Line Ricard
Département de marketing
École des Hautes Études Commerciales
Introduction
1
Les auteurs remercient le Fonds pour la Formation de Chercheurs et l’Aide d’Aide à la Recherche pour leur
support à ce projet de recherche.
Nous proposons dans cet article une réflexion multidisciplinaire sur la transformation des
organisations qui s’appuie à la fois sur les domaines de la stratégie, de la gestion de la technologie et
des systèmes d’information, de la gestion des ressources humaines et du marketing. Comment allons-
nous aborder ce phénomène complexe? D’abord en définissant le concept de transformation des
organisations et en commentant le but et le défi de la transformation qui est l’innovation sur les
produits, les processus et les relations avec les clients. Ensuite nous analysons le contexte de la
technologie de l’information qui vient à la fois fournir des outils et des leviers tout en posant des
obstacles à la gestion par processus et à la cohésion sociale. Nous arrivons ensuite au coeur de notre
article qui consiste en la présentation d’un modèle de la transformation composé de quatre axes qui
sont autant de paradoxes: Positionnement stratégique et/ou projet d’entreprise? Structures et/ou
personnes? Systèmes et/ou processus? Approche transactionnelle et/ou relationnelle avec les clients?
Enfin, nous discutons le processus de la transformation, souvent basée sur la pratique maîtrisée du
conflit, et nous concluons.
L’état de transformation des organisations exige une réflexion nouvelle sur l’arrimage des
infrastructures d’affaires (clients, produits, marchés, technologies) et de la TI (plates-formes
matérielles, logicielles et de communication) ainsi que sur l’arrimage des architectures d’affaires
(processus et stratégie) et de la technologie de l’information (choix des applications) (Henderson et
Venkatraman, 1993). Il s’agit pour les entreprises de décider des attributs de leur infrastructure de la
TI en termes de capacité de manoeuvre, étendue géographique et éventail de services et en fonction de
leur projet d’entreprise ou intention stratégique projetée dans le futur.
Soulignons enfin l’apport récent des entrepôts de données qui pourraient contribuer à une
véritable démocratisation de la prise de décision en facilitant l’accès à l’information, son analyse, sa
représentation et son partage. La TI peut ainsi faciliter la définition et la réalisation d’un projet
commun en créant entre les membres d’une organisation, une véritable «communauté virtuelle» via
les réseaux locaux et étendus ou les intranets.
Approche
Projet relationnelle
d’entreprise Personnes Processus Clients
C
o
m
p
é
t Conflits
e
n Technologie
c de l’information
e
s
Stratégie Structure Systèmes Produits/Services
Positionnement Systèmes Approche
d’information transactionnelle
Pour Bartlett et Ghoshal (1994), c’est le projet d’entreprise qui est la vraie stratégie: parce qu’il
inspire de dépassement et de mobilisation des ressources, particulièrement des ressources humaines.
Ce débat entre projet d’entreprise (purpose) et positionnement est à peine esquissé ici. Mais nous
devons convenir avec Mintzberg (1994), Hamel et beaucoup d’autres que la planification stratégique
n’est pas ou n’est plus stratégique. Par contre, la mobilisation des intelligences et l’engagement des
salariés est stratégique.
Un pointeur se déplaçant sur l’axe stratégie-projet d’entreprise (voir figure 1) permet pour
une organisation donnée, de juger de l’ampleur de la transformation réalisée ou à réaliser sur cet axe.
Cet axe implique une redéfinition de la mission, de la culture et des valeurs de l’entreprise pour
refléter l’importance accordée au client. Le respect du client externe implique nécessairement une
valorisation du client interne, l’employé, sans lequel une approche relationnelle n’est pas possible
(Berry, 1995). Parmi les indicateurs qui permettraient à un gestionnaire de positionner son entreprise
et d’orienter les changements à réaliser, nous pourrions suggérer les suivants : La mission de notre
entreprise traduit-elle l’importance accordée au client ? Les mécanismes de communication
permettent-ils à l’ensemble des employés de l’entreprise sa connaître la mission ? Le capital humain
est-il privilégié autant que le capital financier ? Le leadership s’exerce-t-il sous la forme d’un
entrepreneurship ? Les relations entre dirigeants et subalternes sont-elles basées sur le pouvoir ou sur
la confiance? Notre entreprise a-t-elle identifié ou défini son domaine d’excellence distinctif ?
Management stratégique: entre les structures et les personnes. La réduction drastique du nombre
de postes (citons les banques, Bell, Nynex, Hydro...) ou downsizing et l’élimination de pans entiers de
l’organisation transforme les structures. Du côté des personnes, les gestionnaires parlent d’éthique,
d’apprentissage, de collaboration et de coopération: ils parlent de transformation sociale. Ils tentent
de bâtir un contexte organisationnel - ou comportemental - qui facilite la cohésion dans l’action, la
confiance et la créativité (Nonaka et Takeuchi, 1995; Bartlett et Ghoshal, 1995). Il est question aussi
de personnaliser les relations avec les clients. Certaines entreprises semblent s’appuyer nettement sur
les personnes, source essentielle de création de la valeur - plutôt que sur des structures. C’est le cas
des entreprises qui créent de la connaissance, des entreprises qui regroupent un grand nombre de
travailleurs intellectuels ou, d’après l’usage américain, de travailleurs de la connaissance (Davenport
et al., 1996). Ces personnes doivent pouvoir socialiser pour partager et expliciter leur savoir. Le
travail en équipe et un contexte organisationnel adéquat permet alors la transformation de l’entreprise.
Les indices de cette transformation pourraient être: le ratio de professionnels sur le nombre total
d’employés, l’importance des activités conduites par projet; le nombre de brevets déposés, le temps
de développement d’un nouveau produit, le pourcentage du chiffre d’affaires qui provient de produits
ou services inexistants deux années plus tôt; la rémunération par équipe, etc.
Processus stratégiques : le frein des systèmes établis. Historiquement, les systèmes de contrôle,
d’information, de logistique, de production sont conçus pour spécialiser le travail et le diviser en
tâches parcellaires. Les systèmes d’information en sont l’exemple typique en alimentant la haute
direction en information de contrôle plutôt que de servir à faciliter la résolution de problèmes, là où
les problèmes se posent dans l’organisation.
L’idée de processus - la vision horizontale - s’impose depuis le début des années 90 (Hammer,
1990), avec un souci essentiel: servir le client avec de performances phénoménales en terme de coûts,
de délai et de qualité. La transformation des organisations peut encore une fois faire l’objet d’une
évaluation sur cet axe. Quel est le niveau d’intégration des processus d’affaires et de l’infrastructure
technologique? Quelle est l’évolution en terme de coûts, délais et qualité? Comment,
paradoxalement, les systèmes établis empêchent-ils la réalisation d’une entreprise dite horizontale?
Une approche relationnelle se traduit en premier lieu par la mise en place d’une culture client,
l’élaboration d’un climat de confiance et l’existence de mécanismes favorisant une meilleure
connaissance (Ricard et Perrien, 1997). Pour favoriser une culture client et un climat de confiance, il
devient impératif de revoir la mission de l’entreprise qui doit être orientée vers la satisfaction des
besoins des clients. Il faut aussi s’assurer que les politiques de l’entreprise permettent aux employés
d’être relationnels plutôt que transactionnels. Ainsi, l’évaluation de la performance des employés
basée uniquement sur des critères de volume de transactions ou de nouveaux clients va à l’encontre de
la philosophie même d’une approche relationnelle qui suppose plutôt l’approfondissement de la
relation avec les clients actuels grâce entre autres à la vente croisée (vente de plusieurs produits à un
client). Tout ceci suppose évidemment un changement de compétences puisque le responsable de la
relation n’est alors plus un vendeur mais plutôt un conseiller. Une meilleure connaissance du client
exige aussi le développement de mécanismes de cueillette d’information sur les clients.
L’automatisation de ces mécanismes assure la régularité, la disponibilité et la pertinence des
informations.
Ces apprentissages variés sont largement tributaires des capacités d’échange entre les
membres des équipes de travail. L’encouragement et la coordination de ces interactions sont la
marque de commerce des organisations intelligentes alors que le déploiement massif de la technologie
de l'information risque d’altérer les liens sociaux et peut générer de nouveaux mécanismes de
désintégration sociale. L’apprentissage sous-tend tout processus de transformation organisationnelle.
Il permet de rester à la pointe en terme de technologie et de nouvelles pratiques de gestion.
Si l’apprentissage est la caractéristique clé par laquelle les firmes accumulent du savoir-faire
et de la technologie pour mener la compétition, l’apprentissage - parce qu’il résulte d’interactions
dynamiques - est corollaire de conflit (Dodgson, 1993; Pascale, 1990). L’entreprise en transformation
connaît une tension créatrice entre l’exploration et l’exploitation; entre l’innovation et la recherche de
la productivité; entre le changement et la force de l’expérience.
L’adoption d’une approche par processus nécessite une vision horizontale de l’entreprise
alors que tout, les structures et la division du travail et même les systèmes d’information, concourt à
fragmenter et à spécialiser le travail. L’approche relationnelle elle-même suggère de servir le client
au moindre coût, en lui offrant dans les délais les plus restreints un produit ou service personnalisé et
de qualité. Cette offre est-elle possible sans automatisation et informatisation à outrance, sans
réduction drastique du nombre de postes? Et comment dès lors concilier tous ces changements avec
la création d’une véritable communauté (Garvin, 1993)? La cohésion et la confiance sont-elles
possibles dans un climat d’insécurité (Kumar, 1996)?
Conclusion
Nous n’avons abordé ici que quelques-uns des grands paradoxes que devront élucider les entreprises
en transformation. Il ne s’agit à vrai dire, ni d’une problématique purement du ressort de la stratégie,
du marketing, de la gestion des ressources humaines ou du domaine des technologies et systèmes
d’information. Le cadre conceptuel proposé se veut plutôt un outil d’intégration de diverses
perspectives adoptées par des chercheurs qui partagent un intérêt commun, celui de la gestion des
organisations.
L’essai d’identification de repères sur chacun des axes de transformation démontre, nous le croyons,
tout le potentiel de ce modèle en tant qu’outil de gestion et de recherche. On peut raisonnablement
penser que la transformation est un changement de configuration. Le gestionnaire, comme
l'observateur externe, doit confirmer des changements majeurs sur les quatre axes du modèle (voir
figure 1) pour s'assurer d'un changement de configuration (voir Miller et Friesen, 1984). Les échecs
nombreux de la réingénierie et des programmes de qualité totale pourraient s'expliquer ainsi: ce sont
des changements partiels sur un seul des quatre axes. A eux seuls, ils ne constituent pas un saut
suffisant pour la transformation de la configuration organisationnelle.
On peut également se questionner sur la nature des compétences à mettre en place pour gérer le
changement de configuration. Miller (1992) soulignait à juste titre la difficulté pour l’entreprise de
réaliser à la fois un alignement externe avec son environnement et un alignement interne centré sur
l’efficience des activités de production et de gestion. De plus, comme les compétences se définissent
en tant qu’actifs intangibles (Nonaka et Takeuchi, 1995), elles sont difficiles à identifier et à évaluer.
Tout au plus pouvons-nous baser nos recherches sur leurs manifestations.
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