement suggéré, guère inférieure à l'acropole, en ce temps-là impre-
nable, du clan jébuséen à Jérusalem.
On estimera donc légitime et rationnelle la localisation de « Qiryath-
Arba' Hébron) » sur le mamelon de Roumeideh-el-Arba'in. S'il
(c'est

fallait chercher quelque analogie à cette situation de ville, comme au

groupement des deux quantités topographiques Hébron et iMambré


tel qu'on vient de l'établir, tout le monde aurait aussitôt en mémoire

la situation de Sichem primitive, sur le tertre voisin de Baldta, au


pied du Garizim (1). Un peu à l'écart de la grande plaine à'el-Mahneh,

la cité s'abritaitdans la passe isolant les deux massifs du Tôr et de


XEslamiyeh, mais elle gardait le commandement des voies nouées à
l'entrée de la plaine et demeurait à proximité des sources. Le fameux
puits de Jacob, à courte distance de la localité sur la lisière d'<?/-

Mahneh et presque à la jonction des voies antiques, suggère nettement


un lieu de halte traditionnel pour les caravanes que le trafic ou la

transhumance amenaient aux portes de Sichem tel Mambré par :

rapport à Hébron tels aussi les nombreux meidchis en relation avec


;

les centres de commerce ou d'attraction quelconque. Le meiddn en ce


cas désignait par excellence, à l'entrée de la ville, le campement des

caravanes et le lieu des transactions entre nomades ou commerçants


ambulants et les citadins. Quand il s'agissait, comme de nos jours
encore à Gaza ou à Bersabée, de nomades venus pour échanger leur
bétail ou leurs maigres produits contre les approvisionnements qui
leur sont indispensables, le meidân n'était presque jamais dépourvu
de tentes et le contraste était toujours pittoresque entre la ville cossue
et le campement désertique. En beaucoup de cas le vieux meidân s'est
transformé en un quartier populeux, ainsi je suppose à Âlep et sur-
tout à Damas où il a cependant retenu san appellation primitive. A
Sichem et à Hébron, la ville même s'est déplacée au cours des âges.
Si nous avons néanmoins correctement ressaisi les indices qui en
révèlent toujours la physionomie primordiale, Hébron (Qiryath-Ârba')
et Mambré sont maintenant des quantités topographiques précises
dont la distinction est évidente, mais dont le groupement si étroit
nous est intelligible.
En possession de ces deux éléments, nous pouvons aborder la

localisation de iMacpélah. Elle s'imposerait avec limpidité s'il était

légitime de faire fond sur la glose rédactionnelle (xxni, 19) qui

(1) D'après une reconnaissance archéologique de M. le prof. Seilin; cf. Anzeiger der
kais. Akademie der Wiss.; pliilos.-histor. Klasse, de Vienne, 1914, n" xviu, p. 204-207.
LA SEPULTURE DES PATRL\RCHES. b29

prétendait identifier Hébron Mamré. Une identification telle quelle


et

serait à la rigueur concevable à l'époque ou quelque copiste zélé se


la permettait. Plus ou moins tard après l'ère patriarcale l'ancien
site du campement d'Abraham transformé en une agglomération

sédentaire aurait très normalement pris l'aspect d'un faubourg d'Hé-


bron —c'est le cas mentionné tout à l'heure pour le meidân de

Damas. —
iMais si exact qu'il puisse devenir, en cette hypothèse,

d'établir l'équation temporaire Mamré-Hébron, *cette équation ne


vaut rien pour l'époque lointaine visée par le récit. Laissant donc de
côté cette échappatoire, il reste à confronter loyalement Macpélah et
Mambré indiqués vis-à-vis ou en face » l'un de l'autre. Et pour ne
<'

rien escamoter de l'apparente difficulté créée par les expressions du


texte,gardons à ces expressions i2B~tj et i:Bh la valeur d'oriente-
ment qui leur est attribuée. Il en résulte que « la grotte du champ
du Macpélah » doit être cherchée « à l'orient de iMambré ». En se
reportant au croquis topographique du P. Abel ou à n'importe quelle
carte enregistrant avec une suffisante approximation les sites de
Nimrâ et du Haram el-Khalil, on constate que ce dernier se dresse au
Sud-Est de Nimrâ dont il est distant de 1.500 mètres au maximum,
mais très en vue sur le haut versant du Dja'dbireh. Avec les res-
sources très limitées que fournissait le langage ancien pour déter-

miner une orientation exprimée d'après la position de l'observateur


par rapport au soleil, l'approximation réalisée ici peut-elle sérieu-
sement être taxée d'insuffisance? Il ne me revient au souvenir aucune
périphrase biblique de nature à discerner avec une exactitude telle
quelle les axes intermédiaires de la rose des vents. La « face » était
donc un terme recevable pour traduire aussi bien le Nord-Est ou le
Sud-Est que l'Est franc, surtout dans^ un récit ayant le caractère
reconnu au ch. xxiii de la Genèse. On conclura dès lors sans aucune
témérité que le site .couvert aujourd'hui par les édifices du Haram
réalise les indications du texte aussi convenablement qu'on puisse
être en droit de l'exiger la caverne et le champ de Macpélah de la
;

tradition correspondent ainsi au Macpélah historique.


Cne page du P. Abel, à la fin de sa monographie sur Mambré (1),
résume trop bien l'ensemble de cette situation pour n'être pas trans-
crite au moins partiellement ici :

Le site de Mambré (Nimrâ « répond au concept qu'on se fait de la situation


d'Abraham vis-à-vis de la capitale des Anaqim, d'après l'histoire biblique. Comme
il convient à un campement de nomades, il est situé sur la lisière du désert. En

(1) Op. l, p. 215 s.


REVUE BIBLIQLE 1920. — T. XXIX. 34
o30 REVUE BIBLIQUE.

face de lui. de lautre côté d'un ouâdy qui sépare la vie pastorale de la vie sédentaire
et plus civilisée, se dresse le tell de l'ancienne Hébron [Roumeideh-Arba'in], couvert
d'une oliveraie en étages. On se fîgure aisément, à ce spectacle, la position respec-'
tive du clan d'Abraham et des Hébronites. Tout en étant à proximité les uns des
autres, les uns et les autres étaient chez soi, Hébreux au nord-est, 'Anaqim et
Hétéens au sud-ouest, séparés par une vallée profonde. Les conflits que provoquait
d'ordinaire le besoin d'eau étaient évités grâce à l'abondance des sources On
comprend donnée celte situation de Mambré, qu'Abraham ait demandé
aussi, étant
une sépulture du côté^e ce campement, c'est-à-dire sur le flanc oriental de la vallée
d'Hébron ».

De même qu'on a cru découvrir parfois, avec plus d'empressement


que de circonspection, dans le récit d'acquisition de Macpélah le for-
mulaire et comme l'écho des contrats babyloniens à propos de tran-
sactions analogues (1), on s'est aussi persuadé que d'autres documents
épigraphiques étaient de nature à préciser la physionomie primitive
de l'hypogée. Des exégètes très avertis ont rappelé qu'une inscription
nabatéenne de Pétra fournissait, précisément au sujet d'un tombeau,
des spécifications aptes à éclairer celles qui déterminent la sépulture
patriarcale [f. 17). Il s'agit du grand lituhis funéraire du qab)" et-
Tourkmaniijeh (2) :

« 1. Ce tombeau, sa grande salle, la petite salle qui est à l'intérieur avec ses
sépultures en forme de locxdi, 2. l'enceinte qui est devant (le tombeau), le portique,
les fosses i?) qui s'y trouvent^ les jardins, le tricUnium, les fontaines d'eau, la ter-

rasse (?), les murs 3. et tout ensemble ce qui est compris dans ces lieux est consacré
avec imprécation à Dousara... et tous les dieux, 4. dans les registres des choses
consacrées, conformément à leur contenu. Et ordonnent Douéara... et tous les dieux
qu'il ...ne soit rien enfreint 5. ni rien altéré... et que nul ne soit enseveli dans ce
tombeau, si ce n'est celui (au nom) duquel sera inscrite une concession de sépulture
danslesdits registres des choses consacrées, à jamais (3) ».

Non moins vivement peut-être que les analogies les différences


sautent d'abord aux yeux. Tandis qu'on traite, à Hébron, d'un champ

1) Skinner {Genesis, p. 335) a déjà très nettement réagi contre la tendance de Sayce en
particulier qui voudrait retrouver dans les expressions mêmes de Gen. xxni d'étroites
similitudes avec les contrats babyloniens de l'époque de Hammourabi théorie que Gunkel
:

[Genesis, p. 253) parait admettre aussi avec quelque rnltigation pourtant. Driver se per-
suadait avec toute raison que « l'évidence archéologique est tout bonnement neutre »
{Genesis, p. 230}. Les expressions du récit demeurent en effet trop naturelles pour n'avoir
pas été spontanées à toutes les époques et dans tous les milieux en des transactions
de celle sorte.
(2) Citée par Skinner, op. L, p. 338.
'3) Traduction de M. le M'" de Vof;uÉ, RB., 1897. p. 233. Cf. Corpus inscript, semitic.

II, I, p. 307 ss. n" 350. On sait tout ce que l'école historico-raythologique a découvert

dans ce texte précisément à propos de Dousara et de son Mothab « épouse, ou parédre >',
qui seraient Abraham et Sarah; cf. Éd. Meyef, Die Israeliten... p. 270.
LA SÉPLLTLRE DES PATRIARCHES. b31

qui contient une caverne jusqu'alors sans affectation bien déterminée


mais très propice pour une sépulture, il s'agit au contraire, à Pétra,
d'un monument funéraire très élaboré et d'une importance supé-
rieure à la moyenne. Entre Abraham et les Hétéens d'Hébron la
transaction s'opère sans emphase et demeure sous la sanction toute
humaine de la loyauté des contractants et des témoins qui se sont
trouvés, ce jour-là, faire partie de la réunion à la porte de laVille;
à Pétra, où nous connaissons seulement le titre d'acquisition et de
propriété, cette propriété est mise sous la sanction directe et solennelle
de tous les dieux. Enfin il n'est pas question d'écritures pour perpé-
tuer le souvenir de la négociation concernant Macpélah (1); les
archives les plus sacrées enregistrent au contraire la transaction entre
Nabatéens pour l'hypogée de Pétra. Rien n'accentuerait mieux, s'il
en était besoin encore, la différence des. temps, des milieux sociaux
et des conditions religieuses.
Après quoi nul ne disconviendra qu'il soit intéressant de constater
dans les deux cas un égal souci de possession personnelle absolue
d une sépulture inaliénable et éternelle. Aux expressions bibliques
répondent trait pour trait les formules juridiques de l'inscription
nabatéenne -isp-r^ns a pour équivalent ^zip'D N:n '1. 5); la pro-
:

priété d'Abraham est garantie par le témoignage « des fils de Khet »


présents à la porte ce jour-là et cette garantie sauvegardera le plus
lointain avenir; à Pétra : dS'^ ly... «lain ii-G^i*. Mais ces analogies
saisissantes induiraient en erreur si l'on entendait les retrouver dans
l'ordonnance des deux hypogées, en arguant je suppose de la double
salle NT177 N^ny^.. nii Nrinï qui constitue le tombeau proprement
dit à Pétra (1. 1} pour étayer l'étymologie si douteuse de r\'i£Dr2

« caverne doubj[e ». Les « jardins » _^<1::a_ et .< l'enceinte <> men-


tionnée apparemment sousdouble forme «dis et ni-iid (1. 2) évo-
la
quent bien les « arbres quels qu'ils soient » _yyn-S3_ inclus dans la
muraille de clôture à Hébron _2''2d iS2:i"Sd2_, avec cette nuance
toutefois que dans le document nabatéen clôture et plantations font
partie d'une ordonnance funéraire savante et compliquée, au lieu que
l'enclos d'Hébron se présente avec toute la simplicité d'un petit
domaine constitué par un champ agrémenté de quelques arbres et
délimité par un mur quelconque le tout non moins banal que n'im-
:

(1) M. Clay, Tfie Empire of the Amorites, p. 62, émet l'hypothèse qu'« un document
aurait cependant pu être écrit en cette circonstance; mais ce n'est évidemment pas du
»

texte de la Genèse que s'autorise la conjecture. H. M. X^iener {Pentateuchal Sludies, 1912,


p. 84) insiste peut-être plus que de raison sur cette absence d'écritures pour en déduire la
haute antiquité du Qfide sacerdotal.
o32 - REVUE BIBLIQUE.

porte quel domaine adjacent. Une seule particularité désignait celui-*


là de préférence au clioix d'Abraham : la caverne qui s'y trouvait,
toute prête à servir de sépulture suivant les modalités funéraires du
temps. Maint autre rapprochement épigraphique ou littéraire pouvait
être établi pour attester l'usage antique de spécifications aussi natu-
échange de propriétés foncières (1) celui-ci deviendrait
relles en tout ;

manifestement inexact dans la mesure où Ton aurait visé quelque


analogie funéraire. Il est impossible d'imaginer que la caverne du
champ de Macpélah ait servi de sépulture avant l'acquisition
d'Abraham tout ce que nous connaissons aujourd'hui des conceptions
:

antiques au sujet du tombeau répugne à cette gratuite hypothèse.


A plus forte raison est-il exclu de se représenter cette grotte comme
un de culte local, ou simplement l'objet d'une croyance supers-
lieu
titieuse quelconque parmi la population hébronite. 11 faut insister sur
ce fait, trop aisément méconnu par la critique tout absorbée dans la
hantise de ses combinaisons systématiques ce qu'Abraham acquiert
:

d"Éphron le hittite n'était ni l'antre délaissé de quelque dieu déchu,


ni la tombe héroïque de quelque obscur ancêtre, ni même, à aucun
titre, une sépulture; le site était parfaitement profane et la caverne
vide (2). A l'inverse des mirifiques et laborieuses spéculations mytho-
logiques où l'on s'égare avec une si confiante assurance, combien il
est à la fois plus rationnel et plus loyal d'accepter l'évidence et l'in-
génuité du récit! Jusqu'à l'épisode merveilleusement simple dont la
mort de Sarah fut l'occasion, rien ne discernait le champ d"Éphron
à Macpélah de n'importe quel autre domaine contigu; l'existence de
la caverne elle-même n'était qu'un accident d'autant plus dénué de
portée religieuse que des cavernes plus ou moins semblables se
retrouvaient certainement aux alentours, sans que nous incombe pour
cela quelque obligation de rechercher pourquoi celle-ci et pas une
autre fixa le choix d'Abraham.
Par où il est assez clair que la caverne, double ou non, qu'aucune
appellation propre ne désignait même, jusqu'à l'acquisition patriar-

(1) Aussi bien M. Skinner {op. l, p. 338; a-t-il cité à la cantonade, en même temps que
l'inscription nabatéenne de Pétra, des contrats datant de la l" dynastie babylonienne, des
temps assyriens tardifs et les fameux Papyrus d Ëlépbantine de l'époque perse en Egypte.
Des documents très analogues foisonnent dans toutes les archives des notaires de nos jours
et l'on causerait sans doute quelque ahurissement aux clercs dont ils émanent en leur
demandant quels prototypes babyloniens les ont inspirés.
(2) Cette évidence a été perçue et nettement exprimée par Gunkel « die Hole ist eine
:

profane Hole und die Erziihlung von ihrem Erwerb eine profane Geschichte » {Genesis,
p. 251). Ce qui ne l'empêchera pas d'affirmer tranquillement, un peu plus loin (p. 253) que
les arbres sont sacrés!
LA SEPULTURE DES PATRIARCHES. 533

cale, ne ressemblait à rien aussi peu qu'aux prétentieux hypogées


nabatéens de Pétra ou d'ailleurs. On ne se hâtera point d'envisager
des transformations qui lui auraient donné, dès les jours d'Abraham,
un caractère tant soit peu monumental. Si le cîidavre de Sarah fut
scellé au fond d'une fosse rapidement creusée dans le sol de la
caverne ou déposé en quelque anfractuosité du roc sous la-protection
de murets plus ou moins sommaires, tout moyen nous échappe de le
contrôler et les aperçus que l'archéologie est en mesure de fournir
pour ces temps reculés ne peuvent encore suppléer à ce contrôle (1).
L'archéologie positive s'accorde cependant ici avec l'histoire pour
suggérer que rien ne fut notablement modifié dans la physionomie
générale de la caverne. En tout cas elle ne devait point se fermer à
jamais sur le tombeau de Sarah. Un à un les Patriarches viendront
s'y réunir; mais la caverne demeurera ouverte pour maintenir le
groupement familial et perpétuer le contact de la race avec les glo-
rieux ancêtres.

IV. LES DERMÈRES ALLUSIONS BIBLIQUES A l'hYPOGÉE PATRIARCAL.


l'ère HÉRODIENNE.

La tribu araméenne a évolué en un peuple qui reste le dépositaire


de la promesse divine Abraham. A l'heure où va se réaliser
faite à
enfin la prise de possession de Canaan, une part de choix est réservée
à Caleb le Qénizite en récompense de sa fidélité aux prescriptions du
Dieu d'Israël, sans se laisser entraîner aux impatientes convoitises du
reste du peuple cette part de privilège, c'est Hébron (-2). Sans doute
:

les avantages naturels de la contrée, sa relation plus immédiate avec


le territoire primitivement occupé par les clans Qénizite et Qénite
entraient pour une part dans cette attribution de faveur. Mais pou-
vait-il demeurer indifférent qu'Hébron conservât la tombe de toute la
lignée patriarcale?
Dès qu'il s'agit de désigner des villes lévitiques et des édiles de

(1;On trouvera dans les comptes rendus des fouilles en Palestine, ou dans la synthèse
provisoire deCanaan d'après Vexploration récente (p. 204 ss.) l'évolution archéologique
de la tombe palestinienne. Tel exemple comme la grande syringe contemporaine de la
XII' dynastie à GézerOlACALisTER, The Excavation ofGezer, I, 111-141 cf. Canaan, p. 218),
;

ou mieux encore la « caverne double » troglodytique transformée en sépulture au début de


l'ère cananéenne Macalister, op. t., I, 77, n° 3; cf Canaan, p. 214 est d'un particulier
intérêt pour illustrer la caverne de Macpélah aux jours d'Abraham. Aucune fouille n'a fait
constater jusqu'ici l'existence d'hypogées régulièrement installés, avec façade monumentale,
fosses, banquettes, etc. dans une période antérieure à la monarchie Israélite.

(2) /os. xiv, 6-15; cf. Xomb. xiv, 24; Dt. i, 36; Jug. i, 20, cf. L\r.RANGE, in loc.
o34 REVUE BIBLIQUE.

refuge dans le lotissement définitif, on n'est pas surpris d'entendre


nommer tout d'abord Hébron (1). Et l'influence exercée par les sou-
venirs qui consicraient cette localité parait se traduire plus vivement
encore quand Da^dd, mis en possession de la royauté sur tout Israël,
choisit Hébron pour sa capitale, comme s'il eût voulu abriter le ber-
ceau de sa dynastie à l'ombre tutélaire du tombeau des ancêtres (2).
La tradition juive des temps ultérieurs est certainement erronée
quand elle fait remonter à David ou à Salomon l'origine du monu-
ment qui entourait l'humble hypogée des origines d'une splendeur
digne de son importance elle n'est probablement que l'écho déformé
;

des honneurs qui furent rendus alors à la mémoire des ancêtres et à


leur sépulture. Longtemps après que les nouvelles conditions poli-
tiques auront fait transférer la capitale à Jérusalem, Hébron gardera
encore le caractère d'une ville sainte. C'est là qu'en des circonstances
particulièrement critiques on fait vœu de se rendre pour accomplir

certains actes de culte : ainsi voyons-nous du moins en agir Absalom,


sans provoquer par là ni étonnement ni soupçon de la part de
David (3).

L'énergique réaction soulevée par les prophètes contre tout ce qui


pouvait ressembler à un faux culte, ou simplement diminuer le pres-
tige et l'exclusive sainteté du Temple eut nécessairement quelque
répercussion sur formes données à la vénération des Patriarches
les

dans par leur séjour et par leur sépulture. On n'en-


les lieux illustrés
tend plus parler de la chênaie de Mamré. Non moins pi'ofond est le
silence au sujet de l'autel qu'Abraham y construisit à lahvé (4). Mais
l'hypogée paraît bien conserver tous ses titres à de légitimes honneurs.
Comment en effet ne pas voir une allusion, discrète mais explicite, à
Macpélah dans le passage célèbre où Isaïe évoque au souvenir des
justes, de ceux qui persévèrent dans les voies du Seigneur, la roche
d'où ils furent excisés, le creux de caverne d'où ils furent extraits à :

savoir Abraham leur père et Sarah qui les enfante (5) ? Image à coup
sûr et métaphore puissante comme les multiplie volontiers la poésie
ardente d'Isaïe. Et nul évidemment n'eût jamais songé à deviner
l'hypogée de Macpélah si l'allusion à ce « rocher » et à cette « cavité

{l)Jos. XXI, 11 et 13; cf. XX, 7. Von Gall [Altisr. Kultstâlten, p. 58) sigaalait que ce
choix suggère bien le caractère de ville sainte qu'on reconnaissait dès lors à Hébron,
d'ailleurs en vertu d'autres indices, car il ne saurait être question de le conclure pour
toutes les localités diverses qui reçurent le privilège du droit d'asile.

(2) II Sam. V, 1-5; cf. n, 1-3, et Dhorme, in loc.


3) // Sam. XV, 7 s. et le commentaire de Dhorme.
(4) Gen. xui, 18. Cf. Gruneisbn, Der AhnenkuUus und die Vrrelig. Israels, p. 274.
(5) Is. LI, 1 s.
LA. SÉPULTURE DES PATmARCHES. 535

cavernale » par où sont concrétisés les ancêtres religieux du peuple


fidèle ne se fût immédiatement éclairée par la mention d'Abraham et
de Sarah. Ces aïeux auxquels on en rappelait aiasi n'étaient pas de
mythiques personnifications ou de vagues entités flottantes dans le
souvenir populaire Abraham et Sarah avaient vécu, agi, conversé
:

avec les envoyés de Dieu, reçu les promesses qu'on voyait depuis
longtemps réalisées; on savait que leurs restes reposaient dans l'hy-
pogée d'flébron. Ce passé historique, dont on ne pouvait douter,
devenait la garantie des nouvelles promesses du Seigneur à ceux qui
lui avaient voué leur persévérante fidélité. Et l'hypogée ne leur était
donc pas indifférent en ce temps-là puisque le prophète en évoque
l'image (1).

(t) Par un amalgame fantaisiste du texte dis. (u, 1 s.) avec Jér. ii, 27 et Dl. xxxii, 18,
autres images poétiques dérivées du rocher, une critique inventrice a déduit l'hypothèse
d'un culte de pierre sacrée, compliquée de spéculations lourdement réalistes sur les
rapports entre la pierre sacrée =
Abraham et la caverne sacrée Sarah. Dornstetter =
{Abraham..., p. 72 ss.) stigmatise avec la plus légitime énergie de telles excentricités;
cependant il a tort de prétendre exclure l'allusion isaïenne à Macpélah considérée non plus
comme lieu sacré qui aurait créé de légendaires entités patriarcales, mais, tout au rebours,
comme un lieu sanctifié par la sépulture très historique d'Abraham et de Sarah ancêtres

d'Israël. L'image tirée de la caverne génératrice peut naturellement s'autoriser de Prov. v.


15-18 sans évoquer la moindre imagination fétichiste ou autre. Quant au rocher ancestral,
iln'implique pas plus de déification dans la poé.«ie du prophète que dans la légende moabile
moderne d'après laquelle « les Béni Saijer seraient sortis d'un rocher [saher), qu'on montre
encore aux frontières du Belqâ » (Jaussen, Coutumes des Arabes..., ip. 107). Il n'y a plus
à s'en laisser imposer par l'aphorisme serein que l'animisme est à la base de n'importe
quel culte, dans les religions sémitiques tout aussi bien qu'ailleurs, comme il plaît par
exemple à M. Éd. Meyer (Die Israeliten... p. 293) de l'affirmer, pour fonder ensuite là-
dessus son mythe des éponymes des tribus (cf. du même, Gesch. des Alterthums'^, I, ii,
§ 342 s., p. 368 ss.). Par un phénomène étrange, cette critique si attentive à enregistrer

certaines minuties du texte où elle croit entrevoir des trésors de suggestions fétichistes et
àiitres se désintéresse très complètement de tout détail ingénument fourni par ce même
texte sur les circonstances qui donnent au récit sa réelle couleur et son véritable caractère
historique. Notre narration discerne avec toute i'acribie possible dans de tels souvenirs
populaires des sites, des noms, des particularités naturelles la chênaie de Mambré distincte
:

de Qiryath-Arba", le champ de Macpélah qui est à l'orient de Mambré. La chênaie pouvait


avoir ou n'avoir pas un caractère sacré pour les 'Anaqîm lorsqu' Abraham s'y établit et y
dresse un autel à lahvé son dieu mais le champ de Macpélah, situé ailleurs, était parfaite-
;

ment profane, et tout autant la caverne qui s'y trouvait. Ces faits évidents n'empêcheront
pourtant pas l'exégèse mythologique d'échafauder ses spéculations sur la plus gratuite
assimilation de tous ces éléments disparates. La caverne se trouve soudain au milieu des
arbres sacrés et l'autel d'Abraham n'est plus qu'un succédané du culte primitif dont l'antre
devra fournir le sens originel. Comme de juste ces équations audacieuses gardent d'abord
une certaine réserve chez un exégète tel que Gunkel, en présence directe du récit biblique.
Elles s'affirment déjà plus confiantes chez les historiens, qui prennent leur point de départ
sur les conclusions exégétiques. Pour Meyer, par exemple, n'y a déjà plus qu'un double
il

lieu de culte mais également légendaire et qu'on ne se soucie dès lors plus d'accrocher en
quelque point du sol [Die Israeliten..., p. 265). Et voici l'aboutissant curieux. Un distingué
professeur de théologie de grande Faculté. M. Ad. Lods, étudie La croijance à la vie
0.36 REVUE BIBLIQUE.

Cependant la catastrophe était proche où [sraël allait so:nbrer pour


un long temps. Les Édomites n'avaient même pas attendu la chute
définitive du royaume sous les coups des Assyriens pour empiéter sur
le domaine de Juda (1). S'ils avaient étendu leurs envahissements
jusqu'à Hébron, ils n'osèrent pourtant s'y maintenir et au retour de
lExilune colonie d'immigrants israélites reprit possession de l'antique
terre patriarcale. Le fait même qu'Hébron ait été désignée alors par
son vocable archaïque de Qiryath-Arba' tendrait assez à manifester
l'intention de se rattacher aux souvenirs de la conquête et de la pre-
mière prise de possession aux jours d'Abraham [Néh. xi 25).
Les convoitises des Iduméens cependant ne s'apaisèrent pas. La
première occasion propice les ramena en maîtres dans la cité patriar-
cale. Une campagne victorieuse de Judas Macchabée réalisa contre
eux les oracles vengeurs d'un Ézéchiel et d'un Abdias. Mais dans cette
lutte sans merci Hébron avait été saccagée. Si un monument de
quelque importance —
dont l'origine nous serait demeurée totalement
inconnue —
couvrait déjà la sépulture des Patriarches, il ne fût pas
resté indemne au cours de ces violentes péripéties (2). L'ère maccha-
béenne fut d'un bout à l'autre trop absorbée et trop troublée pour
qu'il y ait place à quelque restauration ou création architecturale
grandiose en ces confins toujours si âprement disputés entre Juifs et
Édomites (3). L'hypogée ne pouvait cependant déchoir de son prestige

future et le culte des morts dans l'antiquité Israélite, tout animé du bon désir de sauver
une antique tradition patriarcale. Il se persuade d'emblée que le champ acquis par Abraham
était « un téiiîvo; le mot trahit assez le concept religieux. Celte enceinte sacrée
)> :

<(renfermait aussi des arbres, évidemment les célèbres « chênes de Mamré qui sont à
Hébron... » Cet évidemment a de la saveur et une aussi limpide conviction ne pouvait
manquer d'amener au rendez-vous l'autel, etc. : '< Ici donc encore tombeau, arbre sacré,
autel, enceinte inviolable étaient dans la plus étroite relation » (Lods, op. L, II, p. 91,

cf. 98). y aurait de sagesse à lire les vieux textes non pas avec le souci aigu
Combien il

d'y retrouver des concepts modernes, mais avec le scrupule de pénétrer leur caractère!
(1) Cf. les Histoires d'Israël ou les Encyclopédies, en particulier l'article très substantiel
de T. NoLDERE, Edom, dans VEncijclop. biblica de Cheyne. On a en mémoire les prophé-
ties enflammées d'Ézéchiel (xxv, 12 ss. xxxv etc.) et d' Abdias.
;

(2) Macch. V, 65. Kat... 'Iou5ac xal o\ àoîXçol aOroù... £rto\£[jio-jv Toyç Oioùç 'H(jay... xal
/
èitàxaSEv f?iv Xsêpwv xal -à; ôvYaTspa? aÙTrii;' xai xaÔeîXsv to ôxùpwaa a'jTÎji;, xat toù; Trûpyou;
a-jTr,; evenûpidev xyxXôôev. « Or Judas et ses frères... combattirent les enfants d'Ésaû...; il

saccagea Hébron et les localités de son ressort. II démantela sa fortification et incendia


ses tours dans toute l'enceinte. » Un peu plus tard Jean Hyrcan, le roi sacerdotal si zélé

pour les guerres du Seigneur achèvera de subjuguer Édom


de façon encore plus draco-
nienne; \oiT Jo&tPHE, Antiquités judaïques, XIII, ix, 1, §257 ss. de l'éd. iNiese. Ces faits se
placent apparemment vers 128 avant notre ère et à partir de ce moment Édom a perdu
toute autonomie nationale. Les princes édomites n'en continueront pas moins à intriguer
avec une sournoise activité contre la dynastie juive, menacée déjà par de périlleuses dissen-
sions intestines, jusqu'au jour où la couronne d'Israël passera fur la tête d'un Iduméen,
(3) Sans doute le règne long et glorieux d'Hyrcan semblerait d'abord assez propice à un
LA SÉPULTLRE DES PATRIARCHES. 537

séculaire. Cest même précisément l'époque où il plairait à une cri-

tique aventureuse de situer ce qui représente pour elle une légende


à tendance politico-relig-ieuse dans le chapitre xxiii de la Genèse.
A rencontre des prétentions édomites sur Hébron et son district, le
Code sacerdotal aurait fait valoir des droits fondés sur une acquisi-
tion par les ancêtres d'Israël. On a vu plus haut combien sa fiction
eût été peu avisée, combien surtout l'historicité du document est plus
rationnelle et plus simple que cette artificieuse élaboration.
C'est maintenant l'Iduméen Hérode qui préside aux destinées du
monde juif. On sait comment ce monarque s'est imposé à la mémoire
de la postérité sous le titre de Grand que justifieraient assez peu ses
qualités morales. Fastueux et entreprenant, très épris de la culture
hellénistique à nuance romaine qui prévalait alors à travers l'Orient,
Hérode excellait à faire concourir ses goûts esthétiques aux visées de
sa politique ambitieuse. Aussi peu limité dans ses ressources que dans
son pouvoir,il mit une ostentation passionnée à multiplier les plus

somptueux édifices dans son royaume. En même temps qu'il restituait


au Temple par excellence une splendeur capable d'éclipser la gloire
salomonienne, il embellissait sa capitale d'édifices profanes et de
palais et faisait surgir, en des sites jusqu'alors passablement délaissés,^
des villes éblouissantes. Plus d'un mobile politique ou religieux
devait lui suggérer de ne pas omettre le sanctuaire patriarcal dans
cette renaissance artistique. Si les scrupules d'un traditionalisme juif
trop chatouilleux n'avaient pas laissé que de contrecarrer d'abord les
plans hérodiens à propos du Temple,il n'en allait certainement plus

de même pour l'hypogée de Macpélah. Loin de s'alarmer par l'effroi


de quelque machination cauteleuse comme il le faisait à propos du
sanctuaire de lahvé à Jérusalem, le nationalisme le plus étroit ne
pouvait que s'applaudir de voir le prince de race iduméenne glorifier
à Hébron la sépulture des grands ancêtres : Abraham, Isaac et Jacob.
L'époque donc propice. Or nous avons vu que le monument
est
interrogé dans toutes ses parties accessibles se rend témoignage à lui-
même. Le péribole sacré porte l'empreinte à la fois évidente et
caractéristique de l'ère hérodienne. C'est une conception structurale
issue de la meilleure tradition hellénistique et traitée dans le goût
romain par un architecte ayant manifestement à sa disposition des
ressources princières. Elle est d'une parfaite unité, ce qui exclut

relèvement du sanctuaire patriarcal; tout autant, je suppose, le régne d'Alexandra (76-67).


Aussi n'est-il pas question d'exclure l'hypothèse de quelque entreprise en ce sens, au cas
où l'on en découvrirait un indice qui jusqu'ici fait absolument défaut. C'est tout à fait la
situation exposée naguère à propos du monument <Ï^Ain Douq'RB., 1919, p. 554 ss.).
b38 REVUE BIBLIQUE.

apparemment l'idée d'une simple restauration. S'il existait un édifice


aiitérieur, il fut repris à la base et réalisé sur un plan nouveau, en
tout cas avec une physionomie esthétique nouvelle. Autant vaut-il
dès lors faire abstraction d'un état archaïque dont tout nous échappe,
et parler tout bonnement d'une création hérodienne.
Au lieu que jamais dans le passé nous n'avions pu moindre
saisir la
allusion à quelque monument en ce lieu, voici maintenant une attes-
tation explicite fournie par l'historien le mieux en situation pour
être bien renseigné : le fameux texte de Josèphe, digression pré-
cieuse insérée dans le récit des exploits de Simon à travers l'Idumée,
au cours de la guerre contre les Romains. Simon vient de conquérir
Hébron; et si la localité parait d'assez minime importance, sa
gloire est assez éclatante pour que l'historien s'attarde à la rappeler.
N'est-elle pas d'une origine antérieure même à celle dont s'enorgueil-
lissaitMemphis? « On raconte d'ailleurs qu'elle fut en outre la
résidence d'Abraham l'ancêtre des Juifs après son émigration de la
Mésopotamie. C'est de que ses fils descendirent en
là aussi, dit-on,
Egypte. Dans la petite ville on montre jusqu'aujourd'hui leurs
monuments funéraires, réalisés en très beau marbre et avec magni-
ficence » (1). Ce serait restreindre à l'excès la portée de ce texte que
de l'entendre de simples cénotaphes excluant toute allusion à la
grande enceinte. Josèphe exprime, à sa manière large et toujours
imagée, non pas le détail technique du monument, mais sa somptuo-
sité et ce qui en constitue la raison d'être les sépultures patriarcales. :

Il est vrai qu'on a cru trouver dans ses expressions mêmes la

preuve d'une antiquité fort reculée pour le magnifique édifice, allé-


guant qu'il en accentue la persistance jusqu'à son temps et n'évoque
nullement le nom d'Hérode (2). La nuance du texte est autre. Ce que
Josèphe entend souligner, c'est la persistance de la tradition qui
authentique les tombes des Patriarches après quoi le monument ;

qui les renferme est caractérisé par une observation sobre comme
il convenait en ce contexte où les détails consacrés au sanctuaire
sont un hors-d'œuvre. En écrivant la Guerre juive, à Rome (3), le

descendant de l'aristocratie sacerdotale juive pouvait avoir ses rai-

(1) Josèphe, Guerre..., IV, ix, 7, g 531 s. : M-jÔeuo-jti ôà aÙTr,v [-rriv Tto/t'xvriv Xeêptov] x«l
oixr,TT^ptov 'Aêpi(i.o'j toû 'lo-jSaîwv Trpoyovov ysyovévai iiîtà xriv èx Trji; ]Me<7o;tOTa[j.saç dcTtav-

«araoïv, to'jç tï TraîSa; a-jToy )éyo-jO''. xa-a6yiva'. eî: -A'.yuTtxov évôev wv xai Ta [j,VY)fji£ta

(xéypt vOv Èv t^ÔE 75 Ko'/.iyyri ÔEtxvyta', Trâvj v.xlfi^ (tapjxapov xai çi),ot:[j.w; elpYaa-[J.:'vx.

(2) De Saulcy, Voyage en Terre Sainte, I, 156 s. II, 328 (SalzmaQn). Guérin, Descr.
;

Judée, III, 223. Le passage de Josèphe [Antiquités..., I, xiv, g 237) allégué parfois pour

reculer l'origine de ces monuments funéraires n'est qu'une paraphrase biblique sans valeur.
(3) Entre 75-79 de noire ère; cf. RB., 1911, p. 370 s.
-

LA SÉPULTURE DES PATKLmCHES. 539

sons de ne pas glorifier à outrance le monarque de race iduméenne


et le nom d'Hérode, n'ajoutait rien d'utile au but de l'historien.
Il nous suffira donc d'enregistrer que Josèphe parait bien signaler le
monument dont la partie essentielle est encore sous nos yeux; et
puisque archéologique autorisait son attribution à
la confrontation
l'ère hérodienne, ondésormais en droit d'en fixer l'origine au
est

cours du règne d'Hérode le Grand.


A travers les péripéties mouvementées de sa longne histoire, Ihy-
pogée avait changé de physionomie la tradition populaire demeurait
:

en quelque sorte cristallisée. Qiryath-Ârba', Mambré, Macpélah


n'étaient depuis longtemps sans doute que de doctes réminiscences
dans la mémoire des lettrés. La ville même avait émigré de son
emplacement primitif et glissé au long de sa vallée pour se rappro-
cher du sanctuaire. Avec son usuelle ténacité la mémoire du peuple
de la terre perpétuait l'attestation de l'ancien état de choses en
indiquant, à six stades de la ville contemporaine de Josèphe, un
térébinthe fabuleusement rattaché à la Création (1). Légende puérile,
mais greffée sur une donnée d''autant plus précieuse qu'elle était
plus inconsciente. Six stades c'est un peu moins de 1.200 mètres.
A supposer la ville d'Hébron au début de notre ère occupant sensi-
blement le site que nous lui connaissons aujourd'hui, la distance
mentionnée conduirait vers le coteau de Nimra, héritier de la déno-
mination biblique de Mamré-Mambré. Il n'importe pas que le « très
grand térébinthe succombant à sa vétusté stupéfiante ait disparu,
>:

vaguement remplacé par une assez grande quantité d'arbres vaga-


bonds. Dans l'ère nouvelle qui venait de s'ouvrir il était relevé de
sa faction, puisqu'un monument impérissable fixait désormais le
souvenir fondamental de ce cycle la localisation précise du tradi-
:

tionnel hypogée patriarcal.

L.-H. ViNCEXT, 0. p.

Jérusalem, 26 mai 1920.

*(1) Josèphe, Guerre..., IV, ix, 7, § 533 : As-xvjTai S' inh a-Ta5(wv =; -coû aTtew; Tîps-
MÉLANGES

BARCOCHEBAS ô [;,ovGY£V*(iç

Une soixantaine d'années après la prise de Jérusalem et la des-


truction du temple de Jéhovah par Titus, la Palestine fut le théâtre
d'une nouvelle et formidable révolte. C'est celle à laquelle le nom du
fameux Barcochébas, du «fds de l'étoile », est à jamais attaché. Ce
dernier sursaut du nationalisme juif cherchant à se ressaisir avait été
précédé d'insurrections partielles qui, vers la fin du règne de Trajan,
éclatèrent sur divers points delà Diaspore. En Cyrénaïque, en Egypte,
à Chypre, en Mésopotamie, nous voyons les Juifs se soulever en
masse et s'attaquer avec fureur non seulement aux garnisons
romaines, mais encore aux populations païennes. Ces insurrections
locales furent écrasées par d'impitoyables répressions. On peut les
considérer comme autant de symptômes dedu judaïsme,
l'état d'esprit

sourdement travaillé par les idées de revanche sous forme messia-


nique, comme autant de prodromes de la crise suprême qui, sous
Hadrien, allait atteindre à son tour la Judée. Le mouvement semble
s'être ainsi propagé, par une espèce d'action récurrente, de la périphé-
rie au centre, des extrémités au cœur; Barcochébas a en, en quelque
sorte, des précurseurs dans la personne de ce Loukoua.s ou Andréas,
proclamé roi par les Juifs de Cyrène, ou encore de cet Artemiôn,
organisateur des massacres de Gentils à Chypre.
Tout, ou presque tout, a été dit sur cette grande figure historique
du chef de l'insurrection de Judée, du protagoniste de la sanglante
tragédie qui eut son dénouement à Bettir et où sombra définitive-
ment la chose juive. Cela se réduit, d'ailleurs, à peu de chose.
Sans parler des sources païennes, malheureusement trop sobres

(t) Question traitée à l'École des Hautes-Études en février 1915.


MÉLANGES. 541

de détails, nous n'avons guère à ce sujet que quelques maigres


renseignements de source juive et 4^ source chrétienne qui se com-
plètent tant bien que mal et se confirment plus ou moins les uns les
autres. A ces renseignements d'ordre historique il faut ajouter, ne fût-
ce que pour mémoire et bien qu'il soit encore matière à discussion
pour certains points, un précieux témoignage d'ordre archéologique,
celui des monnaies d'argent et de bronze à légendes hébraïques,
frappées au cours de cette période critique, et proclamant fière-
ment « l'indépendance d'Israël » —
indépendance bien éphémère,
hélas puisqu'elle dura à peine une quarantaine de mois et que
!

la frappe de ces monrtaies autonomes ne semble pas avoir dépassé


l'an H.
Comme de juste, toutes ces données ont été mises en œuvre parles
savants qui ont, à tour de rôle, entrepris d'éctire ou de récrire cette
grande page de l'histoire juive. Je n'ai ni l'intention, ni la préten-
tion de la récrire une fois de plus. Je voudrais seulement présenter
aujourd'hui quelques observations sur les documents historiques de
la seconde catégorie, ceux d'origine chrétienne, et, en particulier,
sur un d'entre eux contenant un passage embarrassant qui ne parait
pas avoir été encore élucidé d'une façon satisfaisante.
11 convient toutefois, en abordant ce sujet ainsi réduit à l'une de ses
faces, de ne pas perdre de vue l'attitude dans laquelle apparaît, au
regard de la tradition juive, le héros appelé par elle, non pas Barco-
chébas « fils de l'étoile », comme il l'est parles auteurs chrétiens, mais
Bar-Kozéba, ou Ben-Kozéba, « fils de Kozéba ». Ce second nom est-
ilsimplement un patronymique réel (1)? ou bien un surnom topique?
ou bien même un sobriquet péjoratif reposant sur quelque parono-
masie « fds du mensonge » (2 ? La question est encore très contro-
:

versée. Je n'ai pas à m'en occuper ici. Je me contenterai de rappeler


que, dès le début de l'insurrection, le célèbre rabbin Akiba avait
salué celui qui allait en prendre le commandement, comme le
Messie Sauveur, « le roi Messie », Nn^ca ndSs (3). Jouant sur les mots

njlw lui-même a pu être un n. pr. cf. le nom 'Aatr.p, dans une épllaphe <de la
(1) ;

nécropole juive de la Via Portuense [Kuovo Bull, d'arch. crisi., 1915, p. 16, n° 4). Il est

vrai que celui-ci a pu être emprunté à l'onomastique purement hellénique, où il existe.


(2; Comme on le sait, la tentative aventureuse de Barcochébas et sa prétendue mission
messianique avaient, au sein même du judaïsme, rencontré des incrédules, voire des
opposants, témoin les propos sceptiques ou injurieux, à son égard, prêtés par un midrach
talmudique aux rabbins lohanan ben Torla et Yehouda han-Nasi (cf J. Derenbourg, Essai
sur l'histoire et la géographie de la Palestine, pp. 423, n. 3 et p. 425, n. 2).
(3) On trouvera les principales références aux textes rabbiniques relatifs à cette ques-

tion dans leNeuhebr. Woerterb. de J. Levy (t. II, p. 312, S. F. niTla).


542 REVUE BIBLTQUE.

kokéha et kozéba, il n'avait pas hésité, pour soulever les masses


populaires, à lui appliquer la fameuse prophétie de Balaam :

Une étoile Jioliab) est venue de Jacob et un sceptre s'est élevé d'Israël (I).

C'est de cette étoile que se réclamait le nouveau Messie partant en


guerre contre Rome, air si paré du nom de « fils de l'étoile » —
Bar-kokeb —
nom symbolique qui, à lui seul, était tout un pro-
gramme. C'est toujours ce nom, dont ils connaissent parfaitement
et la véritable étymologie et la signification tendancieuse, que les
auteurs chrétiens emploient pour désigner notre personnage dans
les passages que nous allons maintenant examiner.

11 convient de mettre en première ligne celui qu'Eusèbe, dans son


^Histoire Ecclésiastique (iv, 6 : 2-3), semble avoir emprunté (2) à un
auteur chrétien, aujourd'hui perdu, originaire de Palestine, Aristôn.
de Pella, qui écrivait à lépoque même de Hadrien. Après avoir
longuement décrit les opérations militaires dirigées contre les Juifs
par gouverneur romain de Judée, Rufus. et la répression impi-
le
toyable qui s'ensuivit, il ajoute un renseignement précieux sur les
faits et gestes du ,chef de l'insurrection juive, ainsi que sur l'étymo-
logie même du nom messianique « fils de l'étoile », que lui avaient :

donné ses partisans. :

'EaTpaT'ÔYci tï -ôts (3) "lcucaio)v Bac*/to'/£caç 'i'K'fy.fx (4), o o-q om-izoi

:r,AcT, 17. ;j.£V o'aax <iz^':/j:.<; y.al AY;(7-fty.5ç Ttç àvJ;p, £7:1 ce xf^ Twpctrr^vcpi'a, oix
£-' avcfx::6îu)v, ù>ç oxi èE cjpavcj (fwcTïjp aÙTOîç y.aT£AY)X'jOà)ç xaxou|jL£Vciç
:£ è'TTiAâtJ.'yai TcpxT£ui[J.£v;ç (5).

Les Juifs étaient alors commandés par un nommé Barcochébas, nom qui signifie
« étoile », lequel n'était, d'ailleurs qu'un bandit sanguinaire; mais, grâce à son nom,
ilexerçait une action prestigieuse sur ces hommes asservis, en se présentant comme
un astre descendu du ciel pour les éclairer dans leur détresse.

;i) Nombres, 24 : 17.

(2) C'est ce que donnent à croire les n ots par lesquels Eusèbe clôt le récit : [w;j

'Ap;<7T(ov ô ITe)>.ato; îaTopeT.

(3) Var. TrjV.y.aCTa.

(4) Var. T&"jvo[xa,


« dacebat e\ercitura ludaeorunrj Barcho-
(5) Rufin (IV, 5, 4-6, 3; traduit littéralement :

chetas quidam, quod nomen significat stellam, cetera vir crudelis et scelestus. Sed ex
vocabulo suo vilibus niancipiis persuadebat se ob salutem eorum sidus magnum cœlilus
esse delapsum, aegris mortalibus et longa obscurita'.e damnatis ferre lucis auxilium. »
MÉLANGES. b43^

Je rappellerai — sans y insister autrement que ce passage est —


reproduit presque mot à mot, bien des siècles plus tard, par le com-
pilateur byzantin Nicéphore Calliste
(1). Il est curieux de voir ce qu'il
étaitdevenu, entre temps, dans la traduction arménienne de Moïse
de Khorène. Ce témoignage a son intérêt, parce que l'auteur arménien
place formellement tout l'ensemble du récit — et non pas simple-
ment un certain détail final (2) de ce récit, — sous l'autorité d'Aristôn
de Pella :

Ce que raconte Aristôn de Pella, touchant la mort d'Ardaschès, estvrairueut digne


d'intérêt. En ce temps-la, les Juifs se révoltèrent contre Hadrien, empereur des
Romains, firent la guerre contre l'éparque Rufus, sous la conduite d'un certain
brigand appelé Barcoeébas (Parkoba), c'est-à-dire Fils de l'Etoile. Malfaiteur, assas-
sin, cet homme se vantait de son nom avec oi'gueil, comme s'il eût été pour les
Juifs un sauveur descendu des cieux, afin de délivrer les opprimés et les captifs.
Il poussait si activement la guerre que, à cette vue, les Syriens, les habitants de
la Mésopotamie et toute la Perse, s'affranchirent du tribut des Romains, car Barco-
eébas avait appris qu'Hadrien était atteint de la lèpre, etc. (3).

Le récit de Justin le Martyr (4), contemporain lui aussi des faits^


les relate de son côté, plus brièvement, mais en y ajoutant un détail
fort intéressant, dont j'aurai à tirer parti tout à l'heure. S'adressant
aux Romains païens, il leur dit :

b §' a'JTbç xa'. toj ts-s xaxà 'Icuoaiwv tuoXî'j^.cu [avt^i^.ovs'jwv Txy-ca T.xpx-zibt-

Tai' -/.al '(xp Èv Tw vuv ^(Z'^o\}Â'fM (5) 'louîaïxo) tïoX£iji.w Bap'/wysSaç, b t^ç
loucaîwv àTCCaTao-so)? àp'/-r]YÉrr]ç, XpKJTiavoùç [j.6vouç tlq Tt;j-o)p(aç cs'.vàç, v.

;j.Y) àpvcCvTO 'I-/;toOv tov Xp'.^-o^^ ax: ÇiKx^zir,[j.oîv/, ï'/.éX='JVf x^^e^Qxi (6).

(Les Juifs nous tiennent pour leurs ennemis et leurs adversaires; comme vous,
ils nous persécutent nous font mourir quand ils le peuvent; vous pouvez en avoir
et
facilement la preuve). Dans la dernière guerre de Judée, Barchochébas, le chef de la
révolte, faisait subir aux chrétiens, et aux chrétiens seuls, les derniers supplices,
s'ils ne reniaient et ne blasphémaient Jésus-Christ.

(1) Migne, Palrol. gr., t. 147, III, p. 257. A noter la variante : Bap^w^^êa?, à ôè à(Tt£ç.a
or,Xor.

(2) L'interdiction aux Juifs de s'approctier de Jérusalem et de pouvoir même apercevoir


de loin leur territoire national.
(3) Fragm. Hist. gr., v, p. 392 (traduction Langlois,, Moïse de Khorène [ch. 60].
(4) Apologies i, 31, 6 (éd.. et trad. Pautigny) ; cf. Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 8 : 4.

(5) Var. : YïYï>ri[xév(|j.

(6) Var. : ànâyecieai.


Rufin (ui, 8, 4-6) traduit ainsi : « Etenim in hoc, quod nunc geritur, bello judaico
Harchochebas princeps judaicse factionis, Christianos solos, nisi negarent Christuni, tam-
quam blasphemos ad supplicia rapi Jubebat ». — Celte traduction, assez serrée, assure
donc, pour la fin du iv^ siècle, l'état du texte d'Eusèbe reproduisant celui de Justin. On
remarquera que la guerre juive y est présentée comme un événement, non pas simplement
récent, mais encore encours.
544 REVUE BIBLIQUE.

Paul Orose, disciple de saint Augustin et de saint Jérôme, nous


donne un abrégé de ce court Le chef de l'insurrection y récit (1).

porte le nom tronqué et défiguré peut-être bien du fait des copistes) !

de Cotheba, au lieu de Cocheba ou Barcochebas, et Hadrien nous y


est présenté comme ayant vengé par l'écrasement des Juifs les
chrétiens martyrisés par ceux-ci pour n'avoir pas voulu marcher
avec eux contre les Romains :

Hadrianus... Judaeos sane, perturbatioae scelerutn suorura exagitatos, et

Palaestinam, proviaciam quondam (2) suam, depopulantes, ultima caede perdomuit :

nltusque est Christianos, guos illi, Cotheba duce, quod sihi adverms Bomanos non
assentaretitur, excruciabant.

J'arrive enfin à un dernier témoignage qui, malgré l'époque basse


à laquelle il nous fait descendre, a une importance particulière,
parce que, bien que dépendant visiblement des sources antérieures,
il contient une expression énigmatique qui ne se rencontre dans

aucune de celles-ci, et qui est restée jusqu'ici une véritable crux


interpretum.
C'est un passage du chroniqueur byzantin George le Syncelle,
qui écrivait vers la fin du viii^ siècle.
Il vient de dire qu'Hadrien avait envoyé une armée contre les
Juifs rebelles qui avaient ravagé l'Egypte après de nombreux com-
bats; il poursuit en ces termes :

yjvsTto lï TV;; 'ItjlyJ.xz Tvrnzz 'P;u3i; 5 y.a- r.z\z]x-î\'s<xz, tsU; 'louBabu;*

^f,q 'Iouoa(ov^ àzsc-râjeo); Xo^eSàç ti; (3) 5 jj-ovîvsvy;; yjvsîtd, sç sp;j.'0-

vî'JETO àiTr^p' crj-oq Xptatiavo'jç TcoaOvw; ï~l\^Mç>r^(S7.'.o [j.t^ jfj'/.O'^.v^O'jq y.7.-y.

'Po);j.a{o)v a'j\j.\J.y.ytvt {k).

Le commandant de la Judée, qui eut aussi à combattre les Juifs, était Tinnius
(Tineius) Rufus; le commandant de l'insurrection des Juifs était un certain
Chochebas, le fils v.niqv.e, qui veut dire « étoile » ; celui-ci iofllgeait toute sorte
de châtiments aux chrétiens qui refusaient de marcher avec lui contre les Romains.

On retrouve sans peine, combinés plus ou moins adroitement et


correctement dans ce court récit, les éléments essentiels des textes
d'Aristôn de Pella, de Justin et d'Eusèbe. Mais on y trouve aussi
quelque chose de plus, qu'on chercherait en vain ailleurs, cette

(1) P. Orosius, Hisior. VII, 13.


(2) On sait en effet que Hadrien, avant son élévation à l'empire, avait été gouverneur
de la Palestine.

(3) Var Xoxïê»; tt?. XoitoiT-r,;.


:

J'i] Georgius Syncellus, Corpus Scr. /lisf. Byzo.nt., t. I, p. 660.


.MÉL.\.\GES. o4d

expression singulière : ô [Aivi^'Evr,;; appliquée à Barcochéyjas. Le sens


matériel n'est pas douteux : le fils unique; c'est celui auquel se sont
arrêtées les interprétations courantes. Chochebas quidam unigenitus,
traduit Dindorf, esclave par lui. A ce compte, Barco-
du texte édité
chébas aurait été « fils unique on ne voit pas très bien la portée
»>
;

de ce renseignement, d'un intérêt médiocre en soi et que le Syncelle


serait seul à connaître. Si encore il nous avait dit de qui il était le
fils unique Il doit sûrement y avoir là autre chose.

III

Au cours de ses recherches sur l'histoire du christianisme, Renan


s'était déjà heurté à ce petit problème. Parlant des deux formes
concurrentes du nom du héros de la révolte juive, d'une part
Ben-kozeba ou Bar-kozeba, d'autre part Bar-kokeba « le fils de
l'étoile », il s'exprime ainsi au sujet de cette dernière (1) :

C'est le nom par lequel il est désigné chez les chrétiens et aussi chez les auteurs
juifs du moyen âge ;2). Je ne sais ce que veut dire l'épithète de ô \xow^t^r,i que
lui donne le Syncelle, à moins qu'elle n'ait un sens messianique.

Sans doute, le caractère messianique de la grande révolte de 133


est indéniable Barcochebas était proclamé,
; il se proclamait lui-même
Messie; mais — il faut s'entendre — c'était le Messie juif, radicale-
ment différent du Messie tel que l'admet la conception chrétienne.
En prenant pour argent comptant le 5 [^.ovvysvt,? du Syncelle, litté-
ralement « le fils unique », d'une façon absolue, Renan, bien qu'il
ne s'en explique pas plus au long, semble s'être quelque peu laissé
influencer par le dogme qui fait de Jésus, du Messie chrétien, le fils
unique de Dieu le père —
oirxv wr [j.ovcyîvsjc Trxpà zx-rpôç. comme dit
saint Jean (i,14), avec qui les Pères de l'Église feront chorus en dé-
veloppant complètement ce thème du Christ Unigena, Uxigenitus,
;j.svcYsvr,ç 'j-b; tcu Oîcj (3).

(1) L'Église chrétienne, p. 200, n. 2.

(2) Renan elle sur ce point les Itinéraires de la Terre Sainte de Carmoly (p\>. 2'j2, 253;.
On peut y ajouter le Seder Olam dont un manuscrit porte la leçon H.IZ'Ii 12, au lieu de
l'habituel K2l"n3 "Q (cf. Schiirer, Gesch. d. Jiid. Volkes, i, 670).

(3) 11 devait aussi probablement penser à certains passages spécieux de l'Apocalypse où


l'on saisit encore un rellet d(! la prophétie de Balaam et qui viennent jeter sur cette
conception du Messie une lumière oblique, fortement teintée encore de judaïsme « Voici :

ce que dit le fils de Dieu... Il gouvernera (les nations) avec un sceptre de fer... et je lui
donnerai Vétoile du envoyé mon ange... Je suis (do) la racine
matin... Moi, Jésus, j'ai et
(de) la race de David, Vétoile brillante du matin » (.A^pocalypse, 2 18, 27-28; 22 16). : :

REVUE BIBLIQUE 1920. T. XXIX. — 35


\m REVUE BIBLIQUE.

La trace dune notion analogue, résultat peut-être, d'ailleurs, de


rapprochements d'origine suspecte, se retrouve sur le tard dans la
mythologie de certains peuples sémitiques, témoin le cas du Kronos
phénicien immolant son fils unique [).c^^o-;vn,ç (i), et encore le cas du
grand dieu nabatéen Dusarès qui, lui aussi, était, au dire de saint
Epiphane, un ;j.:/cy£v/;ç -su zz77:z-o\j, un fils unique du Seigneur,
né d'une vierge (2).
Mais chez les Juifs, rien de pareil n'existe, et n'a pu exister, car cette
conception d'un Messie fils de Dieu, fùt-il fils unique, est essentielle-
meut contraire au principe même ne faut donc
de leur religion. Il

pas que ce mot de iJ.:vcY£vv^ç, appliqué par à Barcoché-


le Syncelle

bas, nous fasse illusion; n'en (Jéplaise à Renan et à ceux qui incli-
nent avec lui vers cette façon de voir, il ne contient sûrement à
aucun degré une idée messianique (3).

IV

De son côté, M. Théodore Reinach a été amené jadis à toucher


incidemment à cette question dans son traité sur les monnaies juives,
à propos des pièces d'argent et de bronze frappées au nom de Simon
pendant la seconde révolte, sous Hadrien. Il le fait en ces termes (i) :

Barcochébas paraît avoir été dictateur absolu; il visait clairement à la royauté et,
comme son oncle, Eléazar, était originaire de Modéïii, patrie des Macchabées, il
n'est nullement impossible que Barcochébas rattachât son origine à la famille royale

des Asmonéens.

A quoi il ajoute en note (5) :

Dans le texte inintelligible de Syncelle (p. 660, 18 : Xoyegàç nç ô [Aovoysvriç tiyeîto),

il est possible que s,e cache le mot 'AaajiojvoyEvr,;, « descendant des Asmonéens ».

(1) Sanchon. Cosm. éd. Orelli. p. 42. Je reviendrai plus loin sur cette question (cf. i?i-

fra, p. 552).
(2) Saint Epiphane, Panarion, Haeres. 51. Bien entendu, le renseignement doit être
accueilli avec les plus extrêmes réserves, l'Intention évidente de l'auteur étant de trou-
ver à tout prix, sur ce terrain de la Nativité, un point de contact entre la rehgion chré-
tienne et les religions païennes.
(3) Un fait curieux, et que Renan semble avoir ignoré
— car autrement il aurait peut-être
essayé d'en tirer parti pour son hypothèse —
c'est que le mot [j.ovoY£vYiç a pénétré dans

l'hébreu talmudique sous sa forme hellénique exactement transcrite :D'!j'iinî2, mongènos;


nous verrons tout à l'heure dans quelles conditions, en même temps que j'aurai à revenir
sur la question du Kronos phénicien immolant son « fils unique ».
(4) Les monnaies
juives, 1888, pp. 56-57. L'auteur semble avoir été influencé par les
observations de J. Derenbourg (i'ASoi sur ihist. et la géogr. de la Pal., p. 424) qui as.socie
déjà à Barcochébas, mais sans aller aussi loin, le souvenir de Modein et des Macchabées.
(5) Op. c, p. 57, n. 1.
MELANGES. 347

On sait qu'entre temps, M. Reinach a changé complètement d'avis


sur certains points, quelques-uns essentiels, de sa thèse numismatique.
C'est ainsi, par exemple, que, dans la seconde édition de son traité,
publié en langue anglaise, une quinzaine d'années plus tard (1), il a
renoncé, avec raison, à attribuer, à l'encontre des idées généralement
reçues, à la première révolte juive, sous Titus, en l'an 70 de notre ère,
la série des beaux sicles d'argent à légendes hébraïques, frappés en
réalité sous lespremiers Asmonéens, c'est-à-dire près de deux siècles
auparavant. Quant à ce qui concerne le passage du Syncelle, il ne
semble pas avoir modifié sensiblement sa façon de voir. Tout au plus,
y a-t-il une légère nuance dans la façon, d'abord, dubitative « il —
est possible », puis, interrogative —
« is it possible? » (2) dont il

présente et représente sa conjecture. Il parait, d'ailleurs, y attacher


une certaine importance, parce qu'elle lui fournit un argument en
faveur de l'hypothèse que le nom àe Simon, figurant sur les sicles de
la seconde révolte, n'est autre que celui de Barcochéhas lui-même (3),
son nom véritable, indépendamment de ce qui n'était que son sur-
nom; ce nom, dit-il, « établissait un lien de plus entre notre
insurgé et son prototype, Simon Macchabée » (i).
Sans doute, la correction proposée pour le texte, évidemment fautif,
du Syncelle est ingénieuse et paléographiqnement assez admissible. On
pourrait môme invoquer à l'appui les expressions dont se sert Josèphe
[passim) pour désigner les Macchabées, autrement dit les Asmonéens
et leur race : 'A7a:;j,o)va':;r, r^ -.zXt 'A73:;j.ojva';j àp-//;, :•. 'A7a;j.ojva{cj rraîssç,

r, 'Ac7a;j.wva{o)v Yîvsi, Tb 'A7a;j.wvaiojv Néanmoins, je doute fort


ysvsç (5).
que le Syncelle ait pu employer ou, pour mieux dire, créer ce com-
posé savant, 'A!7a(j,(«)vcY£vr,ç, qui impliquerait une connaissance de
l'histoire et une possession des ressources de la langue assez surpre-
nantes chez ce médiocre compilateur du viii^ siècle. On pourrait, il
est vrai, répondre à cela qu'il a puisé son renseignement à une source
plus ancienne. Mais ces sources, nous les connaissons; nous venons
de les examiner, et nous n'y avons trouvé rien de pareil, ou même
d'approchant.

(1) Jeuish coins, London, 1903, p. 12, n. 1.

(2) Op. c, p. 50, n. 1.


(3) C'est l'opinion qui prévautaujourdhui; mais rien ne dit i[u'on ne reviendra pas
quelque jour à l'ancienne théorie de Saulry qui voulait idenlitier le Simon des monnaies,
qualifié de « prince [nasi] d'Israël », avec le patriarche Siméon lil, lils de Gamliel, dont
Barcochéhas avait dû reconnaître l'autorité. Cf. Derenbourg, op. c, p. 424.
(4) Les monnaies juives, p. 57.
(5) Cf., dans les documents juifs, les formes hébra'iques correspondantes : iJiaUJn
NJiourn C:! ou) ni2.
548 REVUE BIBLIQUE.

Tout bien considéré, il convient, je crois, d'écarter cette conjecture,


ainsi que telles autres auxquelles on pourrait être tenté de songer
dans le même
ordre d'idées; par exemple [!!'.] (oj)v;Yïvr,ç. voire : ;j, :

en supposant que le Syncelle, mieux informé


-(;j.o3v (ô) Yî'vs'., on ne —
voit guère comment il est vrai —
que les anciens auteurs copiés par lui,
aurait voulu dire « un certain Barcochébas qui, He son nom originel,
:

s'appelait Simon ». Voilà, certes, soit dit entre paranthèse, qui ferait
assez bien l'affaire des partisans de l'identité de Barcochébas et du
Simon des monnaies. Mais ce sont là des mirages auxquels il ne faut
pas se laisser prendre. L'expression (;) [j.ovoyîvo?, qui, d'autre part, n'a
sûrement rien à voir avec l'idée messianique, ne nous cache pas plus
le nom de Simon, que celui des Asmonéens. J'estime, quant à moi,

que le Syncelle, entièrement dépendant de ses devanciers sur ce


chapitre, n'en savait pas si long sur le compte de Barcochébas. Ce
n'est pas au dehors, dans telle ou telle combinaison historique ou
même mythologique (1) plus ou moins spécieuse qu'on peut espérer
trouver les éléments de la solution.

Si — comme semble plus que probable


cela la leçon en litige —
est fautive, c'estdans une tout autre direction qu'il faut, à mon avis,
chercher un amendement, en s'astreignant à rester dans les limites
étroites que nous tracent eux-mêmes les textes en jeu et en ne
faisant entrer en ligne de compte que les seules données qu'ils nous
fournissent et, du même coup, nous imposent.
En examinant de près le texte du Syncelle, on constate, abstraction
faitedu sens quel qu'il soit, que l'expression 5 |j.cvoycvy)ç est engagée
dans une construction grammaticale d'allure très suspecte; on ne
s'explique guère l'intervention de l'article ô, après les mots Xc-/365tç

Ti; : « un monogénès ». Cette considération


certain Barcochébas, le
m'engage à voir dans cet omicron, non pas l'article, mais une lettre
radicale faisant partie intégrante du groupe ;xovcyïvyiç. Naturellement,

(I) Je ne crois pas, par exemple, qu'il y ail lieu de s'arrêter à la resUtution ô ixovoycv/);
en ojpavùysvô;, qui est venue à l'esprit de mou savant confri-re M. Homolle à la suite de
la lecture de ce mémoire faite à l'Académie. Elle lui a été suggérée par l'expression
métaphorique d'Aristôn que nous avons rencontrée plus haut : wç... 1% oypavoO (pw(7Ty)p

...xaTE/ri/jôw;, expression visiblement inspirée de la prophétie de Balaam. Celte conjec-


ture ingénieuse tendrait à présenter Barcochébas comme « fils du ciel », ce qui nous jet-
terait en pleine mythologie transcendante. Sans parler des difficultés paléographiques^
elle me paraît singulièrement forcer la noie et jurer avec la façon quelque peu dédaigneuse
dont le personnage est introduit dans la phrase du Syncelle : « un certain Barcochébas ».
MÉLANGES. 549

le mot ne donnerait aucun sens; mais c'est en m'appuyant


:;7.:vcY£vr,;

sur cette base étroite,que je propose une correction très simple,


d'ordre paléographique soit 5;j,:',cYsvf,r, soit même :;x:y£V(^ç. Nous
:

obtenons ainsi un mot parfaitement connu, offrant un sens très


plausible en soi « qui est de même race ».
:

De plus, il que ce soit le Syncelle


est assez en situation. L'auteur —
ou la source où —
semble avoir voulu dire que le chef
il puise
de l'insurrection juive était juif lui-même. A première vue, on
trouvera peut-être que cette indication était superflue et que la
chose allait de soi. Il convient d'observer toutefois que l'auteur
met en regard l'un de l'autre, dans sa phrase d'un c6té, Tinnius :

(Tincius; Rufus, commandant de la Judée, chargé de combattre les


Juifs; de l'autre côté, Barcochébas commandant l'insurrection des
Juifs. La répétition du mot r,-;v-z dans chacun des deux: membres
de phrase, présentait les adversaires sur le même plan, et l'on a
pu éprouver le besoin de spécifier nettement la nationalité du
second par opposition à celle du premier; cela revenait à dire :

« les Romains étaient commandés par Tineius Rufus; les Juifs étaient
commandés par Barcochébas, Juif lui-même — par un des leurs ».

Historiquement la chose s'expliquerait bien. Les chrétiens de


Palestine visés ici étaient à cette époque des chrétiens de fraîche
date, des judéo-chrétiens; comme tels, leurs congénères, restés
fidèles à la religion nationale, les considéraient et les traitaient
comme des renégats, et aussi comme des traîtres refusant de répondre
à l'appel de la patrie. Justin insiste, nous l'avons vu, d'une façon
significative sur cette attitude impitoyable de Barcochébas vis-à-vis
de ses ex-coreligionnaires convertis au christianisme. Il ne faut pas
oublier que Justin est la principale autorité en la matière. Originaire
de Sichem-Neapolis,peut-être bien par conséquent d'extraction
samaritaine contemporain des événements, il avait pu sinon
(1], et
les voir de ses yeux, du moins les connaître par les récits de ceux
qui en avaient été témoins. En relisant le passage où il en parle,
je ne puis m'empêcher d'être frappé du fait que le mot de Xpi^T-xv^jç
est immédiatement suivi du mot y.ôvur. Sans doute, la phrase ainsi

présentée semble bien vouloir dire matériellement que Barcochébas


persécutait les chrétiens, et les chrétiens seuls (-2); mais on ne com-

(1) A en croire le pseudo-Z.ii'/'e de Josué (cb. 48), les Samaritains eux-mêmes, malgré
leur inimitié séculaire, auraient embrassé la cause des Juifs révoltés. La chose ne laisse
pas d'être surprenante et 11 faudrait, pour l'admettre, quelque témoignage moins sujet à
caution.
(2) C'est ce que fait ressortir avec insistance la traduction de M. Pautigny.
RoO REVUE BIBLIQUE.

prend pas très bien la raison de ce traitement exclusif qui impli-


querait l'existence d'autres catégories de personnes qui, elles, auraient
pu être épargnées. Aussi me demandé-je si, par hasard, ce mot
[j.ivcjç, tant soit peu surprenant, n'aurait pas été substitué indûment
à une leçon primitive z\).z-;v)i<.z^ laquelle a avec lui quelques vagues
analogies graphiques ayant pu prêter à la confusion. Le mot se
trouverait alors, dans le texte même de Justin, à la place requise et
avec le sens réclamé par les conditions historiques. Dans ce cas,
l'hypothèse d'un déplacement du mot serait a fortiori applicable au
texte du Syncelle dépendant de celui de Justin. Ramenée à la forme
de Faccusatif pluriel z'^.z-(vnXc^ l'épithète serait à transférer de la
:

première phrase à la seconde; elle se rapporterait non plus à Barco-


chébas, mais aux judéo-chrétiens martyrisés par lui pour n'avoir pas
voulu prendre part à la lutte contre les Romains. A ce compte, le
passage du Syncelle serait à rétablir ainsi pour les parties opérées :

Xc-/£55i; T'.ç r,YsTTs... z'j-.zc Xpij-'.avoj; b'^.o^(ivv.^ t.zwSkiùç èTi|j-wpr,aa-:...

C'est, bien entendu, sous toutes réserves que je risque cette dernière
conjecture, au sort de laquelle, d'ailleurs, n'est pas nécessairement
lié celui de la première, consistant à corriger simplement le mot sur
place, sans toucher à son état grammatical. Elle entraînerait natu-
rellement cette conséquence, c'est que l'altération du texte primitif
de Justin, source du passage du Syncelle, se serait produite de très
bonne heure, puisqu'elle est attestée par la reproduction qu'Eusèbe
donne de celui-ci et par la traduction de Rufîn [christianos soles).

VI

J'ai parlé incidemment plus haut (p. 54-6) d'une particularité dont

on ne semble pas jusqu'ici avoir fait état, c'est que le mot y-ovov^vv-ç,
sur lequel roule en majeure partie cette élude, a pénétré directement,
sous sa forme hellénique même, dans l'hébreu post-biblique. Tout
en signalant la chose, je m'empresse d'ajouter qu'il serait vain de
vouloir tirer de là argument en faveur du maintien de la leçon fau-
tive du texte du Syncelle et de l'explication de l'épithète appliquée
telle quelle à Barcochébas. Toutefois l'unique passage talmu-
dique (1) dans lequel apparaît ce mot soulève une question subsi-
diaire assez curieuse; il mérite, à ce titre, d'être examiné d'un peu
près. Voici, en substance, ce qu'on y lit. Le fils d'un roi s'étant rendu

(1) Pesikta rabbali, c. 10, p. 38^ On trouvera le passage, reproduit dans ses parties
essentielles, dans le Neuhebr. W. de Levy, t. III, p. 51.
MÉLANGES. Sbl

coupable envers son père, celui-ci donna l'ordre de lui couper la


tête. Au moment où bourreaux allaient procéder à l'exécution, le
les
précepteur (j'j-is =
r.x'.zx';M-^'b:) du prince intervint et dit au roi :

((Mon Seigneur, vas-tu vraiment faire mourir ton enfant! N'est-il pas
ton fils unique? (i:u3r2, \j.z'>o-;vn^z). » Le roi lui ayant répondu
qu'il ne pouvait pas revenir sur l'ordre ''oionSp -/.rAsujtç) tel qu'il =
l'avait formulé, le précepteur lui indiqua le moyen de s'en tirer,
sans avoir l'air de se rétracter, en jouant sur le sens (1) des expres-
sions qu'il avait employées. Le narrateur ne nous dit pas si le roi usa
de Téchappatoire (2).
Ainsi que tant d'autres légendes midrachiques et agadiques, ce
considéré en soi, semble a priori n'avoir
récit, d'allure assez niaise,
ni queue ni tête. Toutefois une chose est à en retenir, c'est l'emploi
de deux autres mots grecs, en dehors de celui qui nous intéresse,
à savoir TraiGay^'^ï^? ^t x,£Acjj'.ç. Ce sont autant d'indices trahissant,
avec les mots mêmes qu'elle charrie, une dérivation de quelque
source grecque; y a là comme une marque d'origine. L'époque
il

tardive — ix' siècle —


attribuée généralement à la rédaction de cette
Pesikta me parait autoriser cette induction. Cela posé, on est amené
à se demander thème du roi voulant mettre à mort son fils
si le
unique ne serait pas lui-même, abstraction faite de tel ou tel détail
accessoire, emprunté de toutes pièces à cette source grecque. C'est ce
que je voudrais essayer de rechercher en me servant précisément
de notre mot caractéristique [j.zvz-;vrr,q comme de fil conducteur ou,
pour mieux dire, de mot de passe.
Nous retrouvons ce mot employé dans une prétendue légende
phénicienne qui nous est parvenue, à des états divers, par une
série d'intermédiaires, d'ailleurs tous fort sujets à caution : Ensèbe,
Porphyre, Philon de Byblos, l'hypothétique Tabion et le pseudo-

(1) Le roi avait commandé ly,^Kl UN IXU/*, littéralement « enlevez-lui la tête ». Le


:

« pédagogue », jouant sur le double sens du verbe Nw*;: « enlever » et « élever », suggéra
au roi, esclave de sa parole, d' « élever la tête de son fils », c'est-à-dire d'augmenter ses
dignités.
Le jeu de mots semble s'être inspiré de la Genèse (40 18 et 19), oii la même expres-
.-

sion, qui a en plus le sens d' « élargir, mettre en liberté », est employée dans l'bistoire
des deux eunuques de Pharaon, le grand échanson et le grand panetier, auxquels Joseph,
leur compagnon de caplivilé, interprétant leurs songes respectifs, prédit des sorts bien
différents, favorable pour le premier, tragique pour le second. Cela rappelle quehiue peu,
comme l'a déjà opportunément remarqué Gesenius, l'expression équivoque visant le jeune
Auguste « adolescenfem (oUendum » (Cicéron, Ed. ad div., 11, 20).
:

(2) Échappatoire à laquelle on pourrait probablement trouver des pendants dans le folk-
lore à propos, par exemple, de quelque vœu inconsidéré, de quelque ordre donné à la
légère, de l'interprétation de quelque oracle de teneur équivoque, etc.
552 revi:e biblique.

Sanchoniathon. Celte légende me paraît offrir avec le récit de la


Pesikta certains points de contact, pour la forme comme pour le
fond.
A trois reprises, les fragments rattachés plus ou moins directement
au nom de Sanchoniathon (1) nous montrent le Kronos phénicien

Ilos, ou El, — roi du pays, selon la conception evhémérique, immo-
lant son propre fils, son fils unique, [j.zvzye^rqq.

A) Dans premier passage il s'agit de son fils appelé Sadidos, que


le

Kronos tua de sa main à cause des soupçons qu'il avait contre lui,
préludant ainsi à la mise à mort de sa fille à qui, peu après, il coupe
la tète, à la grande stupéfaction des autres dieux ses alliés les Kronioi
ou Elo'ùn. Là, il est vrai, il n'est pas dit que la victime était le fils
unique de Kronos, mais le rapprochement avec les deux autres pas-
sages (B et C) ne laisse guère de doute à cet égard (2).
B) Dans le second passage, nous voyons notre même Kronos, à
l'occasion d'une peste et autre calamité, offrir en holocauste à son
père Ouranos (3), son propre fils unique, t'iv ï-rj-zX) [j.o^/c';t^if, u-sv, qui,
cette fois, n'est pas nommé, mais est, en revanche, expressément
qualifié. Non content de ce sacrifice, Kronos se circoncit et oblige
ses <' alliés » à en faire autant.
Dans le troisième passage, qui, au dire d'Eusèbe, semble appar-
C)
tenir en propre à Porphyre, le thème est plus développé, avec
l'adjonction de détails qui impriment à la légende une physionomie
particulière. Après avoir rappelé qu'autrefois, dans les grandes
calamités publiques, pour conjurer le péril national, les principaux
personnages du peuple avaient coutume d'immoler solennellement
comme victimes expiatoires leurs enfants les plus chers (4), l'auteur,
ayant visé sûrement pratiques bien connues des Carthaginois,
les
poursuit ainsi or donc, Kronos, que les Phéniciens appellent El (5),
:

roi du pays, divinisé plus tard, après sa mort, comme astre de

(1) Sanchoniathonis fragm. éd. Orelli, [ip. 30 (A), 36 (B), et 42 (C).


(2) Je soupçonne même que le prétendu nom Zioiooc, qu'on a proposé d'expliquer de
mainte façon, n'est autre chose qu'une transcription déformée du mot T'n'', « unique »,
jiovoYîvo;. C'est ce qui me parait résulter de la comparaison, terme à terme, de l'expres-
sion Kpovo; uîôv î/jù'/ SàSioov, dans notre passage A, avec celle du passage C Kpôvo; :

ylbv I-/WV novoyevfi, où ce fils unique est qualifié de 'hoûô, nom visant incontestablemenl
TTlV La leçon de A, si déformée qu'elle soit, nous conserverait même la vocalisation
en /du mot en jeu. Voir à ce sujet l'observation présentée à propos du mot 'UaûB, infra
p. 553, n. 1 et n. 3.

(3) En expiation de la façon cruelle dont il l'avait traité en lui faisant subir une odieuse
mutilation.
(4) To rjYairriiAÉvov twv tsxvwv.
(5) "H>. Une leçon, peut-être tendancieuse, dit même 'Idpar,)..
MELANGES. ">o3

Saturne, avait eu, d'une nymphe indigène nommée Ânobret, un fils

unique, u-bv [acvoy^v?;, qu'à cause de cela on appelait 'h^jo (1), mot
encore employé, dit Fauteur, chez les Phéniciens dans le sens de
« fils uniqueLe pays se trouvant en grand danger par suite de la
)>.

guerre, Kronos, après avoir revêtu son fils des ornements royaux et
préparé un autel, y sacrifia celui-ci (2),
Quoi qu'on en ait dit, il est difficile de se refuser à voir, dans cette
légende ainsi présentée sous trois faces plus ou moins étendues, une
coloration juive assez accentuée. C'est ce qui ressort, si on les réunit
en faisceau, de certains traits caractéristiques, épars dans les trois
passages, A, B, C les « alliés » de Kronos appelés EX:£'.;x, les Eluhim:
:

la circoncision que Kronos pratique sur lui-même et sur ses alliés


après avoir offert en holocauste son fils unique deux actes qui —
répondent à ceux d'Abraham se circoncisant lui-même et circoncisant
tous les mâles de sa smala, puis procédant au sacrifice d'isaac, son
fils unique, sacrifice miraculeusement interrompu; Kronos, le roi du

pays, appelé Israël (variante de A) par les « Phéniciens » ; son fils

unique appelé 'hcôs, mot qui, aujourd'hui encore, aurait ce sens


chez lesdits « Phéniciens » (3).

(Il Var. 'leSo'JÔ, 'Ipov5, 'Ieoûô.


(2) Lacle lui-même, abstraction faite de la personnalité des acteurs, se présente, comme
on l'a déj.à remarqué, dans des conditions comparables à celle de l'épisode de Mésa, roi de
Moab, qui, réduit à la dernière extrémité par l'armée Israélite, prend son fils, non pas
unique, mais premier-né {1122, TipwTÔTcxoç), et héritier présomptif, et l'oflre en holocauste
sur la muraille.
(3) On est généralement d'accord pour reconnaifre dans 'l£oj5 un essai de transcription de
l'hébreu iTi'', « unique », avec une variation vocalique qu'il faudrait alors considérer

comme propre au phénicien —


si tant est que ce soit bien de phénicien qu'il s'agit, et

non pas simplement d'hébreu ordinaire. On s'est demandé si le rédacteur n'a pas essayé
de faire jouer en même temps une étymologie populaire rapprochant le mot du nom spéci-
fique nn\ YehoucL qui désigne les Juifs in globo.
Il est à noter à ce propos que la version des Septante évite de traduire, dans le passage

correspondant de la Gené.se (22 2), l'épithète de "îTlV fiU uiw/ue, donnée à Isaac par le
:

texte hébraïque: elle se borne à paraphraser l'expression PiriN I^TX, tov àyaTiriTÔv ov
:

riyânrj'ja; « ton fils bien-aimé que tu chérissais ». Il semble même que ce ne soit pas

une simple paraphrase, mais bien une traduction littérale, le traducteur ayant, soit par
inadvertance, soit à dessein, substitué le mot T''T' bien-aimé » au mot similaire iTl^
^'

« unique ». Voilà qui pourrait peut-être, soit dit en |iassant, contribuer à éclaircir l'ori-

gine de ce nom énigmatique de laSiSoç donné au fils de Kronos dans le passage A (cf. supra,
p. 552, n. 2). Quoi qu'il en soit, voulue ou non, l'omission des Septante est d'autant plus
remarquable qu'ailleurs, —
par exemple dans le cas de la fille de Jephié 'Juge, 11 .34) :

les Septante rendent normalement la forme féminine m'^ri'' par [j.ovoyîvt5;. La chose
tient peut-être à un excès de scrupule, les traducteurs ayant pensé qu'Isaac ne pouvait
être valablement qualifié de « fils unique » attendu qu il était le puîné d Ismael. .V ce
point de vue, la tradition musulmane est quelque peu dans le vrai quand elle fait d Ismael,

et non d'isaac, la victime réclamée par Dieu. En tout cas, Joséphe n'a pas été arrêté par
cette considération et, se conformant au texte hébraïque reçu, il dit sans ambages (^n^i^.
S34 REVUE BIBLIQUE.

Sans doute on ne saurait prétendre rattacher directement le conte


agadique aux passages grecs que je viens de citer; mais il n'est peut-
êfre pas trop téméraire de supposer que cette version écourtée
dérive de quelque intermédiaire grec qui en contenait la substance
réduite déjà à sa plus simple expression (1). Ces passages semblant
être eux-mêmes déjà sensiblement imprégnés de judaïsme, nous
aurions alors atfaire à l'un de ces chocs en retour assez fréquents
dans la transmission des légendes et des mythes (2).
Il y aurait certes encore beaucoup à dire sur cette question très

controversée de l'empreinte judaïque que nombre de bons esprits


ont cru reconnaître dans le pseudo-Sanchoniathon et que d'autres
ont voulu nier. La solution dépend en grande partie de l'identité de
la mère du fils unique deKronos, cette mystérieuse « nymphe (3) indi-

gène » répondant au nom énigmatique de AvojcpsT, dont on n'a pas


encore réussi à trouver ^origine étymologique. Aux multiples conjec-
tures, plusou moins ingénieuses, mises en avant jusqu'ici {'*) on pour-
rait en ajouter d'autres. Mais c'est là un sujet dont la discussion
m'entraînerait trop loin aujourd'hui; j'espère pouvoir y revenir à

JucL, I, 13 ; l)qu'Isaac était le y.o^oyzvfi^ d'Abraliam; de même, Aquila; Symmaque a dans


un cas (v. 2) [iiôvov go-j, dans l'antre (v. 12) (iovoYevoûç ; S a jxovayév.
(1) La légende agadique a pu même retenir tel détail caractéristique sous une forme
inattendue. Par exemple, le rôle du « pédagogue » intervenant auprès du roi fait songer

quelque peu à celui de l'Hermès Irismégiste, a-!j\L6o-Ao:, jîoy)96; et ypx\j.u.%-vj', de Kronos,


selon le pseudo-Sanchoniathon qui, d'autre part, l'identifie avec le Thot égyptien faisant
fonction d'éducateur.
(2) Nous avons encore un autre ixovoyevvîç fabuleux — Mujijli; — lils de TauÔe et de
kn<x(T(ùv, chez les Babyloniens (Damascius, éd. Ruelle, I, p. 322); mais là, il n'est pas
question d'immolation.
(3) Pour ce qui est du qualificatif de vuul?/] donné à Anobret, il a suggéré à quelques-uns
l'idée qu'il s agirait d'une divinité, spécifiquement phénicienne, présidant à une source, et
que la première syllabe du mot, Av, serait la transcription de "i'^'J « source ». La chose
est bien douteuse. Sans prélendre tirer parti du fait en 1 espèce, je constate, ne fût-ce qu'à
titre que par une coïncidence fortuite. Sarah apparaît dans la version des
de curiosité,
Septante (Genèse 11 31) comme une nymphe : Sàpav xfjv vû|j.cfYiv a-jTOj; mais je me bâte
:

d'ajouter que le mot est pris ici dans son sens fréquent de « belle-fille », Sarah, femme
et derni-sceur d'Abraham, étant la belle-fille — en môme temps que la fille de Terah. —
Même cas pour la Sarah homonyme, femme du jeune Tobie et vûiJ.;;r„ elle aussi, de Tobie
le père (Tobie, U : 16; 12 : 14).

(4) Cf. Bodiart, Gesenius, Renan, Baudissin, et autres. On s'est peut-être trop exclusi-
vement cantonné sur le terrain séinilique. Qui sait s'il n'y aurait pas quelque chose à tirer
de l'Egypte, où nous reportent plusieurs incidents de la légende d'Abraham, et aussi le

début du passage de Porphyre relatant celle de son Kronos équivalent (Tâa-jToi;. ov Al-
YJTiTioi 0(o6, etc.V? Pourrait-on risquer quelque rapprochement avec les mots noivrou,
•< beauté, bonté », nouert. « jeune fille », Novert, n. pr. de la reine, femme de Ouser-
tesen II, etc.? La beauté célèbre de Sarah, beauté qui faillit coûter cher au patriarche,
aurait pu lui valoir, dans l'adaptation égyptienne, cette dénomination : ha-no'b)ret,
« La Belle ».
MELANGES. Moo

une autre occasion. .Je me contenterai de dire que, si le pseudo-San-


choniathon nous donne, sous une forme condensée, une transposition
mythologique de l'histoire d'Abraham, il s'ensuivrait que sous le nom
de Avoj6p£t peut se cacher la personnalité de Sarah (1), désignée peut-
être par quelque épithète pour laquelle on a l'embarras du choix,
épithète caractérisant son origine, sa condition, quelque incident de
son histoire, etc.
Clermont-Ganneau.

II

MARC SOCRCE DES ACTES?


CH. 1-XV

Depuis que Kônigsmann (2) a posé en 1798 la question des sources


des Actes, on a lancé à ce sujet bien des hypothèses dont le relevé
a été publié plusieurs fois (3).
Au milieu des divergences de ces opinions multiples, un accord
semble s'être fait pour reconnaître dans les chapitres i-xv l'existence
d'une source judaïsante.
Zahn (i), qui prétend qu'aucune de ces identifications de sources
n'a atteint un degré suffisant de vraisemblance, admet cependant que
le style des chapitres i-xii est plus hébraïsant que celui des ch. xiii-
XXVIII ; il explique ce caractère particulier des premiers chapitres
par le fait que Luc tenait ces récits de Judéo-chrétiens et de témoins
qui avaient séjourné en Palestine et qu'il eut assez de bon goût pour
leur laisser leur saveur locale.
Harnack (5) distingue plusieurs documents, mais A qui contient
la plus grande partie de ces chapitres représenterait une tradition
hiérosolymitaine-césaréenne s'intéressant spécialement à Pierre et
à Philippe (Petrus-Philippus-Quelle). Le second document par ordre

(1) Voire, à la rigueur, de Agar, si, chose bien peu probable du reste, la légende avait
déjà subi la déviation qui apparaît dans la tradition arabe et dont j'ai parlé plus haut
(p. 553, n. 3).

(2) Kônigsmann. Prolusio de fontibus com. sacr. qui Lucae nomen praeferunt, Altona,
1798.
(3) Cfr. Bludeau, Die QueUenscfieidungen in der Apostelgeschichie. Biblische Zeits-
chrift, Fribourg-en-Brisgau, 1907, p. 166-189, 258-281, et Jacquier, Histoire des Livres
du Nouvemi Testament, Paris, Gabalda, 1908, t. III, p. 64 sv.
(4) Th. Zahn, Einleitung in das IV. T., t. II, Leipzig, Deichert, 1907, p. 420-421.
(5) A. Harnack, Die Apostelgeschichte, Leipzig, Hinrich, 1908, p. 131-198.
556 REVUE BIBLIQUE.

d'importance dériverait d'une tradition antiochienne-hiérosoly mi-


taine.
Tout récemment encore, M. Torrey (1) afBrmait que, pour les
ch. i-xv la langue est mi grec de traduction et que partout aj)pa-
raissent des traces d'aramaïsmes facilement reconnaissables.
Que Luc ait disposé de sources écrites ou simplement orales, il a
dû, en tout cas, recourir à d'autres pour se documenter sur les faits
qui se déroulent jusqu'au moment où il prend place à côté de Paul
et relate des événements auxquels il a personnellement assisté.
Jacquier (2') fait très justement observer que « la plupart des
« récits même dans les douze premiers chapitres, sont racontés de
<' façon tellement vivante et précise, avec des détails si circonstanciés
« que l'on doit croire qu'ils proviennent de gens qui ont vécu ces
« événements ».

Plusieurs témoins qui connaissaient les débuts de l'Église de Jéru-


salem et la première diffusion de l'Évangile en Judée et Samarie
ont été en rapports avec Luc et ont pu le renseigner Pierre, Jacques, :

Silas, Mnason, Philippe, Marc.

Harnack insiste surtout sur le séjour que Luc fit à Césarée auprès
de Philippe (Actes xxi, 8) et croit que Luc doit beaucoup à ce dernier
de ce qu'il nous livre d'après la source A (3).
Mais parmi les acteurs qui ont participé intimement aux événe-
ments des ch. i-xv, il y a en premier plan Barnabe et son cousin Jean
surnommé Marc.
Lorsque Pierre emprisonné par Hérode est délivré par l'ange,
chez Marie mère de Jean qu'il se rend et qu'il retrouve la com-
c'est

munauté en prière Actes, ch. xii).


La scène de la servante Rhodé qui, surprise de reconnaître la voix
de l'Apôtre, court annoncer la bonne nouvelle aux frères et entre
temps laisse Pierre frapper à la porte, n'a évidemment aucune impor-
tance dans le développement du récit.Celui-ci doit émaner d'un
témoin qui se laisse aller au plaisir de raconter un détail qui l'aura
au moment même particulièrement frappé.
M. Harnack n'a pas échappé à cette impression et s'est naturelle-
ment demandé si le narrateur tout désigné de cette sc^ne n'était pas
31arc. Il ne se refuse pas à admettre cette hypothèse mais en limitant
strictement l'intervention de Marc à ce passage qui aurait été inséré

(1) C. C. ToRKEv, The composition and date of Acts [Harvard Theological Studies],
72 p. Cf. Revue biblique, 1917, p. 300 st.
(2) Jacqoier, op. cit., p. 65.

(3) Apostelgeschichte, p. 150-152.


MÉLANGES. Ko7

dans une source d'une autre provenance, il estime que dans le reste
de ce document aucun trait ne rappelle Marc et il préfère en attri-
buer la paternité à Philippe (ly.
Il ne me parait pas qu'il y ait des raisons de penser à Philippe
plutôt qu'à Marc et je crains bien que le motif qui a poussé M. Har-
nack à préférer Philippe ne soit le désir de trouver plus de facilité
pour expliquer naturellement le surnaturel qui apparaît partout dans
ce document. Comme il est dit ch. xxi, 9 que les quatre filles de
Philippe avaient le don de prophétie, il est é\T.demment plus aisé à
M. H. de présenter les faits et les interventions surnaturelles comme
des déformations imposées aux événements racontés par l'esprit
pneumatique et les transports d'enthousiasme prophétique qui
devaient être dans l'atmosphère de cette famille.
Mais si Ton reconnaît Marc comme auteur des premiers récits des
Actes, ceux-ci en acquièrent une autorité plus grande et les critiques
qui considèrent les miracles comme impossibles sont fort en peine
d'expliquer que Marc en raconte comme des faits réels, lui qui cepen-
nant a pu y assister. Le témoignage de Marc est pour l'exégèse
rationaliste plus encombrant que celui de Luc. A propos de l'histo-
ricité du récit de l'Ascension, voici ce qu'écrit M. Harnack (2) « Das :

Problem, um w elches es sien hier handelt, ist geringfûgig gegentiber


dem Markus Problem, d. h. gegentiber dem Problem, wie sich in

unter den Augen


der Augenzeugen. »

Je me demande en vain pourquoi faire cette distinction dans le


document A entre le ch. xii et les autres récits de la source A. Rien
dans le texte ne suggère cette dissection arbitraire. Si Marc a écrit
la scène de Rhodé, pourquoi ne serait-il pas également le rédacteur
primitif de toute cettesource d'aspect araméen que Luc aurait
employée au cours des quinze premiers chapitres des Actes?
Plus je retourne cette hypothèse, plus elle m'apparaît satisfaisante
etde nature à donner une heureuse solution à ce problème, quels
que soient les aspects sous lesquels on l'examine.
Mais tout d'abord, il convient de poser une question de méthode
qui a son importance.
Allons-nous considérer comme un bloc cohérent les ch. i-xv, les
parcourir du même regard et y faire indifféremment la cueillette

(Ij ApostelgeschicJite, p. 151.


(2) Ibidem, p. 128.
338 REVUE BIBLIQl'E.

des inrlices qui paraissent rappeler Jean Marc? Ce serait supposer


résolu un problème fort débattu.
D'autre part si nous admettons la multiplicité des sources, comment
les répartir? Combien y en aurait-il eu? Où commencent-elles, où
finissent-elles?
Nous pouvons fort bien adopter comme base de notre enquête la
théorie de B. ^Yeiss qui admet dans les ch. i-xv une seule source
(1)

que le rédacteur aurait de-ci, de-là remaniée, et rechercher s'il n'y


a pas lieu de mettre le nom de Marc sur ce document. Nous serions
d'autant plus autorisé à prendre comme point de départ cette théorie,
que c'est la seule qui, d'après M. Harnack (2), mérite quelque consi-
dération.
Mais nous pourrions nous accommoder presque aussi bien de l'hy-
pothèse de M. H. qui distingue diverses traditions et borner notre
examen aux sections qu'il attribue à la source A (Petrus-Philippus-
Quelle) en y joignant cependant les ch. i, ii et xv.
Le seul principe que M. H. accepte pour la répartition des sources
des Actes, c'est la diversité des traditions manifestée par la diversité
des théâtres et des acteurs.
Ce principe est loin d'être évident et il est bien hasardeux de
décider à dix-neuf siècles de distance que Luc n'a pas pu être informé
par la même tradition au sujet de faits qui se sont déroulés en des
lieux variés et dont les acteurs sont difTérents; si l'on appliquait
cette méthode un peu rigoureusement, dans quel document ne
découvrirait-on pas de sources?
De plus, en admettant par hypothèse ce critère de répartition,
ilnous semble que M. H. l'oublie lui-même et manque de consé-
quence lorsqu'il écarte de la source A les ch. i, ii et xv.
En effet, dans les ch. i et ii, les faits ont l'aspect aussi hiérosolymi-
tain que dans les autres sections attribuées à la source A. Le théâtre
est le même Jérusalem; c'est Pierre qui a le premier rôle, parle et
:

et agit au nom des autres. C'est donc gratuitement que M. H. écarte


de la source A les chapitres i et ii.
De même pour le ch. xv le concile est raconté non pas d'un point
:

de vue antiochien ou paulinien mais d'un point de vue hiérosoly-


mitain et pétrinien.
Il y est évidemment question de Paul et de sa prédication, mais
Paul n'y parle pas, n'y agit pas; on dit simplement de lui v. i :

3" Aufl., Berlin, 1897.


(1) Einleitung in das N. T.
(2) Lukas der Artz, Leipzig, Hinrichs, 1906, p. 75.
MELANGES. 559

àtvrjYYc'./Jv -z zzy. b ^izz àzî'/f,-sv i^et' ajTwv et au V. 30 : y.xr/j/JJcv î-;

AvT'.iyîiav xai ajvaYXYÎvTî; Tb -"avjOc; s7:Éooj/,av tyjv l7:i7To).r,v. Si le récit


avait été rédigé au point de vue d'Antioche, on s'attendrait plutôt
à trouver l'exposé développé des incidents du concile au moment
où Paul rejoint Antioche. C'est ainsi que la chose se passe pour Pierre
au ch. x; lorsqu "après la conversion de Corneille il revient à Jéru-
salem, y fait naturellement un récit détaillé de ce qui lui est
il

arrivé. Si la tradition du ch. xv dérivait d'Antioche, Paul aurait dû


être présenté lors de son retour comme racontant au moins en
résumé les incidents de sa ndssion.
lui-même nous fournit des motifs de séparer le
D'ailleurs, le texte
ch. XV de ceux qui l'entourent.
Au ch. XIII commence le récit des voyages apostoliques de Paul,
le ch. XV, 36 continue très naturellement le ch. xiv, 28, mais entre
le ch. XV, 35 et les versets suivants il y a une lézarde très apparente.
En nous lisons au ch. xv, 32-33 que Judas et Silas après la
effet,

clôture du concile à Antioche « retournèrent vers ceux qui les avaient


envoyés » donc à Jérusalem. Le récit se continue sur la même scène
(Antioche) et après un intervalle de cinq versets, le narrateur nous
dit que Paul se mit en route après avoir choisi Silas qui semble donc
être resté à Antioche et non pas remonté vers Jérusalem.
Dès les premiers siècles, cette incohérence du texte fut remarquée, y.

et 3 introduisit un leçon harmonisante : îlzzvt zï -ùi 1.ikx kzv^.ivrM.

y.-j-z\)^ \).bvoz lï 'lijoar s-opejO-^.

Cette leçon 3 est manifestement une adaptation et n'est pas pri-


mitive, car dans ce cas on ne s'expliquerait pas l'origine du texte y.,

tandis que l'inverse est tout naturel.


La fin du récit du concile cadre mal avec ce qui suit, les versets
1-35 du ch. XV sont donc très vraisemblablement un emprunt à une
autre source et dans cette hypothèse, la source est tout indiquée :

c'est A dans laquelle nous retrouvons les mêmes caractéristiques,


notamment la même attention apportée aux questions rituelles (cfr.

ch. x-xi>.
Wendt (1) qui estime qu'au ch. xiii commence une nouvelle source
en exclut cependant le ch. xv.
11 me paraît incontestable qu'il faille en tout cas rapprocher le

ch. XV des ch. i-xii.


Une autre raison de ne pas nous asservir préalablement à telle ou
telle théorie sur les sources des Actes, c'est que la combinaison de

(1) Wkndt, ApostelgeschiclUe, S" Àufl., Giitlingen, 1897.


S60 REVCE BIBLIQUE.

documents, si toutefois, on l'établit, a pu être faite déjà par l'auteur


que Luc aura utilisé ensuite.
Notons encore que les sections les plus suspectes d'avoir été inter-
calées dans un récit d'origine différente, notamment le ch. ix, 1-31;
XI, 19-30 nous servent très peu et que nous pouvons fort bien le

négliger sans que nos principaux arguments perdent leur valeur.


La plupart d'entre eux gardent leur force même dans l'hypothèse
de M. H. ils tendraient alors à établir que la source A au moins
;

dérive de saint Marc.


Nous faisons donc dans ce qui suit abstraction des discussions sur
la distributiondes sources dans les ch. i-xv et nous les considérons
provisoirement comme un bloc homogène.

I. INDICES EXTERNES.

1. Jean, surnommé Marc, était autorisé plus que personne pour


fournir à Luc les renseignements les plus exacts, les plus complets,
les plus circonstanciés sur les premières années de l'église naissante,
attendu que les assemblées des frères se tenaient chez sa mère; on
a également suggéré que c'était également chez elle qu'aurait eu lieu
la Gène et que Vjr.tpoizy où les disciples se réunirent après l'Ascen-
sion désignerait également sa maison. Pourquoi pas? La supposition
n'offre rien que de très vraisemblable.
Nous ne savons pas si Philippe a écrit quoi que ce soit, taudis que
Marc était un écrivain bien connu de saint Luc. D'après l'opinion
de beaucoup de critiques, lorsque ce dernier composa le troisième
évangile il transcrivit presque complètement celui de Marc; ils ont
vécu ensemble à Rome [Coloss. iv, 10, et 14; Philem. 2V), tandis
que le séjour de Luc chez Philippe fut probablement assez court,
peut-être une semaine écrit M. Harnack (1). Il est donc déjà haute-
ment vraisemblable que voulant rédiger un nouvel ouvrage, Luc
ait eu recours à la même source où il avait puisé si abondamment

pour son zpwToç Asycc.


de remarquer que les ch. i-xv ont Jérusalem comme
2. Il est aisé

axe et que les faits mentionnés se développent tellement autour de


la personne de Pierre qu'on a pu les appeler les \\py.zi\ç lléxpcj par
opposition aux llpàçsiç lîajAcu xvi-xxviii (Van IVJanen).
Il n'y a guère que l'un ou l'autre épisode, le martyre d'Etienne
et la conversion de Paul, qui fassent exception et où Pierre n'appa-

(1; Apostelgeschichte, p. 150.


MELANGES. 561

raisse pas; ainsi à propos de Télection de Matliias, nous avons un


discours de Pierre et le passage de Philippe à Samarie est encore
pour le narrateur l'occasion de signaler une visite de Pierre dans
cette ville.
On lit sans doute autre chose dans ces chapitres que des actes

et des discours du Prince des apôtres, mais cependant il eût été


difficile d'écrire l'histoire des origines de. l'Église d'une façon plus
pétrocentrique. Les autres apôtres, même lorsqu'ils sont personnelle-
ment désignés, par ex. Jean eh. iii-v, Jacques fils de Zébédée, ch. xii,
n'apparaissent guère que comme figurants et ne retiennent pas
longtemps l'attention. Seul Jacques le Mineur est présenté comme
jouant au concile de Jérusalem un rôle important.
Nous nous plaisons à voir Pierre mis ainsi en évidence dans
l'exercice de sa primauté, mais quelque prépondérant qu'ait été son
rôle, il n'a pas complètement supprimé celui des Onze. Que l'action
de ceux-ci apparaisse si peu et soit si réduite, c'est là un phénomène
qui ne peut guère s'expliquer que par un intérêt spécial que portait
à Pierre le rédacteur de ces récits.
Or nous savons par l'histoire que c'est Marc qui fut Vinterprète
de Pierre. La première tradition chrétienne est très catégorique sur
ce point.
Papias et les autres Pères apostoliques (1) ne mentionnent expres-
sément à l'actif littéraire de Marc qu'un évangile. Ce silence ne prouve
pas qu'il n'ait rien écrit d'autre. Même si les premiers chrétiens
savaient qu'il avait rédigé des « Mémoires sur Pierre », ils pouvaient
ne les trouver que d'importance secondaire en comparaison de
l'évangile. Les Actes, par exemple, étaient du temps de saint .Jean
Chrysostome beaucoup moins connus et répandus que les évan-
giles 2;.

Les textes de saint Irénée et de Clément d'Alexandrie sont du reste


assez généraux et peuvent très bien s'entendre de travaux de Marc
différents de son évangile. Voici celui de saint Irénée Mâc-/.;r : \j.%hrr :

~r,ç /.%'. kp[j:ç/i-J-r,: lUipzj axI y.^j-.zz -,y.'j-z Yli-zzj /.•/; p jtt; ;;.£va £---

Le témoignage de la première tradition sur Marc se ramène en


somme à ceci < Le disciple par excellence de Pierre
:
est Marc,
« c'est lui qui a pris soin de consigner par écrit sa prédication ».

(1. Voir leurs témoigaages rassemblés par le R. P. Lagraxge dans son Évangile selon
saint Marc, Paris, Gabalda, 1911, p. xx-xxv:i.
(2) Cf. S. Jean Chrysostome, Homélies sur les Actes I, 1, cilé par le P. V. Rose
Les Actes des Apôtres, Paris, Bloud, 1910, p. vr.
REVIE BIBLIOLE 1920. T. XXIX. — q,:
562 REVUE BIBLIQUE.

Et lorsque nous nous trouvons de fait devant un document ren-


fermant de nombreux discours de Pierre, le mettant partout en
évidence, nous narrant en détail ses faits et gestes, comme les ch. i-xv
des Actes, n'est-ce pas naturellement à Marc que nous devons songer
en tout premier lieu?

II. INDICES INTERNES. — A. Réels.

1. Que la finale du second évangile xvi, 9-20 émane d'un autre


auteur canonique, ou que Marc lui-même ait plus tard complété son
premier il semble bien, d'après la tradition manuscrite et
travail,
littéraire, que la rédaction primitive s'arrêtait après le v. 8, et dans
toutes les hypothèses, il reste également difficile d'expliquer cette fin
brusque et peu naturelle.
Cherchant à résoudre cette difficulté, voici ce qu'écrit le R. P. La-
grange (1) :

« Non, le V. 8 de Marc n'est pas la terminaison régulière d'un livre,

« On peut s'en rapporter là-dessus au jugement des anciens qui ne

« s'en sont pas tenus là, sauf dans trois manuscrits.

((La seule hypothèse admissible qui se place pour ainsi dire entre
« les deux autres, c'est que si Marc a vraiment terminé son livre
« au V. 8, il se proposait d'ajouter quelque chose et qu'il en a été

« empêché. Par quoi? Nous ne saurions le dire, et il est inutile

« d'imaginer des hypothèses, comme par exemple qu'il se proposait

« de faire de l'apparition de Jésus aux Apôtres le début d'un livre

« dans le genre des Actes .»

Mais de grâce, mon Père, si nous la faisions cette hypothèse si


naturelle Comme ceci, par exemple
! :

Marc qui, au témoignage de la tradition, a consigné par écrit la


prédication de Pierre, ne se serait pas contenté de rédiger ce qui
nous est resté dans son évangile, mais aurait d'abord publié d'après
l'enseignement de Pierre ce qui concernait la vie et la mort du Christ
avant sa glorification, réservant pour un second ouvrage la vie du
Christ glorieux, c'est-à-dire sa Résurrection, ses apparitions, son
Ascension, sa permanence dans l'Église par Tenvoi du Paraclet, etc.
-^'est ce second ouvrage qui aurait servi de source à Luc pour les
chapitres i-xv.
On s'explique alors très aisément qu'il ait omis dans son évangile
le récit de la Résurrection et de l'Ascension,

(1) Évangile selon saint Marc, p. 435.


MEL.A^NGES. 563

— Mais alors nous devrions trouver Résurrection racontée au la


début du second ouvrage?
— Aussi, dans forme primitive que Marc avait donnée à ce
la
dernier, la Résurrection se lisait-elle très probablement.
Toutefois, Luc qui l'avait déjà racontée dans son évangile, pouvait
parfaitement laisser de côté l'exposé qu'en faisait Marc et commencer
les Actes par le récit de l'Ascension, vu que c'était jusque-là qu'il
avait poussé son premier travail. Il ampute donc sa source, d'où son
embarras d'adapter la forme littéraire de son prologue à celle du
récit de Marc .

Il y a, en etfet, au v. ï un saut brusque du style indirect au style

direct qui s'explique très naturellement si le dernier rédacteur avait


sous les yeux un texte rédigé à la première personne.
2. On n'a peut-être pas assez remarqué jusqu'ici, que dès le début
des Actes, nous sommes reportés dans un cycle de pensées et de
préoccupations qui se retrouvent dans le second évangile. Dès les
premiers versets ch. i, 5, l'opposition est établie entre le baptême
de Jean et le baptême de l'Esprit.
L'évangile de Marc débute également par le récit du baptême de
Jean dont la prédication est résumée en ces termes 7. "Epyt-on b :

{(j'/ypb-îpzc ;j.C'J i-i70) ;j.O'j cj cr/, î'.;j.'i '.xzvôç xj'^xç Xyjat tcv îjjiâvTa twv b-ocr-
;aâ-u)V yjTCj. 8. 'Eyo) àcâ-Tisa -r^.xq JoaTi, xjzlc ck '^j.~-izv. Jixxç h ~vfj'^.OL-\

Or nous retrouvons le v. 8 dans les Actes i, 5 : 'liM'j.Tr^z [;.àv iix-v.GVi


•jcaT',, i)[J.v.q ce àv zvej;j,a-'. .'ix-TijQr.sssOc ây'w cj y.t~y. -cXÀàç Taûraç -/JiJiepaç.

Ce verset de Marc revient dans Mt. m, 11 et Luc m, 16, mais tous


deux, après le Saint-Esprit, font mention du feu h Tz-nriy-i ^y'-w •/.a'i

-jp-:, addition que nous ne lisons pas chez Marc pas plus que dans
les Actes.
Nous ne voudrions pas exagérer l'importance de cette particularité,
cependant on s'attendrait naturellement à retrouver dans les Actes
l'addition y.zî --jp'. puisque le rédacteur dans le récit de la Pentecôte
note que l'Esprit-Saint est apparu sous forme de langues de feu
'f/MGGX'. <1)7Û T.UpÔq (il, 3).

Le V. 7 de Marc revient également dans les Actes xiii, 25 : <.oob

'épye~x', ;j.îT è;j.è zj :>/. il[j.l xz'.o: ts \j-bor,[j.y. twv -zcCy^ aDt:/.'..

Aussitôt après l'annonce du baptême de l'Esprit, les Actes rap-


portent la réponse du Maiire à la question des disciples relative au
rétablissement du Royaume d'Israël r, 7 :

O-jy jy.wv £7T'.v 7V(ova'. ypi^^yjc r, v.x-.pz-j: z'ùq 5 -xrr,p sOstc h -f^ lâix
ico'jcix.
'Ô64 REVUE BIBLIQUE.

Dans les trois synoptiques et dans le reste du Nouveau Testament,


ux SEUL TEXTE rend le même son, c'est un verset que nous lisons
dans Marc et Matthieu, que Luc n'a pas repris :

Iltpl ce -f^q r,[jApy.q kvAvrqq r, -f^c oipxç oj$cI; zlov/, O'jSï si à'YYeXc. àv

ôupavw ojcè b 'Ab:, s'. \j.r, s -ny-r^p. Marc xiii, 32, cfr. Matth. xxiv, 36.
3. Les Actes mettent une insistance manifeste à signaler que les

premiers chrétiens continuaient à fréquenter le Temple et à venir


y prier (Actes ii. i6 m, 1 v, 12, 20-21, 25, i2).
; ;

Le même souci apparaît également chez Marc a) ch. xii, 35 xa- :

àr.oy.p'.bv.q b 'lr,70uç îl^yv) ccoicry.tov èv t w '.epw. Ni Matth. ni Luc qui

qui ont ici des textes parallèles ne localisent la scène.


b) ch. XIII, 1 y.x\ ïy.'KopvjO'^.v/o-J ocjtsj 4/. -oj '•
= poj, aévsi, ajTw slg twv
;j.x9y)-:wv ajTSj* B'.oâjy.aXs, ïos TCOTaTîo"; X(6oi y.x\ r.o-x-xl o'.v.ooo[j.x'..

Comme il s'agit d'introduire la prédiction de la destruction du


Temple, on doit s'attendre à retrouver la mention du Temple chez
Matth. et chez Luc qui tous deux rapportent la prédiction, mais avec
cette grande différence cependant que chez Luc la scène n'est pas
localisée: Luc ch. xxi, Sy.aiTivwv XsY^v'wv'âcpiTCJu UpsO.
c)De plus, après un verset d'intervalle, Marc revient sur le même
détail et note que, lorsqu'il fut interrogé par les Apôtres sur l'époque
où cette prédiction se réaliserait, Jésus était assis sur le mont des Oli-

viers, en face du Temple ibid. v. 3 /.al /.xOy;;x£vsj ajTsîi s'.ç -o Ipoz


:

Twv IXaiwv YM-éva^-i -ou Upo j, erJ^pM-x aÙTCv etc.


Luc omet toute cette note et Matth. n'en reprend que la première
partie.
d) Marc XIV, i9 y.xO r^'j.ipT» r^'vçi r.po:; '^[J.xz àv tw ?îpw 5ioajy.o)v, y.xl

ojy. kv.p'X-rflx-i \).i.

Cf. Matth. XXVI, 55 et Luc xxii, 53.


Il n'y a pas lieu de tenir compte de xiii, v. 1, vu que la mention du
Temple est appelée par le contexte. Des trois autres allusions, Luc ne
conserve que la dernière, ch. xiv, v, i9, les deux premières sont
omises.
11 serait bien étrange qu'après avoirsupprimé ces indications dans
sa source évangélique, dans laquelle les lisait, Luc les ait sponta- il

nément introduites dans un récit qu'il aurait librement composé,


tandis que nous comprenons mieux qu'il les ait conservées dans les
Actes s'il les lisait dans une source qui les comportait. Toutefois au
ch. XXI, 37 et 38, Luc, à deux reprises, fait une allusion k l'enseigne-
ment de Jésus dans le Temple, et ces versets n'ont pas de répondant
dans Marc, ni Matthieu. Il reste qu'en toute hypothèse, Luc a vraisem-
blablem<^nt modifié dans les Actes son procédé de transcription, vu
MELANGES. 565

qu'il y conserve des mentions qu'il avait écartées dans son Évangile.
Nous ferons bientôt une constatation semblable à propos de la pré-
sence des certaines expressions hébraïques dans les Actes.
Dans le même ordre didées nous remarquons encore l'absence
dans le troisième Évangile du reproche fait à Notre-Seigneur d'avoii'
déclaré qu'il pouvait détruire le Temple et le réédifier en trois jours :

Marc XIV, 58 et xv, 29 et d'autre part, c'est une accusation du même


;

genre que des faux témoins viennent déposer contre Etienne Actes :

VI, 13 c av6pa)~sç oZ-c:; Cj Taûe-rai AaXôov pr^aa-a v.a-à tcj -Ôt.oj tou àyio'j
•Axl Tou v:;j.o'j' à/,r,xsx;j.£v vis a'jtcj Xs^ov-cç OTt 'I-^cojç 6 Na^wpa^cc
cjTc; y.aTaXycîi tov tÔzcv tcjtcv /.al xKXxcv. -zx 'é()r, à -apéâw/.ev

•rjiJ.Tv McUcï;?.
4. Après avoii' exposé comment Pierre échappe aux poursuites
d'Hérode Agrippa I qui avait fait périr Jacques, le rédacteur des
Actes nous raconte la mort du persécuteur. Elle eut lieu au cours
d'une session du tribunal dans laquelle il avait reçu du peuple les

honneurs dune apothéose.


Que la mort du persécuteur soit mentionnée, le fait n'offre rien que
de très naturel. Toutefois, il faut noter que l'auteur connaît bien les
détails de l'incident.La séance était tenue à l'occasion dune demande
de paix introduite par les gens de Tyr et de Sidon; HérodC;, mécon-
tent d'eux, refusait de les ravitailler; Blastus, camérier du roi, leur
avait conseillé d'essayer de rentrer dans les bonnes grâces du prince ;

on nous dit môme comment celui-ci était vêtu ce jour-là £vBu(7dt;x£vcç


£76-?;-a ^xaùj.y.-qv.

Or Marc dans son Évangile s'attarJe également à nous parler lon-


guement d'Hérode Antipas, il nous expose notamment par le menu
les circonstances de la décollation de Jean-Baptiste, ch. vi, 17-29.
-Matthieu parle bien de cette scène mais l'abrège, et Luc résume en
trois lignes les douze versets du second Évangile.
«^n s'est demandé, écrit le R. P. Lagrange (l), pourquoi l'évan-
« géliste avait attaché tant d'importance à cet épisode. L'abondance

« des détails s'explique peut-être simplement parce que c'est sa ma-

« nière. Ou il ne raconte pas, ou il raconte d'une façon circonstanciée.


Dans un autre endroit de l'Évangile, ch. mii, 15, Marc mentionne
encore Hérode; il connaît de plus un groupe d'ennemis de Jésus qu'il
désigne du nom à'Hêrodiens, ch. m, 6; xii, 13, groupe dont Luc ne
parle pas.
De son côté, Luc donne sur la famille des Hérode d'autres détails

(1) Évangile selon saint Marc, p. 157.


566 REVUE BIBLIQUE.

qui lui sont propres. Lui seul parle de Jeanne, femme de Chusa, pro-
curateur d'Hérode Antipas et le récit du renvoi de Jésus de Pilate à
Hérode ne se lit que dans le troisième Évangile cfr. viii, 3 et xxiii,
7 sv.
Il n'y aurait donc de ce chef aucune invraisemblance à considérer

Luc comme le rédacteur primitif de ce chapitre; mais si, pour d'autres


raisons, nous devons chercher un autre nom que Luc, Marc qui con-
naît si bien les Hérodiens et raconte en détail les incidents du festin de
Machéronte où fut décidée la mort du Baptiste, Marc, dis-je. semble
tout indiqué.
5. Toujours dans ce même ch. xii, 2, Fauteur, voulant identifier

Jacques rappelle que c'est le frère de Jean àvetAsv oï 'Iay.o)6:v tcv


:

àosAçbv 'Iwxvi'j.
Au ch. 17 et V, 37 du second Évangile, ayant à parler de Jacques
III,

et Jean, Marc note chaque fois que Jean est frère de Jacques; au
ch. X, 35, il les désigne tous deux comme les fils de Zébédée; il parait
donc soucieux de mettre en évidence le lien du sang qui unit ces
deux disciples.
Une seule fois, tandis que Marc ch. ix, 2 omet de faire remarquer le

lien de parenté qui unit Jacques et Jean — il l'a déjà faitdeux fois —
Matthieu ajoute cette mention ch. xvii, 1.

Ce qui accentue Tintérèt de cette préoccupation de Marc, c'est


qu'elle n'est pas partagée par Luc qui parlant des mêmes apôtres
dans les mêmes circonstances otiiet les trois fois de signaler ce
détail.
Dans quatre autres occasions, Marc dans son Évangile désigne par
leur nom Jacques et Jean, ch. x, 35 et M
xiii, 3 et xiv, 33. Pour les
;

deux derniers passages Luc a un récit parallèle, mais en aucun cas il


ne cite les noms. Matthieu a quatre fois un texte correspondant, mais
toujours il tait les noms; deux fois il appelle ces apôtres Ziiizy.'.z\>
u'-S'.

une fois z\ z-Sz y.lù.foi. Soit en insistant sur la relation de parenté qui
unit Jacques et Jean, soit eu les désignant avec persistance par leur
nom, Marc accorde donc à ces deux apôtres une attention toute spé-
ciale.
Supposons que ce soit Marc le rédacteur primitif du ch. xii des
Actes, nous comprenons beaucoup mieux la remarque du v. 2 Jac- :

ques qui était le frère de Jean.


On se demandera peut-être pourquoi, si Luc dépend ici de Marc,
a-t-il conservé cette remarque sur Jacques? pourquoi avoir gardé ces

détails sur Hérode alors que dans son Évangile, où il rencontrait de


particularités semblables, il les a cependant écartées? Luc aurait donc
MÉLANGES. 06 7

dans les Actes adopté d'autres procédés, d'autres canons de transcrip-


tion? Pourquoi ce changement de méthode?
Le pourquoi n'est peut-être pas facile à trouver, mais le fait me
parait incontestable.
Quelque opinion que l'on adopte sur la part qui revient à Luc dans
la rédaction des ch. i-xv, il est certain que sa « manière » a un
peu changé nest plus tout à fait celle du troisième Évangile.
et

La meilleure preuve de ce changement nous est fournie par la pré-


sence dans les Actes de plusieurs termes et expressions hébraïques :

'A/.EAc:^:j.â-/ 1, 19; Bap^yyMx; i, 2.3; Bxpvâ6a; iv, 36; Ta6s'.0i ix, 36,

40 ; Bapîa66a; XV, 22.


Cependant dans le troisième Évangile il avait apporté un soin
presque excessif, qui est une des caractéristiques de son œuvre, à
supprimer tous les termes étrangers qu'il lisait dans ses sources.
6. Une attention spéciale est accordée également à Barnabe dans

les Actes, notamment aux ch. ix et xi.


C'est lui qui introduit Paul dans le cercle des frères de Jérusalem
qui ne voulaient pas recevoir le nouveau converti, ch. ix, 27 lorsque ;

le bruit des conversions opérées par Paul arrive aux oreilles de


l'église-mère, Barnabe est chargé d'aller se rendre compte de ce qui
se passe en Syrie ch. xi, 22; il va ensuite à Tarse chez Paul, il le

ramène à Antioche et reste son compagnon assidu jusqu'au début


du second voyage apostolique, eh. xvi.
Plus tard, Paul, qui semble n'avoir jamais aimé de travailler seul,
s'adjoint d'autres compagnons de route Silas (ch. xvi), l'auteur des
:

'\Jjr-Stucke, Gaïus et Aristarque, etc.; les deux premiers jouent en


somme dans la suite le même
que Barnabe au début. Aussi
rôle
n'est-ce pas le simple fait de voir Barnabe mentionné à côté de l'Apôtre
qui trahit l'intérêt particulier que lui porte le rédacteur des ch. i-xv.
Mais plusieurs fois Barnabe est désigné le premier, avant Paul,
comme ayant en quelque sorte le pas sur lui, cfr. xi, 30; xii, 25;
XIII, 1 et 7; XIV, 12 et U; xv, 12 et 26.
De tous les prophètes et docteurs de l'église d'Antioche Barnabe
est cité le premier, Paul le dernier; ch. xiii, 1.
Cependant ce ne peut être là qu'une préférence d'ordre littéraire,

car l'importance prépondérante de l'action de Paul reste manifeste


et ressort, clairement du récit lui-même. Paul prêche et fait les
miracles, c'est le maître dont Barnabe est le disciple et le suivant.
D'ailleurs, entremêlés aux textes dans lesquels Barnabe est cité
avant Paul, d'autres se rencontrent où Paul est mentionné le premier,
ch. xiii, v. 2, i3, i6, 50; xv, 2, 22, 35.
S68 RE VUE. BIBLIQUE.

Malgré la subordonnée que le rédacteur


situation secondaire et
laisse à Barnabe, on sent que le disciple autant que le maître occupe
sa pensée et sa composition trahit sa ^préoccupation de mettre Barnabe
en relief autant que la chose est possible.
Ce souci s'expliquerait difficilement chez Luc mais devait être si
naturel et si profond chez Marc pour peu qu'il ait répondu à l'atta-
chement et à l'afïeMion qui lui étaient témoignés!
Car Marc et Barnabe étaient parents Mâpxc; 6 àvs-l/ibr ^apvicx
:

Coioss. IV, 10 et malgré son dévouement pour Paul, Barnabe préféra


rompre avec lui que de renoncer à la société de Jean Marc son
cousin.
Le ch. IV, 36 nous permet également d'apprécier combien grande
était la considérationque l'auteur de ce récit accordait à Barnabe.
Après avoir racontéla guérison du paralytique opérée par Pierre
et les poursuites contre les apôtres auxquelles ce miracle donna lieu,
les Actes exposent la situation économique de la première commu-
nauté à Jérusalem c'était le régime de la communauté des biens.
:

Le ch. II ne contenait qu'un aperçu général qui est repris au ch. iv


et illustré par deux exemples 1) Barnabe, 2) Ananie et Sapphire.
:

Le choix de ces derniers était tout indiqué puisqu'il donne à l'auteur


l'occasion de raconter un miracle de Pierre et de rapporter les
remontrances qu'il fit aux coupables.
Mais parmi tant d'autres qui offrirent leurs biens à la communauté,
pourquoi ne parler que de Barnabe dont il n'est pas dit que son
offrande fut plus importante ni fut accompagnée de circonstances
particulièrement remarquables?
Pourquoi nommer uniquement Barnabe sinon à raison des relations
personnelles qui l'unissaient au rédacteur? Et qui était plus uni avec
lui que Jean Marc?
De même que l'ordre dans lequel figurentles noms de Barnabe et
de Paul, la préférence manifestée par le ch. iv, 36 et 37 nous invite
également à songer à Marc comme auteur de ces récits.
Ces remarques relatives à l'attention particulière accordée à Barnabe
n'ont de force que pour autant que l'on considère les chapitres iv, ix,
XI,XV comme dérivant d'une même source, et ne sont guère recevables
pour ceux qui admettent l'opinion de M. Harnack; toutefois on ne
doit pas oublier que la note très significative sur la donation faite
par Barnabe se trouvant dans le ch. iv appartient incontestablement
à la source appelée A par M. H., source dans laquelle nous relevons
la plupart de nos autres indices.
7. Deux fois dans les Actes ch. i-xv, il est dit plus ou moins exp1i-
MÉLANGES. 56Ô

citement que l'Évangile doit d'abord être offert aux Juifs mais qu'à
la suite de leur refus, il sera présenté aux Gentils.
Ch, III,26 Tjj.îv -pWTCV àva(7r«i(7aç b-^toq tbv ::aToa «'jtcj, xr.é'^xtiXvf

jc'jTCV î'jXcvijvtj: ii[J.xç etc..


Ch. Xiii, 4-6 TiJLÎv -^v àvay^aîcv -p wxcv AaAr,6r;vat -cbv AJ-j'ov -coîj ôsoj*

£T£i3r, à-(j)8£îa6c ajTov xai où/. à;ic'jç -/.pîvsTe âauTCjç -r,ç a'.wvîcu C<*>'^ç,

.:cj c7TpS!piiJ.e6a e'.ç xà s6v/;.

La même idée se retrouve dans la scène de la Syrophénicienne


relatée par le second Évangile; à Tétrangère qui lui demande de
guérir sa fille, Jésus répond, ch. vu, 27 : à?sç TCpwxcv yzp-aGBpxi ix
-iwsi.' où -^(XÇ) iaxvi y.aXc;vXa8î!;v xbv àpxov twv TcXvo)v -/.ai toÏç xyvapiotç ^aXstv.

Luc ne relate pas le voyage dans la région de Tyr et de Sidon;


on le trouve dans Matth., mais celui-ci ne rapporte que la seconde
partie de la réponse de Jésus à la Syrophénicienne; Marc est donc
le seul des Synoptiques qui écrive a^sç -rrpw-cv ycpTacOvjvat xà xÉxva.
:

[A suivre.)
L. Dieu.
Louvain.

III

UN REMPLOI DU DE UNITATE DE SAINT CVPRIEN


PAR SAINT JEROME

Dans son Adversus lovinianum, i, 26, saint Jérôme, pour défendre


contre Jovinien l'éminente dignité de la virginité, fait valoir les privi-
lèges qui furent ceuï de Fapùtre Jean à l'exclusion des autres apôtres.
Saint Jean a été aimé davantage par le Seigneur, il a reposé sur sa
poitrine; saint Pierre, n'osant pas interroger le Maître, parce qu'il

a été marié, demande à de l'interroger; qaand Marie


saint Jean
Madeleine annonce la résurrection du Seigneur, Pierre et Jean cou-
rent ensemble au sépulcre, mais Jean arrive le premier; quand
ils se retrouvent à pêcher sur le lac de Genesareth et que Jésus res-
suscité leur apparaît sur le rivage, c'est Jean qui le reconnaît et qui
l'annonce à Pierre... Si Jean n'était pas vierge, que l'on nous dise la
raison pour laquelle il a été l'objet de la préférence que lui marque
le Seigneur!
Saint Jérôme suppose que l'on fera à cette argumentation l'objec-
370 REVUE BIBLIQUE.

lion suivante : Pourquoi le Seigneur n'a-t-il donc pas mis saint Jean
à la tête des autres apôtres? Voici le texte de saint Jérôme :

At dicis : Super Petrum fundatur Ecclesia.


Licet id ipsuQi ia alio loco super omnes apostolos fiât, et cuucti claves regai
caelorum accipiant, et ex aequo super eos Ecclesiae fortitudo solidetur, tamea
propterea ioter duodecim uqus eligitur ut capite constituto schismatis tollatur
occasio.

Les personnes qui ont présent à la mémoire le fameux texte du


De unitate Ecclesiae de saint Cyprien seront frappées, comme je l'ai

été, de Tair de famille qui se révèle entre le texte de saint Cyprien


et celuique nous venons de citer de %^mX Jérôme.
La structure logique est la même dans les deux textes, i" Affirma-
tion que sur Pierre est édifiée l'Église. 2*" Sans doute, les autres
apôtres reçoivent ensuite les mêmes pouvoirs. 3" Mais Pierre reste le

chef pour assurer l'unité.

Cyprien, leçon a : Cypriex, leçon b : JÉRÔME : '

Super unum aedificat Super illura aedificat Super Petrum fundatur


^cclesiam. ecclesiam. ecclesia.

Et quamvis apostolis Et quamvis apostolis Licet id ipsum in alio


omnibus post resurrectio- omnibus parem tribuat loco super omnes apostolos
nem suam parem potesta- potestatem... fiât...

tem tribuat...

Tamenutunitatera raani- Unam tamen cathedram Tamen propterea inter


festaret, unitatis originem constituit, et unitatis origi- duodecim unus eligitur. ut

ab uno incipientem sua nem atque rationera sua capite constituto schismatis
auctoritate disposuit. auctoritate disposuit. tollatur occasio.

On sait que la leçon h de saint Cyprien n'est attestée pour la pre-


mière fois que vers 585 par le pape Pelage I", tandis que la leçon
a est attestée dès la fin du iv' siècle par saint Pacien, évêque de Bar-
celone. A quelle leçon se réfère saint Jérôme? J'avais espéré un temps
qu'il attesterait la leçon 6, induit à cela par une rencontre verbale
qui n'est pas sans importance. Nous avons vu, en effet, Jérôme écrire :

Super Petrum fundatur ecclesia. Or la leçon b pouvait avoir suggéré


ces mots à Jérôme :

Cypriex, leçon a : Cyprien, leçon h :

Qui ecclesiae renititur et resistit in Qui cathedram Pétri super quem fun-
•ecclesia se esse conûdit ? data ecclesia est deserit in ecclesia se
esse confidit ?
MELAiNGES. 571

Mais l'énoncé Supe?' Petrum fundatur Ecclesia n'est pas tellement


caractéristique que Ton ne puisse l'expliquer que par un emprunt de
Jérôme à b. D'autre part, des rencontres plus significatives inclinent
à voir chez Jérôme plutôt des réminiscences de a. — En effet, après
tribuat on lit dans le texte a de Cyprien : « ... et dicat : Sicut misit
me Pater et ego mitto vos. Accipite Spiritum sanctum : Si cuius remi-
seritis peccata remittentur illi, si cuius tenueritis tenebuntur ». Rien
de pareil dans b. Or Jérôme fait mention du pouvoir accordé à tous
les apôtres de remettre les péchés, quand il dit : « Et cuncti claves
regni caelorum accipiant ». — De même Cyprien en a écrit : « Exor-
dium ab unitate proficiscitur ut ecclesia Christi una monstretur ».

Et Jérôme : « Unus eligitur ut capite constituto schimatis tollatur


occasio ».

Des observations qui précèdent on sera peut-être en droit de con-


clure que saint Jérôme, en 392-393, quand il écrivait son Adversus
lovijiianum a eu une réminiscence du De unitate de saint Cyprien et
que le texte auquel mentalement est le même que le texte
il se réfère
qui servait à Pacien. Assurément cette conclusion reste plutôt une
vraisemblance qu'une certitude l'idée exprimée par saint Cyprien
:

n'est pas telle que saint Jérôme n'ait pu l'avoir spontanément. Mais
l'exacte similitude du mouvement général de la pensée a toute
l'apparence d'une réminiscence étant donné les habitudes de
:

travail rie saint Jérôme, qui cite autrui sans révéler ses emprunts,
cette apparence n'est pas négligeable.
Puisque nous parlons du De unitate de saint Cyprien, signalons
Irénée et saint Cyprien sur la primauté
le travail de'M. Saltet, « Saint
romaine », Bull, de litt. eccl. 1920, p. 179-206. M. Lacey nous
apprend dans son livre Vnity and Schism, 3*" édition, 1920, p. 177-
187, qu'il était arrivé à la même hypothèse que Dom Chapman, sans
avoir eu connaissance du travail du savant bénédictin. M. Lacey
avait de plus émis l'hypothèse que la leçon b était antérieure à la
leçon a et représentait une première édition donnée par Cyprien
dans d'autres circonstances que celles qui lui dictèrent les cor-
rections de sa seconde édition. En quoi M. Lacey était arrivé à faire
la même hypothèse que moi dans mon Église naissante. Ce dont
je me félicite et prends note.
Pierre Batiffol.
CHRONIQUE

I. — A PROPOS DE L EPEE DE CORBULON.

En publiant « Une épée d'honneur oÉFerte à Corbulon » (1), je me


suis laisséduper par un habile pasticheur. J'aime mieux le reconnaî-
tre fort simplement que d'exposer aujourd'hui des hésitations passées
alors sous silence, ou de détailler pourquoi cette note, retenue en car-
ton au printemps de 1914, fut hvrée telle quelle à l'impression au
moment où je reprenais ma collaboration à la Revue après cinquante-
troismois de service et de préoccupations tout autres.
Dès l'apparition de cette note divers correspondants très obligeants
voulurent bien me signaler leurs doutes sur l'authenticité de ce docu-
ment si original. Leurs objections se résumaient à ceci 1" étrangeté :

d'une dédicace à deux destinataires, alors que par sa nature même l'ob-
jet devait être individuel; 2" singularités
paléographiques dans la
gravure du texte reproduisant deux inscriptions connues; 3° bizar-
ries des reliefs ornementaux. Chacune de ces observations avait été
naguère envisagée en présence de la pièce et tacitement écartée.
Aussi bien en pouvait-on fournir quelque explication satisfaisante,
si d'autre part l'objet présentait de convenables garanties intrinsèques
d'authenticité. Or c'était le cas, non seulement pour moi, car je pou-
vais êtretrompé par un nouvel examen de l'épée comme je l'avais été
la première fois, mais pour plusieurs savants très qualifiés dont je n'ai
pas àétilerici les noms. Après une étude minutieuse, l'un d'eux, à
qui j'avais préalablement soumis mes propres doutes et les difficultés
spontanées que ce document soulève, concluait « Si c'est un faux, :

c'estl'œuvre d'un savant indélicat, parfaitement au fait de l'archéo-


logie et de l'histoire et qui les mystifiera plus d'une fois encore. »

Aucun des spécialistes notoires qui ont eu l'obligeance de me signa-


ler leurs doutes ne parait s'être avisé que la pièce avait été dénoncée
comme un faux en 1913. Je dois cette information à la bienveillance

(i; RB., 1919, p. 505 ss.


CHRONIQUE. 373

aus^i érudife qu'aimable de M. Michon et de Batiffol. Dans le W


Bulletin... des Antiquaires de France « i' trimestre 1913 » p. 333-5 ,

séance du )9 novembre, M. Héron de Yillefosse a publié deux simili-


gravures de ce glaive dont les photographies lui avaient été soumises
de Damas lété précédent. Le regretté savant concluait sa note sévère
en ces termes « 11 est presque certain que Fauteur de cette fumisterie
:

un peu forte est un des nombreux Arméniens qui se livrent au com-


merce des Antiquités. L'œuvre qu'il a fabriquée... est vraiment trop
surchargée de lettres et d'ornements; elle ne se présente pas avec la
modestie qui sied à une personne honorable :1 » .

Il se peut; mais comme le verdict de « fumisterie » se fondait à peu

près exclusivement sur cette surcharge, il pouvait laisser hésitant [-l).

En pratique Héron de Yillefosse ne s'appesantissait pas du tout sur


M.
les reliefs, mais uniquement sur l'inscription « qui révèle la fraude de
la manière la plus flagrante. Il est impossible d'imaginer quelque
chose de plus audacieux et de plus naïf en même temps » I La trans-
cription c|u'il établit, d'après la photographie, en témoignerait en effet,
puisqu'on aurait quelque peine à y reconnaître les textes du Corpus à
travers « plusieurs omissions et de grossières inexactitudes » p. 33i}.
La réalité est autre : un contrôle attentif sur la pièce vient de m'en
confirmer l'assurance. Les « omissions » se réduisent à l'R dans GER-
MÂNIC et à la barre sur le chiffre des puissances tribunitiennes ; les
« grossières erreurs » consistent dans l'unique graphie G pour C au
début de la ligne 2. Pour toutes les autres singularités, le copiste, très
innocent des variantes étranges qu'on lui impute, reproduit au con-
traire avec une dextérité scrupuleuse les leçons fort difficiles du Cor-
pus (3). L'ciigrefin qui opéra dans ce cas n'est donc pas de la tribu du
Schapira des « poteries moabites », mais bien de la lignée qui a prc-

(1) Op. L, p. 335. Je serais inexcusable d'avoir


ignoré cette publication si, conformé-
ment à la dat« qu'elle porte, elle eûtparu en 1913. Ce n' du Bulletin des Antiquaires
n'était pas encore parvenu à Jérusalem le 3 août 1914 et n'y est arrivé qu'après la «^uerre.

(2) M. Héron de Villefosse a été trompé par l'étude exclusive des photographies quand il
dit : « Le métal ne parait pas altéré par
la rouillé; l'objet présente un aspect très neuf»

(p. 333). C'estau contraire l'oxydalion très accentuée et la remarquable patine qui impres-
sionnent le plus vivement tous ceux qui ont pu manipuler la fameuse dague. Nous avons
vainement cherché à Jérusalem un spécialiste assez compétent pour tenter une analyse qui
déterminerait si cette rouille provient de réactifs chimiques récents. J'ignore d'ailleurs si
en mesure d'appliquer à la rouille et à la patine du fer le diagnostic si
les techniciens sont
précieux que M. F. de Villenoisy appliquait naguère à La patine du bronze antique [Rev.
archéol, 1896, I, p. 67 ss 194 ss.;. ,

(3j Le fac-similé et la transcription de RB., 1919, p. 507 s. sont maintenus de tous


points, excepté peut-être la barre transversale de 1 A dans la ligature groupant les trois
lettres ANI du mot Germa?iic{us) ; moins claire que
elle est je ne l'ai dessinée et manque
d'ailleurs dans le fac-similé typographique du Corpus.
574 REVUE BIBLIQUE.

duit le merveilleux « Scarabée du Tour d'Afrique », et — Si parva


licet componere magnis —
la Tiare de Saïtaphernès.

11. — l'église de gethsémaxi.

Ce sera la bonne fortune de ce vénérable sanctuaire que la restaura-


tion envisagée ait été confiée à un architecte aussi éclairé sur l'inté-
rêt archéologique du monument que distingué par son goût esthéti-
que. On eût pu croire absolument complètes les fouilles préalables dont
la Revue (1) signalait naguère les principaux résultats. En dépit de
circonstances fort peu propices qui ont entravé de toutes manières ses
délicates recherches, M. l'architecte A. Barluzzi lésa développées avec
un soinque récompensent aujourd'hui de remarquables constata-
tions. Ce ne sera rien enlever à l'intérêt des relevés détaillés qu'il en
prépare que de signaler, avec son autorisation très aimable, quel-
ques-uns des faits nouveaux que ses recherches ont établis.
La basilique primitive, celle du iv" siècle, avait un axe sensible-
ment différent de celui qui fut adopté dans les restaurations ultérieures,
et s'inclinait d'au moins 10° vers le nord. Pour en asseoir le chevet on
avait profondément échancré l'escarpement rocheux de la montagne.
L'unique abside centrale était établie dans une relation immédiate
avec le « Rocher du sommeil des Apôlres » de la tradition moderne.
Le bas-côté méridional, déjà intégralement déblayé, encastrait son
chevet rectiligne dans une tranchée de roc à plusieurs gradins; la
nef symétrique du nord se trouve reportée dans le jardin actuel des
Oliviers. Guidé par les axes de ces profondes coupures, M. Barluzzi a
retrouvé, sous les pavements successifs des restaurations byzantine
tardive, médiévale et indigène, le mur méridional primitif développé
obliquement vers l'ouest- sud jusqu'à la façade tardive, en avant de
laquelle il avait déjà mis à jour un ensemble compliqué de murailles
archaïques sans raccord avec cette façade. Leur fonction devient
claire aujourd'hui, car ces murailles démantelées se trouvent être le
prolongement exact des axes primitifs. La façade du iv" siècle s'ali-
gnait donc à peu près en bordure de la route carrossable actuelle de
Jérusalem à Jéricho. Derrière cette façade et entre les gros murs lon-
gitudinaux dont il subsiste d'importants vestiges, le lacis, déconcer-
tant jusqu'à ce jour, des murailles de blocage est manifestement
l'indice des substructions de la plate-forme créée pour le sol de l'é-
glise. Comme cette façade déborde de cinq mètres à peu près celle du

{\) RB., 1919, p. 248 ss.


CHRONIQUE. 573^

moyen âge et que le chevet crautrc part est reculé de l^jôO environ,
la basilique primitive mesurait donc au minimum 35'"x 17 : nuance
qui a l'avantage de lui restituer la proportion de 1 à2 si usuelle dans
lesmonuments chrétiens du iv' siècle en Palestine.
Une investigation diligente a déjà fait ressaisir le niveau du pave-
ment ancien et quelques lambeaux de splendide mosaïque \dennent à
souhait confirmer les indices du tracé architectural et suggérer l'or-
donnance intérieure en trois nefs symétriques. La petite nef sud pré-
sente l'ornementation fréquente en guirlandes croisées de bouquets
par leur recoupement un réseau de carrés avec
stylisés, constituant

un bouquet Une bordure à double torsade


central plus considérable.
et deux bandes noires formait l'encadrement extérieur. En un point
où s'ouvrait peut-être une porte latérale la mosaïque se déve-
loppe en un panneau décoré de carrés à motifs géométriques reliés
par de minces guirlandes. Le dessin est à quatre tons noir, bleu, :

rouge et jaune sur fond blanc, mais avec d'harmonieuses dégrada-


tions de couleurs et une finesse remarquable dans le mosaïquage
(pi. I, 1). A i™,40 au nord de la bordure en torsade une autre bor-

dure strictement parallèle, comprenant une ligne de postes rouges,


une bande noire et une de fleurs stylisées délimitait l'ornementation
de la nef centrale (pi. 1, 2). Le dessin parait avoir été beaucoup plus
riche et vraisemblablement floral; on n'a pu en recouvrer jusqu'ici
que de trop petites épaves pour apprécier sa composition. Elles por-
tent la trace d'un incendie, violent et prolongé.
Une certaine quantité de cubes très menus en pâte émaillée et en
verre trouvés dans les déblais semblent impliquer une décoration
murale en mosaïque historiée.
Quelques rares morceaux de sculpture ornementale s'ajoutent à" la
collection. Il n'est pas encore aise de discerner quel motif imposa le
déplacement de l'axe général dans la restauration qui suivit la
ruine particulièrement sauvage de la première église par les hordes
de Chosroës. Peut-être eut-on simplement le désir de lui donner une
orientation plus conforme à ce qui était devenu alors une exigence
liturgique. Au temps où fut érigée au contraire la basilique primor-
diale, ce principe n'avait pas encore la même fixité; l'intention de
s'aligner surune voie publique, ou telle particularité dans le relief
rocheux qui nous échappe aujourd'hui, justifia sans doute le place-
ment sur un axe longitudinal d'est-nord en ouest-sud.
Les nouvelles recherches ont également précisé les diverses phases
du sanctuaire ultérieur. Le sondage des bases massives des piliers a
rendu évident qu'avant de devenir des cubes démesurés et peu régu-
^76 REVUE BIBLIQUE.

liers dans une tardive reprise, ces bases avaient eu, à l'époque médié-
vale, un tracé cruciforme consolidant ou reproduisant tout bonnement
un tracé plus ancien.
Le caractère postiche des célèbres « rochers de la triple prière de
N.-S. » éclate désormais. On n'a d'ailleurs pas oublié qu'ils intervien-

nent très tard dans les relations des pèlerins et n'existaient pas dans

le sanctuaire primitif. Le « rocher » central avait été taillé en forme

de bloc quadrangulaire sur la crête de l'antique escarpe où s'appuyait


le mur méridional de l'ancienne égiise. Il semble avoir été entouré

d'un grillage et apparemment couvert d'un petit baldaquin reposant


sur des colonnettes de marbre encastrées aux quatre angles (pi. II, 1).
Celui de l'abside septentrionale est un simple quartier de pierre posé
sur presque l'^jôO de remblai (cf. pi. II, 2, vue prise avant la fin du
déblaiement).
On se souvient que celui du sud avait depuis longtemps disparu, et
que son histoire a été mêlée avec plus ou moins de fondement aux
vicissitudes de la localisation traditionnelle.
Le très vif intérêt des récentes constatations est de confirmer de façon
définitive la preuve que l'archéologie avait démêlé correctement les
fluctuations de cette tradition. La basilique en voie de restauration par
les soins des RR. PP. Franciscains et sous l'artistique direction de
M. l'architecte A. Barluzzi couvrira bien le site vénéré depuis les ori-
gines chrétiennes comme celui de l'Agonie de Notre-Seigneur, site
consacré, dès avant la fin du iv' siècle, par une église importante
depuis longtemps soupçonnée, mais dont les vestiges expressifs sont
maintenant sous nos yeux.

jll £E FRAGMENT NABATÉEN DU MUSÉE DE LA DORMITION.

Le P. Abela publié, au début de cette année (1), un lambeau d'ins-


cription nabatéenne copié au musée du monastère bénédictin de la
Dormition au mont Sion. Ce fragment se trouvait annexé, sans aucun
indice de provenance, à un lot de textes grecs manifestement recueillis
dans les <' villes ruinées du Sud palestinien « {op. c, p. 120). Bien

que cette indication générale n'ait pas été spécialement appliquée au


débris de texte nabatéen, il peut y avoir intérêt à le détacher de cette
série n"a été sans doute incorporé que par les
épigraphique, où il

hasards du brocantage. ne sera pas inutile d'autre part d'en four-


Il

nir un fac-similé nouveau, car la copie hâtive prise naguère en des

(1 RB., 1920, p. 126, 11' 2 3.


Planche I.

1. Getlisémani. Mosaïque de la nef latérale sud.

(Clichés Savignac.;

2. Cethsémani. Mosaïque lit la iicl c^Liialc

I
Plwchi: II.

I. Celhséniaiii. Le •< rocher » central et les vestiqes de sa balustrade.

k^m^.:r:^-^>:^\^^
2. Gelhsémani. L'escaipe de roc dans le bas-côté méridional de la basilique primitive. Au premier
plan, le > rocher » de la ne septentrionale dans l'église restaurée. (Clichés Savignacl
CHRONIQUE. b7:

conditions défavorables donne insuffisamment l'idée de cette élégante


graphie (Ij.

Cette jolie dalle de grès rose, qui serait parfaitement insolite au


Nëgeb, évoque au contraire le
grès caractéristique de Pétra, et
des textes dans le genre du titulus
d' « 'Anichou, frère de Chouqaïlat
reine des Nabatéens » (2). Si le

fragment fut trouvé au Négeb il y


a donc de sérieuses chances qu'il
y ait été importé dans un but
quelconque. On estimera toutefois
plus vraisemblable, jusqu'à preuve
autorisée du contraire, que sa
réelle provenance est bien la capi-
tale nabatéenne. Des amis obligeants nous avaient indiqué naguère
avoir aperçu, parmi les éboulis à l'entrée du haut-lieu, une courte
inscription en caractères très monumentaux, sur un bloc dont le
signalement répondrait à celui du fragment en question. La dernière
caravane de l'École qui ait exploré Pétra avant la guerre rechercha
vainement cette inscription. On concevrait sans efibrt que le bloc ait
été débité, pour la facilité du transport et de plus amples bénéfices
à la vente, par les intrépides brocanteurs qui approvisionnaient le
marché à'antiques à Jérusalem et ailleurs, sans scrupule sur les
indications de provenance.
Le beau fragment semble appartenir à quelque dédicace royale de
l'un ou l'autre des Haréthat, plutôt qu'à un titulus funéraire.

IV. INAUGURATION' DE l'iNSTITUT ARCHÉOLOGIQUE ANGLAIS.

Le lundi 9 août 1920, devant une assemblée où de judicieuses invi-


tations avaientgroupé les notabilités civiles, militaires et religieuses de
Jérusalem avec des représentants de toutes les institutions scientifi-
ques, Son Excellence Sir Herbert Samuel, haut commissaire royal de

verte V École anglaise d'archéologie à Jérusalem.


Tout fut aussi simple que distingué dans cette réunion. Une atten-

(1) Une fausse lumière a trompé le P. Abel sur limportance des points à la bouterolle
que le graveur avait alignés sur le dessin des lettres pour guider son ciseau et prévenir les
épaufrures dans le grès très mou.
(2) Cf. RB., 1897, p. 225, ou le CIS.
REVUE BIBLIQUE 1920. — T. XXIX. 37
578 REVUE BIBLIQUE.

tiontrès délicate de M. le professeur J. Garstang-, organisateur et direc-


teur de l'Institut, comme fondateur delà pre-
réserva au P. Lagrange,
mière École d'archéologie en Palestine, l'honneur de souhaiter en
français la bienvenue au nouvel Institut. Ce fut en paroles très
brèves, que leur cordialité dispensait de toute emphase, que le
P. Lagrange exprima son contentement de voir l'Angleterre couronner
par une création permanente et officielle ce qu'elle a déjà prodigué
d'efforts et de sacrifices pour l'exploration scientifique de cette
contrée, depuis plus d'un demi-siècle. Il y avait une réelle émotion,
dans les circonstances actuelles, à l'entendre évoquer les illustres pion-
niers anglais de l'archéologie scientifique palestinienne, les \Yilson,
les Warren, les Kitchener mêlés dès le début, dans une émulation si

libérale et si courtoise, aux maîtres français : les Vogué, les Guérin,


les Clermont-Ganneau, pour le plus grand profit de recherches
méthodiques destinées à devenir si fécondes. Avec non moins de gra-
titude furent rappelés quels rapports de franche et constante sympa-
thie se perpétuent depuis trente ans entre l'École biblique et
archéologique des Dominicains français à Jérusalem et les missions
scientifiques anglaises successivement accomplies en Palestine sous la
direction de savants tels que MM. Flinders Pétrie, Blis's, Macalister,
Mackenzie et tant d'autres.

Le discours de Sir Herbert Samuel résuma ensuite avec une élégante


et ferme concision la portée de recherches archéologiques éclairées,
dans un pays dont l'histoire est si intimement liée au développement
de la civilisation à travers le monde. Il accentua en termes d'une
remarquable énergie le libéralisme très large de Tlnstitut créé par
l'Angleterre. Loin de se prévaloir des privilèges que lui confèrent les
prérogatives nationales dans la Palestine contemporaine, The British
School of Archaeology in Jérusalem x^o, veut que rivaliser de zèle avec
les institutions déjà existantes ou projetées. Elle assume seulement, au
prix de sacrifices qui lui seront plus lourds, la charge nécessaire de
coordonner les efforts et, tout en respectant l'autonomie des autres
initiatives, de les faire concourir au meilleur développement des re-
cherches scientifiques et à la sauvegarde plus efficace de tous les
monuments du passé palestinien. Une impression de grandeur se
dégageait de ces paroles libérales et simples, conviant tous les efi'orts

et toutes les bonnes volontés à une œuA're commune qui intéresse


pratiquement le progrès futur de ce pays.
Cette impression fut encore accrue par la conviction communicative
avec laquelle M. le prof. Garstang accentua brièvement ce caractère
de l'Institut ouvert sous sa direction. Pour tous ceux au surplus qui
CHRONIQUE. P179

ont l'honneur de connaître en lui le savant et l'homme d'action, le seul


fait de sa présence à la tête de l'École anglaise est déjà, au même titre
qu'une garantie de haute tenue scientifique, une garantie égale de
libéralisme, de courtoisie et de dévoùment à tout ce qui unit en éli-
minant ce qui pourrait aboutir aux divisions ou au particularisme
jaloux,non moins néfaste. Sa courte allocution fut chaleureusement
applaudie.
Et comme pour mieux accentuer qu'on entend bieo, à l'École an-
glaise,ne jamais dépenser que le moindre temps possible en consi-
dérations de principe et en spéculations protocolaires, quelques mots
limpides de M. Phythian-Adams, associé au Directeur, exposèrent le
programme précis des travaux et les réalisations qui depuis plusieurs
mois ont précédé l'inauguration officielle.
M. le D'' Allbrigth, directeur de l'Institut archéologique américain,
clôtura la séance par un souhait de bienvenue empreint de la plus
spirituelle bonne grâce à The British School of Archaeology in Jéru-
salem.
Tout cela n'avait guère occupé qu'une demi-heure ; et déjà les con-
versations s'engageaient au milieu des collections archéologiques en
voie de formation, chacun se sentant à l'aise dans l'hospitalité accueil-
lante et cordiale de l'École anglaise, Floreat per aeviim!

L. H. AixcoT, 0. P.
Jérusalem, le 11 août 1920.
RECENSIONS

De Propheten des Ouden Verbonds door Dr. G. Ch. Aalders, Dienaar des
Woords by de gereformeerde kerk van Ermelo (i). Kok, Kampen, 1919, in-8» de

28G p. — Prix : 5,2ô florins.

Voici une inlroduclion générale au prophétisme dans l'ancienne alliance. C'est


une
étude très complète, très au courant de la littérature qui se rapporte au sujet, et

qui révèle chez l'auteur un grand souci d'objectivité. De ton courtois, M. Aalders
défend néanmoins vigoureusement S3S positions de croyant. L'exégèse hollandaise
s'est parfois caractériséepar un radicalisme outrancier. L'ouvrage que nous présen-
tons ici, triomphalement et nous le considérons comme une des meil-
s'en écarte
leures productions récentes issues du sein de l'église protestante des Pays-Bas.
Nous disions cette étude très complète; peut-être l'est-elle trop. Il s'y rencontre
des questions qui sont un peu des hors-d'œuvre, telles celles du miracle, de la
divi-

nation, de la poésie hébraïque; il est vrai que le sujet les amenait assez
naturelle-

ment. Parcourons les dix-neuf chapitres de ce livre; nous nous contenterons de re-
lever les idées principales, d'indiquer également quelques divergences de vues.
Ch. I. Les noms des prophètes. Deux appellations sont caractéristiques de cette caté-
gorie d'hommes. La première c'est nabi' rooprjr,?, prophète, qui les désigne comme
les porte-parole de la Dans quelques cas
divinité. 1 Sam. xviii, iO, xix, 20-24,
:

1 Re". XVIII, 26-29 hithnabbé est synonyme


de se comporter comme gens en délire.
A bon droit l'auteur rejette la théorie qui s'autorise de cette acception extraordinaire
pour trouver comme base à l'idée de prophète celle d'un état de derviche extatique.
Autre part ce même verbe désigne l'exécution d'un chant, d'une musique p. ex,
1 Chron. xxv, 1 ss., mais ceci rentre dans le premier sens donné les poètes et :

psalmistes inspirés étant vraiment les porte-parole de lahvé.


M. Aalders trouve que dans Gen. xx, 7 nabi' aurait le sens particulier d'interces-

seur. Eu fait Abraham intercédera pour Abimélech, mais nous ferons remarquer que
cette action ne donne pas un sens nouveau à sa qualité de nabi'.
La seconde roeh ou hozeh, voyant, celui qui reçoit une communica-
appellation :

tion surnaturelle, désigne la même catégorie de personnes qu'on appelle nabi'. En-
core une fois il ne s'agit pas de se baser sur ces deux appellations pour fonder la
théorie des derviches-prophètes qu'on opposerait à une catégorie plus calme, celle
des « voyants ». M. Aalders relève encore les noms d'homme de Dieu, de serviteur
du Seigneur ou de Dieu, d'envoyé de Dieu, de veilleurs, sentinelles, gardiens;
seulement ces désignalions sont plus occasionnelles et moins spéciGques, encore que
souvent elles accentuent le caractère prophétique.

(1) Ministre du verbe à l'église réformée d'Erraelo.


RECENSIONS. 381

Ch. 11. La notion de prophétie. — Elle comporte un double élément : l'un, productif,

actif; l'autre réceptif, passif. Ce dernier c'est la réception d'une révélation divine, le

premier la communication, la transmission de l'objet de cette révélation. C'est bien


ainsi que la mentalité Israélite avait compris le rôle prophélique. Consulter le prophète,
demander une communication de source divine, c'est encore ainsi que les
c'était lui

prophètes eux-mêmes concevaient leur mission. Ce double élément est bien distingué
dans le Deutéronome xviii, 18-22 ainsi que dans la vocation d'Ezéchiel m, 1-4. L'élé-
ment réceptif est le principal, il commande et règle l'autre. C'est ce qui distingue for-
mellement le vrai du faux prophète. Seulement l'élément actif doit nécessairement
compléter l'élément réceptif pour réaliser la notion prophétique. Il ne suffit pas d'être
gratifié d'une connaissance surnaturelle, il faut que son dépositaire ait mission de la

transmettre et s'il ne le fait pas il est infidèle à son mandat tel Jonas i, 1-10, tels
ceux dont parle Amos ii, 12 et cette intimation est si prégnante que parfois le pro-
phète, le voulùt-il, ne peut pas s'y dérober, ainsi Jérémie xx, 19.
A du prophète, M.-Aalders aurait pu citer saint Thomas;
l'appui de ce rôle actif
l'ange de l'école aurait bonne figure au milieu des nombreuses autorités citées
fait

au cours de ce livre Cujusmodi prophetiam, est-il dit 2^^ 2**^ q. 174. a. 2 ad 3" (se.
:

quae est cum imaginaria visione ducente in supernaturalem veritatem) habuerunt


omnes illi qui numerantur in ordine propheturum, qui etiam ex hoc specialiter diciui-
tur prophetae, quia prophetico officio fungebantur, unde e.x persona Domini loque-
hantur, dicentes ad populum « Haec dicit Dominus >-, quod non faciebant illi qui
:

hagiographa conscripserunt.
Voilà le lien entre les deux éléments : Le prophète est réceptif pour devenir
productif; la raison d'être delà communication qui lui est faite, c'est sa transmission.
Chctp. III. Le fait de la révélation prophétique. — De nos jours on donne au mot
" révélation « les sens les plus élastiques, certains désignant par là tout enrichis-
sement de l'esprit humain par voie de développement personnel. Ce qui importe ici

c'est de savoir ce que les prophètes eux-mêmes entendaient par ce concept. Ainsi la

question est très bien posée car il ne s'agit pas de prêter aux prophètes une concep-
tion qu'on a subjectivement élaborée. Les différentes expressions par lesquelles les

prophètes désignent les communications qu'ils reçoivent font aboutir aux conclu-
sions suivantes :
1" Us sont en possession d'un acquit intellectuel, d'un contenu
conscient, qu'ils ne peuvent pas attribuer à l'activité de leur esprit propre, mais
qu'ils sentent leur venir du dehors. 2° Cet apport ils l'attribuent à l'activité d'un
sujet à la fois personuel et très puissant. 3^ Ce sujet n'est autre pour eux que le

Dieu d'Israël. 4'^ L'action sur eux de ce sujet comporte un caractère nettement
marqué d'objectivité. Cette persuasion ils l'ont commuuiquée à leurs auditeurs et

ils la prouvent par leur manière d'agir : ils font parler Dieu à la première personne,
ils indiquent temps et lieu où une communication surnaturelle leur a été faite, ils

distinguent nettement entre cet apport divin et leurs propres idées par leurs dia-
logues entre eux et Dieu, surtout par l'opposition qu'ils éprouvent parfois en eux
aux communications et aux ordres intimés; ils s'opposent franchement aux faux
prophètes qu'ils disent '( parler selon leur propre cœur ».

Toutefois pour Kuenen et ses partisans ce ne serait là qu'une manière d'exprimer


la conviction intime qu'avaient les prophètes de la vérité de leur prédication. C'est
faire fi de toute psychologie et de toute exégèse. Il n'y a qu'une manière d'interpréter
leiî^s dire, c'est de les reconnaître conscients d'un apport venu du dehors. Mais
celui-ci est-il réel, en d'autres mots y a-t-il eu de fait une révélation divine dûment
objective.' M. Aalders estime que ceci est une question de foi (p. 33) qui ne saurait
o82 REVUE BIBLIQUE.

être scieDtiÛquemeDt démontrée. Voilà qui est aller trop loin. On peut démontrer
la réalité d'une révélation divine, tout comme celle d'un miracle, par des preuves
d'ordre moral, qui n'en sont pas moins scientifiques pour cela. En tous cas conve-
nons avec lui qu'il est anti-exégétique de dénaturer le sens des affirmations prophé-
tiques comme le fait Kuenen.
Certains théologiens libéraux tels Wildeboer, Oettli et Kittel parlent du revête-
ment humain d'idées divines immuables, de révélation immédiate et médiate ; cette
dernière serait de règle générale et consisterait en un travail subjectif du prophète
sur une donnée immédiatement révélée d'ordre ethico-religieux. L'auteur fait
remarquer que c'est là parler de révélation dans un sens dérivé et analogique qui

ne correspond pas bien aux affirmations explicites des prophètes. Lorsque Kittel eu
appelle à un travail mental inconscient, M. Aalders le réfute en objectant la forme
dialoguée de certains passages prophétiques et l'expression des vrais prophètes
disaot de leurs adversaires qu'ils parlent « selon leur propre cœur », Nous rejetons
avec M. Aalders ce dogmatisme flou qui finit par noyer une quantité infinitésimale
révélée (et encore!) dans une mer d'assimilation subjective, mais lui semble ne tenir
aucun compte du travail subjectif que peut avoir fourni le prophète sur une donnée
révélée. S'il avait lu dans « la Montée du Carmel » ce que saint Jean de la Croix
dit des révélations et visions, il aurait peut-être formulé certaines réserves.
Ch. IV. Mode et moyens de la révélation faite aux prophètes. — Pour d'aucuns,
l'état dans lequel le prophète reçoit ses communications est d'ordinaire un état exta-
tique, ce qui pour ces auteurs signifie un état psychique anormal, sinon patholo-
gique, en tout cas inconscient. Pour d'autres l'extase est l'état exceptionnel et c'est
eu cela que différerait le prophétisme Israélite d'un soi-disant prophétisme cananéen
d'allure plus sauvage.
Certes les prophètes affirment quelquefois avoir perçu des visions, des voix, des
bruits, même des sensations gustatives, avoir eu une impression d'épuisement, mais
jamais ils ne passaient alors par un état d'inconscience et ces phénomènes étaient
d'ailleurs plutôt l'exception. Ces états psychiques extraordinaires ne sont donc
aucunement essentiels de la prophétie. Ceux qui opinent en sens contraire sont par-
tisans de l'origine cananéenne du prophétisme comme si le prophétisme hébreu n'était
pas précisément anti-cananéen. Toujours en faveur de l'état extatique comme carac-
du prophétisme on allègue 1 Sam. x, 5, 10, xix, 20-24 et 1 Reg. xviii. 46.
téristique
Mais on ne voit pas précisément une extase dans ces manifestations musicales et
l'attitude prise par Saiil dans le second cas n'implique pas un procédé général.
L'exploit d'Élie courant devant le char d'Achab est encore un fait isolé, d'ail-
leurs attribué dans le récit même à une intervention de la main -de Dieu. Quant à
invoquer les attitudes excentriques de quelques faux prophètes ce n'est pas tabler
sur une base solide pour juger des vrais prophètes. De tout quoi il résulte que
l'Écriture ne fournit aucun appui solide à la théorie qui voudrait trouver dans
l'extase une caractéristique essentielle du prophétisme.
Traitant du mode des communications divines l'auteur en arrive à la théorie
commune chez les scolastiques (encore qu'il n'emploie pas leur terminologie) des
espèces intelligibles évoquées ou fournies surnaturellement et il appuie son expli-
cation sur certains dires prophétiques qui parlent d'une action interne de Dieu sur
l'intelligence. C'est très bien, mais pourquoi M. Aalders éprouve-t-il le besoin de
faire appeljaux phénomènes de télépathie (p. 51) pour justifier ce mode d'action
surnaturelle? Voilà qui [est dommage et qui dénote une confusion de données
psychologiques. Mais où l'auteur a raison, c'est quand il refuse de partager Tavis
RECENSIONS. o83

de Kônig qui entend à la lettre l'expression : « Ainsi dit le Seigneur », dans le sens
d'une communication auditive. M. Aalders l'explique comme une illumination de
l'intelligence, sinon il aurait fallu une seconde intervention divine pour Faire retenir
de mémoire des discours parfois longs, perçus d'abord par l'organe auditif. Préa-
lablement à cette illumination il y a eu intimation de communiquer ce qui allait
être révélé. Ici encore M. Aalders rejoint la théorie scolastique de la motion dans
la volonté.

A propos du mode de communication divine par voie de rêve, l'auteur constate


qu'il est très rare chez les prophètes.
Ch. V. L'Esprit de Dieu source de la révélation prophétique. — Rien de spécial
à relever si ce n'est que M. Aalders s'élève contre la théorie de Volz qui veut
matérialiser l'Esprit dont étaient animés les prophètes en le concevant comme un
fluide, répandu dans concentrant dans certains individus y
le Cosmos, lequel, se

amène des prestations d'énergie, voire même des connaissances extraordinaires.


Non sans une pointe d'humour M. Aalders nous rappelle le courant électrique...
Passons.
Ch. Vî. Le caractère organique de T inspiration prophétique. — Ce chapitre revient
à dire que Dieu s'est servi des prophètes comme d'instruments intelligents auxquels
Il a laissé toute leur personnalité. Ils ont utilisé leur acquit propre, enrichi, il est

vrai, par les communications divines, mais qui habituellement avait une affinité

pour l'exercice de leur ministère, ce qui se manifeste surtout par ceci que leur
niveau religieux était singulièrement supérieur à celui des masses. Quant à une
éducation d'école spécifiquement organisée en vue d'exercer le rôle prophétique,
l'auteur juge qu'il n'y a pas de preuves concluantes pour l'admettre (p. 70 ss.).
D'autre part, prophètes tout en regimbant parfois contre la mission divine qui
les

leur était imposée, en se rendant parfois coupables d'une faute, étaient malgré
tout des instruments souples aux mains de Dieu, ils épousaient l'amour de lahvé
pour son peuple élu et souffraient de le voir s'égarer et ainsi s'attirer des châtiments.
Au reste, la Providence les avait préparés depuis longtemps à l'accomplissement
de leur rôle, à témoin Jérémie i, 5.

Ch. VIL Puissance de prophétie et — Ces pages sont consacrées aux


de divination.
questions de suggestion, de double vue, de divination^ d'hypnose, d'hyperesthésie,
situations dans lesquelles certains individus croient — même de bonne — subir foi

une influence surnaturelle, pour faire des pronostics qui prennent la teinte prophé-
tique. On a voulu expliquer de la sorte l'annonce d'événements futurs faite par les
prophètes, mais l'auteur montre bien que de ces procédés-là les prophètes hébreux
n'ont pas usé, que d'ailleurs ces procédés n'expliqueraient pas des prophéties
d'événements devant s'accomplir à longue distance et que le parallèle établi entre
faux et vrais prophètes exclut toute interprétation en ce sens.
Ch. VIIL Communication prophétique de la révélation reçue. — La distinction entre
prophètes orateurs et prophètes écrivains est fausse en principe. Le prophète doit
avant tout communiquer son message par la parole. Cela ressort bien d'Ezéchiel
xxxiiT, 30-33. Et cette parole était pénétrante parce qu'elle s'appuyait sur une
conviction divine. Le premier moyen de communiquer la révélation, c'est donc la
parole; un second ce sont les actions symboliques. D'après M. Aalders ces actions
ont été en général réellement accomplies.
Le cas de Jérémie xiii, 1-7 est solutionné par l'admission de Perathah comme
identique à la Parah de Josué xviii, 23 dans le O. Farà. Le mariage d'Osée est
considéré comme historique. Nous ne partageons pas cet avis. Certes les Orientaux
S84 REVUE BIBLIQUE.

ne se choquent pas facilement pour des choses de ce genre, mais précisément les
Orientaux usent plus que nous aussi d'images et de symboles. De ces actions
symboliques quelques auteurs ont conclu à un état pathologique chez les prophètes
comme Klostermano et d'autres le font pour Ézéchiel, théories contredites depuis,
même au point de vue médical, mais surtout par le fait que chez Ézéchiel eu
particulier ces actions sont positivement voulues ou du moins acceptées et non
passivement subies, sauf peut-être pour son mutisme temporaire. .

Un troisième mode de communication c'est l'écriture p. ex. Jér. xxix, \x\, 2,


moyen auquel recoururent d'ailleurs les autres prophètes ou leurs rédacteurs pour
l'aire passer les prophéties à la postérité. S'appuyant entre autres sur 2 Chron. xxi,
12-15, l'auteur suppose que les prophètes antérieurs à ceux dont les oracles nous sont
parvenus ont également rédigé leurs prophéties par écrit; thèse très admissible.
Ch. IX. Les prodiges des prophètes. — Que les prophètes, « hommes de Dieu », aient

accompli des prodiges, ce n'est pas étonnant. Encore que dans l'A. T. on entende
parfois par prodiges non seulement tout acte qui témoigue de l'omnipotence divine
mais même phénomènes de la nature, ceux accomplis par les prophètes
certains
sont ordinairement des actions qui ne sont pas au pouvoir de l'homme. Générale-
ment il faut distinguer ces faits extraordinaires de l'action, elle-même miraculeuse
déjà, qui consiste à prédire des choses futures; mais parfois aussi le caractère
surnaturel de la prophétie découle exclusivement de son accomplissement, alors que
celui-ci consiste dans un fait naturel, tel la mort d'un individu. En appuyant sur
cette distinction M. Aalders fait ressortir l'arbitraire de l'opinion qui attribue les
actions miraculeuses surtout aux anciens prophètes par opposition aux prophètes
de l'Écriture. 11 que les parties narratives contiennent plus de faits
est assez évident
miraculeux que les parties proprement prophétiques tout comme les Actes des
Apôtres en contiennent un assez bon nombre alors que les Épîtres n'en contiennent
guère.
Évidemment une certaine école n'admet pas la réalité des miracles prophétiques
et les classe parmi les faits légendaires ou bien les explique naturellement.
M. Aalders (p. 113) croit la combattre en invoquant témoignage personnel du
le
prophète sûr de sa puissance miraculeuse, p. ex. Isaïe vu, 11. L'argument est nul
parce que dans l'hypothèse combattue ou regardera tout aussi bien comme légen-
daire cette assurance elle-même du prophète. L'auteur s'en prend ensuite à l'expli-
cation naturaliste ou magique des faits miraculeux qu'il réfute par les arguments
traditionnels, au reste probants (p. 114-115). A bon droit aussi rejette-t-il les
considérants qu'on croit énervants pour le miraculeux et qu'on emprunte à l'histoire

des religions. Ici surtout comparaison — si comparaison il y a — n'est pas raison.


M. Aalders revendique donc le caractère miraculeux de ces faits par lesquels Dieu
se manifeste comme le Maître Suprême et par lesquels II accrédite son prophète.
Cf. I Reg. xviii. 36-37.
Ch. X. Forme de la prédication prophétique. — C'est la forme du discours, mais non
pas du discours classique. Ce discours emprunte toutes les formes du langage : des-
criptions souvent très vivantes, forme impérative, personniflcations, images et com-
paraisons, allégories, paraboles, noms symboliques, jeux de mots, assonances, tran-
sitions brusques.
Une autre particularité, c'est que pour les choses futures (parfois même pour les
choses passées) il est parlé comme s'il s'agissait du présent. En même tenîps ce lan-
gage revêt une forme poétique, mais une forme poétique assez large dont ni paral-
lélisme ni mètre ne sont absolument caractéristiques ni caractérisés.
RECENSIONS. S85

Ch. XL Contenu de la prédication prophétique. — C'est la révélation divine, donc


quelque chose d'inconnu ou bien eu ou bien dans ses relations avec autre chose.
soi,

En même temps les prophètes continuent la révélation antérieure, dont depuis


Abraham et surtout depuis Moïse, Israël a été gratiQé et à laquelle il doit sans cesse
être ramené. M. Aalders touche en passant la théorie Graûenne qui donne en bloc
la priorité aux prophètes relativement au Pentateuque. Il constate que l'élargisse-

ment de la base mosaïque a gagné en faveur dans les derniers temps et conclut que
la priorité de la Loi sur les prophètes est en bonne posture. Ajoutons toutefois : à
condition d'entendre dans un sens large. L'éducation religieuse d'Is-
la partie « loi »

raël depuis son point de départ mosaïque continue toujours, mais elle subit des
fléchissements à chaque époque, fléchissements auxquels la mission des prophètes
doit remédier. Cela contre la théorie évolutionniste de Ivuenen, Stade, Wellhausen,
lesquels tracent la ligne de succession, qu'ils croient générale dans l'histoire des
religions : animisme, fétichisme, naturisme, monolâtrie, monothéisme éthique; théorie
qui se heurte de plus en plus à des faits en sens opposé.
Le ministère prophétique est donc en grande partie un ministère d'enseignement
traditionnel, de rappel au passé, impliquant les manifestations antérieures de la vo-
lonté divine, le pacte divin avec le peuple élu, les interventions divines au cours de son
histoire, lesrécompenses ou les châtiments divins jadis constatés ou devant se réaliser
dans l'avenir en rapport avec la fldélité ou l'iiitidélité d'Israël. Par ces descriptions
nous apprenons la situation réelle au point de vue religieux aux difTérentes époques.
L'objet du discours prophétique est très vaste, car il embrasse toute la vie sociale et in-
dividuelle, publique et privée, voire des alliances politiques et des mesures stratégiques.
Mais l'objet principal c'est la religion et la morale en fonction desquelles les autres
thèmes sont amenés. A ce propos l'auteur admet qu'on tiouve chez les prophètes la
distinction des trois personnes divines mais non d'une manière explicite (p. 138). Cela
est assez ambigu, sinon contradictoire, et aurait besoin de précision et de renvoi aux

textes sur lesquels éventuellement il se base. L'eschatologie et le messianisme en-


trent évidemment aussi dans l'horizon prophétique et sur ces sujets, l'auteur, assez
prolixe pour des questions bien plus éloignées de son étude, aurait pu s'étendre
davantage. Par contre l'intervention prophétique dans les abus existants au point de
vue social est bien décrite (p. 141).
Ch. XII. Les p redictions desprophètes. — M. Aalders s'attarde assez longuement à
combattre la théorie qui tend à circonscrire le champ prophétique par l'horizon his-
torique (pp. 144-153) en faisant ressortir le côté tendancieux des arguments par les-
quels on veut énerver certaines prophéties. A ce point de vue il examine alors spé-
cialement les chapitres xl-lxvi d'Isaïe et les prédictions du livre de Daniel. Pour
Isaïe XL-Lxvi, M. Aalders estime que les idées religieuses de ces chapitres ne
forment pas antithèse avec celles des trente-neuf premiers. Il y reconnaît un déve-
loppement qui peut s'être fait jour à une période postérieure de la vie du même pro-
phète. Les particularités linguistiques ne sont pas probantes pour faire admettre
une dillérence notable dans l'âge de leur composition et quant aux circonstances
hi.<;toriques, qu'on croit devoir dire tout autres dans ces deux parties^ il trouve qu'on
les expliquerait sufûsarament en tenant compte du fait que souvent les prophètes
décrivent l'avenir comme présent (pp. 157-1.58). Au fond, M. .Aalders ne veut pas
dirimer le débat, il fait simplement valoir que les arguments invoqués en faveur de
la non-authenticité de la 2^ partie d'Isaïe ne sont pas suffisamment convainquants
pour étayer la théorie qui confond l'horizon prophétique avec l'horizon des circons-
tances historiques actuelles dans lesquelles le prophète se meut. C'est ce que M. Aal-
586 REVUE BlBLlQjQE.

ders veut prouver également par l'examen du livre de Daniel. Tout d'abord il ob-
serve que l'histoire du texte de ce livre — si elle était mieux connue — pourrait bien
solutionner certaines difficultés. Après quoi il énumère les diverses identifications
cherchées dans les chapitres ii. vri et viii; constate que pour la prophétie des
soixante-dix semaines i\, 24-27 il n'a pas été donné jusqu'ici d'explication satisfai-
sante et conclut de ce double examen que rien n'autorise à fixer la mort d'Antiochus
Épiphane comme l'extrême limite des prédictions de Daniel. aborde ensuite les
Il

que présente cet écrit.


difficultés historiques Nous ne partageons pas l'explication
qu'ildonne de la succession Nabuchodonor-Balthasar. Supposer que Xabouide a
épousé une fille de Nabuchodonosor et que celui-ci serait pour ce motif appelé le
père (= grand'père} de Balthasar, c'est une exégèse assez fantaisiste Nous nous !

permettons de renvoyer M. Aalders à l'explication que nous avons tentée de cette


difficulté dans Israël et l'Ancien Orient, p. 155, note 3.
Ch. XIII. Accomplissement des prophéties. —
Pour en juger il faut savoir au préalable
siune prophétie doit être entendue au sens littéral, absolu ou bien au sens figuré et
conditionnel, à quelle époque elle a été prononcée, s'il faut exiger la réalisation du
dernier détail; en plus il y a parfois des circonstances historiques qui devraient être
mieux connues pour qu'on puisse estimer une prophétie accomplie ou non. Cet ac-
complissement est de la plus haute importance puisqu'il authentique une mission
prophétique.
II y a des prophéties à court terme qui, au témoignage des livres bibliques, ont
eu leur accomplissement : Ahia prédit Jéroboam, Élie annonce
la mort de l'enfant de
la sécheresse, Jérémie la mort du faux prophète Hanania, etc. D'autres à long terme

comme la prédiction du retour de l'exil faite par .lérémie.


Il y a surtout les prophéties concernant le iMessie pp. 179-181 dont plusieurs se 1

sont réalisées dans de menus détails, telles Zacharie ix. 9, Isaïe lu, 14 et qu'à,
première vue on aurait pu entendre d'une manière figurée.
Il y a aussi des prophéties symboliques, conçues entièrement dans le cadre des

événements de l'A. T. mais dont un état de choses postérieur dans le ]N. T. ou dans
l'Église du Christ précise le sens en même temps qu'il indique leur accomplissement.
Enfin il y a encore des prophéties qui ne verront leur réalisation qu'à la fin des temps.

L'auteur qui ne laisse ni trêve ni repos à Ivuenen, il n'a du reste pas tort. — —
insiste sur les préjugés dominant cette question de l'accomplissement des prophéties.
Rencontre-t-on une réalisation très minutieuse : vaticinia ex eventu; l'est-elle trop
peu : on ia considère comme non avenue et, comme on borne la puissance prophéti-
que du moment, on ne veut pas entendre parler de prophéties à longue
à l'horizon
échéance ou à signification symbolique. Le Christ a rendu le témoignage qu'il
venait accomplir les prophéties, ce témoignage devient dès lors suspect.
M. Aalders estime (p. 188; qu'il faut partir de la réalité de la révélation divine
octroyée aux prophètes pour juger de l'accomplissement de leurs prédictions. Cela
est vrai ^uur d'aucunes, mais cette règle ne peut pas être formulée d'une manière
générale; l'accomplissement de certaines prophéties prouve plutôt la réalité de la
révélation divine. C'est là un argument de saine apologétique.
Ch. XIV. Destinataire.'^ des prophéties. — C'était avant tout le peuple d'Israël,
mais parfois aussi les individus qui consultaient les prophètes pour des questions
personnelles. Cf. 1 Sam. On a voulu attribuer aux anciens
ix, 9, 2 Reg. iv, 23.
voyants le bonne aventure, qui se faisaient rétribuer, pour leur
rôle de diseurs de
opposer les nabis postérieurs, au rôle plus national et plus désintéressé. Toujours la
même théorie tendancieuse qui veut trouver une évolution systématique dans le
RECENSIONS. o87

prophétisme. Que le rôle de prophète fut avant tout national, cela découle de ce
que Dieu s'est choisi Israël comme peuple particulier au milieu de toutes les nations
et c'est comme peuple élu qu'il lui a consacré une providence toute spéciale. Mais
A-ela n'exclut pas que le prophète puisse s'occuper des intérêts privés. L'institution
prophétique doit obvier en partie chez les Israélites aux abominations de la divina-

tion païenne. Cf. Deut. xviii, 9-22.


Parce que l'institution prophétique est faite en faveur du peuple juif, les pro-
phéties adressées aux païens sont rares. Traitant cette question,
directement
M. Aalders est amené à trouver une corrélation entre le ministère de Jouas et une
réforme reliijieuse consistant dans l'introduction du culte de Xébo à Ninive sous
Adadnirari IV. II n'insiste heureusement pas sur ce rapprochement...
Ses principes de croyant font que M. Aalders se range à l'avis de la t^ Pétri i.

10-12 assignant aux prophéties des destinataires autres encore que les contemporains
immédiats; mais quand il affirme d'une manière générale que les prophéties qui
nous ont été conservées, ont eu avant tout et principalement pour destinataire
l'humanité entière, il exagère manifestement. 11 y en a incontestablement qui ont
cette portée universelle, mais il y en a d'autres qui n'avaient qu'une destination
immédiate et restreinte.

Ch. XV. Fonctions


et rang social des prophètes. L'état de prophète est un —
état stable,permanent auquel convie un appel divin. Les prophètes forment ainsi
une catégorie de personnes comme les prêtres et les rois. L'auteur fait remarquer
très justement que l'expression « fils de prophète » signifie tont simplement :

« Prophète >. Ce terme « fils » indique qu'on appartient à une classe spéciale de
personnes tout comme « fils des chantres, des pauvres, des étrangers ». C'est
depuis l'époque de Samuel que les prophètes commencent à être en nombre, on les

trouve multipliés aux temps d'Achab et d'Elisée, certains d'entre eux vivaient en
groupes ou en colonies sans toutefois mener une vie commune; ils étaient générale-
ment maries, à preuve Moïse, Samuel, Isaïe. Jérémie. Cf. 2 Reg. iv, 1. Pour leur
sustentation plusieurs dépendaient des gratifications d'autrui.
Ona parfois cru voir en eux des espèces d'avocats ou d'ambassadeurs, mais du
faitque ce rôle a été occasionnellement rempli par un prophète on aurait grand tort
de procéder à une généralisation.
Comme signe distinctif de tous les prophètes on ne peut pas indiquer le manteau
de poil et encore moins des tatouages et des incisions, qu'on voudrait trouver dans
Zach. IX, 6, où il s'agit d'ailleurs de faux prophètes.
M. Aalders semble ne pas distinguer entre prophètes de vocation et prophètes de
profession ou, comme il les appelle, primaires et secondaires (p. 212 ss). Il n'y voit
qu'une différence de degré dans la communication de la révélation divine. Ceux
d'entre eux qui étaient moins favorisés auraient plus facilement trahi leur mission et
flatté les instincts populaires et — l'Esprit de Dieu les quittant — ils seraient ainsi
parfois devenus faux prophètes, cf. Jér. ii, 26. On peut concéder que les prophètes
aient été inégalement gratifiés de communications divines, mais il semble pourtant
bien qu'on doive considérer comme formant une catégorie à part et sans vocation
spéciale les troupes d'enthousiastes qui parcouraient le pays à l'époque de Samuel
par exemple et les distinguer de ceux qui ont entendu vraiment un appel divin.
Ch. XVI. Conscience que les prophètes ont eue de leur mission. L'attitude d'un —
Michée vis-à-vis d'Achab, l'inébranlable assurance d'un Isaïe et de Jérémie malgré
toutes les oppositions et les difficultés qu'ils rencontrent, tout cela prouve suffisam-
ment combien ils étaient sûrs de leur mission et, si des prophètes ont prévariqué, ce
588 REVUE BIBLIQUE.
n'était pas qu'ils doutaient de leur mission, mais parce qu'ils redoutaient les consé-
quences de la défaveur populaire.
Cette assurance n'était pas nécessairement produite par des impressions perçues
dans les sens ni par théo- ou angélophanies, ni par des états extatiques, mais
la révélation divine déterminait cette absolue certitude par là même qu'elle était
communiquée.
L'auteur dit que ces expériences-là ne se font plus de nos jours (p. 223), mais on
pourrait légitimement comparer l'inébranlable certitude prophétique à celle qu'ont
les mystiques, de la réalité divine de leurs intuitions.
Ch. XVII. Marques distinctives de la prophétie. —
Cette assurance intime, valable
pour prophète lui-même, ne suffit toutefois pas pour autrui. Comment alors du
le

dehors juger du caractère divin d'une prophétie? Par les miracles? A la rigueur un
faux prophète pourrait opérer des prodiges au dire même du Deutéronome xiii, 1-3.
Par la conduite morale du prophète? Mais un vrai prophète pourrait faillir et un
faux prophète mener une vie extérieurement correcte et un mécréant pourrait même
l'une ou l'autre fois être l'organe d'une vraie prophétie. Cf. 1 Reg. xiii, 21 ss.
Num. xxn, 20 ss. La réalisation des prophéties? Non, car une prédiction d'un faux
prophète peut parfois se réaliser : Deut. xiii, 1-3; ensuite la réalisation est parfois
à fort longue échéance, elle est parfois conditionnelle.
En
règle générale, la meilleure pierre de touche c'est la conformité de la prophé-
tieavec ce que antérieurement lavéh a manifesté à Israël. Cfr. Isaïe viii, 19,20 —
Jérémie xxviii, 8.
Presque toujours, il est vrai, une prophétie comportera une donnée nouvelle, mais
celle-ci doit être en harmonie avec les données antérieures (sauf quelques prédictions
toutes particulières comme celle, par exemple, que Sennachérib ne s'emparera pas
de Jérusalem). C'est encore là la meilleure marque distinctive de la vraie prophétie.
L'on peut voir que le peuple juif en jugeait ainsi dans les scènes racontées au
ch. XXVI de Jérémie.
Ch. XVIII. Trouve-t-on des analogies chez les antres peuples? Il y a dans les —
pratiques de divination des différents peuples —
pratiques dans lesquelles on prétend
trouver des analogies avec le prophétisme hébreu —
une importance capitale
attribuée à la mise en scène extérieure, que l'on ne rencontre pas chez les prophètes
juifs.Peuples de l'Oural, Germains, Assyro-babyloniens, Égyptiens, Cananéens,
Phéniciens, Indiens, Persans, Chinois, Japonais, Grecs, Romains, aucun ne présente
une analogie formelle avec le prophétisme hébreu.
n'y a pas non plus d'analogie matérielle, c'est-à-dire quant au contenu. Certes,
Il

les prophètes d'Israël ont occasionnellement fourni des renseignements sur des
questions de détail (objets perdus, expéditions à entreprendre, etc.) tout comme les
devins chez les autres peuples, mais en quoi ils l'emportent sans comparaison, c'est
dans l'ensemble de leur prédication religieuse, et dans ce domaine-là il ne se rencon-
tre riend'analogue. Chez les Babyloniens et les Égyptiens on connaît également
le thème d'un renouveau national après une période de catastrophes, mais l'élé-
ment moral la vindicte du péché, en reste exclu de même que le salut octroyé
:

par la bonté
et la fidélité divines. Eu plus le renouveau prévu en Israël n'est pas
seulement national mais mondial. L'eschatologie hébraïque, c'est le règne universel
de Dieu, qui est étranger aux spéculations babyloniennes et égyptiennes.
Qu'on ne vienne donc plus parler de rapprochement entre le rôle de l'homme
de douleurs d'isaie lu, 13 —
lui, 12 et le mythe de Thammouz-Adonis!
Ch. XIX. La prophétie d'Israël est unique. —
Cela est reconnu par des représen-
RECENSIONS. Îj89

tants de tendances fort avancées tels que Kuenen, Corail, Jérémias. Cette constata-
tion s'impose. Un aspect très frappant de cette unicité, c'est que nulle part on
trouve ce qui se présente en Israël : une opposition entre vrais et faux prophètes
se réclamant du même Dieu.
A quoi donc attribuer cette unicité? Aune personnalité particulièrement accentuée
chez les prophètes, comme le fait Causse? C'est déplacer le problème. Pourquoi la
prophétie est-elle une particularité exclusive de ce petit peuple juif que bien d'autres
nations dépassaient en culture?
il n'y a qu'une réponse, celle que donnaient catégoriquement les prophètes eux-
mêmes : la révélation divine. <> Gottes wunderbar waltende Hand ) dit Kittel. Pour
qui n'admet pas cette réponse le problème reste insoluble. Évidemment cela requiert
la foi à cette révélation. En principe il faut croire à sa possibilité; sur le témoi-
gnage historique des prophètes, à sa réalité. Et puisque la révélation est la seule
explication possible du fait unique que constitue le prophétisme en Israël qu'y a-t-il
d'antiscientifique à l'admettre?
Il y aurait un pas de plus à faire. M. Aalders est un croyant qui se réclame sou-

vent de la foi. S'il croyait au magistère infaillible de l'Église catholique, il trouve-


rait dans celui-ci une assurance nouvelle pour la solution qu'il a établie déjà si vic-

torieusement,

J. Vandervorst.
Malines, Grand Séminaire.

IsBON T. Beckwith Ph. D., D. D. The Apocalypse of John, studies in introduction


whh a critical and exegetical commentary, xv-794 pp. New- York, Macmillan,
1919.

La particularité de ce titre s'explique par les dimensions respectives des deux


parties de l'ouvrage; car l'Introduction occupe 416 pages à elle seule. Jamais il n'est
aisé d'être bref quand on veut aplanir ménager une entrée commode
le terrain pour
dans les mystères apocalyptiques; mais surtout avec la méthode de l'auteur, qui, au
lieu de se contenter de dissertations préalables sur le milieu, et sur l'Apocalyptique
juive, remonte chercher jusqu'aux premiers chapitres de la Genèse les origines de
r « espérance eschatologique ». Puis, en 16.5 pages, il montre les développements
concurrents de l'espoir national et de l'attente d'une régénération universelle, celle-ci
apparaissant engerme dès le premier livre du Pentateuque, pour dominer exclusive-
ment dans l'ère du N. T. Nous n'entendons pas, car ce serait trop long, critiquer
spécialement cette partie, qui a déjà presque l'allure d'un livre indépendant. L'auteur
estun croyant positif, qui paraît tenir ferme à l'inspiration, donc à la véracité religieuse
de toute la Bible; ainsi, à la p. 120, il y a des réflexions excellentes. Mais en même
temps il évite de se mettre en opposition, sur le terrain de l'histoire des idées, avec
les conclusions qui dominent dans l'exégèse inc^épendante. De là des interprétations,
parfois assez ingénieuses, destinées à faire voir comment les " erreurs » matérielles
les plus caractérisées des Prophètes n'empêchent pas leurs prévisions de garder une
valeur religieuse perpétuelle. Pages 293-304. il expose ses canons, pour les appliquer
ensuite à notre Apocalypse, et y distinguer, comme ailleurs, les vérités « permanentes »

de leurs incorporations « transitoires » . Certes il minimise plus que ne le ferait un


catholique, mais avec beaucoup de respect, et de sincères intentions chrétiennes.
Très au courant de la littérature germanique, il semble peu coonaitre celle de
590 REVUE BIBLIQUE.

langue française; quant aux Anglais, il leur assigne honaêtemeut la portion congrue.
Dans l'ensemble, B. cherche donc à tenir une « média via » qui sauve l'orthodoxie
tout en faisant droit à ce qu'il regarde comme les résultats assurés de la science
contemporaine. Il conserve assez d'indépendance en face des critiques pris un à un,
Spitta ou Wellhausen, Gunkel ou Jeremias: mais il a tendance à s'incliner respec-
tueusement devant la majorité. Ainsi d'une part, on aura grand plaisir à lire sa
dissertation parfaite sur Vautenr. les rapports de l'Apocalypse avec le IV"^ Évangile,
les deux Jean, et la question de Jean l'Apôtre à Ephèse (pp. 343-392,h c'est une des
plus approfondies que je connaisse, et, malgré l'absence de conclusion bien catégo-
riquement exprimée, elle iucline franchement à justifier les thèses traditionnelles. La
différence de langue entre le récit évaugélique et la prophétie s'expliquerait par l'in-
tervention d'un secrétaire pour le IV^ Évangile: c'est une solution très admissible.
Tout en disant l'essentiel sur l'origine mythique probable d'un certain nombre de
symboles, B. note avec bon sens le peu d'importance qu'ont eu ces mythes oubliés
pour la pensée de Jean. Il défend la date traditionnelle, sous Domitien (pp. 197-207);
il tient également pour lunité de l'ouvrage (pp. 216-238). Jean, dont il a eu le mérite
de scruter les caractéristiques littéraires (pp. 239-2-54) — sans pourtant pousser
l'analyse à fond, — lui apparaît comme un
beaucoup trop systématique pour esprit
avoir fait place dans son livre à des intermèdes qui en eussent dérangé les idées
(pp. 219-suiv.) le bon sens lui inspire les mots qu'il faut pour juger le subjectivisme
;

de Vischer (p. 229), et d'autres. Le Prophète du Nouveau Testament, comme ceux


de l'Ancien, a eu des visions envoyées de Dieu: mais leur transcendance même
mettait obstacle à leur expression adéquate : « tandis que l'oeuvre en ses conceptions
fondamentales peut se rattacher au souvenir de ses visions, cependant, dans l'archi-
nombre de traits doivent provenir de l'effort
tecture aussi bien que dans les détails,
conscient d'un artiste littéraire qui lutte pour donner, dans la forme et la manière
habituelles aux apocalypses, une représentation des vérités à lui révélées dans ses
expériences extatiques.... Il travaille consciencieusement pour vêtir d'un corps la

vérité saisie dans une extase, plutôt que pour décrire des symboles actuellement vus «
(p. 175, cf. p. 214). On ne saurait, à notre avis, mieux dire. Enfin, sur un grand

nombre de points de détail, l'auteur exprime des vues indépendantes et justes.


Il admet, par exemple (pp. 263, 51.5), que rien ne j)eut être lu du livre scellé avant
que le rouleau puisse être déployé, donc tous les sceaux rompus. Le mot /.p^vcç,
ch. X, 6, ne signifie point « temps », mais « délai ». L'interprétation de la Femme
et du Dragon serait parfaite, s'il n'exagérait le caractère « idéal » de la Femme, qui
représente pourtant bien la communauté réelle des justes de tous les temps. Les
Sept Têtes de la Bête, ch. xiii et xvii, sont un schéma symbolique choisi pour
figurer l'Empire romain comme un tout qui remplit sa destinée, et ilne faut pas y
chercher d'adaptation historique trop rigoureuse. A propos du « Nero redux », B.
concède au moins ceci : « Il parait certain que la relation précise de cette per-
sonnalité (l'Antéchrist) avec Néron ou telle autre personnalité historique n'est qu'un
point tout à fait secondaire dans l'esprit de l'auteur » (p. 406). Enfin les Deux
Témoins du ch. xi, ligures comme Moïse et Élie, ne sont point l'Elie et le Moïse de
l'histoire, mais des personnages qui rempliront un rôle semblable au leur. Etc. .Sur
tous ces points si débattus, nous sommes tout à fait d'accord avec le savant américain.

Mais pourquoi faut-il qu'il n'aille Jamais jusqu'au bout des conséquences qui doivent
ressortir de ces vérités ?

C'est que l'ensemble du commentaire repose sur deux postulats généraux fort

communément acceptés, et très erronés toutefois.


RECENSIONS. 591

Le premier est d'ordre littéraire. Notre exégète, comme la plupart des modernes,
pense ne devoir faire aucune part, ou presque aucune, au système de la « Récapitu-
lation », comme si ce n'était qu'un artifice apologétique des anciens. Il croira donc
que. dans l'esprit de Jean, la succession des Septénaires doit marquer une progres-
sion chronologique dans les fléaux; supposition assez naturelle, et pour cela rede-
venue commune, mais qui pèche justement par trop de simplicité. Jean n'était pas
du tout unallégoriste aux procédés simples, et il est facile de ne pas saisir l'habile
complexité de son plan. Ainsi B. a bien vu que le volume du ch. v ne peut être
déroulé avant la rupture entière des sept sceaux qui le ferment; alors pourquoi faire
de l'apparition des Cavaliers (ch. vi) la réalisation en acte de certaines parties dudit
rouleau, des >< signes éloignés » qui seraient l'ipxïi ojoîvcov? (pp. 264-265, -jOT-suiv.).
Non, ce ne sont que des annonces (analogues à celles des Anges, ch. xiv;, une
représentation idéale des châtiments projetés, que les trompettes seules exécuteront;
ils répondent aux « Vents » du ch. vit, lesquels apparaissent comme tenus en laisse

encore après la rupture totale des sceaux. Mais l'exégète n'a pas saisi l'équivalence
de ces deux symboles, ni de beaucoup d'autres. Les ch. xii-suiv. ne sauraient être
seulement le développement de la 7<= trompette, surtout si l'on considère ce dernier
signal (qui est en réalité celui de la fia du monde) comme introduisant une période
de calamités postérieures De fait, avec le ch. xii, Jean reprend
à celles des six autres.
tout ab initio, depuis les commencements du salut; le ch. xrii décrit des faits déjà
en partie contemporains (la Bête persécutrice); et le 3^ Vae (qui couvre, pour
nous, les mêmes époques que les deux autres), c'est le péril des suprêmes luttes
spirituelles déchaînées par cette chute du Dragon sur la terre qui a eu lieu dès la
glorification du Christ (cf. xi, 18, -à. eôvr, wpy'aer,aav). Il y a donc là « récapitulation »,
au sens d'un parallélisme de fond, sinon de forme, avec les Trompettes (cfr. pp. 606-
suiv.). C'est le contenu du « petit livre ouvert » du ch. x: pauvre est l'explication

qni ne voit en ce contenu qu'un ordre divin transmis à Jean de continuer à prophé-
tiser: elle ne rend guère compte de
la solennité de l'Ange qui l'apporte, ni de la

place que tient cette scène dans l'agencement de l'ouvrage (cL


surprenante
pp. 579-suiv.;. Mais on n'arrivera jamais à comprendre le 3« Vae, non plus que
beaucoup d'autres choses, si l'on ne se défait de l'idée de périodes chronologiques.
— Avec ce système, notre auteur ne pouvait manquer de prendre à la lettre le
« Millenium » du ch. xx. Pour lui, la valeur permanente de cette prophétie (car
il tient toujours à en découvrir quelqu'une, à cause de l'inspiration , c'est l'affirma-
tion d'un amour spécial de Dieu pour les martyrs. Mais, pour inculquer une vérité
si simple, point n'était besoin, selon nous, d'un appareil qui pouvait suggérer les
divagations du chiliasme. La source de ces défectuosités, il faut la voir sans doute
en ceci, que B. a trop interprété l'Apocalypse de Jean d'après ses précurseurs juifs,
sans se rendre compte du caractère plutôt hellénistique des symboles, et de l'indé-
pendance du Prophète dans leur choix et leur traitement. La nature profondément
synthétique et originale johannique lui a échappé.
de l'esprit
De là un second moins pardonnable que le précédent. La Révélation est
postulat,
eschatologique, c'est entendu. Mais ce n'est point là, si l'on pense à ce que —
signifiaient « les derniers temps », l'âge messianique, dans le milieu des Apôtres, —
une raison pour tout dilïérer en fait de promesses accomplies jusqu'au grand avène-
ment et à l'état d'équilibre définitif qui le suivra, ni pour attribuer à l'Apocalypse
l'attente d'une Parousie prochaine. où il s'agit de l'enseignement
Pourtant B., et même
du Sauveur, donne son assentiment au dogme des eschatologistes, cette « marotte —
critique », pour parler en style Harnack, qui e.st à la mode aujourd'hui. Il trouvera
392 REVUE BIBLIQUE.

par conséquent (pp. 157-160^ une contradiction interne de points de vue dans l'Apo-
calypse, entre des affirmations telles que « Je viens bientôt «, et la durée du Millé-
naire qui doit s'interposer. Oui, il y aurait certes contradiction de Jean avec lui-
même, et avec les autres inspirés du Nouveau Testament, s'il s'agissait chez l'un et
les autres de la Parousie comme imminente, et si la Première Résurrection était

corporelle. Mais ces deux points sont également des clichés faux, et Jean était du
reste un prophète trop inspiré et un écrivain trop réfléchi pour admettre des contra-
dictions sans s'en apercevoir. D"autre part, dans l'Apocalypse moins peut-être que
partout ailleurs, le « Règne » ne peut être pris pour un bien qui soit exclusivement
de l'avenir (cf. pp. 429, 491, .54.5. al.) B. interprète jusqu'à m, 20 (p. 491) comme
se rapportant « clairement » à l'Avènement solennel du Seigneur; nous craignons
qu'il n'y ait pas grand'chose à faire contre une conviction si assurée, qui pourtant,
étant donnée la pénétration personnelle de B. sur d'autres points, nous semble
n'être qu'un emprunt docile. Combien de fois le texte cependant u'affirme-t-il pas,
au présent ou au passé, de la manière la plus obvie, que les fidèle? sont « rois » et

« prêtres » déjà en cette existence ! Disons seulement qu'un homme qui a vu si bien
l'affinité générale de l'Apocalypse avec le 1V« Évangile aurait pu se souvenir qu'en
ce dernier écrit la notion de « Vie éternelle » embrasse toutes les phases du salut,
commencé dès ici-bas pour s'épanouir dans l'autre vie, et se parfaire au dernier
avènement. C'est la vraie clé de la Révélation johannique; devant l'usage fréquent
et délibéré du présent indicatif, la philologie même en vérifie la valeur, pourvu
qu'elle se garde indépendante des théories préconçues.
Voici du reste quelques points particuliers où les postulats ont bien pu jouer encore,
au détriment de l'exégèse objective. B., avec la rigidité qu'il attribue aux symboles,
n'admet pas que le Premier Cavalier du ch. vi malgré le parallélisme avec xix),
puisse représenter les conquêtes évangéliques; ce serait un fléau comme les suivants.
Il ne peut s'expliquer 1' « étoile du matin », qui a pourtant un sens bien clair d'après

XXII, 16. Il prend à la lettre la « Jérusalem » du ch. xi, et croit qu'il s'agit là de
conversion des Juifs, ou que les « Deux Témoins » seront des individus des derniers
jours (semblables à Moïse et à Élie), et cela malgré la vaste intention allégorique que
révèle presque chaque trait de la description, constituant un drame qui se joue dans
l'Église militante et dans tout l'univers. Par contre, au ch. vu, il entend les 144.000,

de l'ensemble des compte de l'opposition nettement indiquée entre


fidèles, sans tenir

cette multitude et la foule « que personne ne pouvait évaluer ». De même, les autres
144.000 du ch. xiv représenteraient par anticipation toute l'Église dans son avenir
triomphal, et pas seulement la catégorie des saints qui observent les conseils évan-
géliques; -apOÉvoi voudrait dire tous les bons chrétiens. Dans l'exégèse du ch. xvii, —
le « huitième » Nero redux. symbolique ou non, c'est-à-dire l'Antéchrist
serait le
personnel eschatologique, allié aux « Cornes », et mis en dehors de la série histo-
rique des empereurs romains; cependant on nous a dit qu' « il est des Sept >-.
lesquels sont bien la série close des empereurs; de plus, rien dans le texte n'indique
que les « Cornes y aient rapport au retour de Néron. Ce « huitième », ce sont en
réalité les persécuteurs romains de l'avenir, confondus sans doute sous la figure
sinistre de Néron, parce qu'ils seront animés contre les chrétiens du même esprit,

tandis que les « Cornes » sont des puissances futures, en dehors de l'Empire ; car la
Bête n'est pas uniquement Rome. Il n'est pas nécessaire de prêter à Jean toutes les

idées des Sibyllins.


Est-il bien sûr encore quelfs.\6p.rf^ (i, 9;, indique que Jean ait quitté Patmos quand

il écrit? (p. 434). Relevons encore quelques points. Malgré son indépendance ordi-
RECENSIONS. 593

naire à l'égard des panbabyloaistes, B. montre par exception bien de la docilité


envers Gunkel et Jeremias (p. 181), quand il cherche l'origine du nombre 3^ (moitié
de dans un mythe naturiste sur l'hiver je ne crois pas que personne d'autre continue
7) ;

d'admettre cette hypothèse gratuite, A la p. 201, remarquons qu'on ne sait pas, en


dehors d'une théorie basée sur une façon de comprendre l'Apocalypse elle-même,
que le culte impérial, tel qu'il est décrit au ch. xiii, eût été organisé si rigoureuse-
ment dès le règne de Doraitien ; rien ne permet d'affirmer que Jean veuille décrire
la situation contemporaine, une vue prophétique qui ne se réalisera
il a bien plutôt
que longtemps après lui. — Enfla, nous constatons d'un côté avec
plaisir que l'exégète

américain conserve assez de liberté vis-à-vis des traditions de la Réforme; il note,


p. 163, que ni dans l'Apocalypse, ni dans aucun livre du N. T., il n'y a d'antithèse
entre la foi vivante et les œuvres, et va jusqu'à se référer à saint Jacques ; mais,
d'autre part, ne retrouverait-on pas quelque parti pris de théologie protestante
dans le soin qu'il a d'interpréter en l'a faiblissant le sens de Upeti:, d'écarter du « Fils

de l'homme », ch. i<^', tout trait sacerdotal, et même de la figure des 2i vieillards,
ces anges intercesseurs? Il ne peut le faire pour ceux-ci (p. .512), qu'en supprimant,
par une pétition de principe, les « prières » des hommes que ces vieillards offrent à
Dieu. C'est du reste la seule mutilation qu'il se permette. Être « prêtre » ne signifie

pas la simple facilité d'approcher immédiatement de Dieu, interprétation dont il se

sert pour différer le « sacerdoce » des chrétiens jusqu'après la Parousie. Non, les
chrétiens sont tous prêtres en un sens dès ici-bas, parce qu'ils intercèdent les uns
pour les autres, et pour l'Église, et cela efficacement, étant des « rois » ; ce n'est
pas là de pure eschatologie.
^,Pour conclure, reconnaissons en ce commentaire l'œuvre d'un savant largement
informé, et assez indépendant à l'égard des individus; un essai consciencieux pour
venir à bout des difficultés d'un livre si plein de mystère. Mais il lui a manqué la

pleine compréhension de la virtualité du style, et de la souplesse de l'esprit johan-


nique. ce qui, joint au préjugé des eschatologistes, fait que l'auteur n'a réussi qu'à
moitié, malgré sa science et sa foi. Une vénération sincère de la parole de Dieu
cherche à s'y mettre d'accord avec le respect — plus instinctif que conscient — des
décisions de la majorité. C'est avec regret qu'on croirait par-ci par-là, entre des
discussions qui portent la marque d'un esprit libre et vigoureux, entendre comme
l'écho d'injonctions à la Prusias que l'auteur s'adresserait :

Oh: ne nous brouillons pas avecque la Critique!

Au reste, le ton est toujours digne, consciencieux, chrétien, l'infornaation très


étendue, et, si nous avons insisté sur ce qui fait à nos yeux le grand défaut du livre,

c'est qu'un tel mélange de qualités critiques et rehgieuses individuelles avec des
concessions inconséquentes faites à 1' « opinion publique » des Universités d'Outre-
Rhin nous parait assez caractéristique d'un groupe notable des exégètes protestants
de langue anglaise. •

E. Bern. Allo, 0. P.
Fribourt

UEVUE BIBLIQUE 1920. 38


.S94 REVUE BIBLIQUE.

The Old Testament in greek according to the text of Codex Vaticauus, ...edited

by Alan England Brooke, D. D. and Norman Mac Lean, M. A., Vol. I The
Ootateuch, part IV, Joshiia, Judges and Riith; Cambridge University Press, 1917,
pp. i-xxi, 675-897 et introduction au premier vol. pp. (i)-(xxvn).

MM. Brooke et Mac Lean ont eu la bonne fortune de pouvoir terminer, malgré
la guerre, l'impression du premier volume de la grande addition des LXX entre-
prise par l'université de Cambridge.
Dans la préface à l'Octateuque, parue avec le présent fascicule, où les auteurs
ont rappelé la genèse de leur travail, le 13 mars 1883. les syndics de VVniversity
Press annonçaient leur intention de publier une édition des Septante, ornée d'un
ample apparat critique et destinée à fournir aux biblistes les principaux matériaux
pour une détermination critique du texte. Comme les travaux préparatoires devaient
durer de longues années, on décida de publier d'abord une édition manuelle sur
la base du Vaticanus, avec les variantes des grands onciaux; c'est l'édition de

Henry Barclay Swete, parue de 1887 à 1894, plusieurs fois rééditée, immédiatement
devenue classique, et dont il n'est pas nécessaire de refaire l'éloge.
Mais Swete, qui a encore fourni à ceux qui étudient les LXX l'admirable manuel
qu'est Yhilroduction to the Old Testament in greek (1), ne put accepter la charge

de préparer grande édition. Après des recherches préliminaires de Hort en


la

1891 et Rendel Harris eu 1892, l'entreprise fut couOée en 189-5 à MM. Brooke et
Mac Lean, dont la collaboration remonte ainsi à un quart de siècle. Aidés par
plusieurs érudits, surtout pour la récolte des citations scripturaires dans les ouvrages
des Pères, les éditeurs portent seuls la responsabilité de la rédaction; ils oat
d'ailleurs coUationné eux-mêmes les manuscrits et les versions, ce qui représente
un labeur considérable. Fidèles au principe émis en 1883 et approuvé en 1902 au
congrès des orientalistes de Hambourg, ils donnent, comme on sait, une repro-
duction pure et simple des matériaux critiques, sans chercher à restituer le texte

original des Septante.


L'introduction contient une liste de tous les manuscrits connus, où se trouve
quelque partie de la version grecque de rOctateuque, et une liste des lectionnaires
de l'Ancien Testament : toutes deux sont arrangées suivant l'ordre des localités
et bibliothèques où les manuscrits sont conservés. Pour ces deux listes, les éditeurs
confessent qu'ils doivent de précieuses informations à la Verzeichnis der griechischen
Handschriften des Alten Testaments, publiée en 1914 par le D. Rahlfs, directeur
de la Septuagi7ita-Unlernehmen de Gôttingen. Il aurait été sage, semble-t-il, de
reproduire les sigles de Rahlfs (2), car ceux-ci seront employés commodément
à l'avenir pour désigner les mss. des LXX, et, dans quelques années, lorsque
leur usage se sera répandu, on pourra regretter de ne pas les trouver ici.
Très attentifs à tenir leurs souscripteurs au courant des textes nouveaux, qui
se rapportent aux fascicules déjà parus, les éditeurs ont ajouté à l'introduction

- (1) Le manuel de Swele a été réédité en 1914, sous la revision de llicliard Rusden Otley,
mais que l'on pouvait l'aire sans modifier la mise en page? (cf. p. 189,
les additions, sauf celles
p. ex.), ont été introduites sous forme de notes additionnelles, p. 498-530. C'est un grave
défaut pour un manuel; quelque grand que soit le respect dû du texte d'un maitrc tel que
Swete, il aurait mieux valu amalgamer avec l'ancienne la documentation nouvelle. Il suffisait
d'ailleurs, pour atteindre le but proposé, de reporter entre crochets dans le texte la pagination
de la première édition, suivant la méthode adoptée pour les éditions successives de Driver,
Introduction to the lileraliirc of l/ie Old Testament.
(-2) Le Dr Rahlfs a eu l'heureuse idée de conserver aux mss. déjà utilisés par Holmes et Par-
sons les nombres par lesquels ceux-ci les ont désignés.
RECENSIONS. 595

spéciale du présent fascicule la collation de quelques menus fragments de papy ri


grecs et celle de plusieurs manuscrits coptes. Les variantes du Deutéronome sur
papyrus, acheté pour le Musée Britannique en 1911 et qui remonte au iv« siècle,
sont particulièrement intéressantes pour la recherche des leçons préorigéniennes.
Sans la guerre, nous trouverions sans doute ici d'autres collations importantes :

celle de la Genèse grecque sur papyrus, achetée en 1906 par Karl Schmidt et
conservée à la bibliothèque de Berlin, que l'on croit écrite au iii'^ siècle, et celle
du manuscrit de Hamouli, appartenant à Pierpont Morgan, qui contient un texte
continu et complet des trois derniers livres du Pentateuque en dialecte sahidique (1).
Moi-même, j'espérais procurer aux éditeurs avant la conclusion de leur premier
volume une collation des fragments de la Genèse et de l'Exode contenus dans
quelques feuillets palimpsestus du ms. Pu II Qvaecus 15 dont j'avais lu plusieurs
colonnes avant les vacances de 1914.
Il y a peu de particularités à relever dans ce volume. Dans Josué, la collection

des variantes, nombreuses dans les listes toponymiques, sera précieuse pour qui-
conque voudra approfondir les questions de géographie biblique; car si certaines
de ces variantes, simples transformations graphiques d'archétypes mal lus, n'ont
d'intérêt que pour les élèves d'une classe de paléographie grecque, d'autres sont
le produit d'un effort pour situer les localités citées et marquent un point dans
l'histoire de l'exégèse.
La rédaction de l'apparat critique du livre des Juges présentait une difficulté
spéciale : on sait que pour ce livre l'AlexaiidrinKs représente une recension très
différente de celle du Vaticanus, —
si différente que l'Université de Cambridge a

fait publier en 1897, par MM. Brooke et :Mac Leau, The Book ofJudges in greek

according to tlie text of Codex Alexandrinus, comme complément à l'édition


manuelle de Swete. Les éditeurs pensaient alors que dans leur grande édition ils

devraient suivre l'exemple donné par Paul de Lagarde dans ses Septuaginta-sludien,
et imprimer sur les pages se faisant vis-à-vis les textes correspondants de A et de
B. Mais en examinant leurs collations, ils se sont aperçus que certains manuscrits
étaient capricieux dans leurs préférences et qu'il serait très difficile de déterminer
dans quelles pages devraient figurer leurs variantes. Finalement, ils n'ont imprimé
qu'un seul texte continu, celui de B, mais pour permettre aux lecteurs de trouver
sans hésitation la recension attestée par A, ils ont imprimé en caractères gras
les variantes de ce manuscrit. Il n'y a qu'à les louer de cette initiative, qui facilite
beaucoup la lecture de l'apparat critique.
En annonçant llapparition de là Genèse, en 1906, les éditeurs, prévoyant les
lenteurs de la publication, ne mirent en souscription que le premier volume; main-
tenant que celui-ci est terminé, et magistralement, nous souhaitons que la crise
de l'imprimerie, qui arrête plusieurs publications scientifiques, ne retarde pas
l'apparition des fascicules suivants.

Eugène Tisserant.
Rome, le i'J juin 1920.

(1) A check lisl of coptic manusciipts in the Pierpont Morgan Library. ^'e\v-Vork 191'J
p. 3.
BULLETIN

Nouveau Testament. — Son Étniaence le Cardinal Billot S. J. a eu l'heu-


reuse idée de réunir en un volume intitulé La Parousie (1) quelques articles qui ont
paru dans les Études, au cours des années 1917, 1918 et 1919. Il ne peut être
sans intérêt de voir les problèmes exégétiques abordés par une si haute autorité
théologique. Le livre est dirigé contre « les modernistes », dont les objections
sont très consciencieusement présentées. Un seul nom est prononcé, c'est celui de
Duchesne. Quelques-unes des réponses, pour être anciennes, n'en sont pas
Me""

moins solides, et l'on ne serait certes pas agréable à l'éminent auteur en lui attri-
buant des vues nouvelles. Il est cependant un point sur lequel il reconnaît s'éloigner
de la plupart des commentateurs, tombés dans « une erreur et une erreur mani-
feste, car la vérité, bien facile d'ailleurs à contrôler, est qu'en réalité Daniel a prédit

Vabominatio desolationis in loco sancto, pour trois époques très différentes et. très
distantes les unes des autres premièrement, pour le temps de la persécution
:

d'Antiochus (viii, vers. 13, et xi, vers. 31); secondement, pour le temps du siège
et de la ruine de Jérusalem (ix, vers. 27); troisièmement enfin, pour le temps de
l'Antéchrist, de la fin du monde et de la résurrection des morts (xii, vers. 11) (2). »

La solution est-elle si facile? Et la discussion peut-elle s'appuyer sur les seuls


textes de la Vulgate? Les modernistes n'y donneront pas'les mains, ni probablement
les doctes traducteurs de la Bible de Crampon. De même le P. Knabenbauer qualifiait

de plane improbabilis l'opinion qui entend de la Transfiguration la promesse de Jésus :

« Je vous le dis en vérité, plusieurs de ceux qui sont ici présents, ne goûteront

pas la mort, sans avoir vu le Fils de l'homme venir dans sa royauté (3). » La
« pleine évidence » que le Cardinal Billot attribue à cette opinion avait échappé aux
commentateurs catholiques modernes pour la raison donnée par le P. Knabenbauer :

lam si Christus hoc brevissimum spatium designare voMsset, nunquam dixisset : sitnt

quidam qui non gustabunt mortem (4).

L'authenticité de la Ih Épltre aux Thessaloniciens est encore vivement contestée


par la critique indépendante. M. J. Wrzol a pensé avec raison qu'il convenait
de répondre (5). De là le caractère polémique de son travail, et l'ordre suivi.

(1) In-16 de 33-2 pp. Paris, Beaucliesne, 1920.


(2) P. 105 s.
(3) Le. IX, 27 cité p. 187. I

(4) In Mattli. Il, p. 78.


(5)Die Echtheii des zweiten Tbessalonicherhriefes, untersuclit von Dr Joseph Wiizol, Relî-
gionslehrer in Freistadt (dans les Biblische Sludien, xix, 'i;, 8" de xi-13-2 pp. Freiburg:, Herder, —
1916.
BULLETIN. 59:

Eu effet, au lieu de poser d'abord les preuves décisives de la tradition, l'auteur

ne les indique qu'à la fin, après avoir déblayé le terrain des objections qu'il range
sous quatre chefs : A) l'eschatologie de l'Épître; B) la dépendance de la seconde
épître qu'on dit mêlée de quelques locutions non pauliniennes C) les ; passages
II Thess. II, 2 et m, 17: D) le caractère impersonnel de l'Épitre. — Chemin
faisant, l'auteur rencontre la difficulté sans cesse reproduite de la conviction
qu'aurait eue l'Apôtre de vivre jusqu'à la Parousie. Il y fait une réponse nuancée :

Paul « s'attend bien à vivre encore au moment de la parousie, mais il tient aussi
pour possible qu'il meure avant la Parousie. Dans I Thess. iv, 15 par exemple, il se
range parmi ceux qui vivront encore au jour du Seigneur, mais il ne prétend nulle-
ment donner ainsi une décision certaine; en disant r^iLzXi (nous) il entend seulement
se mettre en contact affectueusement avec la communauté, en unissant ainsi très

étroitement son destin au leur, et en faisant entrevoir qu'ils iront ensemble au-
devant du Christ à son retour. Mais que néanmoins il compte avec la possibilité

d'être mort en ce jour, c'est ce que montre I Thess. v, 10... etc. Nous voyons
parla, qu'on ne peut pas parler d'une conviction initiale de Paul; ses expressions
sur ce sujet ne sont que des conjectures, des espérances » (p. 125}. — La princi-
pale utilité de cette brochure est peut-être sa réponse aux attaques de Wrede
(Die Echlheit des II Thess-Briefs, Leipzig, 1903}, dont le talent original avait

renouvelé le sujet et fait quelque impression.

La foi de saint Paul sur les Anges et les démons (1) n'est point un thème
inexploré. M. Kurze a pensé qu'on pouvait le traiter avec plus de méthode. Il
en a donc tenté pour montrer, contrairement à
la synthèse, surtout ce qu'a prétendu
Dibelius, que cette synthèse existait dans la pensée de saint Paul. Non qu'il ait

développé ex professo un système d'angélologie il n'en parle guère qu'à propos du ;

Christ. Mais enfin, si sa doctrine a des lacunes, elle n'en était pas moins liée dans
son esprit. Il faut féliciter M. Kurze d'avoir assis sa théorie sur une exégèse détaillée
des principaux passages. C'est systématiquement qu'il ne s'est pas étendu sur les
sources extérieures d'information. On le regrettera si l'on estime que la méthode
comparative ne serait pas sans résultats sur ce point. L'Épître aux Hébreux est
traitée à part, pour se placer sur le terrain des critiques et parce que même des
exégètes conservateurs n'admettent pas que sa forme extérieure soit de Paul.
D'ailleurs c'est bien la même Angélologie. L'auteur tient beaucoup à prouver que
Paul ne regardait pas les dieux des païens comme des êtres réellement existants.
Et en on ne peut pas établir qu'il ait cru à l'existence du démon Aphrodite
effet

ou du démon Hermès, etc. Mais s'il pense (I Cor. x, 19 ss.} que les sacrifices
offerts aux idoles profitaient aux démons, il établit donc une certaine connexion
entre ces dieux et ces démons. C'était d'ailleurs la conviction des Septante, non
seulement parce qu'ils ont quelquefois traduit Elohim par £-c;îIo'., mais aussi à
cause de passages comme Dt. xxxii, 17; Ps. xcv, 5; Baruch iv, 7.

Le livre admirable du R. P. Lebreton, S. J. Les Origines du dogme de la Trinité, a


marqué le moment où les études critiques bibliques, nées enfin parmi nous, ont
rendu hommage au dogme catholique. Synthèse dont on ne peut pas dire qu'elle
soit définitive —
ce n'est jamais le cas, — mais qui a groupé dans une belle harmo-

(1) Der Engels-und Teufelsglaube d'js Apûstels Paulns, von Dr Georg Kur?e Sclilosskaplan

in Gaussig in Saelisen. 8" de viii-168 pp. l-reiburg, Herder, 1913.


598 REVUE BIBLIQUE.

nie ce qu'où pouvait, ce qu'on devait dire aujourd'hui à rencontre de tant de sys-
tèmes nouveaux, sans montrer moins de souci que qui que ce fût de la précision, du bon
aloi des témoignages et des arguments. Ce n'était là qu'un commencement, car l'au-
teur se proposait de poursuivre l'étude du dogme chez les Pères anténicéens et chez
les Pères du iV siècle Nescio quid maim^ nasdtur opère Petavii. La maladie l'ayant
:

arrêté, pendant que le public il a dû donner une quatrième


s'empressait à le lire,

édition (1) du T. !'='•


Le chapitre consacré aux évangiles
avant de passer outre. •

synoptiques a été entièrement refondu... la note consacrée à l'ignorance du jour du


jugement J/o(?-c, xiii, 32; a été, elle aussi, profondément remaniée » p. viii). Ce
qui regarde le Logos dans Philon a été développé, —
39 pages au lieu de 22. Le R. P.
a fait plus de place à l'exégèse biblique de Philon, spécialement en ce qui regarde
l'Ange de lahvé. Il proposée ici-même (2),
a accepté telle suggestion qui lui avait été

mais il Logos de Philon tout caractère personnel l'Ange de


refuse toujours au :

lahvé ne serait qu'une « figure du logos » (p. 235, note 1). II va sans dire qu'on n'a
pas prétendu ici (3j que l'exégèse de Philon emporte les md-mes. conséquences que l'exé-
gèse stoïcienne. Et il serait assurément excessif d'admettre que toute interprétation
symbolique entraîne pour Philon la personnalité. On pensait seulement qu'une inter-
prétatioQ exégétique réelle de Philon l'amenait à des expressions très fortes dans le
sens de la personnalité (4), en contradiction d'ailleurs avec ses principes. Mais dans
l'histoire des idées les formules même aberrantes n'ont-elles pas quelquefois autant et
plus d'importance que les systèmes bien liés?

Doit-on traduire plus ou moins littéralement? M. Weber a pensé que si un tra-

ducteur était tenu de ménager le génie de sa langue, le latin semblait très propre à
une traduction tout à fait littérale, en particulier de l'arménien. Il a donc traduit
d'abord largement en allemand la Bémonstration de la prédication apostolique de
S. Irénée, ce qui lui a valu bien des déboires. Mais cette petite guerre s'est effacée
dans la grande, et sans doute accueillera-t-on avec une faveur plus unanime la ver-
sion latine '5) très serrée qui a paru en même temps que la traduction française du
R. P. Barthoulot (6). Comme M. Tixeront, M. Weber s'est élevé contre la prétention
de quelques critiques, duce Haniack, qui saluaient dans l'œuvre de l'évêque de Lyon
une théologie dans l'esprit de la Réforme, appuyée uniquement sur l'Écriture, sans
hiérarchie et sans sacrements. Non, Irénée n'a point prétendu exposer toutes les

vérités que devaient croire les ûdèles, ni tous les moyens de salut qui leur étaient
offerts dans l'Église. Son oeuvre n'est catéchétique que dans la forme, mais elle est

largement apologétique, surtout en établissant la mission surnaturelle du Christ


d'après les prophètes. M. Weber
une part assez large aux erreurs des copistes
fait

ou même du vii<= siècle, sur un texte grec. C'est


traducteur, lequel opérait vers le
plutôt par une erreur non imputable à Irénée qu'il explique la malédiction tombant
sur Cham et non pas sur Canaan (7; (20-21). Le passage prophétique cité au ch. 77
est Osée 10,6, d'après les Septante. On regrette que M. Weber n'ait pas mis plus de

(1) 8° de xxiv-64i pp. ; Beauchesne, 191î).

(2) RB., 1910, p. 592, n. 3, citée p. 215, note 3.


(3) RB., 1910, p. 590, citée p. 2'«, note 1 cl. Epiktet de BonliOfler, p. 186.
;

(4) Cf. p. 207, qui concède bien quelque chose.


(5) Sancli Irenaei episcopi Lufjdunensis Demonslralio Aposlolicae Praedicnlionis... ex armeno
vertit, prolegonienis illustravit, notis lociiplelavil Simon AVf,r.Ei\, in-10, vn-12i pp. Friijurgi. Her
der, 1917.
((i) RB., 1917, p. 304.

(7j Ce n'est cependant pas possible, car le loxte a soin de grou|ier sous la malédiction t\c'i fils

de Cham autres que Canaan.


BULLETIN. 399

notes. Faut-il entendre les quatorze générations du ch. 20 de siècles, comme propo-
sait le R. P. Bartlioulot?Ce!a paraît bien conforme à la chronologie des Septante. De
la même façon Abraham est placé dix siècles après le déluge (21). Cela du moins est
clair. Mais que peut signifier : (Abraham) qui a proie Sem decimae o.elatis descen-
dens in genealogin recensitus est ?

Ancien Testament. —
La Revue a déjà parlé de la Bible protestante dite du
Centenaire (1). On en a détaché les Psaumes, sans doute comme se prêtant à une

plus grande diffusion 2). On ne sait à quoi se rapporte ici le mot introductions, à
moins que ce ne soit aux deux pages qui renseignent sur le texte suivi et à la note
finale sur les indications musicales, littéraires et liturgiques. On nous explique aussi
pourquoi on a renoncé à traduire le nom sacré par « l'Éternel », traduction fausse
et surannée. On dit maintenant lahvé. Les psaumes sont traduits dune façon assez
large, dans un français coulant qui renonce à reproduire les idiotismes de l'hébreu.
Même on n'a pas hésité à recourir aux Septante contre le texte massorétique. Quand
il a paru altéré, et que la conjecture ne pouvait s'établir avec assez de certitude, les
traducteurs ont mis des points à la place du texte, et indiqué en note le sens littéral.

Il y a un double registre de notes celles qui se rapportent au choix du texte, et


:

celles qui donnent des explications, surtout sur le sujet du psaume, sa composition,
le sens des mots et des phrases. INous sommes prévenus que les traducteurs se sont
fait une loi de ne jamais brouiller ni intervertir les vers hébreux ni même leurs
membres rythmiques, mais on ne nous dit pas ce qu'est le vers. Il n'y a pas de ren-
vois aux ouvrages consultés.
la même façon les noms des traducteurs demeurent dans l'ombre. C'est seule-
De
ment par une note que nous apprenons comment le travail a été partagé entre
MM. Charles Mercier, Paul Humbert, Louis Randon, A.-B. Henry. M. Ad. Lods a
revisé l'ensemble du travail. « Le texte a été ensuite examiné et définitivement
arrêté par la Commission de l'Ancien Testament de la Société biblique de Paris. »
Il serait donc exagéré de parler d'une édition officielle du protestantisme français.

Mais il a y bien là comme une acceptation par des personnalités éminentes de ce


qu'elles regardent comme les résultats de la science, une sorte de mise au point
proposée à des esprits cultivés. A ce titre, l'ouvrage sera lu avec intérêt par tous les
biblistes.

Mr Karl Huber a voulu contribuer aux travaux préliminaires que suppose une
grammaire complète des Septante en portant son attention sur le grec du Lévi-
tigue (3). Pour éviter l'encombrement des formes récentes, l'auteur a fait fond sur
le Vaticanus reconnu pour le plus ancien, le plus important et le meilleur repré-
sentant de la version alexandrine, et dont l'utilisation est rendue extrêmement
facile par la grande édition de Cambridge. M. Huber juge pourtant qu'il est des
cas où les éditeurs n'auraient pas dû corriger le texte de B, par exemple Levit.,
II, 2 où la lecture ::Xr5pr] -riv ooiy.% remplace la leçon de B : -Xr^pr;; ->,'/ 5pa/.av,

Psichari est en eflet d'avis qu'on maintienne dans le texte les accusatifs singuliers
en av de la Z'' déclinaison, quoique cette anomalie soit fort rare dans les papyrus

(1) RB., 1918, p. ;j8I.


,2) Les Psaumes, extrait de la Bible du Centenaire, Traduction nouvelle d'après les meilleurs
textes avec introductions et notes. Grand 8» de 188 pp. Paris, Société biblique, 19-K).
(3) Untersuchungen ûber d'in SpracMcharacter des rjriechischen Leviticv.s, 8" de viit-)2i
pp. Giessen, Topelraann^ 1916.
GOO REVUE BIBLIQUE.

de l'époque ptoléùiaïque. Quant à rÀrjpT,: indéclinable, le plus ancien exemple fourni


par les papyrus est de 160 avant J.-C. A
s'en tenir à l'usage des papyrus, on serait
donc tenté d'approuver la leçon correcte des éditeurs comme étant celle de l'original.
Néanmoins les formes de la xoivtî ne doivent pas être éliminées facilement de B,
en raison même de la correction dont ce témoin fait généralement preuve. De
beaucoup supérieur aux autres manuscrits pour l'orlbographe, il se distingue aussi
par l'emploi des futurs et des aoristes classiques. On ne peut l'accuser, d'autre part,
d'avoir subi les amendements d'un puriste, car les vestiges de la langue commune
et l'empreinte sémitique des traducteurs sont loin d'en avoir été effacés. Les désac-
cords dans le genre et le nombre, par exemple, dus soit à un calque de l'hébreu,
soit à l'influence w^n], y sont très fréquents.
de la

Dans l'emploi du présent pour le futur (présent prophétique), M. Huber amène


Levit., xiY, 34 (XIX, 23 dî TTjv Y^v tôjv Xxvavaîwv, r,v îyw ofow;j.'. ujjTv, où le présent
peut se soutenir comme se rapportant à une donation présente. Peut-être eu t^v lyoi

sijivco 6;j.Sç comprend-il de l'adduction actuelle des Hébreux vers


de XVIII, 3 se

Canaan. L'usage du parfait au lieu de l'aoriste dans vu, 24 (34), xvii, 12 s'explique,
nous semble-t-il, d'une certaine façon. Si l'on se réfère au texte massorétique,
on remarquera que les LXX ont rendu le parfait hébreu par le parfait grec, et l'im-
parfait hébreu par l'aoriste. Il y aurait donc ici ime influence du sémitisme plutôt
que de la xo-.vrî.

L'ouvrage se termine par un paragraphe particulier consacré aux hébraïsmes qui


se manifestent dans la construction des phrases, dans maintes locutions et dans
l'acception de certains mots comme âme », « visage », « yeux », etc. Quelques
<^

noms cependant tels que V.txw:, cjîzÀo;, ûaawTto;, ayant déjà passé en grec, grâce
au contact des Phéniciens, ne sont pas à considérer comme des hébraïsmes parti-
culiers aux LXX. 11 est le mot sic'le soit
assez remarquable qu'au chap. xxvii
traduit constamment par o(ôpa/;jLov. B, comme les principaux témoins des Septante,
est exempt des nombreuses transcriptions hébraïques hexaplaires que l'on relève
dans plusieurs manuscrits.
11 serait à souhaiter que tous les livres de l'A. T. grec fussent soumis à une
étude aussi sérieuse et aussi méthodique que celle-ci, pour le progrès de la con-
naissance du grec biblique.

Si Ion veut serrer de près l'histoire des versions anciennes, il faut procéder par
monographies. C'est ce qui a décidé M. Mager a étudier le texte de la version
syriaque Peschittho du livre de Josné (1). Il fallait d'abord en déterminer le texte
pour le comparer ensuite avec l'hébreu et les autres versions. Parmi les éditions,
d'une part les textes des polyglottes de Le Jay et de Walton. repris par Lee,
remontant en somme tous trois à un médiocre manuscrit de Paris et représentant
une tradition occidentale; d'autre part les textes d'Ourmia et de Mossoul, repré-
sentant une tradition plutôt orientale. De ces deux derniers, M. Mager préfère
l'édition dominicaine de Mossoul, et s'étonne' après M. Diettrich, qu'elle soit presque
complètement ignorée de la critique protestante. Parmi les mss,, le Codex Ambro-
sianus reproduit en photolithograpbie par les soins de Ms'' Ceriani, et cinq mss.
dont quatre du British Muséum et un de Berlin, plus un fragment. Le ras. Ambro-
sianus que Cornill avait cru retouché d'après les Massorètes est un très bon témoin;

(i; Die Peschittho zum Bûche Josua., untersucht von D"^ Hermann >UGEr,, 8° de xi-Ill pp.. Frei-
burg, Herder, 1913. Prix Frs. 2. 23.
BULLETIN. 001

de même que les autres mss. il se rapproche plutôt de la tradition orientale. Cet
examen se termine par une liste des variantes.
La deuxième partie examine la version syriaque comme version. Elle a surtout
voulu rendre clairement l'original, d'où un grand nombre d'additions pour la clarté.
L'intention du traducteur de rendre fidèlement l'original n'est pas douteuse.
D'ailleurs il s'est aidé du Targum. M. Mager rappelle et établit de nouveau les
caractères de cette traduction fidélité au texte, mais préoccupation d'éliminer ce
:

qui pouvait choquer le sens rehgieux, comme les anthropomorphismes — excepté


lorsque la colère de Dieu se déchaînait au profit d'Israël, — petites additions
explicatives. La version syriaque n'a pas évité les anthropomorphismes, n'étant
pas sous l'influence de Synagogue, mais dans bien des cas son accord avec
la

le ïargum est tel qu'il faut supposer une dépendance. C'est la version qui a dû
connaître le Targum, car ce dernier s'éloigne moins du texte hébreu. Et elle
s'est aussi aidée des Septante, sans qu'on puisse dire encore clairement à quel
groupe elle a eu recours. L'ouvrage se termine par une collation du texte hébreu
avec le syriaque. Les noms propres sont mis à part et rangés dans un ordre qui
n'est ni celui du texte ni celui de l'alphabet. M. Mager y compare l'hébreu, la
peschittho, la syro-hexaplaire et les Septante. Il est très regrettable que le Targum
ne figure pas dans cette liste, fût-ce en remplaçant la colonne Syro-hexaplaire.
En effet les noms géographiques de la version syriaque sont souvent défigurés.
Que tirer dune version qui de Ta S"2 fait tantôt -;-a (xi, 17), tantôt xSjiSa (xii,
7:, tantôt TJ^:^2 (xiii. 5 ? Chaque fois elle a eu recours à un équivalent cherché
ailleurs. On ne songera donc pas à redresser un nom hébreu d'après le syriaque.
Mais la version pourrait être très utile, si elle avait substitué un nom moderne
au nom ancien. C'est le cas de Cadès Barné, remplacé par n\s*;- cp"! (\, 41), et
précisément d'accord avec le Targum. En pareil cas le Targum a très bien pu se
guider d'après une tradition vivante, et authentique; il serait curieux de savoir
si la version syriaque lui donne son appui. Et peut-être en somme serait-ce le
principal bénéfice de l'étude de cette version. M. Mager est disposé à la dater du
!«' siècle ap. J.-C, sans assigner d'autre raison que les besoins pratiques des
communautés chrétiennes de Syrie. Si cette version s'est servie du Targum et des
Septante, quelle est son autorité quand elle va avec eux contre le texte masso-
rétique? Et si elle est seule contre trois ou contre deux, quelle chance lui restera
de prévaloir.^ M. Mager n'a pas abordé ce point, fût-ce par quelque exemple bien
choisi. En somme il n'y était pas tenu. Les exégètes qui se serviront de ses listes
lui seront très reconnaissants de les avoir dressées.

La Revue a signalé l'entreprise intéressante de traductions d'anciens documents


en langue anglaise ( l . X cette date rien n'avait encore paru de la troisième série,
réservée aux documents rabbiniques. Nous avons maintenant le traité Sanhédrin,
traduit par M. Herbert Daaby 2 . Il a eu l'heureuse idée d'ajouter au texte de la
Michna, traduite d'après le ms. Add. 470, 1 de Cambridge, celui de la Tosephta,
traduite d'après l'édition de Zuckermaudel. On n'est pas encore au net sur les
rapports de ces deux rédactions; M. Danby pense que la Tosephta, qu'on ne peut

(1) RB., 1918 p. 282 ss.


(2) Tractate Sanhédrin Mishnah and Tosefta, the judicial procédure of the Jews as codified
lowards the end of the second century A. D. Translated from the hebrew with briel annota-
lions by Herbert Danby, M. A., [)etit 8» de 148 pp. Londres, Society for promoting Christian
knowledge, 1019.
G02 REVUE BIBLIQUE.

décidément pas regarder comme


une autre Michna indépendante, n'est pas cepen-
dant lecomplément de la Michna traditionnelle, mais d'une autre qui serait perdue.
Si la Michna a été bien souvent traduite, il n'en est pas de même de la Tosephta.
et on ne sera pas fâché de lire les deux textes côte à côte, traduits par la mèrae
main. Le traité Sanhédrin passe pour être d'une extrême importance dans la
question du procès de Jésus. On s'est souvent appuyé sur la procédure qu'il sup-
pose pour prouver l'iliégalité de la condamnation du Sauveur. M. Danby n'avait

sûrement pas l'intention de justiQer le tribunal de Caïpbe, mais il a eu parfaitement


raison d'insister sur le caractère artificiel du traité Sanhédrin. Vers la fin du
H<^ siècle, le grand conseil d'es Juifs n'avait plus la redoutable puissance de l'ancien

Sanhédrin. Après que tant de sang juif avait été répandu, on s'ingéniait à multi-
plier les chances offertes à un accusé d'échapper à la mort. La « mesure de misé-
ricorde ); était vraiment surabondante. De phis, avec cette absence totale de sens
historique qui caractérise tout le Talmud dès le temps de la Michna, les docteurs
juifs n'ont songé ni à décrire l'institution telle qu'elle existait de leur temps, ni à
fixer le point oi^i en étaient les institutions au moment de la ruine. Leur Sanhédrin
était censé dater de Moïse, et ils lui donnèrent tous les traits du tribunal le plus
parfait à leurs jeux, d'un tribunal de docteurs deja loi, que le roi doit consulter
avant d'entreprendre une guerre Mich. ii, 4^ ! Il est aussi peu critique de s'ap-
puyer sur ces textes pour accuser Caïphe d'illégalité que pour révoquer en doute
la réalité historique de l'histoire évangélique. Leur valeur historique est nulle,
même pour le temps où ils ont été rédigés, mais ils sont un précieux témoin de
l'esprit qui les a conçus et de la valeur qu'il convient d'attribuer à la tradition
rabbinique. La traduction de M. Danby est aussi claire que possible. Des notes
donnent les éclaircissements les plus nécessaires, surtout sur les docteurs qui
figurent dans la discussion. L'éditeur regarde comme une section interpolée le

passage si curieux sur ceux qui n'ont pas de part au monde à venir Michna, x, 1-3;
Tos. XII, 9-xiii, V2), quoiqu'il se trouve à la même place dans les deux écrits.

On un exemple de l'intérêt qu'oflfrent les additions de


a ici la Tosephta. D'après
la Michna, R. Aqiba exclut du monde à venir « ceux qui lisent dans les livres

extérieurs », c'est-à-dire sans doute qui admettent l'autorité de livresnon cano-


niques. La Tosephta n'en dit rien, mais elle le suppose, car elle note « R. Aqiba
dit' Celui qui, dans un banquet fait du Cantique des cantiques une chanson à
:

chanter, le traitant comme un chant d'amour quelconque ». Le grand rabbin con-


damnait aussi celui qui murmurait des paroles de l'Écriture pour guérir une bles-
sure. La Tosephta « et^qui crache ». Sur quoi M. Danby cite en note Me. vu,
:

33; VIII, 23, ce qui est encore moins ad rem que GaL iv, 14.

Palestine. — La Néa Sion dont nous avons salué naguère avec sympathie la

réapparition consacre une bonne partie du bulletin bibliographique de son premier


numéro de 1920 à notre ouvrage sur Bethléem. L'auteur du compte rendu, M. lar-
chimandrite Calliste, adopte pleinement les conclusions archéologiques du P. Vin-

cent sur le remaniement de la basilique au temps de Justinien. Quant à la partie


historique, elle est agréée jusqu'aux Croisades, quoiqu'on trouve qu'elle manque de
renseigner sur les propriétaires du sanctuaire durant cette première période. J'avais
pourtant évoqué les cérémonies qu'y faisait le clergé de Jérusalem depuis le iv« siè-
cle, le rôle de ce même clergé dans la restauration sous Justinien, la convention
passée entre Omar et le patriarche Sophrone. S'il existe quelque part des titres de
BULLETIN. 603

propriété plus explicites et des listes comprenant les desservants de l'église avec
leur nationalité, nous en prendrions volontiers connaissance, car notre ligne de con-
duite est tracée par cet axiome : L'histoire se fait avec des documents.
En attendant ce supplément d'information, je profite de l'occasion qui m'est offerte
ici pour en fournir un qui intéresse davantage l'histoire de ce sanctuaire et que notre
recenseur aurait dû nous indiquer, je veux parler de la première mention, de la

seule connue jusque-là, dans les auteurs byzantins, du narthex de la basilique de la

Nativité. Cyrille de Scythopolis raconte dans la Vie de Jean l'IIésychaste qu'ayant


demandé à Dieu de lui montrer comment l'âme quittait le corps, cet anachorète fut
transporté en esprit à Bethléem, et vit dans le narthex de la vénérable église un
saint homme, étranger, dont l'àme était enlevée par les anges (1). Curieux de véri-
fier sa vision, Jean quitte aussitôt son ermitage de Saint-Sabas, accourt à Bethléem
et trouve en effet, dans le narthex même, le corps de cet homme qui venait d'expirer.
Prenant soin de cette dépouille qu'il vénère, il le dépose dans les saints caveaux,
probablement dans les vastes substructions de l'église. Le fait est postérieur à la
mort de saint Sabas ; le biographe l'intercale entre la 89^ année de l'Hésychaste et sa
90e ,'54.3; qui est l'année même de la dédicace de Sainte-Marie la Neuve de Justi-
nien. Eutychius attribuant au même architecte l'achèvement de l'église neuve, la
première église à narthex de Jérusalem, et la réédification de la Nativité, nous
porte à croire que Théodore, l'architecte impérial, s'occupa en même temps des
deux édifices, et qui sait si les colonnes couleur de feu employées dans la construc-
tion hiérosolymitaine ne sont pas venues en partie de l'atrium bethleémitain devenu
désuet par la création du narthex (2)?
Le compte rendu nous reproche d'avoir amoindri la part que l'empereur Manuel
Comnène eut dans l'oeuvre de la décoration médiévale. Dans la Revue pratique
(V apologétique (1920, M. Touzard nous sait gré de l'impartialité av£c
p. 594;,
laquelle nous avons rendu justice à chacun. Tant il est vrai qu'il est impossible de
contenter tout le monde Le recenseur de la Ma Sion ne va pas cependant jusqu'à
!

invoquer la suzeraineté du Comnène sur le royaume latin de Jérusalem, mythe que


d'autres essaient d'accréditer, ignorant que la condition de ce royaume était toute
différente de celle de la principauté d'Antioche sous Renaud de Châtillon. L'humi-
liation à laquelle ce prince turbulent se soumit en présence du basileus pour se faire
pardonner son incursion en Chypre n'engage en rien la subordination de la Palestine
et n'a aucun rapport avec la basilique de Bethléem.

Nulle part à Jérusalem ou dans la Terre Sainte, on ne constate les mesures que
prenait Manuel dans les provinces dont il revendiquait la suzeraineté obligation de :

remettre entre ses mains la citadelle à chaque réquisition, contingent armé à fournir
suivant les désirs de l'empereur, remplacement du clergé latin par le clergé ortho-
doxe. Nous y voyons au contraire le maintien du clergé latin dans toutes ses posi-

Archid. C1.É0PUAS, Bîo-. tôv -a/.a'.TTivûv âytcùv, p. -Xi


1) r^Çi-Kayr, r?i o'.avota ;'.; Tr,v à.\<.X'/
:

By|8/.el(A xal àpàh Ttô vâpôr,-/.'. xr,; aCtôO-. dioaufAÎa; £y.xAr,cca; âvopa :£-.o'., ayiov...
(2) n était donc difficile à Sopiirone d'admirer, au siècle suivant, l'atrium à quatre colonnades,
comme Weigand a voulu récemment le faire entendre cf. RB., 1019, p. 300). A rencontre de
cette fantaisie archéologique insoutenable, un spécialiste non moindre que C. Watzinger
[Antike Synarjogen, p. 182. n. 1 n'hésite pas à déclarer que, daus fa fameuse strophe de
sophrone le TSTpicïTO'jv doit s'entendre, ainsi que nous l'avions fait, des colonnades intérieures.
L'esthétique fut sacrifiée non seulement aus nouvelles exigences de. la liturgie, mais aux néces-
sités de la défense. Juslinien lit renouveler les murs de Bethléem, dit l'rocope, probablement
pour mettre le sanctuaire et la bourgade à l'abri des incursions sarrasines et samaritaines. A
cette même époque, S. Sabas obtenait la création d'un fortin avec poste militaire au milieu de
>es fondations monastiques.
604 REVUE BIBLIQUE.

lions (à Bethléem comme ailleurs), la coopération des troupes occidentales aux expé-
ditions communes en vertu de traités d'alliance et non en conséquence d'un hom-
mage, enfin la possession de la citadelle de Jérusalem par le roi latin qui en fait le
symbole de l'indépendance de son autorité (1).
Il nous paraît inutile de revenir ici sur les relations matrimoniales et politiques

qui unirent la cour de Byzance et les princes latins, sur les largesses de l'empereur, sur
la protection qu'il exerçait sur les orthodoxes d'Orient. Nous avons relevé dans
notre ouvrage les éloges que décernent à Manuel les documents occidentaux, recon-
naissant que sans lui le sanctuaire de la Nativité n'aurait pu revêtir une aussi bril-
lante parure. Le caractère byzantin de l'œuvre ne nous a pas échappé non plus,
ni étonné, puisque le même siècle vit se décorer de mosaïques byzantines les églises

du royaume normand de Sicile dont les souverains étaient les adversaires déclarés
de Constantinople. Pendant que Roger II guerroyait contre les armées du basileus,
des artistes byzantins répandaient des inscriptions grecques snr les murs de ses
églises et le représentaient en empereur oriental couronné par la main du Christ. Les
décorations exécutées aux frais des rois de Sicile ou des grands de leur cour, qui
n'étaient pas moins âpres que ceux-là à lutter contre l'Empire d'Orient, présentent
(fait singulier) beaucoup plus de textes grecs que les mosaïques de Bethléem. Les

traditions d'école primaient donc, en fait d'ornementation, toute préoccupation poli-


tique.
A Bethléem, il est vrai, l'image de Manuel figurait dans les mosaïques du chœur,
mais comme témoignage dé la reconnaissance de l'évêque Raoul envers l'empereur,
au dire du noble Cretois, Phocas. Cet aveu du voyageur grec est à noter en faveur de
que trahissent, dans la décoration de la basilique, les phylactères
l'inspiration latine
des prophètes, la devise de la Sibylle RB., p. I9f 4, 625), les légendes qui accom-
pagnent les scènes évangé(iques, les noms des ancêtres du Christ, l'arbre de Jessé,
l'argument du deuxième concile de Nicée, les vers latins des mosaïques de la grotte
et de la grande abside, la signature de Basil ius pictor, sans parler des peintures des
colonnes ou l'on retrouve les mêmes caractéristiques soit pour l'épigraphie, soit
pour l'iconographie que dans les sujets traités par la mosaïque.
II serait aussi maladroit que vain d'essayer de jeter le discrédit sur les quelques
hexamètres latins qui marquaient l'auteur et le synchronisme de ce travail. Tandis
que l'inscription grecque placée en regard se bornait à énoncer le règne du Com-
nène, la latine faisait allusion à la générosité du monarque en ajoutant dato?' largus,
pius imperitalor. Les pèlerins grecs ont omis de la signaler cependant pour la raison
très simple qu'ils ignoraient le latin ; ils ont certainement exagéré la portée de l'ins-

cription grecque en y voyant, comme Phocas, la preuve que Manuel avait tout fait à
Bethléem, même la bâtisse de l'église. Au reste, si ce basileus avait agi réellement
en souverain instigateur et directeur de l'œuvre ornementale, on ne concevrait pas
qu'il eût laissé une si large part à l'influence latine et accordé tant de latitude à
l'évêque anglo-normand Raoul.

(1) On sait comment les Latins s'opposèrent poliment mais nettement au projet que Jean Com-
néne avait formé de se rendre à Jérusalem avec son armée sous prétexte de faire ses dévotions
aux Lieux saints. Le roi Foulque ne lui ayant concédé qu'une escorte de dix mille hommes,
Jean trouva « qu'il ne convenait pas à la majesté impériale de se rendre à Jérusalem en si
mince compagnie ». La politique de Foulque inspirée par les événements d'Antioche et la crainte
d'une intervention byzantine dans les affaires du royaume fut suivie par Amaury, en dépit de
l'étal précaire de sa situation. N'est-ce pas le sceau de ce dernier (|ui symbolise la souveraineté
du roi sur Jérusalem par la représentation de la Tour de David, accostée du S. Sépulcre et du
Temple .'
BULLETIN. 605

Placé en face du syncrétisme gréco-latin que manifeste la basilique betbléemitaine,


j'en ai cherché les raisons dans l'histoire contemporaine, assez riche d'ailleurs pour
permettre le contrôle des assertions de tel ou tel itinéraire. Mon recenseur n'a rien
fourni qui pût expliquer la compénétration des éléments grecs, latins, palestiniens et
normands relevés à Bethléem. Que les artistes aient été des Hellènes, je le veux
bien, quoique aucune preuve n'en ait été apportée jusqu'ici; il faut alors reconnaître
qu'ils savaient bien mal écrire leur langue. Les Hellènes n'avaient pas en ce temps-
là le monopole du grec. Maints prélats envoyés par les rois latins à la cour de Cons-
tantlnople excellaient à parler cette langue comme Geoffroi, abbé du Temple et
Guillaume de Tyr. L'usage du grec était assez répandu parmi les chrétiens du pays
qu'on appelait Syriens. Une charte de 1173 signée de plusieurs noms grecs fait
mention du Syrien Miletos, archevêque des Syriens et des Grecs de Gaza et de Beit-
DjebrÎD.
Ce n'est pas à la légère que jai parlé de la présence à Bethléem après 1187 de
quelques clercs indigènes. Ce renseignement venait du chroniqueur anglais Vini-
sauf, qui fut témoin des exploits du roi Richard, et du pèlerinage de Thietmar. Il
est avéré que les chrétiens de la Palestine furent récompensés par Saladin et ses suc-
cesseurs de l'appui qu'ils avaient trouvé en eux. Si la pénurie de la documentation
ne m'a pas permis de signaler les Hellènes avant le xiv® siècle, à qui la faute? S'ils
avaient écrit davantage il nous serait resté peut-être quelques bribes d'information.
Je ne vois pas que les historiens grecs, même les plus récents, aient été plus expli-
cites que nous sur cette matière. Le premier évêque orthodoxe de Bethléem que
nous connaissions est Hélios, mort en 1344. Le reproche que l'on nous fait d'avoir
négligé les sources orientales manque absolument de fondement puisque aucun histo-
rien de la basilique de la Nativité n'a autant utilisé jusqu'ici les publications grecques
que nous. Le lecteur qui se reportera aux indications des ouvrages consultés mis en
note au début des chapitres aura la satisfaction de constater que nous n'avons pas

même ignoré l'histoire de l'archimandrite Chrysostome Papadopoulos dont ce


résumé de l'Histoire monumentale du xii® siècle est de nature à faire rêver « Les :

Croisés en quittant les Lieux saints laissèrent derrière eux des ruines, donnant occa-
sion à l'accroissement des malheurs de notre sainte Église qui va traverser une
nouvelle phase de son martyre. » L'auteur oublie l'oppression dont son église était
victime à la fin du xi*^ siècle et les demandes de secours qu'elle adressa à l'Occident.
A la documentation grecque la simple probité historique nous faisait un devoir d'unir
la documentation latine dont l'abondance et la précision nous ont mis à même de
tracer un tableau aussi complet que possible de Tétat de la basilique en ses jours de
splendeur et des vicissitudes de son existence aux époques de la servitude. Si, dès le

IV* siècle, la littérature relative aux Lieux saints est plus riche en Occident qu'en
Orient, ce n'est pas aux auteurs qui l'utilisent qu'il faut s'en prendre. [F. -M. A.]

En dépouillant récemment les manuscrits hagiographiques arabes de la biblio-

thèque Vaticane, le R. P. Peeters a eu la bonne fortune de découvrir une recension


nouvelle du « récit de la prise de Jérusalem par les Perses en 614 (l) ». Cette
rédaction développée du texte arabe se trouve dans un « manuscrit égyptien copié
en l'année 1329 de J.-G. » Elle contient plusieurs leçons nouvelles et des variantes
précieuses permettant de rétablir des noms estropiés ou obscurs dans les textes

(I) Analecla Bollandiana, XXXVIII, 19-20, p. 13--l'f7.


006 REVUE BIBLIQUE.

déjà connus et sera par conséquent un bienfait pour la topographie de Jérusalem


byzantine. On pourrait aisément l'apprécier déjà par l'étude de l'extrait que le
distingué boUandiste a publié en l'accompagnant de notes parfaitement érudites.
Mais la publication intégrale du texte arabe étant annoncée pour un avenir très
prochain, mieux vaut l'attendre pour examiner à nouveau ce sujet.

L'origine de la transcription to2 I'.Xwà[j. des LXX pour l'héb. nSï7n, hassi-

lô^h, a préoccupé M. Sheppard(l). Il a tout à fait raison d'éliminer l'hypothèse

d'une confusion entre mem et het ; je ne sache pas qu'un linguiste quelconque ait
jamais sérieusement émis uu tel paradoxe. Mais quand il imagine une forme duelie
hébraïque hassilôhuîm, contractée en hassilàhâm dans l'articulation courante, il est
à craindre que son étymologie spécieuse ne soit jugée par trop savante. Il se révèle
assez au fait de la duplication des canaux et des piscines dans les travaux straté-
giques d'Ézéchias, et n'a par ailleurs aucune peine à multiplier les exemples de
ces formes duelles dans les désignations toponymiques de l'hébreu. La plupart
néanmoins de ces duels apparents ne sont guère que des jeux de ponctuation
rabbinique et comportent une étymologie tout autre le nom même de Jérusalem :

en est peut-être l'exemple le plus caractéristique. Il est vraiment bien artificiel

d'imaginer qu'après l'Exil, je suppose, l'usage se soit établi d'appeler hassilôhaîm


la double piscine, ou ladeux canaux, ce que le livre de Néhémie
piscine aux
désigne encore comme nby;n ». Oa concevrait beaucoup plus simple-
« la piscine

ment une autre évolution onomastique. Un exemple comme mj'' Yânôah devenu
Ydnoun JS suggère d'abord l'abandon de la gutturale finale, par un phénomène

d'eupbonie assez spontané dans remplacement


l'articulation courante, et son
ultérieur par nounation arabe équivalant à mimalion hébraïque. Après avoir pro-
noncé hassilàcC on aurait finalement articulé hasSUôam, passé dans la translitté-
ration des LXX, tandis que l'arabe nuançait normalement la prononciation en
Sïlôân .JjL., usité encore de nos jours.

La restauration de la basilique constantinienne de l'Éléoua sous le vocable du


Sacré-Cœur de Jésus comme un mémorial de la Paix (2) a le don d'émouvoir l'irri-
tabilité acerbe de M. J. Schmitzberger, directeur de la revue Pihjer-Briefe
« organe du comité bavarois des pèlerinages en Terre Sainte ». Sous le titre éner-

gique Unchfistliches! Unkatolisches !


:

à traduire probablement en français par :

Anti-chrétien! Anti-catholirjue! — il s'y est repris à deux fois (3) pour dénaturer
les faits.En un langage qui lui est propre, il stigmatise ce qu'il estime une sacri-
lège démence {sakrilegischer Wahnsitin) et un abus pharisaïque dégoûtant de la
dévotion au Sacré-Cœur {in ekelhaft pharisàischer Wcise miszbraudien), pour
perpétuer avec une « extravagante arrogance » la rancune et les pires haines. Ce
qui met le comble à son émoi, c'est que ce temple anti-chrétien doit s'élever au
lieu même où le Sauveur est mort en ayant sur les lèvres le précepte d'aimer ses
ennemis —
apostrophe peu circonspecte malgré sa foi qui transporte le mont des
Oliviers au Calvaire! — Le flair de M. Schmitzberger lui fait découvrir en ce
projet, pourtant bien ingénu, lé" sens « ultra-chauviniste français ». N'a-t-il pas
d'ailleurs découvert « la portée politique anti-allemande que les cercles fanatiques

(1) The Journal of Iheol. Sttidies, XVI, 1915, p. il4 ss.


(2) Cf. RB., 1920, p. 207 ss.
(3) Pilger-Bricfe, iv du iri janvier 1920, p. 9 s.; n» du 13 avril, p. 10 ss.
BULLETIN. G07

français ont attribué à Montmartre... à Saint-Fourvière [sic] et à Lourdes »! Il

annonce en conséquence sa volonté de grouper tous les comités catholiques alle-


mands pour en appeler au Saint-Père. —
Ce ne sont pas les catholiques français qui
ont mêlé grossièrement Fourvière ou Montmartre et surtout la Vierge de Lourdes
aux événements politiques dont M. S. a le cœur ulcéré. Quant au langage de sa
pieuse feuille, on entend bien lui en laisser le monopole.
Il est piquant d'observer que le même projet, flétri lourdement par Schmitz-
berger comme une entreprise odieuse contre l'Allemagne, se révèle à d'autres
polémistes sagaces comme une évidente provocation à l'Italie. Dans un article
quelque peu ampoulé, M. Francesco Giorgi s'indigne que l'État italien néglige trop
de soutenir la Custodie contre des initiatives qui tendent à en ruiner le prestige;
on en allègue pour preuve que : la Francia è prossima a fondare un Santuario in

Gerusalcmme collo scopo di eclissare la « Custodia » (1). Vraiment? —


Quand la sagacité se fait si pénétrante elle prend aisément une nuance ridi-
cule [V.].

Nécrologie. — M. Wilhelm Bousset, né en 18G.5, est mort le 15 mars. La Revue


a souvent parlé de ses travaux qui l'avaient mis au premier rang en Allemagne parmi
les critiques du N. T. — M. Erwin Preuschen, né en 1867, est mort le 25 mai. Il

avait fondé et dirigé la Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschnft.

I Ilalia in Orienle, dans II Momcnlo du 14 février 1020, article de tête.

TABLE DES MATIERES

ANNÉE 1920

N" 1. — Janvier.
rage?.

I. L'AME JL'IVE AU TEMPS DES PERSES. — J. Touzard .",

IL NOTES SUR LES PSAUMES. — E. Podechard i:;

IIL 31ÉLANGES. — 1° La chapelle médiévale du repcs, R. P. L. H. Vincent.

— ±' Ce qui a été publié des versions coptes de la Bible, A. Vas-


chalde 70

IV. CHRONIQUE. — El-'Aoudjeh. — Épigraphie du sud palestinien, R. P. F.


M. AbeL — Un hypogée antique à Naplouse. — Nouvelles diverses. —
Épigraphie sioniste à Jérusalem, R. P. L. H. Vincent. — La basi-
lique de Gcthsémani 107

V. RECENSIONS. — B. W. Bacon, The Fourlh Gospel in research and debale


(R. P. Lagrange 1
138

VI. BULLETIN. — Nouveau Testament. — Peuples voisins. — Palestine 1 15


608 TABLE DES MATIÈRES.
Pages

N° 2. — Avril.

I. LA PALESTLNE DANS LES PAPYRUS PTOLÉMAIQUES DE GERZA. —


R. P. L. H. Vincent 161

II. LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL. — R. P. D. Buzy 203

IJI. MÉLANGES. — 1° Le texte de l'Épitre aux Romains dans le commentaire


d'Origène-Rufin, G. Bardy. —
2° Ce qui a été publié des versions

coptes de la Bible, A. Vaschalde 229

IV. CHRONIQUE. —Notes d'épigraphie. —


Le fragment VIII de l'édit byzan-
tin de Bersabée. —
Organisations scientifiques à Jérusalem, R. P. F.
M. AbeL —
La restauration de l'Éléona. —
A propos de Gethsémani,
R. P. L. H. Vincent 259

V. RECENSIONS. — G. Jeffery, A brief description of the Holy Sepulchre. —


M. K. Schmaltz, Mater ecclesiarum. — H. Kohi et E. "Watzinger,
Antike Synagogen in GaUlaea, R. P. L. H. Vincent 273

VI. BULLETIN. — L'exégèse biblique en Allemagne durant la guerre. — An-


cien Testament. — Langues sémitiques. — Palestine 285

N° 3. — Juillet.
I. L'ANCIENNE VERSION SYRIAQUE DES ÉVANGILES. — R. P. Lagrange. 321

II. LES SYMBOLES PROPHÉTIQUES D'ÉZÉCHIEL {suite). — R. P. D. Buzy. 353

III. MÉLANGES. — 1° Mission épigraphique à Palmyre, R. P. M. R. Savi-


gnac, M. J. B. Chabot, membre de l'Institut. —2° Odeinat et Vabal-
lat, rois de Palmyre et leur titre romain de corrector, M. Clermont-

Gannot, membre de l'Institut 359

IV. RECENSIONS. — Alfred Loisy, Les mystères jmïens et le mystère


chrétien (R. P. Lagrange) 420

Y. BULLETIN. — Nouveau Testament. — Ancien Testament 417

N" 4. — Octobre.
I. L'EMPLOI MÉTAPHORIQUE DES NOMS DE PARTIES DU CORPS EN
HÉBREU ET EN AKKADIEN. — R. P. Dhorme 465

II. LA SÉPULTURE DES PATRIARCHES D'APRÈS LA BIBLE. — R. P. H. L.


Vincent • • 507

III. MÉLANGES. — 1° Barcochébas 6 ixovoy^viqî, M. Clermont-Ganneau, mem-


bre de l'Institut. —
2° Marc source des Actes? cb. i-xv, L. Dieu. — 3° Un
remploi du De xmitate de saint Cyprien par saint Jérôme, M'' Batiffol. .341

IV. CHRONIQUE. —A propos de l'épée de Corbulon. —


L'église de Gethsémani.
— Le fragment nabatéen du musée de la Dormition. Inauguration de —
l'Institut archéoiogique anglais, R. P. L. H. Vincent .572

V. RECENSIONS. — D- G. Ch. Aalders, De Propheten des Ouden Verbonds


(J. Vandervorst). — Isbon T. Beckwith, The Apocalypse of John
(R. P. E. B. AUo). —
A. E. Brooke et M. Mac Lean, The Old Testa-
ment in greek (E. Tisserantj 580

VI. BULLETIN. — Nouveau Testament. — Ancien Testament. — Palestine.... 596

Le Gérant : J. G.oalda.

Typograptiie Firmin-Didot et C"


TABLES GENERALES
DU VOLUME XXIX
1920

TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS


Aalders. De Prophetea des Ouden Verbonds. 580
Alfaric. Les Écritures manichéennes, 148
Andres. Die Engellehre der griecli. Apologeten des II lahrh. 287
Aytoun. The ton Lucan hymns of the Nativity (JTh S. 1917,
p. 274). ' 459

Bachmann. Der 2. Korintherbrief. 291


Bacon Wisner B. Is Jlark a roman Gospel? 459
The fourth Gospel in research and debate. 138
Rauiigaertel. Elohim ausserhaib des Pentateuch. 291
Baumstark. Die Modestian. und die Konstantin. Bauten am heii.
Grabe zu Jérusalem. 313
Beckwith Isbon. The Apocalj^pse of John. 589
Billot Le Cardinal. La Parousie. 597
BOUSSET. Jésus der Herr. 295
Brooke et Mac Lean. The 0. T. in greek according to... B. 594

Cadbury. The Luke and Acts.


diction of 145
Charlam. R. p. Madame saincte Anne I et 11. 159
Clédat. Notes sur l'isthme de Suez. 301
Pour la conquête de l'Egypte. 301
Cle.men. Die Reste der prirnitiven Religion im altesten Chris-
tentum. 296
Cl.-Ganneau. La mosaïque juive de 'Aïn Douq. 314
Colson. Myths and généalogies. 460
CORSSEN. Die Zeugnisse des Tacitus und Ps.-Josephus iiber
Christus. 297
Cronin. Abilene, the jewish Herods and St. Luke. 46(J

Danby. Tractate Sanhédrin Mishnah and Tosefta. 601


Dalsch et C"" Die heilige Schrift des N. T. 457
Debrunner. Fr. Blass' Grammatik des neutest. Griechisch. 4* éd. 299
Declcedt r. p. Plombs du musée biblique de Sainte-Anne. 153
Dier r. p. Die Genesis, ûbersetzt und erklart. 287
Drews. Geschichte der Philosophie, VIL 286

Ebelisg. Griech. — deutsches Worterbuch zum N. T. 299


ElCHRODT. Die Quellen der Genesis. 291
Elbogex. Der jiidische Gottesdienst in seiner gesch. Entwick-
lung. 289
Erbt. Untersuch. zur Geschichte der Hebriier. 296
REVLE biblique.
TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS.

Feghali. Le parler de Kfar-'Abida (Liban-Syrie). 3(j7


Etudes sur les emprunts syriaques dans les parlers
arabes du Liban. 309
FiNCHAM. The order of the Hospital of St. John of Jérusalem. 153

GlORGl. Italia in Oriente. (Il momento 14 feb. 1920). 607


golvbovich r.p. Biblioteca Bio-bibl. délia Terra Santa, III. 309
Gressmann. Das Weihnachls-Evangelium... untersucht. 294
GUNKEL. Reden und Aufsatze. , 293

Harnack. Zur Revision der Principien des neutest. Textkritik.


Die Bedeutung der Vulgate fiir denTextder kathol.
Briefe. 298, 450
Der Spruch iiber Petrus als den Felsen der Kirche. 298
Haupt. Hinnom and Kidron. ir^l

Haury. Das Eleusische Fest ursprûnglich identisch mit dem


Laubhiiltenfest der Juden. 294
HOBERG. Liber Geneseos. 291
Hoffmann D. Jeschurun, 1917. 289
HOSKIER. Codex B and its Allies. 448

Hlber K. Untersuch. ïiber den Sprachcharacter des griech.


Leviticus. 599

hvvernat. A Check List of Coptic mss. in the P. Morgan Libr. 448

Jacob.
Quellenscheidung und Exégèse im Pcntateuch. i'89

Jaeger. Das Christentum Goethes. 286

Jeffery. A brief description of the holy Sepulchre. 273

Geschichte des Volkes Israël. 290


KiTTEL.
Die Evangelien, Lukas. 301
Klosteriunn E.
KOENIG. Die moderne Penlateuchkritik. 290
KoHL et Watzinger. Antike Synagogen in Galilaea. " 282
Knudtzon. Die El-Amarna Tafeln, I et II. 303
KURZE. Der Engels-und Tenfels-glaube des Ap. Paulus. 597

Landersdorfer R. P Die sumerische. Frage und die Bibel. 288


Lebreton r. p. Les origines dudogme de la Trinité. 597

Lietzmann. Petrus und Paulus in Kom. 296

LOISY. Les mystères païens et le mystère chrétien. 420


Looks. Wer was Jésus Christus ? 292

Mac Lean. Voir Bkoore.


Macler. Le texte arménien de l'évang. d'ap. Matth. et Marc. 452

Mac Neiu-, Voir Tables R. B. 1919. ' 295

Mager. Die Peschittho zuin Buche Josua. 600


Éléments d'une bibliographie française de la Syrie. 314
Masson.
Me Lachlan. St. Luke, The Man and his Work. 401

Meinertz. Der Jakobusbriei. 458


La Vie intérieure. 442
Mercier CardinaL
Les Psaumes, extrait de la Bible du Centenaire. 599
Mercier Ch. ft C^.
S. Etienne et ses sanctuaires. 311
MOMMERT.
Joliannes und Paulus. 287
Mon SE.
MiLLIGAN The vocabulary of the greek Testament, 111. 462
MOULTON et

Bibelwissenschaftliche Irrungen. 289


Neubauer J.

Die Geschichtlichkeit Jeu Christi. 297


Petsker.
Cantiques de Sion. 303
Perennèp.
TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS.
Pesekico. Quanto visse Gesii. 450
Peter s R.P. Prise de Jérusalem par les Perses, A. Bol. 1920, 137. 605
PiROT. Les Actes des Apôtres et la Commission biblique. 147

Rahlks. Verzeichnis der griech. Handschr. des A. T. 299


Rendel Harris The origin of the doctrine of the Trinity. 300
RopES Hardy. A...commentary on the ep. of St. James. 457
Ryckmans g. Les formes nominales en babylonien. 3C^

schekmann. Die allgenieine Kirchenordnung. 287


schloegl. Die Psalmen. Je.sa' ja. 288
schmaltz k. Mater ecclesiarum. Die Grabeskirche. 274
schmitzberger. Die Echtheit Golgothas und des heil. Grabes. 312
Pilger-Briefe, 15 janv. 15 avr. 1920. 606
Sellin E. Das Deuteronomium. 290
Sheppakh. Siloam. J. Th. St., 1915, p. 414. 606
SOLTZO. Les origines et les rapports de qques poids assyro-
chaldéens. 314
Stummer. Der krit. Wert der altaram. Achikartexte aus
Elephantine. 287

TOBAC. Les prophètes d'Israël. 463

Valbuena Ms La religion a través de los siglos, 11. 447


Verhelst. Apologétique. 300
Voelter. Jésus der Menschensohn. 293
VOLZ. Die biblischen Altertiimer. 290

Weber 0. Voir Knidtzon-, IL 304


Weber. Hi'stor.-krit. Schriftforchung und Bibelglaube. 292
Weber S. S. Irenaei... Demonstratio Apostol. Praedicationis. 598
Weill R. Les ports antéhelléniques de la côte d'Alexandrie et
l'empire crétois. 149
La cité de David. R, E, J., 1919 1 ss. 315
Weiss B. Paulus und seine Gemeinden. 291
Wernle. Jésus. 292'
Wetter g. Der Sohn Gottes. 296
WOHLEB. Die latein, Ueberselzung der Didache. 287
Wohlenbero, Der 1. und 2. Petrusbrief und der Judasbrief. 291
Wrzol. Die Echtheit des 2. Thessalon. 596

Zahn. Das Evangelium des Lucas. 291


Zammit. The Hal-Tarxien Neolithic Temple, Malta. 151
Zurhellen. Ilelden und Ileilige des Protestantismus. 286

Congrès Français de la Syrie. 313


Das Heilige Land, 1914-1917. 154
Das Land der Bibel. 319
Nea Sion, 1920. 316, 602
P. E. Fund, Quart. Stat. oct. 1919. 316
Zeischr. des D. P. Vereins, 1914-1919. 317
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIERES PRINCIPALES.

TABLE ALPHABETIQUE
DES MATIERES PRINCIPALES.

Abdias, version copte d', 2l\. Corrector à Palmyre, 388, 400.


Abraham acquiert Macpélah, 513, 522. Couronne, métaphore, 487.
Actes des Ap., 147; critique littér., 555. Crète, port en Égj^pte, 150; influence à
Adar, ancienne ville, 263. Malte, 152.
Aggée, version copte d', 246. Critique textuelle du N. T., 448.
'Aïn el-Beida, 368. Cyrus dans Isaïe, 11, 26.
'Ainà (el-), 263.
Daniel, 253.
Alexandrie, port primitif, 149.
Diatessaron de Tatien, 324-332, 335 s.
Amarna (el-), tablettes, 304.
Dieu d'Israël, sa transcendance, 16.
Ame juive au temps de Perses, 5 ss.

Amos, version copte d', 243.


Dionysos, mystères de, 424-435.
Anne (Sainte-), 159.
Ecclésiaste, version copte, 93.
Antiochus, père de Zénobie, 394, 407; — Église d'el Bireh, 135; — de la Samari-
Khalîphi, 408.
taine, 126; église d'el 'Aoudjeh, 111-113;
Apocalypse, commentaire, 589.
cf. Jérusalem.
Apollonios le diœcète, 163.
Éléona, restauration projetée, 267.
Apollophanès de i^Iaresa, 182. Emploi métaphorique des parties du
Arabe de Syrie, étude linguistique, 307.
corps, 465.
•Aràq el-Emir, 190. Épigraphie sioniste, 136.
Aréopolis, 264.
Épître de S. Jacques, 458.
Arménienne, version des évang., 452.
Esther, version copte, 106.
'Aoudjeh, exploration de 1916, 107-111; Évangile de l'Enfance dans vers, syriaque,
— les églises, 111-113; — les inscrip-
349; —
S. Marc, 459; —
S. Jean, 138;
tions, 113 ss. — version arménienne, 452; version —
Arnonas, 264. syriaque, 332.
Autels de Palmyre, 369, 375. Exégèse biblique en Allemagne, 1913-1920,
Babylonien, formes nominales en, 305. 285.

Barcochébas, 540 ss. Exode, début de l'itinéraire, 302.


Bérénice-'Aqabah, 169. Ézéchiel, sa maladie, 205; —
ses visions,

Bersabée, édit byzantin, fragm. vin, 261. 209; —ses symboles, 202; le pain impur,

Bethléem, basilique, 153, 155; narthex, 225; le rouleau, 353; la chaudière 355;
603. critique littéraire, 217; version copte,
,

Betoôrous, 261. 252.

Bireh (el-), destruction de l'église, 435.


Ftiyàn (el-), 263.
Birtha d'Ammonitide, 183, 189, 197-201.
('ialilée, anciennes synagogues, 282.
Cadavre, en hébreu et en akkadien, 471.
Généalogies, genre historique, 460.
Cantique des cant., version copte, 94.
Gethsémani, 269; basilique, 137, 574.
Chair, métaphore, 473; la chair et le
Godeschau de Turholt (sceau de), 153.
sang, 472.
Graisse, métaphore, 478-481.
Chapiteaux du moustier du Repos, 80.
Grec du N. T., 462.
Chaudière d'Ézéchiel, 355.
ClaudiusFirmus, partisan de Zénobie, 403. Habacuc, version copte, 245.
Clerkenwell, imitation du S. Sépulcre, 153. Hébron et Abraham, 507, 514, 534.
Codex B, 448, 594. Iléraclée de Syrie, 178.
Coptes, versions de la Bible, 91, 241. Hétéens, 515.
Corbulon, épée supposée, 574. Hospitaliers, 153.
Cornes, métaphore, 499-505. Hypogée antique de Naplouse, 129.
Corps, sa formation chez les Hébreux, 468. Hyrcan, petit-fils de Tot)iah, 199.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

Idole dans Isaïe. 16. Naplouse, hypogée antique, 126; — le


Inscriptions grecques d'el 'Aoudjeh, 113; puits de la Samaritaine, 126.
— de Palniyre, 379 ;
— palniyréniennes, Nephech dans le sens de cou, 482.
374.
Institut archéologique anglais, 577.
Odeinat, corrector, 382, 401.
Irénée S., sa Démonstration, 599.
Orphisme, 426-435.
Isaïe, son influence, 6 ss. version — Os, métaphore, 474; os et chair, 474.

copte, 247.
;

Osée, son mariage, 463; — Version copte,


242.
Isis et Osiris, nnstères, 435-441.
Osiris, mythe d', 435-441.
Jacques S., épitre, 458.
Palestine dans les pap. de Gerza, 161.
Jaffa,dans les pap. de Gerza, 176.
Jean S., évangile, 138. Palmyre, de Damas à, 359 —- description,
;

Jérémie, version copte, iôO. 370; — inscriptions, 374-382.


Parousie, 596.
Jérôme S., emprunte à S. Cyprien, 569.
Jérusalem, cité de David, 315; Hinnom — Patriarches, leur sépulture à Hébron, 507-

et Cédron, 154; — dans deutéro-Isaïe, 539.

19-31 — S. -Sépulcre d'après Schmaltz, Paul S., son concept des anges et démons,
;

274; — authenticité du -Sépulcre, S.


597; — et les mystères païens, 421 — et ;

312; — S"ï-Anne, 159; — Éléone. 267; —


l'Eucharistie, 423.

Gethsémani, 269, 137, 574; — Repos, le


Peau, métaphore, 482.

75; — épigraphie, 137; — prise par les


P haros, 149.

Perses, 605; — Fraternitatis (sceau),


Philadelphie-'Ammàn, 189.
S.

153; — Institut anglais, 577; —Société


Pihakhiroth, découvert, 3(J1.
Poils, métaphore, 505.
orientale de Palestine, 266.
Prophéties dans l'A. T., 580.
Jésus, âge de, 459.
Proverbes, version copte, 91.
Job, version copte, 95.
Joël, version copte, 243.
Psaumes de la Bible du Centenaire, 599;
Jonas, version copte, 244.
— trad, et commentés, vi, vu, vni, 43ss.

Josué, version syr. peschittho, 600.


Qaryatein-Nazala, 364.
Judith, version copte, 106.
Qasr el-*Abd, à 'Araq el- Emir, 194.
Lamentations, version copte, 251.
Qasr el-Heir, 365.
Lampes funéraires de Naplouse, 133.
Qiryath-Arba', 514.
Ledjoûn en Moabitide, 264.
Q.sour-Bseir, 265.
Lévirat à Palmyre, 416.
Lévitique, grammaire grecque du, 599. Repos, chapelle du, 75.
Luc S., ses qualités, 461; — son style, Retour de la captivité dans d. -Isaïe, 28.
145; — et les Actes, 147; — et S. Marc à Romains, épitre, texte latin de Rulin, 229.
propos des Actes, 555. Rouleau d'Ézéchiel, 353-
Lysanias d'Abilène, 301, 460. Rufm, son texte de l'ép. aux Rom., 229.

Macpelah, caverne de, 512, 518. Sagesse de Salomon; — de Sirach, ver-


Malachie, version copte, 247. sion copte, 98-106.
Mambré, 514, 518, 525, 530. Samaritaine, puits de la, 126.
IManichéens, leurs Écritures, 149. Sang, métaphore, 474-478.
Marc S., évangile, 459; — source des Sanhédrin, traité, 601.

Actes?, 555. Sarah, sépulture de, 512.


Massyas, ville de Coelé-Syrie, 177-179. Sarcophages de Naplouse, 131.

Matthieu S., version copte, 257. Sarepta-Longueville, 151.


Michée, vei-sion copte, 243. Sceaux byzantins représentant le S.-

Mithra, 441. Sépulcre et Bethléem, 153.


Moustier du Repos, 75. S. -Sépulcre, cf. Jérusalem.
Mystères païens et mystère chrétien, 420. Sérapis, 170; —
à Gaza, 174.
Serviteur de Jahveh, 36 ss.
Xahum, version copte, 245. Siloam, 606.
TABLE DES INSCRIPTIONS.

Société orientale de Palestine, 266. Vaballat, 387; — corrector, 400; —


Sophonie, version copte, 245. Auguste, 405.
Suzanne, version copte, 254. Version arménienne des évang., 452;
Synagogues antiques de Galilée, 282. versions coptes de la Bible, 241 B ;

Synoptique, question, 457. du Lévitique, 600; —
de l'Octateuque,
Syriaque, ancienne version, 332, 339. .504; — latine de l'ép. au.x Rom. utilisée
par Rufm, 229; —
syriaque de Josué,
Tatien et le diatessaron, 324. 600; —
ancienne syriaque des évan-
Temple néolithique à Malte, 151. giles, 321.
Tête, métaphore, 483, 485-497. Vulgate, sa valeur, 4.50.
Thessaloniciens, 11' ép., 597.
Tobiades d'Ammonitide, 181. Zacharie, version copte, 2 16.

Tobiah l'Ammonite, 183, 185. Zagreus, 425.


Tôbiah, inscription de 'Araq el-Eniir, 197. Zénobie, 383, 415.
Tobie, version copte, 241. Zénobius-Zebîdà, 418.
Tyr — 'Araqel-Emir, 201. Zenon le Carien, 162; — eu Palestine,
Tyr et Sidon danspap. de Gerza, 177, 179 s. 261 ss.

TABLE DES INSCRIPTIONS

I. — INSCRIPTIONS GRECQUES.

A . — Noms propres.

'ASouÇdvaivoç 115 KdpsTOç 119


ASouai; 118 Kupïç 316
ASpaajjiioç 115 KûpiXXo; 316
*A5apa 260, 263 381
Ai'aafjiaoç
'Ax/.tLieAoç 381
'AXaçaXoç 117 s.
Mayaorivoî 380
'ÂXéÇavopoî 116 MdEXyoç 381

'AvatJTaai'a 116 Mapt'a 316


Mapo; 316
AvTioyoç 411, 412, 413, 414
Ma-p6va 316
Br,Towpouç 261 MEY^Xr, 120
BîxTwp 115 iMo/.£Ï|XOÇ 381
raoSpYioç 116 Néov KîiaTpov 261
AtoYÉvr,? 379 NoûporjXoç 380 381
AtopoÔEoç 116, 118, 121 "OyT|Xo$ 380 381
"£[1.1(10 ç 113 "Ovaivo: 124
EùalStoç 316 OùaXEVTÎvoç 120
Où'pavioç 379
Zovsvrj 121
IlaXeaTt'/ifi 121
0cOT£XVO; 316
IlaXXouç 113
^IspojvuiJLOç 316 ïlaip-'x-toç 116
TopoavT); 262 né-poç 120 259
Ta{otijpoç 316 nîavo: 113
'Icoàvv/jç 123, 125 DpaiTOjpiov MoSrjvwv 261

1
TABLE DES INSCRIPTIONS

SauLoûrjXoç 119 OX. S^?Y"^? 115


S£~Ti[i.(a ZT)vo6;a 391, 395
STÉsavo; 118
S£j:-t[j.to; 'A9»)V()8(opoç 395
2spYco; , 113 tPXiouioç 123
<1>T£0Ç? 261, 263

B. — Termes techniques, titres.

Ôiaxûvoç 113, 119. 259 oîvûTipaTT,; 316


ï,Yoû|jL£vo; 116 -apa[AOvapio 316
xaOoXixo'î 124 npea6'jTepû; 124
xapjtoçopEÏv 113 ::ptoT£Ûwv 113
/.aià "ApaSa; 118, 120 a^ijia 119
xarà Faî^afou; 120, 259 CTjtrJXaiov 380
XtpitToro 121 CTTsyri 379
Xciyt^xia 379 axoa 379
u.TlTp6::oXtç 113 a'j[i7:ovo; 113
[ir,Tpwv 379

H. — INSCRIPTION LATINE.

Aurelius Valerius Diocletianus 391 |


Colonia Paimyra 391

INSCRIPTIONS SÉMITIQUES (1).

— Noms propres.

njiiN' p. 394 urau^S p. 381


Ny;nax p. 374 irSa p. 381
:13T1T2JN p. 394 laip'T p. 381
Sapx p. 381 Sinna p. 374
]inx p. 374 hz^^2 p. 381
cnianN p. 394 Nia^TSED p. 394
^37-r2 p. 394 DllO''T2Ea p. 394
nizm p. 394 iS^:i- p. 381
nmn n. 577 bxm p. 374
.-ii2TC h. 196, 197

B. - Titres.

xi:m:2x p. ârxvopeoKr;,- 394 N::prra p. corrector 385

(1) h = hébreu; n = nabatéen; p. palmyrénien.


REVUE Biblique,
1920.

V. 29
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