Texte extrait de l'ouvrage (de référence): L'Art Africain par Jacques Kerchache,
Jean-Louis Paudrat, Lucien Stephan,1988, aux éditions Citadelles.
FORMATION
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Verrochio ? Le jeune Africain va, lui aussi, débuter par balayer,
passer les outils, actionner le soufflet de la forge ; mais il devra
acquérir deux langages : le profane qui correspond aux objets
d'usage domestique, qu'il pourra exécuter pendant ses années
d'apprentissage et le sacré, réservé aux objets rituels.
Les jeunes restent en apprentissage entre six et dix ans pour être
préparés aux interdits, avantages, dangers, charges et droits
inhérents à leur corporation. Ils atteignent alors une trentaine
d'années. Il n'est cependant pas exclu qu'un jeune, extrêmement
doué, saute des classes d'âge. Cependant, qu'il reste chez son
maître ou qu'il prenne son indépendance, il est impensable de
lui demander de réaliser une sculpture dont l'usage et le contenu
liturgique sont destinés à des hommes de la classe d'âge
supérieure.
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On peut se demander alors ce qui importe le plus dans la
réputation d'un artiste, son pouvoir magique ou son talent
créateur. Personnellement, je penche pour le talent : l'élite
intellectuelle est capable de faire la relation entre niveau d'usage
et qualité de création et d'exécution ; elle n'est pas assez, bornée
pour rendre systématiquement les artistes responsables du
fonctionnement par fois négatif de certains objets. Elle peut,
bien sûr, profiter de ces événements pour essayer de les
disqualifier ou de les évincer mais ce sont là intrigues et rivalités.
Pour finir, il faut noter la rudesse de la compétition permanente
entre les clients pour s'approprier les services d'un artiste réputé
et se servir des ses œuvres pour accroître leur prestige. Chez les
Bamiléké, " le nom 'des artistes était souvent tenu
volontairement secret. L'artiste étant gardé au palais tant que la
commande n'était pas achevée, ses œuvres ne pouvant être
écoulées que par l'intermédiaire du roi, lequel en usurpait
souvent la paternité [,..] après l'achèvement d'un chef-d'œuvre,
ceux-ci (les sculpteurs) pouvaient être déportés, vendus comme
esclaves ou même exécutés " (P. Harter). La rivalité entre les
forgerons bamana peut aller jusqu'à l'utilisation du poison ou de
la sorcellerie pour détruire la famille d'un rival ; ils n'hésitent
pas à employer la calomnie pour réduire à néant les relations
privilégiées entre forgeron et clients. " La renommée d'un
forgeron est absolument vitale, étant donné que ses succès ou
ses faillites dans le domaine de la sculpture sont considérés
comme une question d'honneur tant individuel que familial et
par conséquent comme m enjeu de vie ou de mort. " (Sarah
Brett-Smith)
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demandait des détails sur les risques de casse, à vouloir ainsi
obtenir des volutes dotées d'une telle tension. Le premier
racontait le mal qu'il avait eu à trouver le bois convenable ; la
discussion se poursuivait jusqu'au milieu de la nuit, pour savoir
s'il valait mieux laisser la marque de l'outil sur la surface ou
passer des heures et des heures à polir le matériau avec des
feuilles abrasives. Et à la fin, intervenait un vieux sculpteur,
indigné par les jeunes qui aujourd'hui ne respectaient plus rien
et feraient mieux d'agir comme à son époque ou à celle de son
père, c'est-à-dire voyager chez les Chamba, les Jukun ou les
Wurkum pour s'instruire. Tout cela n'est qu'imagination mais
nous ramène à l'essentiel : la parole, la discussion en vue défaire
bouger les traditions.
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directement avec des formes dans les formes et [de] faire des
jeux déformes comme nous faisons des jeux de mots ".
Les grands artistes sont aussi rares en Afrique que dans toutes
les autres sociétés, y compris la nôtre. A l'intérieur même des "
œuvres complets ", il existe des temps forts correspondant à la
qualité de la question plastique posée ; peu d'artistes ont été
capables d'en poser plusieurs.
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post-modernisme, pour " resacraliser " l'art africain, l'art
islamique et tous les " arts premiers " en leur accordant une
place légitime, le Grand Louvre sera un leurre. Et l'État français
en supportera la responsabilité historique.
Jacques KERCHACHE
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