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l'artiste africain

Texte extrait de l'ouvrage (de référence): L'Art Africain par Jacques Kerchache,
Jean-Louis Paudrat, Lucien Stephan,1988, aux éditions Citadelles.

L'artiste africain, pour nous, est resté longtemps anonyme. Et


pourtant, il joue un rôle essentiel entre le visible et l'invisible ; il
participe à la cohésion et à l'évolution de son propre groupe
culturel ; éventuellement, à travers sa création, il peut toucher
des communautés voisines.

FORMATION

En Afrique, dès l'enfance, il existe une éducation collective par


"classes d'âge". Après les toutes premières années, au moment
du passage de l'adolescence à l'âge adulte, (excision,
circoncision), donc à la séparation des sexes, le jeune homme -
car en Afrique, c'est uniquement l'homme qui peut devenir
artiste - sera en principe dirigé par les sages, selon ses dons, vers
différents secteurs de la vie sociale : la chasse, la parole, le chant
ou la musique, la sculpture sur bois ou le travail de la forge.
Alors il recevra un enseignement sur les techniques et les mythes
correspondants. Le danger du système héréditaire de la charge
d'artiste, qui se retrouve dans de nombreuses ethnies, est
compensé par des soupapes de sécurité : malgré la loi des
traditions, on constate des transgressions. Ainsi, chez les
Sénoufo, si les jeunes héritiers de la charge se révèlent peu
doués, l'artiste " instructeur " peut faire entrer en apprentissage
des cousins éloignés ou des captifs de case, anciens prisonniers
de guerre ou esclaves. Dans d'autres ethnies, tshokwe, dan, igbo,
on devient sculpteur également par vocation et reconnaissance
de son talent. Un Bashilele, orienté vers cette corporation par
des rêves ou des transes, doit payer un droit d'admission à son
initiateur. On trouve en Afrique des familles ou des villages
entiers soumis à l'enseignement de maîtres sculpteurs. La
sélection qualitative démontre l'existence sans doute possible
d'un sentiment critique, même si le vocabulaire pour l'exprimer
n'est pas l'équivalent du notre.

Le jeune artiste tout en continuant à recevoir un enseignement


général, va entrer en apprentissage chez un maître; tout comme
l'apprenti peintre, à la Renaissance, commençait dans l'atelier de
son aîné, par nettoyer les pinceaux, broyer les couleurs,
apprendre le langage propre à sa corporation. Michel-Ange ne
fut-il pas placé par son père dans l'atelier de Domenico
Ghirlandaïo ou Léonard de Vinci ne passa-t-il pas chez

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Verrochio ? Le jeune Africain va, lui aussi, débuter par balayer,
passer les outils, actionner le soufflet de la forge ; mais il devra
acquérir deux langages : le profane qui correspond aux objets
d'usage domestique, qu'il pourra exécuter pendant ses années
d'apprentissage et le sacré, réservé aux objets rituels.

Lorsqu'il aura atteint un niveau de connaissance des mythes


suffisant, il pourra être sélectionné par ses pairs et on lui
confiera des commandes que son degré d'initiation lui permettra
de réaliser. Par exemple, il aura la possibilité défaire un masque
de passage de grade d'après un modèle. Ces modèles, utilisés par
le maître, supports techniques, plastiques et mythologiques,
n'ont pas forcément la dimension des objets réels ni les
caractéristiques (trous d'attache ou de portage pour les
masques). Selon la personnalité de l'initiateur et la variabilité du
mythe, le jeune sculpteur pourra s'exprimer plus ou moins
librement, s'éloigner ou non du modèle proposé. Son esprit de
compétition, son sens critique, ses capacités techniques et
créatrices seront encouragés à cette occasion.

Les jeunes restent en apprentissage entre six et dix ans pour être
préparés aux interdits, avantages, dangers, charges et droits
inhérents à leur corporation. Ils atteignent alors une trentaine
d'années. Il n'est cependant pas exclu qu'un jeune, extrêmement
doué, saute des classes d'âge. Cependant, qu'il reste chez son
maître ou qu'il prenne son indépendance, il est impensable de
lui demander de réaliser une sculpture dont l'usage et le contenu
liturgique sont destinés à des hommes de la classe d'âge
supérieure.

MATURITÉ DE L'ARTISTE AFRICAIN

Léonard de Vinci recommande à l'artiste de " vivre en solitaire


pour mieux se concentrer sur l'essence des choses ".'Rien ne
peut résumer aussi exactement l'attitude de l'artiste africain face
à sa création. Il est solitaire, marginal et sa fonction a un
caractère sacré. Le sculpteur, en Afrique, exécute son œuvre le
plus souvent en secret, avec beaucoup de contraintes, car elle est
destinée à un public restreint. Il lui arrive certes de travailler ou
de montrer sa sculpture à des confrères, ou bien d'écouter des
critiques en cours d'exécution. Mais c'est toujours une élite "
d'intellectuels " comprenant les artistes eux-mêmes, qui va
exprimer les remarques et comme les œuvres ne sont pas
destinées à être exposées, la production dépend de la qualité 'de
la critique initiale. Cette critique, les artistes vont la subir non
seulement avant mais aussi pendant l'utilisation, les
commanditaires jugeant selon l'efficacité de l'œuvre en question.

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On peut se demander alors ce qui importe le plus dans la
réputation d'un artiste, son pouvoir magique ou son talent
créateur. Personnellement, je penche pour le talent : l'élite
intellectuelle est capable de faire la relation entre niveau d'usage
et qualité de création et d'exécution ; elle n'est pas assez, bornée
pour rendre systématiquement les artistes responsables du
fonctionnement par fois négatif de certains objets. Elle peut,
bien sûr, profiter de ces événements pour essayer de les
disqualifier ou de les évincer mais ce sont là intrigues et rivalités.
Pour finir, il faut noter la rudesse de la compétition permanente
entre les clients pour s'approprier les services d'un artiste réputé
et se servir des ses œuvres pour accroître leur prestige. Chez les
Bamiléké, " le nom 'des artistes était souvent tenu
volontairement secret. L'artiste étant gardé au palais tant que la
commande n'était pas achevée, ses œuvres ne pouvant être
écoulées que par l'intermédiaire du roi, lequel en usurpait
souvent la paternité [,..] après l'achèvement d'un chef-d'œuvre,
ceux-ci (les sculpteurs) pouvaient être déportés, vendus comme
esclaves ou même exécutés " (P. Harter). La rivalité entre les
forgerons bamana peut aller jusqu'à l'utilisation du poison ou de
la sorcellerie pour détruire la famille d'un rival ; ils n'hésitent
pas à employer la calomnie pour réduire à néant les relations
privilégiées entre forgeron et clients. " La renommée d'un
forgeron est absolument vitale, étant donné que ses succès ou
ses faillites dans le domaine de la sculpture sont considérés
comme une question d'honneur tant individuel que familial et
par conséquent comme m enjeu de vie ou de mort. " (Sarah
Brett-Smith)

DIALOGUES D'ARTISTES ET DISSIDENCES

Imaginons un sculpteur mumuye qui présente une nouvelle


statuette à ses amis. Leurs réactions immédiates peuvent
sûrement être comparées à celles des peintres à qui Picasso
montra Les Demoiselles d'Avignon. " II est fou " - " Un jour, il va
se pendre derrière. " Et puis, le premier choc passé, ce sculpteur
mumuye a dû vivre une intense compétition avec les autres
artistes de son ethnie, un peu comme Braque, Picasso et Juan
Gris entre 1911 et 1913 ; ce qui faisait dire à Braque " qu'ils
avaient l'impression de peindre dans le dos l'un de l'autre
comme sur la célèbre affiche de Ripolin ". Ces sculpteurs ont
certainement tenu des conversations passionnantes pour
l'évolution de leur art devant cette proposition. L'artiste créateur
de cette forme justifiait l'importance de la prise de position des
bras dans l'espace et l'utilisation du vide ; un interlocuteur, tout
en lui rétorquant que les liaisons proposées entre les masses
donnaient effectivement plus de présence à " l'individu " lui

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demandait des détails sur les risques de casse, à vouloir ainsi
obtenir des volutes dotées d'une telle tension. Le premier
racontait le mal qu'il avait eu à trouver le bois convenable ; la
discussion se poursuivait jusqu'au milieu de la nuit, pour savoir
s'il valait mieux laisser la marque de l'outil sur la surface ou
passer des heures et des heures à polir le matériau avec des
feuilles abrasives. Et à la fin, intervenait un vieux sculpteur,
indigné par les jeunes qui aujourd'hui ne respectaient plus rien
et feraient mieux d'agir comme à son époque ou à celle de son
père, c'est-à-dire voyager chez les Chamba, les Jukun ou les
Wurkum pour s'instruire. Tout cela n'est qu'imagination mais
nous ramène à l'essentiel : la parole, la discussion en vue défaire
bouger les traditions.

La sculpture africaine est un art sans esquisses, sans études,


sans dessins préparatoires. Les artistes passent directement du
concept à l'exécution. De plus, la rapidité de la transmission de
l'œuvre du " réalisateur " au " consommateur " est foudroyante,
elle ne permet pratiquement aucun temps de réflexion. La
critique est immédiate et définitive, l'œuvre est avalée, digérée,
acceptée ou broyée si elle ne satisfait pas. La puissance critique
des usagers a peut-être annihilé, chez, les Baoulé, toute tentative
d'originalité et d'évolution.

Heureusement, il existe des artistes dissidents qui passent à


travers les mailles étroites du filet de la critique traditionaliste. A
l'intérieur de sociétés très structurées comme Ifè, le royaume du
Bénin, les Tomba, les Luba, les Baoulé, où toute tentative de
solution nouvelle peut être considérée comme un exploit, ou
dans des sociétés plus souples comme celle de l'est du Nigeria,
les artistes dissidents tirent profit de tout : le renouvellement
d'un culte, la variation d'un mythe, l'émigration, les alliances, les
conflits sociaux, les commandes par d'autres communautés, leur
réputation de magiciens. Ils s'expriment dans de nouvelles
formes en espérant les imposer. Et si le pouvoir de l'État est trop
contraignant, il leur reste une solution : 'la fuite, l'émigration,
comme celles de Tsoede et d'Ojugbelu.

Les artistes africains savent profiter du Kuo, le juste et seul


moment, selon les Chinois, où le tisserand peut envoyer et
passer sa navette. Ils ont démontré qu'ils emploient avec
bonheur tous les matériaux à leur disposition, ils incorporent et
utilisent aussi toutes les nouvelles matières apportées sur leur
continent. Ils se sont infiltrés dans le tréfonds des proportions,
dans les enchaînements de rythmes faits de répétitions sans
redites. Ils ont créé des variations déformes tout à fait
singulières. Ils se sont servis admirablement de l'ombre et de la
lumière. Comme l'a dit Jean Laude, ils sont capables de "penser

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directement avec des formes dans les formes et [de] faire des
jeux déformes comme nous faisons des jeux de mots ".

Chaque culture reste authentique en s'enrichissant au contact


des autres. (Claude Levi-Strauss)

La sculpture africaine est avant tout matérialisation de la parole.


Cette caractéristique lui confère une grande importance dans les
études de terrain. Mais, dans leurs rapports avec leurs
informateurs, certains ethnologues ont tendance à trop
employer l'affirmation. Ils ne tiennent peut-être pas assez
compte de la personnalité, de l'âge et de la position sociale de
leurs interlocuteurs. Alors que l'on s'éloigne de plus en plus des
sources premières d'inspirations, des questions sont posées dont
les réponses sont préméditées et les cicatrices historiques sont
négligées.

Que valent par exemple les informations recueillies par un


homme qui interroge sur des objets uniquement manipulés par
des femmes ? Je me demande parfois si quelques-uns ne partent
pas avec leur divan sur le terrain, de peur de retrouver leur
innocence. On a déjà pillé l'Afrique dans tous les sens du terme
(déportation, esclavage, colonisation, racisme institutionnalisé),
il ne faudrait pas maintenant que des ethnologues veuillent la
châtrer dans leurs laboratoires.

En outre, il faudrait séparer la notion d'objets de surface


appartenant comme des biens mobiliers à leurs propriétaires de
celle du patrimoine archéologique. Car, en fait, si nous avons
une idée assez, juste de l'inventaire des objets de surface, l'avenir
de l'art africain est dans son sous-sol.

Les grands artistes sont aussi rares en Afrique que dans toutes
les autres sociétés, y compris la nôtre. A l'intérieur même des "
œuvres complets ", il existe des temps forts correspondant à la
qualité de la question plastique posée ; peu d'artistes ont été
capables d'en poser plusieurs.

Enfin, à notre époque, où le métissage culturel paraît non


seulement évident mais indispensable au monde futur, où le
discours courant proclame : " Pas d'hommes hors de la culture ",
il faut se souvenir du cri de Fénéon en 1920 dans le Bulletin de la
vie artistique ; " Quand rentreront-ils au Louvre ? " Alors que,
depuis plus de dix ans, les arts noirs sont présents dans les
grands musées des Beaux-Arts aux États-Unis, la France, elle,
continue à les marginaliser dans des musées d'Histoire
naturelle. Le Grand Louvre réorganise ses collections. Si l'on ne
profite pas de cette occasion, sans tomber dans le piège actuel du

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post-modernisme, pour " resacraliser " l'art africain, l'art
islamique et tous les " arts premiers " en leur accordant une
place légitime, le Grand Louvre sera un leurre. Et l'État français
en supportera la responsabilité historique.

Jacques KERCHACHE

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